1Quels furent les aspects de l’essor puis du déclin de Ratisbonne à la fin du Moyen Âge ? Faut-il déduire du constat de crise économique un déclin général de la cité ?

Grandeur et décadence économique

2Au sortir du Moyen Âge classique, Ratisbonne était la grande métropole négociante du sud de la partie germanique de l’Empire1. Comme tant d’autres villes, elle devait ce succès à sa situation géographique particulièrement favorable, qui avait déjà poussé les Romains à installer à cet endroit, au point le plus septentrional du Danube, et au confluent du fleuve avec les rivières Regen, Naab et Laaber. Un coup d’œil sur la carte montre que Ratisbonne était idéalement placée sur la route nord-sud, entre l’Allemagne du Nord et l’Italie, mais aussi ouest-est, vers Prague ou, en suivant le Danube, d’Ulm, Donauwörth ou Ingolstadt vers Passau, Vienne et la Hongrie [cartes 1 et 2]. C’est pourquoi le pont de pierre enjambant le Danube, construit de 1135 à 1146 environ, fut le symbole de la cité en même temps qu’un instrument important de son essor2.

3Ville fortifiée, siège épiscopal dès l’époque carolingienne, résidence des ducs francs, Ratisbonne remplit dès le haut Moyen Âge les fonctions d’un grand centre urbain. Elle devint à la fois point d’attraction et de diffusion – avec un marché attesté dès 934 – et centre de production artisanale, dont on reconnaît aujourd’hui l’importance3. Cependant, les auteurs s’accordent à dire que l’économie de la cité danubienne reposait à cette époque avant tout sur le commerce de transit4.

Carte 1. – Ratisbonne dans l’Empire à la fin du Moyen Âge.

4Du XI^e au XIV^e siècle, le rayon d’action des marchands ratisbonnais ne cessa de s’étendre, dans toutes les directions. Depuis le milieu du XII^e siècle, les Ratisbonnais étaient présents aux foires de Champagne, pour acheter étoffes et vin et vendre peaux, cire, cuivre ou plomb. Le déclin des foires les poussa à aller jusqu’en Flandre pour y chercher leurs draps. À partir du milieu du XIV^e siècle, les foires de Francfort furent très fréquentées par les marchands de Ratisbonne. Vers l’est, Ratisbonne servit de plaque tournante pour le négoce vers Prague, la Silésie, et, plus au sud, vers Vienne et la Hongrie. Enfin les grandes familles négociantes de la ville étaient très présentes dans le commerce avec le Tyrol et surtout l’Italie. Leur réussite se manifestait spectaculairement par le premier rang que les Ratisbonnais occupaient au Fondaco dei Tedeschi, le comptoir des marchands allemands à Venise5.

5À la fin du Moyen Âge, la situation se dégrada nettement. Jusqu’à ces dernières années, on associait pour l’expliquer des causes internes à la ville – faiblesse de la production locale, émigration de familles négociantes très actives, voire manque d’esprit d’entreprise6 – à des raisons extérieures. Parmi celles-ci : le décalage vers l’ouest des grandes routes commerciales vers l’Italie, qui délaissèrent Ratisbonne à partir du milieu du XIV^e siècle pour passer de plus en plus par Nuremberg et Augsbourg ; la concurrence accrue de Vienne ; les conséquences de conflits tels que la guerre de la Ligue des villes (1388-1389 pour Ratisbonne) ou encore les guerres hussites, qui coupèrent la route de Prague7.

Carte 2. – Ratisbonne dans sa région.

6Depuis les années 1990, même si l’on confirme le rôle du déplacement des routes commerciales ou des guerres, l’accent est placé plutôt sur l’évolution des rapports entre les différents acteurs politiques à Ratisbonne ainsi que sur la politique du Conseil de ville. Ainsi les relations avec le roi/l’empereur, extrêmement importantes pour une ville libre, furent souvent mauvaises, avec Louis IV de Bavière déjà, puis pendant la première moitié du XV^e siècle, alors même que Nuremberg, la grande concurrente, se faisait attribuer privilège sur privilège par les souverains8. Entre les deux, la période de la guerre de la Ligue des villes semble avoir été déterminante : en se retirant de la ligue pour conclure une paix séparée avec la Bavière en 1389, les familles représentées au Conseil restreint réorientèrent la politique de la cité. Elles préférèrent l’apaisement avec le voisin Wittelsbach à des alliances avec d’autres villes9. Cette frilosité politique alla de pair avec un conservatisme certain à l’intérieur tout au long du XV^e siècle – vis-à-vis des métiers par exemple –, notamment face aux adaptations structurelles en cours dans le commerce et l’artisanat de la ville10.

7Deux épisodes symbolisent l’évolution du grand négoce ratisbonnais à la fin du Moyen Âge. En 1347-48 les Nurembergeois tentèrent de ravir aux Ratisbonnais la première place au Fondaco dei Tedeschi. Pour la défendre, ces derniers achetèrent alors en une fois autant de marchandises que leurs rivaux en un an. Quelque quarante ans plus tard, en 1389, lors de la deuxième tentative des Nurembergeois, c’est à coups de bâton que les représentants de Ratisbonne, n’ayant plus les possibilités financières de leurs prédécesseurs, défendirent leur préséance11 ! C’est finalement à la fin du XV^e siècle que les Nurembergeois obtinrent le premier rang, à une époque où l’activité des Ratisbonnais dans la lagune s’était réduite à peu de chose12.

8La stagnation de la population est un autre signe de la récession économique. À l’époque faste du Moyen Âge central, Ratisbonne comptait peutêtre 15 000 habitants d’après des estimations13, et environ 10 000 habitants en 1436, ce qui place Ratisbonne parmi les vingt villes les plus peuplées de la partie germanique de l’Empire14. Or Nuremberg, très dynamique au XV^e siècle, comptait un peu plus de 20 000 habitants en 1430, 28 000 en 149715, Augsbourg 40 000 vers 1550, et même Munich à peu près 15 000 à l’orée du XVI^e siècle16. On peut donc à tout le moins supposer un déclin démographique relatif de Ratisbonne par rapport à ses voisines.

9À la fin du XV^e siècle, l’espace parcouru par les marchands de la ville s’était réduit comme peau de chagrin, son artisanat restait faible, sa population stagnait. Le déclin économique de la ville ne fait pas de doute, même si le manque d’études, notamment sur l’artisanat, empêche encore d’appréhender la situation de manière totalement satisfaisante. À quoi ressemblait la situation politique de cette ville tournée vers l’extérieur ?

Ratisbonne, la Bavière et l’Empire : de la ville libre au passé prestigieux à la ville d’Empire rentrée dans le rang

De la cité royale à la ville libre

10Au haut Moyen Âge, la ville joua dans le duché de Bavière un rôle de capitale qu’elle conserva après l’intégration du regnum Baioariae dans l’empire franc. Les rois carolingiens avaient des relations étroites avec elle, y construisant une résidence royale (Pfalz), entretenant un burgrave, et ce n’est qu’au début du XII^e siècle que leurs successeurs commencèrent à se retirer de cette civitas regia17. Le duc de Bavière gardait des pouvoirs dans la ville ; ceux-ci se matérialisaient par le Herzogshof, « la cour du duc », qui forma jusqu’à l’intégration de Ratisbonne dans le royaume de Bavière en 1810 une enclave bavaroise dans la cité18. Le troisième grand personnage de la ville était l’évêque, depuis qu’en 739, avec les missions de Boniface, la ville romaine de Castra Regina, désormais Ratisbona, était devenue le siège d’un évêché ; il disposait d’un district épiscopal autour de la cathédrale Saint-Pierre19.

11Au milieu du XIII^e siècle, comme dans bien d’autres villes, les bourgeois parvinrent à gagner une autonomie très large, consacrée par trois privilèges accordés par les Hohenstaufen en 1207, 1230 et surtout 1245. Dans le dernier, Frédéric II concéda aux bourgeois le droit de choisir et d’investir bourgmestre, Conseil et autres officiers20. Jusqu’aux événements de la fin du XV^e siècle, Ratisbonne s’enorgueillissait d’être une ville libre (Freie Stadt), « libérée » de la tutelle épiscopale, reconnaissant certes le roi/empereur, envers qui elle n’avait cependant que peu de devoirs21.

12Deux crises du XIV^e siècle montrent combien le destin de Ratisbonne se décidait dans le jeu entre son appartenance à l’Empire comme ville libre et son rapport avec le duché de Bavière. La première est nommée Aueraufstand (« soulèvement des Auer »), du nom d’un lignage de ministériaux de l’évêque installé en ville qui chercha à s’approprier le pouvoir en 1330, après plusieurs années de lutte entre deux factions. Celle des Auer était composée principalement de ministériaux et chevaliers urbains, alliée à une partie des artisans, et l’autre majoritairement de grands marchands ; à cette rivalité s’ajoutait un conflit entre la ville et l’empereur Louis de Bavière (1314-1347) qui, César et duc tout à la fois, tentait en s’appuyant sur le parti des Auer de placer la ville sous sa domination, sans y parvenir toutefois. Les Auer furent bannis de la ville en 133422. D’autre part, à la fin du XIV^e siècle, Ratisbonne souffrit beaucoup plus de la guerre de la Ligue des villes. Cette alliance des villes d’Empire (Reichsstädte) souabes, fondée en 1376 et rejointe par la ligue des villes rhénanes en 1381, visait à imposer les intérêts urbains contre les princes d’Empire. Entrée tardivement – en 1381 – dans la ligue dans l’espoir de réduire la menace bavaroise, Ratisbonne démontra certes sa puissance puisqu’elle fut la seule ville à remporter une victoire en rase campagne, devant ses propres portes, face aux Wittelsbach, en 138823. Mais elle arrivait à la limite de ses possibilités et on a déjà signalé qu’elle préféra conclure une paix séparée avec les Bavarois pour ne pas risquer un isolement trop important plutôt que de continuer à miser sur l’alliance urbaine24.

La consolidation des pouvoirs du Conseil à l’intérieur

13Dès la fin du XIII^e siècle, puis surtout aux XIV^e et XV^e siècles, la bourgeoisie s’appliqua à consolider sa domination en acquérant les droits que conservaient duc et évêque dans la ville. La richesse de la commune ou des familles à la tête du Conseil leur permit notamment d’acquérir en gage les tribunaux de la cité, celui du Schultheiß (écoutète), dépendant du duc de Bavière, récupéré par la ville à partir de 127925, et celui du Propst (prévôt – à ne pas confondre avec le prévôt du chapitre cathédral), relevant de l’évêque, concédé dès la fin du XIII^e siècle à des représentants de grands lignages de la cité, Auer puis Auf Donau Probst (1349-1441)26.

14Le renforcement de la domination bourgeoise sur la ville passait également par un contrôle accru du territoire urbain. Ratisbonne formait une enclave à l’intérieur du duché de Bavière. Malgré toute sa puissance économique, la cité, dont l’espace intra muros atteignait 160 ha, soit 2 km d’ouest en est27, ne parvint pas à acquérir un hinterland important comme Nuremberg ou Berne, qui lui assurât par exemple l’autosuffisance alimentaire, du fait de sa rivalité avec le duché de Bavière. Le Burgfrieden de la ville était délimité au nord par le Danube, incluant les deux îlots au milieu du fleuve28. Au sud, il était également de dimensions très modestes (cf. carte 3), ne contenait aucune forêt, obligeant la ville à importer tout son bois de chauffe ou de construction, et n’englobait aucun village29.

Carte 3. – Le territoire de Ratisbonne à la fin du Moyen Âge.

15Les membres de l’élite urbaine tentèrent bien de créer un hinterland pour la ville par l’acquisition de châteaux autour de son territoire, en particulier au XIV^e siècle, lorsque les grands négociants ratisbonnais se trouvaient à l’apogée de leur puissance économique. Il s’agissait de s’emparer d’espaces utiles aussi bien économiquement que militairement. Ces menées, auxquelles il faudrait ajouter les stratégies d’acquisitions foncières, ne connurent toutefois pas de succès durable30 ; la ville réussit simplement à recevoir en gage les seigneuries de Donaustauf à l’est, qui appartenait au chapitre cathédral, en 1385 et de Stadtamhof, faubourg bavarois situé juste de l’autre côté du Danube sur la rive gauche, en 140831.

16La politique du Conseil de renforcement de sa domination sur la cité fut donc très active au XIV^e siècle. Au XV^e, il chercha surtout à maintenir ses positions. Mais les rapports de force entre empereur, duc et ville – l’évêque ne jouant quant à lui pas un rôle déterminant – changèrent dans le courant du XV^e siècle.

La nouvelle donne au XV^e siècle et la mise sous tutelle de la ville

17Trois facteurs changent la situation de Ratisbonne à partir du milieu du XV^e siècle : la crise économique de la ville, qui cause un endettement fort de la commune ; le changement de politique de l’empereur envers la ville ; enfin la volonté du duc Albrecht IV de Bavière-Munich de l’annexer32.

18À partir des années 1430, la commune vendit de manière accrue des rentes viagères (Leibgedinge) comme des rentes perpétuelles (Ewigrenten), qui conduisirent à un grave déséquilibre des finances de la ville33. Les fondements de l’indépendance politique de la ville n’étaient plus assurés.

19À peu près au même moment, l’empereur était poussé à l’action par les menaces hussite puis turque. Frédéric III (1440-1493) convoqua plusieurs diètes d’Empire à Ratisbonne, qui était géographiquement la ville non médiatisée la plus directement concernée. Ce replacement de la cité au cœur de la politique impériale aboutit à des tensions, qui s’accrurent lorsque Frédéric imposa une forte amende à la ville pour mauvais traitement de sa communauté juive en 1476, puis lorsqu’il exigea le paiement d’une aide financière contre les Hongrois : de protecteur lointain des libertés de la ville, l’empereur devenait un souverain pesant. Une partie des membres du Conseil et de la bourgeoisie commença à regarder du côté de la Bavière34.

20Les évêques de Ratisbonne ne jouaient plus de rôle politique important ; ils se contentèrent au XV^e comme au XIV^e siècle pour l’essentiel de faire respecter les droits qu’ils conservaient dans la ville, en particulier l’immunité du district épiscopal35. En revanche, le duc Albrecht IV, qui voulait faire de la maison de Wittelsbach une véritable concurrente des Habsbourg, entendait redonner Ratisbonne à la Bavière. La majorité des membres des différents organes politiques de la ville choisit en mars 1486, pour sortir de l’impasse financière, de se soumettre à Albrecht, et donc de renoncer au statut de ville libre36. Frédéric III ne pouvait laisser le Wittelsbach s’emparer d’une cité aussi importante et parvint, après avoir mis Ratisbonne au ban de l’Empire, à le faire renoncer à son projet en 149237. Cela ne signifiait aucunement un retour au statu quo ante : la ville redevenait immédiate, mais ne jouissait plus de l’autonomie d’une ville libre. Au contraire, elle était placée sous la tutelle étroite de l’empereur, qui institua bientôt un capitaine d’Empire (Reichshauptmann) doté de pouvoirs très étendus38. En 1500, puis 1514, des ordonnances impériales réglementant des domaines très divers de la vie urbaine parachevèrent le passage au nouveau régime39.

Le gouvernement de la ville

21Malgré le contexte politique difficile du XV^e siècle, le gouvernement de la ville fut marqué jusqu’à l’épisode de 1486 par une stabilité étonnante. Le personnage le plus important de l’administration était d’abord le bourgmestre (Bürgermeister), qui avait pour double tâche de représenter les bourgeois (à l’extérieur) et de garantir la défense de la ville. La fonction était peut-être au départ issue de l’administration épiscopale, mais rapidement, les grands marchands disputèrent aux ministériaux le contrôle de cet office, si bien qu’il fut décidé après la chute des Auer en 1334 d’en réserver l’accès à des chevaliers venant de l’extérieur, tout autochtone (inman) étant exclu40. Cette solution « à l’italienne » – elle rappelle beaucoup le podestà – est originale en Allemagne ; peut-être doit-on l’expliquer par les relations commerciales entre Ratisbonne et l’Italie du Nord, d’autant qu’elle fut adoptée par les adversaires des Auer, qui étaient surtout des grands négociants avec des liens vers l’Italie. Mais après plusieurs conflits, la fonction de bourgmestre, d’abord laissée vacante à plusieurs reprises, fut supprimée en 1429 et ses pouvoirs attribués au camérier (Stadtkämmerer), l’un des membres du Conseil restreint, d’abord responsable d’une partie des finances de la commune, qui, dès avant cette date, avait pris du fait de ses fonctions une importante croissante dans le gouvernement de la ville41.

22Le Conseil de ville (Stadtrat, consilium), attesté pour la première fois en 1251, détenait aux XIV^e et XV^e siècles l’essentiel de l’autorité sur la ville. Ses compétences étaient dès le départ très larges – politique extérieure, maintien de l’ordre en ville, défense, législation, contrôle du commerce et de l’artisanat, fiscalité, travaux publics, notariat, nomination des officiers, attribution du droit de bourgeoisie42 – et s’accrurent avec le temps, ainsi en matière juridictionnelle43. Le Conseil était composé de seize hommes, élus deux fois par an, à Noël et au solstice d’été. Le choix était assuré par quatre hommes, issus du groupe des « Quarante-Cinq44 ». Sous ce nom – correspondant au nombre de ses membres – était désigné le deuxième conseil, appelé dans d’autres villes äußerer Rat, « conseil externe ». Les Quarante-Cinq étaient convoqués lorsque le Conseil [restreint] devait prendre une décision particulièrement grave, pour en augmenter la légitimité ; puisque les Quarante-Cinq étaient censés représenter les intérêts du Commun, ils s’adjugèrent petit à petit les maigres compétences qui lui restaient45. Cependant, ils étaient en fait proches des intérêts du Conseil restreint, dans la mesure où bon nombre d’entre eux appartenaient aux familles qui y étaient représentées. Il semble donc que les Quarante-Cinq ne remplissaient pas de rôle de contrepoids au Conseil, et que leur proximité sociale, voire familiale, avec les lignages (Geschlechter) consulaires transformait l’élection du Conseil, qui était leur tâche principale, en une quasi-cooptation46.

23Enfin les « simples bourgeois » du commun (universitas civium, gemein, nouveau haut-allemand Gemeinde), en tout cas les bourgeois de plein droit47, avaient perdu après le milieu du XIV^e siècle tout rôle politique significatif au profit des Quarante-Cinq. Les métiers existaient bien aussi, mais ne tenaient aucune place dans le gouvernement de la ville. Tout au plus trouve-t-on des artisans parmi les Quarante-Cinq, mais ils n’y entraient pas en tant que représentants de leur métier48.

24Les quelques familles représentées au Conseil restreint tenaient donc bien le conseil des Quarante-Cinq et avaient réduit à peu de chose la signification politique du commun ; on retrouve des représentants de ces mêmes familles dans les autres organes de gouvernement de la cité. C’est le cas pour les deux juges urbains, Schultheiß et Propst, déjà évoqués ; mais ils étaient également en fonction comme hansgraf, « comte de la Hanse », ou comme membres du conseil de la Hanse, qui organisait et surveillait commerce et artisanat49. À un niveau infra-urbain, pour finir, c’étaient également les membres des familles consulaires qui dirigeaient les Wachten, ces huit « districts de défense50 » [Carte 451]. Les Wachtmeister devaient assurer la surveillance policière et militaire de leur district, aidés de sergents, mais aussi la prévention des incendies. Ils agissaient donc comme relais du Conseil dans les différents quartiers, mais présidaient aussi un tribunal de leur Wacht, compétent notamment pour les querelles de voisinage. Quant aux membres de ces tribunaux, les Wachträte, au nombre de huit à chaque fois, ils appartenaient souvent aux familles patriciennes de leur Wacht respective, mais certains étaient d’extraction sociale plus modeste52. Les jeunes bourgeois pouvaient dans cette fonction faire leurs premières armes et acquérir une certaine compétence judiciaire et administrative.

Carte 4. – Les Wachten au XV^e siècle.

25Finalement, quelques lignages de l’élite bourgeoise tenaient fermement les rênes du pouvoir. Ils étaient rassemblés dans le Conseil de ville. Les autres conseils, Quarante-Cinq, conseil de la Hanse, mais aussi conseils des Wachten, qui étaient l’émanation du Stadtrat et devaient permettre une représentation plus large de l’ensemble des bourgeois – les métiers n’ayant aucune influence politique –, étaient en fait bien tenus par ces familles. Surtout, les passerelles entre les « petits » conseils et le Conseil de ville étaient empruntées surtout par les parents des Ratsherren. Aussi la ville libre de Ratisbonne constitue-t-elle un bon exemple de ce qui a été appelé un « régime patricien », où un petit nombre de lignages contrôlait le pouvoir, même si l’accès au Conseil était juridiquement ouvert.

26Dans quelle mesure parler de déclin pour Ratisbonne à la fin du Moyen Âge ? Dans le domaine économique, si le début de la période qui forme le cadre de cette étude est marqué par un essor très vigoureux, dès le milieu du XIV^e siècle, la récession commerciale ne fait guère de doutes. En revanche, la stabilité du régime était particulièrement remarquable, même au XV^e siècle, la « période de déclin » de la cité. Les institutions bourgeoises fonctionnaient et gardaient au XV^e siècle les prérogatives qu’elles avaient gagnées au siècle précédent. Du déclin économique, les historiens ont pourtant déduit le déclin politique : l’appauvrissement aurait conduit à l’endettement de la ville qui, pour éviter la banqueroute, aurait préféré renoncer à la liberté en 1486. Ce mécanisme a été contesté par des travaux récents, considérant d’une part que l’endettement de Ratisbonne n’était pas plus élevé que dans bien d’autres villes53, d’autre part que la mauvaise situation financière serait en grande partie due à la mauvaise politique financière et économique du Conseil de ville54. En revanche l’assimilation du choix de la médiatisation à une manifestation de déclin n’est guère mise en question. Cette valorisation extrême de la liberté urbaine, « bourgeoise », trouve ses racines dans l’historiographie du XIX^e siècle, mais aussi sans doute dans l’attachement aux structures fédérales en Allemagne, où Brême et Hambourg, deux villes d’Empire du Moyen Âge, conservent jusqu’à aujourd’hui le statut de Land au même titre que la Bavière ou le Bade-Wurtemberg55. Pourtant, à une époque où le pouvoir des princes s’imposait partout, il n’était pas si déraisonnable de se soumettre à une principauté en plein essor plutôt que de persister dans l’isolement56. Quoi qu’il en soit de ce débat, la commune de Ratisbonne continuait à fonctionner, et malgré les difficultés gardait une vraie cohérence. Certes Ratisbonne était soumise à la pression de l’empereur et du duc de Bavière, mais elle ne diffère en cela pas de la grande majorité des villes allemandes de cette époque de « territorialisation57 ».

27Déclin économique, mais stabilité politique interne jusqu’à la chute : cette évolution, parce qu’elle semble contradictoire, pose la question du groupe dominant la ville.