Chapitre VI. L’engagement professionnel, de la performance au sens
p. 117-133
Texte intégral
1S’il est un fait établi, c’est bien que l’engagement est indispensable à la relation soignante, comme une sorte de socle ontologique sur lequel elle se fonde. Selon Dallaire, l’infirmière doit s’engager de manière intense, cet engagement étant « facteur de croissance à la fois pour elle et la personne avec qui elle interagit » (Dallaire, 2008, p. 89). Les infirmières estiment avoir un sens aigu des responsabilités et du devoir, et souhaitent s’engager en concordance avec les valeurs importantes à leurs yeux, en particulier dans la sphère relationnelle avec le patient. Cependant, cette relation s’inscrit dans un contexte de soin de plus en plus complexe, qui voit la logique de performance et de rendement se substituer toujours davantage à la logique humaniste, dans laquelle s’inscrit largement l’univers des soignants et leur éthique. Pour Levinas, l’éthique précède l’engagement en tant qu’elle représente cette puissance d’interrogation de nos valeurs personnelles et professionnelles qui fonde notre motivation à nous engager. Mais parce que l’engagement prend racine dans ces valeurs qui nous habitent au plus profond de notre être, il constitue aussi une « mise en jeu » de soi qui n’est pas sans risque ni dénué de coût pour l’individu. L’engagement nécessite de pouvoir faire confiance au système et aux personnes qui l’entourent. Or le contexte actuel des soins, marqué par les modes de management issus du courant néolibéral, ne favorise guère la construction de la relation de confiance nécessaire à l’engagement. Qui plus est l’engagement s’inscrit parfois en porte-à-faux avec un monde moderne enclin à privilégier l’immédiateté et une conception hédoniste, tandis qu’il s’incarne, quant à lui, dans une temporalité et implique effort et investissement de soi. Ces différents aspects sont-ils à même d’expliquer la réticence des jeunes générations à s’engager que l’on peut observeraujourd’hui ? Forceestdeconstaterquel’engagementdiminue, y compris dans des professions comme les soins infirmiers, dont l’exercice semble pourtant indissociable d’une forme avérée d’engagement. Nous nous référerons ici aux concepts issus de la psychologie et de la sociologie pour comprendre comment l’engagement ne peut se développer que sur une base de confiance solide. Nous tenterons de voir, en analysant les données d’une recherche sur le sujet, quels sont les ressorts qui permettent à l’engagement de se mettre en mouvement et quels en sont les freins.
1. Un construit complexe et des caractéristiques spécifiques
2L’action, la parole et l’acte sont les ingrédients indispensables à la mise en œuvre de l’engagement imprégné par le contexte sociopolitique et culturel qui l’entoure. Face à la complexité inhérente à ce terme, il arrive que l’on prenne à défaut son contraire pour le définir, à savoir la notion d’indifférence. L’engagement s’exprime alors comme un comportement diamétralement opposé à un comportement indifférent, c’est ce que souligne ici Ladrière (2011, p. 2) : « La conduite d’engagement est un type d’attitude qui consiste à assumer activement une situation, un état de choses, une entreprise, une action en cours. Elle s’oppose aux attitudes de retrait, d’indifférence, de non-participation. » Dans le contexte des soins infirmiers, l’engagement est multifocal. Il se vit, bien entendu, dans la relation au patient, mais également dans la relation avec les collègues proches, avec les autres professionnels, l’institution, ou encore à un niveau plus macro au service de la profession et de l’identité professionnelle. Si l’engagement peut prévaloir plus fortement dans l’un ou l’autre des domaines, il n’en reste pas moins un élément central pour le soignant. Néanmoins, l’histoire de la profession concourt sans doute au fait que l’engagement soit peu thématisé. L’engagement inconditionnel des premières sœurs infirmières se voulait une évidence qui ne justifiait pas de s’y arrêter. Pourtant, avec l’évolution de la société et la professionnalisation des soins, le questionnement apparaît de plus en plus pertinent. Lorsqu’au registre vocationnel se substitue, ou en tout cas se greffe toujours davantage le registre professionnel, l’existence consubstantielle de l’engagement ne peut plus être tenue pour acquise. Il est lui-même marqué par l’évolution des pensées et des mentalités. Aujourd’hui l’engagement souffre d’un mode de pensée attachée avant tout à un certain hédonisme, empreint de relativisme. Cette évolution a pour conséquence de rendre de plus en plus difficilement acceptable l’engagement qui conserve, malgré tout, des aspects contraignants. Et si l’on parle peut-être plus facilement d’implication, c’est sans doute également en raison de la moindre implication personnelle et temporelle véhiculée par la notion. Car si l’on se réfère à l’étymologie, il y a derrière la notion d’engagement une lourde responsabilité personnelle de « mise en gage » de soi, à l’instar du serf qui s’engageait auprès de son seigneur au Moyen Âge, conférant à ce dernier un pouvoir de vie et de mort sur sa personne (Bobineau, 2010, p. 12). On peut bien entrevoir les tensions de cette notion avec les idéaux de liberté et d’autonomie qui prévalent dans notre société moderne. La liberté offerte par la révocabilité est préférée à un engagement qui implique une mise à disposition de soi sur une durée spécifique. Les sociologues apportent un éclairage intéressant sur l’évolution des formes d’engagement dans l’histoire, en particulier durant les cinquante dernières années. D’un engagement quasi naturel dans une corporation ou une communauté jusque dans une large première moitié du xxe siècle, on est passé dans les années soixante-dix à un engagement fortement impliquant, en opposition à l’autorité et aux contraintes institutionnelles, pour aboutir de nos jours à un engagement qui se veut plus distancié (Ion, 2012) et souvent confiné à de petits espaces plus rassurants où l’on se retrouve entre « égaux » (Bobineau, 2010). Avec le rejet de l’autorité, « la morale des Pères » a laissé la place à « la morale des pairs » (Bobineau, 2010, p. 67), et le sens se construit au travers d’échanges parfois éphémères, mais intenses, dans une communauté souvent provisoire, mais qui laisse à chacun la possibilité de s’exprimer et de trouver les réponses appropriées à sa quête du moment. Dans ce sens, Bobineau (2010) évoque plus spécifiquement l’impact des engagements virtuels, en particulier via les réseaux sociaux. Certains auteurs dénoncent le délitement du lien social (Gauchet, 2002), d’autres davantage une transformation des modalités d’appartenance (Bobineau, 2010), mais dans tous les cas on ne peut nier les changements survenus dans les manières dont se vit l’engagement au sein du collectif et dans le champ du travail. Ces changements ne sont pas sans répercussions pour des professions de la relation à autrui, telle la profession soignante. Ces évolutions sont sans doute encore renforcées et accélérées par les modes de fonctionnement d’une société qui prend peu égard aux personnes, justifiant de nouveaux modes de domination des systèmes et institutions sur les personnes à des fins d’efficience et de performance. Ainsi, aux craintes qui peuvent être associées à l’engagement lui-même, s’ajoutent les craintes de voir sacrifiés ses propres besoins humains sur l’autel de la rentabilité. On comprend dès lors l’hésitation que l’on peut avoir à s’engager. L’enjeu est donc de taille et impose de comprendre les différentes facettes de cette mystérieuse notion. L’engagement est un concept complexe et cela explique en grande partie la pénurie de travaux visant à mieux le cerner, tant sur le plan théorique que pragmatique (Duchesne et al., 2005). C’est pour cette même raison que Becker (2006) parle de « concept primitif » en l’évoquant, soulignant par ces termes le caractère sémantiquement flou de la notion. Longuement étudié sous l’angle de la motivation qui semble en être la condition préalable indispensable, Nuttin (2000) perçoit deux facettes à l’engagement qui sont, d’un côté l’aspect conscient et visible s’incarnant dans la mise en mouvement et la prise d’initiative concrète ; et de l’autre la part inconsciente, moins visible, mais dirigée de l’intérieur sous la forme du désir et du besoin. Le besoin ou le désir créent en l’homme cette dynamique spécifique qui va l’inviter à agir sur son environnement dans le but d’atteindre une certaine satisfaction apaisant ainsi le besoin ressenti. L’action réelle résulte de ce processus de motivation que Smith, Sarason et Sarason (1982, p. 265) définissent comme « le processus interne qui influence la direction, la persistance et la vigueur du comportement dirigé vers un but ». Et Houssaye insiste sur le double aspect conscient/ inconscient : « La motivation est habituellement définie comme l’action des forces, conscientes et inconscientes, qui déterminent le comportement » (1993, p. 223). Pour autant, motivation et engagement sont deux concepts bien distincts que l’on ne saurait confondre malgré leur proximité et leur partielle dépendance. En effet, la motivation, insufflée par le désir ou le besoin est première, mais elle n’est véritablement motrice que lorsqu’elle prend vie dans l’engagement qui, lui, en représente l’incarnation concrète. Parfois s’insèrent entre les deux des phases transitoires facilitatrices. C’est le cas, par exemple, de la formation ou de l’apprentissage qui autorisent la motivation initiale à prendre vie dans un comportement spécifique, ayant acquis pour cela les compétences, capacités ou habiletés nécessaires. La motivation première d’un étudiant à soigner ses semblables ne s’incarne vraiment en actes que lorsque celui-ci s’y voit autorisé et habilité à la fois par le contexte et par ses compétences. Cette mise en œuvre, qui tend à combler un besoin ou un désir spécifique, est également source de satisfaction dans son accomplissement. En revanche, sa mise en échec génère une forme de « dissonance cognitive » matérialisée sous la forme d’une tension vive. Cette tension, que Nuttin (2000) nomme « discrépance », invite intérieurement le sujet à tenter de mobiliser toute son énergie pour la réduire, soit par une succession d’actions appropriées, soit, s’il n’y parvient pas, en modifiant alors cognitivement la perception de son besoin. C’est ainsi que certains chercheurs expliquent des comportements de retrait ou de passivité importante comme étant le résultat d’une impossibilité de parvenir à combler ce fossé entre le souhaité et le réel. Dans le registre professionnel, l’absence de satisfaction relative au besoin d’autonomie et de mise en œuvre de ses propres valeurs fait que la personne « peut perdre toute forme de motivation et sombrer dans un état de résignation acquise ou d’amotivation » (Vallerand et Thill, 1993, p. 253). Ce processus semble d’autant plus actuel que les formes d’engagement se sont considérablement modifiées au gré de l’histoire et des évolutions sociétales. Bobineau (2010) distingue trois formes successives d’engagement qui retracent cette évolution. Il identifie la première forme à un engagement de style « communautaire ». Celle-ci, fortement corrélée à la notion d’appartenance, se traduisait par un engagement de fait, conçu comme naturel et avec un certain caractère d’irrévocabilité envers le groupe ou la profession à laquelle la personne adhérait. Mais par la suite, face au déclin des institutions, d’un côté, et au mouvement de libéralisation des mœurs s’accompagnant d’une grande volonté d’autonomie, de l’autre, l’engagement devint d’ordre « contestataire ». Sa force résidait alors dans l’opposition aux autorités et aux institutions en place, elle était mue par une volonté de changer le monde et le rendre meilleur. Néanmoins, la crise économique et les différents conflits sociaux et politiques ont eu raison de cet espoir d’évolution. Le désenchantement face à ce monde incapable de répondre à ces attentes a eu raison des efforts consentis pour résister et tenter de faire advenir une humanité meilleure. S’est alors instaurée une résistance plus passive et un repli vers des sphères plus sécures. L’engagement ne s’exprime plus dans une contestation ouverte, mais se vit dans des espaces « confinitaires » qui offrent une dimension de sécurité et d’où l’on peut facilement s’extraire si on le souhaite. Bobineau (2010) soulève également plusieurs changements majeurs dans la société que sont : la volonté de l’homme de s’autoréaliser et de trouver un accomplissement à travers son travail, de nourrir un besoin de consommation en recourant à une échelle de valeurs plus individualiste, d’être davantage à l’écoute de soi et de voir dans la relation à autrui un aspect pragmatique. Par ailleurs, le rapport au temps et l’accélération des moyens de communication et de transports ont également un impact non négligeable. Car, en effet, selon Ladrière (2011) l’engagement serait composé de trois éléments centraux : l’implication, la responsabilité, mais également le rapport à l’avenir qui sous-entend une idée de durée. Par rapport à l’implication qui est une force motrice puissante, mais ponctuelle, l’engagement se caractérise par une stabilité dans le temps (Hallberg et al., 2007) et entend avoir une influence sur le cours de l’histoire. Les convictions sont autant de forces dynamiques qui orientent vers un idéal à atteindre, mais impliquent un investissement d’une durée minimale. Soutenu par le sentiment de responsabilité, l’engagement est donc un moteur très précieux pour la mise en mouvement de l’homme et sa capacité à faire évoluer le monde qui l’entoure. Sa force réside surtout en cela qu’il mobilise la personne dans son entier, une plus-value qui n’a pas laissé indifférente la psychologie du travail. Certains psychologues, à l’issue de nombreuses études sur l’épuisement professionnel, en sont arrivés à décrire l’engagement comme étant la face opposée au burnout, même s’il ne s’y réduit pas, ce dernier relevant d’un construit plus complexe (Schaufeli et Salanova, 2012). L’engagement comporte avant tout une dimension positive qui est source d’énergie et de dynamisme. D’où l’intérêt qu’il peut susciter auprès des employeurs.
2. L’engagement au service du management
3La posture d’engagement des salariés a été étudiée dans ses effets par tout un courant de la psychologie et investie par le nouveau management public (NMP) qui en perçoit l’intérêt. En effet, selon les psychologues, l’engagement serait un état affectif et émotionnel d’épanouissement persistant et positif, caractérisé par l’énergie, le dévouement (implication) et l’absorption (imprégnation) (Schaufeli et Martinez, 2002). On retrouve l’implication et le rapport au temps dans la persistance du comportement, comme précédemment évoqué. Mais on retrouve ici également la dimension affective et positive communicative. À cela, Schmidt et Hayes (2002) ajoutent comme caractéristique à l’engagement les aspects d’enthousiasme et de lien. En effet, l’enthousiasme peut difficilement se vivre en aparté. Il se transmet et se partage, induisant ainsi une dynamique positive au niveau du groupe. Un partage de valeurs communes et un attachement émotionnel qui donnent à l’engagement son fondement conduisent vers un engagement source d’une identification plus grande avec l’institution.
4Tous les ingrédients sont donc réunis pour obtenir la quintessence des employés lorsqu’ils s’engagent dans leur activité, puisqu’ils répondent à la fois à leurs intérêts propres et à ceux de l’entreprise ou de l’institution qui les emploie. Ils n’hésiteront pas à investir leurs ressources, à fournir des efforts, à montrer de la persévérance dans les difficultés, à mettre une dynamique dans le développement de leurs actions, à s’immerger dans leur travail et à y prendre un plaisir qui sera à son tour source de motivation et d’épanouissement. Il y a donc là un enjeu d’efficience et de pérennité de l’investissement, avec pour conséquence une plus-value certaine pour l’employeur (Bakker, 2008). Dès lors on comprend que l’engagement puisse constituer une sorte d’idéal à atteindre à tout prix, parfois de façon exagérée, et le psychologue Yves Clot explique que l’on « assiste à une démesure de l’engagement ». « Une sorte d’engagement à s’engager, au nom de la performance, de la productivité, de la rentabilité » (Clot, 2006, p. 22). Cette réalité ne serait pas si délicate si elle n’avait pas d’incidence sur la santé psychique et physique des employés. Or nous l’avons vu, les personnes qui s’engagent le font en investissant leurs valeurs et leurs émotions. La définition de l’engagement par Jorro et De Ketele est sans équivoque qui considère l’engagement comme « l’ensemble dynamique des comportements qui, dans un contexte donné, manifeste l’attachement à la profession, les efforts consentis pour elle ainsi que le sentiment du devoir vis-à-vis d’elle et qui donne sens à la vie professionnelle au point de marquer l’identité professionnelle et personnelle » (Jorro et De Ketele, 2013). On perçoit bien ici l’impact de l’engagement jusque dans les sphères les plus intimes de l’identité. Et, comme nous l’avons vu, cet engagement est dépendant des intérêts et des valeurs de la personne, donc du sens qu’elle peut trouver dans sa mise en œuvre. Or, c’est sur ce point que les difficultés apparaissent avec des conséquences potentiellement négatives sur l’engagement. Si, comme nous l’avons vu plus haut, l’individu ne peut satisfaire aux besoins nés de sa motivation à s’engager, il est en quelque sorte dans l’incapacité de vivre ses valeurs et de donner sa pleine expression à sa posture axiologique. Sur la durée, il en résulte une perte de sens qui aura immanquablement des répercussions sur son activité, mais également peut-être sur sa personne. Or si les professions soignantes sont bien connues pour être souvent la cible de l’épuisement professionnel ou du burnout, c’est bien aussi parce que les efforts consentis pour leur activité professionnelle, sous-tendus par le sentiment du devoir à accomplir, ne sont pas en pleine cohérence avec le sens que les soignants souhaitent investir. L’écart entre l’idéal et le réel devient alors un gouffre menaçant qui peut atteindre les professionnels jusque dans leur identité propre. L’engagement, en tant que moteur de l’activité, et particulièrement de l’activité dans les métiers de la relation à l’humain, se trouve au cœur d’un champ de tensions des valeurs peu propice. On assiste, de fait, à un affrontement de valeurs difficilement compatibles, entre d’un côté, sur le versant institutionnel, des valeurs gestionnaires de rentabilité et d’efficience dictées par les difficultés économiques ambiantes, et de l’autre, chez les professionnels, des valeurs d’altruisme et d’humanisme qui s’accordent mal avec les premières, àn cause des contraintes imposées au quotidien. Il y a sans doute une difficulté particulière à faire cohabiter la logique du chiffre avec celle du don. L’être humain a néanmoins besoin de s’engager, c’est-à-dire de donner un sens à son existence. Dans le contexte actuel, il s’agit néanmoins d’une prise de risque importante qui ne pourra se faire que sur la base d’une forme de confiance préalable. Et la confiance devient réellement le socle sur lequel la personne va oser investir ses valeurs et ses émotions.
3. La place centrale de la confiance
5Parce qu’il implique l’être humain dans son intégralité, l’engagement suppose, face aux nombreuses zones d’incertitudes inhérentes à la complexité des relations sociales, une prise de risque qui ne peut se vivre que sur une base de confiance préalable. Or la confiance se vit à différents niveaux qui ne sont pas tous vécus identiquement. De manière générale, la confiance constitue ce socle fondateur du lien social dans ses différentes dimensions et repose sur des normes sociales, des principes éthiques ou encore des grammaires de rationalité suffisamment communes pour permettre le vivre en société. Cependant, forme de croyance en la parole donnée, la confiance tend à connaître un affaiblissement dans certains domaines. Si l’on reprend les niveaux de la confiance tels que décrits par Giddens (1994) : confiance systémique, organisationnelle et personnelle, force est de constater que les deux premiers paliers sont en perte de vitesse. La crise de la confiance s’exprime par une perte des référents communs en termes de valeurs, et menace la cohésion sociale (Karsenty, 2015). La confiance systémique est une confiance a priori dans un système expert sur lequel la personne n’a aucune prise à cause de son caractère abstrait et séparé par une distance à la fois spatiale et temporelle (Giddens, 1994). De son côté la confiance organisationnelle s’exprime envers une organisation, en fonction des relations et interactions que la personne a pu vivre avec cette dernière. Or, le contexte de crise qui sévit depuis quelques décennies, accompagné du dysfonctionnement et du déclin des institutions (Dubet, 2000) constitue une entrave importante à ces formes de confiance plus globales, et on assiste à un repli marqué vers un construit de confiance niché dans les relations de proximité. Elles correspondent à ce que Bobineau (2010) comprend dans la notion d’« espace confinitaire ». La relation de confiance interpersonnelle se déploie sous une forme de pacte qui invite à croire en « la fidélité à la parole donnée » (Ricœur, 1990, p. 148). La confiance n’est pas une option que l’être humain sélectionne ou non, elle est au fondement même de sa nature et, selon l’analyse husserlienne, préalable à toute conscience. En prenant une forme active et en s’inscrivant au cœur des rapports humains, elle rend leur coexistence possible (Chrétien, 2004). Si elle est part inhérente de l’individu et de sa personnalité (Luhmann, 2000), elle est aussi ce fondement qui lui permet d’entrer en action, et donc de s’engager pleinement. Ce premier niveau de la confiance qu’est celui de la relation à autrui est donc essentiel pour l’engagement de chaque personne dans les différentes sphères de son existence. Giddens le souligne en expliquant que « dans la confiance, il y a un puissant besoin psychologique de trouver les autres » :
Dès lors, la confiance au niveau personnel devient un projet, auquel doivent « travailler » les parties concernées, et qui réclame l’ouverture à l’autre. Lorsqu’elle ne peut être contrôlée par des codes normatifs, la confiance doit être gagnée, et les moyens d’y parvenir sont les démonstrations de chaleur et d’ouverture... Les relations sont des liens fondés sur la confiance, cette confiance, n’étant pas donnée, mais travaillée, et ce travail signifiant un mécanisme mutuel de révélation de soi (1994, p. 126-127).
6Il semble à présent que la confiance déçue dans les organisations et systèmes experts, soit à l’origine d’un besoin accru d’une confiance interpersonnelle renouvelée. En effet, différentes études mettent en évidence l’importance centrale de ce lien de proximité dans le fonctionnement social, que ce soit parmi les professionnels (Haberey-Knuessi et Obertelli, 2017), ou parmi les étudiants durant leur formation (Haberey-Knuessi, 2013). Alors que le sentiment d’appartenance institutionnelle diminue et, avec elle, la confiance qui lui est accordée, le rôle central des relations étroites avec les collègues ou avec les pairs se renforce, et devient la condition même de l’engagement autour d’un socle de valeurs communes et d’un sens partagé au sein du groupe.
4. Le dispositif méthodologique ; résultats et discussion
7Dans notre étude, nous avons cherché à mieux comprendre quels étaient les freins à l’engagement des jeunes dans la profession infirmière, mais également de manière plus générale dans leur formation. À partir de la littérature explorée, nous avons émis l’hypothèse de causes diverses à cet engagement frileux. Parmi ces causes, nous avons relevé à la fois un phénomène plus global de repli sociétal, mais aussi des craintes liées à la perte de confiance dans des institutions jadis solides et fiables, ou encore l’apparition de nouvelles configurations des formes d’engagement, insérées au cœur d’espaces spatio-temporels plus restreints. L’analyse des données doit pouvoir confirmer ou infirmer ces hypothèses et nous donner également des pistes de compréhension plus approfondie. Nous avons réalisé cette analyse sur la base d’une catégorisation qui correspond à une théorisation en progression et permet de cerner l’expérience humaine au travers des mots, en construisant avec l’individu le sens qu’il donne à cette expérience et à son vécu. Cette approche phénoménologique permet d’obtenir une certaine compréhension de la réalité dans toute sa subjectivité qui reste entière. Nous avons choisi la méthodologie qualitative à visée compréhensive pour notre étude, la mieux à même, selon nous, d’envisager la complexité des situations ainsi que la singularité des expressions et des expériences. Une petite phase exploratoire de dix entretiens nous a aidés à affiner notre grille d’entretien. Nous avons ensuite opté pour des entretiens semi-directifs, qui offrent à la fois une latitude importante à la personne interrogée pour diriger le chercheur vers des lieux où il n’aurait pas forcément jugé important de conduire son cheminement réflexif, tout en permettant à ce dernier de garder un fil rouge en convoquant les questions essentielles autour de son sujet. Au total, ce sont 54 étudiants en troisième année de formation Bachelor en soins infirmiers qui ont été interrogés, dans des entretiens d’une durée moyenne d’une heure. Les entretiens ont été intégralement retranscrits afin de rendre l’analyse par la catégorisation la plus fiable possible. Nous choisissons de présenter les résultats en les organisant directement sous forme d’une discussion. La nature même de ces résultats invite à une réflexion en trois dimensions constituées chacune de plusieurs points. Une première dimension philosophique nous invite à voir cette problématique sous l’angle d’une évolution des valeurs, tandis qu’une seconde, sociologique, nous invite à observer les différentes évolutions des valeurs et de la culture au niveau de la société plus généralement, alors que la troisième, psychologique, ouvrira la perspective sur l’homme lui-même.
4.1. Dimension philosophique
8Une part importante de la problématique de l’engagement réside dans l’évolution de la pensée et dans la prééminence de valeurs telles que l’hédonisme ou le carpe diem, qui s’accordent difficilement avec la notion d’engagement. Ainsi l’explique une jeune étudiante : « Moi, je peux pas m’imaginer être seulement dans mon travail, il faut que je m’éclate à côté… j’ai besoin d’avoir une vie privée épanouie. » Le travail relève ici d’une fonction avant tout alimentaire et la sphère privée prend une place prépondérante. Sans doute le désenchantement par rapport aux espoirs placés dans une raison toute-puissante, puis dans un progrès technique illimité ont-ils été les instigateurs de formes d’inquiétude et de peurs diverses qui traversent notre société actuelle. Associées au rejet de toute transcendance et à une perte des repères traditionnels, ces peurs se cristallisent sur les menaces potentielles d’un avenir incertain ainsi manifestées : « Je préfère pas penser à l’avenir, ça m’angoisse, je vis au jour le jour, et puis on verra bien ! » Il s’ensuit une centration sur le présent qui devient valeur de référence. Or le temps et l’avenir sont le terreau indispensable à l’engagement. Un dicton populaire l’exprime bien : « L’engagement, c’est construire demain ! » Comment dès lors penser l’engagement dans une société largement ancrée dans le présent et les effets immédiats ? Les inquiétudes qui habitent ce monde incertain conduisent les individus à se centrer sur leurs intérêts et leurs préoccupations : « Quand j’aurai une famille, je veux pouvoir trouver une niche où je peux exercer avec des horaires réguliers, je donne la priorité à ma famille. » Elles les conduisent à centrer leur attention sur des valeurs de satisfaction personnelle qui combleront leurs besoins, au moins sur le court terme. C’est ainsi que cette quête de valeurs hédonistes imprègne à présent toute forme de vie personnelle, mais empiète toujours davantage aussi sur la vie professionnelle et la vie en collectivité. Il devient dès lors difficile d’articuler l’engagement envers autrui qui nécessite une forme de « don de soi », de « mise en gage » et donc de renoncement à soi-même, avec les valeurs hédonistes orientées vers les intérêts personnels. Un étudiant l’exprime très clairement : « Je veux pas sacrifier ma vie privée, de toute façon personne ne me dira merci ! Il faut qu’on pense à nous, parce que c’est pas eux [les institutions] qui vont penser à nous. » On peut percevoir cette évolution au travers de la notion de contrat qui est devenue un élément incontournable dans notre société occidentale, tel que Durkheim et Weber l’avaient annoncé (Durkheim, 2015). Dans le contrat, les parties s’engagent en ayant réfléchi les bénéfices et les coûts. Les coûts, même s’ils sont lourds, sont mesurés à l’aune d’une récompense, que celle-ci soit monétaire ou non : « Les heures sup, je suis pas d’accord d’en faire sans qu’elles soient prises en compte, on nous prend pour des vaches à lait, ça joue pas ! » Cela suppose également que ces coûts connaissent une limite, et l’investissement de la personne ne doit se faire que dans l’espace clos de ces limites. Ce que les étudiants observent ne les pousse donc pas à s’engager. L’un d’eux explique : « J’ai vu des professionnelles qui s’engageaient à fond, elles passaient leur temps libre sur le service, mais elles s’épuisaient et pour finir elles étaient presque victimes du système, parce qu’on profitait d’elles. » Les limites sont comme une forme de protection pour l’individu, en particulier dans un contexte de travail qui voudrait qu’il puisse s’investir sans compter. Mais le contrat, parce qu’il se limite au concret et à la part visible de l’activité, ne saurait réellement rendre compte de l’engagement dans sa complexité.
4.2 Dimension sociologique
9Sur le plan social, la perte de confiance envers les organisations et les systèmes experts est, comme on l’a vu, également source de désengagement. Les formes d’engagement se voient de plus en plus disqualifiées socialement du fait des peurs qui se cristallisent autour d’elles. Là où les institutions sont affaiblies et perdent du crédit, elles peuvent difficilement motiver l’identification et l’engagement des personnes. Avec sincérité, une professionnelle aguerrie se confie :
Avant j’étais fier de dire que je travaille à l’hôpital X, aujourd’hui je ne le dis plus. Je dis : je suis infirmière en chirurgie. En fait, ce qui me motive à me lever le matin c’est de retrouver mes collègues et les patients. Le reste ne m’intéresse plus. Je pourrais être dans un autre hôpital, ce serait pareil, pourtant cela fait 17 ans que je travaille là, mais tout a tellement changé… Avant c’était familial, on se connaissait tous, aujourd’hui on est devenus des étrangers sous un même toit, c’est pas ça qui motive ! Heureusement que l’on a su protéger nos relations dans l’équipe, sinon je serais partie, ça n’a plus d’intérêt.
10Le caractère de plus en plus impersonnel des institutions qui se regroupent en des entités très grandes et anonymes ne favorise pas l’implication des personnes. Elles sont avant tout suspectées de répondre à des objectifs financiers au détriment des personnes, et l’engagement est un facteur favorable à exploiter dans ce sens. Comment dès lors penser l’engagement intimement dépendant de la confiance dans ce contexte politique et économique qui véhicule l’incertain, ou parfois même un sentiment d’usurpation, voire de trahison ? L’engouement de la psychologie organisationnelle pour la notion d’engagement n’est pas anodin. Les personnes engagées sont des cibles privilégiées dès lors qu’elles sont reconnues comme étant rentables parce qu’investies dans leur activité et soucieuses d’effectuer un travail de qualité. Mais ce sont aussi celles qui sont malheureusement le plus passibles de s’épuiser et de tomber malades, car elles sont peu respectueuses de leurs limites. Ce constat est fait par les étudiants aussi : « Cette infirmière, elle était super engagée, mais elle est tombée en burnout. Moi je veux pas en arriver là. » L’engagement est frappé de plein fouet par la mise en œuvre des nouveaux modes de gestion qui placent l’économie au centre de l’activité infirmière, et réduisent la relation de soin à une simple transaction marchande. Mais l’engagement ne se heurte pas uniquement aux contraintes organisationnelles et à la charge de travail. Il devient aussi délétère lorsqu’il s’inscrit à contre-courant de l’éthique de la personne. Les infirmières investissent leurs valeurs et, lorsque celles-ci sont niées ou bafouées par un système dont les objectifs sont purement comptables, il en résulte une perte de sens qui génère une véritable souffrance, laquelle peut se traduire en pathologie dans la durée. Nuttin (1985) rappelle que cet écart entre le projet personnel porté par les valeurs de la personne et le travail réel que celle-ci doit exécuter constitue un facteur central dans la perte de sens, résultant directement de ce phénomène de déliaison entre son idéal et son devoir (Clot, 2008). Sur la durée, cet écart entre l’idéal et la réalité de l’exercice professionnel, va immanquablement avoir des répercussions psychologiques.
4.3. Dimension psychologique
11L’engagement fait peur, car il concerne l’entier de la personne, jusque dans les sphères les plus intimes de sa personnalité. Malmené et parfois instrumenté par les modes de gestion soucieux d’efficience, il est en risque de subir des sollicitations excessives qui seront autant d’atteintes à son intégrité, pouvant le conduire à différentes pathologies. La perception de ces risques, plus ou moins consciente, conduit l’individu à adopter des postures de défense. L’une d’elles consiste à se glisser dans l’armure protectrice de l’indifférence. Certains étudiants en sont conscients et échafaudent déjà des stratégies : « Moi, je sais que comme professionnel, j’aurai peut-être pas le choix. Si cela ne me convient pas, soit je partirai, soit je me protègerai le plus possible. » Il s’agit d’une indifférence qu’il n’a pas choisie a priori, mais qui découle de ce besoin d’autoprotection, un mécanisme qui permet de se protéger des incertitudes de l’engagement et de l’imprévisible qui peut lui être lié (Elias, 1993). Pour autant, cette protection ne lui est utile que de façon temporaire. En effet, sur la durée, cette forme de négation de soi atteint l’individu dans son identité, tant professionnelle qu’individuelle « par la diminution voire la destruction de la capacité d’agir, du pouvoir-faire, ressenties comme atteinte à l’intégrité de soi » (Ricœur, 1990, p. 223). La souffrance ainsi appréhendée constitue une forme d’impuissance qui relève de l’empêchement (Clot, 2008). L’engagement ne peut se penser dans un contexte solipsiste, il est au cœur même des relations sociales, à plus forte raison dans des professions fortement enracinées dans le collectif et orientées vers l’Autre. Une infirmière le confirme : « On peut pas faire ce métier comme on fait serveuse dans un bar. Il y a un lien qui se crée, il y a des gens qui comptent sur nous. » L’engagement commence déjà avec l’écoute de la parole d’autrui, et il prend ensuite corps dans la confiance qui lui est accordée. À partir de cette écoute s’élabore alors une construction de sens qui permet de concrétiser l’action et de la matérialiser. Or, nous nous sommes rendu compte, au travers de toute cette recherche, à quel point le sens jouait un rôle crucial dans l’engagement des personnes. Si l’individu trouve du sens à ce qu’il fait, il va alors être capable de le mettre en mouvement au travers de son engagement. Les étudiants interrogés rejoignent Bobineau (2010), lorsqu’ils affirment que les générations actuelles s’engagent dès lors qu’elles peuvent y trouver du sens : « C’est le sens qu’on donne aux choses et pourquoi on a choisi de faire ce métier qui fait qu’on est engagé » ; et une autre étudiante d’ajouter : « C’est vrai que si j’y vois pas de sens, ben je vais pas m’engager. Donc c’est vrai que s’il y a du sens, il y a aussi un intérêt personnel. » Mais pour que ce sens puisse éclore et se développer, l’individu doit être un minimum en harmonie avec ses valeurs. Dès lors que les valeurs sont bafouées, le sens est discrédité et le professionnel est atteint jusque dans son identité, une identité qui devrait se construire harmonieusement au fur et à mesure de ses expériences. Une professionnelle explique en parlant de ses collègues désabusées, qu’en perdant le sens de leur action, elles perdaient également l’identité professionnelle qui avait suscité leur motivation et leur choix professionnel. Le sens que donne l’individu à son engagement doit donc pouvoir s’intégrer à un schéma de pensées, à des valeurs, à un développement professionnel ou personnel. Si « la construction de sens vise à ordonner une série de faits et d’évènements de manière cohérente » (Karsenty, 2015), il ne peut se construire que dans un collectif par lequel parviennent les informations et qui, par ailleurs, les recueille et les transforme. Or, ce collectif ne peut jouer son rôle que s’il est habité par la confiance. Il serait très réducteur et erroné de ne voir l’engagement que comme contrainte ; si ces conditions sont présentes, il comporte des bénéfices de grande valeur pour l’être humain, car il participe de la construction de leur être intérieur. Dans le domaine professionnel, il contribue à l’affirmation identitaire, jouant un rôle de médiateur entre l’individu et la société. En ce sens, il participe à une forme de reconnaissance sociale (Mucchielli, 2006) et donne à l’individu les moyens d’agir sur son présent et son devenir. Mais parce qu’un engagement mal approprié peut aussi avoir des conséquences potentiellement nuisibles, il est important « de prendre soin de soi pour éviter de s’exposer trop ». La réflexion sur son engagement permet à l’étudiant de cerner ses limites et de réfléchir aux valeurs essentielles sur lesquelles il ne peut transiger sans se renier lui-même. Socrate évoque la connaissance de soi comme une connaissance de ses capacités, mais aussi de ses limites, de ses idées et de ses valeurs. Pour Socrate, cette connaissance de soi constitue ainsi un détour premier vers soi, indispensable à un retour vers l’Autre, et certains étudiants en sont également convaincus : « Pour prendre soin de l’Autre, il faut quand même se soucier de soi… pour être avec l’Autre, il faut d’abord être avec soi. » Ce souci de soi, comme le nomme Foucault, est une façon de s’écarter des chemins tout tracés pour s’interroger, dans une posture critique, sur soi et sur son action dans un processus d’autopoièse sans cesse en évolution, et agissante sur le monde qui nous entoure (Honoré, 2003).
Conclusion
12Les formes d’engagement se sont considérablement modifiées durant les dernières décennies. On ne saurait pour autant le considérer comme une posture passéiste de peu de valeur. L’engagement constitue toujours une puissante source d’énergie portée par la motivation à gagner des causes, à investir ses valeurs dans une voie qui fait sens. Il est donc particulièrement bénéfique pour ceux qui savent en user de manière juste et raisonnée. Dans une société marquée par les injonctions à la performance, l’individu doit savoir s’engager de manière réfléchie et s’ouvrir à l’Autre, tout en ayant préalablement travaillé sur soi, en se connaissant et en pleine connaissance de ses limites pour s’ouvrir au monde en toute sérénité. Il est ensuite indispensable de construire et consolider les chemins de la confiance, dans le lien interpersonnel. Là où la dimension institutionnelle est mise à mal, la perspective dialectique et le dialogue sont d’autant plus indispensables. C’est dans ce dialogue et dans ce débat que pourront se mettre en mouvement les valeurs individuelles et trouver un nouveau sens au sein du collectif qui sera le fondement de l’engagement, enraciné dans le terreau de la confiance. Le dialogue permet la consolidation de l’identité collective et professionnelle (Clot, 2006). Même si l’engagement ne peut pas résonner en parfaite harmonie avec les valeurs que les professionnels souhaitent investir dans les soins, il n’en reste pas moins que la construction d’un sens commun autour d’objectifs acceptés dans un consensus de pairs sera une entrave au découragement et à l’épuisement. Il s’agit pour l’individu de trouver une cohérence malgré les obstacles, et le dialogue permet de mieux faire émerger cette cohérence. À défaut de cette cohérence, la perte de sens porte atteinte à l’engagement, « ultime support qui procure un sens à l’existence dans son ensemble […] » (Savadogo, 2008, p. 60). Rameix (1996, p. 87) souligne qu’« être éthique, c’est accepter et vivre le conflit du bien à faire et du devoir à accomplir… » Mais elle ajoute aussi que le but de l’homme c’est d’accéder à « un monde meilleur qui n’est pas à atteindre, mais à construire ». Il revient donc à l’homme de s’engager pour construire ce sens, d’être acteur pour promouvoir la perspective dans laquelle il inscrit tout son itinéraire de vie, et par là même également son choix professionnel. La satisfaction éprouvée par le soignant est d’autant plus grande que le soin de l’Autre produit du sens pour sa propre existence. Si bien que, selon Bobineau (2010), si l’on comprend le sens, il est possible de comprendre l’engagement et si l’on comprend l’engagement, on peut en dégager le sens. C’est au travers de l’engagement que le sens de l’existence s’incarne dans la réconciliation entre l’individuel et l’universel (Savadogo, 2008).
Auteur
Haute École de santé de Neuchâtel (Suisse).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La pensée critique des enseignants
Éléments d'histoire et de théorisation
André D. Robert et Bruno Garnier (dir.)
2015
L’engagement éthique en éducation et en recherche
Martine Janner-Raimondi et Alain Trouvé (dir.)
2018
Des idées à la réforme
Jean Zay et l’expérience des classes d’orientation (1937-1939)
Jean-Yves Seguy
2019
Le religieux sans la religion
Vivre et éduquer sans absolu ? (1850-1950)
Michel Fabre et Loïc Clavier (dir.)
2019