1Il y a plus de trente-cinq ans, le conseiller d’État François Gazier s’interrogeait sur les enjeux d’une informatisation généralisée de la section du contentieux et il concluait : « Assurément, l’informatisation de la gestion des dossiers contentieux n’est pas le remède miracle qui permettra à lui seul de faire face à l’accroissement en cours du nombre des affaires à juger. Mais c’est dans la panoplie des mesures à prendre un élément essentiel. Non seulement […] l’informatisation, par les gains en productivité qu’elle permet, apporte sa contribution quantitative à la solution du problème, mais, sans elle, tout laisse à penser que la croissance en nombre et en complexité des tâches du greffe et des secrétariats engendrera rapidement des situations de désordre, d’engorgement et de blocage qui compromettraient le fonctionnement même de la section du Contentieux1. »

2L’heure actuelle est à la dématérialisation. Cette dernière vise à informatiser et, en substituant aux supports classiques des supports informatiques, à passer de la pyramide (de papiers) au réseau (numérique2). La dématérialisation est donc une (r) évolution numérique en marche. Elle irrigue, de plus en plus, toutes les strates administratives : marchés publics, factures, candidatures et même désormais le Journal officiel. La présentation du projet « transformation numérique » par Madame la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, garde des Sceaux, le 6 octobre 2017, ne fait que renforcer l’actualité juridique et judiciaire de cette dématérialisation.

3 En théorie, la dématérialisation, qui s’appuie sur les nouvelles technologies, a toutes les apparences d’une nouvelle pierre philosophale, elle permet des économies d’argent, de papier et de temps pour ceux qui entendent y adhérer. Elle permet notamment la disposition et l’opposabilité de l’information en temps réel. En pratique, d’aucuns critiquent au contraire ses coûts en matériels informatiques adaptés, la complexité de sa mise en œuvre et, paradoxalement, son caractère chronophage. La réalité se situe sans doute à la croisée des chemins de ces deux perspectives diamétralement opposées qui sont pourtant représentatives du sentiment d’adhésion ou de rejet qu’éprouvent ceux qui doivent s’y soumettre.

4Pour autant, les procédures juridictionnelles entendent elles aussi succomber à cette modalité pratique et devenir la justice 2.0. Expérimentée dans de nombreux pays, s’agissant notamment des procédures pénales (Allemagne, Canada, Espagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni), le ministère de la Justice français constatait, à propos de cette dématérialisation procédurale, que « l’étude des démarches engagées depuis quelques années en matière de dématérialisation des procédures pénales laisse apparaître un bilan mitigé dans les pays étudiés3 ». Les mêmes écueils sont souvent soulignés dès lors que l’on s’intéresse à la dématérialisation dans son ensemble : absence de cohérence d’ensemble des supports, cloisonnement des différents réseaux de données, persistance du support papier comme moyen de preuve. À cela, s’ajoutent les réticences des acteurs de la procédure, qu’ils soient magistrats, employés de l’administration judiciaire ou professions libérales.

5Face à la « généralisation du phénomène de la dématérialisation des procédures4 », l’objectif de ce colloque est de faire un état des lieux de la dématérialisation lorsqu’elle est appliquée aux procédures juridictionnelles en prenant pour exemple certaines juridictions civiles, financières et administratives.

6Il s’agit ainsi de dépasser les postures traditionnelles de la dichotomie théorie/pratique, à travers le partage commun des expériences des acteurs du monde judiciaire et de l’analyse des universitaires, de sorte à perpétuer le lien entre le palais et l’école et ainsi favoriser « l’unité du droit ».