1Dans le cadre de travaux de réaménagement des abords de la cathédrale d’Évreux1, la Mission archéologique départementale de l’Eure (MADE) a réalisé, entre octobre 2012 et mars 2014, une campagne de fouille et le suivi de nombreux travaux de terrassement. Ces interventions, menées suite à l’émission d’une prescription de fouille par le Service régional de l’archéologie de Haute-Normandie, succèdent à un diagnostic effectué en 2010 par la MADE, sous la direction de L. Guyard (Dartois et Guyard, 2011). Celui-ci, au travers de onze sondages, avait mis en évidence la présence, à faible profondeur, de nombreux vestiges archéologiques couvrant une large période chronologique.

2Ce secteur occupe en effet une position centrale dans l’urbanisme ébroïcien, et ce à toutes les époques (fig. 1). Déjà au cœur de l’emprise connue de la ville antique, à proximité du probable forum localisé rue de la Petite Cité (Cliquet, 1993, p. 133), il est englobé à la fin du iii^e siècle dans l’enceinte du castrum, puis accueille le complexe épiscopal, qui demeure jusqu’à nos jours un élément incontournable du centre urbain.

Déroulement et organisation du chantier

3Les travaux archéologiques qui ont été réalisés peuvent être divisés en deux séquences bien distinctes avec, d’une part, la fouille des niveaux superficiels du parvis ouest, puis, d’autre part, la surveillance des nombreux travaux de terrassement prévus dans le cadre du chantier qui a suivi. Ces terrassements, destinés à la pose de nouveaux réseaux, à la plantation d’arbres et à la mise en œuvre d’une voirie, se sont poursuivis durant près de deux ans et ont affecté, à des degrés divers, les vestiges de près de 2 000 ans d’occupation urbaine.

4Le suivi de ces travaux, bien que demandé dans le cahier des charges de la prescription archéologique, s’est avéré particulièrement ardu en raison de difficultés relationnelles avec l’entreprise de travaux publics en charge du chantier. Ainsi, des terrassements parfois conséquents n’ont donné lieu à aucune observation de terrain et les niveaux archéologiques dégagés ont parfois été compactés sans mettre les protections prévues.

5La fouille préalable des niveaux superficiels du parvis ouest a en revanche été réalisée en amont du chantier de travaux publics, sous notre entière responsabilité. Le cahier des charges fixait ici une cote de fin de chantier très peu profonde qui nous a conduits, pour l’essentiel, à ne réaliser qu’un décapage de surface et à simplement mettre au jour des niveaux archéologiques, sans les fouiller. Ponctuellement, quelques observations ont malgré tout pu être réalisées sous la cote de fin de chantier, en vidant par exemple des parties de tranchées de réseaux préexistants. Nous avons ainsi pu étudier, à des endroits stratégiques, des séquences stratigraphiques parfois riches et conséquentes.

Fig. 1. Localisation de l’opération dans le contexte historique et archéologique de la ville d’Évreux (plan : P. Wech, d’après les données de B. Guillot, INRAP, complétées et mises à jour).

Fig. 2. Vue en coupe des niveaux de voirie antiques reconnus sous la rue Charles-Corbeau (cliché : P. Wech).

La ville antique

6La nature même de l’opération et l’exiguïté des rares ouvertures profondes réalisées expliquent que les données sur l’occupation antique des lieux soient peu nombreuses. Elles se résument à deux éléments principaux, d’une part un mur monumental et d’autre part des éléments de la voirie urbaine. Le mur monumental a été mis au jour à proximité du chevet de la cathédrale. Large de 0,9 m, il est orienté ouest-sud-ouest/est-nord-est, en parfaite adéquation avec la trame urbaine antique connue dans les environs. Il est constitué d’une maçonnerie de silex liés au mortier orangé et présente un parement de petit appareil calcaire sur sa paroi nord. Le parement méridional conserve quant à lui la trace de deux enduits superposés. Ce mur n’ayant été vu qu’en plan, et sur une très courte longueur (inférieure à 1 m), il est évidemment impossible de déterminer à quel monument il appartient. La qualité de la construction et la largeur de ce mur laissent cependant supposer qu’il s’agit d’un édifice public. Les éléments de voirie ont été identifiés dans le secteur du parvis occidental, dans deux explorations profondes. Les niveaux reconnus consistent en une succession, sur une épaisseur de plus de 1,6 m, de recharges de chaussée constituées de grave compactée, alternant avec des niveaux de circulation limono-argileux gris à caractère souvent hydromorphe (fig. 2).

7La nature même de ces niveaux et la surface d’observation très restreinte expliquent la quasi-absence de mobilier. La stratigraphie et les rares éléments mis au jour2 indiquent cependant sans ambiguïté qu’il s’agit de portions d’une rue du Haut-Empire. Celle-ci présente une orientation est-ouest et se trouve dans le prolongement de tronçons repérés à deux reprises lors du diagnostic de l’ancien hôpital Saint-Louis (Wech, 2013, p. 170). Les altitudes relevées à ces différents emplacements sur les dernières recharges révèlent une pente est-ouest assez marquée, correspondant sans doute à la configuration topographique des lieux. Le tracé de cette voie, tangent à l’emplacement supposé du forum, peut laisser penser que nous sommes en présence du decumanus maximus de la ville antique (fig. 1). Précisément, à hauteur du forum et à l’aplomb du rempart tardo-antique, sur lequel nous reviendrons, un sondage profond a mis en évidence un dallage « monumental » (fig. 3)3. Celui-ci, recouvrant les niveaux de voirie antérieurs, est installé sur un lit de craie damée et se situe à une altitude légèrement inférieure à celle du dallage mis au jour par D. Halbout-Bertin en 1981, rue de la Petite Cité (63,35 m NgF contre 63,75 m NgF). Sachant que les tronçons de rue reconnus dans les environs immédiats en étaient dépourvus, peut-être s’agit-il d’un aménagement ponctuel de la voirie en lien avec l’un des accès au forum ainsi mis en valeur ?

Le rempart tardo-antique et le talus associé

Architecture du rempart

8Dans la seconde moitié du iii^e siècle (Follain, 2005, p. 3-4), la ville de Mediolanum Aulercorum se dote d’un rempart qui enceint une surface d’environ 8 ha globalement rectangulaire, aux angles arrondis (Wech, 2017, p. 39). Un long tronçon de cette muraille est conservé et visible immédiatement au sud de l’emprise étudiée, dans la salle souterraine du musée. Au nord, les fouilles de la rue de la Petite Cité avaient également mis au jour d’importants vestiges de la fortification (Halbout-Bertin, 1981 ; Follain, 1996, p. 52-55). La présence de restes du rempart sous le parvis de la cathédrale n’est donc pas une surprise, mais pose cependant plusieurs questions dont l’état de conservation des maçonneries, ainsi que la nature et la localisation précises des structures de la porte Notre-Dame, mentionnée sur les plans et cadastres anciens4.

Fig. 3. Vue en coupe d’une portion du rempart tardo-antique reposant à même le dallage d’une voirie monumentalisée (cliché : P. Wech).

9L’opération archéologique a révélé l’importance des destructions opérées depuis l’époque moderne, et plus particulièrement depuis le milieu du xx^e siècle. Outre la récupération d’une grande partie du parement extérieur en petit appareil de moellons calcaires, l’aménagement, dans les années 1950, de toilettes publiques enterrées et d’un transformateur électrique attenant, dans l’épaisseur même du mur, a entraîné sa disparition presque totale sur une longueur d’une dizaine de mètres. De nombreux réseaux ont également entamé plus ou moins profondément les maçonneries en de nombreux points. Le tout donne aux vestiges du rempart un aspect morcelé qui n’en facilite pas l’étude d’ensemble (fig. 4).

10Au sud, la vidange partielle d’une tranchée de réseau recoupant perpendiculairement le mur a permis d’en dresser un profil, sur une hauteur de plus de 2 m à compter de 63,4 m NgF. À cette profondeur, la fondation n’a pas été atteinte, et seule une partie de l’élévation a pu être observée. Le mur est large de 2,8 m et présente, au moins sur sa face interne, à l’est, un ressaut intermédiaire d’une dizaine de centimètres de large. Le parement occidental, strictement vertical, est totalement récupéré à partir de 64,5 m NgF, et fortement dégradé en dessous de cette cote. À l’est, le parement a été préservé par un imposant talus aménagé contre la face interne du rempart (fig. 5). On observe ainsi un appareillage de petits moellons calcaires (succession d’au moins 12 assises reconnues à la base du sondage) alternant avec des assises de terres cuites architecturales non traversantes (trois assises coïncidant avec le ressaut reconnu dans le parement oriental). Une observation attentive du cœur de la maçonnerie a permis de reconnaître de nombreuses variations dans les matériaux employés, notamment dans les mortiers, qui résultent vraisemblablement de l’hétérogénéité de la formation sableuse exploitée pour fournir le granulat5.

Fig. 4. Plan des tronçons du rempart tardo-antique conservés sur le parvis ouest de la cathédrale (plan : P. Wech).

11En progressant vers le nord, les sections reconnues du rempart sont très fortement dégradées, voire totalement détruites. Aux abords de la rue actuelle un second sondage profond, dans une tranchée de réseau recoupant perpendiculairement le mur, a permis d’observer une structuration bien différente (fig. 3). Signalons, pour l’anecdote, que la pose de ce réseau, en 1933, avait donné lieu à des observations archéologiques précises qui avaient ensuite été publiées (Mathière, 1937 ; fig. 6). Nous n’avons donc, somme toute, fait que renouveler et préciser des observations vieilles de près de 80 ans.

12Le mur repose ici directement sur la portion dallée de la voie antérieure et n’a pas nécessité de tranchée de fondation. Ses soubassements sont constitués d’une superposition de blocs architecturaux de remploi6. Reposant sur cette fondation débordante, à une altitude d’environ 64,5 m NgF, l’élévation du rempart est constituée d’une maçonnerie large de 2,5 à 2,7 m (un léger rétrécissement semble s’opérer au nord), à la base de laquelle ont été disposées trois assises de réglage en terres cuites architecturales non traversantes. À l’est comme à l’ouest, le parement est ensuite constitué de petit appareil calcaire.

La porte Notre-Dame

13Immédiatement au nord de ce sondage, plusieurs observations ont permis d’identifier les composantes d’une porte du rempart. Connue par les sources modernes sous le nom de porte Notre-Dame, cette structure n’avait jusqu’alors jamais été observée. Le déroulement du chantier et la réalisation de multiples observations non simultanées et spatialement non jointives n’ont pas permis d’obtenir de vision d’ensemble du dispositif, qui conserve ainsi de larges parts d’ombre. Deux « piliers » constitués de blocs de grand appareil calcaire ont cependant pu être reconnus. Ils encadrent un passage de près de 6 m de large (fig. 7). Aucun aménagement connexe, tel qu’une tour, n’a pu être mis en évidence.

Le talus

14Associé au rempart et appuyé sur sa face interne, un large talus a été aménagé après la construction. Ce talus (agger) a déjà observé et décrit lors des fouilles du musée (Follain, 1996, p. 54-55) et du square Georges-Brassens (Gerber, 1998, t. I, p. 78-83). Sans entrer dans le détail, plusieurs observations ont à nouveau permis de le documenter. Il apparaît ainsi comme très hétérogène, avec d’importantes variations selon les emplacements, tant dans sa structure que dans ses dimensions. En effet, alors que les observations réalisées immédiatement au sud donnaient une largeur à la base comprise entre 7 et 10 m (Follain, 1996, p. 55), nous avons constaté une largeur maximale atteignant 13 m. En ce qui concerne sa hauteur, aucune observation complète du talus, à la base du mur, n’a pu être réalisée, nous privant d’élément de comparaison avec la section méridionale.

15Les matériaux constituant le talus sont également extrêmement variés selon l’emplacement considéré. Si certains sondages ont révélé l’utilisation de remblais homogènes et manifestement calibrés (fig. 8), d’autres livrent en revanche un amoncellement d’éléments de démolition (nodules de mortier, terres cuites architecturales, moellons, enduits…) liés sans doute au démantèlement d’édifices divers au moment de la construction du rempart (fig. 9). Cette variété des matériaux reflète sans doute l’utilisation opportuniste des remblais ou gravats à disposition dans les environs immédiats du chantier. On peut donc supposer que les éléments présents dans le talus constituent, dans une certaine mesure, le reflet indirect des occupations et constructions ayant existé à ces emplacements avant l’érection du rempart.

Fig. 5. Vue du parement oriental du rempart tardo-antique à proximité de la cour du musée, masqué à gauche par les remblais de l’agger (cliché : P. Wech).

Fig. 6. Observations sur le rempart tardo-antique lors de travaux de pose de réseaux en 1933 (auteur inconnu ; ADE, 5 Fi 1597).

Fig. 7. Vue d’ensemble du piédroit septentrional de la porte Notre-Dame en cours de dégagement (cliché : P. Wech).

Fig. 8. Vue en coupe des remblais triés constituant un tronçon de l’agger. Le rempart est visible en haut à gauche (cliché : P. Wech).

Fig. 9. Vue en coupe de remblais de démolition utilisés dans la constitution de l’agger (cliché : P. Wech).

16Le talus, reconnu en de nombreux points de la fouille, s’interrompt bien sûr au niveau de la porte. Un double pendage qui en matérialise l’extrémité a en effet été observé dans un sondage profond réalisé presque au droit de la porte.

L’Antiquité tardive, le haut Moyen Âge et la question des « terres noires »

17Les occupations immédiatement postérieures au chantier du rempart et à l’aménagement de l’agger n’ont été que très peu abordées lors de cette opération. Sur le parvis ouest, seul un sondage manuel, d’ampleur très limitée, a pu être réalisé sous la cote de fin de chantier. Il a mis en évidence une succession de niveaux d’occupation et d’aménagements de sols adossés au talus et datés du iv^e siècle7. De nombreuses monnaies constantiniennes et un dépôt de cinq cuillères en argent (ligulae) y ont été retrouvés8. Parmi ces dernières, on soulignera la présence d’un exemplaire au cuilleron décoré et d’un autre portant la mention Flori, sans doute en référence à son propriétaire (fig. 10).

18La faible surface abordée ne permet malheureusement pas de caractériser la nature exacte de cette occupation. D’importants terrassements opérés sur le parvis ouest, notamment lors de la Révolution française, ont entraîné la disparition des vestiges des occupations médiévales qui avaient dû s’y développer.

19Lors des surveillances de travaux réalisées en différents points du parvis nord et au pied du chevet de la cathédrale, le haut Moyen Âge n’a été reconnu qu’au travers de « terres noires » dont l’interprétation demeure problématique. Des analyses micromorphologiques et physico-chimiques ont cependant pu être menées sur un ensemble de niveaux noirâtres se superposant à la voie antique9. Les résultats montrent la continuité fonctionnelle de cette voirie, malgré une profonde modification structurelle apparente, de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Ainsi, malgré des difficultés de lecture macroscopique, les « terres noires » recouvrent des réalités souvent très différentes et leur étude fine peut constituer une précieuse source d’information pour la connaissance des modalités d’occupation de l’espace urbain au haut Moyen Âge, la principale difficulté résidant dans la datation fine de ces niveaux, en l’absence fréquente de mobilier caractéristique.

Fig. 10. Les ligulae découvertes dans les niveaux d’occupation tardo-antiques du parvis ouest (cliché : D. Jourdan, CD 27).

Du Moyen Âge classique à la fin du Moyen Âge

20Les éléments médiévaux mis au jour lors des travaux sont très nombreux et particulièrement disparates. Ceci résulte principalement des conditions d’étude, qui ont permis une succession de petites observations à des profondeurs différentes, déconnectées les unes des autres, ce qui rend très difficile tout travail de synthèse. Nous avons donc choisi de privilégier une présentation thématique, sans proposer de synthèse chronologique ou spatiale.

Le cimetière paroissial

21La présence du cimetière paroissial sur le flanc nord de la cathédrale est un élément bien connu des historiens et archéologues qui se sont intéressés à la ville d’Évreux. Il est en effet représenté sur le plan terrier de la paroisse Saint-Denis, au milieu du xviii^e siècle10, sous la forme d’un vaste rectangle aussi long et large que la cathédrale elle-même, et directement accolé à son flanc nord (fig. 11).

22Si les origines de ce cimetière nous sont largement inconnues, nous savons en revanche que son emplacement est nivelé en 1788 (Lamiray, 1927, p. 3) et qu’il est désaffecté peu après la Révolution française. Les différentes observations réalisées au cours du chantier permettent aujourd’hui de délimiter assez précisément l’emprise maximale de l’aire funéraire : un rectangle d’environ 100 m par 25 m, dépassant à l’ouest l’axe de la façade de la cathédrale et débordant partiellement sur le parvis. À l’est, elle ne se prolonge pas au-delà de la chapelle du Saint-Rosaire. Si aucune limite construite n’a pu être mise en évidence dans ces deux directions, signalons en revanche la présence, au nord, d’un mur maçonné large de 0,7 à 0,8 m semblant clairement clôturer le cimetière. Aucune inhumation n’a en effet été identifiée au-delà, alors même qu’elles sont relativement nombreuses au sud.

23Les sépultures reconnues présentent toutes une orientation grossièrement est-ouest. À de très rares exceptions près, seule l’ouverture des fosses sépulcrales a été relevée et les inhumations elles-mêmes n’ont pas été fouillées11. Il est important de noter la densité des inhumations mises au jour et la quasi-absence de recoupement, ce qui pourrait suggérer soit une durée d’utilisation assez limitée, soit un marquage au sol clair et bien entretenu de chaque sépulture.

Fig. 11. Plan de l’emprise reconnue du cimetière paroissial de la cathédrale (plan : P. Wech).

24Au pied même de la cathédrale, le creusement d’une tranchée destinée à accueillir le câblage de l’éclairage public a mis en évidence des tombes coffrées en calcaire (fig. 12), alors que les portions plus septentrionales du cimetière ne semblent comporter que des inhumations en fosse simple. À l’extrémité orientale de l’aire funéraire restituée, d’autres terrassements ont fait apparaître une construction quadrangulaire (dimensions internes : 4,2 m par 1,8 m), faiblement enterrée, correspondant sans doute à un caveau (fig. 13). Il n’a pas été fouillé. Les rares sources historiques disponibles au sujet de ce cimetière12 mentionnent d’importants travaux de nivellement dès 1788, destinés à abaisser le sol de l’aire funéraire au niveau des espaces environnants qui, jusqu’alors, demeuraient nettement en contrebas. Il est manifeste que ces terrassements, même s’ils ne peuvent pas être quantifiés précisément, ont vraisemblablement entraîné la disparition, sur une grande surface, de larges pans de la stratigraphie médiévale et moderne des lieux. C’est ce qui explique notamment l’absence de trace d’occupation postérieure à l’Antiquité tardive sur le parvis ouest et le faible enfouissement apparent des défunts.

Le rempart et la porte Notre-Dame

25Comme nous l’avons vu, le rempart tardo-antique a fait l’objet de nombreuses destructions récentes. Les quelques portions suffisamment bien conservées pour permettre des observations pertinentes montrent ponctuellement des traces de reprises ou de réfections qu’il est tentant d’attribuer au second Moyen Âge ou à la période moderne. De nombreux documents d’archives attestent en effet, à compter du xiv^e siècle au moins (Wech, 2017, p. 212-213), la réalisation de nombreux travaux d’entretien et de réparation portant sur différents tronçons des murailles. Les éléments archéologiques permettant d’affiner la datation font cependant largement défaut.

26Des vestiges plus conséquents ont en revanche été mis au jour au niveau de la porte Notre-Dame. Une courte portion d’un mur en arc de cercle a été reconnue dans le cadre d’une surveillance de travaux, suggérant qu’une tour semi-circulaire avait été accolée à l’extérieur du rempart, immédiatement au sud de l’ouverture. Cette portion présente une courbure permettant d’estimer le diamètre de la tour à environ 11 m (soit le même que la tour du Châtel, à l’angle de l’hôtel de ville ; Guillot, 2003, p. 16). Son revêtement de grand appareil calcaire est comparable à celui des tours du châtelet de la Porte Peinte (Wech, 2017, p. 52) et autorise, malgré l’absence d’élément de datation, une attribution probable au second Moyen Âge (fig. 14).

La cathédrale

27Lors de terrassements menés un peu plus profondément que prévu au pied même du chevet de la cathédrale, l’entreprise de travaux publics a mis au jour plusieurs maçonneries assez conséquentes appartenant à différents états du monument.

28Afin d’étudier au mieux ces vestiges, une révision du projet scientifique d’intervention a été proposée et acceptée. Les vestiges ont donc été finement nettoyés pour pouvoir en faire un relevé précis et proposer une chronologie relative pour les différentes maçonneries (fig. 15). Au moins trois phases de construction sont ainsi apparues, certaines incluant des blocs architecturaux en remploi dont l’étude documente assez finement l’évolution de l’édifice et les différents chantiers de construction. Ainsi, certaines des phases de travaux, jusqu’ici ignorées, étaient perceptibles principalement à travers une série d’éléments en remploi attribuables avec plus ou moins de certitude à la fin du xii^e ou au début du xiii^e siècle13.

29La réalisation de terrassements profonds pour la mise en œuvre d’une nouvelle voirie a également mis au jour, à une dizaine de mètres de la cathédrale, un important niveau d’incendie contenant, entre autres, des fragments de vitrail. En l’absence de fouille et d’élément de datation plus précis, ce niveau, antérieur aux sépultures reconnues alentours, ne peut être attribué à l’une ou l’autre des phases de destruction ou construction de l’édifice attestée par les sources14. On notera simplement que les traces de cet incendie ont été masquées par l’aménagement d’un épais niveau de sol en craie damée, dont les témoins ont été reconnus sur la quasi-totalité de l’espace étudié, et qui semble correspondre à un réaménagement d’envergure des lieux, sans doute consécutivement à l’incendie et aux travaux qui en ont résulté.

Fig. 12. Sépultures coffrées au pied du transept nord (cliché : P. Wech).

Fig. 13. Possible caveau funéraire observé au pied du chevet (cliché : P. Wech).

Fig. 14. Vestiges d’une tour médiévale accolée au rempart tardo-antique (cliché : P. Wech).

Fig. 15. Ensemble de maçonneries appartenant à différents états de construction de la cathédrale (cliché : P. Wech).

Caves et habitations de la fin du Moyen Âge à l’époque moderne

30De très nombreux éléments mis au jour se rattachent à la fin du Moyen Âge et à la période moderne. Nous ne présenterons ici qu’une partie des vestiges d’habitations autour du groupe épiscopal. Ces constructions, mises au jour principalement au droit du chevet de la cathédrale et sur le parvis nord, à l’angle des actuelles rues Charles-Corbeau et de l’Horloge, correspondent, d’après le plan terrier du milieu du xviii^e siècle15, à des maisons canoniales. Si leurs emplacements étaient approximativement connus, leurs structures, tout comme leurs aménagements internes et leur chronologie, restaient largement à préciser.

31Les observations réalisées sur ces maisons ont toutes été faites lors du creusement de larges fosses de plantation qui n’ont pu être exploitées archéologiquement que sous la forme de relevés stratigraphiques16. De ce fait, nous ne disposons d’aucune vision complète en plan et d’éléments de datation très réduits.

Fig. 16. Exemple de cave ou cellier reconnu au droit du chevet de la cathédrale lors des surveillances de travaux (cliché : P. Wech).

32Les principales données recueillies concernent essentiellement les fondations et des caves enterrées ou semi-enterrées (fig. 16). Certains sondages ont révélé plusieurs phases de construction ou de réfection de ces ouvrages, certains s’accolant ou recoupant des structures plus anciennes. Dans quelques cas également, des accès ont été repérés, sous la forme d’escaliers, ainsi que des traces des systèmes de couverture. On notera en outre la présence d’au moins deux cheminées en tuileau.

33Les murs, caves et constructions diverses ainsi repérés coïncident parfaitement, après repositionnement, avec les éléments figurant sur les fonds cadastraux anciens17. Ils complètent en outre assez largement notre connaissance des aménagements internes des parcelles et nous permettent, dans une certaine mesure, de retracer l’évolution d’un quartier canonial entre la du Moyen Âge et la période moderne à contemporaine.

L’époque contemporaine

34D’autres constructions plus tardives ont été observées sur le parvis ouest de la cathédrale. La comparaison du plan terrier du milieu du xviii^e siècle et des cadastres de la première moitié du xix^e siècle montre en effet la conquête d’un espace relevant initialement du domaine épiscopal par des constructions et habitats à caractère privé. De ceux-ci, il ne reste plus guère que la base des caves, quand celles-ci n’ont pas été détruites par les aménagements contemporains, qui ont également eu raison de larges tronçons de la muraille tardo-antique. Cette dernière, sans doute déjà largement dégradée et récupérée, avait toutefois servi d’appui à la construction de ces habitations et de leurs caves. Quelques traces d’arrachement ont en effet été mises en évidence sur le parement du rempart, à des emplacements destinés à l’ancrage de murs postérieurs.

35La fouille a permis de reconnaître une partie du réseau de caves qui avait été mis en place sous les habitations qui occupaient le parvis ouest de la cathédrale (fig. 17). Ce secteur a cependant fait l’objet de nombreuses destructions lors de la seconde guerre mondiale (bombardements et incendies en juin 1940 et juin 1944), dont témoignent notamment des traces de chauffe sur quelques maçonneries. À l’issue du conflit, le pâté de maisons a été totalement arasé et nivelé, les caves remblayées, et le niveau de circulation abaissé (entraînant un nouvel écrêtement des niveaux archéologiques antérieurs). Les remblais reconnus dans le comblement des caves, outre des éléments de démolition présents en grand nombre, livrent une très grande quantité d’objets de la vie quotidienne qui, pour certains, rappellent la présence d’un café-restaurant à l’angle du parvis (fig. 18). Dans cet espace « neuf » et fraîchement dégagé de toute construction, les autorités ont établi des baraquements provisoires (dont seule subsiste une probable fosse d’assainissement maçonnée), destinés à accueillir les sans-abris et les commerces mis à mal. Assez rapidement, à la fin des années 1950, de nouveaux aménagements sont mis en œuvre sur le parvis occidental afin de l’intégrer pleinement à l’urbanisme de la ville renaissante. C’est ainsi que les bords de l’Iton furent aménagés en terrasses et qu’un transformateur électrique et des toilettes publiques souterraines furent construits aux dépens des vestiges du rempart et des caves contemporaines. De ces chantiers subsistent nombre de traces : sondages géotechniques, fondations en béton et remblais dépotoirs.

Fig. 17. Vestiges d’un escalier d’accès au réseau de caves contemporaines implanté sous les habitats occupant le parvis ouest (cliché : L. Tocqueville, CD 27).

Fig. 18. Le quartier du parvis au début du xx^e siècle avec le café-restaurant faisant l’angle (coll. privée).

Conclusion

36À l’issue de cette présentation, on constatera les apports nombreux de cette opération à la connaissance de l’histoire d’Évreux. Ainsi, bien que de qualité et de portée inégales, les données collectées permettent néanmoins de préciser et de compléter notre connaissance du quartier, qu’il s’agisse du réseau viaire antique, du rempart, dont une porte a, pour la première fois, pu être observée en fouilles, ou du cimetière paroissial de la cathédrale, pour ne citer que ces éléments.

37Il est néanmoins difficile, voire impossible, de lier toutes ces observations entre elles et d’en tirer une quelconque synthèse chronologique cohérente. Le morcellement des données n’autorise guère en effet qu’une approche thématique, à l’intérieur d’un découpage chronologique très large. Il ne nous a bien sûr pas été possible ici de rendre compte de l’intégralité des données collectées, tant celles-ci sont variées et mériteraient de longs développements. Nous renvoyons pour cela le lecteur au rapport d’opération. ￭