Courtonne-la-Meurdrac, « Les Hauts de Glos » (Calvados)
Un gisement régional inédit de fosses du Mésolithique ancien et du Néolithique moyen
Courtonne-la-Meurdrac, “Les Hauts de Glos” (Calvados). A unique regional site made up of pits from the Early Mesolithic Age and from the Middle Neolithic Period
p. 49-59
Résumés
La fouille a pour objet principal l’étude de 49 fosses « en Y-V », ou Schlitzgruben, dispersées sur 21 150 m2, soit l’une des plus fortes densités observées en France pour ce type de structure. Plusieurs sont datées du Néolithique moyen. Sept autres fosses atypiques, dont au moins une est datée par radiocarbone du Mésolithique ancien, ont également été mises au jour. Le présent article se propose de faire état des différentes approches engagées à ce stade de la rédaction du rapport.
The main purpose of the excavation was to study 49 “Y-V shaped”, or Schlitzgruben, pits, which are spread out over 21,15 m2, making it one of the densest structures of this type observed in France. Several of them date from the Middle Neolithic Period. Seven other atypical pits, at least one of which was radiocarbon dated to the Lower Palaeolithic Period, were also uncovered. This article outlines the different approaches adopted at this stage of the drafting of the report.
Entrées d’index
Mots-clés : Calvados, Mésolithique ancien, Néolithique moyen, Schlitzgrube, micromorphologie, analyse radiocarbone
Texte intégral
Introduction
1Le projet intervient dans le cadre de l’extension du Parc d’activités des Hauts de Glos, situé en partie centrale d’un vaste plateau encadré par les vallées de la rivière Courtonne au sud et de la rivière Paquine au nord. La carte géologique renseigne un substrat local formé par des loess de couverture décarbonatés, correspondant aux limons de plateaux. Des sondages profonds effectués dans l’environnement du projet suggèrent que l’épaisseur de la séquence loessique peut atteindre par endroits 6 à 7 m et recouvre de l’argile à silex (Flotté et al., 2008). Le niveau de lecture des vestiges archéologiques se situe en moyenne entre 0,5 et 0,9 m sous l’horizon actuel, dans un horizon Bt brun-orangé développé aux dépens des loess weichséliens.
2Les différentes évaluations préventives liées au projet d’aménagement mettent en avant une dispersion spatiale et chronologique importante des archives. Le paysage archéologique autour du projet reste difficile à appréhender, notamment pour les périodes ici concernées. C’est lors de la troisième évaluation (Hérard et al., 2013) que 36 fosses « en V-Y », ou Schlitzgruben, sont mises au jour, sur une surface d’environ 10 ha, une densité inédite pour la région et encore rare à l’échelle de l’Hexagone. La prescription de fouille émise par le Service régional de l’archéologie de Basse-Normandie se focalise en conséquence sur leur étude.
3Atypiques à bien des égards, les Schlitzgruben sont encore aujourd’hui difficiles à cerner. Leur fonction et leur chronologie font l’objet de débats. Le gisement de Courtonne-la-Meurdrac permet d’alimenter ces différentes questions à travers un corpus conséquent et le croisement à une large échelle de différentes études. L’exercice se heurte néanmoins à certaines limites, dont l’absence totale de mobilier dans les comblements.
4La présence de structures en creux d’un autre type, dont au moins une est datée par radiocarbone du Mésolithique ancien, ouvre des perspectives très semblables. La fonction de ces « fosses profondes » n’est pas renseignée. À nouveau, le mobilier fait défaut. Néanmoins, tout comme pour les Schlitzgruben, ces fosses témoignent d’une organisation certaine du territoire, dans un environnement a priori vierge de vestiges qui leur seraient contemporains.
Les Schlitzgruben
Bref historique des recherches liées aux Schlitzgruben
5Les premières mentions remontent au début du xxe siècle, à l’occasion de fouilles d’habitats du Néolithique ancien en Allemagne (vallée du Rhin, Souabe). Le terme de Schlitz (fente) est employé pour la première fois. Les découvertes se multiplient en Allemagne à partir de cette date, sur des sites de même période. Logiquement, les débats s’amplifient. Les interprétations fonctionnelles également, d’autant qu’une caractérisation objective échappe à la sagacité des chercheurs. On évoquera, entre autres, des pièges à gibier, des fosses de tannage (Gerbegruben, tan-pits), de décantation d’argile, de stockage, des trous de poteaux ou des systèmes de barrage défensif. Ces hypothèses, tantôt crédibles, tantôt fantaisistes, peinent à se démarquer les unes des autres. Le débat est relancé au milieu du xxe siècle dans la littérature anglo-saxonne et de nouvelles hypothèses sont proposées, dont la fonction cultuelle (Opfergruben).
Fig. 1. Plan de localisation des fosses-profondes et des Schlitzgruben (document : X. Perrin et R. Collas).

6Par la suite, les chercheurs leur accordent moins d’intérêt, leur présence à l’échelle des gisements étant la plupart du temps très ponctuelle. Les découvertes sont malgré tout régulières, sur un large espace nord-ouest européen, traduisant ainsi un geste d’une ampleur inédite.
7Le phénomène des Schlitz est attribué sur la base du corpus existant au Néolithique ancien et moyen. L’utilisation croissante de la datation par le radiocarbone, permettant à l’origine de pallier l’absence de mobilier datant, a pourtant montré assez tôt que ces fosses existaient pendant tout le Néolithique, voire jusqu’à la fin de la Protohistoire (Achard-Corrompt et Riquier, 2013, p. 34). Cette situation induit un paradoxe intéressant, puisque les carences dans la pleine compréhension du phénomène, à commencer par les questions de fonction, ont été fortes jusqu’à une date très récente. La grande difficulté à appréhender correctement la structure lors de la phase de terrain n’y est sans doute pas étrangère. Difficile à identifier, bien souvent isolée, stérile en mobilier, la Schlitzgrube demeure un objet de curiosité.
8Pour la France, les fosses en « Y-V-W-I-U » sont connues essentiellement dans le nord du pays (Grand Est, Hauts-de-France, Île-de-France, Normandie). En Basse-Normandie, elles sont identifiées dès le début des années 90 à Mondeville (Calvados), dans les fouilles dirigées par V. Renault (Marcigny et Riquier, 2009, p. 73). Les découvertes suivent le développement de l’activité préventive, et sont concentrées sur les plateaux en périphérie de Caen (fouilles d’I. Jahier, Marcigny et Riquier, 2009, p. 73) ou sur celui de Saint-André dans l’Eure (fouilles de G. Guillier, C. Marcigny et V. Carpentier). Les fosses sont rarement datées avec précision.
9À partir des années 2000, on observe une conjoncture favorable liée à l’augmentation des volumes de prescription et des surfaces explorées, à l’implication de nouveaux chercheurs dans une série d’importants projets scientifiques et à l’application de nouvelles avancées en matière d’archéométrie. Cette conjecture relance et renouvelle ainsi le débat (table-ronde de Châlons-en-Champagne en 2011 : Achard-Corrompt et Riquier, 2013). Le parallèle entre les fosses en « Y-V-W-I-U » de Champagne-Ardenne, les « fosses tatanes » de Normandie et les Schlitzgruben outre-Rhin date de cette période. Il en découle l’uniformisation des données et la mise en place d’une méthodologie commune, préalable indispensable à une meilleure compréhension du phénomène.
Les Schlitzgruben de Courtonne-la-Meurdrac
Morphologie
10Les fosses (fig. 1) présentent en surface un contour majoritairement oblong (43 %) ou allongé (33 %). On observe cependant des fosses de plan irrégulier (12 %), circulaire (2 %) ou ovalaire (2 %). D’emblée, on constate donc une certaine hétérogénéité du corpus, sur la base de la morphologie en plan. Les longueurs sont comprises entre 1,05 et 4,2 m, avec une moyenne établie à 3 m et les largeurs entre 0,25 et 2,05 m, pour une moyenne établie à 1 m.
11La caractérisation des Schlitzgruben passe avant tout par la lecture du profil en coupe. En ce sens, la réalisation d’une coupe débordante par quart et/ou transversale est à privilégier. Les fosses de Courtonne-la-Meurdrac présentent classiquement un profil transversal étroit et profond. La forme en Y (fig. 2) est majoritaire (67 %). Le profil en V (fig. 3) concerne seulement 16 % du corpus. Une seule fosse semble correspondre au type en U. Son attribution reste sujette à caution. Pour les autres, le profil n’est pas renseigné.
Fig. 2. Schlitzgrube St 1111, profil en Y (cliché : R. Pansiot).

12Concernant la profondeur, le groupe est assez cohérent : les creusements sont compris entre 0,78 et 2,18 m de profondeur, avec une moyenne établie à 1,3 m.
13Différentes morphologies en plan et en coupe sont donc observées sur ce seul et même gisement. Le croisement de ces informations de base mène à un regroupement en différents types, même si la lecture du profil est privilégiée, et justifie les appellations adoptées (fosse en Y, en V et en U). Sur la base de cette classification, une analyse morphométrique par type est proposée (fig. 4 à 6). Néanmoins, cette analyse ne révèle pas de distinguo particulier. Chaque groupe présente ainsi des éléments de petite, moyenne ou grande taille, et des variantes dans la forme en plan et dans le profil. Ces variations sont difficiles à interpréter à ce stade de l’analyse. La nature du substrat, souvent évoquée pour expliquer une apparente hétérogénéité, y est bien évidement étrangère. L’action de la seule érosion ne justifie pas non plus les variations des profondeurs conservées. D’autres facteurs (position topographique, chronologie, fonction) peuvent dès lors rentrer en ligne de compte, et sont discutés plus en avant. Il faut néanmoins envisager en l’état un corpus homogène, composé de différentes variantes d’un même type de fosse.
Fig. 3. Schlitzgrube St 1043, profil en V (cliché : M. Demarest et C. Lecée).

Comblement
14Si elles ne doivent pas masquer la diversité qui existe dans le détail, de grandes tendances peuvent être observées dans le processus de remplissage. Tous types confondus, le comblement des Schlitzgruben présente classiquement un litage important en partie inférieure (éventuellement en partie intermédiaire), traduisant des phases d’ouverture et de fonctionnement. Cette phase est suivie dans tous les cas d’un apport massif et homogène en partie supérieure. L’importance de cet apport est ici variable. Certains cas extra-régionaux montrent qu’il pourrait correspondre à des apports massifs de terre par l’homme (Moreau et al, 2009, p. 114). À Courtonne, ces indices ne sont pas concluants. Il est possible qu’il existe plusieurs moments au sein de cette étape, ce que les observations macroscopiques ne permettent pas de distinguer. La mise en parallèle des descriptions macroscopiques et microscopiques souligne en effet la difficulté à saisir correctement toute la complexité du processus de remplissage. Les analyses micromorphologiques sont par conséquent déterminantes. Vingt-cinq fosses ont fait l’objet d’un prélèvement en ce sens. Quatre sont en cours d’étude.
Étude de cas : la fosse 1122
15La structure correspond à une fosse en Y (fig. 7). L’analyse micromorphologique porte sur l’encaissant et la totalité de la séquence stratigraphique. Seule la base du comblement sommital est néanmoins abordée. Le remplissage semble se diviser en six étapes, alternant des phases d’ouverture, de fonctionnement et d’abandon. Le fond de la fosse présente des traces de matière organique qui posent la question d’un aménagement en matériaux périssables installé dans le fond et peut-être contre les parois inférieures, juste après la phase de creusement. Le remplissage de la fosse est bien stratifié. Si les parties inférieure et médiane de la fosse ont été comblées relativement rapidement, les trois phases d’interruption observées peuvent correspondre, pour les deux premières, à un temps d’arrêt assez court et pour la dernière à son probable abandon. Ce comblement relativement rapide témoignerait d’une utilisation ponctuelle de la fosse, sur une durée limitée. Le comblement final traduit à nouveau un apport rapide de sédiment contenant de la matière organique et des périodes d’engorgement répétées.
Étude de cas : la fosse 2096
16La structure correspond elle aussi à une fosse en Y (fig. 8). L’analyse micromorphologique porte sur l’encaissant, le fond de la fosse, la séquence inférieure et médiane de la stratigraphie. Cette partie du comblement semble se diviser en dix étapes, alternant là encore des phases d’ouverture, de fonctionnement et de déprise. Comme pour la fosse 1122, le mode de mise en place relativement rapide des apports et la répétition de courtes périodes de déprise suggèrent une utilisation ponctuelle de la fosse sur un temps assez court. Les indices suggérant un coffrage, au moins de la partie basse de la fosse, sont marqués. Ils sont matérialisés par la présence d’un fantôme de fragment organique (bois ?).
17Le remplissage est bien stratifié et se caractérise dans la partie inférieure par des couches limoneuses brun plus ou moins foncé à brun-orangé, dans la partie médiane par une alternance de couches limoneuses plus ou moins hydromorphes et de couches à organisation litée constituées de lits de limons lavés et de lits argileux brun foncé, puis dans la partie supérieure par une couche limoneuse hydromorphe. Deux modes principaux de fonctionnement sont mis en évidence : le premier correspond à des apports d’eau répétés assez conséquents et une proportion élevée de matière organique. Cette phase est suivie d’une période d’interruption dans l’utilisation de la fosse, matérialisée par un remblayage volontaire ou naturel de la structure. Les indices ténus d’un curage entre ces deux remblais attestent de l’entretien ou de la réutilisation de la fosse. Le second mode de fonctionnement, caractérisé par des apports ruisselés, peut soit révéler une utilisation ponctuelle de la fosse, soit traduire un aménagement étanche ou à maillage serré venant obstruer de manière permanente l’ouverture. Des traces d’un aménagement en bois démantelé ont d’ailleurs été observées dans la partie haute, au sommet de la seconde séquence de ruissellements. Ces périodes d’apports ruisselés sont suivies d’une période de désaffectation.
Fig. 4. Rapports longueur/largeur, tous types de profils confondus (document : R. Collas).

Fig. 5. Rapports profondeur/largeur, tous types de profils confondus (document : R. Collas).

Fig. 6. Rapports profondeur/longueur, tous types de profils confondus (document : R. Collas).

Fig. 7. Schlitzgrube St 1122 (cliché : A. Painchault et A. Piolot ; DAO : X. Perrin et R. Collas).

18Après leur abandon, les sédiments des deux fosses montrent une évolution pédogénétique en luvisol, matérialisée par la reprise des processus de lessivage des argiles, significatifs d’une stabilité paysagère suffisamment longue pour permettre le développement d’un couvert végétal protecteur. L’étude micromorphologique permet de constater que cette pédogenèse lessivante est plus marquée dans la structure 2096 que dans la structure 1122, malgré une contemporanéité probable des deux fosses.
Éléments de chronologie
19Les éléments de chronologie disponibles proviennent uniquement de datations radiocarbone, le mobilier étant totalement absent des comblements. Selon leur position stratigraphique, les résultats se comportent comme des indicateurs fiables de datation de la période initiale de fonctionnement de la structure (base du remplissage) ou comme des enregistreurs plus aléatoires des différentes séquences de son comblement, voire de son abandon (partie intermédiaire et sommitale). Dans cette optique, un programme de datations multiples sur une même fosse est proposé. Il permet de nuancer l’aspect aléatoire des résultats ne provenant pas des fonds de fosses et de discuter éventuellement des durées de comblement. Huit Schlitzgruben sont concernés (fig. 9). On observe une très bonne corrélation entre les six premières fosses, dont le comblement intervient a priori durant le Néolithique moyen I, entre 4700 et 4400 cal BC. Le remplissage de la fosse 1107 (type en U ?) semble intervenir entre 4300 et 4100 cal BC. L’ensemble de ces dates traduit ainsi un phénomène inscrit dans la durée. Les deux dates issues de la fosse 1150 (absente de la fig. 9) semblent aller en ce sens, en proposant une phase de comblement très tardive, au cours de l’âge du bronze. Cette information, parfaitement possible au vu de la datation de certains exemplaires extra-régionaux, doit cependant être nuancée par l’unicum qu’elle représente au sein du corpus, et surtout par un résultat contradictoire entre la datation du fond de la fosse1 et celle du sommet du remplissage2.
Fig. 8. Schlitzgrube St 2096 (cliché : M. Demarest et A. Painchault ; DAO : X. Perrin et R. Collas).

Fig. 9. Synthèse des datations radiocarbones se rapportant aux Schlitzgruben (document : R. Collas, d’après les données du Poznan Radiocarbon Laboratory).

Localisation et organisation spatiale
20Le gisement prend place au sein d’une unité géomorphologique de type plateau, en sommet et en haut de versant. On observe ainsi un double pendage du sud vers le nord et de l’est vers l’ouest (fig. 1). L’éloignement du gisement par rapport aux cours d’eau proches, généralement considérés comme marqueurs de milieux anthropisés, est à noter. Cette donnée intéresse également les questions fonctionnelles.
21L’analyse bénéficie de la taille conséquente de la fenêtre d’étude. Divers alignements sont envisagés, sous la forme de fosses parallèles entre elles et disposées irrégulièrement sur des lignes allant de 30 à 70 m de long. On observe également des amas de plus de cinq structures, sans organisation visible. Certaines fosses paraissent isolées.
22Passée cette première lecture, nécessairement simpliste, l’analyse butte sur plusieurs écueils méthodologiques, à commencer par l’impossibilité de définir correctement des groupes (alignements, regroupements ?) sur la seule base des éléments chronologiques. Si les fosses datées se répartissent sur l’ensemble de la surface explorée, leur représentativité implique, paradoxalement, une forme de frein à l’analyse spatiale. En effet, rien ne permet d’affirmer la contemporanéité de l’ensemble des fosses, d’autant qu’au moins l’une d’entre elles (St 1150) semble tardive. Dès lors, d’autres facteurs entrent en ligne de compte, dont la typologie du profil, les orientations, la forme, les dimensions en plan et, dans une moindre mesure, les modes de comblement. On s’interrogera également sur la position des fosses par rapport à la topographie du terrain.
Fonction
23Les principales hypothèses fonctionnelles se déclinent en quatre grands groupes (Achard-Corrompt et Riquier, 2013, p. 58) : une fonction de transformation des ressources (tannage, rouissage, tissage), une fonction de gestion des ressources (stockage alimentaire, chasse), une fonction sacrée et une fonction artisanale. Le débat est ancien, mais malgré un renouvellement important du discours et de la méthode, cette question n’est pas tranchée. L’augmentation exponentielle du corpus national et le croisement de différents types d’analyses fournit des résultats conséquents mais difficiles à déployer à grande échelle. Nonobstant l’absence de preuve matérielle décisive, l’hypothèse qui à ce jour fait consensus est celle de la fonction de piège. Celles de tannage et de rouissage restent néanmoins plausibles. À ce titre, le potentiel informatif des Schlitzgruben de Courtonne-la-Meurdrac est appréciable, puisque l’analyse de la fosse 1122 suggère un mode de fonctionnement en lien avec de l’eau, matérialisé par des apports sédimentaires relativement rapides à l’état boueux. Au-delà des phénomènes naturels, cette récurrence suggère un geste intentionnel, régulier et suffisamment important pour modifier les sédiments. Elle pourrait ainsi traduire une activité nécessitant des apports en eau répétés. Par ailleurs, la proportion élevée de matière organique interroge sur la possibilité d’une activité en lien avec des matériaux périssables ou d’un aménagement organique disposé dans ou à la surface de la fosse. La présence de grains de silex (sub) anguleux et de quelques charbons pose également la question d’une surface d’activité proche, liée à l’utilisation de la fosse. L’analyse de la fosse 2096 va dans le même sens, en suggérant deux modes principaux de fonctionnement. Le premier implique des apports d’eau réguliers et abondants ou des apports naturels d’eau remaniant de la matière organique. Le second, caractérisé par des apports ruisselés, peut révéler une utilisation ponctuelle de la fosse, voire également traduire la présence d’un aménagement de surface. Ces indices renforcent donc l’idée de constructions soignées, couvertes ou semi-couvertes et aménagées avec des matériaux périssables (coffrage ?) en partie inférieure et éventuellement supérieure. Une utilisation périodique et des phénomènes de reprises ou de curage sont à envisager. Cette idée est observée à l’échelle macroscopique sur d’autres fosses. La mise en évidence d’apports intentionnels en eau est l’un des principaux enseignements de l’analyse micromorphologique, à ce stade de l’étude. Si elle ne permet pas de présumer de la fonction, elle sème le doute quant à leur seul rôle de piégeage. Les surfaces d’activité potentiellement proches vont dans le même sens. En lien avec l’eau, l’utilisation la plus évidente serait dès lors artisanale. Force est de constater que si rien ne permet de confirmer cette hypothèse de manière formelle, rien en revanche ne permet de l’infirmer. L’implantation du gisement a priori en dehors de toute zone humide permanente est à discuter.
Les fosses profondes
Morphologie
24On préférera le terme de « fosses profondes » pour les décrire, dans la mesure où la profondeur équivaut ou dépasse la longueur ou le diamètre de l’ouverture. Sans distinction de type, les dimensions de ces fosses varient entre 0,5 et 2,85 m de longueur ou de diamètre. La profondeur varie entre 0,7 et 1,7 m, pour une moyenne établie à 1,35 m. Malgré un corpus assez faible, trois types sont envisagés sur la base de la forme en plan, de la verticalité relative des profils et du creusement à fond plat. Le profil du fond est rehaussé pour certaines fosses d’un surcreusement dont la morphologie est variable, mais dont la forme rappelle un trou de poteau pour les plus gros, voire un piquet pour les plus minces (fig. 10). Ce creusement semble centré par rapport au profil général de la fosse, même s’il est plus évident dans certains cas que dans d’autres. En plan, d’autres surcreusements ont été observés dans au moins deux cas, allant jusqu’à 16 piquets dans le cas de la fosse St 1068. Leur disposition est anarchique et laisse supposer un fond de fosse entièrement occupé. La présence ou l’absence des surcreusements n’est pas interprétée. Elle pourrait éventuellement correspondre à différentes fonctions.
25En définitive, et malgré un corpus réduit, on distinguera les « fosses profondes » :
de plan circulaire ou légèrement ovale, avec un profil cylindrique, un fond plat et un surcreusement éventuel ;
de plan ovale ou ovoïde, avec un profil plus irrégulier, un fond plat et un surcreusement éventuel. La fosse St 2079, faiblement documentée, pourrait correspondre à un troisième type, de plan ovale, avec un profil transversal en U et un fond en cuvette.
Remplissage
26L’étude des processus de remplissage de ces fosses est ici limitée aux observations macroscopiques. Plusieurs colonnes micromorphologiques ont néanmoins été réalisées. Les dynamiques de comblement sont très proches de celles des Schlitzgruben : la stratigraphie est litée et caractérisée par un limon parfois mêlé de poches de loess. Aucun horizon organique n’est observé. Des effondrements de parois, marquant une période de comblement en plusieurs temps, sont observés dans certains cas. La dernière phase de remplissage est caractérisée par un comblement limoneux gris induré, plus ou moins important.
Fig. 10. Fosse profonde St 1079 (cliché : C. Lecée ; DAO : X. Perrin et R. Collas).

Éléments de chronologie
27En l’absence de mobilier, la datation des vestiges repose sur une unique datation radiocarbone (St 10793) et une comparaison morphologique pour les autres fosses. Quoique peu anthropisés, les sédiments du comblement de la fosse 1079 ont ainsi livré des macro-charbons. L’origine (anthropique ou naturelle) n’est pas déterminée et reste sujette à discussion. Cela n’enlève rien à la qualité de l’information obtenue, le prélèvement ayant été fait à la base du comblement. Le résultat permet ainsi de situer les phases initiales du remplissage à une date de 8810 ± 50 BP, soit 8206-7722 cal BC selon une probabilité de 95 %.
Localisation et organisation spatiale
28La relation spatiale entre les différentes « fosses profondes » reste théorique et biaisée par la faiblesse du corpus. Les fosses sont dispersées sur l’ensemble de l’emprise de la fenêtre 1 (fig. 1), avec deux regroupements observés. On notera que ces fosses côtoient les Schlitzgruben. Ce phénomène ne semble pas anodin, dans la mesure ou d’autres gisements extra-régionaux présentent une configuration analogue, comme les sites de Recy (Marne), « Parc de référence, tranche 3 » (fouille Achard-Corrompt, rapport en cours) et de Lesmont (Aube), « Pôle scolaire » (Sanson et al., 2013).
Fonction
29Considérant que les problématiques autour de ce type de structure sont en plein renouvellement, deux principales hypothèses fonctionnelles sont à évoquer à ce stade de l’étude : la conservation des denrées végétales et le piégeage. Ces fosses précéderaient ainsi les Schlitzgruben, qui leur succèdent sur la même emprise avec des dispositions comparables et éventuellement une fonction similaire. Quoi qu’il en soit, ces fosses (a minima la fosse St 1079) sont révélatrices d’une organisation complexe du territoire pour le premier Mésolithique.
Perspectives
30Le gisement de Courtonne-la-Meurdrac s’inscrit dans le débat en cours sur le phénomène des Schlitzgruben en livrant un corpus singulier, ne serait-ce que par le nombre de fosses présentes sur une surface restreinte. Cette configuration ne semble pas pour autant inhabituelle, plusieurs gisements comparables ayant été découverts au cours des cinq dernières années. La compréhension de ce gisement passe donc par l’intégration des données au corpus national et aux différents programmes de recherche en cours pour permettre des comparaisons. L’étude des « fosses-profondes » répond à la même idée. Que ce soit pour l’un ou l’autre de ces types de fosses, le potentiel documentaire s’envisage sous deux angles complémentaires : en tant que réservoir d’information, et par le biais d’études paléo-environnementales, elles permettent d’envisager de manière indirecte un rapport complexe entre l’homme et son milieu pour un secteur géographique où l’acquisition d’archives autres fait défaut. Ces fosses renseignent également une activité non définie au cours du Mésolithique ancien puis du Néolithique moyen. Trois principales hypothèses fonctionnelles sont à évoquer : la conservation des denrées végétales, la fonction de gestion des ressources et la transformation des ressources. ■
Bibliographie
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Notes de bas de page
Auteurs
-
Rémi Collas
Évéha
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Marine Laforge
TRACES
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Irène Béguier
Béguier Irène
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Journées archéologiques de Haute-Normandie. Rouen, 24-26 mai 2013
Luc Liogier (dir.) Nathalie Bolo, Florence Carré et Marie-Clotilde Lequoy (éd.)
2014
Journées archéologiques de Haute-Normandie. Conches-en-Ouche, 5 et 6 juin 2015
Jean-Paul Ollivier (dir.) Nathalie Bolo et Florence Carré (éd.)
2016
Journées archéologiques de Haute-Normandie. Alizay, 20-22 juin 2014
Luc Liogier (dir.) Nathalie Bolo et Florence Carré (éd.)
2015
Journées archéologiques de Haute-Normandie. Évreux, 6-8 mai 2011
Luc Liogier (dir.) Marie-Clotilde Lequoy (éd.)
2012
Journées archéologiques de Haute-Normandie. Rouen, 11-13 mai 2012
Luc Liogier (dir.) Marie-Clotilde Lequoy (éd.)
2013
Journées archéologiques de Haute-Normandie. Rouen, 3-5 avril 2009
François Erlenbach (dir.) Marie-Clotilde Lequoy et Muriel Legris (éd.)
2010
Journées archéologiques de Haute-Normandie. Harfleur, 23-25 avril 2010
Alain Bourdon (dir.) Marie-Clotilde Lequoy (éd.)
2011
Journées archéologiques de Normandie
Rouen, 30 septembre-1er octobre 2016
Jean-Paul Ollivier (dir.)
2018
