Conclusion de la troisième partie
p. 285-286
Texte intégral
1À travers leur memoria, les Ratisbonnais expriment en permanence le rapport qui les unit à leur commune. En effet, la cité ne formait pas uniquement le cadre de leur memoria, elle en était également un acteur, un destinataire, enfin un enjeu. C’est pourquoi on peut légitimement parler de religion civique pour qualifier les pratiques mémorielles individuelles des bourgeois de la cité danubienne.
2Les autorités communales étaient un acteur majeur de la memoria des bourgeois. Elles la disciplinaient en protégeant leurs fondations, mais aussi en les limitant et les orientant, c’est-à-dire qu’elle contrôlait toutes les phases de leur mise en œuvre. La commune maîtrisait la mise par écrit de la memoria, or l’écrit était une arme formidable pour le respect du souvenir. C’étaient les scribes communaux qui transcrivaient les dernières volontés des bourgeois, ce qui donnait certainement lieu à une première négociation des dispositions testamentaires. C’était, de manière croissante, dans la Ratskammer que les chartes étaient conservées. Cette maîtrise des archives permettait au Conseil d’invoquer des documents datés de plusieurs dizaines d’années ou plus dans ses arbitrages lors de conflits entre habitants ou opposant bourgeois et établissements ecclésiastiques. La commune déterminait également les conditions juridiques de la memoria en ne reconnaissant que des testaments rédigés selon la coutume de la ville, ou en interdisant les donations de biens immeubles à l’Église quand ils étaient situés sur son territoire. Enfin le Conseil avait la haute main sur le financement des fondations, en émettant des rentes et en assurant leur paiement. Ce rôle de grand argentier de la memoria lui assurait une grande influence sur son fonctionnement, par exemple sur la collation des chapellenies. Tous ces leviers de contrôle du Conseil sur les donations et fondations avaient une conséquence : la mémoire des bourgeois, nécessairement, ne pouvait être qu’une mémoire négociée avec lui.
3La commune était également destinataire des donations pieuses des bourgeois. À mesure que les compétences du Conseil s’élargissaient, les donations des bourgeois à son bénéfice se multiplièrent, pour la construction des murailles, du pont, ou pour le Bien Commun. Si on leur ajoute les legs destinés aux fondations charitables gérées par le Conseil, de la léproserie St. Lazarus au Bruderhaus ou à la chapelle du Conseil (Ahakirche), qui manifestent la confiance des bourgeois envers les autorités communales ou leur patriotisme urbain, c’était une part non négligeable des sommes consacrées à la memoria qui lui revenait. Finalement, la commune profitait des bienfaits des bourgeois au même titre que les établissements ecclésiastiques : elle était devenue un des intermédiaires majeurs pour le Salut, dans la mesure où elle était censée se placer au service du Bien Commun.
4Enfin la commune était un enjeu essentiel de la memoria. Pour le patriciat, les pratiques mémorielles devaient contribuer à façonner une identité urbaine exaltant la cohésion de la communauté civique autour du Conseil. Des patriciens comme Matheus Runtinger, mais aussi le Conseil comme corps furent les promoteurs de manifestations collectives de la memoria au service de l’unité de la cité. Au cours des XIVe et XVe siècles, l’identité urbaine véhiculée par la memoria changea de caractère, en particulier au sein du patriciat. Au XIVe siècle, c’est leur domination sur la ville que les Ratsherren mettaient en scène, en disséminant leur souvenir sur l’ensemble du territoire urbain, qui constituait la meilleure tribune, devant le meilleur public, pour mettre en scène leur mémoire. Au XVe siècle, les pratiques mémorielles continuent à légitimer le pouvoir du groupe dominant sur la cité, mais en signifiant sa soumission à l’intérêt général. Cette évolution n’est pas la moindre preuve des implications politiques de la memoria.
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