De l'état social à l'état des droits de l'homme ?
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1Depuis la fin du XIXe siècle, chaque période de dépression économique responsable d’un chômage de masse comme la Grande Dépression des années 1930, chaque fin de conflit majeur (les deux guerres mondiales) a réactivé le débat sur l’État comme lieu d’expression et d’organisation de l’action collective, autour d’une définition de l’intérêt général. D’un côté ceux – la nébuleuse de gauche mais aussi gaullistes et catholiques sociaux – qui voient dans une extension de la gestion publique la seule réponse adéquate aux besoins collectifs, la seule voie vers le progrès social ; de l’autre, son pendant libéral attaché à des degrés divers à la conception d’un État auxiliaire donc modeste prône la réduction de la sphère publique. Les oppositions sur la légitimité de telle ou telle intervention, sur les modes qu’elles doivent prendre… jouent le rôle de marqueur politique. Le différend sur plus ou moins d’État structure le débat. La sortie des Trente Glorieuses met en scène une nouvelle fois et avec une certaine dimension spectaculaire cet affrontement binaire.
2Le trait dominant des années 1970 est le retour d’un discours libéral offensif désignant l’État comme foyer de tous les maux, dans un contexte où son incapacité d’action est de plus en plus manifeste. L’épuisement du keynésianisme face à la montée du chômage ; les limites des politiques sociales au regard de l’envolée des injustices, des inégalités et de la pauvreté ; les dysfonctionnements majeurs de nos machines bureaucratiques mais aussi l’échec des économies planifiées au moment même où s’affichent les premiers résultats positifs en termes économiques des épisodes concomitants du reaganisme et du thatchérisme, sont autant d’éléments qui permettent le retour du refoulé. Le libéralisme économique non régulé, tenu pour responsable de la crise de 1929, alors assimilé au conservatisme, retrouve dans le dernier tiers du XXe siècle l’image positive d’une doctrine capable d’inspirer les politiques économiques et de participer à la redéfinition des valeurs et représentations collectives. La dénonciation de l’emprise néfaste de la puissance publique et son nécessaire recul s’accompagne toujours d’une valorisation explicite et omniprésente de la liberté et de la responsabilité individuelles, de leur capacité à dynamiser une société bloquée.
- 1 Le panel idéologique est large, de la mouvance libérale (P. Bénéton, Le fléau du bien : essai sur (...)
3Le terrain d’élection de cette offensive libérale est le système de protection sociale qui cesse d’apparaître comme une victime du chômage de masse pour être désigné comme responsable direct des problèmes économiques et sociaux. En premier lieu, sont dénoncées l’opacité et la complexité de sa bureaucratie. Mais les critiques portent aussi sur les obstacles que la Sécurité sociale représenterait pour le bon fonctionnement du marché (la notion de « charges sociales » se substitue à celle de cotisations sociales), voire de la démocratie. Très rapidement tous ces jugements s’élèvent à la mise en cause de l’efficacité de l’État social et de ses fondements keynésiens1.
4Toute une littérature fleurit faisant l’apologie de l’esprit d’entreprise et d’initiative, dessinant des projets visant à restituer aux individus la responsabilité de leur protection. Le travail, le mérite, la réussite individuelle sont exaltés contre l’apathie induite par l’assistance d’État. Le battage médiatique fait autour de deux émissions, « Vive la crise » présentée par Y. Montand (1984, A2) et « Ambition » animée par B. Tapie (1986, TF1), émissions à la gloire de la « rigueur » permettant la « libération des énergies », du capitalisme et du succès individuel, fait progresser la thématique de la lutte contre les archaïsmes, de la volonté individuelle, du risque…
5Mais face à ceux qui dénoncent souvent avec peu de nuances l’« impérialisme étatique », nombreuses sont les voix qui annoncent aussi abruptement la fin de l’État garant de la cohésion sociale, le transfert au privé de pans entiers du social… Le « Programme commun » de la gauche au pouvoir en 1981, en mettant l’accent sur les nationalisations et les services publics, est sans aucun doute l’exemple le plus manifeste de cette « défense de l’État » face aux premières mesures de libéralisation des prix (mai 1978), du desserrement de certaines réglementations (pétrole, transports) et au plan social face au renforcement du contrôle de la gestion et des dépenses des dispositifs de protection sociale.
- 2 Cette notion joue un rôle pivot dans le numéro spécial de la revue Esprit, « Pourquoi le travail s (...)
- 3 Valéry Giscard d’Estaing a été qualifié de « dernier social démocrate » car le début de son septen (...)
- 4 Nationalisations, augmentation du SMIC, des allocations familiales et vieillesse, abaissement de l (...)
- 5 M. Canto-Sperber, Les règles de la liberté, Paris, Plon, 2003.
6Alors le procès fait antérieurement au nom du « contrôle social2 » à certaines mesures sociales du giscardisme par exemple3 ou l’interrogation socialiste sur les pièges d’une action sociale dans la société capitaliste, ou encore l’attaque de certains communistes contre les « béquilles du capital », cèdent la place à une dénonciation très forte des remises en cause, pour des raisons financières et idéologiques, de certaines de ces mesures. Mais la surprise vient de la pérennité de cette confrontation entre « pro » et « anti-étatistes » alors même que la relance socialiste de l’État social est stoppée et que ce qu’il est convenu d’appeler le tournant de la rigueur, sonne le glas du programme économique et social préalablement construit autour du rôle prééminent de l’État4. En effet le nouveau discours sur la modernisation, véritable slogan politique au nom duquel se feront entre autres les réformes des marchés financiers, les privatisations, le retour à la liberté des prix… ne se substitue pas, du moins dans un premier temps, aux discours sur la nécessité d’un État fort, central, ni aux critiques contre le libéralisme produites par des représentants de l’État lui-même. Cette situation, qu’on l’analyse en termes de paradoxe, d’hypocrisie ou d’impuissance5 confirme la centralité de la question de l’État dans le débat français.
- 6 C. Daniel et C. Tuchszirer, L’État face aux chômeurs. L’indemnisation du chômage de 1884 à nos jou (...)
7Dès lors, le slogan de « retrait de l’État » commun aux uns et aux autres se diffuse très rapidement par-delà les partis. Souhaité par les premiers, dénoncé par les seconds, le phénomène semble corroboré puisqu’un ensemble de décisions paraissent accréditer une lecture en termes de recul de l’État, quelles que soient les voies et les formes qu’il emprunte. C’est ainsi que, outre l’allégement des cotisations payées par les entreprises, des restrictions s’opèrent dans plusieurs budgets sociaux. Les mesures d’économie deviennent le cœur des « plans de redressement de la Sécurité sociale » qui se succèdent à un rythme accéléré. La couverture chômage est quant à elle régulièrement réduite6, assurant une protection de plus en plus inégalitaire selon les catégories de chômeurs. Dans la même veine, les premières lois de décentralisation (1983) permettent à l’État de se délester en partie de « charges sociales » perçues comme insupportables, largement complétées en ce sens par la deuxième vague législative de décentralisation de 2004. De même l’effacement progressif du rôle de certaines instances de régulation collective (le Plan entre autres), l’arrêt plus brutal d’un certain nombre d’interventions étatiques de régulation (sur les salaires, les statuts…), bref des formes de désengagement de l’État de la sphère des activités productrices, continuent d’opposer ceux qui saluent de saines et raisonnables mesures et ceux qui fustigent l’abandon libéral du monde de la production et du social à une concurrence effrénée.
8De façon concomitante, le retour sur le devant de la scène de grandes associations caritatives (Emmaüs, ATD Quart-Monde, le Secours catholique…), leur dynamisme, leur implication dans la préparation de grands textes législatifs (Revenu minimum d’insertion, loi contre les exclusions de 1998), la demande d’aide que leur adresse le pouvoir politique et dont témoigne la réception à Matignon de l’abbé Pierre (1983), sont salués par certains comme l’expression d’une véritable solidarité nationale. D’autres y perçoivent le signe d’une délégation de l’action sociale au privé caritatif, indice de la fin de politiques sociales promotionnelles au bénéfice d’une gestion libérale du social, ponctuelle, ciblée, individualisante.
9La réalité semble plus complexe si ce n’est équivoque voire paradoxale. Outre que le diagnostic de retrait est contestable car il supposerait l’homogénéité des différentes sphères, il a de plus l’inconvénient majeur de masquer des transformations en cours tant au niveau des secteurs que des modes d’intervention, de dissimuler tensions et recompositions actuelles et par là même de ne pas rendre compte de la réalité des changements.
10En effet une lecture en termes de retrait de l’État, souhaité ou condamné, occulte un mouvement complexe et apparemment contradictoire entre l’ancien et le nouveau, entre reconduction et innovation. Parler de retrait, c’est supposer implicitement un retour concomitant et symétrique du libéralisme, une résurgence d’un état ancien, reposant essentiellement sur la responsabilité et l’autosuffisance individuelles, celle d’un État qui aurait été réduit et abaissé à l’issue des Trente Glorieuses. Or, il s’agit moins d’une régression vers un libéralisme antérieur qui de plus n’a jamais existé qu’à l’état de fantasme, que de la reprise d’un discours libéral commun, banal dissimulant mal les mutations profondes affectant l’État dans son positionnement vis-à-vis de l’économie et de la société. Héritier pour une part, ce néolibéralisme est aussi novateur. Il ne reconduit pas un état antérieur.
11Il suffit d’observer plus précisément ce qui se joue pour se rendre compte en effet que si dans certains secteurs, l’économie en particulier, il perd son rôle de « pilote », si sa participation directe à l’orientation et la régulation de celle-ci diminuent, dans d’autres secteurs, c’est un phénomène inverse qui se produit.
- 7 Michel Messu a clairement montré comment certaines thèses sur la démission (P. Bourdieu, La misère (...)
- 8 F.-X. Merrien, « La restructuration des États providence : “sentier de dépendance”, ou tournant né (...)
12Quelques indicateurs sont couramment invoqués pour attester le retrait. Le premier est celui du montant des dépenses publiques. Or, contre toute évidence, les données disponibles indiquent seulement une stagnation quand ce n’est pas une progression7. Cette tendance semble d’ailleurs attestée dans l’ensemble des pays de l’OCDE où pour de multiples raisons les gouvernements ont accru plutôt que limité leurs interventions8. De plus cette progression est fortement sélective. C’est l’espace propre à la fonction d’assistance – solidarité qui augmente le plus.
13Ces deux remarques confirment le peu de pertinence d’une opposition dichotomique entre plus ou moins d’État et montrent les limites d’une lecture purement quantitative, financière de l’intervention étatique. En effet, la progression des dépenses publiques peut recouvrir, selon les secteurs sur lesquels elle se déploie, des projets politiques et sociaux forts différents. De même, la stagnation ou la régression de ces dépenses peuvent être induites par des choix politiques différents et à leur tour productrices d’effets eux-mêmes différents. Ainsi, le seul « poids » financier de l’État n’est pas un bon indicateur de sa capacité d’action. Le taux des dépenses publiques peut même être dans certains cas, révélateur d’une certaine impuissance ou s’accompagner d’une certaine inefficacité. C’est bien ce que donne à voir la simple logique de transferts financiers dont l’effet recherché de redistribution sociale est loin d’être évident. Un État gros n’est pas obligatoirement un État grand.
14La privatisation de certains secteurs est le second critère évoqué par ceux qui défendent la thèse du retrait. Or là encore le changement du statut de propriété ne signifie pas pour l’État perte du contrôle de ces secteurs. Il peut en fait continuer à façonner, modeler tel ou tel secteur par le biais de méthodes parallèles qui moins directement visibles font conclure un peu rapidement au retrait. Valéry Giscard d’Estaing par exemple a soumis certaines sociétés industrielles privées à un contrôle étatique plus fort que celui que François Mitterrand président socialiste, a imposé aux établissements industriels publics.
15Nous n’assistons donc pas à un repli de l’État sur ses fonctions régaliennes, à partir d’un retrait supposé homogène, mécanique, évaluable en termes budgétaires, en réponse aux contraintes mondiales. On constate plutôt une série de déplacements, de glissements que l’on peut schématiser de la façon suivante. C’est un certain désengagement ou engagement moins explicite, moins direct qui s’effectue en ce qui concerne les biens productifs ou biens collectifs distributifs, antérieurement pensés comme essentiels à l’organisation d’un certain type de société. Le vieux principe libéral de subsidiarité est réactualisé qui attribue à l’État un rôle supplétif dans des situations de défaillances des mécanismes d’« autorégulation » sociale. De là découle donc au contraire un engagement étatique de plus en plus fort, recentré sur des missions d’aide et de protection minimale largement abandonnées par les mécanismes d’autorégulation. C’est dans cette reconfiguration que réside, selon nous, la clé de compréhension des transformations de l’État social et le nouveau cours politique emprunté depuis trois décennies.
- 9 M. Gauchet, La Révolution des droits de l’homme, Paris, Gallimard, 1989, p. XXIII.
- 10 S. Berstein (dir.), La démocratie libérale. Histoire générale des systèmes politiques, Paris, PUF, (...)
16État social ? C’est l’ensemble des interventions politiques – services publics, protection sociale, droit du travail, politiques économiques de soutien à l’activité et à l’emploi – œuvrant à la production régulée des hommes comme espèce biologique, comme producteurs et comme citoyens ; une entreprise d’émancipation individuelle et sociale. Un État donc qui cherche à transformer l’individu abstrait du droit en un individu socialisé capable d’exercer socialement sa liberté. Toute société démocratique repose en effet sur un dilemme fondateur qui fait qu’« une société qui se pense produite par les individus est […] tacitement en fait une société à laquelle il appartient de produire les individus, de par la nécessaire imposition de la règle du tout aux parties9 ». La réponse politique à ce paradoxe constitutif de toute société démocratique où les individus souverains ne peuvent s’auto-organiser que grâce à l’action d’un pouvoir qui s’exerce sur eux, leur donnant de fait les capacités de l’auto-organisation, a été qualifiée par Serge Berstein de « synthèse démocrate-libérale10 ». Cette expression désigne précisément la mise en tension d’un libéralisme ouvert, qui conçoit la liberté comme résultat de réformes, et de la démocratie fondée sur le suffrage universel, expression de la volonté nationale. Démocratiser la société libérale en articulant la liberté individuelle et la puissance collective sans laquelle la première ne peut advenir, telle est la logique politique qui inspire sa construction et son développement.
- 11 Ibid., p. 5.
« L’histoire de la démocratie libérale est celle de la synthèse difficile entre une doctrine qui prône le primat de l’individu, aussi libre qu’il est possible de le concevoir dans une société, et une revendication démocratique toujours présente et de plus en plus clairement opposée au cours du XIXe siècle aux vues d’un libéralisme qui, d’abord révolutionnaire, apparaît assez rapidement conservateur11. »
- 12 E. Durkheim, De la division du travail social, Préface de la 1re édition 1893, Paris, PUF, 10e éd. (...)
17Dans cette tension, l’autorité de l’État n’est pas entamée par le respect des libertés individuelles fondamentales. Bien au contraire, elle est reconnue comme facteur indispensable à l’institution de l’individu libre et à l’organisation de la société, car dans une démocratie, l’ordre social n’est donné ni par la tradition ni par la religion, il est à construire politiquement. Durkheim d’ailleurs avait très tôt marqué son étonnement devant cet état de fait. « Comment se fait-il que, tout en devenant plus autonome, l’individu dépende plus étroitement de la société ? Comment peut-il être à la fois plus personnel et plus solidaire ? Car il est incontestable que ces deux mouvements, si contradictoires qu’ils paraissent, se poursuivent parallèlement12. »
18Cette « dépossession organisatrice » (Gauchet) est l’œuvre d’un État qui, pour remplir ses fonctions instituante et organisatrice, se fait État protecteur, redistributeur, modernisateur, visant ainsi la structuration et la maîtrise du devenir collectif. L’État exerce sur la société civile une prégnance qui aboutit à libérer l’individu des appartenances domestiques, familiales… tout en le socialisant. Il construit son autorité sur un droit fondé politiquement, un droit référentiel, mettant explicitement l’accent sur la dimension collective de l’émancipation humaine et exprimant par là même une conception du vivre-ensemble sous le signe de la solidarité. Liberté individuelle, souveraineté collective évoluent de concert autour du critère de justice sociale, pilier de la construction de l’ensemble.
19Or, c’est à la remise en cause de ce type d’ordonnancement à laquelle nous assistons depuis le milieu des années 1970. La référence à une société dans laquelle doivent être sans cesse politiquement rétablies les conditions indispensables à la réalisation des besoins fondamentaux – économiques, culturels et politiques – de l’homme en société, les conditions nécessaires à un accès ouvert aux biens publics et les modalités du débat sur la citoyenneté et le progrès social, s’affaiblit considérablement.
20C’est précisément ce recul voire cet affaissement de l’idée de l’État comme moteur central du changement, comme acteur essentiel de résolution des problèmes collectifs qui nous autorise à parler de retour de l’idéologie libérale au sens de doctrine d’auto-fondation. La confiance se reporte massivement sur la liberté individuelle, valeur suprême investie dès lors de multiples capacités dont celle de « faire société ». L’idéologie libérale, c’est la foi dans la puissance autosuffisante de l’individu ; c’est ce mouvement qui tend à reconnaître la liberté individuelle comme source de l’orientation collective, reléguant la politique à une fonction de gestion de la société.
- 13 L. Jaume, « Loi », Cités, n° 8, 2001, p. 231-237 ; « Les droits contre la loi ? Une perspective su (...)
21Le vent de l’auto-fondation souffle à nouveau mais cette fois dans une conjoncture particulière qui tend à lui donner un crédit renouvelé. En effet la perte simultanée d’autorité et d’efficacité qui frappe l’État dans ses fonctions fondamentales vis-à-vis de la société, le soumet à cette dernière dont la puissance créatrice n’attendrait pour se réaliser pleinement que d’être libérée de toute contrainte collective, de tout frein d’appartenance. C’est dans ce renversement des positions où l’économie s’autonomise et où le mode de fonctionnement du marché – chacun est seul juge de son intérêt – s’impose à l’ensemble de la société, que l’État acquiert une nouvelle place, une nouvelle mission. Il est convié à se mettre au service de la liberté individuelle posée comme référence prioritaire. L’explosion des droits individuels dans tous les domaines (famille, sexualité…) qui, selon Lucien Jaume, caractérise le libéralisme actuel13, témoigne de ce fait : les éléments de la synthèse démocrate-libérale qui jusque-là étaient articulés dans une mise en tension toujours instable et fragile – promotion/protection de la liberté individuelle et progrès de l’égalité/organisation collective – entrent en concurrence. Le gouvernement du collectif laisse place à une suite ininterrompue, souvent bruyante et confuse d’ajustements qualifiés de réformes alors qu’ils paraissent échapper à toute visée anticipatrice.
22Le présent perd le statut d’antichambre où s’élabore un futur meilleur, au bénéfice d’une tyrannie de l’immédiateté, situation dans laquelle l’État vit « du commerce avec la société civile » (Gauchet) et devient un prestataire de services. L’État social ne disparaît pas mais il est de moins en moins le médiateur entre un individu toujours à émanciper et un collectif toujours à construire.
23Dans un contexte où cette fonction ne lui est plus reconnue voire où elle est remise en cause, son rôle de produire une société émancipée c’est-à-dire une société composée d’individus disposant d’eux-mêmes mais gardant une maîtrise collective d’elle-même, s’affaiblit. La dimension gestionnaire de l’intervention étatique prend alors explicitement le dessus. Elle s’exprime au travers d’un déploiement de fonctions matérielles au service de la société, plus précisément au service de groupes victimes du nouveau cours qui les place pour leur survie en situation de dépendance vis-à-vis de l’État. Est ainsi remis en cause le compromis qui avait œuvré à rendre compatibles, à concilier intérêts et exigences contradictoires. La régulation politique de l’affrontement des classes a permis, pendant un temps, la production d’un socle de représentations et de valeurs partagées, gage d’une dynamique démocratique. C’est la mise en question de ce compromis incarné, porté par l’État social, entre les exigences de la démocratie et les exigences de la liberté individuelle, qui invite à une nouvelle lecture de la réalité sociale. Les contradictions sociales en sont bannies, plus précisément leur nature politique est réinterprétée en termes techniques. Les questions posées sont des questions opérationnelles et pragmatiques qui induisent tout « naturellement » des réponses en termes d’adaptation, d’ajustement dont l’unique critère de validité est l’efficacité et l’utilité immédiates.
24Ses interventions sont alors de plus en plus pensées à l’aune du marché, substituant ainsi une visée correctrice des « défaillances » de ce dernier à une visée organisatrice de la société. Ses interventions reposent le plus souvent sur une assise défensive, pratique et instable au détriment d’une stratégie démocratique de transformation sociale. C’est que la conception naturaliste de la « loi économique » trouve dans la mondialisation une alliée de poids. Processus obscur et exogène aux sociétés, non maîtrisable par les États et vis-à-vis duquel il n’y aurait pas d’autre issue que l’adaptation, elle justifierait de fait la recherche politique d’un affranchissement des compromis antérieurs afin de récupérer une capacité d’initiative géopolitique largement limitée par leur institutionnalisation nationale. Cependant cette stratégie incarnée par la financiarisation de l’économie qui pousse à réorienter les investissements et à privilégier le système international au détriment des investissements nationaux, n’exempte pas l’État de tout engagement, de toute responsabilité vis-à-vis de sa communauté nationale. Il est dans l’obligation d’acquérir une légitimité nationale pour maintenir une certaine paix sociale, une cohésion sociale minimale, s’exposant sans cela au risque d’une remise en cause de son positionnement international.
25D’où un discours paradoxal entre l’exaltation de l’entreprise comme vecteur de modernisation, de progrès social et une dénonciation bruyante, souvent en guise d’analyse, de l’« horreur économique » qui broie l’homme, le soumet à la logique du profit… Mais ce discours n’est qu’apparemment double ou contradictoire car il justifie à la fois la liberté plus grande accordée à l’économie et les mesures sociales correctives envers les victimes de ce nouvel ordre.
26Ceci nous amène à poser l’hypothèse suivante. À partir du moment où le marché se voit confier la tâche de porter le sens de l’orientation collective et où c’est aux performances économiques que reviennent les rôles de transformation sociale par la production des richesses et d’affirmation d’une puissance extérieure, la fonction de l’État social change. Dès lors, celui-ci est moins porteur d’une ambition commune d’émancipation individuelle et collective qu’il ne se conçoit comme l’auxiliaire d’un projet prioritairement économique. Ses interventions développent des logiques fortement antinomiques, révélatrices de la tension politique entre le « nécessaire » respect des contraintes économiques et la non moins nécessaire recherche d’une légitimité intérieure, condition ultime de sa place dans la compétition internationale.
27Alors la source de légitimité se déplace. Elle est puisée moins dans un projet politique de « faire société » que dans la philosophie des droits de l’homme devenue en deux décennies le nouveau référentiel des politiques sociales. C’est dans un contexte de crise de l’avenir que les droits de l’homme s’imposent comme substitut de l’anticipation politique défaillante et fournissent une orientation de l’action reposant sur la dénonciation de l’inacceptable, sur l’indignation et la culpabilité devant les situations de misère dans une société riche.
28L’expression « Trente Glorieuses » le plus souvent admise pour désigner la période de l’après-guerre jusqu’au milieu des années 1970, période durant laquelle l’État social connaît un important essor, est à maints égards trompeuse. De son adjectif triomphal, elle tire implicitement en effet une image de période sans problèmes sociaux importants, voire radieuse. La réalité, on le sait, est bien différente : la période est traversée de conflits sociaux parfois très durs ; les guerres d’Indochine et d’Algérie y occupent une large place ; les inégalités elles-mêmes restent très fortes. Les arguments sont nombreux qui permettent d’en faire sinon le procès au moins de couper court à toute tentative d’idéalisation rétrospective. Mais, on peut convenir que la période est caractérisée par la conviction largement partagée au sein des élites réformatrices que la politique possède une capacité d’action sur le corps social et sa destinée, qu’il lui revient d’intervenir sur le cours des choses pour le guider, tracer des orientations, organiser leur mise en œuvre… Cette conviction est accompagnée de la certitude que la fonction de la politique est de construire le collectif, de le gouverner de façon raisonnée et au nom de valeurs collectives. L’établissement et l’affermissement de l’État social constituent la traduction de ce projet. Il obéit à la volonté de produire un processus d’inclusion démocratique tant par le système de protection sociale que par le droit du travail, le renforcement des services publics. Les contradictions internes à cet État, ses incohérences, la persistance tenace des inégalités n’abolissent pas pour autant le projet collectif d’émancipation, la synthèse démocrate-libérale. C’est donc à cette intention politique, cet idéal que nous nous référons quand nous parlons par raccourci des Trente Glorieuses ; pas à ce qu’elles ont été concrètement, leurs vicissitudes et le bilan nécessairement balancé de leurs résultats. L’expression emblématise une période identifiable à un tel projet.
29C’est d’abord de ce choix que cet ouvrage tient sa singularité. Il voudrait se distinguer de beaucoup d’autres publiés sur la question sociale dont les approches sont parfois déterminées par les réponses sociales recherchées aux problèmes d’emploi. Ils abordent ces problèmes en fonction de questions comme l’activation des dépenses ou se prononcent sur les améliorations à apporter au modèle français, aux emprunts souhaités à tel modèle nordique, tentent l’évaluation de telle ou telle politique de l’emploi… Aussi légitimes que soient ces questions, elles ne vont pas guider notre réflexion même si certaines d’entre elles y ont leur place. Ce qu’on ambitionne ici est une réflexion sur les fondements politiques du système de l’État social lui-même. À la fois ses principes constitutifs, les objectifs qui lui sont assignés et les moyens mis en œuvre, pour être en mesure d’apprécier en quoi les réformes proposées affectent ces fondements, voire les remettent en cause. À force d’être tue, cette ambition fondatrice finit par être oubliée, emporté qu’on est par l’urgence des réponses, l’entraînement de débats dont les termes sont rapidement posés et bien souvent aveugles à leurs présupposés. Ce retour aux fondements politiques de l’État social n’est pas guidé par une quelconque nostalgie d’un autre temps mais par la conviction profonde que pour conduire les réformes indispensables dont il doit bénéficier pour s’adapter à la situation contemporaine de nos sociétés, on gagnerait à revenir précisément sur ce passé.
30Nous faisons le pari qu’on ne peut plus se dispenser de rappeler les bases du dessein qui préside à la construction de l’État social parce que c’est à ce niveau que se jouent les mutations profondes qui sont en cours et qui l’affectent dans ses fondements mêmes. Nous tentons d’en faire l’analyse à un moment particulier durant lequel il est l’objet de critiques et de réformes continues. Il constitue à nos yeux un poste d’observation privilégié du travail politique dans une société démocratique. En effet, la nature de la médiation qu’il élabore et du compromis qu’il construit est très révélatrice du projet politique de gouvernement de l’ensemble de la société. Ses transformations affectent le compromis social fondamental et par là même traduisent et entraînent tout à la fois une transformation du projet politique général.
31La période d’une trentaine d’années qui suit les Trente Glorieuses est marquée par une série de bouleversements, de turbulences, d’instabilité à la fois sur les plans économique et de la géopolitique. Elle donne à voir une tendance lourde de remise en cause du primat de l’action politique dans sa fonction première d’organisation de la société. Il ne s’agit ici ni de faire l’histoire de l’enchevêtrement de ces différentes composantes ni d’étudier les diverses réformes ayant affecté les piliers de l’État social. Notre intention est plutôt d’interroger, à partir d’un secteur précis de l’État social, la nature des modifications et ce qu’elles traduisent. Elles nous semblent inspirées par une foi dans la liberté individuelle et en sa capacité à l’autorégulation et l’auto-construction. La matrice de ces réformes peut être identifiée dans de tels principes fondateurs de l’idéologie libérale.
32Cette confiance absolue dans ces principes a eu pour conséquence, c’est ce que nous tenterons de démontrer, une transformation qui affecte la médiation politique elle-même tant dans les secteurs que dans ses modes d’intervention ou encore dans les principes au nom desquels elle se déploie. Il en découle une transformation du compromis qui est de moins en moins le résultat de la synthèse démocrate-libérale comme volonté politique organisatrice du tout et de plus en plus celui obtenu par une pluralité de compromis ponctuels, localisés, instables… qui ne résultent pas d’une mise en débat de l’organisation sociale pas plus qu’ils ne posent la question du fonctionnement global de la société et de ses nécessaires principes d’arbitrage.
- 14 Un bref retour sur cette notion : au début des années 1990, les débats sur les réformes jugées iné (...)
33Les différentes composantes de l’État social ont des logiques relativement autonomes. Elles peuvent même emprunter conjoncturellement des directions parfois sensiblement divergentes. Elles représentent des enjeux différents et mettent en scène des acteurs fort divers. Cette absence d’homogénéité entre ses composantes interdit d’aborder l’État comme un tout alors que sa cohérence n’est qu’illusoire. Aussi avons-nous fait le choix d’un terrain spécifique, celui qui concerne directement les questions de l’emploi. Deux raisons principales ont présidé à ce choix. Depuis plus de deux décennies, l’emploi est posé comme l’objectif prioritaire vers lequel doivent tendre les interventions des politiques sociales. La notion d’État social actif (ESA), version européenne adoucie du workfare américain, met l’accent sur la nécessaire « activation des dépenses ». Devenue un véritable référentiel européen14, elle imprègne la plupart des réformes qui visent à diminuer le coût de l’indemnisation du chômage au profit de subventions aux entreprises qui embauchent et de créations de dispositifs incitant les individus à reprendre un emploi. De plus, l’importance des dépenses publiques concernées, le nombre des bénéficiaires de l’ensemble des mesures de soutien à l’emploi, suffiraient à justifier à eux seuls l’intérêt qu’on lui porte.
Le droit du travail comme terrain d’observation
- 15 A. Supiot, Critique du droit du travail, Paris, PUF, coll. « Les voies du droit », 1994, p. 151.
34Nous nous proposons donc d’explorer notre hypothèse sur ce terrain précis et à partir de l’analyse des évolutions du droit du travail au cours des trois dernières décennies. Ce droit, au carrefour de la protection sociale et des politiques économiques et sociales, est l’incarnation, tant dans son mode de constitution historique que dans sa remise en cause actuelle, de la synthèse démocrate-libérale précédemment définie. Son élaboration résulte d’une intervention étatique prépondérante visant à mettre en œuvre, dans une relation professionnelle inégalitaire, un pouvoir collectif qui fonde et assure un pouvoir individuel. La combinaison entre le projet politique et le droit de sa mise en application est un modèle du genre. Rééquilibrant les pouvoirs respectifs grâce à une combinaison harmonieuse entre liberté contractuelle et intervention étatique, elle repose sur la reconnaissance d’intérêts et d’exigences divergentes, nécessitant une régulation pour tenter de « civiliser les relations sociales, c’est-à-dire d’y substituer des rapports de droit aux rapports de force et d’assurer à tous le statut de sujets de droit libres et égaux15 ».
35Or, dans un contexte de crise économique, de chômage massif, le régime qui organise les relations de travail – et à travers elles l’ensemble des rapports sociaux – devient un enjeu stratégique et un terrain de prédilection pour le retour de l’idéologie libérale. C’est ainsi que, depuis une trentaine d’années, nous assistons à un double mouvement interne au droit du travail. Ses deux fonctions, celle de codification des relations professionnelles et celle de facilitation d’accès au marché du travail, évoluent en sens inverse. L’État se retire très sensiblement du processus de codification et de protection de la relation d’emploi et investit massivement son pouvoir dans des politiques d’accès au travail, les politiques de l’emploi. Au nom des nécessaires croissance et compétitivité économiques, légitimées plus noblement par l’accès du plus grand nombre au travail, l’État libéralise la maîtrise de la force de travail en « allégeant » le droit du travail qu’il a fortement contribué à élaborer et, dans le même temps, il développe au nom du droit au travail, des politiques de l’emploi pour prendre en charge ceux qui n’ont pas accès au monde productif. L’État réattribue aux « lois du marché » une large part des fonctions qui lui avaient été ravies au nom d’une certaine conception du « vivre ensemble » démocratique. C’est ainsi qu’au nom de l’efficacité économique, il renonce à ses rôles de producteur et protecteur de liberté individuelle et qu’au nom des droits de l’homme, il prend en charge ceux pour lesquels la liberté individuelle n’est qu’un mirage.
36Aussi le droit au travail via les politiques de l’emploi se fait au nom des valeurs essentielles inhérentes à la philosophie des droits de l’homme dont la dignité peut être légitimement vue comme valeur matricielle, paradigmatique. Le travail doit être respecté en tant que principale source de la dignité humaine. Dans ce droit au travail, le droit est de moins en moins un médiateur capable d’instaurer une juste pondération de pouvoir et de liberté entre les groupes sociaux. Il devient un droit dont la mise en application relève de l’individu au nom de sa propre dignité. Le travail, quant à lui, acquiert un statut de bien individuel à forte connotation morale que la société attribue sous forme de bienfait.
37L’ensemble du droit du travail est à ce titre-là un indicateur privilégié des modifications de la régulation politique dans sa dimension juridique. Il est le lieu où le renversement des rôles et des relations entre État et société civile, État et économie, est manifeste.
- 16 J.-R. Henry, « Le changement juridique dans le monde arabe ou le droit comme enjeu culturel », Dro (...)
38Le droit est ici envisagé à la fois comme expression, technique et symbole du pouvoir et comme révélateur exceptionnel du mode de structuration de notre société. « Discours social central [qui] fixe les règles du jeu essentielles d’une société16 », il informe sur l’ordre politique ; les bouleversements de la sphère juridique éclairent ceux de la régulation politique et y participent. Ceci explique la place privilégiée que nous lui consacrons tant dans l’analyse de la construction même de la synthèse démocrate-libérale que dans sa déstabilisation actuelle.
- 17 Sur toutes ces questions voir M. Lallement et J. Spurk (dir.) Stratégies de la comparaison interna (...)
- 18 G. Esping-Andersen, Les trois mondes de l’État providence, Paris, PUF, 1999.
39En période d’intégration européenne et de mondialisation des échanges, il peut paraître surprenant que cet ouvrage ne tente pas d’ouverture hors de l’hexagone et ce d’autant plus que nous sommes convaincue de la valeur heuristique de la posture comparative. Mais la nature de ce travail, son ambition – interroger les transformations de l’État social à partir d’une approche historique de ses présupposés philosophiques et politiques – nécessiterait avant tout essai de confrontation, le même travail préalable de déconstruction/reconstruction appliqué à un autre pays. Mener de front de telles recherches dépassait largement notre projet et le décentrait. Or en leur absence ne s’exposait-on pas à seulement recenser ressemblances et dissemblances sur des objets communs, par exemple les politiques de l’emploi, en laissant hors de la réflexion la dynamique de l’espace contradictoire dans lequel elles évoluent ? Ne risquait-on pas d’apprécier le poids de telle variable sans être en mesure d’observer comment elle intervient dans des espaces nationaux différents17 ? La « bataille des modèles » à laquelle nous assistons depuis plusieurs années ou le poids normatif exercé explicitement ou pas sur nombre de comparaisons internationales par la typologie de G. Esping-Andersen18, sont deux exemples parmi bien d’autres des difficultés que nous aurions rencontrées faute de matériaux rigoureusement élaborés. Aussi nous ne pointerons et soulignerons l’impact de l’Europe ou de la mondialisation des échanges qu’à l’occasion de telle ou telle décision ayant un impact avéré sur une orientation nationale.
40Ces limites fixées, nous posons dans un premier temps le cadre général dans lequel s’effectue le ralliement des grandes familles politiques à l’idéologie libérale qui ébranle la concorde autour de la synthèse démocrate-libérale. À cette fin, nous verrons comment, par quels canaux, par quels circuits sont revus les éléments essentiels formant jusque-là le socle de cette philosophie démocratique. La période retenue (1980-2005) est largement marquée par le passage de la gauche au gouvernement. L’aggiornamento social-libéral de celle-ci en constituera le centre d’intérêt privilégié. Nous soulignerons comment à partir d’un certain moment les révisions qu’elle opère font système, donnent à voir une inversion libérale mettant l’État au service de la société (première partie, chap. 1). Puis, comment se dessine à partir des transformations du droit du travail dans ses deux composantes, une configuration des désengagements et des nouveaux engagements étatiques (première partie, chap. 2). Ensuite, il s’agira de montrer comment les politiques de l’emploi, traduction du droit au travail, prises comme témoin des nouveaux engagements et analyseur des transformations de l’État social, reposent de fait sur la déstabilisation qu’elles provoquent de la synthèse démocrate-libérale. Ces politiques emblématisent la recherche d’une nouvelle légitimité nationale (deuxième partie). Enfin, nous nous intéresserons au phénomène qu’il est convenu d’appeler le « retour du droit ». Dans un contexte caractérisé par un appel incessant à l’État de droit et dans lequel le Conseil constitutionnel acquiert un pouvoir sensiblement accru, les droits de l’homme s’imposent comme référence retrouvée. Ce mouvement général dessine de nouveaux rapports entre un droit inflationniste ayant des velléités d’indépendance et une régulation politique affaiblie et désorientée dont les politiques publiques de l’emploi constituent une illustration significative (troisième partie).
Notes
1 Le panel idéologique est large, de la mouvance libérale (P. Bénéton, Le fléau du bien : essai sur les politiques sociales européennes, Paris, R. Laffont, 1983) à la deuxième gauche (P. Rosanvallon, La crise de l’État providence, Paris, Seuil, 1981).
2 Cette notion joue un rôle pivot dans le numéro spécial de la revue Esprit, « Pourquoi le travail social ? », avril-mai 1972.
3 Valéry Giscard d’Estaing a été qualifié de « dernier social démocrate » car le début de son septennat au moins est marqué par une série de dispositions en faveur des salariés (loi sur l’autorisation administrative des licenciements…) et un interventionnisme étatique soutenu en matière sociale. La création sous le gouvernement de J. Chirac, d’un secrétariat à l’Aide sociale, révélateur d’un champ du travail social en pleine expansion n’en est pas l’exemple le moins significatif. C’est à ce moment-là que Bernard Lory construit le concept « d’action sociale globale » et que sont lancées les opérations « Habitat et Vie sociale » (1976).
4 Nationalisations, augmentation du SMIC, des allocations familiales et vieillesse, abaissement de l’âge de la retraite, cinquième semaine de congés payés…
5 M. Canto-Sperber, Les règles de la liberté, Paris, Plon, 2003.
6 C. Daniel et C. Tuchszirer, L’État face aux chômeurs. L’indemnisation du chômage de 1884 à nos jours, Paris, Flammarion, 1999.
7 Michel Messu a clairement montré comment certaines thèses sur la démission (P. Bourdieu, La misère du monde, Paris, Seuil, 1993), le déclin de l’État providence appréhendés à partir de son engagement financier, n’étaient pas valides. Il souligne que « non seulement les domaines inaugurés au cours de la période de formation de l’État providence n’ont pas connu de reflux massifs, la plupart ont même connu une expansion prodigieuse, et surtout, de nouveaux domaines ont vu le jour… » (M. Messu, La société protectrice. Le cas des banlieues sensibles, Paris, CNRS Éditions, 1997, p. 93).
8 F.-X. Merrien, « La restructuration des États providence : “sentier de dépendance”, ou tournant néo-libéral ? Une interprétation néo-institutionnaliste », Recherches sociologiques, 2000/2, p. 29-44.
9 M. Gauchet, La Révolution des droits de l’homme, Paris, Gallimard, 1989, p. XXIII.
10 S. Berstein (dir.), La démocratie libérale. Histoire générale des systèmes politiques, Paris, PUF, 1998.
11 Ibid., p. 5.
12 E. Durkheim, De la division du travail social, Préface de la 1re édition 1893, Paris, PUF, 10e éd. 1978, p. XLIII.
13 L. Jaume, « Loi », Cités, n° 8, 2001, p. 231-237 ; « Les droits contre la loi ? Une perspective sur l’histoire du libéralisme », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 85, janvier-mars 2005, p. 21-29.
14 Un bref retour sur cette notion : au début des années 1990, les débats sur les réformes jugées inévitables de l’État social construit à la Libération, se nourrissent de travaux académiques (A. Giddens, U. Beck…) qui vont connaître un large succès lorsque Tony Blair s’inspire de Giddens pour réformer les politiques sociales anglaises. Le principe fondamental est de ne pas établir de droit sans responsabilité pour lutter contre la passivité due à l’indemnisation. C’est le ministre belge des Affaires sociales, Frank Vandenbroucke, qui pose cette notion au cœur de la réorganisation de la politique économique et sociale de son pays. Dans son discours du 12 octobre 1999, il déclare : « L’orientation doit être claire : un État social actif entreprenant qui vise à une société de personnes actives sans renoncer à l’ancienne ambition de l’État social, c’est-à-dire une protection sociale adéquate. » À partir de là, cette notion connaît un très grand succès médiatique ; elle est consacrée au niveau européen lors du Conseil de Lisbonne du 23-24 mars 2000. Dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne, les gouvernements européens se donnent pour objectif d’atteindre, grâce à « l’activation de la politique sociale », un taux d’emploi de 70 % d’ici 2010.
15 A. Supiot, Critique du droit du travail, Paris, PUF, coll. « Les voies du droit », 1994, p. 151.
16 J.-R. Henry, « Le changement juridique dans le monde arabe ou le droit comme enjeu culturel », Droit et société, n° 15-1990, p. 140.
17 Sur toutes ces questions voir M. Lallement et J. Spurk (dir.) Stratégies de la comparaison internationale, Paris, CNRS Éditions, 2003.
18 G. Esping-Andersen, Les trois mondes de l’État providence, Paris, PUF, 1999.
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