1Le diagnostic réalisé en 2013 par Claire Beurion (INRAP) a permis de retrouver l’emplacement exact des vestiges du moulin à vent de Bardouville, implanté sur un plateau sableux dominant le cours sinueux de la Seine, en aval de Rouen (Beurion, 2013). Les restes du moulin et de l’habitat associé ont fait l’objet en 2014 d’une fouille exhaustive menée par la Mission archéologique départementale de l’Eure (MADE), complétant abondamment la documentation historique de ce site isolé par une grande variété de données matérielles, accumulées du xvi^e au xix^e siècle (fig. 1). Le même chantier a permis la fouille d’une nécropole de l’âge du bronze final (Dartois, 2016 ; Dartois et al., 2016).

Quelques données historiques et iconographiques

2En l’état actuel des recherches, aucune source ne renseigne l’existence d’un moulin à vent à Bardouville avant le xvi^e siècle1. Le 25 janvier 1543, Gilles de Chaumont, écuyer, seigneur de Bardouville et d’autres lieux, bailla « à titre de rente et fieffe » à Noël Le Roux, pêcheur, « le moulin à vent seigneurial sis au sablon, de présent tombé en ruynes » pour la somme de 15 livres, 12 sols et 6 deniers2. Un aveu de 1503 inventorie les biens des seigneurs de Bardouville dans la paroisse éponyme, à savoir « manoir seigneurial, grange, estables, vigne, boys, taillis, enclos, pescherye sur l’eau de Seine3 », sans aucune mention de moulin. Le manoir cité se trouvait peut-être à l’emplacement du château actuel, construit entre 1674 et 1683 (Barat et Penna, 1997). Un moulin sur pivot est localisé à Bardouville sur une vue cavalière de la collection Gaignières (1700) et quelques cartes du début du xviii^e siècle4. À la date du 2 messidor an IX (21 février 1801), l’inventaire des actes du notaire public à Duclair fait état de la rétrocession de fieffe par Pierre-Thomas Varin, meunier, demeurant à Bardouville, à Michel Guillemain, demeurant à Launay, d’une maison et d’un moulin à Bardouville5. En 1809, l’État des moulins à farine actuellement en activité dans l’arrondissement de Rouen établit l’existence d’un moulin à vent en état de fonctionnement à Bardouville : ce moulin faisait alors de la mouture « à la grosse6 » avec du seigle, de l’orge ou du sarrasin ; il pouvait produire 900 livres, soit 450 kg de farine par jour « de bon vent » et travaillait avec des meules provenant du quai des Meules de Rouen7.

Fig. 1. Plan général des vestiges des moulins successifs et de l’habitat (DAO : G. Deshayes).

3Le plan parcellaire de Bardouville de 18288 figure le moulin9 dans une parcelle déclarée en « labour », la maison au milieu d’une pâture, secondée d’un petit bâtiment et d’un jardin. Labour et pâture étaient séparés par le « chemin de Bardouville au moulin et Ambourville ». Toutes ces parcelles passèrent des mains de Michel Guillemain à celles de son fils Jean-Pierre en 184010. La matrice cadastrale conserve les dates de démolition du moulin et de la maison, respectivement en 1854 et 1855 ; en cette dernière année, les parcelles correspondantes devinrent la propriété de Nicolas-André Lair, douanier à Bardouville11.

Les vestiges du moulin

Présentation

4Les vestiges maçonnés d’une construction légèrement enterrée, comblée et recouverte de remblais d’où émergeaient quelques blocs calcaires et un grand bloc de grès, sont apparus à l’emplacement du moulin (fig. 2). Ces éléments correspondent à un premier moulin à vent, sur pivot et cavette octogonale12, resté en élévation jusqu’à la seconde moitié du xvii^e siècle, et à un second moulin à vent, sur pivot et dés de pierre, mis en œuvre vers la fin du xvii^e siècle et détruit en 1854 (fig. 3). Ils dominent discrètement une butte sableuse aplanie (d’un diamètre de 27 m), poinçonnée de quelques petits blocs de grès isolés et de rares empierrements. Autour, une bande de roulement circulaire, large de 9 m et plus ou moins encaissée, était piétinée à une distance moyenne de 19 m du centre du moulin (fig. 1).

Fig. 2. Plan des vestiges des mouli successifs en fin de fouille (relevés et DAO : T. Debaene, G. Deshayes, F. Laot et L. Tocqueville).

Le moulin sur pivot et cavette (xvi^e-xvii^e siècles)

5Les vestiges des moulins successifs sont conservés dans l’emprise d’une vaste cavité, large de 15 m (fig. 4), témoin plausible de l’implantation ou du démantèlement d’un moulin primitif, intégralement disparu, peut-être le moulin « tombé en ruynes » cité en 1543.

6Le comblement de cette cavité fut entaillé pour permettre la construction d’une cavette octogonale de 3,10 m de côté (fig. 2 et 4), légèrement enterrée, composée de huit piliers carrés constitués de blocs de craie à silex et de huit murs maçonnés, comportant une grande quantité de moellons et remplois de pierres de taille calcaires. La plupart des autres moulins du même type possédaient une cavette circulaire renforcée de quatre piliers, à l’image du premier moulin de Roissy-en-France (Val-d’Oise), construit vers 1541-1542 (Dufour et Bauchet, 2013, p. 5), de celui de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751-1772), de celui de Guiseniers (Eure) relevé en plan et en élévation en 177813 ou encore de plusieurs moulins modernes et contemporains conservés dans la moitié nord de la France. Les huit piliers de Bardouville, renforcés dans un second temps (fig. 2, 3 et 5), répondaient probablement à la nécessité d’ancrer efficacement l’édifice dans un substrat sableux particulièrement instable. La largeur voisine des cavettes de Bardouville et Guiseniers permet de supposer que les deux moulins ont pu afficher des dimensions comparables : une cavette haute de 4 m, un faîtage de la cabine à 16,50 m, l’extrémité des ailes à 28 m au-dessus du sol, une cabine de 5 m par 6 m et d’une hauteur totale de 10 m.

Fig. 3. Vestiges maçonnés du premier état du moulin sur pivot et cavette (cliché : G. Deshayes).

7Après 1643, terminus fourni par une monnaie, la cavette fut partiellement remblayée et ses murs épaissis d’une vingtaine de centimètres (fig. 3 et 4). Ces travaux répondaient sans doute à un projet de consolidation de l’édifice.

Le remblaiement de la cavette (seconde moitié du xvii^e siècle)

8Le comblement principal de la cavette, postérieur à 165714, se compose de multiples remblais, entrecoupés de rares niveaux de circulation et caractérisés par un mobilier abondant et varié, plus ou moins présent dans chacun de ces dépôts : céramiques des xvi^e et xvii^e siècles, verrerie, restes osseux animaux, huîtres et moules, monnaies, ferrets et épingles en alliage cuivreux, clous et autres éléments en fer, morceaux de briquettes et de tuiles plates, etc.

9L’hypothèse de l’évacuation des décombres d’un logis incendié et de son environnement immédiat, chargés en rebuts de consommation, semble pertinente. En effet, le mobilier recueilli est représentatif des différents aspects matériels de la vie quotidienne. La vaisselle est abondante et pour partie brûlée accidentellement, plusieurs monnaies sont en excellent état (quelques-unes comportent des empreintes de résidus de paille), de nombreuses petites pièces métalliques (ferrets, épingles, clous) dont le support a pu être réduit en cendres (textiles et pièces de bois, s’ils n’ont pas pourri) ; enfin, des morceaux de briquettes et de tuiles plates sont issus du démantèlement d’une cheminée. Cet incendie pourrait être daté au plus tôt de 1657, sans être bien plus tardif au regard de l’excellent état de conservation d’une partie des monnaies concernées (liards de France). La quantité et la qualité du mobilier découvert, illustrée en particulier par les origines des céramiques, ne semblent pas correspondre au statut d’un meunier, mais plus certainement à celui d’un notable ou d’un seigneur. Signalons que les seigneurs de Bardouville résidaient dans un manoir attesté au tout début du xvi^e siècle et qu’ils firent construire un château entre 1674 et 1683. Il est possible que ces travaux aient suivi de près la démolition et l’évacuation des décombres de l’ancien logis, détruit volontairement ou accidentellement. Les 1 700 m qui séparent le château et le moulin, propriété de ces seigneurs, ne semblent pas insurmontables pour l’évacuation de décombres.

Le moulin sur pivot et dés de pierre (xviii^e-xix^e siècles)

10Le moulin décrit ci-dessus fut détruit au cours de la seconde moitié du xvii^e siècle : après 1693, terminus fourni par une monnaie, la moitié sud des maçonneries de la cavette fut démantelée, ses pierres calcaires récupérées et sans doute remployées dans la mise en œuvre des socles d’un nouveau moulin, sur pivot et six dés de pierre (fig. 2, 3 et 4), ainsi qu’au sein des constructions et aménagements de l’habitat du meunier. Ce dernier moulin s’appuyait également sur les ruines de la moitié nord de la cavette et en son centre sur un imposant bloc de grès.

Fig. 4. Vestiges maçonnés du dernier état du moulin sur pivot et cavette ; blocs isolés du moulin sur pivot et dés de pierre (cliché : G. Deshayes).

11Un important remblai sombre observé sous l’emprise du moulin pourrait correspondre à un dépôt initial destiné à niveler le sommet de la butte. Caractérisé par une lente transformation sédimentaire et organique dans cet espace rarement piétiné et « amendé » par la décomposition des pièces de bois de l’édifice, il conservait du mobilier résiduel (xvi^e-xvii^e siècles) ainsi que le mobilier contemporain de ce dernier état, rejeté ou abandonné sur place (xviii^e-xix^e siècles). Les décennies qui suivirent la démolition du moulin, actée en 185415, connurent son démantèlement, la récupération partielle de ses matériaux et de son mobilier, puis la mise en culture ou en pâture de son emplacement.

La bande de roulement

12La bande de roulement est le cheminement fossoyé parcouru par le meunier quand celui-ci poussait la longue queue de rotation de la cabine du moulin pour positionner les ailes dans le sens du vent (fig. 1). Cette cavité irrégulière et évolutive apparaît comme le résultat d’une accumulation de creusements, d’éventuels arrachements naturels ou artificiels, d’érosions et d’altérations de surface. Son comblement complexe mêle dépôts naturels (ruissellement ou dépôts éoliens de sable) et artificiels (remblais, empierrements destinés à combler les irrégularités ou à compacter et stabiliser le sol dans les espaces les plus fréquentés). Comme dans les chemins creux diachroniques, il s’y est accumulé et s’y sont érodés de multiples dépôts, contenant du mobilier contemporain ou intrusif, postérieur, enfoncé par le piétinement.

13La similitude des empierrements, des nappes de moellons de craie et de silex mêlés de morceaux de terres cuites architecturales et de rebuts de consommation, autorise l’hypothèse de leur contemporanéité avec les remblais de la cavette : une partie des décombres du logis incendié vers 1660 aurait ainsi été utilisée pour recharger la partie sud-est de la bande de roulement, sans doute plus piétinée ici qu’ailleurs.

14Trois autres empierrements relevaient probablement du même phénomène de recharge à des endroits où le meunier aurait pu s’élancer et s’ancrer vigoureusement dans le sol pour faire pivoter le moulin. Les nombreux moellons de craie pourraient être issus du démantèlement partiel de la cavette : ces empierrements seraient alors des aménagements contemporains du dernier moulin, pourvu d’une cabine plus près du sol, donc équipée d’une plus courte queue. Enfin, deux petits empierrements et trois blocs de grès isolés disposés à 10 m et 15 m du centre du moulin peuvent être interprétés comme des points d’ancrage (amarrages respectifs de l’escalier et du bout de la queue ?).

15L’ensemble de ces blocs et concentrations de pierres documentent donc la manipulation de la queue du moulin par le meunier au xviii^e siècle et permettent d’estimer la longueur de la queue à cette époque, soit une quinzaine de mètres.

Fig. 5. Proposition de restitution des états successifs du moulin de Bardouville (DAO : G. Deshayes).

16Après l’abandon de ce moulin, la bande de roulement est recouverte par le « chemin de Bardouville au moulin et Ambourville », figuré sur le plan de 1828.

Positionnements du moulin face aux vents dominants

17Les vents dominants de la région rouennaise arrivent de l’ouest - nord-ouest au sud - sud-est, avec une amplitude maximale depuis le sud-ouest (source : Météo France). En les confrontant aux différents positionnements des ailes du moulin16 et aux aménagements de la butte et de la bande de roulement, il apparaît clairement qu’à de rares exceptions près, l’ensemble des empierrements et des blocs isolés observés autour du moulin se trouve dans la portion de la butte et de la bande de roulement correspondant à ces vents dominants (fig. 6). Ces aménagements sont donc directement liés aux manipulations répétées de la queue, qu’il s’agisse de garantir une saine stabilité du sol sableux piétiné par le meunier (recharges empierrées), de maintenir le moulin au niveau de son escalier ou de sa queue (blocs de grès et petits empierrements isolés), ou éventuellement de manipuler cette queue à l’aide d’un cabestan.

Les vestiges de l’habitat

18Les vestiges d’un habitat ont été localisés à une trentaine de mètres au nord-est de la bande de roulement du moulin (fig. 1). Ils se caractérisaient au décapage par deux grandes concentrations de remblais de nivellement chargés en débris de construction et en déchets du quotidien, à l’emplacement de la maison et du petit bâtiment du plan de 1828, et d’un petit nombre de cavités périphériques comblées de remblais similaires. La fouille a mis en lumière des vestiges quantitativement et qualitativement limités, majoritairement remblayés ou recouverts par ce même ensemble de remblais, attribuable à l’abandon du site après la démolition de la maison en 1855. La première concentration recouvre quelques niveaux de sol et d’occupation à rapprocher des espaces intérieurs de la maison disparue. L’absence de vestige de maçonnerie, de fondation, de tranchée de fondation ou de récupération mène à la restitution d’une construction légère et peu fondée (bâtie à pans de bois sur solins maçonnés), massivement démantelée.

Fig. 6. Positionnements du moulin de Bardouville en fonction des vents dominants (DAO : G. Deshayes).

19Ces vestiges sont accompagnés d’une cavité rectangulaire à fond plat (2,75 par 1,70 par 1 m), caractérisée par la mise en place d’une grande pierre calcaire équarrie et d’une dizaine de petits blocs et moellons calcaires adossés contre la paroi nord (soutien de l’encaissant sableux ?). L’implantation, les dimensions et la disposition de cet aménagement permettent d’identifier une fosse de latrines, peut-être couverte d’un léger cabanon en bois.

20La seconde concentration d’éléments de démolition recouvrait les vestiges d’une cave anciennement charpentée et de la petite cavée pentue qui la liait à la maison (fig. 7). Le plan régulier du fond de la cave (rectangle de 5 par 3,50 m), les vestiges de paroi ou d’effets de paroi, l’absence de maçonneries et de couches de torchis étalées sur le sol fournissent matière à restituer une cave ceinte d’un coffrage de bois plaqué contre les parois de la fosse d’implantation, couverte d’un plancher placé au-dessus de la surface du sol extérieur (cave planchéiée). La cave était accessible par une longue descente en pente douce, au creux d’une cavité évasée et informe, taillée comme la cave dans la grave sableuse. Le seuil de la cave était composé de deux pierres calcaires équarries et surmonté d’une porte large de 0,90 m. Le plan de 1828 et le mobilier récolté dans les niveaux d’occupation de la cave (bouteilles de cidre) documentent la fréquentation de cet espace au xix^e siècle, sans exclure le xviii^e siècle.

21Les caractéristiques de cinq cavités, mises en évidence dans l’environnement immédiat, sont celles de chablis, comblés de remblais, de décombres et de rebuts morcelés avant à la mise en culture ou en pâture des parcelles correspondantes.

Le mobilier archéologique

22Le mobilier archéologique est constitué de deux ensembles. L’un renseigne le quotidien d’un notable ou d’un seigneur des xvi^e et xvii^e siècles au travers d’un grand nombre de tessons de céramique et de verre, de restes osseux, de monnaies, jetons et poids monétaires, de petits éléments métalliques et de morceaux de terres cuites architecturales, tandis que l’autre documente le cadre de vie d’un meunier des xviii^e et xix^e siècles, grâce à un corpus moins abondant, plus modeste et surtout plus en adéquation avec les activités quotidiennes de ce dernier (vaisselle, bouteilles de cidre en cave, artefacts vestimentaires, outils et ustensiles, menue monnaie, etc.)

Fig. 7. Profil axial et longitudinal de la cave du meunier (DAO : G. Deshayes).

Fig. 8. Vaisselle issue des remblais du moulin. 1 : tèle ; 2 : grand plat ; 3 : grande jatte ; 4 : jatte ; 5 : couvercle ; 6-10 : coquemars ; 11-12 : pots ; 13 : albarelle ; 14 : plat ; 15-17 : assiettes ; 18-23 : bols ; 24 : écuelle ; 25-27 : coupelles ; 28 : cruche ; 29 : pichet ; 30 : gourde crapaud ; 31 : réchauffoir (DAO : F. Laot).

La céramique

23La très grande majorité des 3 640 tessons de céramique collectés sur le site, étudiés par Florian Laot, appartient aux époques moderne et contemporaine. Les céramiques de la seconde moitié du xvi^e siècle et du xvii^e siècle issues du secteur du moulin (fig. 8) sont largement dominées par les éléments glaçurés, destinés au stockage (pots), à la préparation et à la cuisson (grandes tèles à lait, jattes, nombreux coquemars, couvercle), au service et à la consommation des denrées (réchauffoir et cruche a sgraffito, importés du Beauvaisis ; nombreux bols à tenons ; assiettes à marli, dont une comparable aux productions de Louviers, dans l’Eure). Les grès du Beauvaisis illustrent le service et la consommation des boissons (pichets, coupelles, gourde-crapaud) ainsi que le stockage de produits pharmaceutiques (albarelles). Le grès domfrontais apparaît plus anecdotique. Les remblais de la cavette et de la bande de roulement ont ainsi livré l’assemblage homogène et cohérent d’une « batterie de cuisine » associée à de la vaisselle de table et, dans une moindre mesure, à des vases de stockage, qui documente sans doute le mobilier d’une même résidence, aisée, incendiée vers 1660. Principalement composé de productions régionales et d’importations du Beauvaisis, ce lot témoigne de la même zone d’approvisionnement que de multiples sites de consommation de la basse vallée de la Seine (Normandie, Île-de-France, Picardie).

Fig. 9. Vaisselle des xviii^e et xix^e siècles issue des vestiges de l’habitat. 1 : écuelle ; 2 : jatte ; 3-5 : plats ; 6 : terrine ; 7 : coquemar ; 8-9 : pots ; 10 : pichet ; 11-13 : pots ; 14-17 : assiettes ; 18 : jatte (DAO : F. Laot).

24Les céramiques des xviii^e et xix^e siècles issues de l’habitat et des remblais les plus récents du moulin (fig. 9) sont également dominées par les vases glaçurés, surtout destinés au stockage, à la préparation et au service des aliments (tèles, jattes, plat, grand pot, pichet). Elles incluent également des poteries et grès de Martincamp (Seine-Maritime), liés au stockage ou à la consommation (pots à beurre et à soupe), et de la faïence dite « cul noir », produite dans les ateliers de Forges-les-Eaux (Seine-Maritime) et de Rouen (Seine-Maritime) à partir du second tiers du xviii^e siècle. L’absence de récipient destiné à la cuisson des aliments ou à la consommation des boissons permet de souligner l’existence d’autres ustensiles et contenants, en métal ou en verre.

Fig. 10. Modèles de briquettes issues des remblais du moulin. À gauche : rectangulaire prédécoupée (15,2 par 25,6 par 2,2 cm) ; à droite : angulaire et curviligne prédécoupée (largeur : 20,2 cm ; épaisseur : 2,2 cm ; clichés : G. Deshayes).

Fig. 11 A. Mobilier métallique. 1 : penture ; 2 : axe pivotant ; 3 : charnière-goupille ; 4 : clé ; 5 : crapaudine ; 6 : coin ; 7 : faucille ; 8 : burin ; 9 : compas ; 10 : fusaïole ; 11 : dé ouvert ; 12 : ciseaux ; 13 : dé à coudre (clichés et DAO : A. Bignon).

Fig. 11 B. Mobilier métallique. 14 : boucle carrée ; 15 : boucle à lanière (?) ; 16 : bague ; 17 : fer à cheval ; 18 : chaînette ; 19-20 : poids monétaires (clichés et DAO : A. Bignon).

Les terres cuites architecturales

25La fouille a permis le ramassage quasi exhaustif de 2 410 morceaux de terres cuites architecturales correspondant à des tuiles plates à crochet, des tuiles canal (faîtières ou arêtières), des briquettes prédécoupées (presque uniquement rectangulaires, sinon moulurées ; fig. 10), des briques épaisses et des carreaux de pavement (à usage de carreaux de sole). Le corpus de morceaux de tuiles plates, de briquettes et de carreaux de pavement, majoritairement découverts dans les remblais de la cavette et du quart sud-est de la bande de roulement, permet l’hypothèse de débris provenant de la cheminée d’un logis de type manorial, attribuable à la fin du xv^e ou au xvi^e siècle (sole, piédroits, manteaux, contrecœur, hotte et conduit). Les cheminées de plusieurs demeures seigneuriales de la vallée de la Seine (Petit-Couronne, Villequier, Yville-sur-Seine, etc.) témoignent de l’utilisation de briquettes rectangulaires ou moulurées à cette époque en Normandie. Cette identification constitue donc un argument supplémentaire pour identifier des remblais provenant du démantèlement d’une résidence aisée dans l’environnement du moulin.

Le mobilier métallique

26Les 2 126 pièces métalliques collectées (1 941 en fer, 177 en alliage cuivreux, moins de 10 en plomb et zinc), étudiées par Angéline Bignon, illustrent a priori les diverses facettes de la vie quotidienne des meuniers du xvi^e au milieu du xix^e siècle. En effet, elles proviennent à la fois et très majoritairement d’un secteur à vocation artisanale (moulin) et dans une moindre mesure d’un secteur domestique (habitat). L’identification de 80 % du mobilier permet d’en apprécier les diverses fonctions (fig. 11) : construction (gros œuvre et huisserie), activités (outillage), vie domestique (activités et ameublement) et équipement personnel (accessoires vestimentaires et parure). Certains objets témoignent de l’appartenance à un milieu social favorisé (armement et harnachement).

27L’attribution de ce mobilier aux différents états du moulin, à l’habitat du meunier ou à la résidence incendiée, est d’autant plus ardue que la plupart des pièces métalliques identifiées restent difficilement datables avec précision. Seuls les contextes stratigraphiques permettent d’orienter leur appartenance à tel ou tel site, à telle ou telle période, sans oublier de tenir compte aussi des multiples remaniements et déplacements de remblais et de mobiliers.

Fig. 12. Ceitis de Manuel (1494- 1521), monnaie portugaise issue des remblais du moulin (clichés : S. Zeller).

Le mobilier monétaire

28Le corpus numismatique compte 85 monnaies et jetons, ainsi que deux poids monétaires du xvi^e siècle (fig. 11b). Leur répartition chronologique est également topographique : les pièces frappées du xv^e au xvii^e siècle furent recueillies sur le site du moulin tandis que celles des xviii^e et xix^e siècles le furent à l’emplacement de l’habitat. Ces deux ensembles ont été respectivement identifiés par Thibault Cardon (EHESS) et Vincent Tessier (INRAP). La première des deux principales périodes de frappe (1420-1550) rassemble un minimum de 15 pièces dont une monnaie portugaise (fig. 12), en décalage chronologique avec l’abondant mobilier céramique. La quarantaine de monnaies (douzain, denier et doubles tournois, liards) de la seconde époque, relativement courte (1623-1658), pourrait documenter une période de chantier ou plus probablement un événement violent tel qu’un incendie, au regard de l’excellent état de conservation de certaines monnaies et de la conservation de résidus de paille et de charbon de bois. Ce plausible incendie serait survenu peu après l’émission de la plus récente monnaie du lot, peut-être aux alentours de 1660. Les 15 monnaies récoltées dans l’habitat correspondent davantage à des pertes ponctuelles, dispersées dans le temps, entre le début du xviii^e et le milieu du xix^e siècle.

Les autres mobiliers

29La vie quotidienne aux xvi^e-xvii^e et xviii^e-xix^e siècles est également illustrée par quelques centaines de tessons de verrerie (gobelets et bouteilles), plusieurs objets en os ou en bois de cerf (manche, dé à jouer, perle de chapelet et bouton ; fig. 13) et des tessons de pipes en terre blanche produites entre le milieu du xvii^e et la fin du xix^e siècle. Elle est également représentée par un millier de restes osseux animaux (triade domestique, oiseaux, poissons et microfaune) et une dizaine de valves d’huîtres et de moules.

Comparaisons

30Si la plupart des moulins sur pivot et cavette (dessinés, photographiés ou toujours debout) sont attribuables aux xviii^e et xix^e siècles, l’exemple fouillé et bien daté de Roissy-en-France prouve l’existence de ce type d’architecture au milieu du xvi^e siècle et place celui de Bardouville parmi les plus anciens moulins de ce type. Il présente également l’avantage d’être documenté par les sources écrites et les vestiges archéologiques.

31Le moulin de Bardouville apporte de précieux compléments d’informations et de comparaisons sur les moulins à vent du secteur de la vallée de la Seine, en Île-de-France et en Normandie. Depuis 1984, trois moulins à vent normands ont bénéficié d’interventions archéologiques : un moulin-tour médiéval à Hauville (Eure), toujours en élévation sur le plateau céréalier du Roumois, objet d’une fouille programmée de Raymond Guilloit (1984) et un moulin sur pivot sur dés de pierre, dit moulin des Hayes, à Bosc-Bénard-Commin (Eure), sur le même plateau, fouillé et étudié par Tanguy Debaene lors d’un diagnostic archéologique de la MADE (Debaene, 2015). La maison d’un moulin sur pivot à Tourville-la-Rivière (Seine-Maritime), dans la vallée de la Seine, a également été fouillée et étudiée par Bruno Penna lors d’une fouille préventive de l’AFAN (Penna, 1996).

Fig. 13. Objets en matière dure animale. 1 : manche (bois de cervidé) ; 2 : perle de chapelet (os) ; 3 : dé à jouer (os) ; 4 : bouton (os ; clichés : S. Zeller).

32Plus largement, Jean-Yves Dufour rappelait en 2013 qu’une vingtaine de moulins à vent avait bénéficié de fouilles archéologiques en France (sur un total estimé à 15 à 20 000 moulins) et qu’à l’exception de la sienne, ces investigations archéologiques n’avaient fait l’objet d’aucune publication. De son point de vue, la fouille des moulins à vent est donc « scientifiquement amplement justifiée » et, du nôtre, celle du moulin de Bardouville ne fait que répondre, positivement, aux lacunes de la recherche archéologique dans ce domaine. ￭