Conclusion de la deuxième partie
p. 213-214
Texte intégral
1Les pratiques mémorielles des Ratisbonnais évoluèrent fortement entre le début du XIVe siècle et le début du XVIe siècle. La période est marquée par une stagnation, voire une diminution du nombre de cérémonies commémoratives demandées, et la piété des fidèles vise avant tout à réunir autour d’eux des réseaux d’intercesseurs prêts à prier pour le salut de leur âme. Pourtant, le nombre de ces soutiens fléchit lui aussi du XIVe au XVe siècle, et les patriciens de la cité passent de quatre, cinq, dix anniversaires dans divers couvents de Ratisbonne et de Bavière à un ou deux seulement, presque exclusivement en ville, sans qu’on puisse attribuer cette baisse au déclin économique. Point de piété flamboyante donc, et une mathématique du salut bien élémentaire.
2La mémoire liturgique se concentre de manière accrue sur l’espace urbain au XVe siècle. Sans doute la piété est-elle désormais plus ancrée localement : aux grands pèlerinages vers Rome ou Aix-la-Chapelle s’ajoutent ceux de Bogen ou Sankt-Wolfgang, plus près de la ville. Mais le changement ne correspond pas seulement à l’évolution de la religiosité. Au XVe siècle, le patriciat de Ratisbonne, qui forme le groupe de référence en ville, n’entretient pas des liens aussi étroits avec la noblesse de Bavière que cent ans auparavant, et on comprend qu’il ne fasse pas célébrer sa memoria dans les lieux que cette dernière investit. Ce décalage désormais patent avec l’aristocratie rurale se manifeste très clairement dans le cas du couvent de moniales cisterciennes de Pielenhofen, fondé par des ministériaux des environs de la cité, peuplé et entretenu par leurs filles et celles des grandes familles consulaires de Ratisbonne au XIVe siècle, mais déserté par ces dernières au XVe siècle et négligé par elles au moment de faire fondations et donations.
3Cependant la concentration des donations ne réduit pas seulement l’horizon de la memoria autour de la ville, mais affecte aussi la carte pieuse à l’intérieur de son enceinte. En effet, les bourgeois disséminent moins leur souvenir et préfèrent pour leurs donations les établissements ecclésiastiques ou caritatifs proches de la commune ; on peut parler, après Gérald Chaix, d’un véritable transfert de sacralité au profit de ces institutions, qui correspond à une modification de l’économie du Salut, plus tournée vers la charité et les réalités de la vie sociale1. Tout calcul est hasardeux, mais il est probable que d’un point de vue financier, les grandes fondations charitables du XVe siècle ont compensé en bonne partie la diminution des demandes d’anniversaires. Ce rapport privilégié à la commune se révèle aussi dans l’expression différente de la distinction dans les pratiques de commémoration. En effet, la mise en scène de la memoria dépend fortement du statut social du fidèle, elle le reflète, mais contribue aussi à l’affirmer voire à le faire évoluer. Or les pratiques mémorielles traduisent moins, à la toute fin du Moyen Âge, des efforts de dynastisation des lignages, qui proclament la grandeur familiale en posant leur marque sur une église, sous la forme d’une sépulture luxueuse ou d’une chapellenie par exemple, mais expriment d’autant plus leur intégration dans la ville. En somme, la memoria est devenue indissociable de l’identité communale. C’est à cet aspect fondamental que la prochaine partie du travail est consacrée.
Notes de bas de page
1 G. Chaix, De la cité chrétienne, op. cit;, p. 526 et suiv.
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