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De l'état social à l'état des droits de l'homme ?

 | 
Colette Bec

Première partie. Histoire d’un ralliement

Conclusion

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France

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1L’ensemble de ces évolutions juridiques donnent à lire une profonde transformation des représentations, des pratiques et signent un déclassement de l’État dans son rôle instituant. L’action d’une autorité supérieure – l’État – n’apparaît plus comme indispensable dans le processus de construction de la société. Elle apparaît même comme une entrave. On semble lui préférer une confiance aveugle et amnésique en l’efficacité de la dynamique spontanée des libertés individuelles dans une société guidée par une économie elle-même libérée. Mais pour que cette autosuffisance et cette autorégulation puissent se réaliser, il faut que l’État dont les dysfonctionnements majeurs ont été soulignés, mette en cause les compromis sociaux et politiques qu’il avait lui-même contribué à institutionnaliser.

2C’est ainsi qu’il incombe de moins en moins à l’État d’œuvrer à l’élaboration de nouveaux compromis politiques plus adéquats aux nouvelles donnes. Dans ce nouveau cours, son rôle se limite à fixer un cadre que la société civile aurait tout pouvoir de remplir.

  • 1 A. Jeammaud et A. Lyon-Caen, Droit du travail, démocratie et crise en Europe occidentale et en Amé (...)
  • 2 H. Riffault, « Les Européens et la valeur travail », Futuribles, n° 200, juillet-août 1995, p. 30.

3Si cette orientation politique a pu se développer malgré les écueils qui ne cessent de se présenter, c’est que la période est marquée par deux faits très souvent soulignés par les observateurs. D’un côté, la spectaculaire restauration après les événements de 1968 d’une valeur « plus souveraine que jamais : la productivité1 ! » Valeur salvatrice par excellence, la productivité s’impose rapidement dans toutes les familles politiques, comme la solution à la crise. Productivité, croissance sont les deux notions qui doivent réenchanter le futur. De l’autre côté, la confirmation du contenu positif de la valeur travail malgré la montée continue du chômage, malgré l’allongement de sa durée. « À notre époque, le travail n’est ressenti par le plus grand nombre ni comme une aliénation, ni comme une simple transaction commerciale. Il correspond le plus souvent à une implication positive intimement liée au sentiment d’identité personnelle2. » Plus le chômage augmente, plus le travail apparaît comme un bien rare dont la valeur augmente sans cesse.

  • 3 M. Lallement, Les gouvernances de l’emploi, op. cit.

4La position politique selon laquelle il n’y a pas de meilleure réponse à la situation de crise que celle qui vise à mieux armer l’entreprise pour la rendre plus compétitive, rencontre opportunément une crainte sociale généralisée face à un avenir de plus en plus obscur dans lequel seule la menace du chômage s’impose avec quelque clarté. De cette rencontre largement promue par le discours politique qui se présente comme impuissant face à la puissance des « lois économiques », émerge la certitude que le rôle prioritaire, majeur de la politique est d’œuvrer, et ce à n’importe quel prix, à la préservation de l’emploi. C’est ainsi que, sur trois décennies, l’emploi devient dans l’entreprise un nouvel « équivalent général » et de façon plus large va servir de support à l’échange social3.

  • 4 S. Erbès-Seguin, Sociologie du travail, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 1999, p. 75.

5Cette notion d’équivalent général empruntée à Sabine Erbès-Seguin pose que « le champ du négociable est organisé autour d’un équivalent général, c’est-à-dire d’un thème négociable qui, en moyenne période, permet de donner une solution acceptable à tout conflit, en se substituant à des revendications qui ne sont pas négociables pendant une période donnée4 ».

  • 5 S. Erbès-Seguin, Le travail dans la société. Bilan de la sociologie du travail, Grenoble, Presses (...)
  • 6 S. Erbès-Seguin, Sociologie du travail, op. cit., p. 75.
  • 7 M.-L. Morin, G. de Terssac et J. Thoemmes, « La négociation du temps de travail : l’emploi en jeu  (...)

6L’auteur a montré5 comment pendant les Trente Glorieuses « seul le salaire est à la fois central et négociable6 ». Avec la période contemporaine fortement marquée par une déstabilisation du rapport salarial, apparaissent les contours d’un nouvel équivalent général portant sur les conditions de partage de l’emploi. Nombreuses sont les études à avoir confirmé cette hypothèse. C’est ainsi que M.-L. Morin entre autres a montré comment l’emploi a pris place dans les négociations sur le temps de travail et comment il est utilisé dans les transactions. L’emploi devient, écrit-elle, « une valeur d’arbitrage entre enjeux économiques (volume de la production, partage des gains de productivité) et sociaux (conditions de travail, rythmes de vie)7 ».

  • 8 J. Belanger et C. Thuderoz, « La recodification de la relation d’emploi », Revue française de soci (...)
  • 9 Ibid.

7L’emploi acquiert le statut de référent unique dans la définition des pratiques sociales en entreprise. Il est même pour certains auteurs « érigé en principe d’engagement de l’action collective, de mesure et de justification de celle-ci8 ». Dès lors, la défense de l’emploi en tant que bien collectif dont personne ne devrait être exclu, s’accompagne « d’un éventuel sacrifice collectif9 ».

8C’est dans ce contexte de « sacrifice collectif » que sont d’une part, au nom de la « nécessité économique », légitimées l’autonomisation du champ économique et la libéralisation des rapports professionnels. Les conséquences sociales désastreuses en sont ainsi relativisées. C’est dans ce même contexte, d’autre part, qu’est revendiquée, par un État qui renonce à sa position de Tiers instituant, la légitimité d’instaurer des politiques de l’emploi pour ceux que la libéralisation a exclus du marché. La transformation de l’État social est la résultante d’une tension entre une exigence de liberté voulue par les « lois économiques » et celle d’offrir à tout citoyen un travail, condition de la dignité individuelle. Ce dernier, renonçant à sa vocation politique d’émancipation individuelle et collective, endosse l’habit d’un gestionnaire de populations non autonomes, gestion dont nous verrons qu’elle peut rendre ces populations plus dépendantes encore.

Notas

1 A. Jeammaud et A. Lyon-Caen, Droit du travail, démocratie et crise en Europe occidentale et en Amérique, Arles, Actes Sud, 1986, p. 26.

2 H. Riffault, « Les Européens et la valeur travail », Futuribles, n° 200, juillet-août 1995, p. 30.

3 M. Lallement, Les gouvernances de l’emploi, op. cit.

4 S. Erbès-Seguin, Sociologie du travail, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 1999, p. 75.

5 S. Erbès-Seguin, Le travail dans la société. Bilan de la sociologie du travail, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, t. 2, 1988.

6 S. Erbès-Seguin, Sociologie du travail, op. cit., p. 75.

7 M.-L. Morin, G. de Terssac et J. Thoemmes, « La négociation du temps de travail : l’emploi en jeu », Sociologie du travail, n° 2, 1998, p. 199.

8 J. Belanger et C. Thuderoz, « La recodification de la relation d’emploi », Revue française de sociologie, XXXIX-3, 1998, p. 485.

9 Ibid.

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