De l'état social à l'état des droits de l'homme ?
|Première partie. Histoire d’un ralliement
1. L’État dans ses rapports avec l’économie et la société civile
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Priorité à l’économie
1Le retour de l’idéologie libérale ou l’attribution à l’État du rôle d’une simple mise en forme d’une société qui se voudrait autorégulée par une économie de plus en plus autonome est un fait mondial qui a touché en une décennie l’ensemble des pays industrialisés. Mais ses modes d’expression et les voies qu’elle emprunte peuvent être sensiblement différents d’une nation à une autre. La version néo-conservatrice incarnée par M. Thatcher et R. Reagan, par sa radicalité et sa brutalité, est proche de la théorie libérale classique construite autour de la disqualification de l’interventionnisme étatique. Dans ce cas, on se propose de replacer le marché au centre de la vie économique et sociale, par une réduction drastique de la sphère de l’État que ce soit en termes économiques, sociaux ou culturels. « Moins d’État et plus de solidarité familiale », voilà le mot d’ordre commun aux États-Unis et à la Grande-Bretagne malgré des différences importantes dans son application locale.
2Il en est tout autrement en France où le poids de l’histoire tant religieuse que politique et sociale interdit l’imposition de telles mesures extrêmement drastiques. Des raisons historiques – le lien social est perçu comme produit et garanti par l’État – et des raisons culturelles – le catholicisme a laissé dans l’inconscient collectif une certaine méfiance vis-à-vis de l’individualisme, de l’argent et du profit – ont barré le chemin à la « révolution conservatrice » et à ses velléités de transférer le social au marché ou au privé charitable. C’est au nom de la nécessaire modernisation de l’économie et de la société dans son ensemble, que la droite comme la gauche ont développé un programme de mesures pragmatiques allant toutes dans le sens d’un libéralisme accru. Mais ce programme s’accompagne moins d’une réduction de la puissance étatique que d’une redéfinition de sa place et de ses fonctions. À la fin des années soixante-dix, un certain degré de séparation de la société civile et de l’État cesse d’être perçu avant tout comme constitutif de la liberté individuelle à travers la limitation de la puissance publique qu’elle assure. Dans un discours social devenu hégémonique, l’un et l’autre sont déclarés opposés, le recul du second apparaissant comme une nécessité pour la préservation de la première. À tel point d’ailleurs que la liberté – dans ses manifestations diverses, politique, économique, individuelle – semble ne pouvoir se concevoir qu’en dehors de l’État voire contre lui.
- 1 C. Daniel et C. Tuchszirer, op. cit.
3En ce qui concerne la droite, son ralliement au libéralisme date du milieu des années 1960 avant de s’amplifier avec le départ du général de Gaulle (1969). L’État renonce peu à peu à guider l’économie à travers le Plan. L’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing à l’Élysée (1974) marque le début d’une convergence que les socialistes renforceront et déploieront. Convergence entre une libéralisation dans l’ordre des mœurs (loi phare de 1975 sur l’IVG) et une libéralisation dans l’ordre économique (fin du volontarisme planificateur gaulliste). Les grandes entreprises vont vers une plus grande autonomie de leur politique économique. L’État quant à lui renoue de vieilles alliances avec le monde des affaires renonçant à en contrôler la politique. Et pourtant, comme nous l’avons noté, cette adhésion explicite au libéralisme n’interdira pas à l’État giscardien un interventionnisme social sectoriel digne d’une social-démocratie. On assiste en effet à une amélioration globale des droits sociaux que ce soit pour l’indemnisation du chômage1 ou pour les autres champs de la protection sociale. Il est vrai que l’unité d’action syndicale proclamée en juin 1974, une série de conflits sociaux longs et âpres, une lecture de la crise en termes conjoncturels, sont autant d’éléments expliquant sans aucun doute cette inflexion sociale d’un État profondément libéral. D’ailleurs si l’arrivée de Raymond Barre à Matignon (1976) se traduit par une accentuation libérale, l’État ouvre cependant de nouveaux secteurs d’intervention : c’est le même R. Barre qui met en place les premières politiques pour l’emploi des jeunes.
- 2 Une présentation synthétique des mesures économiques par lesquelles la gauche se rallie est propos (...)
- 3 M. Canto-Sperber rappelle même qu’en 1991, au Congrès de l’Arche de la Défense, le parti socialist (...)
4La gauche, dès 1982, reprend ce schéma associant un libéralisme des mœurs (qui culmine avec la création du Pacte civil de solidarité en 1999) et un libéralisme économique2 reposant sur la conviction profonde de l’efficacité du marché tempérée par une prise en charge étatique des coûts sociaux par le biais de politiques sociales. Elle le banalise en l’étendant et en lui donnant un caractère permanent ; elle le légitime même en lui conférant la vertu d’articuler efficacité économique et justice sociale. Elle en propose une version aménagée avec ce qu’on désigne comme un libéralisme social qui ambitionne de conjuguer la réussite économique et un accompagnement social des mutations. Mais ce ralliement n’est pas exempt d’une certaine dénégation. En effet, jusqu’au dernier tiers des années quatre-vingt, les socialistes au pouvoir résistent à assumer pleinement leurs choix politiques. Une action dont ils réfutent la qualification de libérale et une rhétorique dénonciatrice coexistent. Elles rendent les orientations floues : elles hypothèquent le débat démocratique et alimentent ainsi largement l’impuissance, le discrédit politique et l’incapacité à maîtriser les changements économiques et sociaux qui caractérisent la société depuis une trentaine d’années3.
- 4 J. Poperen, Le nouveau contrat socialiste. Socialistes et liberté, Paris, Ramsey, 1985 ; J.-P. Che (...)
5« Le libéralisme, voilà l’ennemi ! », cette formule pourrait résumer sans la caricaturer la doxa socialiste de la première moitié des années quatre-vingt. Il n’est qu’à relire la littérature produite par quelques ténors du moment pour mesurer la violence des invectives et par là même leur force de dénégation4. La dénonciation du libéralisme est un élément largement partagé même s’il peut s’exprimer avec plus ou moins de virulence selon les différents courants, étant nettement moins marqué dans la deuxième gauche. Tout se passe comme si l’anticapitalisme avait laissé la place ou s’était mué en un antilibéralisme, identifiant ainsi socialisme et critique du libéralisme.
- 5 Publié dans le numéro 121 septembre 1987 du journal Le Poing et la rose, p. 14-16.
- 6 M. Savadori, « La gauche par défaut ? », L’événement européen, n° 1, avril 1988, p. 121.
6Un texte résume parfaitement cette posture, celui intitulé « L’imposture du libéralisme » et adopté par le Comité directeur5. Son ton a certainement quelque chose à voir avec l’échec aux législatives de 1986. Le libéralisme qualifié de « leurre idéologique et dogmatique » est dénoncé comme source de « renoncement à l’action et à la connaissance » car avec lui « la raison est priée de renoncer devant un ordre prétendu naturel ». En outre, le libéralisme est accusé de « servir de paravent aux appétits de certains », et Gramsci est appelé au secours lui qui voyait dans l’État « l’ensemble des activités avec lesquelles la classe dirigeante justifie et maintient non seulement sa domination, mais arrive aussi à obtenir le consentement actif des gouvernés ». Enfin parmi les pièges que tendrait le libéralisme figure celui de « faire croire que l’organisation de l’État doit se calquer sur celle de l’entreprise ». Or « l’État est une organisation démocratique, ce n’est pas le cas de l’entreprise ». Ces contradictions, ces changements d’orientations, ont été très souvent pointés. Ils ont même autorisé certains analystes à considérer que la gauche « vit désormais non en positif, mais en négatif. La gauche existe par défaut : elle n’a d’autre identité que le mot qui la désigne6 ».
- 7 Gilles Martinet, « La part de l’utopie », Intervention, n° 16, avril-juin 1986.
7Elle déploie en effet une certaine énergie à masquer ce qu’elle met en œuvre simultanément : le choix de la compétition internationale, de la « grandeur de la France », induisant un « nécessaire » ralliement au libéralisme économique. Les différents euphémismes utilisés par certains (« acquisition d’une culture de gouvernement », « conscience des contraintes de l’exercice du pouvoir7 ») n’y peuvent rien. Le tournant est pris et ce de façon technocratique, sans réel débat, l’évidence de l’efficacité du marché s’imposant.
- 8 Pour une analyse de ces revirements, voir J. Chevallier, « La gauche et la Haute Administration so (...)
8L’histoire de cette conversion, résultat d’une série de revirements sur des questions aussi essentielles que celles de l’État et de l’économie, est maintenant bien connue8. Nous n’en rappellerons schématiquement que quelques éléments et moments essentiels pour saisir cette inversion des rapports entre un pouvoir dont la volonté d’instituer s’évanouit et une société qui pense pouvoir se construire et s’autoréguler à l’abri de tout pouvoir politique.
9En ce qui concerne l’État, l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 ne fait que réactiver une constante historique déjà perceptible avant 1958 et qui s’explique par son degré de proximité à l’égard du pouvoir. Éloignée du pouvoir, la gauche – avec certes des divergences importantes entre le Parti socialiste et le Parti communiste – développe une critique acerbe et radicale ; associée à celui-ci, la gauche devient plus conciliante et se réapproprie une logique politique marquée par la continuité mais qu’elle s’efforce de parer d’un discours et de mesures distinctives.
10Dans l’histoire de ces revirements qui confirme clairement l’hypothèse de la proximité du pouvoir comme variable d’interprétation du positionnement des partis de gauche vis-à-vis de l’État, arrêtons-nous sur ce qui se joue à partir de la fin des années soixante. La préparation de la reconquête du pouvoir dont le programme socialiste (Changer la vie, Flammarion, 1972) et le Programme commun de gouvernement (Éditions sociales, 1972) témoignent, entraîne un durcissement des discours, typique de la culture d’opposition. La notion de rupture est celle qui traduit le mieux leur projet : rupture à la fois avec un État asservi au capital et un capitalisme en voie d’être submergé par un libéralisme triomphant que plus rien ne semble contrarier.
- 9 Derrière ce discours sans nuances, les contradictions sont nombreuses, les ambiguïtés importantes. (...)
- 10 J.-P. Chevènement, « République arrêtée ou république conquérante », Enjeu, avril 1985, p. 32.
11Le Parti socialiste se rallie à une conception instrumentale de l’État qui était celle du Parti communiste français depuis le 15e congrès (1959) : l’État serait au service exclusif de la grande industrie et de la haute finance ; il n’aurait d’autre fonction que d’asseoir la domination du grand capital et ceci tout particulièrement au stade du Capitalisme Monopoliste d’État. Les principaux courants du Parti socialiste (Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste, CERES et le courant mitterrandiste) se réapproprient cette interprétation marxiste, fortement économiciste et instrumentale de l’État dont ils dénoncent le caractère de classe et la soumission aux monopoles. De même, ils empruntent au Parti communiste français une série d’images : les « gros », le « mur de l’argent », « les Maîtres »… qui n’ont pas d’autre fonction que de présenter l’État bourgeois comme un État technocratique, fermé sur une caste de hauts fonctionnaires, méprisant les valeurs du peuple et ayant exclu les citoyens du gouvernement de leur société. Si l’État est l’ennemi, les hauts fonctionnaires qui en sont ses instruments sont tout autant condamnables car ce sont des privilégiés, usurpateurs du pouvoir9. C’est ainsi que s’impose l’idée que « nous n’avons pas seulement à gérer l’État, nous avons à le transformer10 ».
12« Rendre l’État aux citoyens », tel est le mot d’ordre socialiste (P. Mauroy, Déclaration de politique générale, 8-07-1981). Mais cela nécessite au préalable une transformation de sa nature et de son fonctionnement. Il s’agit de transformer l’État bureaucratique voire « despotique » pour le rapprocher des citoyens. Comment ? Seule une démocratisation, tout particulièrement de la Haute fonction publique par une ouverture à toutes les couches sociales paraît être la solution. La garantie de la transformation étatique se trouverait dans l’élargissement du recrutement de ses agents. Or, la stratégie de réforme passant principalement par un renouvellement sociologique du personnel est en fait un quasi-échec.
- 11 Pour une analyse détaillée du renouvellement du personnel politique aux deux Chambres, dans les mi (...)
13Le système de recrutement, formation et carrière des hauts fonctionnaires n’a pas été remis en cause. Il s’agit sans aucun doute d’ajustements aux marges du système plus que de rupture ou d’ouverture réelle. Il est cependant indéniable que s’opèrent des changements parfois importants dans le recrutement des élites politiques. Députés et ministres « boursiers » ne sont plus atypiques. Les hauts fonctionnaires issus de l’École nationale d’administration côtoient désormais un nouveau personnel issu de filières littéraires et souvent enseignant ; des réformes administratives ont ouvert la porte à de nouveaux méritants (troisième voie de l’ENA, loi du 19-01-1983). Ces nouveaux dirigeants ont en commun un engagement militant qui les différencie fondamentalement des élites précédentes. Il n’empêche que les centres essentiels du pouvoir reviennent aux énarques et seuls ceux qui sont issus des grands corps de l’État ont le rang de ministres d’État. Quant aux nouveaux arrivants (parmi lesquels 7 à 10 % viennent du monde syndical, associatif…) des fonctions subalternes dans des ministères peu stratégiques leur sont dévolues11.
- 12 D. Gaxie et M. Offerlé, « Les militants syndicaux et associatifs au pouvoir ? », P. Birbaum, Les é (...)
« Les positions conquises par le personnel sont rarement des positions de premier rang et tous les indices attestent la fragilité de cette conquête. Les victoires électorales de 1981 ont donc favorisé l’ascension exceptionnelle mais marginale d’un personnel marginal dans des positions marginales et précaires. Le temps ne pouvait que favoriser sa marginalisation ultérieure12. »
- 13 La Croix, 27 mars 1980.
- 14 Décret 85-779 du 24-07-1985 et décret 85-834 du 6-08-1985.
- 15 P. Birbaum, « La conception française de l’État et sa construction historique », CFDT Aujourd’hui, (...)
14Si les effets de démocratisation produits par ces mesures sont loin d’être évidents, ils pourraient en revanche avoir participé avec d’autres mesures, à la politisation de la Haute fonction publique tant dénoncée par la gauche quand elle était dans l’opposition. Rappelons rapidement la violence avec laquelle F. Mitterrand dénonçait les pratiques gaullistes, pompidoliennes et giscardiennes de confiscation du pouvoir : « Une fraction gouverne, rafle les places, se partage les prébendes, monopolise l’information, ignore l’opposition, disgracie, épure, mène une rigoureuse lutte des classes13. » Or, au nom d’une stratégie de rupture avec la logique antérieure d’exclusion des représentants du mouvement ouvrier, des leaders associatifs… va se développer une politisation de l’État inégalée. L’augmentation sans précédent des emplois de direction dépendant directement du pouvoir politique14, l’élargissement du tour extérieur et le renforcement de son caractère discrétionnaire, scelle l’abandon par la gauche de l’objectif affiché de « régénération » de la Haute fonction publique. L’équilibre entre professionnalisation et politisation est rompu. La confusion entre les deux s’accentue et se crée une « sorte d’osmose impliquant une certaine remise en question de la fin de l’État lui-même, d’autant plus qu’avec la décentralisation elle-même, d’autres variables s’ajoutent à cette remise en question de la force de l’État dans sa prétention à gérer la société15 ».
- 16 P. Birbaum, La logique de l’État, Paris, Fayard, 1982.
- 17 P. Viveret, « La gauche piégée dans l’État », Projet, n° 166, juin 1982.
- 18 Ibid., p. 670.
15La caractéristique essentielle de cette période semble bien être la coexistence de changements parfois importants dans le recrutement du personnel politique et la persistance de l’emprise du pouvoir étatique sur leur action. Il convient en effet de noter le peu d’impact des caractéristiques sociales et politiques des nouveaux arrivants sur l’exercice traditionnel des fonctions étatiques. Toutes les études montrent au contraire une conformité surprenante qui confirme l’hypothèse de la logique d’un État fort telle que l’a définie Pierre Birbaum16, face aux velléités des nouvelles élites. D’ailleurs celles-ci baissent rapidement pavillon même si certaines d’entre elles continuent à pourfendre l’État et les fonctionnaires. L’État va mettre en œuvre une série de réformes sociales, prévues dans les programmes et engagements précédents, investies alors d’une capacité de rupture et symboles d’une politique de gauche. Et c’est peut-être là que gît le paradoxe le plus important, la contradiction la plus curieuse : les réformes réalisées ou engagées durant la première année le sont grâce à l’initiative même d’un État dénoncé par ailleurs. Des nationalisations au recrutement de fonctionnaires (206 000), on assiste à un élargissement de la sphère publique et à un accroissement de la fonction publique qui ne sont d’ailleurs pas sans inquiéter quelques analystes du Parti socialiste lui-même. C’est ainsi que Pascal Viveret note à l’époque que « la gauche [est] piégée dans l’État17 ». En l’absence d’un mouvement social accompagnant la victoire, en l’absence d’un débat politique et intellectuel indispensable à la démocratie, l’auteur dénonce « une véritable absorption de la société politique de gauche par l’État socialiste ». De façon prémonitoire semble-t-il, il craint le développement d’une incapacité étatique à traiter les contradictions politiques, économiques et sociales croissantes ; une incapacité à faire des choix, l’État se contentant de bricolages, car pour guider le pays, dit-il, « il ne suffit plus de disposer des sommets de l’État et d’une majorité parlementaire. Une nouvelle alliance, politique, sociale et culturelle est nécessaire18 ».
16Mais ce ne sera pas par l’élaboration d’une théorie socialiste de l’État, par la définition d’une nouvelle alliance, par la construction d’un projet politique de société, que ce piège se desserrera. Bien au contraire ce sera par l’abandon de toute velléité de projet collectif autre qu’économique. Une subite volte-face est opérée par le gouvernement Fabius. Elle repose sur trois points qui, malgré des déclinaisons sensiblement différentes selon les auteurs, les modes d’approche et les familles politiques, offrent un socle commun autorisant à parler de libéralisme.
17Il s’agit tout d’abord de l’affirmation présentée comme indiscutable, selon laquelle la liberté d’entreprendre et d’échanger est source d’efficacité économique et par là même de progrès social ; il s’agit ensuite de la conviction explicitement affichée que les libertés individuelles sont productrices d’une dynamique collective portée par la société civile. Découle de là la nécessité absolue et « logique » de limiter la puissance publique au respect et à la gestion de ces libertés. La question de l’État est donc posée comme une question transversale au marché et à la société.
L’État, acteur économique
- 19 B. Manin, « Pourquoi la République ? », Intervention, n° 10, août-décembre 1984, p. 18.
18La première voie empruntée est celle qui conduit à reconnaître explicitement l’efficacité du marché. Il s’agit en effet d’admettre que « la gauche française a trop longtemps différé la reconnaissance de ce fait historique patent : une économie de marché est le système le plus efficace, découvert jusqu’ici, pour la production des biens et l’accroissement de la richesse globale d’une société19 ». Cette reconnaissance du rôle central du marché induit un changement de nature dans la critique adressée jusque-là à l’État. Celui-ci est désormais dangereux moins par son caractère de classe (on va d’ailleurs éviter de parler d’État mais davantage de République) que par le fait qu’il est un frein à la compétitivité.
- 20 Quelques repères : A. Peyrefitte, Le Mal français, Paris, Plon, 1976 ; M. Crozier, État modeste, É (...)
- 21 B. Palier (Gouverner la misère, Paris, PUF, 2002) en a recensé 52 entre 1974 et 2001.
- 22 Celui de P. Rosanvallon tout particulièrement, La crise de l’État providence, op. cit.
- 23 La notion de déréglementation qui fait alors florès est à replacer dans cette perspective.
19La crise de l’État social débouche en effet sur une critique extrêmement violente de l’État lui-même qui, depuis la seconde moitié des années 1970, donne lieu à une abondante littérature20. L’analyse du système de Sécurité sociale elle-même est faite en termes exclusivement financiers. Une succession de rapports21 et quelques ouvrages22 à fort retentissement médiatique participent à fixer ce type de lecture prioritairement économique. Dès lors, l’objectif d’équilibrer les comptes de la Sécurité sociale s’exprimant au travers des différents « plans de redressement » est commun aux gouvernements de gauche et de droite qui vont se succéder. Il s’agit bien de mettre en place des politiques de réduction des déficits sociaux. De victime de la crise, la Sécurité sociale en devient un facteur : les cotisations sociales sont accusées de freiner la compétitivité et d’augmenter le coût du travail, avant d’être tenues pour responsables du chômage. À partir de là, la stratégie politique peut se résumer à un souci général d’allégement des contraintes juridiques et financières23 d’origine étatique.
20Dès 1983, le parti socialiste s’accommode de cette lecture libérale de l’État. Ses analyses peinent à s’en différencier. La déclaration de politique générale de Laurent Fabius est à ce titre fort éclairante (24-07-1983). L’objectif premier du gouvernement est explicitement celui de la modernisation de l’économie « pour livrer la bataille de l’emploi ». Or « toute amélioration réelle de l’emploi passe par une certaine croissance ; toute croissance durable suppose un appareil de production solide […] ; tout appareil de production requiert d’être moderne pour soutenir la concurrence ». Quelles sont les conditions pour réussir une telle modernisation, elle-même préalable à l’emploi ?
- 24 M. Aubry, Le choix d’agir, Paris, Albin Michel, 1994, p. 13.
21Elles sont au nombre de deux et dépendantes l’une de l’autre. Il faut tout d’abord, explique le Premier ministre, « adopter une pratique nouvelle du rôle de l’État ». Faisant référence aux prélèvements obligatoires (impôts et cotisations), il déclare : « L’État a rencontré ses limites. Il ne doit pas les dépasser. » Cette vision purement économiciste du rôle de l’État – celui qui prélève/redistribue et qui donc à partir d’un certain seuil doit s’abstenir – ouvre la porte à l’autre acteur : l’entreprise. « C’est sur les entreprises que repose, pour l’essentiel, la responsabilité de la modernisation. J’ai toujours pensé que c’était la gauche qui était la mieux placée pour réconcilier l’entreprise et la nation. » Quelques années plus tard, Martine Aubry fait écho à L. Fabius en déclarant : « Les Français se sont réconciliés avec l’entreprise. Cette évolution est positive car une société ne vit pas en rejetant ce qui la fait marcher24. »
22Est posé là avec une grande force ce qui sera la base commune de la politique socialiste et de la droite au pouvoir : la clef de la transformation sociale est entre les mains de l’entreprise. On ne sortira de la crise, on ne retrouvera le sens de la victoire (L. Fabius parle de guerre économique), du progrès, que si l’entreprise est en situation de pouvoir se battre, c’est une question de survie de la nation. C’est exactement ce que proclame avec de plus en plus de ferveur le patronat dont le projet ambitionne d’offrir un mode de régulation sociale fondée sur les valeurs de l’entreprise.
- 25 Elie Cohen, « Le “moment Lois Auroux” ou la désublimation de l’économie », Sociologie du travail, (...)
« Le choix de la compétition dans une économie ouverte, la volonté de ramener l’État à ses prérogatives régaliennes, de desserrer le cadre légal et réglementaire, de récupérer la maîtrise du développement, de généraliser le modèle de la négociation avec le salariat plutôt que de se cantonner dans l’application d’une règle produite ailleurs, la promotion des valeurs de l’entrepreneur, du profit comme juge, de l’initiative et de la sanction de l’initiative individuelle : toutes ces orientations […] n’en constituent pas moins […] un corpus de propositions consensuel25. »
23En effet, le modèle de l’entrepreneur réunissant toutes ces qualités, imprègne l’ensemble des discours et des représentations bien au-delà de la stricte sphère de l’économie marchande. Le secteur culturel mais aussi le secteur caritatif humanitaire et bien d’autres encore, sont dès lors portés par ce souffle d’efficacité, de créativité, d’innovation, éléments essentiels de la réussite symbolisée par quelques héros nationaux (B. Tapie).
- 26 Voir sur cette question J.-P. Le Goff, Le mythe de l’entreprise, Paris, La Découverte/essais, 1992 (...)
- 27 A. Riboud, Modernisation, mode d’emploi, rapport au Premier ministre, Paris, Union générale d’Édit (...)
24L’exaltation de l’éthique26 comme valeur essentielle de l’entreprise est le vecteur le plus explicite de cette volonté qui vise à faire de l’entreprise le nouveau centre de l’espace public, le modèle pour l’ensemble des activités sociales, le nouveau pôle de légitimation sociale. Durant les années quatre-vingt, la notion « d’entreprise citoyenne » connaît un succès médiatique considérable. Elle figure en bonne place dans les objectifs et les plans des grands groupes et le rapport d’Antoine Riboud peut être considéré comme le lancement en France de l’appel de ce monde au civisme. Se félicitant du revirement récent de l’opinion en faveur des objectifs de l’entreprise, il souligne cependant la fragilité d’une telle adhésion, d’où la nécessité selon lui qu’ont les entreprises « d’être civiques. […] Faute de solidarité humaine et économique, il y aura un risque de rejet à l’extérieur et de démotivation à l’intérieur27 ».
25C’est ainsi que s’affiche un volontarisme exacerbé qui met en avant la « responsabilité », le « devoir », la « mission ». Il tend à imposer l’idée que le champ d’implication de l’entreprise ne peut pas être restreint à celui de sa fonction première de production. Il s’agit pour faire face à des menaces de démotivation des salariés ou même de contestation, de rééquilibrer le poids respectif des logiques économiques et des logiques sociales. Le thème de la responsabilité sociale de l’entreprise au-delà de son activité marchande, veut exprimer un projet de réarticulation de l’économique et du social. Pour ce faire, l’entreprise doit déployer des modalités diverses d’intervention dans la société.
- 28 F. Périgot, « Réconcilier définitivement l’entreprise et les Français », Dirigeant, n° 3, mars 199 (...)
- 29 M. Le Net, « L’éthique des affaires », La Croix, 12 avril 1989.
- 30 F. Périgot, « Une nouvelle stratégie pour les années 1990 », CNPF, La revue des entreprises, n° 51 (...)
26La justification en est que « l’entreprise, gardienne d’un certain nombre de valeurs d’efficacité et d’humanisme, se veut aussi de plus en plus entreprise citoyenne, d’où les implications de plus en plus fréquentes dans la vie de la cité28 ». Le flou même de la notion d’implication permet à certains de rêver plus grand ; rêver de prendre en charge l’intérêt commun, de se substituer à l’État dans une fonction de régulation des imperfections du marché. Dans une société où « l’État ne croit plus en ses vertus morales, [où] l’école réfute sa fonction civique, [où] la famille fait ce qu’elle peut dans un environnement qui s’abandonne, il reste l’entreprise. […] Elle peut devenir la référence d’une nouvelle morale de vie29 ». Même si nombre de chefs d’entreprises alertent du caractère présomptueux d’une telle ambition, on peut cependant se demander si elle n’est pas l’expression caricaturale d’une tendance avérée au sein du patronat. Tendance que d’autres expriment comme F. Périgot lorsqu’il déclare : « Nous sommes convaincus que l’entreprise est le modèle qui nous permettra d’approcher les nouvelles frontières. Ce sont nos valeurs qui doivent féconder la société française30. » C’est exactement ce que reprendra E. -A. Sellières, président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), lors de son intervention dans la campagne présidentielle d’avril 2002.
- 31 Anni Borzeik, « Avant-propos », Sociologie du travail, n° spécial sur l’entreprise, 3, 1986, p. 23 (...)
27Il est à cet égard tout à fait intéressant de noter ce qui se joue alors sur d’autres scènes, celle des sciences sociales tout d’abord. C’est à ce moment-là que des sociologues du travail entament une stratégie de révision quant à leur approche antérieure de l’entreprise. Jusque-là l’entreprise était posée « comme un cadre, un décor à l’intérieur duquel s’observent […] les mutations technologiques, les stratégies patronales et syndicales, les changements dans l’organisation […] un lieu plutôt qu’un véritable objet d’étude à part entière31 ».
- 32 H. Vérin, Entrepreneurs, entreprise, histoire d’une idée, Paris, PUF, 1982.
28Les raisons d’une telle mise à l’écart sont diverses. Au-delà des clivages internes au champ même de la sociologie (rupture entre la sociologie du travail et celle des organisations), il en est une qui paraît primordiale et qui est de nature essentiellement idéologique : un partage se serait opéré entre l’analyse des organisations et de leurs instances dirigeantes, objet privilégié de la droite et l’étude du mouvement ouvrier, du syndicalisme et des conflits du travail que les sociologues et historiens de gauche auraient investis. Hélène Vérin a bien montré la genèse historique d’une telle disqualification de l’entreprise par ces derniers32. Accusée d’avoir perverti, mis à mal, l’ordre social antérieur tissé de solidarités traditionnelles, au bénéfice de relations dès lors régies par l’argent et le capital – laissant donc vacante la place occupée jadis par les solidarités traditionnelles – l’entreprise est rendue responsable de l’antagonisme social qui a hanté tout le XIXe siècle et une grande partie du XXe.
- 33 Titre emprunté à Denis Segrestin, « L’entrée de l’entreprise en société », Revue française de scie (...)
29Mais les chercheurs en sciences sociales ont eux aussi apporté leur contribution au changement de statut de l’entreprise. Hier lieu de production, d’exploitation et d’aliénation, elle est en passe de devenir aujourd’hui l’acteur principal du combat pour la sauvegarde de l’emploi et donc de la société. La réhabilitation sociale de l’entreprise de plus en plus perçue comme une instance centrale dans la société, s’accompagne d’une réhabilitation scientifique. C’est ainsi que l’entreprise fait son « entrée dans la société33 » devenant dès lors digne d’intérêt scientifique.
- 34 M. Weber, Économie et société, Paris, Plon, 1971, p. 41.
- 35 Ibid.
30Est ainsi peu à peu revisitée l’opposition entre les conceptions communautaire et sociétaire des relations sociales dans les entreprises : celle où « la disposition de l’activité sociale se fonde… sur le sentiment subjectif (traditionnel ou affectif) des participants d’appartenir à une communauté34 » et celle où « la disposition de l’activité sociale se fonde sur un compromis d’intérêts motivés rationnellement (en valeur et en finalité), ou sur une coordination d’intérêts motivés de la même manière35 ». C’est bien cette dernière conception qui s’était imposée en France.
- 36 D. Segrestin, op. cit., p. 468.
« La problématique du progrès social s’est trouvée figée autour d’un invariant idéologique : celui de la reconnaissance de la partition du territoire de l’entreprise entre des systèmes d’intérêts autonomes et que ne liait entre eux aucune surdétermination affective ou symbolique. Le droit social a vu son destin scellé par l’objection morale, réitérée après la guerre, à l’encontre du “communautarisme”. Cette objection morale a fait systématiquement prévaloir le droit de la négociation sur l’encouragement à la cogestion, le droit collectif sur le droit des individus, la représentation organisée des intérêts sur le droit d’intervention dans les affaires de la firme, cependant que l’employeur se voyait installé dans ses prérogatives de propriétaire plutôt que dans son autorité de dirigeant36. »
- 37 Ibid.
31Cela s’est traduit juridiquement par « la carence de tout droit positif de l’entreprise37 ». Tous les projets de réforme de l’entreprise furent, selon ces mêmes auteurs, repoussés car accusés d’ouvrir la voie à une reconnaissance de la communauté d’entreprise. Dans les sciences sociales, le dualisme exclusif, irréductible des deux schémas s’impose et par là même interdit le débat. C’est bien une remise en cause certes minoritaire de cette polarisation idéologico-théorique alors dénoncée par ses adversaires comme stérile, qui s’élabore peu à peu dans un contexte, fortement mais pas seulement, marqué par les lois Auroux. Les travaux de R. Sainsaulieu sur les cultures ouvrières sont reconnus comme ayant ouvert la voie à cette inflexion.
32Mais comme toujours dans les moments de révision de dogmes antérieurs, nombreux sont ceux qui tentent de « tordre le bâton dans l’autre sens » et de basculer vers le terme opposé. C’est ainsi qu’émerge un nouveau management prônant
- 38 Ibid., p. 472-473.
« […] une véritable réunification de la communauté de l’entreprise : il annonce une victoire des valeurs de l’entreprise proprement dites sur les valeurs que celle-ci se contentait jusqu’à présent d’agréger ou de faire cohabiter. L’enjeu consiste à dépasser la gestion du compromis organisationnel pour atteindre des ressorts d’une véritable adhésion institutionnelle. […] Le management d’hier commandait aux dirigeants de s’enquérir de la logique des ouvriers… Le management d’aujourd’hui solliciterait plutôt les ouvriers pour qu’ils s’enquièrent de la logique de leurs dirigeants38 ».
33C’est ainsi que s’élabore au même moment sur une autre scène, un nouveau discours selon lequel les intérêts des entreprises et l’intérêt général sont assimilables, identifiables et que l’État se doit donc de les protéger. Comment ? En permettant que la modernisation pour la compétitivité, clef de la transformation sociale, s’effectue dans un contexte juridique et financier favorable. Dès lors, l’État se voit attribuer un nouveau rôle, celui d’aider l’entreprise à gagner. La déclaration de politique générale de Laurent Fabius explicite le deuil de toute exigence politique à vouloir ébaucher, dessiner les contours de la vie en collectivité, à débattre des finalités de la société. Il réduit sensiblement la légitimité de l’État à orienter la marche de la société. Si soumission de la politique il y a, c’est bien dans ce nouveau cours qu’il faut la chercher et l’analyser. Entendons par soumission non pas la passivité, le retrait, l’inactivité de la politique mais l’abandon par l’acteur politique lui-même de ses propres ambitions au profit d’un rôle d’adjuvant accompagnant la modernisation économique. Ceci lui permet dans certains cas d’instrumentaliser politiquement l’économie car les indicateurs économiques sont devenus les seuls indicateurs politiques dignes d’attention tant sur la scène nationale qu’internationale.
- 39 Pour une bonne critique de cette idéologie, voir J. Généreux, Les vraies lois de l’économie, Paris (...)
34L’ouverture des économies nationales aux marchés mondiaux et la concurrence inter-étatique inhérente à la construction européenne, permettent un retour spectaculaire de la vieille antienne selon laquelle existent des lois économiques naturelles39, indépendantes de toute intervention humaine et politique. Les différentes théories en vigueur (main invisible, équilibre général entre les offres et les demandes…) n’expriment pas autre chose que l’idée d’une sphère autonome dont les transformations intrinsèques s’imposeraient à la société qui a le devoir de les reconnaître et de les accompagner sous peine de s’exposer à de graves dysfonctionnements sociaux et politiques. La notion même de mondialisation souvent utilisée pour évoquer un ailleurs non identifié et par là même toujours menaçant a donné une nouvelle vitalité à cette image. Cette représentation est d’autant plus forte que la politique se la réapproprie en désignant les « nécessités économiques » comme le creuset des décisions politiques. Certes, combien de fois entend-on répéter que l’économie n’est qu’un instrument ? Mais on s’empresse d’ajouter que la marche de notre société est entièrement déterminée par l’extérieur – mondialisation oblige – et que donc, si nous voulons survivre et rester dans la course, nous sommes obligés de nous soumettre aux critères économiques en vigueur. Dès lors quelle légitimité reste-t-il au débat politique, à une réflexion de fond sur la société, à une interrogation sur le pouvoir des hommes à transformer collectivement la société ? Bien ténue, souvent à un niveau second car si la structure sociale est déterminée par l’économie, ne restent au politique que des interventions d’ajustement, de correction quand elles ne sont pas assujetties à des stratégies plus communément électorales. En effet, à aucun moment ces interventions publiques ne doivent modifier les grands équilibres économiques, ce qui pour J.-M. Guéhenno illustre bien la crise de la pensée politique :
- 40 J.-M. Guéhenno, L’avenir de la liberté. La démocratie dans la mondialisation, Paris, Flammarion, 1 (...)
« Ou bien ce qui doit être corrigé est significatif, et on ne voit pas comment les mesures correctives ne le seraient pas elles aussi, ou bien les inconvénients à corriger sont aussi mineurs que les correctifs qu’on leur apporte, et c’en est fini du débat politique : on discute de nuances, non de modèles de société40… »
Consécration de la société civile
35Le deuxième vecteur du ralliement socialiste au libéralisme, c’est la redécouverte et l’exaltation des vertus de la société civile au nom de laquelle la politique de décentralisation prendrait sens. Elle est une voie originale, « socialiste », entre l’approche de « l’État partout » et l’approche de « l’État nulle part », proclame L. Fabius, qui précise : « Nous avons essayé, nous, de retenir une démarche nouvelle et différente. Nous ne voulons pas d’un État omniprésent qui serait par là même un État faible… C’est dans cette perspective nouvelle que s’inscrit cette grande tâche qu’est la décentralisation » (Le Monde, 31-10-1983). Une série de discours fleurissent alors sur « l’autonomie individuelle », « l’action de chaque citoyen », « la responsabilisation individuelle » ou selon lesquels « l’État ne peut pas tout faire », autant d’expressions, d’images appelant à la transformation, la modernisation de la société et à l’initiative de chacun.
36C’est dans un tel contexte que s’impose aux yeux de certains, tout particulièrement mais pas seulement dans les rangs de la « deuxième gauche », la nécessité d’une révision, d’une reconstruction de la doctrine socialiste à l’aune de la pratique politique. Il s’agit d’élaborer une nouvelle philosophie politique devant concilier cette réhabilitation soudaine du marché et de ses contraintes, tout en dénonçant le caractère intolérable de certains de ses effets sociaux. C’est ainsi que simultanément à l’offensive contre l’État et à la glorification de l’entreprise comme moteur de la dynamique sociale, on assiste à la résurrection et à la promotion de deux notions, la République et la société civile. Ces deux notions se posent comme corollaires du mouvement précédemment souligné. L’enseigne de la République légitime la limitation de l’État tout en offrant une démarcation d’avec les partisans de la simple loi du marché, adeptes d’un retour radical à ses exigences. Elle met ainsi la société civile en capacité de pouvoir retrouver la part qui lui revient, celle de se gouverner (autonomie, initiative, responsabilité seront les maîtres mots). Retour au marché, conçu comme lieu par excellence d’expression de la liberté individuelle, lieu où la liberté des échanges est reine, et retour à la société civile dans un cadre républicain vont de pair.
- 41 J. Julliard, « Instantanés », Intervention, n° 10, août-décembre 1984, p. 5.
« Des trois grands acteurs de la vie politique, l’individu, le groupe social, la nation, la gauche avait outrageusement privilégié le second. Voici que le premier fait une rentrée en force dans la société civile, et que le troisième impose de nouveau sa problématique à ceux qui l’avaient oublié. C’est fondamentalement cela que signifie le retour de la République41. »
37C’est par une identification volontiers ostentatoire à la République que les socialistes tentent de sortir de la crise d’identité qui les frappe depuis leur accession au pouvoir. Si le terme de République n’avait pas disparu du registre officiel, il était connoté négativement, pour la gauche marxiste, traduisant la modération politique tant haïe. Or, le retour à la culture républicaine s’impose même au courant marxiste du Parti socialiste, le CERES, qui prend alors le nom de « Socialisme et République ». Son responsable, J.-P. Chevènement, n’hésite pas à opposer deux conceptions de la République :
« La République arrêtée et la République conquérante. La République arrêtée considère qu’en matière de droits, on en a déjà bien assez fait et par la force des choses – qui n’avance pas recule – la République arrêtée tourne à la réaction avant de se faire balayer par elle. La République conquérante, quant à elle, […] se reconnaît toujours en ce qu’elle lutte. »
- 42 J.-P. Chevènement, « République arrêtée ou République conquérante », Enjeu, avril 1985, p. 33.
38Ou bien, autre opposition aussi peu heuristique que la précédente, la République moderne contre la République bourgeoise obligatoirement archaïque : « Le projet de la république moderne est le fils du mariage, au début des années 1980, du Projet socialiste avec la réalité42. »
- 43 « À l’enseigne de la République », Intervention, n° 10, août-décembre 1984, p. 6.
39C’est de façon plus mesurée et plus critique que la deuxième gauche participe à ce renouveau de la référence républicaine. Un certain scepticisme amène même certains de ses membres à se demander si le retour de la République ne constituerait pas « la dernière des modes parisiennes » ou « le refuge des idéologies politiques en voie de décomposition43 ».
40Cette stratégie de réhabilitation et la redécouverte des principes républicains comme principes fondateurs d’une politique démocratique moderne, n’est pas étrangère à une tentative de légitimation de ce brusque changement d’orientation politique. La réactivation de l’idée républicaine doit permettre une formulation spécifique du libéralisme, démarquant par là même les socialistes des libéraux de droite (ceux qu’ils qualifient d’ultra-libéraux) et réinscrire la délicate question de l’État et du marché, dans le cadre consensuel, rassembleur de la chose publique au sein de laquelle tous les groupes sociaux et politiques pourront s’exprimer et participer à la prise de décision.
- 44 B. Manin, op. cit., p. 10.
41Certes, l’accord avec la droite sur la forme du régime est total, mais cela ne veut pas dire, précise-t-on, qu’il y ait accord politique. Cela signifie simplement que « le cadre du conflit cesse peut-être de constituer l’enjeu de ce conflit lui-même. La place des institutions par rapport aux conflits politiques courants et aux clivages partisans se transforme : elles ne peuvent plus être présentées comme la propriété d’un parti, elles semblent désormais ne plus appartenir à personne44 ». Dans une situation ainsi politiquement assainie, il n’y a plus de méprise sur l’objet du conflit, situation par là même pacifiée et le conflit peut retrouver sa vertu démocratique, redevenir moteur de débat et d’inventivité.
- 45 Ibid., p. 15.
- 46 Ibid.
42L’exemple de la République peut en témoigner. Par essence, celle-ci reconnaît qu’au-delà d’une sphère publique, celle des affaires communes objet même du pouvoir politique, il existe une sphère privée dont la gestion revient aux individus eux-mêmes en dehors du pouvoir politique. Il y a donc bien, comme le proclament les libéraux radicaux, une frontière que l’État ne doit pas franchir ; il y a bien accord avec les libéraux sur l’affirmation, la reconnaissance de la liberté individuelle. Mais le point de divergence entre ceux que B. Manin appelle les « libéraux de la règle » (ultra-libéraux : Hayek, Nozick) et les socialistes républicains porte sur la définition et l’emplacement de la frontière. Pour les premiers, la frontière est absolue, infranchissable et rigoureusement déterminable a priori en fonction d’une certaine représentation de la nature humaine. Pour les seconds, cette démarcation conçue comme absolue, immuable, universelle et que ne devrait pas franchir le pouvoir politique pose un double problème. Ne tenant absolument pas compte des circonstances, elle est incapable d’affronter la marge d’indétermination inhérente à la notion d’affaires communes et donc par là même de « faire droit à cette incertitude, à la nécessité d’arbitrages partiels45 ». De plus, elle exclut les citoyens de la décision collective comme si le débat n’était pas essentiel à la préservation des libertés. On voit ainsi où se situerait le clivage entre ces deux approches et, selon l’auteur, la supériorité des principes républicains « qui font une place au caractère inéluctablement incertain de la limite qu’il faut poser à l’action de l’autorité politique. [Cette détermination] nécessairement incertaine et contestable procède de la volonté des citoyens et de la délibération tâtonnante par laquelle elle se forme46 ».
43À ce refus du « libéralisme de la règle » ou « libéralisme du marché » posant une limite qu’il veut absolue entre un domaine privé situé hors du pouvoir politique et un domaine public où le pouvoir peut et doit intervenir, est opposé un libéralisme des contre-pouvoirs (Montesquieu, Tocqueville), des pouvoirs intermédiaires. Dernier emprunt à la tradition libérale, symbolique du processus de libéralisation politique du socialisme, cette nécessité hautement proclamée de contre-pouvoirs indispensables à la préservation de la liberté individuelle. La République a admis le syndicalisme et l’association qui ne faisaient pas partie de ses principes initiaux ; ce qui justifie amplement dans le discours des ralliés la réactivation du phénomène associatif. C’est ainsi que commence, pour le meilleur et pour le pire, l’âge d’or de l’associationnisme. Il n’est pas de notre propos d’analyser les relations du mouvement associatif avec l’État, avec les politiques publiques de tel ou tel secteur et d’en évaluer l’impact. L’année du centenaire de la loi 1901 a vu une multitude d’études s’intéresser à cette question. Ce qui retient notre attention par rapport à l’objet de ce travail, c’est davantage la signification politique de ce retour de l’associatif concomitant de la résurgence de la notion de société civile investie du pouvoir de changement. C’est dans un contexte de crise, tout d’abord de l’État social et donc ensuite de l’État lui-même, d’essoufflement puis de fin des utopies révolutionnaires et enfin de réhabilitation des valeurs privées que se développe l’offensive contre l’État précédemment signalée et qu’est censée exprimer la notion de société civile.
- 47 P. Grémion, « Introduction à une étude du système politique-administratif local », Sociologie du t (...)
44C’est au début des années soixante-dix que le terme connaît un certain regain qui se transforme rapidement en un succès éclatant. Au sein du monde académique, la sociologie des organisations contribue à promouvoir cette notion pour désigner ce qui se joue à la périphérie du système administratif entre administrateurs et notables locaux47. Suivront la même année (1976) deux ouvrages, Un homme en trop de Claude Lefort et L’âge de l’autogestion de Pierre Rosanvallon, qui préparent l’usage médiatique de cette notion à partir des années 1980. L’engouement pour cette notion qui transcende les familles politiques, de la droite contre le « tout État » à la deuxième gauche autogestionnaire et hostile à un socialisme bureaucratique, ne prend toute sa signification que replacé dans son contexte, caractérisé alors par une inversion de la hiérarchie des valeurs. Le « public », représentant légitime de l’intérêt général est accusé avec plus ou moins de nuances, d’être un obstacle, un frein à la liberté. Il est sommé de s’effacer devant un « privé » qui, précédemment jugé, stigmatisé comme lieu des intérêts et égoïsmes individuels, se voit paré de toutes les vertus requises par la modernité. Inutile de préciser que cet usage extensif de la notion n’a œuvré ni à la clarification de son contenu ni à la définition de ses frontières, question pourtant d’une importance politique majeure. Mais de plus cette notion a diffusé une vision manichéenne, bipolaire de l’espace social, significative de l’idéologie libérale. L’espace social serait partagé en deux sphères antagonistes : la sphère publique représentée par l’État lui-même comme lieu de contrainte ; la sphère privée dans laquelle se déploie l’économie, définie comme lieu de la liberté.
- 48 P. Rosanvallon, L’âge de l’autogestion, Paris, Seuil, 1976 et « Que faire de l’État ? », entretien (...)
45La réappropriation par une partie de la gauche du thème autogestionnaire48 renforce le consensus autour de l’idée d’un pouvoir propre de la société civile. Selon cette thématique, l’État tend à être perçu, suivant une logique mimétique, avant tout comme l’expression de la société.
- 49 Dans ses travaux sur la famille (1892), Durkheim souligne clairement un double mouvement de privat (...)
- 50 À tel point d’ailleurs que certains auteurs en viennent à affirmer qu’« organiquement soudés l’un (...)
46Or cette image d’un espace social partagé en deux sphères nettement séparées ne correspond en rien à la réalité. Elle repose sur la négation même de l’ensemble de médiations qui dans une société démocratique s’établissent entre les deux sphères. La représentation politique est sans aucun doute la première de ces médiations qui établit une passerelle entre société et État permettant de penser le tout social au-delà même de cette séparation. De même l’État social n’est rien d’autre qu’un ensemble de médiations explicitement organisées pour permettre à chaque individu de s’émanciper. Cette intime corrélation, cette imbrication49 entre la production de la souveraineté individuelle et le pouvoir social, entre un processus de libéralisation et un processus d’étatisation, est bien ce paradoxe constitutif de nos sociétés que l’idéologie libérale nie ou rejette, lui opposant l’auto-constitution de la société civile. Or, c’est au moment même où le projet d’émancipation individuelle est largement accompli et où la pénétration de la société civile par l’État50 est très forte que ce mythe de l’auto-constitution de la sphère civile connaît une étrange résurrection.
- 51 Bonheur privé, action publique, Paris, Fayard, 1983.
47Il faut se pencher sur le contexte de ce retour en force pour saisir l’enjeu des controverses idéologiques dont il est l’objet, en partant du constat d’A. O. Hirschman51 selon lequel depuis les années soixante-dix, après une période de défense de l’engagement politique, des vertus civiques…, on entre dans une période de repli, de défense de la vie privée et des intérêts individuels.
- 52 H. Arendt, Le système totalitaire, Paris, Seuil, 1972 ; C. Lefort, Un homme en trop, Paris, Seuil, (...)
- 53 D. Lochak, op. cit., p. 72. C’est à ce moment-là qu’est réactivée l’idée d’un tiers secteur et de (...)
48Très schématiquement, la conjugaison de plusieurs éléments peut rendre intelligible ce phénomène. Tout se passe comme si l’État social était victime de son succès. L’individu émancipé qu’il a contribué à construire pense pouvoir alors s’émanciper de son orbite. Il est vrai qu’à partir de la fin des années soixante-dix, l’État apparaît impuissant face aux transformations économiques et sociales. Son autorité en est ébranlée et sa propre conversion au libéralisme va lui être fatale. Il prête ainsi le flanc à la critique de ses dysfonctionnements nombreux et importants, masquant du même coup la dimension positive de son action dans le processus d’émancipation individuelle et d’organisation de la société. Toutes ses interventions sont dès lors dénoncées comme contraintes illégitimes lorsqu’elles ont quelque chose à voir avec une obligation collective. Ce mouvement de libéralisation de la démocratie s’épanouit à un moment où les grands mythes révolutionnaires apparaissent pour ce qu’ils sont, des totalitarismes entendus comme entreprise de destruction de la société civile par un État qui la phagocyte entièrement52. Le thème autogestionnaire qui fait un retour remarqué au milieu des années soixante-dix établit le premier rapprochement d’une partie de la gauche avec le projet libéral : limiter le pouvoir de l’État et reconnaître aux individus le pouvoir de changer leur vie et à terme la société et ce en grande partie par le biais d’associations volontaires, de volontés associées. « L’association est de plus en plus présentée comme l’outil par excellence d’un mode de régulation qui ne serait ni le politique, ni le profit53. »
49Les ingrédients essentiels sont réunis pour faire de la régénération de la société civile (par le biais d’une organisation associative notamment) la solution aux problèmes de la fin du siècle. Opposer la liberté de la société civile à la contrainte étatique devient la nouvelle doxa commune aux grandes familles politiques. Cependant ce ralliement aux vertus de l’association s’exprime à travers un large nuancier qui va de la droite centriste à la gauche associationniste. Il peut traduire, comme c’est le cas au moins durant les années 1980, un effort pour maintenir un idéal socialiste de justice car le ralliement au marché est loin de se traduire par une adhésion unanime et aveugle à ses vertus supposées régulatrices.
50C’est toujours dans la comparaison avec les « libéraux radicaux » que se discernent le trait distinctif et l’empreinte socialiste. Ces derniers ne partagent pas l’idée d’une société de marché parfaite qui leur semble une fiction. Certes, le marché relève de l’activité privée, et à ce titre, il doit jouir d’une certaine liberté indispensable à l’accroissement de la richesse globale de la société. Certes, le marché est perçu comme le mode d’organisation économique compatible avec la philosophie républicaine de séparation des deux sphères mais à condition que l’on reconnaisse que la limite entre les deux n’est pas immuable et que la vie économique relève aussi en partie de l’intérêt commun. En effet, certains effets de la libre concurrence sont contraires à l’idée républicaine impliquant que les individus aient une certaine maîtrise de leur vie et de leur destin. La phrase rituelle selon laquelle « le marché n’est qu’un instrument » résume l’idée que des interventions publiques peuvent être rendues indispensables au nom de la justice sociale, valeur de gauche par excellence.
- 54 B. Manin, op. cit., p. 25.
51La question qui se pose alors concerne la définition politique et philosophique de la justice sociale à partir de laquelle et en fonction de laquelle doivent être pensées les interventions. Aucun débat de fond n’est amorcé sur ce que devrait être dans une société démocratique la justice sociale. Là encore une formule aux allures de slogan est sans cesse répétée : il s’agit de concilier l’efficacité économique et la justice sociale ! La notion de conciliation pose de redoutables questions sur les rapports entre la politique et l’économie, questions aussitôt évacuées au profit d’un consensus qu’exprime le terme de correction. « La collectivité est fondée, lorsque ses résultats [du marché] apparaissent intolérables sur tel secteur ou dans telles circonstances, à en corriger partiellement les effets ou à les amortir54. » Ces interventions se doivent d’être assez mesurées, limitées pour ne pas modifier les grands équilibres économiques tout en permettant la survie des plus faibles, victimes de la concurrence.
52C’est ainsi que s’élabore la problématique du « libéralisme social » à l’œuvre depuis la fin des années soixante-dix. Elle repose sur une telle déconnexion entre l’économique et le social, reléguant ce dernier à une place secondaire. Le marché est premier car moteur de la société. Il est nécessaire qu’il se développe selon sa logique propre. La politique se doit de l’accompagner par la mise en place d’un environnement juridique et financier favorable et le décharger de sa responsabilité sociale. C’est l’État qui prendra en charge, au nom des droits de l’homme, les coûts sociaux induits par cette orientation, mais le mode et la nature de leur prise en charge seront déterminés par la marge de manœuvre autorisée par l’économie. L’efficacité intrinsèque des marchés impose des limites aux politiques redistributives de l’État. La comparaison sans cesse soulignée avec les libéraux radicaux, tels Hayeck, Nozick refusant toute intervention de l’État dans la sphère économique, sert en grande partie de faire-valoir à ce « libéralisme tempéré ». Mais cette antinomie peine à masquer une absence de vision globale de la société, une difficulté à penser une alternative à ce libéralisme repoussoir (si ce n’est en dénoncer les excès). Elle exprime enfin l’acceptation de réduire le rôle politique à celui d’un redistributeur philanthrope, d’un correcteur économique.
- 55 Les Français et leurs revenus : le tournant des années 80, Paris, La Découverte-La Documentation f (...)
- 56 D. Pilhon, « Les inégalités sociales sont-elles souhaitables ? », Alternatives économiques, septem (...)
53Mais la dure réalité se charge de déchirer le voile et de mettre au jour la nature politique d’un tel schéma. La flambée des inégalités révélée par le rapport du Centre d’études des revenus et des coûts (CERC) en 198955 va mettre le feu aux poudres. Après la forte émotion provoquée dans les cercles gouvernementaux par la publication de ce rapport et la critique des méthodologies qui s’ensuit – reprise exacte de la pratique des ministres de droite vis-à-vis des « mauvais chiffres du chômage » – c’est à une légitimation scientifique et philosophique que les nouveaux convertis s’emploient. C’est ainsi qu’ils se réapproprient les principes de Rawls en vue de tenter de faire tenir ensemble l’exaltation de la responsabilité entrepreneuriale et l’attachement historique à la justice sociale. D. Plihon dans une réflexion sur la question des inégalités relève comment les auteurs d’un rapport officieux remis au Premier ministre à la suite de l’étude du CERC considèrent qu’« en fixant des repères théoriques pour déterminer le niveau d’inégalité compatible avec la justice, en rendant nécessaire un dialogue social fort pour déterminer les conditions d’application de ces repères […], J. Rawls constitue désormais une référence utile pour toute action en matière d’inégalités56 ».
54Mais leur réappropriation de cet auteur, qualifiée par B. Théret de « rawlsisme à la française », est marquée par une dimension profondément économiste, orientée vers une recherche pragmatique de solutions, fort éloignée de la voie ouverte par Rawls.
- 57 B. Théret, « Le rawlisme à la française. Le marché contre l’égalité démocratique ? », Futur Antéri (...)
« En isolant les problèmes de redistribution économique des revenus des questions politiques concernant les formes de la démocratie – questions pourtant essentielles chez cet auteur –, le rawlisme à la française entérine un enfermement du débat politique dans le court terme d’une gestion économique néolibérale. […] Le rawlisme à la française s’interdit de soupçonner que cette crise économique n’est sans doute qu’un aspect d’une crise sociale générale dont les fondements seraient plutôt à rechercher dans une absence d’évolution interne au politique en rapport avec le développement de l’économique57. »
- 58 B. Manin, op. cit., p. 23.
55Ainsi parée d’une nouvelle légitimité, la quête socialiste reprend à son compte les éléments fondamentaux de la doxa néolibérale parmi lesquels les effets désincitatifs de la fiscalité, les effets pervers des politiques redistributives…, tout en s’efforçant de proposer une « réponse socialiste » vis-à-vis de ces effets que les libéraux auraient reconnu depuis longtemps mais n’auraient pas su traiter. Tout d’abord, on prend acte que les politiques antérieures visant une égalisation impossible ont produit des effets pervers graves qu’il est temps d’arrêter pour leur substituer « une des intuitions fondatrices de la tradition républicaine française : toute inégalité n’est pas nécessairement à réduire, les inégalités fonctionnelles, utiles à tous, sont légitimes, seules elles sont justifiées58 ».
- 59 Ibid., p. 24.
- 60 Ibid., p. 25.
56Cette reconnaissance d’une erreur antérieure doit ensuite permettre l’élaboration d’une « politique d’économie mixte, d’intervention modérée de l’État et de justice sociale59 ». Plus précisément cela signifie que le fonctionnement de l’économie de marché « ne doit pas […] être globalement entravé ; mais la collectivité est fondée, lorsque ses résultats apparaissent intolérables sur tel secteur ou dans telles circonstances, à en corriger partiellement les effets ou à les amortir60 ».
- 61 B. Théret, op. cit., p. 53.
57Le social est perçu et présenté comme une sphère nationale donc locale, face à une économie ouverte, mondialisée, ne devant pas interférer avec cette dernière, ayant simplement pour objectif de réparer « hors marché des bévues politiques et morales du marché61 ».
58Découle de là l’abandon progressif des politiques de réduction des inégalités produites par un projet collectif et un certain type de dynamique sociale, au bénéfice d’interventions ponctuelles de gestion sur des populations ciblées à partir du seul critère de revenu. C’est ainsi dans une succession de révisions et de réappropriations théoriques parfois singulières que s’est construite la gestion sociale néolibérale de la fin du XXe siècle, entièrement logée dans le rapport entre la représentation d’un certain déterminisme économique et de la préservation des droits de l’homme.
Quelle souveraineté étatique ?
59Ces transformations profondes des représentations et des orientations politiques ne prennent sens que replacées dans le contexte géopolitique dans lequel elles se déploient, contexte marqué par la construction européenne à une nouvelle étape d’interdépendance mondiale des économies. Cette avancée de l’Europe distend le lien entre État et Nation et pose la question de la souveraineté entendue comme l’indépendance dont jouit un État dans ses actions et décisions. La capacité qu’il possède de hiérarchiser les questions, de décider de leur nature et donc l’autorité d’en attribuer le traitement à tel ou tel ordre (économique, politique…). Dans ce schéma, l’État en tant qu’autorité fondant le collectif et permettant son auto-organisation, assure à l’ensemble des citoyens les conditions de sa sécurité physique, matérielle, les conditions de son bien-être social, celles de son sentiment d’appartenance. C’est bien l’ensemble de ces caractéristiques qui spécifie la période d’après-guerre où s’établit une sorte d’équivalence entre l’État et la Nation, entre l’acteur politique et le corps de citoyens.
60Or, l’Europe progresse en acquérant des compétences étatiques proches de la souveraineté, dessinant un ordre juridique s’imposant aux États nationaux, les mettant de plus en plus dans une situation inconfortable vis-à-vis de leur communauté nationale. Le droit communautaire entame dans bien des secteurs la souveraineté du législateur national. C’est ainsi qu’en 2002 la moitié de la législation française est d’origine communautaire à l’exception des domaines de la politique fiscale et des politiques sociales qui restent de la souveraineté des États. De même, l’État-nation reste massivement présent dans la défense et la sécurité nationale, la police et la protection sociale.
- 62 Pour une présentation de ces courants, cf. S. Cohen, La résistance des États. Les démocraties face (...)
- 63 J. Chevallier, L’État post-moderne, Paris, LGDJ, 2003, p. 48.
61Les bouleversements induits par ces nouvelles interdépendances et ces nouvelles étapes dans le processus d’ouverture des frontières ont donné lieu à une abondante littérature ainsi qu’à une série de travaux décrivant l’irruption sur la scène internationale de nouveaux acteurs : ONG, firmes multinationales, opérateurs financiers, mafias… Ces derniers entreraient en concurrence féroce avec les États qui deviendraient dès lors de simples acteurs parmi d’autres dans la constitution de l’ordre mondial62. J. Chevallier parle à ce propos d’État « encadré », « concurrencé » et « englobé », mettant ainsi l’accent sur le renforcement des liens d’interdépendance qui modifient « profondément la conception traditionnelle de la souveraineté63 ». Au-delà de leurs divergences d’appréciation, l’ensemble de ces écrits s’accordent sur un point : l’érosion de l’État souverain et indépendant, le déclin de l’État-nation.
- 64 Voir M. Aglietta, « Problèmes posés par la régulation monétaire internationale », CAE, Gouvernance (...)
62Dans le même temps, la pertinence du périmètre étatique comme cadre de la dynamique économique cesse d’être évidente. Le décloisonnement des espaces nationaux, la création du marché unique européen, la rapidité du jeu compétitif mondial et la création d’une richesse de plus en plus immatérielle, entraînent une succession de remises en cause parmi lesquelles celle de la propriété publique64. S’effectue alors une dissociation forte entre richesses privées et biens publics au détriment de ces derniers. Et cette dynamique dont on pourrait dire qu’elle se développe contre l’État, impose dans le même temps la prépondérance de l’économique sur la politique ou plus exactement, la prépondérance des modes de fonctionnement – des règles – de l’économique sur la politique. Elle tire sa force de la réactivation d’une conception naturaliste de la « loi économique ». L’affaiblissement incontestable de la fonction étatique de stabilisation macroéconomique est présenté comme la conséquence inévitable du déterminisme économique. Les décisions politiques ne pourraient en rien contrecarrer la « logique économique » dont les contraintes qu’elle impose à la société seraient par essence incontournables. Le principal objectif reste d’aider à la réussite de l’activité économique devenue autonome et rendue à ses seuls critères.
- 65 S. Berger, Notre première mondialisation, Paris, La République des idées, 2003.
- 66 V. Wright et S. Cassese (dir.), La recomposition de l’État en Europe, Paris, La Découverte, 1996, (...)
63D’où, deuxième évidence largement partagée tant par ceux qui s’en félicitent que par ceux qui le déplorent, le « global » (le supra-national) s’imposerait fatalement au national, la « contrainte économique internationale » raboterait la souveraineté étatique. La mondialisation offre à cette vieille antienne du discours néoclassique un terrain d’épanouissement exceptionnel qui mérite d’être interrogé. Ce qui se passe durant la période que Suzanne Berger a appelée « notre première mondialisation65 » (1870-1914) est à ce titre-là très éclairant même si nous devons garder présent à l’esprit que la nature de cette étape de la mondialisation était différente de celle qui se déploie aujourd’hui. C’est à ce moment-là en effet qu’est développée une politique fiscale aux effets redistributifs importants et que se déploie une législation sociale posant les bases du futur système de protection sociale. Autant de faits qui démontrent combien l’État, même en période de mondialisation, peut décider et mettre en œuvre des politiques nationales et des réformes sociales. Il en sera de même dès la fin de la Seconde Guerre mondiale où les États prennent une part très active dans l’ouverture des frontières et la construction européenne. S’il est incontestable que l’adhésion à l’Union européenne induit un certain nombre de contraintes pour les États membres, il n’en est pas moins vrai que les intérêts nationaux sont fortement présents dans l’élaboration de ces politiques communautaires et que s’il existe une limitation de souveraineté sur certains points, elle peut coexister avec un renforcement du contrôle étatique sur d’autres secteurs. « Par exemple, le point de vue gaulliste à l’égard de l’Union européenne s’est révélé un moyen efficace de diffuser l’influence française et de limiter celle de l’Allemagne. En conséquence, l’adhésion à l’Union européenne restreint l’autonomie d’un État membre, tout en accroissant son emprise66. » Il est nécessaire donc de relativiser l’idée de contraintes unilatérales qui dépouilleraient purement et simplement l’État national sans qu’il puisse y trouver une opportunité dans le mouvement concurrentiel affectant son positionnement européen.
- 67 B. Palier, Gouverner la sécurité sociale, Paris, PUF, coll. « Le lien social », 2002.
- 68 A.-M. Le Gloannec (dir.), Entre Union et Nations. L’État en Europe, Paris, Presses de Sciences Po, (...)
64Il n’est pas rare non plus que l’Union européenne serve de prétexte pour faire admettre au niveau national des décisions jugées délicates politiquement car impopulaires. Lui est souvent attribuée la responsabilité de telle ou telle mesure permettant aux élites politiques nationales de maîtriser ainsi un rapport de forces défavorable. La protection sociale est de ce point de vue exemplaire. Au début des années 1990, de nouvelles contraintes extérieures offrent l’opportunité politique pour mettre en route des mesures préconisées par de nombreux rapports depuis le milieu des années 1980. De Michel Rocard à Alain Juppé, les contraintes extérieures et notamment la construction européenne sont régulièrement invoquées pour légitimer la mise en œuvre de telle ou telle décision concernant le système de protection sociale67. Or l’utilisation abusive de ces contraintes voire une certaine instrumentalisation qui en est faite, repose sur l’illusion d’une souveraineté illimitée qui n’a jamais existé. Déjà au lendemain de la Libération, alors même que la reconstruction des économies européennes se fait sur des bases nationales, commence simultanément un processus de globalisation des marchés, des investissements… De même en matière de défense, les États européens confient leur sécurité à l’Amérique68.
- 69 Z. Laïdi, « L’État mondialisé », Esprit, octobre 2002, p. 144.
- 70 Ibid.
65Donc, si comme c’est le cas, aucun État n’a exercé de souveraineté pleine et entière, il est abusif de superposer, de confondre limite ou redéfinition de la souveraineté et retrait, déclin, défaite de l’État. La mondialisation se fait aussi avec l’État qu’elle met en situation de devoir se penser « comme une partie d’un ensemble mondialisé pour mieux se porter garant d’un espace national territorialisé69 ». La souveraineté, dit cet auteur, ne peut plus être la mesure exclusive de l’importance du rôle des États, il faut lui adjoindre la notion de responsabilité « dont le champ s’accroît tant dans l’espace [la mondialisation] que dans le temps [les générations futures]70 ».
66Ceci nous amène à interroger le schéma si souvent diffusé de la soumission politique à l’économique et d’envisager plutôt la situation comme un jeu de constructions et d’ajustements réciproques où nombre de contraintes économiques, soit provoquées soit subies, sont transformées autant à défaut qu’à dessein, en nouvelles sources de légitimité et de pouvoir. La mondialisation en effet est habituellement perçue comme une soumission pure et simple des États aux intérêts du capital international. Or, envisager la mondialisation sous l’angle purement économique, c’est se soumettre au discours même des acteurs, en l’occurrence les États qui en sont les propagateurs et légitimer d’emblée l’utilisation politique qu’ils peuvent en faire au niveau national. Prendre de la distance par rapport à cette lecture, ce n’est pas nier l’existence de contraintes économiques mondiales, mais reconnaître à côté de ces dernières, une stratégie politique des États qui instrumentalisent à leur tour le discours économique du marché autorégulateur à des fins de plus grande autonomie politique, en vue de construire une puissance politique européenne. La chute du mur de Berlin ou le triomphe mondial du marché a eu un effet « libérateur » sur les États démocratiques qui jusque-là privilégiaient le progrès social national. Ils se sentent dès lors autorisés, en vue de renforcer leur autonomie et leur positionnement géopolitique, à mettre en
- 71 B. Théret, « Le fédéralisme, moteur ou régulateur de la mondialisation ? Quelques réflexions à par (...)
« […] œuvre un néolibéralisme de gestion, stratégique et pragmatique à la fois, avec l’objectif de se délier les mains à l’égard de l’économique, de ses contraintes et de ses demandes. […] Les États néolibéraux, arguant d’un excès de protection préjudiciable au dynamisme économique, cherchent à s’affranchir de ces compromis afin de récupérer la capacité d’initiative stratégique géopolitique qu’ils avaient perdue en les institutionnalisant71 ».
67Deux indices parmi d’autres de ce phénomène. C’est bien dans le cadre de la relance européenne des années quatre-vingt que les États membres mettent en œuvre les éléments essentiels des politiques libérales et prennent place dans le mouvement de mondialisation économique. Ceci modifie les rapports politiques de puissance, permet de contester l’hégémonie américaine et d’ouvrir des espaces d’action plus larges aux économies et États nationaux. De même la dérégulation induite par les mesures libérales facilite une autre régulation au niveau européen. L’ordre international est bien construit par les États eux-mêmes. On est loin d’une dépendance unilatérale des États. Il s’agit plutôt d’une interdépendance car ce sont bien les États qui créent l’économie et les institutions qui la réglementent. Contraintes extérieures économiques et contraintes géostratégiques, en devenant une pièce maîtresse du discours politique permettent certes de dégager momentanément la responsabilité des gouvernements mais scient la branche sur laquelle repose leur légitimité politique.
68Ainsi donc la doctrine libérale retrouve non seulement une actualité que la dimension mondiale du phénomène tend à légitimer mais aussi une centralité que l’effondrement de l’alternative communiste laisse sans concurrent. Économie de marché, propriété privée et liberté individuelle s’imposent comme cadre indépassable dans lequel doit se déployer l’action politique. Mais ce serait une erreur de penser que s’effectue alors un simple retour à une situation antérieure à la IIIe République par exemple, caractérisée par une conception régalienne du rôle de l’État. Le néolibéralisme des années 1980 ne peut faire fi du rôle extraordinaire de producteur de protection et d’émancipation individuelle qu’a joué la puissance publique, tout particulièrement depuis la Libération. L’État est alors mis en situation de devoir continuer à répondre à une demande sociale qui, loin de faiblir, trouve dans l’insécurité due à l’ouverture et à l’interdépendance des économies, de nouvelles raisons de s’exprimer. C’est ainsi qu’en une trentaine d’années s’est élaborée une nouvelle configuration idéologico-politique dont les socialistes ont posé les bases, reprise, amplifiée, infléchie… par la droite à chacun de ses retours au gouvernement.
69On assiste en effet à un jeu de repositionnements entre puissance publique et acteur économique ; à des retraits sélectifs et à des investissements nouveaux de la part de l’État. Une recomposition dans laquelle nous percevons une intervention étatique qui pour être toujours importante (en termes financiers principalement) n’en change pas moins fondamentalement de nature. Si le social n’est abandonné ni au privé ni au marché, il est traité comme une donnée locale déconnectée de l’économie mondialisée et dont la gestion revient à l’État national.
70L’État national, en abandonnant son rôle de guide, apporte un large soutien à l’expansion de l’économie, expansion dont il tire en retour les attributs d’une puissance économique internationale. Mais il perd dans le même temps, la maîtrise de cette logique économique dont l’emballement est socialement dévastateur. Alors, privé de certains traits de sa souveraineté, l’État s’investit dans l’élaboration de politiques sectorielles nationales affichant au nom des droits de l’homme, une visée explicitement compensatrice, correctrice, rectificatrice. Se construit ainsi peu à peu, au carrefour du champ de l’économie et du système de protection sociale, un espace d’intervention étatique, nouvelle source de légitimité politique.
71C’est ce double mouvement de désengagement et d’engagement étatique qu’explicitent les transformations contradictoires des deux composantes du droit du travail, mettant par là même en scène une impuissance collective à « faire société ».
Notes
1 C. Daniel et C. Tuchszirer, op. cit.
2 Une présentation synthétique des mesures économiques par lesquelles la gauche se rallie est proposée par J.-P. Fitoussi dans son entretien avec J.-C. Guillebaud, La politique de l’impuissance, Paris, Arlea, 2005.
3 M. Canto-Sperber rappelle même qu’en 1991, au Congrès de l’Arche de la Défense, le parti socialiste a reconnu que « le capitalisme borne désormais notre horizon historique ». Toutefois, un an avant, à Rennes, une déclaration de principe le définissait encore comme « un parti de transformation sociale », qui met « le réformisme au service des espérances révolutionnaires ». Elle souligne aussi que l’abandon des nationalisations et le passage aux privatisations n’ont fait l’objet d’aucune réflexion. M. Canto-Sperber, op. cit., note 2, p. 111 et note 1, p. 112.
4 J. Poperen, Le nouveau contrat socialiste. Socialistes et liberté, Paris, Ramsey, 1985 ; J.-P. Chevènement, Le pari sur l’intelligence, entretiens avec Hervé Hamon et Patrick Rotman, Paris, Flammarion, 1985 ; A. Laigniel, À la force des idées. Pour un renouveau socialiste, Paris, Robert Laffont, 1987. En 2004 encore, F. Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, déclarait que « le libéralisme est contradictoire avec l’esprit européen », Le Monde, 11 mai 2004.
5 Publié dans le numéro 121 septembre 1987 du journal Le Poing et la rose, p. 14-16.
6 M. Savadori, « La gauche par défaut ? », L’événement européen, n° 1, avril 1988, p. 121.
7 Gilles Martinet, « La part de l’utopie », Intervention, n° 16, avril-juin 1986.
8 Pour une analyse de ces revirements, voir J. Chevallier, « La gauche et la Haute Administration sous la Ve République », Curapp, La Haute administration et la politique, Paris, PUF, 1986 et P. Birnbaum, « Que faire de l’État ? », Les élites socialistes au pouvoir, 1981-1985, Paris, Seuil, 1985.
9 Derrière ce discours sans nuances, les contradictions sont nombreuses, les ambiguïtés importantes. Une parmi bien d’autres : le Parti socialiste est fortement implanté dans la Haute fonction publique, cf. J. Chevallier, ibid.
10 J.-P. Chevènement, « République arrêtée ou république conquérante », Enjeu, avril 1985, p. 32.
11 Pour une analyse détaillée du renouvellement du personnel politique aux deux Chambres, dans les ministères et dans l’Administration, outre la référence de J. Chevallier déjà citée, voir M. Dagnaud et D. Mehl, L’élite rose, Paris, Ramsay, 1986.
12 D. Gaxie et M. Offerlé, « Les militants syndicaux et associatifs au pouvoir ? », P. Birbaum, Les élites socialistes au pouvoir, 1981-1985, Paris, PUF, 1985, p. 104.
13 La Croix, 27 mars 1980.
14 Décret 85-779 du 24-07-1985 et décret 85-834 du 6-08-1985.
15 P. Birbaum, « La conception française de l’État et sa construction historique », CFDT Aujourd’hui, n° 110, 1993, p. 18-19.
16 P. Birbaum, La logique de l’État, Paris, Fayard, 1982.
17 P. Viveret, « La gauche piégée dans l’État », Projet, n° 166, juin 1982.
18 Ibid., p. 670.
19 B. Manin, « Pourquoi la République ? », Intervention, n° 10, août-décembre 1984, p. 18.
20 Quelques repères : A. Peyrefitte, Le Mal français, Paris, Plon, 1976 ; M. Crozier, État modeste, État moderne : stratégie pour un autre changement, Paris, Fayard, 1987.
21 B. Palier (Gouverner la misère, Paris, PUF, 2002) en a recensé 52 entre 1974 et 2001.
22 Celui de P. Rosanvallon tout particulièrement, La crise de l’État providence, op. cit.
23 La notion de déréglementation qui fait alors florès est à replacer dans cette perspective.
24 M. Aubry, Le choix d’agir, Paris, Albin Michel, 1994, p. 13.
25 Elie Cohen, « Le “moment Lois Auroux” ou la désublimation de l’économie », Sociologie du travail, n° 3-86, p. 283.
26 Voir sur cette question J.-P. Le Goff, Le mythe de l’entreprise, Paris, La Découverte/essais, 1992 ; J. de Maillard, « La politique en proie à l’éthique », Le Débat, n° 87, novembre-décembre 1995, p. 83-96 et tout particulièrement les travaux d’Anne Salmon, « Le réveil du souci éthique dans les entreprises : un nouvel esprit du capitalisme ? Éthique et économie, l’impossible (re)mariage ? », La Revue du Mauss, La Découverte, n° 15, 1er semestre 2000, p. 296-319 ; Éthique et ordre économique, Paris, CNRS Éditions, 2002 ; « L’entreprise citoyenne », José Allouche (dir.), Encyclopédie des Ressources humaines, Paris, Vuibert, 2003, p. 183-192.
27 A. Riboud, Modernisation, mode d’emploi, rapport au Premier ministre, Paris, Union générale d’Éditions, 1987, p. 129.
28 F. Périgot, « Réconcilier définitivement l’entreprise et les Français », Dirigeant, n° 3, mars 1990.
29 M. Le Net, « L’éthique des affaires », La Croix, 12 avril 1989.
30 F. Périgot, « Une nouvelle stratégie pour les années 1990 », CNPF, La revue des entreprises, n° 516, janvier 1990.
31 Anni Borzeik, « Avant-propos », Sociologie du travail, n° spécial sur l’entreprise, 3, 1986, p. 231.
32 H. Vérin, Entrepreneurs, entreprise, histoire d’une idée, Paris, PUF, 1982.
33 Titre emprunté à Denis Segrestin, « L’entrée de l’entreprise en société », Revue française de science politique, n° 4, 1987.
34 M. Weber, Économie et société, Paris, Plon, 1971, p. 41.
35 Ibid.
36 D. Segrestin, op. cit., p. 468.
37 Ibid.
38 Ibid., p. 472-473.
39 Pour une bonne critique de cette idéologie, voir J. Généreux, Les vraies lois de l’économie, Paris, Seuil-France Culture, 2001.
40 J.-M. Guéhenno, L’avenir de la liberté. La démocratie dans la mondialisation, Paris, Flammarion, 1999, p. 28-29.
41 J. Julliard, « Instantanés », Intervention, n° 10, août-décembre 1984, p. 5.
42 J.-P. Chevènement, « République arrêtée ou République conquérante », Enjeu, avril 1985, p. 33.
43 « À l’enseigne de la République », Intervention, n° 10, août-décembre 1984, p. 6.
44 B. Manin, op. cit., p. 10.
45 Ibid., p. 15.
46 Ibid.
47 P. Grémion, « Introduction à une étude du système politique-administratif local », Sociologie du travail, n° 1, 1970.
48 P. Rosanvallon, L’âge de l’autogestion, Paris, Seuil, 1976 et « Que faire de l’État ? », entretien avec Yves Cannac, Le Débat, n° 26, septembre 1983.
49 Dans ses travaux sur la famille (1892), Durkheim souligne clairement un double mouvement de privatisation, de libération de ses membres et de socialisation dû à une plus grande intervention de l’État.
50 À tel point d’ailleurs que certains auteurs en viennent à affirmer qu’« organiquement soudés l’un à l’autre, État et société civile fonctionnent désormais en si étroite symbiose que ces mots mêmes en perdent – ou plutôt devraient en perdre leur sens » (D. Lochak, « La société civile : du concept au gadget », La société civile, Paris, PUF, 1986, p. 62).
51 Bonheur privé, action publique, Paris, Fayard, 1983.
52 H. Arendt, Le système totalitaire, Paris, Seuil, 1972 ; C. Lefort, Un homme en trop, Paris, Seuil, 1976.
53 D. Lochak, op. cit., p. 72. C’est à ce moment-là qu’est réactivée l’idée d’un tiers secteur et de l’économie sociale qui, selon J. Chevallier, « illustre la crise des modes d’articulation, pratiques et symboliques, entre l’État et la société civile » (« Économie sociale et société civile », La société civile, op. cit., p. 206).
54 B. Manin, op. cit., p. 25.
55 Les Français et leurs revenus : le tournant des années 80, Paris, La Découverte-La Documentation française, 1989.
56 D. Pilhon, « Les inégalités sociales sont-elles souhaitables ? », Alternatives économiques, septembre-octobre 1990, p. 43.
57 B. Théret, « Le rawlisme à la française. Le marché contre l’égalité démocratique ? », Futur Antérieur, n° 8, 1991, p. 41-42.
58 B. Manin, op. cit., p. 23.
59 Ibid., p. 24.
60 Ibid., p. 25.
61 B. Théret, op. cit., p. 53.
62 Pour une présentation de ces courants, cf. S. Cohen, La résistance des États. Les démocraties face au défi de la mondialisation, Paris, Seuil, 2003.
63 J. Chevallier, L’État post-moderne, Paris, LGDJ, 2003, p. 48.
64 Voir M. Aglietta, « Problèmes posés par la régulation monétaire internationale », CAE, Gouvernance mondiale, Paris, La Documentation française, 2002, p. 390.
65 S. Berger, Notre première mondialisation, Paris, La République des idées, 2003.
66 V. Wright et S. Cassese (dir.), La recomposition de l’État en Europe, Paris, La Découverte, 1996, p. 15.
67 B. Palier, Gouverner la sécurité sociale, Paris, PUF, coll. « Le lien social », 2002.
68 A.-M. Le Gloannec (dir.), Entre Union et Nations. L’État en Europe, Paris, Presses de Sciences Po, 1998.
69 Z. Laïdi, « L’État mondialisé », Esprit, octobre 2002, p. 144.
70 Ibid.
71 B. Théret, « Le fédéralisme, moteur ou régulateur de la mondialisation ? Quelques réflexions à partir des cas du Canada et de l’Union européenne », conférence au colloque Fédéralisme et mondialisation : l’avenir de la démocratie et de la citoyenneté, 29-30 septembre 2000, université du Québec à Montréal, p. 4.
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