URL originale : https://books.openedition.org/purh/17370
Un sanctuaire du Haut-Empire et un habitat tardo-antique à Val-de-Reuil (Eure), « le chemin aux Errants » (zone A)
A sanctuary from the Early Roman Empire and a settlement from Late Antiquity in Val-de-Reuil (Eure), “Chemin aux Errants” (zone A)
p. 113-126
Résumés
La fouille menée à Val-de-Reuil (Eure) a permis d’étudier un sanctuaire et un habitat gallo-romains. Le premier, fondé probablement à l’époque augustéenne, perdure jusqu’au iiie siècle. Son abandon et son démantèlement vont de pair avec l’émergence d’une zone d’habitat au nord de son enceinte. Dès lors, le sanctuaire sert de carrière de matériaux pour cet habitat qui est occupé jusqu’à la fin du ive siècle. Ce site a livré un abondant mobilier dont une partie peut être associée au complexe religieux.
The excavation carried out in Val-de-Reuil (Eure) made it possible to study a Gallo-Roman sanctuary and settlement. The former, which was probably built in the Augustan period, lasted until the 3rd Century. Its abandonment and demolition occurred when a settlement area appeared north of its walls. From that time on, the sanctuary was used as a material quarry for this settlement, which was occupied until the late 4th Century. This site revealed a large volume of materials, some of which can be associated with the religious site.
Entrées d’index
Mots-clés : enclos, sanctuaire, temple, péribole, habitat, Bas-Empire, monnaies, stèle, parure, harnachement, militaria
Note de l’auteur
Note portant sur l’auteur1
Texte intégral
Introduction
1La boucle du Vaudreuil, large méandre de la Seine à une trentaine de kilomètres en amont de Rouen, est bien connue pour son riche patrimoine archéologique (fig. 1). C’est à la faveur de l’exploitation intense de gisements de sable ainsi que de l’extension de la ville nouvelle de Val-de-Reuil que se sont dévoilés, au cours des dernières décennies, de nombreux sites archéologiques dans ce paysage alluvial façonné par la Seine et deux de ses affluents, l’Eure et l’Andelle. Durant l’Antiquité, ce secteur géographique forme une zone de contact entre le territoire des Aulerques Eburovices, au sud, et celui des Véliocasses, au nord. Son attrait se traduit notamment par la présence, dans un rayon d’une quinzaine de kilomètres, de deux ou trois agglomérations secondaires, Uggade (Caudebec-lès-Elbeuf, Seine-Maritime ; Beaurepaire, 1979, p. 57), Pitres (Eure), sur les rives de la Seine, et probablement Louviers (Eure), au bord de l’Eure.
2D’importantes opérations archéologiques menées à Val-de-Reuil, au lieu-dit « Le Chemin aux Errants », préalablement à l’ouverture d’une carrière de graviers par la société CEMEX, ont mis en évidence sur une superficie de 25 ha de nombreuses traces d’occupations humaines anciennes (Beurion, 2009 et 2013 ; Moreau, 2011 et 2013 ; Lukas, 2013 ; Lukas dir., 2014 ; Adrian et al., 2014 et 2015). Ces vestiges se développent sur les berges d’un paléochenal de l’Eure, dans des alluvions récentes. Ils s’insèrent dans un horizon chronologique large qui s’étend du Néolithique moyen jusqu’à la période carolingienne. Durant l’Antiquité, ce secteur est très fortement investi (fig. 2). On y recense ainsi, pour le Haut-Empire, une grande villa et un sanctuaire et, pour l’Antiquité tardive, deux habitats proches. Ce riche paysage antique local compte en outre un habitat plus modeste aperçu lors d’un diagnostic sur les berges de l’Eure (Le Saint Allain, 2014). Notre contribution s’intéresse, en particulier, aux vestiges du lieu de culte et à l’un des deux habitats du Bas-Empire, étudiés pendant l’hiver 2009-2010 dans la zone méridionale de la carrière. Les nombreux vestiges antiques découverts plus au nord (villa et second habitat tardo-antique) font l’objet de l’article d’Yves-Marie Adrian, qui suit dans ce volume.
Fig. 1. Localisation des occupations gallo-romaines mentionnées dans le texte (DAO : D. Lukas).

Fig. 2. Localisation des sites gallo-romains sur la rive droite de l’Eure (DAO : D. Lukas).

Les vestiges protohistoriques
3Un décapage large autour du sanctuaire gallo-romain, exploré quasi intégralement, a révélé plusieurs occupations antérieures sous le lieu de culte et à ses abords. Les plus anciennes, datées des périodes charnières Néolithique final-âge du bronze ancien, âge du bronze final-premier âge du fer et La Tène B-C, s’avèrent ponctuelles et éparses. Elles se rattachent à des habitats ouverts et étendus dont d’autres traces ont été rencontrées plus au nord (Adrian et al., 2015, vol. 1). Dès la fin de l’époque gauloise (La Tène D2), la zone de fouille s’avère durablement investie, soit pendant près de cinq siècles. Cette longue présence humaine débute avec la création d’un premier enclos dont seul l’angle nord-ouest est compris dans la zone d’étude (fig. 3). Sa clôture fossoyée, appréhendée sur une quarantaine de mètres au nord et une vingtaine de mètres à l’ouest, se compose d’un vaste creusement à profil en V, à fond plat, qui entaille des niveaux de grave jusqu’à une profondeur de 2,10 m (fig. 4). Sa largeur à l’ouverture oscille entre 1,72 et 2,10 m. Deux modes de fonctionnement sont envisageables pour ce dispositif : un premier suppose l’implantation d’une palissade à poteaux jointifs d’une trentaine de centimètres de diamètre et d’une hauteur de plusieurs mètres. Le second, un fossé ouvert, nécessite une consolidation préalable des parois sableuses à l’aide d’une armature végétale dont aucune trace n’a toutefois été observée. Quoi qu’il en soit, cet aménagement était doublé par un petit fossé à l’ouest et, comme le suggère l’absence de structure de part et d’autre, probablement d’une levée de terre, interne ou externe.
Fig. 3. Vestiges de La Tène finale et de l’époque augustéenne (DAO : D. Lukas).

Fig. 4. Fossé d’enclos laténien : on distingue un comblement naturel au fond (teinte claire) et un remplissage plus organique (foncé) dans les niveaux supérieurs (cliché : D. Lukas).

4L’interprétation fonctionnelle de cet enclos se heurte à l’absence d’aménagement et de mobilier caractéristique. Néanmoins, quelques rejets (faune et céramique) éparpillés sur le tracé du fossé peuvent alimenter l’hypothèse d’une vocation domestique pour cet enclos, qui constituerait alors l’élément structurant d’un domaine laténien se développant vers l’est, hors emprise. En revanche, on peut également avancer une fonction cultuelle pour cet ensemble dont le dispositif de fermeture possède des dimensions notables. Cette seconde hypothèse, séduisante, est alimentée par la proximité du futur sanctuaire gallo-romain, fait qui permettrait d’établir un lien fonctionnel. La présence de sept dépôts funéraires modestes dans les niveaux de comblement du creusement fossoyé témoigne en tout cas clairement d’une vocation funéraire tardive de cette enceinte dont la fonction initiale reste indéterminée.
Fig. 5. Proposition d’évolution du sanctuaire gallo-romain (DAO : D. Lukas).

5D’autres vestiges laténiens (une quinzaine de structures en creux et quelques lambeaux de niveaux) indiquent une extension du site gaulois au-delà de l’enclos, vers le nord, jusqu’au périmètre du sanctuaire gallo-romain (fig. 3). L’identification fonctionnelle de ces vestiges s’avère également délicate, d’autant plus que l’on ignore l’ampleur des destructions entraînées par les aménagements postérieurs dans ce secteur. Si leur emplacement pourrait ainsi plaider en faveur d’une vocation sacrée, rien n’empêche de les associer à des petits pôles domestiques installés hors enclos. Le mobilier laténien, peu abondant et sans connotation particulière, n’apporte pas non plus d’élément de réponse à cette question. On signalera neuf monnaies, dont trois bronzes républicains et six gaulois attribuables aux Aulerci Eburovices (trois exemplaires), aux Carnutes (une monnaie), aux Lexovii (un exemplaire) et aux Véliocassi (une monnaie ; Pilon, 2014, p. 285-286), ainsi qu’une quinzaine de petits ensembles de céramiques communes, très fragmentées et disséminées régulièrement de manière résiduelle en plusieurs endroits du site (Féret, 2014, p. 198).
Le sanctuaire et l’espace sacré du Haut-Empire
Origine et évolution du sanctuaire
6Quand émerge le lieu de culte gallo-romain ? Aucune réponse définitive ne peut être apportée à cette question centrale. Toutefois, plusieurs indices plaident pour l’existence d’un espace sacré dès le règne d’Auguste aux abords du futur temple maçonné. En effet, cette zone comprend une quinzaine de structures en creux dont dix ont livré des éléments augustéens (fig. 5, phase I). Cet espace était probablement dès cette époque clos et délimité par une enceinte rectangulaire (44 m par 24) qui préfigurait l’orientation générale du futur temple. Côté nord, d’importants réaménagements ont pu faire disparaître les témoins d’une installation initiale. La zone méridionale, plus étendue (640 m2), renferme des vestiges attribuables aux périodes La Tène D2 et augustéenne qui laissent apparaître une activité dans ce secteur bien avant la construction du temple à plan carré. La position de ces vestiges et les quelques objets de parure et de militaria retrouvés plaident en faveur de l’hypothèse d’un espace cultuel à cet endroit. La présence de ce type d’artefacts à l’emplacement et aux abords de l’édifice de culte maçonné postérieur n’est sans doute pas le fruit du hasard ; il pourrait bel et bien résulter d’activités cultuelles dans cet espace déjà consacré. Si les vestiges en creux associés ne permettent pas de prouver l’existence d’un édifice en matériaux légers dès cette époque, il faut souligner que l’on se heurte ici encore à l’impact des aménagements postérieurs, qui ont pu oblitérer un certain nombre de traces. Il est intéressant de rappeler dans ce contexte qu’au début de l’Empire, l’activité rituelle n’était pas conditionnée par la présence d’un édifice, de simples plateformes supportant un autel ou un espace de crémation pour la pratique du sacrifice animal pouvaient suffire. Clos ou ouverts, ces espaces sacrés s’insérant encore dans une tradition celtique s’organisaient simplement autour d’aménagements laissant peu de traces au sol. Par conséquent, leur identification n’est pas aisée puisqu’ils ne répondent pas encore au schéma traditionnel du sanctuaire gallo-romain, établi autour d’un ou plusieurs édifices de culte.
7À Val-de-Reuil, le sanctuaire a connu, au fil de son existence, au moins quatre grandes étapes de réfection et d’agrandissement aboutissant, à la fin du iie ou au début du iiie siècle, à son extension maximale (fig. 5). C’est sans doute dès la période tibéro-claudienne qu’un petit temple maçonné à plan carré est érigé au sein d’un espace clos, peut-être donc en remplacement d’un édifice en bois. Ces travaux ont entraîné une modification de l’enceinte préexistante et l’abandon de deux murs parallèles internes. En revanche, son accès demeure inchangé, sur la façade orientale. Le temple est construit dans la moitié septentrionale de cet espace selon un plan fréquent dans le monde romain, soit à cella centrale et galerie périphérique accessible à l’est. La cella, carrée, occupe une superficie de près de 35 m2 et le mur de la galerie atteint une longueur de 14 m. L’élévation et les fondations de cet édifice ont été presque intégralement récupérées, dès l’abandon du lieu de culte, dans le courant du iiie siècle. Bon nombre d’éléments de construction ont été recueillis dans des niveaux de remblais, renseignant sur les matériaux des maçonneries, le décor et les toitures de cet édifice religieux : silex de teinte bleuâtre et blocs de craie d’origine locale, tuiles et joints de tuile en mortier de chaux, verre à vitre, enduits peints rouge et blanc, dalles et plaquettes en calcaire, élément d’opus sectile en marbre. Quelques lambeaux de sol conservés dans l’angle nord-est de l’enceinte et cinq empierrements sont présents au sud (fig. 6). Ces derniers, fréquents dans ce type de contexte, peuvent correspondre à des bases d’autel ou à des socles destinés à exposer des objets variés.
8Un agrandissement de l’enceinte vers l’ouest marque une nouvelle phase d’aménagement du sanctuaire entre le milieu du ier et la fin du iie siècle (fig. 5, phase III). L’enceinte adopte dorénavant une forme quasi carrée (40 m par 44), plaçant le temple dans le quart nord-est de l’espace agrandi (1 760 m2). Dès lors, le mur occidental préexistant subdivise l’aire sacrée en deux espaces. Aucun vestige ne renseigne sur la fonction de cette nouvelle zone créée à l’ouest, à l’arrière du temple.
Fig. 6. Empierrement en silex aménagé près du temple (cliché : D. Lukas).

Fig. 7. Stèle votive en calcaire (cliché : S. Le Maho).

9Vers la fin du iie ou au début du iiie siècle, l’ultime agrandissement du sanctuaire correspond à une monumentalisation du complexe sacré (fig. 5, phase IV). L’ancienne enceinte est définitivement abandonnée au profit d’un nouveau péribole, plus vaste, qui agrandit sensiblement l’aire sacrée vers l’est. Celle-ci atteint maintenant son extension maximale et couvre 5 600 m2. Sa façade orientale est mise en valeur par la construction d’un bâtiment d’entrée de 184 m2, centré et légèrement en retrait par rapport au mur de clôture. Plusieurs niveaux de remblais y sont conservés, ainsi qu’une fosse à chaux et deux solins en silex. Le temple préexistant se trouve ainsi excentré dans le quart nord-ouest d’une cour étendue, sans doute à vocation communautaire et réservée aux rassemblements des fidèles et à diverses pratiques religieuses. Cette vaste esplanade a livré quelques structures dont deux bacs à chaux relatifs à la construction, quelques fosses de détritus et un puits à eau. Ce dernier, profond de 4,80 m, est aménagé plus ou moins au centre de l’aire sacrée. Son installation n’est pas datée mais il parait légitime, vu son emplacement, d’avancer l’hypothèse d’une appartenance au sanctuaire, du moins dans un premier temps. Son comblement final intervient dans le dernier tiers du iiie ou au début du ive siècle, peut-être durant le démantèlement du sanctuaire.
Activités cultuelles, rites et offrandes
10Beaucoup de questions se posent en ce qui concerne le fonctionnement de ce sanctuaire. Qu’en est-il par exemple des cultes pratiqués dans ce lieu et à quelles divinités s’adressaient les fidèles ? Approcher la nature du culte parait d’autant plus délicat que les sources écrites sont inexistantes. En outre, les gestes et les rites accomplis lors des manifestations religieuses n’ont pas laissé de traces apparentes. Toutefois, on dispose d’indices indirects, tels que des ossements d’animaux étalés sur le sol de la cour ou renfermés dans des fosses au sein du péribole, qui laissent supposer que des repas communautaires, clôturant peut-être des sacrifices, ont eu lieu sur la vaste esplanade précédant le temple. Parmi ces déchets osseux prédominent, jusqu’au iie siècle, des restes de porcins suivis par ceux des ovins (Jouanin, 2014, p. 321-322). Il est intéressant d’évoquer la présence rare d’un os de paon, animal assimilé dans la mythologie romaine à la déesse Junon.
11Le mobilier, qui peut apporter des informations concernant les rites pratiqués dans ce lieu, n’est présent qu’en faible quantité. Ce fait suggère une gestion rigoureuse des objets et un entretien régulier de l’espace sacré et de ses abords. On ne compte ainsi, parmi les nombreuses découvertes numismatiques de ce site (191 pièces romaines), que 20 monnaies contemporaines du lieu de culte, frappées entre les règnes de Claudre Ier et Septime Sévère (Pilon, 2014, p. 286-288). Parmi ce lot, sept monnaies seulement proviennent de l’aire sacrée, les autres ayant été collectées à l’extérieur, en périphérie nord du péribole. La question de leur fonction se pose, sans que l’on puisse apporter une réponse claire : s’agit-il d’offrandes monétaires liées à des rites cultuels, comme celui de la iactatio, ou sont-elles plutôt en rapport avec des activités économiques pratiquées autour du sanctuaire ?
Fig. 8. Objets relatifs au lieu de culte (dessin : S. Le Maho).

12D’autres objets apportent des informations sur l’équipement du sanctuaire mais peu se réfèrent clairement aux pratiques religieuses (Talvas-Jeanson, 2014). En effet, dans de nombreux cas, la distinction est impossible entre les objets à caractère profane, dont certains étaient probablement dotés d’une signification symbolique, et ceux assurément liés au domaine sacré. À ces problèmes d’interprétation fonctionnelle s’ajoutent des incertitudes chronologiques dues à des contextes taphonomiques délicats à interpréter. La plupart des objets proviennent ainsi de niveaux de remblais fortement remaniés au fil des siècles. Nombre d’artefacts pouvant en théorie, de par leur nature, appartenir au lieu de culte, ont été trouvés en dehors de son enceinte, jusque dans le périmètre de l’habitat tardo-antique. Toutefois, une stèle en craie et une figurine en terre blanche peuvent être interprétés comme des offrandes liées aux pratiques religieuses. La première, taillée dans un bloc de craie d’origine locale, peut être considérée comme votive (fig. 7). Sa face visible, très altérée, porte un bas-relief sur fond lisse qui représente un personnage masculin debout dans une niche coiffée d’un fronton triangulaire. À l’image de l’art populaire gallo-romain, le façonnage de cette stèle est sommaire, limité aux traits principaux de l’individu. En ce qui concerne la figurine en terre blanche, il n’en reste qu’un fragment de socle, de forme arrondie et hémisphérique, sur lequel reposent les deux pieds d’une Vénus anadyomène. Il est à noter que de nombreux exemplaires sont par ailleurs connus dans la région normande en contexte cultuel (Blaszkiewicz et al., 1993, p. 150-151).
Fig. 9. Cinq clous de porte décoratifs (cliché : S. Le Maho).

Fig. 10. Éléments de harnachement et de joug (cliché : S. Le Maho).

13À l’image d’autres lieux de culte, celui de Val-de-Reuil a livré quelques accessoires vestimentaires et objets de parure transférés au sanctuaire, peut-être après avoir été portés un certain temps par les dédicants mêmes (Talvas-Jeanson, 2014). Il s’agit notamment de trois fibules en alliage cuivreux découvertes aux abords du bâtiment d’entrée, dans des niveaux attribuables aux ier et iie siècles (fig. 8, nos 1-3). La première, à arc non interrompu, correspond au type Feugère 14b3 (Feugère, 1985, 262) et Riha 4.1 (Riha, 1979, nos 318-347). La seconde, à charnière, possède un arc émaillé de forme rectangulaire avec un pied à tête de serpent (Feugère, 1985, 357, type 26b3 ; Riha, 1979, nos 154-161, type AR 5.17). Comme la précédente, elle est complète et en bon état de conservation. La troisième est une fibule pénannulaire (en forme d’oméga ; Feugère, 1985, 416-423, type 30e2). Elle possède un jonc fin, de section ronde à rectangulaire, et des extrémités repliées sur elles-mêmes vers l’extérieur, formant de véritables spirales. L’ardillon, de section circulaire du côté de l’extrémité pointue et rectangulaire du côté de la fixation, pivote librement sur l’anneau ouvert. La présence de fibules, objets usuels dont l’usage principal relevait du domaine domestique, est fréquemment signalée en contexte cultuel, et leur vocation votive ne fait guère de doute. À l’échelle régionale, de nombreux lieux de culte en ont livré en quantité variable. Rappelons les sept fibules mises au jour à Authevernes, dans l’Eure (Michel, 2014, p. 231), ou encore celles trouvées en grand nombre dans les sanctuaires de Fesques (Canny et Dilly, 1997) et de Eu, Bois l’Abbé (Mangard, 2008), en Seine-Maritime.
14Deux bracelets en alliage cuivreux (Bertrand, 2003, p. 48-49, types 2a3 et 1a1) et deux bagues en fer (Guiraud, 1989, p. 181, type 2a) complètent l’éventail des objets de parure trouvés sur ce site (fig. 8, nos 4-7). L’un des deux bracelets est composé d’un jonc filiforme de section ronde, fermé aux extrémités par deux crochets simples assemblés à un anneau (fig. 8, n° 4). Signalons également, au sein des objets de parure, une épingle en os à tête sphérique (Béal, 1983, p. 189-193, type AXX.7), recueillie en état fragmentaire dans le comblement d’un puits à eau dans la cour du sanctuaire. Parmi les objets contemporains du lieu de culte figure également une pincette en fer découverte en périphérie du temple, dans une fosse scellée dans la seconde moitié du iie ou au début du iiie siècle (fig. 8, no 8). Signalons également la présence de quelques militaria, et notamment trois fers de lance dont un de taille réduite (fig. 8, nos 9-11).
15D’autres objets sont liés à l’ornementation et à l’équipement du sanctuaire, tels qu’une vasque, quelques ustensiles d’éclairage, des instruments d’écriture ainsi que cinq grands clous qui ont dû orner les battants d’une porte de grand gabarit, peut-être celle du temple (fig. 9). Ces clous en fer sont coiffés d’une tôle circulaire et légèrement bombée en alliage cuivreux, les deux parties étant scellées par un alliage composé de plomb et d’étain.
16Un important lot d’éléments de harnachement en alliage cuivreux datés du iiie siècle pourrait appartenir à la dernière phase du sanctuaire (fig. 10). Il comporte 21 appliques de harnais, parmi lesquelles quatre formes se distinguent : le modèle circulaire, le plus courant (14 pièces), des appliques à décor foliacé avec une extrémité en forme de feuille et l’autre hémisphérique (trois pièces), des appliques en forme de pelte fermée (trois pièces) et une pièce en forme de coquille. À cet ensemble s’ajoute un pendant de harnais en forme de lunule et une clochette dotée d’un battant en fer et rehaussée d’un anneau de suspension sur lequel sont conservés des restes d’une lanière en cuir2. Deux autres objets, en alliage cuivreux, correspondent probablement à des éléments de joug. Le premier, vraisemblablement un passe-guide, est composé de deux anneaux jointifs montés sur une bélière en demi-cercle, qui constitueraient peut-être un élément de réunion de plusieurs brides. Le deuxième pourrait correspondre à un cache-joug. Il s’agit d’une pièce hémicylindrique creuse pourvue, à l’intérieur, d’une patte de fixation en forme de U. Ses faces latérales, dont une est fermée et l’autre partiellement ouverte, sont prolongées à leur base par deux petits anneaux de fixation écartés vers l’extérieur. Un autre objet en alliage à base de cuivre pourrait s’apparenter à un élément de joug ou de décor. Il est constitué d’une tige de section carrée à rectangulaire surmontée d’une large collerette bombée et rainurée qui porte un élément en forme de pelte, aux extrémités enroulées en volutes. L’ensemble est rehaussé d’un appendice mouluré. Ce mobilier provient d’une fosse cylindrique (diamètre : 1,40 m ; profondeur : 0,70 m) localisée à une cinquantaine de mètres au nord du mur d’enceinte, en périphérie orientale de l’habitat tardo-antique. Il a été enfoui avec d’autres objets en fer au fond du creusement, ce qui alimente l’hypothèse d’un dépôt volontaire effectué dans le courant du iiie siècle, lors du déclin du lieu de culte. En effet, l’arrêt des activités religieuses peut s’accompagner d’un ensevelissement d’objets appartenant au sanctuaire ; de telles pratiques sont en particulier attestées dans le sanctuaire proche du Vieil-Évreux (Guyard et al., 2012). Quoi qu’il en soit, la volonté de mettre ces objets métalliques à l’abri, peut-être en réponse à une période de trouble et en attente d’une réutilisation ou refonte, est en tout cas manifeste.
Statut du sanctuaire
17Lorsque l’on s’interroge sur le statut et le commanditaire de ce lieu de culte, il semble pertinent de faire un rapprochement avec la grande villa voisine et ses propriétaires, qui étaient peut-être les financeurs de cet ensemble cultuel. Dans ce cas de figure, il s’agirait d’un culte privé initié par une grande famille, probablement sur sa propriété. Toutefois, la fondation du sanctuaire est antérieure à la construction de la villa, datée du iie siècle, et l’occupation modeste qui précède celle-ci paraît peu compatible avec l’hypothèse d’un propriétaire fondateur. Une autre hypothèse s’appuyant sur le découpage administratif du territoire parait également intéressante. Il pourrait ainsi s’agir d’un sanctuaire public implanté en limite de deux cités, celle des Aulerques Eburovices et celle des Veliocasses.
L’habitat de l’Antiquité tardive
Organisation spatiale et morphologie
18Le démantèlement du complexe cultuel, qui suit probablement de peu l’arrêt officiel des pratiques religieuses, intervient dans le courant du iiie siècle et va de pair avec un changement fonctionnel profond du site. Un habitat est aménagé au nord du péribole, alors que le sanctuaire est encore visible ou au moins partiellement en élévation (fig. 11). Ce nouveau pôle domestique s’articule autour de cinq bâtiments qui respectent le périmètre du lieu de culte et adoptent son orientation générale. Celui-ci sert dès lors de carrière pour alimenter en matériaux le nouvel habitat. De nombreux points d’ancrage des pieux en bois de ces édifices ont ainsi conservé des éléments de calage issus du démantèlement de constructions proches en pierre (fig. 12). Cet habitat, en activité durant les iiie et ive siècles, renvoie l’image d’un petit hameau concentrant diverses activités domestiques et artisanales.
Fig. 11. Vestiges de l’Antiquité tardive (DAO : D. Lukas).

19Les cinq bâtiments en bois, qui se distinguent par leur plan et leur superficie, apparaissent sous un épais niveau détritique riche en mobilier (fig. 13). Leur ossature en bois repose sur des poteaux placés dans les angles et sur un nombre variable de renforcements secondaires disposés le long des parois et à l’intérieur des édifices. Dans quatre bâtiments, des pieux, consolidant ou remplaçant des poteaux existants, suggèrent des travaux de réfection répondant à des problèmes techniques intervenus au fil du temps.
20Le plus grand de ces bâtiments (I), de plan rectangulaire, couvre une superficie de 88 m2. Une vingtaine de supports principaux et secondaires subdivisent son espace interne en deux nefs et cinq travées. Au vu du mobilier domestique qu’il a livré, une fonction d’habitat est envisagée.
21Le bâtiment III, à l’ouest du précédent, est de plan carré (6 m de côté) et doté sur le pignon sud d’une avancée triangulaire. Celle-ci porte la superficie totale couverte à 42 m2. À l’image des autres bâtiments, la plupart des poteaux ont conservé des éléments de calage (fragments de tuiles, silex, moellons calcaires…) plaqués contre la paroi des creusements (fig. 12).
22Le bâtiment IV, voisin, possède un plan similaire, rectangulaire, avec quatre poteaux d’angle renforcés au centre de chaque paroi par un montant intermédiaire. La surface couverte atteint ainsi 27 m2, voire près de 33 avec la petite avancée à l’ouest. Quant aux alignements de poteaux au nord de l’édifice, dans le prolongement du mur pignon oriental, ils pourraient s’expliquer par un aménagement léger (clôture, appentis) relié à la façade septentrionale.
23L’excellent état de conservation des points d’ancrage du bâtiment V a permis une lecture aisée du plan trapézoïdal délimité par seize poteaux de dimensions conséquentes. Chacune des parois principales est dotée de quatre pieux, espacés de manière régulière, et l’espace interne est subdivisé par deux poteaux. L’ouverture du bâtiment est signalée par un probable porche de plan trapézoïdal, qui s’appuie au centre sur la façade orientale. La surface globale de cette bâtisse atteint dans cette configuration près de 62 m2 (porche compris).
24Le bâtiment II, érigé à 5 m seulement de l’enceinte nord du sanctuaire, comprend une trentaine de trous de poteaux dont l’agencement et la morphologie pourraient traduire deux états de construction. Dans un premier temps, 12 poteaux délimitent un plan rectangulaire de 47 m2 organisé en deux nefs et trois travées. Les trous de poteaux alignés sur le pourtour nord, ouest et sud du bâtiment pourraient correspondre à des supports de toiture débordante appuyés sur ces murs et formant une galerie couverte. Cependant, la rangée de poteaux au sud pourrait également marquer la paroi méridionale d’un édifice plus large qui couvrirait alors une superficie d’environ 63 m2.
25Plusieurs fonctions sont envisageables pour ces bâtiments (à l’exception du bâtiment I, identifié comme habitation) : habitats secondaires, dépendances agricoles ou espaces abritant des activités artisanales. La datation précise de ces constructions n’est pas possible du fait de leur état d’arasement. On ignore si certaines ont perduré plus longtemps que d’autres, voire les ont remplacées. Leur attribution à l’Antiquité tardive, et plus particulièrement à la seconde moitié du iiie et au courant du ive siècle, ne laisse cependant aucun doute. Ce large horizon chronologique est attesté par une quantité notable de mobilier (céramique, monnaies…), recueillie dans des niveaux et des structures en creux aux abords de ces constructions (Adrian, 2014).
26Autour de ces bâtiments, de nombreux vestiges relatifs aux activités domestiques et artisanales sont conservés (fig. 11) : quatre puits à eau, un fond de cabane, une demi-douzaine de structures de combustion et une vingtaine de fosses de dimensions variables, dont la fonction primaire nous échappe en grande partie. Deux foyers de forge et les vestiges d’un probable bas-fourneau, ainsi que de nombreux résidus métallurgiques, attestent du travail du fer qui est, en particulier, orienté sur la pratique de la forge, et peut-être également tourné vers la réduction (Zaour, 2014). Cet artisanat polluant entraînant de nombreux déchets est pratiqué à l’est du bâtiment domestique, légèrement à l’écart de la zone d’habitat.
Fig. 12. Trous de poteaux avec de nombreux éléments de calage en réemploi (clichés : D. Lukas).

La culture matérielle tardo-antique
27Le mobilier, riche et varié, traduit la pratique de plusieurs activités domestiques et artisanales. De nombreux objets ont été recueillis dans des niveaux de remblais qui scellent le site et, en quantité moindre, dans des ensembles clos. Y figurent des éléments de parure et des accessoires vestimentaires (bague, chape de ceinture…), des objets de toilette (épingle à tête anthropomorphe, fig. 14A ; miroir, palette à fard, rasoir), de cuisine (couteau en fer à manche en os, fig. 14B ; récipients en alliage cuivreux, céramique et verre), de cavalerie et de transport (éléments de harnachement, clochette, moyeu, cerclage…), d’huisserie (clés, grille de porte et fenêtre, chaîne…), de pêche (hameçon, trident) et quelques outils relatifs au travail du bois, du métal et de la pierre (gouge, hache, coin, spatule, foret, poinçon…). Ces objets diversifiés évoquent un établissement doté d’un important degré d’autarcie qui était néanmoins également tourné vers le commerce, comme l’attestent 164 monnaies datées entre le milieu du iiie et fin du ive siècle (Pilon, 2014, p. 288-304). La zone d’habitat a en outre livré un nombre de restes fauniques conséquent (4 100 ossements) autorisant une analyse poussée des données archéozoologiques (Jouanin, 2014). Elle a révélé un spectre diversifié englobant une vingtaine d’espèces. Parmi les principaux mammifères domestiques, les bovins occupent la première place, suivis par les porcs et les caprinés. Les bovins et les ovins, essentiellement des individus de réforme, semblent avoir été surtout exploités pour leur force de travail, le lait et la laine, puis pour leur viande. La diversité d’espèces s’observe particulièrement pour les animaux sauvages, chassés et consommés (cerf, lièvre, sanglier, castor, chat sauvage, chouette, corbeau…).
Fig. 13. Plans des bâtiments tardo-antiques (DAO : D. Lukas).

Fig. 14. A : Épingle en os à tête anthropomorphe stylisée ; B : couteau à manche en os décoré d’ocelles sur les deux faces (clichés : S. Le Maho).

L’habitat dans son environnement régional
28Une des particularités de cet habitat tardo-antique réside clairement dans le fait qu’il se développe en périphérie d’un sanctuaire, probablement en déclin, mais qui guide visiblement encore son installation ou tout au moins son orientation. Cet établissement occupe une place non négligeable dans le paysage régional qui à ce jour n’offre qu’un corpus peu étoffé de sites contemporains. On peut citer l’habitat voisin du « Chemin aux Errants », zone C, toutefois différent par certains aspects, en particulier en ce qui concerne sa configuration spatiale et sa culture matérielle (Adrian et al., 2014 et 2015, vol. 2, p. 418-457). Des parallèles existent également avec les sites de Marcilly-la-Campagne (Hincker, 2002, p. 146-162), de Guichainville, « Le Long Buisson » (Carpentier et Marcigny, 2006, p. 26-89), de Ferrières-Haut-Clocher (Berranger, 2010, p. 99-103), de Poses (Carré dir., 2011, p. 41 et 44, fig. 19), dans l’Eure, et d’Isneauville (Adrian, 2011, p. 230-233), en Seine-Maritime. ■
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Avec les contributions d’Yves-Marie Adrian, Lénaïg Féret, Gaëtan Jouanin, Erwan Leclercq, Denis Lépinay, Serge Le Maho, Fabien Pilon, Dominique Prost, Sandrine Talvas-Jeanson, Aminte Thomann et Nolwenn Zaour.
2 Ces observations ont été réalisées lors de la restauration de l’objet par l’atelier Bell.
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Journées archéologiques de Normandie
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