Du vendredi 14
p. 135-137
Texte intégral
1Nous mîmes à sec le ruisseau en le faisant passer dans un autre canal afin de le pêcher. Nous y trouvâmes des petites truites et des cabots1. Sur les poissons, de très petits lepas en quantité2. Un insecte ou tarière aquatique fort singulier : c’est un ver qui a des pattes et qui s’enfonce dans un étui formé de morceaux de bois ou de petits cailloux, follicules qui se rapportent comme de la marqueterie par leurs angles, comme les teignes qui s’enveloppent de laine.
2Quant aux lepas de la grosseur d’une tête d’épingle, j’observai quant à leur petitesse que les poissons sont proportionnés à la grandeur du volume d’eau où ils vivent, ce qui ne paraît fondé sur aucune raison connue, puisqu’un petit lepas a autant d’eau dans un petit ruisseau toujours coulant qu’il en a dans les eaux du détroit de Magellan où il devient gros comme un grand ver à ligne.
3Nous trouvâmes aussi des chevrettes3.
4Qu’il est très vraisemblable que ce sont les poissons de l’océan qui ont peuplé les rivières, comme les animaux du continent ont peuplé les îles. Que l’on trouve dans les rivières des deux hémisphères, le lepas, la moule, l’huître, la chevrette, l’écrevisse, anguilles.
5Pépinières de pommiers de huit à dix ans se vendent quinze sous. Pommes de deux sortes pour faire le cidre, douces et amères. Les pommes aigres n’y sont pas employées. Cidre se fait deux fois par an. En août avec pommes hâtives est le moins sain, en octobre est le plus sain. En Angleterre, ne le boivent qu’au bout de deux et trois ans. En Normandie, se garde peu, ce qui vient des pommes pourries, non mûres, cause de maladie. Quantité préférée à la qualité.
6Dans les herbes fluviatiles4 on reconnaît beaucoup d’espèces marines. J’appelle herbes fluviatiles celles qui ne s’élèvent point au-dessus de l’eau, qui appartiennent à la terre où elles poussent des racines, étant en quelque sorte des herbes de rivage comme roseaux, cresson, lentille, pourpier, belle menthe, aulnes semblables par leurs racines rouges et jetées ça et là aux nénuphars, mais celles qui ne s’élèvent point au-dessus, comme filaments verts et cette espèce qui s’attache aux rochers. Toutes celles donc qui croissent dans l’eau des rivières viennent dans la mer.
7Ce ruisseau pétrifie des espèces de pierres formées en larges cornets évasés. Nous en trouvâmes plusieurs de la même forme contenant une demi-pinte5 au moins. Une femme du village en avait ramassé une douzaine dans lesquelles elle donnait à manger à ses poules. La mer pétrifie aussi.
8Ce fonds médiocre ne produisait que des mousses, prêles6, fougères, chardon7. À force de les essarter8 avec petits outils et de les brûler, excellent engrais.
9M. de Marguerie s’étant brûlé approcha son doigt de la chandelle, et la brûlure fut guérie. Remède singulier. Le chevalier a trouvé que les mouches communes au mois de septembre ont toutes des [sucs ?] dans le corps. C’est une [préservation ?] pour l’hiver.
Notes de bas de page
1 Autre nom du chevesne.
2 « Coquillage univalve qu’on nomme aussi Patelle » (Académie, 1762).
3 « On appelle [...] Chevrette une sorte de petites écrevisses de mer, que d’autres appellent Crevettes » (ibid.)
4 « Qui vit, qui croît dans l’eau des fleuves, des ruisseaux, ou sur leurs bords » (Littré).
5 La pinte de Paris valait environ 952 ml.
6 « Plante cryptogame dite aussi queue de rat, qui sert de type à la famille des équisétacées [...]. Prêle des tourneurs, dite aussi queue de cheval ou chevaline » (Littré).
7 « J’étais, il y a quelques années, en Normandie, chez un gentilhomme aisé qui fait valoir lui-même un grand pâturage situé à mi-côte sur un assez mauvais fonds. Il me promena tout autour de son vaste enclos jusqu’à un espace considérable qui n’était couvert que de mousses, de prêles et de chardons. On n’y voyait pas un brin de bonne herbe. À la vérité, ce terrain était à la fois ferrugineux et marécageux. On l’avait coupé de plusieurs tranchées pour en faire écouler les eaux ; mais c’était en vain, rien n’y pouvait croître. Immédiatement au-dessus, il y avait une suite de petites métairies dont le fonds était couvert de gazons frais, planté de pommiers chargés de fruits, et entouré de grands aulnes. Quelques vaches paissaient sous ces vergers, tandis que des paysannes filaient en chantant à la porte de leurs maisons. Ces voix champêtres, qui se répétaient de distance en distance sous ces bocages, donnaient à ce petit hameau un air vivant qui augmentait encore la nudité et la triste solitude de la lande où nous étions » (Études de la nature, Étude septième, dans Œuvres complètes, op. cit.)
8 « Défricher en arrachant les bois, les épines » (Académie, 1762).
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