Conclusion de la première partie
p. 175-177
Texte intégral
1Une première tentation est de conclure à une nécessaire relativisation de l’influence du système de relations entre les pouvoirs publics et les cultes sur le pluralisme religieux dans les cimetières. Ainsi, alors que la Belgique partage avec l’Espagne une formalisation des liens avec les organisations cultuelles, le système belge peut surtout se caractériser par un financement des cultes. Or, pour les cimetières, l’enjeu n’est pas principalement d’ordre financier et ils ne relèvent pas des domaines où les pouvoirs publics interviennent pour soutenir les institutions et activités religieuses. Les cimetières publics ne portent pas la marque de ce qui singularise le système belge d’encadrement des groupes confessionnels et leur situation évoque bien plus le cadre français, où le principe de neutralité religieuse des cimetières publics a succédé dans les années 1880 au régime déterminé par le décret du 23 prairial an XII. En revanche, en Angleterre, la responsabilité et l’implication de l’Église établie dans la gestion des cimetières a précisément soulevé, jusqu’au début du xxe siècle du moins, la question du financement perçu par les autorités ecclésiales pour la prise en charge des inhumations, qui a recoupé celle d’un trait contesté des relations entre l’État et la religion dominante au point de susciter la remise en cause de ce financement et des appels à la fin du statut d’Église établie de l’Église d’Angleterre. Par ailleurs, si l’on cherche à identifier un point commun entre la Belgique et l’Espagne, il n’est pas directement relié à la régulation des pratiques religieuses : la régionalisation de la législation funéraire belge et la déclinaison normative en la matière au niveau des communautés autonomes puis des communes en Espagne se traduisent par des disparités de textes et de pratiques, entraînant des variations là où sont en jeu l’articulation entre la liberté de religion et le droit à une sépulture décente en Espagne et des considérations d’ordre public et de neutralité, pour la Belgique.
2À l’instar des disparités observées au rapprochement entre les systèmes belge et espagnol, la figure de la séparation comme mode d’organisation des relations entre les pouvoirs publics et les cultes, connaît dans le domaine funéraire des désinences spécifiques en France et aux Pays-Bas : la séparation française a été précédée d’une laïcisation des pratiques et de la législation funéraires et elle demeure matinée de l’idéal laïque dans la période contemporaine, tandis que la séparation néerlandaise est indissociable d’» une longue tradition de délégation des activités de service public aux organisations privées, y compris religieuses » et donne lieu à un paysage funéraire composite qui tend à s’adapter dans cet esprit aux divers rites funéraires religieux. Le statut légal des organisations religieuses néerlandaises – et sa souplesse – se traduit en effet par une association de ces organisations à la gestion des cimetières, se soldant par la création d’un nombre de cimetières confessionnels presque équivalant à celui des cimetières publics.
3Pour autant, en dépit de différences importantes – et finalement attendues – d’un État à un autre tenant à l’histoire en général et au statut juridique des groupes religieux en particulier, il ressort que le pluralisme religieux dans les cimetières, même encore déséquilibré au profit d’une religion dominante historiquement, socialement, voire institutionnellement en Angleterre, demeure in fine le principe. Même selon des chronologies et des voies variables, les législations ont en commun de tendre vers le rétablissement d’un certain équilibre entre les différentes religions, que ce soit à partir des dispositifs légaux liés au système de relations État-religions ou dans le cadre de la législation funéraire générale. En Belgique, le principe du pluralisme a été posé relativement tôt du fait de l’application pendant près d’un siècle du décret du 23 prairial an XII. En Espagne, cet enjeu est appréhendé dans le cadre d’une législation plus récente, sous l’égide du droit à une sépulture décente sans discrimination fondée sur la religion et les accords conclus avec les groupes religieux autres que catholiques constituent un cadre pour traiter de la question des cimetières et notamment des espaces confessionnels musulmans. L’importance historiquement du principe des cimetières confessionnels aux Pays-Bas et surtout en Angleterre pourrait expliquer l’ancrage ancien du pluralisme des – davantage que dans les – lieux d’inhumation. Elle renvoie à la différence centrale, dans la mise en œuvre du pluralisme religieux, entre les cimetières publics et la disponibilité de cimetières confessionnels. La recherche d’un plus grand respect de la pluralité des convictions et pratiques religieuses en matière funéraire ne s’opère pas de la même façon lorsque, comme en France et en Belgique, le cimetière communal sous la responsabilité d’autorités publiques civiles constitue la règle.
4Enfin, dans tous les cas, les difficultés rencontrées et les enjeux soulevés découlent de la prise en compte, ou du moins du constat, des demandes émanant des communautés musulmanes essentiellement visant à pouvoir disposer d’espaces propres dans les cimetières publics. À l’instar de ce que l’on peut observer dans d’autres États, ce sont ces demandes qui mettent en lumière la nécessité d’adapter des dispositifs normatifs établis parfois de longue date. Ces demandes invitent à un retour en arrière pour observer ce qu’il en a été jusqu’à présent de l’accueil des pratiques religieuses funéraires de cultes minoritaires. De là, il convient de s’intéresser à la façon dont ces cultes investissent le registre funéraire.
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