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Corps saccagés

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Frédéric Chauvaud

Introduction

Frédéric Chauvaud

Texte intégral

  • 1 Gaston Leroux, Histoires épouvantables, Éditions Ombres, 2006 [1911-1925], 219 p.
  • 2 Jean Paulhan, Les causes célèbres, Paris, Gallimard, 1950, p. 35-36.
  • 3 Sur l’impact de certains « faits divers », voir le récit de Dennis Cooper, Violence, faits divers, (...)
  • 4 Sur la réception, voir le livre classique de Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réceptio (...)
  • 5 Expression reprenant la formule d’Alain Corbin relative au « saccage du corps », Présentation, Vio (...)
  • 6 Michel Vovelle, La mort et l’Occident, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque illustrée de l’histo (...)
  • 7 Georges Vigarello, Le corps redressé, Paris, Jean-Pierre Delarge, édition universitaire, coll. « C (...)
  • 8 Grégoire Chamayou, Les corps vils. Expérimenter sur les êtres humains aux XVIIIe et XIXe siècles, (...)
  • 9 Jacques Léonard, Archives du corps. La santé au XIXe siècle, Rennes, Ouest-France, coll. « De mémo (...)
  • 10 Alain Corbin, « Douleurs, souffrances et misères du corps », dans Alain Corbin, Jean-Jacques Court (...)
  • 11 Michel Foucault, Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… Un cas de parric (...)
  • 12 Philippe Vigier, « Buzançais, le 13 janvier 1847 », dans La vie quotidienne en province et à Paris (...)
  • 13 Alain Corbin, Le village des cannibales, Paris, Aubier, 1990, 204 p.
  • 14 André Rauch (dir.), « Violence, brutalité, barbarie », Ethnologie française, 1991/3, p. 220-349.
  • 15 Michel Porret (dir.), Le corps violenté. Du geste à la parole, Genève, Droz, 1998, 370 p.
  • 16 Wolgang Sofsky, Traité de la violence, Paris, Gallimard, 1998, 214 p.
  • 17 « Violences », Sociétés & Représentations, no 6, juin 1998, 503 p.
  • 18 Voir toutefois David Le Breton, La chair à vif. Usages médicaux et mondains du corps humain, Paris (...)
  • 19 Citons notamment Robert Muchembled, La violence au village, Paris, Brepols, 1989, 419 p. ; Jean-Cl (...)
  • 20 Les travaux sur le thème de la catastrophe se multiplient mais la part faite aux corps humain rest (...)
  • 21 George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, (...)
  • 22 Voir Bernard Andrieu (dir.), Dictionnaire du corps : en sciences humaines et sociales, Paris, Édit (...)
  • 23 Une présentation nécessiterait à elle seule un fort volume qui excéderait les limites de la présen (...)

1Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Jean Paulhan, rédacteur en chef de la Nouvelle Revue Française depuis près d’un quart de siècle déjà, publie un petit recueil de « notes », sorte de contes moraux. L’un d’entre eux, particulièrement sombre, aurait presque pu prendre place dans la série des Histoires épouvantables de Gaston Leroux1. Intitulé Une main sous les pierres, il s’ouvre par la description de corps à la fois entassés et écrasés sous des gravas à la suite d’un éboulement probable. L’un des sauveteurs, un maçon, est subitement l’objet de l’attention de ses camarades. Sa chemise est tachée de rouge : ce sont des taches de sang qui semblent s’élargir. Il est allongé de force pour être soigné. Et l’on découvre, glissée sous ses vêtements, une main coupée « toute décorée de bagues pourtant et saignant encore, qu’il avait dû trancher à quelque agonisante sous les pierres2 ». Les multiples impressions et lectures que l’on peut faire de ce texte n’épuiseraient peut-être pas sa portée et le trouble qu’il peut provoquer auprès du lecteur3. Toutefois, davantage que d’autres textes de fiction plus anciens et désormais figés dans un passé littéraire et historique, il donne la possibilité de recueillir nombre de renseignements sur sa réception4, au moment de sa publication, et sur la perception, par les contemporains, de récits similaires. Il montre en tout cas que le « corps saccagé5 », même mis en mots, impressionne. D’autres récits semblables suggèrent qu’il est possible d’esquisser l’histoire d’une sensibilité au macabre, mais aussi aux chairs meurtries, aux corps amputés (ill. 1), aux dépouilles mortelles6, aux corps que l’on voudrait absolument redresser de force ou aux bosses que l’entend aplanir7, sans oublier les corps vils sur lesquels on peut se livrer à toutes sortes d’expérience sans aucun consentement8. Une telle approche relève bien d’une histoire des pratiques et des « archives du corps9 » (ill. 2). Le corps malmené, violenté, brutalisé a fait l’objet, pour la période moderne et contemporaine, d’un certain nombre de travaux remarquables, mais souvent épars, si l’on excepte la synthèse d’Alain Corbin, replacée dans une histoire générale du corps10. Le supplice de Damiens et le massacre de sa famille par Pierre Rivière ont été le point de départ de réflexions et d’analyses neuves de la part de Michel Foucault, obligeant les historiens à prendre en compte d’autres manières de faire de l’histoire11. Le travail de Phillipe Vigier12 sur Buzançais et celui d’Alain Corbin13 sur la mise à mort d’un jeune noble en 1870 par les habitants du village des cannibales, dont le corps ensanglanté, crocheté, supplicié sera en partie brûlé, montrent toute la complexité des scènes de massacre et l’importance majeure que le corps, celui des assaillants, des spectateurs et des victimes, a joué. Le numéro d’Ethnologie française de juillet-septembre 1991 sur la violence, la brutalité et la barbarie a ouvert de multiples pistes. Certes le corps n’était pas l’objet central de cette livraison, mais par rebonds le lecteur y découvre des analyses fines sur le corps malmené sous l’Ancien Régime, le corps des paysans, celui des monstres, des boxeurs, des motards après la chute, des autres accidentés de la route, des handicapés, des enfants punis et frappés14. Il faudrait aussi mentionner le bel ouvrage collectif dirigé par Michel Porret présentant en 1998 le corps meurtri – notamment l’attouchement du bourreau au XVIIIe siècle, Sade et les lectures des violences corporelles, le corps concentrationnaire – le corps médicalisé (ill. 3) et enfin le corps mort15. La même année, tandis que Wolfang Sofsky publiait un Traité de la violence très remarqué16, la revue Sociétés & Représentations offrait aux lecteurs une livraison sur le thème des violences, dont certaines, bien sûr, se rapportaient directement au corps : le massacre, le viol de guerre, la violence en 1968. Les différentes contributions présentaient des circonstances et des contextes, mais aussi des images de corps violentés : le corps du pauvre, du lépreux, du cadavre conservé à la morgue, du suicidé, de l’enfant ou encore du corps dans tous ses états17. Toutefois, il ne s’agit pas, dans les pages qui suivent, de céder à la tentation de la fresque ni de présenter un bilan historiographique18, mais d’insister sur un certain nombre d’aspects. Ouvrages sur la violence19, livres sur les accidents et les catastrophes20, essais sur la brutalisation des sociétés mais aussi des corps21, dictionnaires et revues relatives aux corps se sont succédés22, donnant à chaque fois d’abondantes moissons23.

  • 24 Françoise Loux, Sagesse du corps : la santé et la maladie dans les proverbes français, Paris, Mais (...)
  • 25 Voir par exemple, Philippe-Jean Hesse, Histoire des accidents du travail. Premières lignes d’une e (...)
  • 26 Marine M’Sili, Le fait divers en République, Paris, CNRS Éditions, 2000, 311 p. et Anne-Claude Amb (...)

2Le vaste domaine des violences contre le corps interdit d’en proposer un tableau exhaustif, néanmoins, par commodité, sans doute peut-on distinguer trois ensembles dont nombre d’aspects ne seront pas nécessairement traités dans les pages qui suivent. Pendant longtemps une grande partie de la population manifeste une sorte de résignation à l’égard des agressions corporelles de toutes sortes, notamment celles qui résultent de la vie quotidienne : intempéries, accidents, maladies. « Chair humaine se raccommode toute seule », « aujourd’hui nous courrons, demain nous puons », dit-on dans certaines campagnes24. Ces proverbes traduisent le fatalisme d’une population : on ne saurait refuser le malheur et la mort. Le destin du plus grand nombre est ainsi fixé à l’avance et tout comportement visant à le changer ou le fuir serait voué à l’échec dit-on encore. Sans doute faudrait-il distinguer tout d’abord les « attaques contre le corps ». Les morsures du froid, les piqûres de la pluie battante relevant des « attaques naturelles », les accidents de la route et du travail en font partie25. Certes elles s’inscrivent dans un contexte social, économique et culturel, mais elles ne dépendent pas de l’action volontaire et directe des hommes et des femmes réunis en société. L’insouciance, l’imprévoyance, le manque de chance ou une nouvelle fois la fatalité sont évoqués pour en rendre compte. Dans la presse, la rubrique des faits divers non criminels accorde ainsi une place importante à la contingence et au hasard pour expliquer ces drames minuscules qui semblent se répéter d’une région à une autre, sans que l’on puisse discerner de logique apparente26.

  • 27 Voir par exemple, Élisabeth Claverie et Pierre Lamaison, L’Impossible mariage : violence et parent (...)
  • 28 Jeanne Favret-Saada et Josée Contreras, Corps pour corps. Enquête sur la sorcellerie dans le Bocag (...)

3Le deuxième grand ensemble correspond aux violences corporelles exercées contre le corps dans le cadre de relations interpersonnelles, conjugales, familiales, amicales ou de voisinage27 (ill. 6). Au gré des périodes, ces violences corporelles ne sont ni perçues de la même manière ni n’occupent la même place. Elles peuvent aller de la simple gifle à l’acte de cruauté le plus extrême, sans oublier l’ensorcellement nécessitant de mobiliser toute son énergie pour un « corps pour corps, c’est lui qui y passe, ou c’est moi28 ». Ainsi en est-il de l’infanticide ou de l’avortement. Tandis que les signes de la grossesse se multiplient, que les « langues du monde », au lavoir ou dans la ville, aiguisent leur commentaire sur le tour d’une taille plus épaisse qu’il y a quelques mois, que les traces du changement organiques se lisent aussi sur le visage, le « masque de la grossesse » décrit par les médecins diligentés par la Justice, certaines femmes sans l’avoir consciemment recherchées s’évertuent à dissimuler, à masquer, à camoufler leur « embonpoint ». Certaines se compriment le ventre avec un morceau de drap découpé dans le sens de la longueur et dans lequel elles s’enroulent, comprimant ainsi les formes naissances pour ne plus laisser apparaître qu’une silhouette banale et quotidienne. D’autres ne prennent pas de dispositions particulières, mais s’enferment dans un déni qui semble efficace : le corps ne change pas, les traits ne s’alourdissent pas et nul ne songerait à imaginer une grossesse. La violence exercée contre son propre corps peut parfois se répercuter sur le corps du nouveau-né et prendre des formes de brutalité inouïe.

  • 29 Inceste et justice, actes du colloque international, 2 février 1997, Paris, Unesco, 1996, 165 p. V (...)

4Nul doute que l’on assiste à un refus de plus en plus net de certaines formes de violences, en particulier en ce qui concerne le viol ou l’inceste29 (ill. 13). Toutefois, dans le registre des violences corporelles, la proximité ou l’intimité n’offrent pas de protection. Les annales des corps saccagés sont emplies de gestes à l’encontre des plus âgés ou des plus jeunes qui dépassent l’entendement des contemporains. Vieillard occis, enfants enfermés et morts affamés, épouses défenestrées.

  • 30 Georges Claretie, Drames et comédies judiciaires. Deuxième année, 1910, Paris-Nancy, Berger-Levrau (...)

5Reste alors une troisième grande catégorie, celle du « carnage ». Les violences criminelles peuvent en faire partie. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir les comptes rendus de procès criminels oubliés. Si ceux de Vacher ou de Landru sont restés dans toutes les mémoires, le drame de la ferme sanglante a été oublié. Jules Claretie se contente de faire parler l’un des témoins, alerté par le seul rescapé : « Je suis monté là-haut comme les autres avec ma lanterne. C’était épouvantable. Jamais, jamais je n’oublierai. Nos sabots clapotaient dans le sang versé et des cadavres partout, dans l’étable, dans la cour, sur les chemins, sur les tas de fumier ! J’ai vu à la lueur de ma lanterne, dans le puits, une tête de femme coupée qui surnageait et dans l’eau rouge, un cadavre, et à chaque pas nous nous demandions ce que nous allions trouver encore derrière chaque buisson, derrière chaque porte30 !… » Au-delà du crime, les déchirements à l’intérieur d’une nation allant jusqu’à « la guerre des rues », les conquêtes coloniales (ill. 5) ou les conflits armés opposants plusieurs pays donnent à l’expérience de la guerre une dimension particulière. Le spectacle du corps des combattants constitue parfois une expérience indépassable (ill. 7). Les actions racistes ou le massacre industriel donne aussi au corps une dimension unique. Les projections de Nuits et Brouillards ont suscité un mouvement d’effroi. Si on se contente de se placer uniquement au niveau des émotions, ce sont peut-être les corps morts déplacés par des engins mécaniques après la libération des camps qui suscita la plus vive réaction. Le spectateur tétanisé a le sentiment qu’il s’agit d’une mer de cadavres déplacés par des courants sous-marins.

La place du corps saccagé

  • 31 Concept élaboré par Paul Schilder, voir note suivante. Sur la critique du concept voir le livre pi (...)
  • 32 Paul Schilder, L’image du corps, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1980 [1968], p. 177.
  • 33 Robert Muchembled, Le temps des supplices : de l’obéissance sous les rois absolus, XVe-XVIIIe sièc (...)
  • 34 Louis-Sébastien Mercier, cité par Antoine deBaeque, Le corps de l’histoire. Métaphores et politiqu (...)
  • 35 Louis Ménard, Prologue d’une révolution. Février-juin 1848, Paris, La Fabrique éditions, 2007 [184 (...)
  • 36 Voir Emmanuel Fureix, « Sensibilité et politique. L’exemple du culte des morts à l’âge romantique  (...)
  • 37 Luc Capdevila, Danièle Voldman, Nos morts. Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre, P (...)
  • 38 « Écrire l’extrême. La littérature et l’art face aux crimes de masse », Europe, juin-juillet 2006, (...)

6À l’échelle de chaque individu, le « schéma corporel31 » se met en place assez tôt, au stade de la petite enfance, et s’accompagne parfois de fantasmes de destruction. Le premier se consolide tandis que les seconds disparaissent. Ils peuvent toutefois subsister, se transformer, renaître ou s’installer durablement. Ainsi une patiente de Paul Schilder qu’il a examiné en 1929, âgée d’une quarantaine année, a-t-elle peur de voir son corps partir en morceaux. Elle s’explique. À certaines occasions : « Je suis réduite en pièces détachées, comme une marionnette, il me manque quelque chose qui tiennent ensemble tous les morceaux32. » Ce sentiment provoque des crises d’anxiété pouvant être dirigées contre soi ou les autres. Le corps désassemblé ou réduit en pièces a fait partie de l’arsenal des punitions sous l’Ancien Régime. Les dépouilles des suppliciés pouvaient être exposées à l’entrée des villes33. Au cours de certaines périodes, le besoin d’exhiber le corps des victimes ou des martyrs s’est imposé : « Le corps de Lepeletier, nu, livide, et sanglant, montrant la large blessure qui lui avait été faite, fut porté sur une espèce de lit de parade et promené très lentement34 … » Ainsi, pendant la Révolution française, la cérémonie organisée en l’honneur de Louis Lepeletier de Saint-Fargeau, assassiné par un royaliste, offre-t-elle un spectacle à la fois « hideux » et « terrible ». Par la suite, le corps exhibé, seul ou en groupe, prendra, à de nombreuses reprises, une dimension politique : la tête de Louis XVI brandie, les cadavres de la rue Transnonain en 1834 fixés sur le papier par Honoré Daumier, les corps ensanglantés de la rue de la Mortellerie peints par Meissonier. Les historiens en quête de témoignages directs du passé, même s’ils sont parfois reconstruits a posteriori, ont bien montré que les émeutes, les insurrections, les révolutions les résistances donnent ainsi aux vainqueurs la possibilité d’organiser des massacres notamment en juin 1848 où dans la cour de l’hôtel de ville un rescapé aperçoit « une montagne » de cadavres35. Les usages des corps morts des guerres civiles entre anéantissements et cérémonies publiques36, trouvent d’autres prolongements avec les « tués de la guerre37 ». Le corps peut être profané, disparaître, être l’objet d’un abattage industriel de masse. S’il est sans aucun doute difficile de raconter « l’extrême », et de la sorte d’esthétiser aussi les corps morts, l’entreprises apparaît néanmoins nécessaire38.

  • 39 Voir Mireille Piarotas (dir.), Regards populaires sur la violence, Saint-Étienne, Publications de (...)
  • 40 Octave Mirbeau, Le Jardin des supplices, Paris, UGE, 1986 [1898], p. 244.
  • 41 Roger Martin du Gard, Les Thibault, VIII, Épilogue, Paris, Gallimard, 1940, p. 233.
  • 42 Simone de Beauvoir, Tous les hommes sont mortels, Paris, Gallimard, 1946, 528 p.
  • 43 Jules Barbey d’Aurevilly, Les Diaboliques, Paris, Les éditions G. Crès et Cie, 1922, [1874], p. 33

7Les fictions relatives aux corps démembrés, transportés, dissimulés, torturés sont, dès que l’on y prête attention, beaucoup plus nombreux que l’on aurait pu s’y attendre39. Entre la description du cadavre « à la peau toute en houles violentes » du Jardin des Supplices40 et celle du corps d’Antoine Thibault gazé dans les tranchées41, il existe toute une gamme de nouvelles et de romans. Simone de Beauvoir publie ainsi en 1946 une fable mettant en mouvement un singulier personnage né en Italie au XIIIe siècle et qui a acquis, en buvant un élixir, l’immortalité. Au fil du temps, sa condition lui semble insupportable et son immortalité est portée comme une malédiction. Un jour, il tente de suicider, gravit un lieu escarpé et d’une hauteur vertigineuse, se jette dans le vide, mais, lentement, douloureusement, son corps finit par se reconstituer42. La plupart des autres récits insistent non pas sur l’unité du corps retrouvé, mais sur les corps déformés, malingres, étiques, chancelants, privés d’une partie d’eux-mêmes. Une tête coupée, un membre égaré et même un cœur d’enfant mort prématurément et aimé d’un amour insondable perd subitement son caractère sacré. Recueilli et embaumé, ce dernier, relate l’un des personnages de Barbey D’Aurevilly43, est sorti de sa gangue protectrice, attrapé à main nue et jeté littéralement à la figure par un couple qui se déchire prêt à toutes les extrémités. Le mari vient d’apprendre qu’il n’était pas le père de l’enfant adoré. La pièce macabre est recueillie par le père véritable de l’enfant mort, puis dissimulée en partie sous sa ceinture et entraînée sur les champs de bataille de l’Europe entière jusqu’à Waterloo. Le vieux soldat se décide alors à le déposer dans une église. Les images de corps ouverts, suppliciés, réduits à l’état de charogne s’avèrent également abondantes. L’imagerie religieuse avec des Christs sanglants, au corps noué, semblant se débattre encore, a joué un rôle important. Des scènes diverses illustrant des épisodes de la Bible l’attestent : la Mort d’Abel, le Déluge, Judith coupant la tête du général assyrien Holopherne. Dans cet apprentissage et cette accoutumance du regard, les tableaux et leur reproduction de saints mis à la torture – la décollation de Saint-Jean Baptiste ou le corps de Blandine déchiré par les crocs des fauvesont joué un rôle non négligeable, même si pendant longtemps ils étaient réservés à un petit groupe de spectateurs. Les ex-votos placés dans des églises rappelant que telle ou telle partie du corps est atteinte par la maladie ont également contribué à familiariser les hommes et les femmes ordinaires des siècles antérieures avec le corps mort ou maltraité, sans pour autant fournir un système de représentations cohérent.

  • 44 Voir notamment, Frédéric Chauvaud (dir.), Corps submergés, corps engloutis. Une histoire des noyés (...)

8En effet, de multiples images se bousculent, soulignent sans l’expliciter les contradictions et l’ambivalence de générations successives, allant, après la Révolution française, des Têtes de suppliciés (1819) de Théodore Géricault au Cadavre dans les barbelés (1924) d’Otto Dix. Les perceptions de l’Antiquité et du Moyen Âge ont donné lieu également à un réemploi des images léguées du passé : dieux grecs cruels, Saturne dévorant ses enfants, le dernier jour de Pompéi, barbares massacrant les citadins de l’Empire romain… L’inventaire des productions picturales nécessiterait un ensemble considérable, excédent le présent volume. Néanmoins, il importe de rappeler les scènes de massacres, comme celle de Scio peint par Delacroix ou de Guernica par Picasso, ou les scènes de bataille : enchevêtrement sauvage de soldats au corps à corps, le tumulte des combats ou l’artillerie projettent dans les airs des silhouettes désarticulées, ou des navires du grand siècle, peint avec une sensibilité du XIXe siècle, s’affrontent, tandis que des marins au corps disloqué sont engloutis par les flots44. Le douanier Rousseau offre également en 1894 une toile intemporelle sur La Guerre ou La Chevauchée de la discorde. On y aperçoit des corps morts, quasiment nus, qui sont la proie de corbeaux en train d’arracher des lambeaux de chair. D’autres représentations apportent régulièrement des compléments, et prennent place dans un catalogue improvisé du « corps saccagé » au fil des trois derniers siècles, comme le Torero mort (1864) d’Édouard Manet ou bien encore comme le tombeau de Victor Noir (1890) sculpté par Aimé-Jules Dalou. Le corps du journaliste, est représenté en relief, comme s’il avait été pétrifié au moment de sa mort, reposant sur le dos, son chapeau à ses pieds.

  • 45 Voir en particulier Paul Ardenne, L’images corps. Figures de l’humain dans l’art du XXe siècle, Pa (...)
  • 46 Pas éloigné du Bœuf écorché de Chaim Soutine (1925) ou de Figure with meat de Francis Bacon (1954)
  • 47 Sur certains de ces aspects, voir Lydie Pearl (dir.), Corps, art et société. Chimères et utopies, (...)
  • 48 Alain Jouffroy, Vladimir Velickovic, Dessins, 1957-1979, Paris, Acatos, 359 p. ; Vladimir Velickov (...)

9La caricature, la bande dessinée, la photographie, puis l’image animée apporteront d’autres représentations, aiguiseront la culture visuelle sans pour autant qu’une histoire du corps saccagé soit entreprise. Si à chaque période quelques-uns tentent de déceler des lois souterraines cachées derrières des vignettes atroces (ill. 9) ou à l’arrière fond de tableaux ou sur les clichés en circulation, la plupart des contemporains ne les relient pas entre eux. Des œuvres plus récentes45 se sont encore attachés à représenter le corps maltraité comme l’actionniste viennois Hermann Nitsch présentant en 1975 un « Théâtre des orgies et des mystères », mettant en scène devant un drap blanc, la carcasse réelle d’un bœuf écorché46, puis un personnage nu, aspergé avec du sang de l’animal, attaché à une croix47. Un autre artiste, Vladimir Velickovic travaillant à partir de photographies d’accidentés offrent au public en 1964 « Les apparences de la peur », et depuis a livré à la curiosité des amateurs des séries différentes ayant pour thème la guerre qu’il a vécue et sa vision du carnage48. Il ne s’intéresse qu’aux conséquences humaines des conflits armés et de son cortège d’horreurs : croc de boucher et corps suspendus, toile maculée de sang projeté par un corps étêté, chute d’un homme coupé en deux qui se précipite vers le bas de la toile, têtes écrasées surgissant d’un néant fuligineux.

10Mais il n’y a pas que les textes de fiction, les œuvres d’art et les images diverses, comme cela a été signalé précédemment, qui s’attachent aux fragments de corps humains (ill. 29). Mieux que ne saurait le faire des textes réflexifs, des essais ou des enquêtes sociales, des reportages s’y intéressent, parfois à l’occasion d’un fait divers particulièrement sordide ou sortant de l’ordinaire. Les suppléments illustrés de la presse populaire et de la presse satirique s’en font l’écho. Ici, c’est bien le corps d’un dompteur qui est enfermés dans les mâchoires d’un lion, là le corps d’un curieux prisonnier d’un boa qui resserre son étreinte autour du malheureux.

  • 49 Georges Vigarello, Histoire du viol, XVI-XXe siècle, Paris, Le Seuil, coll. « L’univers historique (...)
  • 50 Voir notamment, « Violences sexuelles », Mentalités. Histoire des cultures et des sociétés, op. ci (...)
  • 51 Annick Tillier, Des criminelles au village. Femmes infanticides en Bretagne (1825-1865), Rennes, P (...)
  • 52 Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti, Histoire de l’avortement, XIXe-XXe siècle, Paris, Le Seui (...)
  • 53 Norbert Elias, La société des individus, Paris, Fayard, 1991, 303 p.
  • 54 Louis-Vincent Thomas, Anthropologie de la mort, Paris, Payot, coll. « Bibliothèque scientifique », (...)
  • 55 Philippe Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident : du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Le (...)
  • 56 Erving Goffman, Stigmates. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Minuit, coll. « Le sens commun (...)
  • 57 Georges Didi-Huberman, L’image ouverte, Paris, Gallimard, coll. « Le temps des images », 2007, 401 (...)

11La simple mention d’un fragment humain provoque la stupeur puis une multitude de questions, souvent informulées, sur la vulnérabilité du corps et de l’existence humaine, mais aussi sur les mystères qui président à l’unité corporelle. Dans une perspective historique, les violences corporelles posent un faisceau de questions. Portées à l’intérieur du corps ou reçu à l’extérieur, il est plus facile d’en prendre la mesure que les violences morales ou les blessures psychologiques. Pour autant, nombre de viols49, d’agressions sexuelles50, d’infanticides51, d’avortements lorsqu’ils étaient l’objet de sanctions pénales52, n’ont pas été portés à la connaissance d’un groupe plus large et n’ont pas été enregistrés et comptabilisés. Pour autant, la violence corporelle, sa perception, sa connaissance, ses usages, ses représentations constituent un moyen d’accès privilégié pour comprendre une société et les « individus » qui la composent53. Elle renseigne aussi sur les sensibilités collectives – quelles formes de brutalités corporelles acceptet-on ? – comme elle informe sur les seuils du tolérable. Au gré des époques, des sociétés et de l’histoire de communautés ou des individus, le « corps ravagé », « dévasté » ou tout simplement « bousculé » n’est pas perçu de la même manière. Tantôt certaines violences corporelles sont considérées comme inacceptables, tantôt elles sont tolérées, tantôt encore elles sont encouragées. Soulignons encore que les corps claudicants, affaissés, reconstitués en partie, presque immobiles n’intéressent guère. Aux blessés paralysés ou aux corps parfois agités des « fous », les sensibilités collectives, avec bien sûr de grandes différences, préfèrent le cadavre54 (ill. 3). Sans doute est-il, malgré la douleur ou l’horreur, plus facile d’évoquer la mort55 que le handicap56. Cependant, corps dévastés, corps pantelants, corps meurtris, corps malmenés, corps torturés sont autant d’aspects de l’emprise du corps et correspondent aussi aux définitions les plus communes de la violence. Pour nombre de lexicographes, d’observateurs sociaux, de penseurs de la société, les formes de violence à l’égard du corps sont innombrables mais comment les mesurer ou en rendre compte (ill. 10). Certaines formes de brutalité qui semblent aujourd’hui inacceptables et apparaissent effroyables ne sont pas perçues de la même manière par les divers protagonistes. Pour certains qui ne sont jamais confrontés directement à la violence, mais uniquement par l’entremise de textes ou d’images, la présentation de corps brutalisés apparaît comme une véritable « effraction57 ».

Interroger le corps

  • 58 « Les Mémoires de M. Goron », IV. La police de l’avenir, Paris, Ernest Flammarion, 1897-1898, p. 3 (...)

12Les violences physiques sont aujourd’hui les plus visibles et les plus médiatisées : les attentats terroristes, les règlements de compte entre truands, les violences conjugales, les enfants martyrisés ou abandonnés, l’effondrement d’une barrière de protection jetant dans le vide les curieux, les corps d’alpinistes ayant trouvé la mort, les vacanciers insouciants noyés dans des eaux devenues hostiles, les corps fauchés par un ras de marée et laissés sur place, les cadavres recouverts en partie par des décombres divers à la suite d’un séisme que nul n’avait prévu, les victimes brûlées vives dans un conflit de guerre civile… La relative familiarité avec les corps morts ou brutalisés s’accompagne aussi d’un processus « d’adoucissement » : les images en circulation sont édulcorées (ill. 8). Pour des raisons diverses, et la plupart légitimes, tout n’est pas montré. Même s’il s’agit parfois de témoigner, il importe aussi de respecter la dignité des corps morts, mais aussi de ceux susceptibles de les regarder. L’exhumation, la découverte d’un charnier ou la simple confrontation avec un corps mort ne laisse pas indifférent et suscite parfois, en retour, de vives réactions corporelles. Goron qui fut chef de la Sûreté raconte ainsi dans ses mémoires une anecdote devenue célèbre à la préfecture de Police. Chargée d’amener à la morgue un cadavre, celui d’une malheureuse écrasée par un omnibus, un garçon de bureau laisse sa voiture à bras dans la cour d’un estaminet, entraîné par des camarades. Il finit par oublier son chargement découvert le soir par une concierge qui, avec plusieurs habitants de l’immeuble, piqués par la curiosité, soulève la bâche qui recouvre l’ensemble. Découvrant le « macchabée », elle se met à « claquer des dents58 ».

  • 59 Bruno Bertherat, « La morgue à Paris », Sociétés & Représentations, 1998, no 6, p. 273-293.

13Toutefois, lorsque le cadavre disparaît de la scène publique, il connaît encore un destin ignoré du plus grand nombre. Des spécialistes procèdent à l’identification des corps, tentent de leur donner un nom, une famille et un passé. Ils s’évertuent à déchiffrer les signes de la violence (ill. 11). Quels sont-ils ? Que peut-on en dire ? Quelles conclusions peut-on en tirer ? Tandis que tout semble avoir été mis en œuvre pour effacer les traces, raboter les indices, faire disparaître le moindre élément, les experts parviennent le plus souvent à déjouer les ruses de la nature et les actions humaines délibérées faisant en sorte que le corps ne puisse rien apprendre (ill. 29). Pour mener à bien l’enquête (ill. 12), il s’agit d’abord de porter attention aux entailles minuscules, aux rougeurs à peine visibles, aux marbrures de la peau avant d’user de procédés plus techniques, comme la recherche de l’ADN. Cette observation du corps mort n’est toutefois pas une invention récente. Michel Porret montre bien comment à Genève la justice se montre particulièrement soucieuse d’observer les traces de la violence afin de détecter l’intensité des violences interpersonnelles puis de les classer dans des catégories. Au XIXe siècle la science des indices connaît un essor remarquable comme en témoignent les traités de médecine légale. Toutefois, loin des facultés de médecine et des cénacles constitués d’une poignée de spécialistes, les praticiens de la médecine désignés par l’institution judiciaire pour mener à bien une autopsie s’évertuent, parfois sans compétence particulière, à interroger les dépouilles mortelles (Marina Daniel et Sandra Menenteau). Le cheminement du corps mort n’est parfois pas terminé pour autant. S’il peut être reconduit à la morgue59, il peut aussi être mis au service de la justice. Devenu pièce à conviction, il trône sous les voûtes des palais de justice et accompagne le procès pénal. Garant de la réalité du crime, il doit servir au « dévoilement » de la vérité (Frédéric Chauvaud). Toutefois, la recherche de traces relève parfois d’autres logiques. Il n’est plus question alors d’investigation judiciaire mais d’une entreprise de réhabilitation ou de sacralisation. Ainsi le corps d’Étienne Cabet, qui fut aussi procureur, le promoteur d’une utopie dont les échos se font encore entendre aux États-Unis devint un enjeu pour ses « disciples ». L’auteur d’Icarie, parti au-delà de l’Atlantique avec une poignée de « fidèles » participa à l’édification d’une société idéale et décéda brusquement à la suite de très vives dissensions. D’aucuns songèrent qu’après avoir enterré l’homme, il importait également de creuser une tombe pour accueillir son utopie (Véronique Mendès). Si les traces peuvent être plus vastes que le simple relevé de marques sur la surface d’un cadavre, il en existe d’autres. L’enfant maltraité au point de lui infliger de véritables sévices relève de l’autorité paternelle. Pendant longtemps, tant qu’un drame ne survient pas, proches et voisins n’interviennent pas et le législateur se tient à l’écart. Le silence recouvre ainsi de nombreuses tragédies domestiques. Et pourtant le roman (Thierry Bret) n’hésite pas à s’emparer du thème, devance et accompagne la grande loi de 1898 qui pour la première fois sanctionne les parents auteurs de brutalité à l’encontre de leurs enfants, à condition toutefois de produire des preuves concrètes ou des témoignages.

Secouer le corps

14Le corps peut être agressé et maltraité de bien des manières. Entre le coup de poing et le coup de poignard, il existe aussi une différence de degré que prend en compte la justice. Si le corps est modérément malmené, la peine sera moins importante que s’il est l’objet d’une longue convalescence. L’excès est ainsi sanctionné par l’institution judiciaire. Dans un cas la sanction pénale se réduira à une amende, dans un autre elle conduira au pied de l’échafaud (ill. 4). La deuxième partie du présent ouvrage ne retient pas les violences corporelles les plus extrêmes, celles qui menacent l’intégrité physique des hommes et des femmes et les conduisent de vie à trépas. Le sort réservé aux gendarmes l’atteste. On se gausse d’eux mais ils sont aussi l’objet d’une haine véritable. Au XIXe siècle la figure du gendarme s’impose au point de révéler l’existence d’une France rébellionnaire (Aurélien Lignereux).

  • 60 Alain Corbin, « La grande peur de la syphilis », dans Jean-Pierre Bardet et al., Peurs et terreurs (...)
  • 61 Pierre Guillaume, Du désespoir au salut : les tuberculeux aux XIXe et XXe siècles, Paris, Aubier, (...)
  • 62 Véronique Naoum-Grappe, La culture de l’ivresse. Essai de phénoménologie historique, Paris, Quai V (...)
  • 63 Voir notamment, parmi une production très importante et de qualité, deux ouvrages très différents (...)

15Les êtres vicieux et malingres, les silhouettes tremblotantes, les dos voûtés, les mains déformées expriment à la fois une douleur et le résultat d’une action violente et continue. Les accidents du travail, les corps partiellement déchiquetés par une explosion, les membres happés par une machine de l’ère industrielle provoquent des ravages souvent irréparables. Des maladies professionnelles comme les fléaux sociaux des temps modernes à l’instar de la syphilis60 – remplacée d’une certaine manière par le sida à la fin du XXe siècle – et de la tuberculose61 – dont le cancer a, dans une certaine mesure, pris le relais – contribuent aux métamorphoses du corps. Les changements sont souvent graduels, parfois imperceptibles jusqu’au jour où nul doute que le corps est bien malade et qu’il n’est qu’un pâle reflet de celui qu’il avait été. Le travail peut aussi courber les corps ou susciter à l’intérieur des organismes de subtiles transformations jusqu’à le rendre méconnaissable comme l’attestent les commissions d’enquêtes sur l’amiante par exemple. Les malades de l’hôpital (Grégory Beriet) ou les prisonniers récidivistes (Jean-Claude Vimont) souffrent ainsi de multiples maux. Toutefois le corps peut être « secoué » de manière plus douce en apparence. Dans les cabarets, les auberges, puis les estaminets ou les troquets, un certain relâchement, une posture moins affirmée, la consommation d’alcools divers peuvent donner une impression agréable. Mais l’ivresse est vite vécue comme un lieu ou le corps se dédouble62 et où surtout il se perd. Il n’y a pas que le corps des ivrognes à être malmené. De nombreux personnages sont maltraités à l’aide de la plume ou du pinceau. Dans l’œuvre de Gustave Moreau (Jean-Roger Soubiran) le corps est l’objet d’un traitement singulier. De très nombreux artistes ont pris bien sûr le corps comme objet d’étude, prétexte ou instrument de scandale63, mais ici c’est « l’éphèbe » qui subit une véritable charge, comme une sorte de manifeste silencieux.

  • 64 Sur le corps des prisonniers, voir Jacques-Guy Petit, Ces peines obscures. La prison pénale en Fra (...)
  • 65 Voir le travail de Dominique Kalifa à paraître en 2009.
  • 66 Georges Darien, Biribi. Discipline militaire, dans Voleurs, Paris, Omnibus, 2005 [1890], p. 100.
  • 67 Idem., p. 101.
  • 68 Voir la thèse d’Élise Yvorel, Les enfants de l’ombre. La vie quotidienne des jeunes détenus au XIX(...)
  • 69 Voir aussi, Françoise Briegel et Michel Porret, Le criminel endurci. Récidive et récidivistes du M (...)

16Les enquêtes ou rapports sur les lieux d’enfermement – des maisons de correction au bagne – jusqu’aux quartiers de haute sécurité l’attestent. Reste que les dénonciations qui ont eu un impact sur le grand public se sont avérées peu nombreuses64, à l’exception des campagnes contre les bagnes d’enfants au début du XIXe siècle et au milieu des années 1930. Parfois, le grand public découvre avec stupéfaction le sort réservé à une minorité dont on se désintéresse65. Ainsi en est-il du récit mi-fictionnel mi-autobiographique de Georges Darien, envoyé en 1883 par un Conseil de guerre dans les Compagnies de discipline de l’armée : Biribi. Il y restera trente-trois mois. Les punitions lui apparaissent terribles au point qu’il annonce « je n’aurais jamais imaginé qu’on pût infliger à des hommes surtout à des hommes qui ne sont sous le coup d’aucun jugement des traitements semblables66 » et de présenter les différentes formes de punition dont la plus terrible est « la cellule avec fers » laissant exsangues les malheureux : « On lui met aux pieds une barre, c’est-à-dire deux forts anneaux de fer qu’on lui fait passe à la hauteur des chevilles et qui sont réunis, derrière par une barre de fer maintenue par un écrou accompagné d’un cadenas. » Celui qui est puni doit alors se coucher sur le sol, ventre contre terre, mettre ses bras dans le dos et ses poignets sont à leur tour fixés dans « une sorte de double bracelet séparé par un pas de vis sur lequel se meut une tringle de fer qu’on peut monter et descendre à volonté ». Le corps ainsi pris est davantage que claquemuré. Figé dans cette position, il doit également se nourrir « en lapant comme un chien ». Mais le supplice et les traitements infligés au corps ne s’arrêtent pas là. Ils peuvent être bâillonnés et mis à la crapaudine qui consiste à faire passer dans les anneaux situés aux extrémités des fers des mains « une corde qu’on fait glisser autour de la barre ; on tire sur la corde et on l’attache au moyen d’un ou plusieurs nœuds au moment précis où les poignets du patient sont collés à ses talons67 ». Toutefois, loin de cet exemple d’une extraordinaire violence, le corps des jeunes inadaptés (Sophie Victorien) connaît un sort identique à celui réservé aux prisonniers. Certes il ne s’agit ni du cachot ni du supplice militaire, pour autant l’expérience corporelle est la même que celles des mineurs enfermés68 ou des adultes relégués. Quant aux récidivistes69, objets de traitement particulier, ils connaissent toutes sortes de « désordres » (Jean-Claude Vimont).

S’approprier le corps

  • 70 Sur le duel, voir notamment François Guillet, La mort en face. Histoire du duel de la Révolution à (...)
  • 71 Voir Isabelle Poutrin (dir.), Le XIXe siècle. Science politique et tradition, préface d’Alain Corb (...)
  • 72 Stéphane Audoin-Rouzeau, « Au cœur de la guerre : la violence du champ de bataille pendant les deu (...)

17Les manières dont on s’empare du corps de l’autre, dont on le saisit, le maîtrise, le frappe, le martyrise, ont longtemps été ignorées ou délaissées. L’agression individuelle, la maltraitance, les différends brutaux entre voisins, les violences conjugales, les accidents, les suicides, les duels70, les rixes, les combats, les batailles, les insurrections, les révolutions ont été l’occasion de brutaliser le corps de l’autre, d’infliger d’horribles blessures, voire de le torturer. Au XVIIIe siècle une littérature met à l’honneur les bandits. Toutefois à lire un certain nombre d’auteurs l’image du bandit d’honneur qui a choisi un genre de vie marginale et éphémère dans une société bloquée ou l’injustice domine, s’évanouit assez rapidement. Des scènes de torture, des actes de sadisme sont proposés à l’édification des lecteurs (Céline Gilard). Le XIXe siècle71, qui est le premier à se penser comme un temps ordinal et comme une époque en marche vers le progrès moral, s’achève par la guerre de 1914-1918, dans des combats extrêmement meurtriers72 qui ont longtemps été héroïsés. Or jusqu’à une date relativement récente, ces aspects n’ont guère fait l’objet d’une réflexion d’ensemble. Dans le seul registre de la guerre armée, sur le champ de bataille de Solférino, en 1859, le plus important engagement depuis les guerres napoléoniennes, des milliers de cadavres et de blessés, sans secours ni soin, offrent un paysage dantesque aux survivants (Hervé Drévillon). La Première Guerre mondiale, conflit industriel, est bien celui de la « Fabrique » de la « chair à canon ». Le vocabulaire n’est pas anodin. Au mot carnage est préféré celui de « boucherie ». L’expression se retrouve dans les conversations et les médecins du service de santé, par leur pratique et dans les rapports qu’ils adressent à leurs supérieurs hiérarchiques, témoignent au plus près des corps ravagés, de la façon dont les combats se mènent et des désastres corporels (Sébastien Perrolat).

  • 73 Lucien Venayre, La gloire de l’aventure. Genèse d’une mystique moderne (1850-1940), Paris, Aubier, (...)
  • 74 Voir de Jean-Marie Seillan, Aux sources du roman colonial, 1863-1914 : l’Afrique à la fin du XIXe (...)

18Les transformations du corps peuvent être rapides et dues à l’action volontaire d’hommes ou d’institutions chargées d’assurer la discipline et la répression. Avec la Révolution française, les supplices d’Ancien Régime sont abolis. Subsistent toutefois la peine d’exhibition, le corps du condamné est montré, dressé sur une plateforme près de chez lui, le parricide a le poignet droit coupé à l’aide d’un couteau, la marque au fer rouge, appliqué sur l’épaule est pratiquée. Ces peines « supplémentaires » sont supprimées entre 1832 et 1848. Reste la guillotine, adoptée au début de la Révolution pour assurer une mort prompte et sans douleur, une sorte de trépas juridique. Si, à l’intérieur des frontières franco-françaises, les pratiques de l’exécution publique sont aujourd’hui bien connues, en revanche on ignore presque tout de sa diffusion et de ses usages (Ludovic Maugué). Reste l’immense domaine des violences coloniales (ill. 5). Très tôt, des caricaturistes ont dénoncé les abominations commises, les actes d’une cruauté sans limite. Peut-être que l’imaginaire colonial a parfois fournit des modèles de violences extrêmes et contribué à la construction de figures de l’altérité. Ainsi dans Le Journal des voyages (1877-1914) qui s’adressait à un vaste public, faisant entrer l’aventure73 dans les salons de la bourgeoisie puis dans les logements d’autres catégories sociales, les corps lacérés et dévorés sont régulièrement présentés. Le fantasme de l’anthropophage domine cette production (Solange Vernois). Le roman d’aventure coloniale74 donne aussi au corps un statut particulier et une place originale. Le corps des « indigènes » comme celui des aventuriers font l’objet de descriptions multiples leur donnant ainsi une image plus complexe (Jean-Marie Seillan).

19Enfin, dans d’autres sociétés plus contemporaines, la violence corporelle reprend des « manières de faire » empruntées à des sociétés racistes. En Afrique du Sud certains malheureux meurent à la suite d’épouvantables pratiques de la cruauté. Il ne s’agit pas simplement de donner la mort, mais d’avilir les cadavres et d’humilier les vivants (Benoît Dupin). Au Guatemala s’est déroulée une guerre civile « sans nom » dont les victimes se comptent en centaines de milliers. Pour les tortionnaires, il s’agit de terroriser ou d’anéantir. De la sorte, toutes les victimes ne subissent pas dans leur corps les mêmes souffrances et les violences sexuées sont bien un instrument de domination et de mépris (Sébastien Jahan).

  • 75 Pierre Clastres, Archéologie de la violence, Éditions de l’aube, La Tour d’Aigues, coll. « Monde e (...)
  • 76 Voir en particulier le travail pionnier et fondateur de Pierre Clastres, « De la torture dans les (...)

20Faire l’inventaire des corps dégradés, lacérés ou encore démembrés s’avère sans doute une entreprise démesurée, mais il reste possible de multiplier les approches et les éclairages, de s’attacher aussi bien à décrire les corps brutalisés, qu’à s’interroger sur les logiques du passage à l’acte ou à analyser la « réception » des violences corporelles. En effet, les perceptions de la violence corporelle ne sont pas restées identiques75, car cette dernière règle les rapports sociaux, fixe les hiérarchies et renseigne sur les représentations d’une société. L’étude des « corps saccagés », vivants ou morts, pose aussi la question d’une « cruauté archaïque76 » et « résiduelle » et celle du transfert de la violence concrète vers l’imaginaire. Dans le même temps s’élabore une science des « indices » qui étudie les plaies sanguinolentes et les traces et tentent d’expliquer les crimes particulièrement horribles. À leur tour, des artistes se mettent à la recherche de la matérialité du corps, quitte à s’attacher plus particulièrement « à cette charogne des corps morcelés enfouie en chacun de nous ». Le crime individuel comme le massacre, les violences sexuelles à l’intérieur de la famille ou l’instrumentalisation de violence corporelle donne au « corps saccagé » une actualité sans cesse renouvelée.

21Du corps des enfants violentés aux corps malmenés, du sort réservé aux corps des soldats comme aux cadavres, il s’agit de proposer une gradation des violences corporelles en multipliant les échelles d’analyse : des brutalités individuelles aux drames collectifs. Les usages du corps renseignent sur la volonté de savoir ce qui s’est passé ; ils informent sur les pratiques inavouables à l’encontre des corps vivants ou morts ; ils fixent, selon les époques, les formes de violences corporelles jugées inacceptables.

Notes

1 Gaston Leroux, Histoires épouvantables, Éditions Ombres, 2006 [1911-1925], 219 p.

2 Jean Paulhan, Les causes célèbres, Paris, Gallimard, 1950, p. 35-36.

3 Sur l’impact de certains « faits divers », voir le récit de Dennis Cooper, Violence, faits divers, littérature, Paris, POL, 2004, 32 p.

4 Sur la réception, voir le livre classique de Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1990 [1978], préface de Jean Starobinski, 335 p. et les actes du colloque de Paris I sur la réception des objets médiatiques (à paraître).

5 Expression reprenant la formule d’Alain Corbin relative au « saccage du corps », Présentation, Violences sexuelles, Mentalités. Histoire des cultures et des sociétés, no 3, 1989, p. 9. L’expression figure aussi dans le rapport du médecin légiste commis dans l’affaire des sœurs Papin.

6 Michel Vovelle, La mort et l’Occident, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque illustrée de l’histoire », 2000 [1993], 793 p.

7 Georges Vigarello, Le corps redressé, Paris, Jean-Pierre Delarge, édition universitaire, coll. « Corps et culture », 1978, p. 40-46.

8 Grégoire Chamayou, Les corps vils. Expérimenter sur les êtres humains aux XVIIIe et XIXe siècles, Paris, Les empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2008, 423 p.

9 Jacques Léonard, Archives du corps. La santé au XIXe siècle, Rennes, Ouest-France, coll. « De mémoire d’homme : l’histoire », 1986, 332 p.

10 Alain Corbin, « Douleurs, souffrances et misères du corps », dans Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello, Histoire du corps. 2. De la Révolution à la Grande Guerre, volume dirigé par Alain Corbin, Paris, Le Seuil, 2005, p. 215-273.

11 Michel Foucault, Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… Un cas de parricide au XIXe siècle, Paris, 1973, 424 p. ; Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, 319 p.

12 Philippe Vigier, « Buzançais, le 13 janvier 1847 », dans La vie quotidienne en province et à Paris pendant les journées de 1848, Paris, Hachette, 1982, p. 35-53.

13 Alain Corbin, Le village des cannibales, Paris, Aubier, 1990, 204 p.

14 André Rauch (dir.), « Violence, brutalité, barbarie », Ethnologie française, 1991/3, p. 220-349.

15 Michel Porret (dir.), Le corps violenté. Du geste à la parole, Genève, Droz, 1998, 370 p.

16 Wolgang Sofsky, Traité de la violence, Paris, Gallimard, 1998, 214 p.

17 « Violences », Sociétés & Représentations, no 6, juin 1998, 503 p.

18 Voir toutefois David Le Breton, La chair à vif. Usages médicaux et mondains du corps humain, Paris, Métaillé, 1993, 335 p.

19 Citons notamment Robert Muchembled, La violence au village, Paris, Brepols, 1989, 419 p. ; Jean-Clément Martin, Violence et Révolution française : essai sur la naissance d’un mythe national, Paris, Le Seuil, 2006, 338 p. ; Françoise Héritier (dir.), De la violence, Paris, Odile Jacob, coll. « Opus », 1996, 400 p. ; René Girard, La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972, 534 p. ; Michel Wieviorka, La violence, Paris, Hachette, 2005, 329 p.

20 Les travaux sur le thème de la catastrophe se multiplient mais la part faite aux corps humain reste malgré tout réduite.

21 George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, préface de Stéphane Audoin-Rouzeau, Paris, Hachette, coll. « Littérature », 1999 [1990], 293 p.

22 Voir Bernard Andrieu (dir.), Dictionnaire du corps : en sciences humaines et sociales, Paris, Éditions du CNRS, 2006, 552 p., voir également la revue Corps (no 1, octobre 2006) sous la direction de Bernard Andrieu et Gilles Boëtsch ; voir également, chez les éditeurs, les collections consacrées à l’histoire du corps en particulier « Mémoires du corps » dirigée par Jean-Jacques Courtine (Éditions Jérôme Million).

23 Une présentation nécessiterait à elle seule un fort volume qui excéderait les limites de la présente introduction.

24 Françoise Loux, Sagesse du corps : la santé et la maladie dans les proverbes français, Paris, Maisonneuve et Larose, 1978, et Le Corps dans la société traditionnelle, Paris, Berger Levrault, 1979.

25 Voir par exemple, Philippe-Jean Hesse, Histoire des accidents du travail. Premières lignes d’une enquête, Nantes, CRHES, 1976, 72 p.

26 Marine M’Sili, Le fait divers en République, Paris, CNRS Éditions, 2000, 311 p. et Anne-Claude Ambroise-Rendu, Petits récits des désordres ordinaires, Paris, Seli Arslan, 2004, 332 p.

27 Voir par exemple, Élisabeth Claverie et Pierre Lamaison, L’Impossible mariage : violence et parenté en Gévaudan (XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles), Paris, Hachette, coll. « La mémoire du temps », 1982, 368 p.

28 Jeanne Favret-Saada et Josée Contreras, Corps pour corps. Enquête sur la sorcellerie dans le Bocage, Paris, Gallimard, 1993 [1981], 363 p.

29 Inceste et justice, actes du colloque international, 2 février 1997, Paris, Unesco, 1996, 165 p. Voir aussi la thèse en préparation de Fabienne Giuliani.

30 Georges Claretie, Drames et comédies judiciaires. Deuxième année, 1910, Paris-Nancy, Berger-Levrault, 1911 p. 197.

31 Concept élaboré par Paul Schilder, voir note suivante. Sur la critique du concept voir le livre pionnier de Michel Bernard, Le corps, Paris, Jean-Pierre Delarge, éditions universitaires, 1976 [1972], p. 20-32.

32 Paul Schilder, L’image du corps, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1980 [1968], p. 177.

33 Robert Muchembled, Le temps des supplices : de l’obéissance sous les rois absolus, XVe-XVIIIe siècles, Paris, Armand Colin, 1992, 259 p.

34 Louis-Sébastien Mercier, cité par Antoine deBaeque, Le corps de l’histoire. Métaphores et politique (1770-1800), Paris, Calmann-Lévy, 1993, p. 343.

35 Louis Ménard, Prologue d’une révolution. Février-juin 1848, Paris, La Fabrique éditions, 2007 [1849], p. 230.

36 Voir Emmanuel Fureix, « Sensibilité et politique. L’exemple du culte des morts à l’âge romantique », dans Anne-Emmanuelle Demartini et Dominique Kalifa (dir.), Imaginaire et sensibilités. Études pour Alain Corbin, Paris, Créaphis, 2005, p. 137-146. Voir aussi la revue Frontières, Enjeux politiques et mort, vol. 19, no 1, automne 2006, 120 p.

37 Luc Capdevila, Danièle Voldman, Nos morts. Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre, Paris, Payot, 2002, 282 p.

38 « Écrire l’extrême. La littérature et l’art face aux crimes de masse », Europe, juin-juillet 2006, no 926-927, 363 p.

39 Voir Mireille Piarotas (dir.), Regards populaires sur la violence, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2000, 292 p.

40 Octave Mirbeau, Le Jardin des supplices, Paris, UGE, 1986 [1898], p. 244.

41 Roger Martin du Gard, Les Thibault, VIII, Épilogue, Paris, Gallimard, 1940, p. 233.

42 Simone de Beauvoir, Tous les hommes sont mortels, Paris, Gallimard, 1946, 528 p.

43 Jules Barbey d’Aurevilly, Les Diaboliques, Paris, Les éditions G. Crès et Cie, 1922, [1874], p. 33.

44 Voir notamment, Frédéric Chauvaud (dir.), Corps submergés, corps engloutis. Une histoire des noyés et de la noyade de l’Antiquité à nos jours, Paris, Créaphis, 2007, 203 p.

45 Voir en particulier Paul Ardenne, L’images corps. Figures de l’humain dans l’art du XXe siècle, Paris, Les Éditions du regard, 2001, 507 p. ou bien encore, du même auteur, Extrême. Esthétique de la limite dépassée, Paris, Flammarion, 2006, 466 p.

46 Pas éloigné du Bœuf écorché de Chaim Soutine (1925) ou de Figure with meat de Francis Bacon (1954).

47 Sur certains de ces aspects, voir Lydie Pearl (dir.), Corps, art et société. Chimères et utopies, Paris, L’Harmattan, 1998, 336 p.

48 Alain Jouffroy, Vladimir Velickovic, Dessins, 1957-1979, Paris, Acatos, 359 p. ; Vladimir Velickovic, Dessins et œuvres sur papier 1980-1997, Lausanne, Acatos, 1998, 391 p.

49 Georges Vigarello, Histoire du viol, XVI-XXe siècle, Paris, Le Seuil, coll. « L’univers historique », 1998, 364 p.

50 Voir notamment, « Violences sexuelles », Mentalités. Histoire des cultures et des sociétés, op. cit., 165 p.

51 Annick Tillier, Des criminelles au village. Femmes infanticides en Bretagne (1825-1865), Rennes, PUR, 2001, 447 p.

52 Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti, Histoire de l’avortement, XIXe-XXe siècle, Paris, Le Seuil, coll. « L’univers historique », 2003, 393 p.

53 Norbert Elias, La société des individus, Paris, Fayard, 1991, 303 p.

54 Louis-Vincent Thomas, Anthropologie de la mort, Paris, Payot, coll. « Bibliothèque scientifique », 1975, 540 p. ; Le cadavre : de la biologie à l’anthropologie, Bruxelles, Éditions Complexe, 1980, 220 p. ; Les chairs de la mort : corps, mort, Afrique, Paris, Institut d’éd. Sanofi-Synthélabo, coll. « Les Empêcheurs de penser en rond », 2000, 572 p.

55 Philippe Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident : du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Le Seuil, 1975, 222 p.

56 Erving Goffman, Stigmates. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Minuit, coll. « Le sens commun », 1975 [1963], 177 p.

57 Georges Didi-Huberman, L’image ouverte, Paris, Gallimard, coll. « Le temps des images », 2007, 401 p.

58 « Les Mémoires de M. Goron », IV. La police de l’avenir, Paris, Ernest Flammarion, 1897-1898, p. 387-389.

59 Bruno Bertherat, « La morgue à Paris », Sociétés & Représentations, 1998, no 6, p. 273-293.

60 Alain Corbin, « La grande peur de la syphilis », dans Jean-Pierre Bardet et al., Peurs et terreurs face à la contagion, Paris, Fayard, 1988, p. 337-347.

61 Pierre Guillaume, Du désespoir au salut : les tuberculeux aux XIXe et XXe siècles, Paris, Aubier, coll. « Historique », 1986, 376 p.

62 Véronique Naoum-Grappe, La culture de l’ivresse. Essai de phénoménologie historique, Paris, Quai Voltaire, coll. « Histoire », 1991, p. 34-39 et p. 126-137.

63 Voir notamment, parmi une production très importante et de qualité, deux ouvrages très différents quant à leurs approches et à la place réservée au traitement du corps : Manet, Courbet et Guy Denis, Le nu impertinent de Félicien Rops, Bruxelles, Bernard Gilson Éditeur, 2006, 183 p. ; Laurence Bertrand Dorléac, Erró, Neuchâtel, Ides et Calendes, 2004, 123 p.

64 Sur le corps des prisonniers, voir Jacques-Guy Petit, Ces peines obscures. La prison pénale en France. 1780-1875, Paris, Fayard, 1990, p. 469-541 ; voir aussi le numéro de la RHEI : Sylvie Courtine (dir.), « Le corps du délinquant », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière »/Le temps de l’histoire, no 8, déc. 2006, 200 p.

65 Voir le travail de Dominique Kalifa à paraître en 2009.

66 Georges Darien, Biribi. Discipline militaire, dans Voleurs, Paris, Omnibus, 2005 [1890], p. 100.

67 Idem., p. 101.

68 Voir la thèse d’Élise Yvorel, Les enfants de l’ombre. La vie quotidienne des jeunes détenus au XIXe siècle en France métropolitaine, Rennes, PUR, 2007, 356 p., et celle de David Niget sur l’enfance « irrégulière » au XXe siècle qui marque assurément un tournant historiographique (à paraître). Se reporter à David Niget et Xavier Rousseaux (dir.), « Violence et jeunesse », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », no 9, 2007, 268 p.

69 Voir aussi, Françoise Briegel et Michel Porret, Le criminel endurci. Récidive et récidivistes du Moyen Âge au XXe siècle, Genève, Droz, coll. « Recherches et rencontres », 2006, 395 p.

70 Sur le duel, voir notamment François Guillet, La mort en face. Histoire du duel de la Révolution à nos jours, Paris, Aubier, coll. « historique », 2008, 429 p.

71 Voir Isabelle Poutrin (dir.), Le XIXe siècle. Science politique et tradition, préface d’Alain Corbin, Paris, Berger-Levrault, 1995, 534 p.

72 Stéphane Audoin-Rouzeau, « Au cœur de la guerre : la violence du champ de bataille pendant les deux conflits mondiaux », dans Stéphane Audoin-Rouzeau, Annette Becker, Christian Ingrao, Henry Rousso, La Violence de guerre. 1914-1945, Éditions complexe/ITP-CNRS, 2002, p. 45-72. Voir aussi Hélène Puiseux, Les figures de la guerre. Représentations et sensibilités, 1839-1996, Paris, Gallimard, 1997.

73 Lucien Venayre, La gloire de l’aventure. Genèse d’une mystique moderne (1850-1940), Paris, Aubier, coll. « historique », 2002, 350 p.

74 Voir de Jean-Marie Seillan, Aux sources du roman colonial, 1863-1914 : l’Afrique à la fin du XIXe siècle, Paris, Karthala, 2006, 481 p.

75 Pierre Clastres, Archéologie de la violence, Éditions de l’aube, La Tour d’Aigues, coll. « Monde en cours », série Intervention, 1997, [1977], 94 p.

76 Voir en particulier le travail pionnier et fondateur de Pierre Clastres, « De la torture dans les sociétés primitives », La société contre l’État, Paris, Minuit, 1974, p. 152-160.

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