Henri Legludic, un médecin angevin de renommée nationale sous la Troisième République : 1840-1917
p. 189-199
Texte intégral
1Le docteur Henri Legludic est une figure angevine, si ce n’est nationale, injustement méconnue aujourd’hui. Son œuvre scientifique est loin d’être négligeable dans l’histoire de la médecine légale et il a mené une carrière remarquable de praticien, d’enseignant et d’administrateur dans le domaine de la santé publique à Angers. Il a été directeur de l’École de médecine pendant vingt ans, de 1890-1910. 1910 marqua pour lui le début d’une retraite des plus actives. Il est décédé en septembre 1917. Ses funérailles à Angers témoignèrent de sa popularité et de sa place bien établie dans le gotha angevin de la Troisième République.
Un médecin légiste renommé
2Legludic se consacrait encore en 1917, la dernière année de sa vie, à la médecine légale qu’il aimait par-dessus tout1. En 1863, sa thèse soutenue à Paris portait déjà sur « les signes de la mort », sujet au carrefour de la médecine et du droit2. Elle traite des enterrements prématurés, de la mort apparente, des signes diagnostics de la mort en s’appuyant sur les signes cardiaques car les tests alors pratiqués, du miroir ou du coton devant la bouche, apparaissaient peu probants. Il préconise que les inhumations aient lieu seulement trois jours après les signes constatés afin d’éviter les enterrements prématurés. Son directeur de thèse était le professeur Brouardel, célèbre médecin légiste. En 1917, il travaille encore à un dernier ouvrage portant sur les expertises concernant les accidents du travail.
3Médecin expert auprès des tribunaux, il devint médecin légiste et, en 1871, il est tout désigné pour remplacer son maître, le Dr Daviers, comme membre correspondant de la société de médecine légale à Angers. Ses rapports médico-légaux furent rapidement réputés auprès des magistrats et des hommes d’affaires qui soulignaient leur clarté, leur précision et leur impartialité. Ils faisaient sensation devant les cours d’assises : « présentées en terme modérés, avec une impeccable impartialité, ses dépositions n’étaient pas moins redoutées du défenseur que du criminel », car elles pouvaient fournir de précieuses armes à l’avocat général3.
4Legludic aurait pu se satisfaire, comme beaucoup de ses confrères, de répondre aux commissions rogatoires et de fournir ainsi des rapports d’expertise, mais avec une méticulosité toute scientifique, il collationne ses rapports, lit la littérature médico-légale de son temps, les auteurs français mais aussi allemands ou anglais. Il compulse les Archives d’anthropologie criminelle, le Bulletin de la société de médecine légale, les Annales d’hygiène et de médecine légale, les Annales médico-psychologiques et la Revue de médecine légale4. Tout cela lui sert de références afin de publier son premier ouvrage.
Notes et observations de médecine légale : les attentats aux mœurs
5Il intitule son premier livre sobrement : Notes et observations de Médecine légale. Attentats aux mœurs et il le publie à Paris chez Masson en 1896. Il justifie sa démarche en rappelant qu’au début de sa propre carrière, les ouvrages de référence manquaient en médecine légale, alors qu’ils sont utiles aux médecins qui doivent répondre aux réquisitions des juges. Son livre traite donc des attentats à la pudeur, des viols, des outrages publics à la pudeur et de la pédérastie, selon les terminologies en usage à l’époque. Le docteur Legludic s’appuie sur 445 expertises pratiquées par lui-même durant 24 ans en Maine-et-Loire principalement, et il réalise avec ce matériau des statistiques très précises.
6L’ouvrage est très bien accueilli par Les Archives d’anthropologie criminelle. Marc-André Raffalovich, journaliste, souligne dans un compte rendu de lecture l’intérêt d’un tel ouvrage pour les jeunes médecins. Il ne rend toutefois pas entièrement justice à l’ouvrage car il néglige le travail sur les attentats à la pudeur et les viols commis la plupart sur des petites filles. Cette partie montre pourtant la finesse de la démarche, des observations et des analyses qualitatives ou statistiques de Legludic.
7Raffalovitch préfère s’intéresser à la troisième partie de l’ouvrage portant sur la pédérastie. En effet, en 1896, Raffalovich a publié : Uranisme et unisexualité : étude sur différentes manifestations de l’instinct sexuel, livre de plus de trois cents pages et un article intitulé « l’Uranisme » dans la Revue d’anthropologie criminelle5. Il relève avec intérêt que Legludic n’a pas rencontré dans ses expertises les signes physiques de sodomie active ou passive décris par Orfila et Tardieu. Raffalovich en conclut que, suite au livre de Legludic, « toute la théorie de la sodomie active et passive est à refaire » et que ceci n’est pas dénué de conséquences en matière de justice puisque les commissions rogatoires en cas d’attentats aux mœurs entre garçons commencent toutes par « l’inculpé présente-t-il des signes de pédérastie active ou passive ? » Raffalovitch se plaît à retrouver dans la critique des catégories de Tardieu (sodomie passive, sodomie active) des arguments en faveur de ses propres concepts : « unisexualité, inversion, uranisme » plutôt que le clivage classique actif/passif appuyé sur une clinique fantasmée. Les qualités d’observations de Legludic et sa capacité à prendre des distances avec les théories toutes faites sont ainsi soulignées.
8Raffalovitch s’enthousiasme ensuite pour la dernière partie de l’ouvrage. En effet, le docteur Laupts de Lyon ayant lancé une enquête sur les perversions, Legludic a décidé d’inclure à la fin de son ouvrage l’autobiographie d’un « inverti ». Ce document lui a été confié en 1874 par Arthur W., détenu à la prison d’Angers. En 1896, le sujet est à la mode, c’est aussi l’année de la publication en français de l’ouvrage de Kraftt-Ebing, Psychopathia sexualis. Raffalovich voit dans le témoignage d’Arthur W. un monument « de la littérature médico-légale, de la littérature de la psychopathie officielle ». Et, même s’il dénonce le style romanesque d’Arthur W. et le déterminisme dont il fait preuve, Raffalovitch encourage les médecins à lire et à observer les dessins d’Arthur W., faisant ainsi la promotion du livre du docteur Legludic.
9Récemment, en 2000 et en 2007, l’intérêt pour les gays studies a entraîné la réédition du témoignage d’Arthur W., redonnant une certaine actualité à Legludic6. Dans sa préface, Daniel Grojnowski remarque que ce sont des personnalités comme le docteur Legludic, qui sont capables de voir dans un Arthur « un malheureux », « un névrosé », et qui permettent d’établir suffisamment de confiance entre le médecin et le détenu pour obtenir des témoignages de qualité.
Notes et observations de médecine légale : Les blessures
10Le second ouvrage important de Legludic paraît en 1905 ; il porte cette fois sur les blessures7. Les Archives d’anthropologie criminelle soulignent une fois encore l’intérêt du travail du médecin qui, en publiant ses rapports, donne accès à sa vaste expérience sans s’encombrer de vaines théories. Legludic établit une nomenclature des différents types de blessures afin d’éclairer les experts auprès des tribunaux : blessures selon leur cause, selon leur siège, blessures dues à des accidents du travail, blessures provoquées, blessures dues à des sévices. Il n’hésite pas à faire des expériences, tirant au pistolet sur une peau de mouton pour tenter d’évaluer la distance entre le tireur et sa cible. La critique souligne l’intérêt des observations faites sur les accidents du travail, ce qui explique sans doute que, l’année de sa mort, Legludic travaille encore sur le sujet8. Les lois récentes sur les accidents du travail conjuguées à l’afflux des blessés de guerre donnent aussi une grande actualité à ces problématiques9. Il n’aura le temps de publier qu’un article sur « L’état antérieur chez les mutilés et les malades de guerre, victimes d’accidents du travail10 ». Il imagine que chaque ouvrier ne devrait être embauché qu’après une visite médicale afin de permettre, en cas d’accidents du travail, le versement d’indemnités. Cela : « Pour plus de justice et un meilleur rendement social11. »
Une œuvre inachevée
11André Boquel, dans sa notice nécrologique des Archives médicales d’Angers, évoque, lui, un troisième ouvrage en préparation sur les infanticides, qui s’inscrit davantage dans la continuité de l’ouvrage de Legludic sur les attentats aux mœurs. Cela aurait complété le triptyque : les attentats aux mœurs, les blessures et enfin les infanticides. En 1912, c’est cette dernière question qu’il développait devant le Deuxième congrès de médecine légale à Paris, en présentant un rapport sur un cas de « strangulation d’un nouveau né par un lien pendant l’accouchement après dégagement de la tête hors de la vulve12 ».
12Ce parcours de médecine légiste mène Legludic à la vice-présidence des premiers congrès de médecine légale français en 1911 et 1912 et quasiment à la présidence en 1913. Selon André Boquel, il fut élu par acclamation président en 1913, mais il déclina l’offre13. Cependant, l’œuvre écrite de Legludic ne saurait résumer l’œuvre de sa vie. Il s’est construit lui-même dans une époque politique troublée, où il a su trouver sa place et affirmer ses convictions, suscitant parfois jalousie et opposition.
Un serviteur de l’État, un serviteur de la République
13De son vrai nom Émile Henri Legludic, il naît le 13 avril 1840 dans une maison proche du jardin des plantes à Angers, dans un « milieu d’honorable bourgeoisie ». Il est fils d’Henri Marie Prosper Legludic, négociant et de Camille Louise Antoinette Bru (mariés le 28 novembre 1837 à Tours). Après des études de lettres au lycée David d’Angers et le baccalauréat, il s’inscrit à l’École de médecine d’Angers, le premier janvier 1858. Il se décrit alors « étudiant timide, sans guide et sans protection14 » et il a pour maîtres les professeurs Mirault, Daviers, Laroche et Négrier. Comme il était d’usage, il termine ses études à Paris, où il devient docteur en médecine le 22 août 1863, à 23 ans. Il choisit de rentrer à Angers, où il épouse, le mois suivant, Marie-Louise Gobard. Le couple s’installe alors définitivement au 56 du boulevard du roi René. De là, Legludic conduira sa carrière médicale angevine, s’occupant d’hygiène et de santé publique. Ceci allait l’amener à avoir également des responsabilités municipales, avant de prendre la direction de l’École de médecine d’Angers de 1890 à 1910, poste que l’on peut considérer comme une seconde carrière.
Des convictions républicaines et progressistes
14Le début de sa carrière en fait rapidement le directeur de l’hospice général Sainte-Marie puis le professeur de physiologie de l’École de médecine d’Angers. La guerre de 1870 et le changement de régime qui s’ensuivit l’amenèrent à affirmer ses opinions politiques. Selon le docteur Jagot, Legludic fut « un membre actif de cette vaillante phalange républicaine qui après 1870, au lendemain (des) désastres » n’avait « pas peur de mettre en rapport (ses) actes avec (ses) convictions », risquant d’y sacrifier « ses intérêts privés15 ». Il considère qu’avec les Maillé, Guitton, Bouhier et Leroy, il a fait les beaux jours du parti libéral et « a vraiment fondé la République à Angers ». André Boquel explique que de « 1870 à 1878, il prit une part active à la vie municipale… À un moment où il avait tout à perdre, guidé par ses convictions fortes, persuadé de la justesse et de l’utilité de la cause qu’il défendait, il poursuivit son œuvre avec fermeté, ignorant l’art des variations savantes et utilitaires », provoquant « l’enthousiasme » dans son camp et « la colère » chez ses adversaires16. Mathilde Alanic souligne qu’« il s’affirma donc républicain avec une franchise courageuse », avec MM. Maillé et Mon profit. Cette position vaut au docteur Legludic d’entrer au conseil municipal le 16 janvier 1871 et d’être deux fois adjoint avant 1884.
15Il manifeste alors son intérêt pour la question sociale, présentant un rapport de 100 pages au conseil municipal sur la manière d’éradiquer la mendicité à Angers et sur la manière d’organiser l’assistance publique17. L’objectif est de faire des propositions pour « améliorer les sort des classes pauvres, leur faciliter le travail, leur enseigner la prévoyance, les soutenir dans les moments de maladie et de chômage, les secourir » pendant l’enfance et la vieillesse, enfin de « les mettre à l’abri de la dure nécessité de mendier » et de « réaliser enfin cette fraternité que la république inscrit avec orgueil dans des lois et qu’elle doit faire passer dans les faits ». Il dresse ensuite l’inventaire et évalue les structures d’aides alors en place à Angers : sociétés de charité maternelle, crèches, écoles, hospices, orphelinat, sociétés de secours mutuel, monts de piété, hospices, hôpitaux… Il prend position en faveur de la future loi sur l’instruction gratuite et obligatoire, rappelle la loi de 1841 interdisant le travail des enfants, se félicite des principes de la colonie agricole pénitentiaire de Mettray pour amender les jeunes délinquants. Il prend pour modèle les cités ouvrières de Toulouse. Il préconise d’ouvrir des ateliers de charité en cas de crise et de réserver pour ces moments les travaux d’intérêt public qui n’ont pas de caractère d’urgence.
16Enfin, il défend l’assistance comme moyen de faire disparaître la mendicité. Il propose « l’assistance pour toutes les misères réelles, sérieuses, honnêtes, qui affligent le pauvre » et « la répression pour toutes les misères factices que simule le mendiant18 ». Il préconise le développement des dépôts de mendicité, la création de crèche, de salles d’asile, d’un orphelinat de garçon et la réorganisation du bureau de bienfaisance. Les bains et les lavoirs publics doivent être disponibles pour les pauvres, gratuitement ou à prix réduits, et des fourneaux doivent être créés par la municipalité permettant la distribution de 5 000 rations alimentaires. Ce travail est inspiré par les idées philanthropiques et les références citées montrent le travail de documentation accompli par Legludic sur le sujet : Mettray, Mulhouse…
17Pendant la Première Guerre mondiale, il n’est pas insensible aux revendications féministes. Mathilde Alanic cite une lettre à ce sujet qu’il lui a sans doute adressée. Il considère qu’il assiste « à un grand fait social, issu de la guerre même ». « La femme a démontré son aptitude à beaucoup de travaux, sa capacité à beaucoup de métiers, et souvent, je vous l’accorde, avec un rendement supérieur à celui de l’homme. » Il en accepte la conséquence : « à travail égal, salaire égal », et il déclare approuver les conclusions du Conseil national des femmes de 1910 : « Des droits égaux à ceux de l’homme dans la société. » Cependant, son propos est loin d’être radical : les jeunes filles ou les veuves peuvent bien travailler mais non les femmes mariées : « L’homme doit gagner le pain de tous. » Il observe que dans le monde du travail les foyers heureux sont « ceux où la femme gouverne son intérieur avec économie et une juste préoccupation de le tenir propre, salubre, bien entretenu, les vêtements de tous raccommodés, les enfants bien soignés, les repas préparés à l’heure. Le mari rentre satisfait à la maison ; les enfants s’y plaisent et ne vont pas vagabonder en l’absence des parents ». Il récuse l’idée, sans doute défendue par Mathilde Alanic, que « la solidarité sociale » puisse se substituer au rôle des femmes au foyer et conclut : « la femme doit rester l’épouse dévouée, la mère attentive, la sauvegarde et la parure du foyer », rejoignant ici l’argumentation des antiféministes19. Ainsi, s’il admet « à travail égal, salaire égal », il réserve le travail extérieur aux femmes obligées de travailler.
Une carrière municipale interrompue
18Les idées républicaines et, malgré tout, progressistes de Legludic ont dû lui valoir des adversaires nombreux en Anjou où les monarchistes et les esprits conservateurs, voire réactionnaires, étaient nombreux. Sa carrière municipale s’interrompt en 1884 et quoiqu’en dise Mathilde Alanic, il semble que ce ne soit pas du propre chef du médecin. Selon sa thèse « le caractère indépendant du docteur s’accommoda peu des exigences de la politique » et « le Dr Henri Legludic se retirait bientôt de la vie publique pour se consacrer à ses occupations professionnelles, de plus en plus absorbantes20 ». Il aurait laissé sa place en politique à son frère, le Dr Léon Legludic. Ce dernier fut maire de Sablé et député de la Sarthe. On ne voit pas la concurrence entre les deux frères : Henri étant lui installé définitivement à Angers.
19En réalité, en 1884, ses adversaires politiques déposèrent un recours devant le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de l’arrêté du conseil de préfecture de Maine-et-Loire du 17 mai 1884 qui validait l’élection d’Henri Legludic comme conseiller municipal et a fortiori comme adjoint. Un mémoire est publié dans ce sens21. Il s’appuie sur une jurisprudence de 1881 qui indique qu’on ne peut être agent salarié et élu d’une même commune. Or, Legludic étant payé par la ville, son activité de médecin hygiéniste le rattrape ici. En effet, il est chargé avec un confrère de la surveillance et de l’inspection des filles publiques depuis septembre 1871, avec un traitement fixe d’au moins 700 francs. L’auteur du libelle constate que le médecin prend 4 francs par visite et qu’il ausculte au moins 64 filles par semaine, ce qui en fin de compte lui fait un revenu non négligeable. Un addenda est joint, précisant que le mémoire est en dessous de la vérité et que Legludic prend en réalité 5 francs pour chaque visite de fille publique, ce qui lui rapporterait, finalement « un traitement effectif » de 9 000 francs par semestre. C’est sans aucun doute cette affaire et l’opiniâtreté de ses adversaires politiques qui mirent un terme à la carrière municipale d’Henri Legludic.
L’action du directeur de l’École de médecine
20En 1890, il est nommé directeur de l’École de médecine d’Angers où il dispense le cours de physiologie depuis 1870. Il attribue sa nomination par le gouvernement à sa « fidélité universitaire » et à sa « sincérité républicaine », ayant rencontré ses « idées démocratiques dès le berceau22 ». Cette nomination ne semble pas avoir été consensuelle au sein d’une l’École qu’il va pourtant faire évoluer et agrandir au rythme des réformes administratives et des progrès scientifiques. Il met sur pied l’ébauche d’un service de radiologie dans un sous-sol de l’École, très vite après le prototype mis en place par Marie Curie. Il obtient que les deux premiers examens de médecine puissent être passés à Angers et non plus à Paris et, en 1895, effet d’une décentralisation voulue par le ministre de l’Instruction publique Spuller, le diplôme PCN (physique-chimie-sciences naturelles) est délivré à Angers.
21Cette reconnaissance de l’École est le résultat de l’enrichissement des cours dispensés à Angers avec par exemple, en 1894, la création de la chaire d’histologie. Legludic qui défend l’enseignement de la médecine comme l’enseignement d’une science expérimentale obtient en 1890 l’ouverture d’un laboratoire de physique, en 1891 l’ouverture d’un laboratoire de bactériologie (agrandi en 1896 par souscription publique de la ville d’Angers et du département) ainsi qu’une annexe au laboratoire de chimie, et enfin, en 1902, un pavillon pour la clinique ophtalmologique dont la chaire est créée la même année (rue Larrey). Il obtient des terrains de la commission administrative des hospices, notamment pour développer un jardin botanique qui complète les équipements, les études de pharmacie étant dispensées à Angers depuis 1841. Le tout est réalisé avec le soutien de la municipalité.
22Lors du centenaire de l’École, il justifie ainsi le travail accompli : « L’école débute avec sept professeurs ; elle en compte vingt-quatre aujourd’hui. Que fallait-il à une École de médecine, il y a cent ans ? Des cliniques, une salle de cours, une salle de dissection. L’éducation professionnelle était le souci exclusif du maître. Aujourd’hui, l’étudiant recherche des travaux pratiques de chimie, de physique, de physiologie, d’histologie, de bactériologie. Il apprend à se servir de la cornue, du microscope, de l’appareil enregistreur, de l’étuve à cultures23. » Il rappelle alors la « révolution médicale opérée par les travaux de Pasteur » et le passage de la vapeur à l’électricité comme des éléments déterminants du changement.
23Pour son propre cours de physiologie, il obtient, en 1893, la création de travaux pratiques dispensés par un chef de travaux, ainsi il peut se consacrer au cours théorique. « Une expérience, pratiquée séance tenante, suspend la continuité de l’exposition, distrait l’auditeur et entraîne une dépense de temps. » Ainsi justifie-t-il la séparation entre le cours, qu’il dispense, et les travaux pratiques du laboratoire, « nécessaires à leur instruction médicale ». Les étudiants peuvent y observer « la technique physiologique, les procédés d’expérimentations… les méthodes d’investigation24 » et y manipuler des pneumographies, des cardiographes, un soufflet à respiration artificielle et un enregistreur à la méthode graphique.
24Parallèlement, il fondait en 1897 une nouvelle revue, Les archives médicales du Maine-et-Loire, de la Mayenne et de la Sarthe, afin de fédérer les énergies par-delà les luttes, les divergences et les rivalités25. La revue durera jusqu’en 195226.
25Ce parcours à la tête de l’École de médecine, selon Mathilde Alanic ne fut pas sans heurter quelques « susceptibilités » ou « décevoir quelques intérêts particuliers ». Mais il maintint le cap de l’école malgré des « mécomptes » dont elle ne dit pas grand-chose. De même, André Boquel explique qu’il fut « combattu par certains27 ». Mais il voit surtout dans l’ancien directeur « un négociateur habile », « un administrateur parfait » sous l’impulsion duquel « tout se transforma, tout se renouvela, s’améliora et de chétive, quand il l’a prise, il fit une école prospère ». À l’heure de la retraite, Legludic évoquait, lui, « une longue direction entourée de sympathies et de dévouements fidèles ».
26Comme directeur, dans ses discours, il développe les thèmes de l’enthousiasme, de l’intelligence, des progrès de la science, du travail, de la transmission entre générations de maître à élève, avec le devoir pour les plus jeunes de reconnaître ce qu’ils doivent aux anciens qui ont amené la science à un haut niveau et préparé les succès futurs. La fin de sa vie est marquée justement par une série d’honneurs rendus.
Les honneurs
27Mathilde Alanic souligne qu’à la fin de sa vie, « le docteur parvenait à cette période rémunératrice où l’homme recueille la moisson d’un passé fécond de travail et de probité ». Il reçoit successivement la médaille d’honneur de l’assistance publique (25 janvier 1904), puis la médaille d’or de la Mutualité et il est fait chevalier de la Légion d’honneur en mai 1901. Le patriote de l’Ouest souligne sa satisfaction de voir « la croix sur la poitrine d’un homme qui a tant fait pour la science, pour l’humanité et pour la cause républicaine28 ». Il raconte la fête organisée à Angers à cette occasion par ses intimes. Dans les salons Jahan, rue d’Alsace, un punch est offert à 21 heures, suivi de la remise d’un bronze de Boucher représentant trois coureurs. Sont présents de nombreux médecins du Maine-et-Loire, de la Mayenne et de la Sarthe, parmi lesquels le docteur Bolognesi, directeur de l’École de médecine du Mans et les médecins de l’armée. Le docteur Jagot, au nom de l’École de médecine, souligne que Legludic mérite deux fois sa Légion d’honneur, d’abord comme républicain pour les « services politiques rendus au pays et à la République », ensuite comme enseignant de physiologie. La Légion d’honneur lui est attribuée sur la proposition du ministre de l’Instruction publique. Il souligne aussi l’activité du directeur de l’École de médecine. En réponse, Legludic déclare qu’à travers lui la Légion d’honneur distingue l’École, qu’il n’est qu’un passeur et que s’il tombe, de jeunes coureurs reprendront le flambeau, faisant référence à la statue qu’on lui a offerte.
Le centenaire de l’École de médecine d’Angers
28En 1907, il organise encore le centenaire de l’École et préside à la rédaction d’un épais ouvrage présentant la liste des professeurs année par année ainsi que des statistiques sur les élèves où l’on retrouve le goût de Legludic pour les chiffres et les nomenclatures. Il signe lui-même la longue partie consacrée aux transformations de l’École sous sa direction et il confie aux différents professeurs l’écriture de l’histoire de leur chaire en évoquant leurs prédécesseurs. L’ouvrage offre le portrait photographique et parfois nécrologique de nombreux professeurs. On y trouve les photographies du docteur Legludic et de Mathilde Alanic, quelques photographies de groupe et des diverses améliorations de l’École. L’attachement du savant Orfila à l’École est souligné à maintes reprises (rapport favorable à l’École en 1837, don d’une partie de sa bibliothèque et de ses collections en 1853), ainsi que la notoriété de certains élèves comme Ollivier, devenu médecin légiste à Paris et considéré comme un des pères de la médecine légale. Ainsi les filiations sont clairement établies entre les différentes générations et les différents talents. En 1910, le vieux professeur, âgé de 70 ans, peut prendre sa retraite. Il vit encore sept années, dont trois de guerre. Il accepte alors d’être le médecin chef de l’hôpital 102 pour soigner les blessés, « où il a donné les soins les plus dévoués29 ». Rappelons aussi qu’en 1911, 1912 et 1913, il est vice-président des premiers congrès de médecine légale organisés en France.
Ultime hommage
29Il décède 19 septembre 1917 et il est inhumé au cimetière de l’Est. L’enterrement se veut sobre dans un contexte de guerre où tant de jeunes disparaissent et le vieil homme a demandé une cérémonie simple : ni fleurs, ni couronnes. Cependant, après la levée de corps au domicile, à 10 heures 30, « un grand nombre de personnages appartenant aux corps enseignants et à l’autorité judiciaire » suivent le cortège. On remarque la veuve et ses deux fils, Émile Legludic, procureur à Saumur et Léon Legludic, adjudant au troisième régiment des dragons. Côté enseignement, il y a le docteur Boquel, directeur de l’École de médecine, l’ensemble des professeurs, mais aussi le recteur, l’inspecteur d’académie, les autres directeurs d’écoles de la ville, le proviseur du lycée David d’Angers. Côté politique, le préfet, un ou deux sénateurs, des conseillers généraux ; côté judiciaire, le premier président, les conseillers honoraires, un avocat général, des juges en particulier de Saumur, des greffiers. On note aussi la présence du consul d’Italie et de l’industriel Cointreau.
30Assurément, Angers enterre alors une de ses personnalités marquantes qui a influé sur le cours des événements pendant près de cinquante ans, que ce soit comme élu, médecin hygiéniste ou directeur de l’École de médecine. Sa carrière a été entièrement marquée par des idées progressistes, républicaines et philanthropiques. La guerre a été, pour lui, la dernière occasion de marquer son patriotisme et son sens de l’intérêt général. Selon Mathilde Alanic « un sentiment de stupeur… se répandit dans la ville » à l’annonce de sa mort. Elle explique ce sentiment par la prise de conscience par la population « d’une perte irréparable », celle d’un « foyer rayonnant d’énergie, d’intelligence et de générosité qui s’éteint ». Elle ajoute : « Tout Angers connaissait cette fière et caractéristique figure, que les cheveux blancs ennoblissaient sans en accuser l’âge et qui pénétrait de respect le passant non averti30. »
31Son nom fut donné à la salle du service des enfants malades à l’hospice d’Angers, le 14 février 1922. La reconnaissance des Angevins lui fut marquée une dernière fois, le 10 juin 1932, lorsque la municipalité donna son nom à une rue entre la rue Bellepoignée et la place de la Paix, dans la Doutre, quartier de l’hôpital.
Notes de bas de page
1 Alanic M., « Le docteur Henri Legludic », Revue de l’Anjou, 1917, p. 269.
2 Legludic H., Des signes de la mort, chez Parent, imprimeur de la faculté de médecine, 52 p.
3 Alanic M., op. cit., p. 255.
4 Bibliographie reconstituée et classée du livre du docteur Legludic, Notes et observations de médecine légale : Attentats aux mœurs, Masson, 1896, in Ferron L., Le discours judiciaire sur la sexualité au XIXe siècle d’après les archives de la cour d’assise d’Angers, Michelle Perrot et Jacques-Guy Petit (dir.), DEA, Paris VII, 1991.
5 Raffalovitch, « Bibliographie », Archives d’anthropologie criminelle, tome X, p. 112.
6 Arthur X. Mémoires d’un travesti, prostitué, homosexuel – la comtesse 1850-1861, présenté par Chazaud J., L’Harmattan, 2000 et Confessions d’un inverti-né suivi de Confidences et aveux d’un parisien par Arthur W., préface d’Émile Zola, édition établie et présentée par D. Grojnowski, José Corti, 2007.
7 Legludic H., Les blessures, Paris, Masson, 1905, 771 p.
8 Archives d’anthropologie criminelle, 1906, p. 752.
9 Lois du 9 avril 1898, du 22 mars 1902 et du premier mars 1905 qui insistent sur la nécessité d’établir s’il y a incapacité temporaire, absolue et partielle, incapacité absolue et permanente, afin de percevoir des indemnités.
10 Archives médicales d’Angers, no 4, juillet-août 1917, p. 53-65.
11 Archives médicales d’Angers, no 4, juillet-août 1917, p. 63.
12 Compte rendu du deuxième congrès de médecine légale en langue française, Paris, 20-22 mai 1912.
13 Archives médicales d’Angers, sept.-oct. 1917, p. 76-77. Par ailleurs, Legludic est l’un des signataires les plus éminents d’une pétition en faveur d’une association nationale de médecins experts auprès des tribunaux, association qui a pour but d’organiser des réunions scientifiques mais aussi d’améliorer la pratique professionnelle. Frédéric Chauvaud remarque qu’il s’agit aussi de créer une nouvelle structure distincte de la Société de médecine légale qui, elle, est dirigée par des juristes. Retraité, Legludic ne fut pas membre du premier comité directeur de cette toute neuve association, in Chauvaud Frédéric, Les experts du crime, Paris, Aubier, p. 252.
14 Cité par Alanic M., « Le docteur Henri Legludic », Revue de l’Anjou, 1917, p. 252. Citation empruntée au discours du 14 mai 1901 du docteur Legludic. Voir Le patriote de l’Ouest du lendemain.
15 Le patriote de l’Ouest, 14 mai 1901.
16 Boquel A., « Le docteur Henri Legludic », Archives médicales d’Angers, sept.-oct. 1917, p. 73.
17 De l’extinction de la mendicité et de l’assistance publique, par M. Legludic, Angers, Imprimerie républicaine, rue des Poëliers, 1872, 100 p.
18 Ibid., p. 96.
19 Bard C. (dir.), Un siècle d’antiféminisme, Fayard, 1999.
20 Alanic M., « Le docteur Henri Legludic », Revue de l’Anjou, 1917, p. 255.
21 Le cas de Mr Legludic Henri. Contentieux au conseil d’État, Lachèse et Dolbeau, 1884, 8 p.
22 Le patriote de l’Ouest, le 14 mai 1901.
23 Séance solennelle du centenaire, 19 février 1907, p. 40.
24 Legludic Dr H. (dir.), École de médecine et de pharmacie. Centenaire 1807-1907, p. 200.
25 Alanic M., « Le docteur Henri Legludic », Revue de l’Anjou, 1917, p. 256.
26 Audran C., Le docteur Legludic, un médecin polyvalent, mémoire de maîtrise, Angers, 2002.
27 Boquel A., « Le docteur Henri Legludic », Archives médicales d’Angers, sept.-oct. 1917, p. 77.
28 Le patriote de l’Ouest, 12 mai 1901.
29 Le petit courrier, 20 septembre 1917.
30 Alanic M., « Le docteur Henri Legludic », Revue de l’Anjou, 1917, p. 251.
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