1En guise d’introduction, voici une courte citation empruntée à Le Cœur dans son ethnographie des Teda du Tibesti, qui vivent au Tchad. Selon ce qu’en a vu Le Cœur au début du xx^e siècle, chez cette population pratiquant le nomadisme et le pastoralisme « […] personne ne s’étonne que les Européens ne soient pas musulmans […] mais on trouve déplaisant qu’ils soient incirconcis »1. Si la circoncision a fait beaucoup parler d’elle ces dernières années et qu’elle convoque des valeurs et des normes qui sont celles des sociétés européennes, qu’elle s’est concentrée sur des débats à la fois sociétaux et inévitablement dans les milieux académiques, c’est en général du point de vue de l’Occident moderne (et même de l’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord moderne) et sécularisé que la question de la circoncision se pose, en particulier à propos d’une religion : le judaïsme. Parce que la tendance à l’enfermer dans ce double cadre est très prégnante, et qu’on parle d’ailleurs de circoncision ou de son opposé, la non circoncision, il est possible et même nécessaire d’opérer un décrochage géographique, culturel et historique, pour la considérer « vue d’ailleurs »… et l’ouvrir à une perspective anthropologique. Cette mise en perspective transhistorique et transculturelle (la double démarche de l’anthropologie, donc) revient à ne pas occulter que le judaïsme contemporain d’Europe – et non pas, cela a été dit préalablement le judaïsme en soi – a servi de point de départ d’une polémique récente. En tant qu’il nourrit les débats sur la circoncision en général, le judaïsme balise et sert donc d’étalon à la comparaison : mais c’est précisément parce qu’il est un modèle de référence qu’il convient d’en dépasser l’horizon culturel et religieux, et de considérer tout ce qui se constitue autour de la circoncision, notamment ses différents arrière-plans historique, culturel, politique et religieux.

I. Du présent au passé… actualités de la circoncision religieuse

2Qu’on l’appelle « rituelle » ou « religieuse », la circoncision sans but médical premier est d’une remarquable permanence et expansion : elle reste un rite d’initiation largement répandu dans la géographie des aires sémitiques (celles du judaïsme, de l’islam ou de certaines traditions du christianisme oriental, copte en particulier) ou animistes (en Afrique subsaharienne) et est pratiquée de manière plus dispersée ailleurs. Elle soulève dans d’autres régions du monde, en particulier en Amérique du Nord et en Europe, des « problèmes » moraux, médicaux et sociaux qui ne sont pas inconnus de ces régions « traditionnelles » de la circoncision, mais qui ne s’y sont pas posés avec la même acuité. La possibilité évoquée d’une interdiction en Allemagne (2012), qui s’est assez rapidement soldée par un statu quo sur la question, a, en fait, été le point de départ d’une remise au cœur des débats publics de la question de la tolérance face aux traditions de transformation corporelle étrangères aux cultures dominantes des sociétés européenne et américaine. C’est aux motifs (juridiques) désormais connus qu’elle entrave les droits des individus, qu’elle touche à l’intégrité physique des personnes, qu’elle soulève des questions éthiques à l’échelle sociale que la circoncision est devenue un problème législatif, d’ailleurs libellé dans le répertoire de la torture (elle est qualifiée de « mutilation »). À plusieurs reprises, dernièrement, et suivant une ligne rhétorique déjà ancienne (puisqu’elle est biblique) il a été proposé en Europe son remplacement par une « circoncision symbolique ». Sans grand écho jusqu’ici, cette tentative de métaphorisation du rituel semble révéler d’un autre côté un surprenant abaissement de la tolérance des sociétés hypermodernes pour des transformations du corps par ailleurs valorisées dans d’autres domaines. La tentative d’interdiction en Allemagne renvoie en fait à une émulation dans d’autres contextes, car le débat est apparu antérieurement aux États-Unis alors qu’il est concomitant dans d’autres pays d’Europe. Ces débats publics ont relancé ou donné plus de visibilité à l’intérêt des sciences biologiques ou sociales à son endroit. Colloques et publications se sont multipliés2, et deux positions tranchées semblent se dégager : les « pour » (qui adoptent une posture religio-centrée) et les « contre » (dont la posture « médico-centrée » s’y oppose radicalement). Mais la distinction est bien trop simpliste et le débat demande une approche distanciée (et critique), ainsi qu’une restitution du contexte et des processus qui travaillent ce débat. Ce qui, déjà, ne manque pas de se révéler à l’analyse, c’est que s’il y a deux à trois siècles on s’interrogeait sur l’origine de la circoncision, s’il y a un siècle on se penchait sur la question de son sens, désormais, c’est l’avenir de la pratique qui est au cœur des préoccupations…

II. Le plus ancien des rites ?

3Au plus loin que les données historiques permettent de remonter, ce sont des couteaux de pierre datant du néolithique (un outil mentionné dans l’épisode biblique de Séphora) qui donneraient la « preuve » archéologique de l’ancienneté de la pratique de la circoncision. Ces indices matériels, ajoutés à d’autres plus tardifs (des références textuelles, des fresques), font converger l’analyse dans le sens d’une antiquité de la pratique, ce qui permet à Paul Lafargue de stipuler en 1887 qu’il s’agit là d’« une des plus antiques institutions de l’espèce humaine » mais qui est aussi une « coutume barbare » (et dans son acception de barbares)3. Les essais de récapitulation historique de la pratique de la circoncision semblent s’accorder sur le fait que la plus ancienne représentation figurative du rituel a été retrouvée en Égypte et date de 2300 avant J.-C. Pour autant, la chronologie est à plus vaste échelle. Les premières incisions « médicales » dateraient de 30 000 avant J.-C., des indices de circoncisions mais aussi de scarifications ont été répertoriés 10 000 ans avant J.-C. En-3300 la circoncision préventive et rituelle est institutionnalisée en Égypte (notamment pour soigner le phimosis et d’autres infections associées à la sexualité religieuse), elle aurait été adoptée dans le judaïsme (mais en changeant de signification et d’usage sociologique) en-1250, puis elle connut la destinée qu’on lui connaît : rejetée par le christianisme, elle s’est maintenue et déployée au sein de l’islam. Dans tous les cas, pour l’anthropologie, la circoncision n’a de sens que rapportée à des ensembles rituels plus larges dans lesquels elle s’inscrit et n’est donc aucunement isolable du reste des prescriptions religieuses. Des sens qui sont complexes et multiples, et dès l’antiquité égyptienne, les motifs hygiéniques et religieux se côtoient4, et la circoncision est déjà une réponse médicale à une habitude religieuse : elle fait office de prophylaxie sacrée pour pallier les épidémies de maladies sexuellement transmissibles lors de festivités orgiaques telles qu’elles caractérisent une partie significative de la ritualité des polythéismes antiques.

III. Avant le judaïsme

4Il est donc bien établi que la circoncision existe antérieurement à la tradition juive mais des questions demeurent en suspension de réponses historiques précises : quelle a été la première civilisation ou la première religion à avoir adopté cette coutume et, partant, comment celle-ci fut adoptée par d’autres au fil du temps, pour quelles raisons et avec quels effets ? C’est le plus souvent l’Égypte ancienne (matériau historique à l’appui) qui est identifiée comme la première à avoir installé la circoncision au rang des obligations religieuses pour une partie de la population – les clercs. Le géographe grec Hérodote (circa 484-420 avant J.-C.) considère l’Égypte comme le premier foyer de diffusion identifié d’une coutume qui semble bien plus ancienne, foyer à partir duquel se serait faite la transmission à d’autres peuples en relation aux Égyptiens antiques (Éthiopiens, Phéniciens, Hébreux) puis à d’autres groupes (musulmans). Dans l’empire égyptien, la circoncision prévaut surtout dans les classes sacerdotales, elle est obligatoire pour les prêtes polythéistes. Non seulement elle est synonyme de pureté physique et symbolique, mais elle accentue les différences ethniques à travers les distinctions sociales et religieuses qu’elle reflète : la circoncision est le signe d’une identité singulière au sein du vaste empire égyptien, coloré de nombreuses cultures et de nombreux cultes, elle est le signe d’une adhésion à un culte impérial. Cette association de la circoncision à un culte élitiste en position hégémonique permet d’expliquer les phases d’abandon et de reprise qu’elle a connues en Égypte antique, au gré des changements politiques et des préférences religieuses des souverains de cet empire plurimillénaire qui a vu alterner des périodes de trouble et de stabilité politique.

5Bien plus tard, mais à propos de la même question historique, Voltaire consacre quelques pages de son Dictionnaire Philosophique (1764) à la circoncision en s’interrogeant de nouveau sur les raisons de son adoption par les Hébreux, alors que tout se passe comme si la circoncision avait été introduite alors qu’ils étaient sous domination égyptienne. Pour Voltaire, il s’agit là d’un acte de soumission et d’alignement mimétique de la petite nation juive sur le grand empire égyptien. D’autres historiens ont pourtant émis des hypothèses un peu plus contrastées estimant qu’au contraire, dans le cas du judaïsme, la circoncision a eu valeur de résistance : elle participe d’un emprunt, certes, mais avec une transformation du sens donné à la pratique comme stratégie de résistance. Si la circoncision est bien une coutume égyptienne, elle s’inscrit dans un arrière-plan culturel qui l’a judéisée en accentuant certains de ses traits (la pureté religieuse en particulier).

6Il apparaît donc évident que la circoncision rituelle ou religieuse se voit dotée d’une valeur sociale augmentée d’une valeur symbolique : la circoncision rituelle – qui, à l’origine, est aussi médicale (puisqu’elle répondait par anticipation au phimosis) – ne procède aucunement, comme une description strictement anatomique le laisserait penser, d’une simple soustraction d’une partie du corps mais elle participe d’une addition symbolique par l’intégration sociale qu’elle engage et le partage de fécondité avec les dieux qu’elle engendre…

IV. Dans le judaïsme

7Le statut de la circoncision dans le judaïsme a été déjà largement discuté par ailleurs, il n’est sans doute pas utile de tout reprendre ici, aussi on s’en tiendra à quelques points très généraux. La circoncision apparaît dans la Genèse (17,10-12) et dans la praxis, elle occupe une place centrale : « alliance » (brit) avec Dieu, elle signe la relation indélébile des individus de sexe masculin à la communauté confessionnelle. Les références de l’Ancien Testament sont sur ce point explicites : « Et vous circoncirez la chair de votre prépuce ; et cela sera le signe de l’alliance perpétuelle avec moi » (Gn 17,9-14). Abram est circoncis (l’a-t-il fait lui-même s’interrogent les exégètes ?) ainsi que ses descendants (Isaac, Ismaël) et devient fécond (relativement, puisqu’il ne devient père qu’avec certaines de ses épouses). À la suite de l’exil en Égypte, la coutume fut abandonnée lors des années de pérégrinations dans le désert puis reprise à l’arrivée en terre de Canaan, la Terre Promise d’Israël. Selon les références scripturaires, la pratique a connu une phase de réinstitutionnalisation sous l’influence de Josué, successeur de Moïse à la tête du peuple hébreu en exil. Dans les textes du judaïsme pourtant, il existe plusieurs types de circoncision et déjà se profile une distinction entre la forme anatomique (« du prépuce », celle de la Genèse) et la forme émotionnelle (« du cœur »). Une autre particularité du judaïsme est d’avoir imposé la circoncision à l’ensemble de la population et pas seulement aux clercs, et d’avoir transformé ce qui était un rite certes important, mais finalement instrumental en une fête solennelle autour de l’enfant qui compte autant que l’acte de suppression du prépuce lui-même5.

8Sur le plan anthropologique, la circoncision de ces temps antiques est à relier à un autre rite très répandu dans ces sociétés à base agricole, le sacrifice dont il est le pendant symétrique sur un plan structurel (sang, offrande, médiation divine, contractualisation du lien au transcendant)6. Ce fut, et c’est encore l’un des principaux commandements et la plus suivie des prescriptions dans le judaïsme : l’acte est à la fois de l’ordre discursif (c’est un énoncé de provenance divine, donc sacré) et un des garants de l’ordre social (puisque la pratique renvoie à la loyauté des membres d’une communauté qui reproduit ainsi son système de positions sociales). La singularité de la circoncision juive, puisqu’il y en a une, par rapport à celle pratiquée en Égypte, réside dans le contraste entre les discontinuités sociales et historiques (variations de la coutume) d’une pratique réservée à un corps sacerdotal ou d’élites (associé à un autre rite, l’émasculation), dans le cas de l’Égypte, et une relative continuité dans le temps malgré les changements de sens que lui a injectés le judaïsme, qui a aussi contribué à son extension communautaire (en tant que « peuple de prêtres » c’est la totalité des hommes qui doivent être circoncis car les règles de pureté sont généralisées à l’ensemble du groupe). En outre, la circoncision dépasse le religieux (la relation au divin) stricto sensu pour s’inscrire dans une logique de filiation et de transmission : en tant que marqueur indélébile de l’identité ethnique et religieuse juive, elle marque l’autorité et la pérennité de la tradition sur la fugacité de la vie des individus. Les textes évoquent encore un autre type d’alliance, de type pseudo-matrimonial, qui n’a pas de traduction sur le plan social : Séphora pratique la circoncision sur son fils et énonce « tu es un époux de sang » (Ex 4,24-26).

V. Après le judaïsme

9Après son appropriation par les Hébreux et sa transformation en coutume juive, la circoncision a connu deux prolongements dans les deux monothéismes que l’antique tradition abrahamique a engendrés : l’un, dans la continuité, au sein de l’islam, l’autre, dans la rupture, dans le cadre du christianisme paulinien. Il est bien connu des sciences religieuses que la circoncision a servi de motif de litige dans la rupture chrétienne d’avec le judaïsme : la fameuse « querelle de la circoncision » est au cœur de tensions plus larges entre exégèse rabbinique et patristique7. Les arguments des Pères de l’Église sont nombreux : Justin qui assure que « Si comme vous le pensez, (la circoncision) était nécessaire, Dieu n’aurait pas créé Adam incirconcis ». Dans l’Épitre aux Galates Paul dit avoir « foi dans l’Évangile de l’acrobustie » et dans l’Épitre aux Corinthiens il mène une charge contre Jacques : « le prépuce n’est rien, la circoncision n’est rien […] mais bien l’observance des commandements de Dieu » (2 Cor. 7,17-19). En islam au contraire, la pratique de la circoncision (Khitan) s’est conservée, et même si elle est absente dans le Coran, sa présence dans la tradition exégétique et la littérature juridique musulmane en font une coutume clef des différents courants de l’islam – et là encore, la littérature étant relativement volumineuse et bien documentée, on ne développera pas ce point plus avant8. Il est toutefois intéressant de noter, contre toute réduction monothéocentrée d’une histoire de la circoncision, qu’elle n’est pas uniquement une coutume juive et musulmane rejetée par le christianisme, mais qu’il y a (eu) quantité de populations dans l’histoire et dans différents continents, en Afrique, en Asie, aux Amériques, sous des latitudes opposées (du Mexique à Madagascar) qui l’ont pratiquée et la pratiquent encore et, pour un grand nombre d’entre elles, indépendamment de toute conversion à l’islam/de contact avec une tradition monothéiste9.

10La mutilation du prépuce, associée à des obligations religieuses, est-elle « irréversible » ? C’est l’un des points de discorde à son propos et l’un des mobiles de la charge des opposants à cette pratique, qui avancent que la pratique est éthiquement discutable parce qu’elle n’est ni volontaire ni réversible, et c’est en cela qu’elle va à l’encontre des droits des enfants. Il se trouve que les textes sacrés et sources historiques semblent aller au contraire dans le sens d’une réversibilité de l’amputation du prépuce. Sur le plan organique, cette proposition ne laisse pas de surprendre. Pourtant, le Livre des Maccabées fait mention de prépuces reconstitués par mimétisme avec les « gentils » (goyim) dominants et la pression du roi d’Israël Achab « l’impie » (874-853 av. J.-C.) qui a rallié le culte de Baal, fait pression sur le judaïsme et a interdit la circoncision. Les rhétoriques contemporaines développées par les opposants à la circoncision ont pourtant conservé le thème de l’irréversibilité de la transformation du corps, une référence qui sert de base à un argumentaire plus offensif à l’endroit des effets (réels ou supposés) sur la sexualité et sur l’identité10. Dulière affirme (en 1967) que l’Antiquité connaît des techniques de « réparation » du prépuce, une anti-circoncision, associée à Esaü, encore une figure ambivalente des écrits judéo-chrétiens, qui prend la forme d’un « recollement » d’un prépuce par étirement de la peau des parties génitales (une technique qu’il qualifie de « spouthistère ») et qui a une double finalité : redevenir incirconcis (sous la pression des Grecs qui cherchent l’assimilation des Juifs) mais aussi de rendre possible une seconde circoncision, dans le contexte de la conversion des Juifs en Samaritains11.

VI. Fonctions et significations d’un rite ancien

11Réversible ou pas, la circoncision reste très largement pratiquée dans les sociétés humaines du monde sémitique et au-delà depuis l’aube des civilisations, et cette permanence a bien évidemment suscité de nombreux questionnements et a mobilisé de nombreuses théories. Au xix^e siècle, la circoncision était vue par les milieux scientifiques européens (alors en voie de sécularisation rapide) comme une forme dégénérée d’antiques rites sanglants : elle apparaissait comme un substitut du sacrifice humain en animal, un substitut de phallotomie (émasculation), antique, qui était elle-même substitut du sacrifice12. La circoncision de Jésus était assimilable au sacrifice d’Isaac par métonymie entre le sang du phallus et le sang sacrificiel. Elle pouvait aussi être identifiée à l’expression résiduelle d’un antédiluvien culte de fertilité (phallique). Dans tous les cas, elle se range dans les pratiques résiduelles qui trahissent un état de primitivité des sociétés qui la pratiquent ou la conservent, le prépuce (mais aussi le phallus) étant vus comme des offrandes aux Dieux. En arrière-plan de ces théories se profile un modèle particulier de l’histoire religieuse, qui a connu une certaine postérité : celui qui veut qu’à l’origine, les sociétés se soient organisées autour du sacrifice (tribal)13 et qu’au fil de leur développement, le sacrifice ait donné lieu à une métaphorisation (civilisée) de toute forme de rites sanglants et violents. Comme beaucoup de cadres théoriques de l’époque, cette version évolutionniste de l’histoire des religions est entachée d’un jugement idéologique porté sur ces « survivances » barbares que sont les sacrifices, et par extension, donc, sur la circoncision.

12Au xx^e siècle, sa signification dans les milieux académiques change, sous influence de l’anthropologie et de la sociologie : elle devient, sous la plume du folkloriste et ethnologue Arnold Van Gennep un rite d’initiation des mâles14 mais reste cantonnée à une approche généraliste des mutilations corporelles à vocation religieuse. Parce qu’elle procède d’un rite de transformation sociale par transformation anatomique, elle n’est pas systématiquement distinguée de l’excision et de l’infibulation, et certains historiens vont jusqu’à rapprocher le sang s’écoulant du phallus lors de la circoncision du sang menstruel dont il serait une forme métaphorisée, ce qui a entraîné force débats chez les ethnologues15… Une telle posture ouvrira à la fin du xx^e siècle et sous influence des Gender Studies, un débat sur le phallocentrisme des traditions et de celle-ci en particulier : puisque tout tourne autour du phallus et que l’excision apparaît comme une simple transposition de la circoncision au féminin. Les choses sont bien évidemment plus compliquées que cela.

VII. Actuellement…

13La circoncision, en tant que rite à connotation religieuse, peut être décomposée en trois éléments : (1) l’acte (2) le contexte et (3) les effets, qui, réunis, forment un système complet. L’acte consiste en un marquage du corps, et donc une inscription du culturel dans le biologique, à travers le sang versé qui est le médium hautement symbolique dans la relation au divin. Le contexte est celui du rituel, de type initiatique ou de passage (depuis Van Gennep) qui marque l’appartenance au groupe, inscrit dans un temps festif qui suscite une effusion psychoaffective de nature à renforcer les liens intracommunautaires – comme c’est d’ailleurs le cas pour tous les rites sociaux, affirme Durkheim16. Les effets de ce rite particulier qu’est la circoncision résident dans la transition de statuts sociaux (de la neutralité de l’enfance à la virilité de la puberté), qui autorise l’accès à la sexualité. La circoncision a donc une fonction d’intégration sociale en même temps qu’une fonction de distinction symbolique. Si elle facilite l’inclusion d’un membre dans un groupe, elle contribue en même temps à la séparation du féminin (le prépuce) et du masculin (la verge) et par extension, de la Mère ou du Père (symbolisée par le prépuce) et de l’enfant (qui serait figuré par la verge)17. On peut aussi ajouter que ces fonctions symboliques sont doubles : elles sont non-transitives d’un côté (l’accès à la pureté) mais transitives d’un autre (puisque la circoncision est clef de la médiation et de l’alliance divine). Il est en revanche une fonction sociale comme marqueur d’identité et marqueur de différence entre les hommes et les femmes, entre les hommes circoncis et incirconcis et, partant, il permet de renforcer les distinctions religieuses et ethniques (la distinction des Juifs d’avec les Égyptiens, puis des Juifs d’avec les Cananéens, puis d’avec les Grecs et les Romains, et enfin les chrétiens).

VIII. Approches philo-psycho et socio-anthropologiques

14Mais les sciences religieuses et l’histoire ne sont pas les seules disciplines à s’être intéressées à la circoncision. Les psychologues reconnaissent curieusement qu’elle a été très peu étudiée dans le domaine des sciences de l’Esprit et en particulier dans la psychanalyse18, alors qu’elle en est au contraire un thème récurrent (avec les travaux Sigmund Freud, Geza Roheim, Bruno Bettheleim) : ce qui intéresse la psychologie c’est ce qui, dans la circoncision, touche à ce qui en fait précisément le cœur : la sexualité, mais bien plus que les aspects « mécaniques » qui font aujourd’hui le lit de la critique anti-circoncision19 et, dans les écoles freudienne et post-freudienne, à la structure même de l’identité : réduction de l’angoisse existentielle, sublimation de la violence, métaphore de la renaissance, domestication du sacrifice…20. Sigmund Freud la définit comme un « fossile directeur »21 qui renvoie à une castration symbolique et à la soumission à la loi du père (dans ce sens, elle participe de la résolution du conflit œdipien). Mais c’est sous la plume de Freud que va s’installer durablement dans l’esprit des plus critiques l’association entre circoncision et castration, un parallèle qui sera prolongé chez Bettheleim, pour qui il y a un parallèle à établir entre les blessures symboliques des adolescents (à tendance schizophrène) et les blessures rituelles des sociétés ethnologiques22. Jacques Derrida évoque quant à lui une « Circonfession » qui porte trace de la coupure (physique) à la naissance, et soulève la complexe et double question du corps « propre » (dans les deux sens du terme, en tant qu’hygiène et en tant que propriété) mais dépourvu de mémoire. Manque originaire ou défaut comblé par les tours et détours de l’autobiographie, la circoncision oblige l’esprit à produire un surplus de sens et de signe pour constituer de l’identité : la circoncision est ce qui fait tension entre incomplétude ontologique et la fusion du Je et du Soi23.

15Si, à tout le moins, il y a dans la psychologie une tendance à se concentrer sur les aspect de pathos qui entourent la pratique de la circoncision, en insistant sur les troubles, l’anthropologie et la sociologie tendent au contraire à insister sur les aspects d’ethos et le rôle socialement structurant/culturellement signifiant de la circoncision : c’est notamment le cas chez Raphaël Draï pour qui, loin de figurer un marquage aliénant du corps, la circoncision (religieuse dans le judaïsme) participe au contraire de sa libération, de l’avènement du culturel sur le biologique, dans une économie subtile du corps qui est contrebalancée par des interdits pesant sur d’autres transformations24.

16C’est en outre une coutume très répandue depuis l’aube de l’humanité et encore actuellement : si elle participe des « mutilations ethniques », elle doit être ramenée à son contexte et comparée à d’autres modifications du corps anatomique qui sont « universelles, plurielles et volontaires »25 au même titre que le tatouage, la scarification, les amputations de membres, les mutilations dentaires, trépanations, perforations labiales, extension du cou (en Birmanie), écrasement des pieds (en Chine), aplatissement de l’urètre (en Inde), subincision, excision, clitoridectomie, émasculation… bien évidemment sans équivalence entre ces pratiques. Arnold Van Gennep, encore une fois et, après lui des générations d’ethnologues qui ont théorisé cette initiation particulière ont insisté sur le rôle de la circoncision dans la coupure du lien de l’individu mâle du clan maternel, l’attribution d’un statut social et d’un héritage culturel et donc sur le fait que la circoncision faisait tradition plus qu’elle ne l’était simplement. Par-delà l’observance de l’impératif normatif de l’ablation du prépuce, se constituent des effets de continuité mémorielle et d’intégration des membres masculins à la société. Pour l’anthropologue britannique Maurice Bloch qui l’a étudiée dans les populations Merina de Madagascar, la circoncision est par exemple un processus rituel qui contient et laisse s’exprimer la violence du religieux sur l’humain parce qu’il s’agit là de la condition du contact avec le sacré et de la soumission au divin (lorsque l’Homme/homme est dominé) mais qui assure en retour un gain de vitalité ce qui signifie pour l’Homme/homme une appropriation du biologique en mode dominant (ce qui se traduit par l’accès à la sexualité)26.

IX. Permanences et mutations

17En étendant l’examen de littérature disponible au-delà de ces quelques références clefs dans les sciences religieuses et les sciences sociales, il apparaît de manière très claire que si les sens et fonctions de la circoncision, déjà multiples en soi, sont très anciens, cette dernière a fait l’objet d’actualisations multiples et se trouve ainsi tiraillée entre des répertoires religieux (qui demeurent) et des registres profanes (esthétiques, hygiéniques, prophylactiques) qui ont peut-être coexisté dès l’origine de la pratique, et donc constitué la circoncision comme un acte qui fut d’emblée (bien avant sa modernisation ou sa « sécularisation ») religieux et médical27 : sur cette base, l’opposition entre une circoncision traditionnelle et des droits ou des valeurs modernes auxquels elle se confronte est-elle encore pertinente, et par extension, peut-on encore déterminer une circoncision rituelle et une qui ne l’est pas ? Tilles, un urologue propose tout simplement de distinguer trois sortes de circoncision : la circoncision médicale, la circoncision rituelle à finalité spirituelle et la circoncision rituelle profane28. Pourtant, les types de circoncision et les répertoires de sens et d’action ne sont pas si tranchés : la circoncision profane aux États-Unis, qui avait d’abord vocation à être « punitive » ou préventive (contre la masturbation) est devenue « routinière » (hygiénique) jusqu’au milieu du xx^e siècle et semble participer d’un déplacement du sens rituel du religieux vers le profane, donc du mouvement plus vaste qui caractérise les sociétés occidentales, i.e. la sécularisation.

18À la fin du xx^e siècle, le débat autour de la circoncision voit la convocation massive d’évaluations scientifiques (biologiques et médicales) sur les effets de la circoncision sur la sexualité et les maladies sexuellement transmissibles (en particulier le VIH), avec des études aux résultats contradictoires, batailles de chiffres et conflits de vue sur les mesures qualitatives qui finalement, ont l’effet inverse de celui escompté puisque l’argument de la scientificité ne va en définitive ni dans un sens (celui des « pro ») ni dans l’autre (celui des « anti »). Ce qui est toutefois marquant, c’est la virulence avec laquelle l’offensive des « anti » circoncision remet au goût du jour, et dans des nations plutôt pacifiques (Amérique du Nord, Europe) le péril du différencialisme et le potentiel de tensions interethniques dans le sens où la circoncision constituerait un stigmate et renforcerait les fiertés et barrières communautaires. L’anthropologie, perspective retenue ici pour l’analyse transhistorique et transculturelle de ce phénomène si discuté actuellement, n’a nullement vocation d’assumer le rôle de caution culturaliste qui donnerait à cette coutume signifiante et ancestrale un fondement relativiste, mais plonge de plein pied dans l’analyse des enjeux modernes autour de cette pratique toujours discutée, mais jamais pleinement abandonnée par les sociétés humaines29.

19Il s’agit d’abord de s’interroger sur le plan de ce que son étonnante permanence signifie, et même d’un hypothétique renouveau que croyait voir Odon Vallet lorsqu’il affirmait contre toute attente que la circoncision était « l’un des plus importants signes du retour du religieux » au début des années 199030 ? Ce qui est plus évident, c’est un certain maintien de la pratique dans les pays du Sud (encouragée par des campagnes de l’Organisation mondiale de la santé) alors que les pays du Nord s’efforcent d’en réduire l’extension sociale : et sans plus alimenter cette question, il y a bien là un déséquilibre géopolitique entre les différentes sociétés qui ont adopté et celles qui rejettent la circoncision, l’Occident devenant le principal site de contestation de son bien-fondé, mais aussi de réinterprétation de son utilité31. Mais ce nouveau « provincialisme » d’un Occident dont l’impérialisme a déjà été contesté, le débat autour de la circoncision rituelle et requalification au prisme des nouvelles normes culturelles et juridiques du corps et de la personne semblent dépendantes de visions du monde historicisées… et culturelles ! L’argument culturaliste, auparavant appliqué à la lecture de la circoncision hors Occident, se retourne finalement contre l’Occident.

20Dans un répertoire plus agressif, ce sont des accusations en traumatisme psychophysique contre une circoncision accusée en outre d’être un instrument de domination (du masculin, du religieux, des adultes… sur les corps des enfants) qui sont proférées dans plusieurs lieux du monde. En France « si elle n’avait pas l’impact traumatique que démentent ses promoteurs, l’opération aurait depuis longtemps disparu » affirme Marc-André Cotton dans un pamphlet publié sur Internet32 qui retourne étrangement l’argumentation dans le sens inverse des preuves historiques qui démontrent au contraire l’étonnante continuité de la pratique en dépit de toutes les disqualifications dont elle a fait l’objet au fil des millénaires. Les siècles de la modernité seraient-ils porteurs d’idéologies si puissantes qu’elles réussiraient là où plusieurs puissantes civilisations antiques et sociétés historiques auraient échoué à arracher l’humanité à cette coutume « barbare » ? La cécité historique et anthropologique et la conviction d’être dans le vrai (et de le dire « pour le bien ») caractérisent ces analyses hâtives et les slogans à l’emporte-pièce qu’elles charrient avec elles. En toile de fond, la question des droits (de l’enfant et des droits culturels), qui ont conjointement nourri ces réflexions et qui consolident deux attitudes très actuelles à l’endroit de la circoncision : la volonté d’interdiction pure et dure, dont le cas allemand a montré qu’elle était problématique, ou de contrôle par les autorités politiques et sanitaires. En marge, le médiateur du cas allemand, mû par un sentiment de relative tolérance, avait suggéré (de nouveau) la substitution de la circoncision anatomique par une « circoncision symbolique » répétant ainsi le geste de Justin et sa circoncision « du cœur » plutôt que « de la chair » quelques siècles plus tard, étonnamment suivi dans cette voie par quelques voix (un peu isolées) du judaïsme (américain et européen) qui estiment qu’une circoncision symbolique (brit shalom) serait un aggiornamento acceptable de la loi juive (Halacha) à propos de la circoncision traditionnelle (brit milah)33.

X. Circoncision : l’avenir d’un passé ?

21« Parmi les multiples infidélités et abandons divers, il semble que la [brit] Milah soit restée l’une des institutions les plus vivaces du judaïsme, la pierre de touche de l’appartenance à Israël, car des préoccupations hygiéniques seules ne suffiraient pas à expliquer son maintien en dépit des persécutions » estimait Ernest Gugenheim, au début des années 196034. Les choses ont changé et changent encore et pas seulement dans le judaïsme ou à propos du judaïsme, même si la circoncision y est toujours plus médicalisée35.

22Depuis quelques années, un nouveau mouvement anti-circoncision (puisqu’il faut bien reconnaître la continuité historique de l’hostilité contre la circoncision) qui se qualifie de mouvement « intégraliste » a pris essor aux États-Unis et commence à s’exporter sous la forme d’une nébuleuse d’associations (NOCIRC, CIRCINFO, DOC ou Doctors Opposed to Circumcision, BUFF Brothers United for Future Foreskin…) et mène une offensive dans les médias sociaux, Internet, la presse et montre un activisme idéologique assez radical, stipulant que la circoncision n’entraînait que des déperditions (de plaisir sexuel, de confort ordinaire, d’intégration sociale…) contestant toute information scientifique contredisant leurs vues… Cette contestation du poids de la tradition dans les usages du corps mobilise un répertoire bien connu, celui du primitivisme, qui dénonce cette pratique « barbare » et, en toile de fond, la perpétuation d’un ordre ancien. Tout le corps médical moderne aux États-Unis et en Europe n’est toutefois pas convaincu par les arguments extrêmes du mouvement intégraliste et certains experts médico-légaux et urologues, après s’être inquiétés des conséquences physiques, émotionnelles, psychologiques et sexuelles de la circoncision estiment audibles que les arguments sociologiques, religieux et culturels justifient sa perpétuation36 – mais dans un cadre d’expertise et de soin qualifié37.

23Deux hypothèses peuvent alors être énoncées à ce propos. Selon la première d’entre elles, le mouvement américain reflèterait une logique de continuité qui l’inscrit dans une généalogie historique longue, ce serait donc, dans un contexte différent, un peu la même attitude qui se perpétuerait de l’anti-circoncision antique à ses formes modernes. Selon la seconde, l’intégralisme serait un mouvement moderniste, séculier et même, s’il dénonce la circoncision routinière, c’est une attitude d’opposition à la religion qui le caractérise, qui entend mobiliser le corps médical contre des traditions « aberrantes ». Ces intentions ou ambitions sont explicites et l’urologue français, Tilles, rallié à ces vues, affirmait à la fin des années 1990 : « Un jour viendra peut-être où les circoncis se révolteront et attaqueront devant les tribunaux leurs parents, le chirurgien et l’institution où s’est déroulé l’acte. Le consentement éclairé des parents et les raisons religieuses n’ont aucune valeur face à la loi »38.

24Mais pour troubler un peu plus les choses, une autre perspective semble se dessiner : et si le mouvement anti-circoncision était le signe d’un conflit intra-religieux, avec instrumentalisation d’instances séculières que sont les normes juridiques ? Les cibles sont certaines religions : le judaïsme et (en Europe) l’islam qui sont des monothéismes minoritaires. Dans cette perspective, les mouvements anti-circoncision modernes semblent boucler la boucle historique, depuis les Grecs et les premiers chrétiens… Le mouvement actuel est issu des États-Unis, et prend racine dans une droite chrétienne conservatrice39 et parfois réactionnaire (des liens existeraient avec le mouvement anti-IVG), qui (ré) clame l’intégrité du corps au principe d’une immuabilité religieuse de l’Homme. Son extension hexagonale, « Droit au corps », l’une des rares ramifications actuelles de l’intégralisme en France défend les mêmes idées – et sans alimenter la controverse – et s’est vue soupçonner d’antisémitisme40 (mais c’est une accusation facile eu égard au contexte…). Le paradoxe, c’est que cet intégralisme se révèle finalement un intégrisme (chrétien) qui s’attaque à un traditionalisme (juif-musulman) et donc finalement c’est la religion qui s’attaque à la religion à travers un débat éminemment séculier dans ses formes. Mais une telle conclusion n’est pas sans soulever un ultime paradoxe, à travers la volonté de criminaliser un acte qui était auparavant une norme : si Jésus était né dans les années 1990-2000 aurait-il attaqué ses géniteurs devant un tribunal ?

Conclusion

25À l’achèvement de ce bref panorama historique et théorique, la circoncision représente entre 3000 et 30 000 ans d’histoire culturelle et religieuse, des géographies différenciées, et une histoire ondulatoire avec des temps forts et des temps faibles… et un mouvement de contestation de moins d’un demi-siècle : qui sortira vainqueur ? À prendre les choses rétrospectivement, et sur l’exemple du mouvement anti-circoncision moderne on peut se demander jusqu’à quel point celui-ci a le pouvoir de changer les traditions, qui plus est sur le mode virulent, en voulant expulser la circoncision des mœurs religieuses par la médecine ou par la loi. L’anthropologie, qui a donné une perspective singulière à un phénomène déjà traité par la médecine, le droit, l’histoire, l’exégèse religieuse, la psychologie, n’a pas seulement vocation à réinjecter la relativité des vues culturelles des pratiquants, mais offre aussi à l’analyse une autre relativité des valeurs, celle des modernes, des « anti » car finalement, qui et au nom de quoi se justifie cette charge contre la circoncision ?

26Valeurs relatives contre valeurs relatives, ce qui se passe actuellement revêt les atours d’un débat très moderne, mais ses racines ont déjà été éprouvées (traditionalistes contre modernistes) voire antiques : est-ce finalement encore et toujours une même pression contre le même rite, malgré ses variations dans l’histoire ? Les quelques tours et détours de l’histoire culturelle et religieuse ici tracés semblent dessiner quelque chose comme une logique sous-jacente à l’histoire : la circoncision fut et est encore signe d’ordre (social et symbolique, dans le judaïsme et l’islam), elle est et fut rappel à l’ordre (moral, pour le christianisme) pour devenir objet de désordre parce que de motif de discorde.

27On voit donc bien que l’intérêt du débat social autour de la circoncision réside dans le fait d’en sortir pour mieux y revenir… Dans tous les cas, la circoncision est un acte qui en lui-même n’a de sens que dans son contexte (social/culturel/historique/religieux/politique). Les tensions qui entourent la pratique forment un véritable théâtre politique qui dévoile une instrumentalisation de l’axiologie (des valeurs et des éthiques) et des conflits de normativité qui sont des révélateurs sociologiques de l’importance continue de la circoncision. Finalement, la problématique de la circoncision autorise plusieurs lectures. Au ras des idées et des faits, elle encourt un risque d’aveuglement présentéiste et d’incommensurabilité des registres (religieux, juridique, médical…). Au niveau des processus (de transformations et/ou de perpétuation de la pratique), s’y révèle une nouvelle pression à l’acculturation pour des groupes minoritaires dont les pratiques sont étrangères à la majorité : est-ce alors, répétition de l’histoire sous de nouveaux oripeaux ? Au niveau, enfin, des conditions plus générales, il est un paradoxe qui est des plus étonnants : pourquoi la circoncision pose-t-elle autant de problèmes au sein de sociétés plus tolérantes pour les « petits » arrangements (diète, vêtement, etc.) avec la religion mais moins envers les moins visibles/plus privés (les mutilations physiques) et pourquoi ces mêmes sociétés sont elles aussi crispées sur l’intégrité du corps (que la circoncision vient remettre en question) alors qu’elles sont des plus ouvertes aux courants trans et post-humanistes qui prônent une transformation radicale de l’anatomie humaine ? Ce ne sont là quelques-unes parmi les nombreuses questions qui se posent à l’occasion des débats actuels autour de la circoncision.