Les horizons de la piété

1Réunir autour de soi des amis qui feront vivre le défunt, en priant pour le salut de son âme et l’aideront dans l’au-delà, ou en continuant son action en son nom ici-bas : c’est ainsi que l’on préparait sa mort et le jugement de Dieu à la fin du Moyen Âge. Dans la partie précédente, nous avons vu que la memoria affleurait dans les aspects apparemment les plus profanes de la succession, et que nos distinctions entre religieux et profane – ou social – ne s’appliquaient pas à la société des XIV^e et XV^e siècles, tant le religieux habitait tous les aspects de la vie. Ce constat nous invite à ne pas étudier la memoria liturgique pour elle-même, comme relevant seulement de l’histoire de la piété, mais dans le contexte plus large d’une culture du souvenir.

2Aussi allons-nous aborder en trois temps la question de l’organisation du passage dans l’au-delà, en étudiant les différents champs d’inscription, ou horizons, de la piété commémorative. Le premier champ est celui des relations interpersonnelles entre le fidèle et les intercesseurs qu’il choisit. Nous y verrons les types d’actions liturgiques que les bourgeois de Ratisbonne demandaient aux personnes à qui ils confiaient leur commémoration. Le second temps sera consacré à l’examen du champ spatial de la memoria liturgique. Nous nous intéresserons à l’évolution de son extension ainsi qu’aux logiques qui la déterminaient, religieuses, familiales ou sociales, voire politiques – si on nous permet d’utiliser ces catégories du XXI^e siècle. Enfin la memoria est affaire de distinction sociale. En abordant les changements des formes de la commémoration durant les derniers siècles du Moyen Âge, ce n’est rien moins qu’une étude de l’évolution de la domination sur la cité que nous entendons entreprendre.

3Notre parcours dans la partie précédente a montré que derrière les catégories attendues de la personne, la famille ou le milieu social se profilait la ville, dont la présence était constante dans l’articulation entre ces pôles de la mémoire. Nous tenterons également dans cette deuxième partie de notre travail de voir comment s’enchevêtrent pratiques individuelles, logiques spatiales et stratégies de distinction dans la memoria liturgique.