Préface

1Depuis son lancement en 2007, la revue Les Annales de droit a pour ambition d’entrelacer des réflexions de juristes, de politistes et d’historiens du droit, issus de diverses cultures juridiques, sur des questions classiques ou d’actualité. La création d’une nouvelle collection en 2017, « Les Dossiers des Annales de droit », correspond à une volonté du comité de rédaction d’assurer la publication d’actes de manifestations scientifiques, juridiques ou politiques, sur et autour de sujets fédérateurs abordés à la fois dans leur dimension pratique et sous l’angle théorique1. La vocation des Annales comme des Dossiers est la réunion de la richesse des expériences et des analyses de contributeurs représentant les différentes branches du droit et de la science politique, ainsi que la diversité des approches des systèmes juridiques.

2Ce troisième volume des Dossiers se singularise par rapport aux précédents en ce qu’il réunit les contributions de juristes et de géographes. Cette interdisciplinarité accrue se justifie au regard de l’objectif d’élargir la compréhension de notions dont l’importance est consacrée non seulement dans les deux disciplines que sont le droit et la géographie, mais également, plus largement, dans l’ensemble des disciplines : le territoire et la territorialité, couplés avec la notion de représentation. En atteste la composition des équipes du Collège international des sciences territoriales, dont les communications, lors de son 4^e colloque international relatif à La représentation des territoires qui s’est déroulé à Rouen en mars 2018 sous la direction de Clarisse Didelon-Loiseau et d’Arnaud Brennetot, ont permis la publication de ce volume2. Le CIST, dirigé par Claude Grasland, réunit des chercheurs en sciences sociales de divers horizons (géographes, économistes, sociologues et démographes, historiens, juristes, archéologues…), tout en étant connecté aux sciences de la vie et de la terre, aux sciences de l’ingénieur et à la santé. Il favorise les approches non seulement à l’échelle française, mais également européenne et internationale. Cette coopération entre des chercheurs de disciplines autonomes et de diverses nationalités s’avère décisive pour questionner le territoire et bâtir une théorie de la territorialité.

3Néanmoins, ce n’est pas chose aisée. Si le sujet est, sans conteste, fédérateur, il n’en suscite pas moins des disputationes sur la base d’arguments variés. Les notions de territoire et de territorialité sont l’objet d’approches diverses, voire de contestations, à l’intérieur d’une même discipline. Pourtant, elles demeurent des institutions centrales. En droit international privé, la localisation ou le rattachement au territoire d’un sujet va décider de la loi applicable et de la compétence juridictionnelle. En droit international public, le territoire est à la fois un élément d’identification de l’État et l’un de ses attributs. Il est, pour le droit public général, le cadre d’exercice des compétences de l’État. Il n’en demeure pas moins que l’État et le territoire ne sont en rien le monopole des juristes. Alors que le choix d’une acception juridique de l’État semble aller de soi tant celui-ci est intimement lié au droit, l’approche contemporaine des géographes renouvelle les questionnements sur le statut de l’État territorial et, plus largement, de la territorialité. Plus malléable, cette dernière notion permet de rendre compte des rapports entretenus par les États avec le territoire, qu’il s’agisse de leur(s) territoire(s) ou du(es) territoire(s) des autres États.

4Dans le contexte actuel de la globalisation, juristes et géographes ont tout intérêt à dialoguer, afin de cerner d’abord en quoi et pourquoi la territorialité est déstabilisée et, ensuite, comment gérer les difficultés générées par ces bouleversements de l’approche territoriale. La relativisation de la proximité entre les lieux et les personnes, qui est à la fois une manifestation et une justification de la globalisation, implique une coopération accrue entre des disciplines autonomes, tant les questionnements théoriques qu’elle suscite dépassent la simple question territoriale pour concerner, in fine, l’évolution des sociétés.

5Gageons que cet ouvrage permette d’enrichir cette collaboration, dans l’intérêt non seulement de la communauté scientifique, mais plus largement, des citoyens qui, confrontés à des problématiques globales, peuvent espérer des réflexions allant au-delà d’un identitarisme, d’un protectionnisme ou d’un souverainisme de repli.

6Perrine Dumas, janvier 2019