Version classiqueVersion mobile

L'esclave et les plantations

 | 
Philippe Hroděj

Première partie. L'esclavage, élément moteur de la plantation

L’organisation du travail servile sur la sucrerie domingoise au XVIIIe siècle

Natacha Bonnet

Texte intégral

1La culture de la canne à sucre nécessite une main-d’œuvre abondante, tant pour les travaux agricoles qu’à la fabrique sucrière. À travers l’étude des ateliers serviles de quatre plantations de moyenne importance, les sucreries Maré, Macnemara, des Varreux et des Sources, qui regroupent chacune une à deux centaines d’esclaves, il est de fait que l’organisation du travail servile obéit à une stricte répartition et à une division technique des tâches. L’affectation aux différents postes constitue une hiérarchisation entre les captifs africains nouvellement attachés à la sucrerie et les esclaves déjà acclimatés au pays. Les plantations recherchent une rentabilisation de la force humaine, en accroissant la proportion d’invalides, d’enfants et de vieillards mis au travail. Les mesures de la productivité humaine entre les quatre sucreries montrent qu’un atelier où le nombre d’esclaves par carreau est élevé n’est pas nécessairement celui où la pression sur les travailleurs est minimale, bien au contraire, ce qui est rendu patent par l’écrasante mortalité des esclaves et le recours systématique aux captifs de traite pour pallier le non-renouvellement naturel des ateliers serviles.

2Les correspondances des gérants aux Îles n’ont de cesse de souligner le besoin de renforcer les ateliers serviles. La question de la main-d’œuvre y occupe une place essentielle, car elle représente un lourd investissement et la survie des esclaves reste mal assurée, surtout aux premiers mois d’acclimatation sur la plantation. La gestion et la mise au travail forcé de ce capital humain vont être appréhendées au cours de cette étude à partir de l’exemple de quatre sucreries de la Partie française de l’île de Saint-Domingue : les habitations Maré, Macnemara, des Varreux et des Sources, appartenant à des élites nantaises et angevines, qui ont reçu le bien colonial en dot dans trois cas sur quatre. Les sucreries appartiennent d’ailleurs toutes aux établissements sucriers pionniers, se situant dans les fertiles plaines de Léogane et de l’Arcahaye et, pour la famille Stapleton, dans celle du Cap, la première à avoir été mise en valeur et la plus techniquement avancée dans la culture de la canne de la Perle des Antilles. Il s’agit par conséquent d’ateliers anciennement constitués, souvent assez largement créolisés. Pourtant, on note des écarts significatifs en terme de rendements sucriers et de productivités humaines, qui interrogent sur les choix opérés par les gérants en matière d’organisation du travail et de répartition interne entre les différents groupes d’un même atelier.

3Trois aspects seront développés ici : le premier s’attache à la composition des ateliers, en terme d’effectifs et d’affectation des postes ; le second concerne la mesure de la productivité humaine et le troisième pose la question du difficile maintien numérique des ateliers face à une mortalité écrasante et au non-renouvellement naturel de la main-d’œuvre.

La composition des ateliers serviles

Les effectifs

  • 1 Archives Départementales de la Vienne : série J, dépôt 65/60. Inventaire de la plantation Macnemar (...)
  • 2 Centre des Archives d’Outre-Mer (CAOM) : 5 supsdom 4. État des habitations séquestrées, 15 prairia (...)
  • 3 CAOM : 5 supplément de Saint-Domingue 1. Tableau des habitations séquestrées au quartier Morin, dé (...)
  • 4 Foubert Bernard, Les habitations Laborde à Saint-Domingue dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. (...)

4Les quatre plantations étudiées appartiennent aux sucreries de moyenne grandeur. Leur effectif servile se situe entre 120 et 170 esclaves selon les années pour celle des Sources et entre 175 et 196 personnes aux Varreux dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, tandis que la plantation Macnemara regroupe 137 individus en 17861. Ces valeurs correspondent à la période de plein fonctionnement des sucreries ; éléments qui font défaut pour la propriété Maré, pour laquelle les données démographiques n’interviennent qu’à l’extrême fin du siècle, avec les papiers du séquestre. Un état d’habitation établi par l’adjudant général de l’armée républicaine mentionne alors environ 200 esclaves2. Cette valeur serait un minimum de l’effectif servile dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, si l’on considère les données du séquestre concernant les plantations Galbaud et Macnemara. La première regroupe 79 cultivateurs en l’an VI, soit tout juste la moitié de l’effectif au milieu du XVIIIe siècle, tandis que sur la propriété Stapleton, le nombre de « cultivateurs » est de 31 en 1794 et de 68 quatre ans plus tard3, soit là encore la moitié du chiffre indiqué sur l’inventaire de 1786. L’effectif de la population servile sur la plantation Maré était de toute façon important à la fin du XVIIIe siècle, ayant été renforcé en 1785 par l’achat d’un lot de 186 esclaves venus d’une plantation de Jacmel. L’absence de recensement antérieur ou postérieur à cette date ne permet pas de savoir dans quelle mesure ce renfort humain venait compléter l’atelier déjà en place. Ces effectifs apparaissent proportionnels à la taille des établissements étudiés. Il existe évidemment des ateliers autrement importants : la sucrerie Foäche à Jean Rabel a compté à la veille de la Révolution jusqu’à 880 esclaves pour une superficie totale de 550 carreaux et les trois plantations Laborde ont réuni 1 441 Noirs4.

Tableau 1 : Éléments de comparaison entre les quatre sucreries du corpus d’étude

  • 5 Archives Nationales : minutier central, XCVI, 460. Selon le contrat de mariage de Jacques-Marie Pa (...)
  • 6 Archives privées du château de Lathan (Maine-et-Loire) : acte d’achat d’esclaves, 29 mars 1782.

Habitations

Les Varreux

Maré

Les Sources

Macnemara

Propriétaires

Pays

Le Chauff de Kerguenec

Galbaud du Fort

Stapleton

Localisation

Cul-de-Sac

Arcahaye

Léogane

Quartier Morin

Superficie totale (carreaux)

267

144

environ 300

120

Carreaux plantés en cannes

80

65-70

80

56 en 1786
70 en 1790

Capital des sucreries en 1789 (en l. tournois)

1 204 874

813 320

1 158 250

1 136 300

Effectif servile

196 en 17715
175 en 1784

environ 200 en 1798

entre 120 et 170 79 en 1798

137 en 1786
31 en 1794
68 en 1798

Achat d’esclaves acclimatés au pays

30 en 17846

186 en 1785

63 en 1755

?

5Six recensements d’esclaves ont pu être consultés pour la sucrerie des Sources, permettant de suivre l’évolution des effectifs serviles sur la plantation entre 1710 et 1773. Le dernier document couvre en réalité un laps de temps de six années : du 10 juin 1767 à la fin de l’année 1773. Il s’agit d’un cahier de 17 pages, qui fait figure de véritable registre d’état-civil, détaillant naissances, décès et acquisitions. En face de chaque nom d’esclave, figurent la date de naissance et, le cas échéant, la date de décès. La première est précisée avec le jour et le mois, excepté pour les esclaves âgés ou pour les « nègres nouveaux ». Pour les captifs acquis depuis 1767, le recensement indique la date d’achat et souvent la nation d’origine ainsi que le nom du navire par lequel le Noir est arrivé en Amérique, tandis que les esclaves créoles sont mentionnés avec leur ascendance maternelle, les femmes étant numérotées. On rencontre ainsi les intitulés « fils du no 12 » ou « fille du no 49 ».

Graphique I : Évolution de la population servile aux Sources entre 1710 et 1773

Graphique I : Évolution de la population servile aux Sources entre 1710 et 1773

Graphique II : Évolution démographique par sexe et par âge des esclaves de l’habitation des Sources entre 1749 et 1773

Graphique II : Évolution démographique par sexe et par âge des esclaves de l’habitation des Sources entre 1749 et 1773
  • 7 Les données retranscrites sont celles des recensements établis par le gérant. Pour deux années sur (...)
  • 8 Foubert Bernard, op. cit., p. 506.
  • 9 Cauna Jacques de, Au temps des isles à sucre : histoire d’une plantation de Saint-Domingue au XVII (...)

6L’atelier ainsi observé sur une période de 60 ans se maintient entre 120 et 150 personnes, mais accuse une nette disproportion entre les deux sexes quelles que soient les années7. Quand l’affectation au travail n’est pas indiquée, c’est essentiellement l’âge qui renseigne sur la composition d’un atelier. Aux Sources, les esclaves de moins de quinze ans représentent en moyenne un cinquième à un quart de l’atelier, ce qui reste habituel. On note ainsi que les enfants attachés aux trois plantations Laborde constituent 19 % des 1 400 esclaves présents sur les lieux en 17918. Toutefois, la composition de l’atelier des Sources reste stable durant toute la seconde moitié du XVIIIe siècle et ne tend pas vers un rajeunissement. L’effectif masculin a été considérablement renforcé dans les années 1750, mais il est ensuite en baisse, malgré la permanence des achats de captifs africains, alors que les femmes sont de plus en plus nombreuses sur la plantation au cours de la période observée, ce qui confirme que la plus grande longévité des femmes se retrouve aux Îles. Les archives consultées pour les autres plantations de notre corpus ne donnent pas à lire de telles évolutions sur plusieurs décennies. Il s’agit de recensements ponctuels, lors d’inventaires généraux de l’habitation, tandis que pour la sucrerie Maré, ne sont connus ni l’effectif de l’atelier avant cette acquisition massive, et de fait, encore moins sa composition en âge et en sexe. Seul l’acte d’achat de 1785 livre une répartition par âge et par sexe des 186 esclaves nouvellement placés sous le contrôle du gérant Manègre. Pour cette plantation, l’étude des âges et des sexes a donc été établie sur une partie restreinte de l’atelier, mais ce groupe de 186 esclaves forme la totalité de l’ancien atelier de la plantation Delorme de Jacmel. Il constitue donc un exemple des composantes en âges et en sexes d’une sucrerie. Ont été regroupées les données démographiques des quatre plantations, avec deux dates différentes pour celle des Sources puisque la précision des recensements le permet, en retenant deux seuils : celui de 15 ans, considéré par les gérants, comme on l’a vu, pour le passage à l’âge adulte et celui de 50 ans, généralement admis pour la limite de la fin de la vie active, ou en tout cas l’état d’usure corporelle engendrant souvent une incapacité de travailler9.

Graphique 3 : Démographie comparée des ateliers des habitations Maré, Macnemara, des Sources et des Varreux dans la seconde moitié du XVIIIe siècle

Graphique 3 : Démographie comparée des ateliers des habitations Maré, Macnemara, des Sources et des Varreux dans la seconde moitié du XVIIIe siècle

7La composition par âge et en sexe diffère notablement d’un atelier à l’autre et même au sein de la sucrerie des Sources entre les deux dates d’observation. Hormis à Maré et à Macnemara où l’on retrouve la supériorité numérique des femmes que l’on constate habituellement sur les plantations antillaises, le ratio entre les sexes est équilibré aux Varreux et aux Sources en 1773, après avoir accusé une très forte minorité féminine au milieu du XVIIIe siècle. Ce réajustement tient plus aux achats de jeunes africaines qu’à l’auto-renouvellement de la population servile, puisque justement malgré les renforts de captifs africains, le nombre d’hommes de 15-49 ans s’est maintenu dans les mêmes proportions. Or les enfants de 1749 auraient été dans la force de l’âge en 1773. Bien plus, à cette date, le nombre d’enfants (18 %) est un peu inférieur à ce qu’il était en 1749 (22 %). Par conséquent, il y a eu moins de naissances sur la sucrerie au cours des décennies 1760 et 1770. Cette faible proportion d’enfants se retrouve sur la plantation Macnemara (19 %), tandis que les moins de quinze ans représentent 21 % aux Varreux et 31 % des esclaves acquis par Manègre en 1785. Celui-ci opère donc d’un coup un important rajeunissement de l’atelier de la sucrerie Maré, alors que précisément le désavantage d’un achat massif est qu’il contraint le planteur à acquérir un groupe, avec des vieillards et des infirmes, et non seulement des travailleurs dans la force de l’âge, comme le permettent les achats par cargaisons. Toutefois, l’importance numérique des enfants signifie que la performance de l’atelier reste avant tout potentielle. Manègre doit patienter quelques années et surtout former cette jeunesse aux différents postes de travail. À l’inverse, les esclaves âgés de 50 ans et plus sont en nombre équivalent sur les quatre plantations, à hauteur de 16 à 18 %, ce dernier chiffre correspondant à la sucrerie des Sources en 1749. Vingt-quatre ans plus tard, il tombe à 10 %, et si l’on a vu que l’atelier ne tend pas vers un renouvellement de la jeunesse, du moins il se rajeunit, par la force des choses. C’est aussi le signe d’un atelier anciennement constitué, qui n’a pas été régulièrement conforté par des achats ou des naissances.

La proportion d’esclaves mis au travail

8La population d’âge moyen, entre les deux seuils établis de 15 et 50 ans, correspond vraisemblablement à la fraction la plus susceptible d’être mise durement au travail. L’effectif des esclaves situés dans cette fourchette d’âge fournit une première indication de la « population active », même si cette notion apparaît très difficile à définir, puisque tous les individus sont mis au travail, à quelques rares exceptions près. Elle reste de fait largement artificielle dans l’étude de la société esclavagiste.

Tableau 2 : Proportion des adultes au sein des ateliers serviles

Tableau 2 : Proportion des adultes au sein des ateliers serviles
  • 10 Foubert Bernard, op. cit., p. 518-519.

9Ces données confirment un renfort des forces vives aux Sources entre 1749 et 1773. Au regard du seul critère de l’âge, la main-d’œuvre servile de cette sucrerie apparaît même la plus favorisée, tandis que la très forte proportion d’enfants au sein des 186 esclaves de l’atelier Delorme tel qu’il a été transféré à Maré en 1785 constitue à cette date un handicap momentané, sachant que le gérant a fait le choix de l’investissement à long terme avec cette acquisition massive. Dans l’ensemble, la population adulte des quatre ateliers étudiés reste plutôt faible. En effet, dans son étude sur les plantations Laborde, B. Foubert en retenant une période d’activité servile pourtant plus restreinte, à savoir entre les âges de 14 et 43 ans, établit un taux moyen de 70,6 % « d’actifs » pour l’ensemble des 1 441 esclaves10. Mais les recensements des habitations montrent qu’en réalité la répartition des tâches au sein des ateliers serviles s’appuie sur une population bien plus large que le strict effectif situé entre les deux seuils d’âges établis précédemment, qu’il s’agisse des enfants, des vieillards et des invalides. De fait, on s’aperçoit que l’invalidité n’est que très rarement synonyme de mise au repos. L’organisation du travail servile sur la sucrerie obéit à une politique de rentabilisation de toutes les forces présentes sur les lieux.

  • 11 Le chiffre de 147 inclut les neuf enfants de 10 à 14 ans affectés à un poste de travail. En l’excl (...)

10En ce qui concerne les adultes des Sources, la distinction entre esclaves travaillant et infirmes est explicitée pour les recensements de 1749, 1754 et 1757, par la présentation des actes, les seconds étant inventoriés dans une colonne spécifique. Pour cette sucrerie, la proportion de travailleurs passe de 43 % d’esclaves au travail en 1749, à 68 % en 1754, puis à 73 % en 1757, sur une population totale s’élevant respectivement à 143, 149 et 167 individus. Or, si l’étude démographique a permis de conclure à un rajeunissement de l’atelier, il apparaît bien évident que les achats de jeunes captives opérés par le gérant ne suffisent pas à expliquer cette évolution, d’autant plus qu’on note un recul des naissances aux Sources entre les années 1749 et 1773. De la même façon, l’explication de l’amélioration des conditions sanitaires reste peu probante. Cette hausse s’appuie en réalité sur un accroissement de la proportion d’invalides mis au travail, en confiant à ces derniers des postes de gardiennage ou de surveillance. En 1749, sur un effectif masculin de 70 « nègres », 33 sont répertoriés comme infirmes ou invalides et sur 41 « négresses », 16 sont déclarées inaptes au travail. En considérant maintenant uniquement les adultes, les pourcentages d’esclaves travaillant sont évidemment plus élevés : le chiffre est de 92 % en 1757 sur 134 adultes. On observe le même cas de figure sur la sucrerie des Varreux, qui compte à peine 7 % d’invalides sur 147 esclaves adultes recensés en 178411. La proportion est nettement plus forte (12,6 %) à Macnemara sur une population servile de 111 adultes en 1786.

  • 12 « Négrittes » est le terme local pour « négrilles ». C’est celui qu’utilisent les gérants et que l (...)

11La question du travail des enfants s’avère en outre essentielle pour considérer la proportion de l’atelier réellement mis au travail. Ces derniers posent problème dans ce comptage, car si l’âge de 15 ans est considéré comme le seuil du passage à l’âge adulte, les « négrillons » ou « négrittes » travaillent au jardin dès l’âge de six ans en moyenne12. La situation apparaît encore plus complexe aux Varreux où le recensement de 1784 mentionne 9 enfants de plus de 10 ans comme ouvriers, domestiques et gardiens : ainsi Ratton, 14 ans, est petit moulinier, André, 12 ans, est valet et Avéré, 10 ans, est gardeur de chevaux. Ces neuf enfants ont été comptabilisés parmi les esclaves travaillants des Varreux. Pour les Sources, aucun enfant n’est affecté à une spécialité. Ils n’ont pas été portés dans le tableau comme travailleurs, quand bien même ils sont évidemment mis à contribution pour les cultures.

  • 13 Archives Départementales de Loire-Atlantique (ADLA) : 175 J 13, Correspondance du gérant Barré aux (...)
  • 14 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 30 novembre 1775. Jean Parison a commencé à travailler (...)
  • 15 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 1er avril 1783.

12Ces pourcentages doivent de toute façon être modérés par deux faits ; le premier concerne les réquisitions d’esclaves pour les corvées royales, notamment lors des grands travaux de voirie. En 1770, quinze esclaves sont ainsi soustraits pendant 15 jours de la sucrerie des Sources pour aller réparer le grand chemin du Lamentin. Le gérant se plaint qu’ils sont revenus malades, étant « forcés de coucher dans les halliers exposés aux injures du temps, (et qu’) ils ne se sont nourris que de crabes13 ». Ces condamnations, loin d’être forcément erronées quant aux absences répétées et aux mauvais traitements, viseraient en tout cas à justifier au propriétaire certains retards dans l’avancée des travaux quotidiens de la plantation. En deuxième lieu, le colon doit composer avec les fluctuations de remplissage de l’hôpital. Aux invalides de longue durée s’ajoutent les immobilisés suite aux épidémies qui perturbent parfois l’organisation du travail pendant plusieurs semaines. En 1775, 25 esclaves sont simultanément retenus à l’hôpital des Sources. Parison se plaint alors de ne pouvoir compter que sur 30 personnes au jardin14. Plus encore, dans sa lettre du 1er avril 1783, il exécute la coupe des cannes avec une dizaine d’esclaves, l’effectif total étant alors de 12315… Entre exagération épistolaire ou réalité sanitaire, il est clair que, si la surface plantée en cannes occupe généralement le tiers de la superficie totale de la plantation, l’effectif au travail regroupe en moyenne la moitié de la population servile attachée à son lieu de vie.

  • 16 Article 27 du Code noir.
  • 17 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 8 février 1775.
  • 18 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 29 mars 1773.
  • 19 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 25 décembre 1775.

13La notion d’infirmité doit être distinguée de celle d’invalidité, la première impliquant un handicap de naissance comme la cécité ou la surdité, alors que la seconde met directement en cause le rapport au travail. Les esclaves invalides ont été usés et vieillis prématurément et occupent des emplois réservés comme le gardiennage. Le cas est systématique aux Varreux comme le signale le recensement de 1785 : presque chaque esclave qui y est qualifié d’infirme est mentionné comme gardeur de cheptel, de vivres, de barrière. Les termes de « surâgé » ou « hors de service » correspondent à des esclaves ayant dépassé 65 ans. Il reste de toute façon très rare qu’un esclave ne soit plus occupé du tout, d’autant que le Code noir oblige les propriétaires à garder sur les plantations les invalides et les infirmes, afin d’éviter le vagabondage et la création d’hospices16. On a vu que le pourcentage d’invalides et d’infirmes peut varier de 6 à 12 % de la population servile d’un atelier. Le moulin est la première cause d’invalidité. Parison signale ainsi l’amputation d’une main en février 177517. Quelques épisodes de jambes cassées également pour Roxanne et François Cap en 177318. Plus rares mais très dangereux : les charrois de cabrouets. L’accident fut mortel pour Narcisse, écrasé par un cabrouet dans le chargement de 60 barriques sur le Quaker en 177519. À chaque fois, le gérant se répand en explications dans ses correspondances, tentant de justifier au mieux cette diminution des forces de travail et d’un capital humain si prisé.

La hiérarchie des postes de travail

  • 20 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 17 avril 1769.

14La répartition des tâches répond à un schéma assez classique qui diffère peu d’une habitation à l’autre. Les différents postes sont placés sous le contrôle d’un ou deux commandeurs. C’est un esclave souvent âgé d’une quarantaine d’années, choisi pour son acclimatation à la plantation depuis de longues années, parfois dix ou vingt ans. Cumulant le statut de surveillant et celui de donneur d’ordres, il jouit d’une bonne confiance de la part du gérant. On voit même, en avril 1769 aux Sources, dans le cas d’un vol de bœuf sur une habitation voisine, le commandeur, frère de l’auteur du larcin, prévenir Parison des faits20. À cette date, ce n’est plus Alexandre qui occupe la place du commandeur, après en avoir été chargé pendant au moins deux décennies, suivant les quatre recensements de 1741 à 1757. En 1757, il partage le poste avec Ambroise. Alexandre est estimé à 2 500 livres coloniales en 1741 et sa longévité à cette fonction montre bien qu’il constitue l’un des rouages principaux de la sucrerie Galbaud du Fort. Macnemara ne compte qu’un seul commandeur : Grand Jean Louis qui, s’il reste jeune pour ce poste d’expérience (il a 29 ans en 1786), a l’avantage d’être créole et né sur l’habitation, donc formé aux principes de travail du lieu auquel il est attaché. Exception faite du commandeur, tous les esclaves de la plantation sont affectés à un poste en théorie bien défini, mais le journal des travaux montre qu’en réalité, il existe une perméabilité parfois très grande entre les groupes. Celui des esclaves de jardin s’avère ainsi le plus instable, à l’inverse de celui des ouvriers sucriers puisque le travail à la fabrique requiert un apprentissage spécifique et une technicité bien rôdée. Cette hiérarchie et cette répartition des tâches répondent à un souci de division technique du travail, produisant quelques effets d’élévation sociale à l’intérieur d’un monde privé de liberté, les esclaves les plus malheureux étant sans conteste les « nègres de jardin ».

Les esclaves agricoles

  • 21 Debien Gabriel, « La société coloniale aux XVIIe et XVIIIe siècles ; Destinées d’esclaves à la Mar (...)
  • 22 Guyvarc’h Didier, Instructions des colons à leurs gérants aux Antilles (1687-An III), maîtrise sou (...)

15La mention « nègres de jardin » n’est en général pas précisée, contrairement à la spécialité des esclaves domestiques et ouvriers. Le groupe des esclaves agricoles doit donc être reconstitué par défaut, en totalisant ceux qui restent, à l’exception des infirmes et invalides. Cet effectif, affecté tant à la culture de la canne qu’aux cultures vivrières, est renforcé selon les périodes. Les esclaves de jardin regroupent 81 personnes sur un total de 175 Noirs recensés aux Varreux. Ils y sont répartis en trois ateliers : « le grand jardin » (65 % des « nègres » de jardin), l’atelier des jeunes de 12 à 15 ans et le groupe des « enfants au panier » dont l’âge varie en principe entre 6 et 10 ans. Les enfants sont chargés de trier les patates et les ignames ou encore de recueillir le fumier pour le porter aux champs, d’où l’accessoire du panier qui donne le nom à l’atelier. L’essentiel des travaux des champs incombe par conséquent au grand atelier, composé à 71,6 % de femmes, les hommes restant plus mobiles vers des postes à la fabrique, aux écuries et aux métiers du bois. L’attribution de la fonction agricole aux femmes proviendrait aussi d’une tradition africaine que les colons auraient remarquée et suivie21. De la même façon, Labat note que les captifs originaires de Guinée, notamment les Aradas, conviennent bien aux travaux agricoles, tandis que ceux du cap Vert et du Sénégal restent préférés comme gens de maison22. Les esclaves de jardin forment entre un tiers et la moitié de la population servile totale d’une sucrerie. Les deux tableaux suivants permettent de comparer, aux Varreux et aux Sources, la ventilation des esclaves au sein des quatre groupes de travail.

  • 23 Les six « nègres nouveaux » ont été classés parmi les esclaves de jardin, car c’est toujours le pr (...)

Tableau 3 : Répartition et affectation des 138 esclaves adultes des Varreux en 1784, ainsi que de 9 enfants, entre 10 et 14 ans, affectés à un poste précis23

Tableau 3 : Répartition et affectation des 138 esclaves adultes des Varreux en 1784, ainsi que de 9 enfants, entre 10 et 14 ans, affectés à un poste précis23

Tableau 4 : Répartition et affectation des 134 esclaves adultes des Sources en 1757

Tableau 4 : Répartition et affectation des 134 esclaves adultes des Sources en 1757
  • 24 Brisseau Solène, La vie des Bretons à Saint-Domingue dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, maît (...)

16Les chiffres des sucreries Pays et Galbaud indiquent des répartitions similaires. On constate tout d’abord un faible détournement vers l’improductif avec peu de domestiques et peu d’esclaves inaptes au travail, cette dernière catégorie étant dans les deux cas largement inférieure à la moyenne de 10-15 %. En réalité, les infirmes sont bien plus nombreux aux Varreux. On a signalé leur affectation presque systématique aux postes de gardiennage, les deux mentions se suivant très fréquemment sur la ligne du recensement. Dans ces cas, ils ont été comptabilisés parmi les ouvriers, puisque certains postes de gardiennage sont aussi occupés par des valides. On retrouve les remarques formulées précédemment quant à la prédominance des femmes parmi les esclaves au jardin. Ces derniers regroupent près de 50 % de l’atelier, ce qui correspond à la proportion habituelle pour permettre une mise en valeur efficace des terres24. À l’inverse, les travaux de la sucrerie, qui occupent une soixantaine de personnes sur les deux habitations, voient la nette surreprésentation des hommes : ceux que l’on appelle les « nègres à talents ». En fait, aux Sources, plus de 90 % de l’atelier est affecté aux travaux productifs des champs et de la fabrique. Tous les efforts sont dirigés vers la culture sucrière. La comptabilisation des esclaves agricoles est rendue bien imprécise à Macnemara, puisque l’inventaire de 1786 n’indique aucun domestique, ce qui reste évidemment peu probable. Certes, à cette date, la famille a quitté la colonie depuis longtemps, car le mobilier de la grand’case est celui du gérant, et celui-ci dispose vraisemblablement de ses propres esclaves domestiques. Toutefois, les postes d’hospitalière et de nourrice demeurent difficilement supprimables. De la même façon, le nombre des ouvriers est réduit, ces deux faits augmentant d’autant le nombre potentiel d’esclaves au jardin qui serait alors de 84 adultes, chiffre qui inclut 22 esclaves de plus de 50 ans. En excluant ces derniers, la plantation Macnemara ne dénombre donc en réalité que 62 esclaves agricoles, 27 hommes et 35 femmes, soit 45 % des 137 esclaves que compte l’atelier à cette date, c’est-à-dire une proportion quasi-identique à celle que l’on observait sur les exploitations des Varreux et des Sources.

Tableau 5 : Répartition et affectation des 111 esclaves adultes de Macnemara en 1786

Tableau 5 : Répartition et affectation des 111 esclaves adultes de Macnemara en 1786
  • 25 Dont le commandeur.

Note 2525

Les « nègres à talents »

  • 26 Nous avons classé les gardiens parmi les ouvriers, comme le fait Gabriel Debien, quoique ceux-ci p (...)
  • 27 Debien Gabriel, « La société coloniale aux XVIIe et XVIIIe siècles ; Destinées d’esclaves… », art. (...)
  • 28 Ibidem, p. 35.

17Aux Varreux, les ouvriers spécialisés ou « nègres à talents » correspondent pour les trois-quarts à des emplois masculins. La proportion est encore plus grande aux Sources, parce que cette dernière compte moins de gardiens, postes habituellement confiés à des femmes26, tandis qu’aux Varreux les gardiens et tailleurs de haies constituent la moitié des ouvriers. Beaucoup sont néanmoins invalides ou surâgés. On leur confie la surveillance des animaux, des provisions, des enclos et des barrières : ainsi « Thérèse Congo, 62 ans, aveugle, gardeuse de barrière ». Par ailleurs, il n’est pas rare qu’un ouvrier fasse double emploi, tel Jean La Guerre aux Varreux, « gardeur de chevaux et moulinier ». Les autres ouvriers se divisent en trois groupes de professions : les sucriers et mouliniers, les tonneliers et maçons, puis les charrons et cabrouétiers. Les premiers sont les plus enviés, car même si la fabrique reste une lourde charge, elle s’avère un poste d’honneur. Selon G. Debien, à Saint-Domingue, où les emplois restaient soigneusement séparés, « les raffineurs et gens du moulin formaient une orgueilleuse aristocratie ouvrière27 ». Le travail y est pénible, et de surcroît, ne s’arrête pas la nuit. Les sucriers regroupent un quart des ouvriers aux Varreux et à Macnemara. Ils sont en général unis car les apprentissages longs et techniques ne permettent pas la rotation des postes, et la cohésion fait de ces hommes un groupe à part, quelque peu indépendant du gérant qui, lorsqu’ils « s’entendent bien, sont les gens heureux de la plantation28 ».

Tableau 6 : Classification des esclaves ouvriers de l’habitation des Varreux en 1784

Tableau 6 : Classification des esclaves ouvriers de l’habitation des Varreux en 1784

Tableau 7 : Classification des esclaves ouvriers de l’habitation Macnemara en 1786

Tableau 7 : Classification des esclaves ouvriers de l’habitation Macnemara en 1786
  • 29 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 11 avril 1786.

18Toute sucrerie a également ses propres charpentiers, tonneliers et maçons. Là encore, les apprentissages sont longs. Le plus souvent, les hommes sont pris en charge par un tiers sur la plantation, mais il arrive que le gérant envoie l’esclave se former chez un ouvrier en ville. C’est le cas de Charles, fils de La Fortune, dont Parison espère qu’il pourra remplacer son père au poste de charpentier, après avoir été confié en 1786 à Monsieur Mussot, vraisemblablement au Port-au-Prince29. La sucrerie des Sources fonctionne avec une moyenne de six à sept charpentiers, trois tonneliers, un ou deux maçons et deux « machoquets » qui font office de forgerons-serruriers chargés d’entretenir les outils de l’habitation : machettes, houes, serpes, haches etc. Les charpentiers travaillent le bois pour les cases à « nègres » et les maçons assurent l’entretien des bâtiments d’exploitation et sont en charge, si besoin, des nouvelles constructions. Les tonneliers fabriquent les fûts, barriques ou boucauds, destinés aux expéditions lorsque les importations de métropole ne suffisent plus. Ces barriques et fûts requièrent le concours des cabrouetiers pour être acheminés au port d’embarquement par cabrouets dont l’entretien est également confié aux charrons. Les cabrouetiers sont aussi chargés des bêtes de trait des cabrouets. À Macnemara, les effectifs sont beaucoup plus réduits : un seul maçon, deux tonneliers, trois cabrouetiers plus un cocher – c’est l’unique cas que nous ayons sur les quatre habitations –, mais pas de charpentiers. Tous ces emplois répondent à une promotion interne. Ils sont réservés à des esclaves expérimentés, souvent âgés, travaillant sur l’habitation depuis de longues années, le but étant d’éviter au maximum le recours à la main-d’œuvre extérieure trop coûteuse et d’assurer ainsi, en autarcie, le fonctionnement de la sucrerie. Mais on s’aperçoit, aux Sources comme à Maré, que malgré les apprentissages et la formation sur le tas des esclaves ouvriers, les gérants font appel aux « petits Blancs » des villes ou aux gens de couleur libres établis comme boutiquiers, essentiellement le charpentier et le machoquet.

Les esclaves domestiques

  • 30 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 20 mai 1776.
  • 31 Debien Gabriel, « La société coloniale aux XVIIe et XVIIIe siècles ; Destinées d’esclaves… », art. (...)
  • 32 Debien Gabriel, La plantation Galbaud du Fort…, op. cit., p. 105.
  • 33 ADLA : 175 J 17. Comptes de régie de l’habitation des Sources, années 1745, 1753 et 1777.

19Le service à la grand’case demeure le poste le plus envié de tous. On a noté l’absence totale d’indication quant à la présence de domestiques à Macnemara. Pour les autres sucreries, l’effectif reste assez réduit. Il ne représente guère plus de 5,1 %, aux Varreux et tout juste 1 % aux Sources, soit un chiffre nettement inférieur à la moyenne de 10 % donnée par G. Debien. Rigueur financière ou absentéisme des colons ? De manière générale, pour la partie française de l’île de Saint-Domingue, les chiffres ont tendance à baisser avec les années, après le milieu du XVIIIe siècle et avec la généralisation des mises en gérance. Le personnel domestique est presque exclusivement féminin (78 % aux Varreux). Les femmes occupent les emplois de blanchisseuse, hospitalière ou encore servante à la table du maître. On rencontre aussi une « gardeuse d’enfants », Victoire Thomas, 47 ans, qu’une infirmité rend inapte au travail agricole. La grand’case est également l’employeur d’un certain nombre d’enfants, qui travaillent comme valets à partir de 13-14 ans. Le créole Pierre-Mathurin, fils de Geneviève à la sucrerie des Sources, a 13 ans lorsqu’il est placé en apprentissage par Parison à dessein d’en faire son perruquier30. Au final, le service à la grand’case ressemble à « un mouvement perpétuel, une récompense pour quelques-uns, un essai pour les autres, un refuge pour les affaiblis, et pour beaucoup une étape confortable vers la liberté31 ». La grand’case reste un passage où l’on acquiert plus facilement son affranchissement. La domesticité peut être extérieure à l’habitation lorsque le gérant loue les services de certaines de ses esclaves à un particulier en ville, quand bien même cela était interdit32. Les gains du travail de Vénus, Marianne et Angélique viennent ainsi grossir la recette de la sucrerie des Sources à trois reprises : la première fois en 1745, à hauteur de 600 livres coloniales pour une année de domesticité de Vénus et de Marianne et à la ligne suivante, Berquin indique 300 livres correspondant au « reçu de Monsieur du Plessis pour 3 ans de ferme de la vieille négresse Angélique ». Les comptes de régie en 1753 et en 1777 ne font apparaître que Vénus, rapportant 288 livres coloniales pour chacune des années33.

  • 34 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 13 août 1772.
  • 35 Le Code noir oblige le colon à fournir à chaque esclave un vêtement neuf chaque année.

20À cette hiérarchisation des postes qui tend à complexifier la structure esclavagiste et les rapports de force entre l’atelier, le colon et les petits Blancs employés sur l’habitation, s’ajoute parfois un pernicieux système de gratifications et de récompenses octroyées par le maître, qui vise à faire travailler les esclaves en procédant au chantage. Entre la contrainte pure et l’intéressement économique, le gérant établit ainsi une forme de paternalisme, en créant des nuances dans les violences. Celles-ci ne sont pas physiques, mais masquées, utilisant la dureté de la vie et la séduction de menus plaisirs. Les suppressions de jours de repos et de fêtes ne constituent pas une exception. Beaucoup de travaux, considérés de caractère urgent, occupent ainsi les esclaves de la sucrerie des Sources pendant les jours fériés. Ils viennent réduire la capacité physique et morale de résistance. Alors que la coutume prévoit l’octroi de gratifications à Noël et au Premier de l’An, ces récompenses monétaires sont en fait souvent présentées par le gérant comme la motivation de l’effort pour un quelconque travail à fournir. Elles font alors l’objet d’un « pacte » avec les esclaves. Le chantage apparaît particulièrement évident en 1772 pour la récolte de bois sur un terrain de quatre carreaux, situés sur les hauteurs de la plantation, joignant la place de Gabargé près des Cormiers, autrement dit très peu accessible. Parison y avait repéré une grande quantité de divers bois : « des tendres acajou, bois de fer, bois gayac et acoumas34 ». Après avoir conduit une partie de l’atelier sur les lieux, le gérant lui montre un cadeau jusque-là tenu secret. Il s’agit d’une toile de drap, à laquelle il prévoit de rajouter douze louis de récompense. L’ardeur à la tâche est excitée et la motivation, toute acquise. Les dimanches du mois d’août 1772 sont donc partagés entre la collecte de bois sur les hauteurs pour les plus vaillants, et l’entretien du jardin personnel pour les plus faibles qui restent à la sucrerie. Parison écrit qu’ils ont ainsi gagné la matière première de leurs nouvelles vestes, le gérant s’engageant à « pousser la générosité jusqu’à (en) payer les doublures et la façon […] ». Le gérant instaure une certaine humanisation économique de l’esclave, mais cette politique de primes est loin de fonctionner sur le modèle des ouvriers libres dans une logique de pur marché, puisque la récompense est globale à tout l’atelier. Surtout le « cadeau » est ici un bien de première nécessité, qui doit de toute façon être fourni par le gérant en vertu du Code noir35.

  • 36 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 4 juin 1769.

21Quelquefois même, la suppression des jours de congé intervient sans compensation financière et, bien plus, elle se double d’un amoindrissement de la surface du lopin de terre réservé aux esclaves. C’est la situation que Parison décrit lorsqu’en 1769, l’achat de douze « nègres nouveaux » rend nécessaire l’édification de cases d’habitation supplémentaires. Il relate à la famille Galbaud que l’atelier consent, « de lui-même », à céder son jardin personnel planté en manioc pour l’emplacement des nouveaux bâtiments, lesquels sont érigés, là encore, le dimanche36. Face aux requêtes du gérant, l’atelier n’aurait fait preuve d’aucune marque de résistance ; c’est du moins ainsi que Parison présente les faits aux propriétaires, ce qui reste surprenant et offre la vision d’une plantation bien tenue et parfaitement sous contrôle. Le gérant utilise le travail dominical comme moyen de pression, mais il entend être le seul habilité à le faire. Quelques lignes plus loin, la même lettre relate un fait d’ingérence de la part d’un colon voisin. Celui-ci, sachant que Parison n’attendait que la pluie pour planter une pièce en patates douces, a mis l’atelier de la sucrerie Galbaud au travail à l’arrivée des gouttes d’eau, et ce, le jour de la fête Dieu. La réaction de Parison ne se fait pas attendre, estimant que les jours de repos sont absolument nécessaires pour la bonne santé de l’esclave… Tout dépend de quel côté viennent les ordres.

Rendements sucriers et productivités humaines

  • 37 C’est la surface roulée qui importe et non la surface plantée, car on ne replante pas en nouvelles (...)
  • 38 Onze comptes de régie ont été retrouvés pour la sucrerie des Sources, mais ceux de 1742 et 1743 n’ (...)
  • 39 Cauna Jacques de, Au temps des isles à sucre…, op. cit., p. 259. Cette équivalence est celle que p (...)

22Le calcul du rendement d’une plantation tient compte de la superficie mise en culture, du nombre d’esclaves qui y sont affectés, et des volumes sucriers produits. La rentabilité de la terre relève des moyens techniques et des méthodes agraires mises en œuvre, comme le principe de la rotation, l’utilisation d’engrais, mais aussi de la qualité naturelle du sol. La productivité humaine dépend quant à elle de l’effectif servile travaillant. Les données de superficie et de main-d’œuvre sont connues pour les quatre habitations ; pour les Sources et Maré, on dispose également du volume annuel des sucres. Voyons d’abord pour celles-ci le rendement par carreau de culture. Aux Sources, la surface roulée en cannes n’est précisée que ponctuellement37 ; la moyenne se situe autour de 80 carreaux. Dans ces conditions, ce ne peut-être qu’une estimation du rendement, calculée à partir du volume poids moyen indiqué sur les neuf comptes de régie38, à savoir 250 131 livres poids. Ces sucres sont très majoritairement des sucres bruts, mais cette valeur inclut toutefois la proportion des sucres blancs produits en 1777, sans que l’on puisse déterminer les volumes respectifs des bruts et des terrés, puisque la présentation du compte de cette année-là globalise la recette sucrière. Le produit moyen par carreau dépasse à peine 3 000 livres poids. Seuls les papiers de l’habitation Maré permettent une approche évolutive du rendement sur six années consécutives, de 1785 à 1790, par les précisions du compte de gestion interne. Il s’agit ici de sucres terrés. En considérant l’équivalence moyenne de 1 000 livres de sucres terrés pour 1 500 de bruts39, on obtient un produit moyen de 16 532 livres poids de bruts.

Tableau 8 : Évolution du rendement sucrier par carreau de culture sur l’habitation Maré entre 1785 et 1790

Année

Superficie roulée (en carreaux)

Poids (sucres terrés)

Produit moyen par carreau

1785

54, 33

649 440

11 954

1786

60, 66

573 791

9 459

1787

65, 33

747 985

11 449

1788

70, 66

743 965

10 529

1789

63, 33

782 705

12 359

1790

72

760 095

10 557

Total

386, 33

4 257 981

-

Superficie roulée moyenne

64, 39

-

-

Moyenne en poids de sucres terrés

-

709 664

11 021

Équivalence en sucres bruts

-

1 064 496

16 532

  • 40 Pour les trois sucreries, les chiffres présentés pour les surfaces roulées, le nombre d’esclaves e (...)

Tableau 9 : Comparaison des rendements de la terre et de la main-d’œuvre40

Habitation des Sources

Habitation Maré

Habitation Bellevue

Superficie roulée

80

64,4

64,8

Poids produit (moy. ann.) en sucres bruts

250 131

1 064 496

507 067

Effectif servile

130

hypothèse 1 : 300
hypothèse 2 : 372

256

Rendement de la terre

3 127

16 532

7 825

Rendement de la main-d’œuvre

1 924

Hypothèse 1 : 3 548
Hypothèse 2 : 2 861

1 981

  • 41 Debien Gabriel, « Plantations et esclaves à Saint-Domingue : la sucrerie Cottineau », Notes d’hist (...)
  • 42 Foubert Bernard, Les habitations Laborde…, op. cit., p. 277 et 650-651. Pour la première des trois (...)
  • 43 Cauna Jacques de, Au temps des isles à sucre…, op. cit., p. 258.
  • 44 Girod Françoise, La vie quotidienne…, op. cit., p. 46.
  • 45 Moreau de Saint-Méry Médéric-Louis-Élie, Description topographique, physique, civile, politique et (...)

23À Maré, pour une superficie de cannes roulée moindre qu’aux Sources, le produit moyen par carreau est de cinq fois supérieur, ce qui pose question puisque ces chiffres portent justement sur les années postérieures à la remise en état de la sucrerie des Sources par Galbaud. C’est toutefois beaucoup plus que la sucrerie du Nantais Cottineau : en 1784, cette vaste plantation de 520 carreaux n’est cultivée en cannes que sur 151 carreaux. Sa production est estimée entre 150 et 200 milliers de sucre brut41, soit un rendement par carreau extrêmement faible, de l’ordre de 1 000 à 1 300. G. Debien la classe parmi les plantations moyennes au regard du volume produit. Or elle possède une surface cultivée bien supérieure à la plupart des sucreries « moyennes ». Le rendement de Maré est également nettement supérieur à celui des plantations Laborde, très vastes mais reconnues peu fertiles, dont le meilleur jardin ne donne pas plus de 4 550 livres par carreau. À l’extrême fin du siècle, l’ensemble des trois habitations Laborde produit un rendement en sucres blancs qui ne dépasse guère 3 000 livres par an et par carreau42. Comparaison faite également avec l’habitation Bellevue appartenant au Rochelais Fleuriau et sise à la Croix des Bouquets, au quartier de Léogane voisin de l’Arcahaye, et dont la superficie est identique à celle de Maré43, la productivité de la terre à Bellevue est intermédiaire face aux deux propriétés étudiées. Celle-ci paraît conforme au rendement classique estimé pour l’ensemble des îles autour de 8 000 à 10 000 livres, sachant qu’un chiffre de 18 000 reste exceptionnel44. Située dans la plaine fertile de l’Arcahaye où les aménagements hydrauliques ont permis un essor presque analogue à celui de la plaine du Cul-de-Sac à partir des années 174045, la plantation Maré soutient un excellent rendement.

24En ce qui concerne la productivité de la main-d’œuvre, des écarts significatifs apparaissent également. La sucrerie Maré se distingue par un rendement de 1,5 à 2 fois plus élevé. Pour chacune des plantations, les chiffres des effectifs serviles présentés ici portent sur la totalité des esclaves, et non sur les seuls esclaves travaillants, cette part n’étant pas connue à Maré. La productivité est quasi similaire aux Sources et à Bellevue. Pour Maré, Il n’y a pas de recensement servile ; il s’agit donc d’hypothèses à partir de deux indications ponctuelles : l’atelier compte environ 200 personnes en 1798 suivant les papiers du séquestre révolutionnaire. Avant cette date, la seule référence chiffrée est un achat contracté en 1785 de 186 esclaves. On ne sait pas dans quelle mesure ce renfort massif de main-d’œuvre vient conforter l’atelier déjà affecté à la plantation, les premiers documents dont on dispose pour cette plantation datant de 1785. S’offrent deux hypothèses, la première est qu’il double l’effectif, la seconde est que l’ancien groupe servile ait été encore plus réduit et que l’achat vienne pallier un manque important de travailleurs serviles en le multipliant par 2,5. De toute façon, un atelier, même restreint, était forcément déjà en place sur cette sucrerie en état de fonctionnement. Elle est en effet héritée de Jérôme Maré, capitaine de milices à l’Arcahaye. Dans les deux hypothèses, Maré se situe bien au-dessus des rendements de main-d’œuvre établis pour les Sources et Bellevue. Cependant les variations les plus notables portent davantage sur la terre que sur les esclaves.

  • 46 Debien Gabriel, « Histoire de deux plantations à Saint-Domingue, 1781-1829. Papiers Bongars-Broc » (...)

25Pour les deux productivités, on note des écarts importants, entre les faibles rendements des Sources et ceux, très élevés, de Maré. Toutefois, il apparaît que les chiffres des Sources ne sont pas extrêmement bas et témoignent malgré tout de rendements corrects. On a vu, avec la sucrerie Cottineau, le cas d’une très faible productivité de la terre, pour une sucrerie plus vaste que celles de notre corpus. Celle de la main-d’œuvre est y tout aussi faible : elle ne dépasse pas 1 000 à 1 200 livres poids par esclave voire moins en 1784, année où la population servile est maximale avec 173 esclaves. En prenant comme point de comparaison le nombre d’esclaves, la sucrerie sise à la Petite Anse près du Cap, appartenant au chevalier de Bongars46 et dont la population servile se rapproche de celle de Maré, admet des rendements là encore inférieurs : pour 103 carreaux cultivés et 300 esclaves, sa productivité avoisine 3 398 – 3 883 livres par carreau et 1 166 à 1 333 par esclave. On est donc devant de réelles disparités entre les plantations Cottineau et Bongars d’une part, et les habitations étudiées d’autre part, ce qui valorise d’autant les rendements de ces dernières, surtout pour celui de la main-d’œuvre, mais laisse voir, de fait, une pression extrêmement forte sur la population servile des Sources, et davantage encore sur celle de Maré.

26La question est en effet de savoir si les ateliers de ces habitations étaient ou non en sous-effectifs par rapport à la surface des plantations, sachant qu’un atelier numériquement important qui travaille sur moins de parcelles, peut de la même façon être surmené, la notion de surmenage étant par définition liée à celle de la productivité. Elle dépend par conséquent du volume sucrier, même si elle reste inhérente à l’importance de la surface plantée en cannes. Un atelier qui manque de bras produit moins et, dans ces conditions, la pression exercée sur la force humaine ne peut être que maximale. Le calcul du rapport entre la surface en cannes et la main-d’œuvre révèle un manque de bras plus important aux Sources (80/130) qu’à Maré (65/300-372), pour un volume poids produit faible. La productivité plus performante à Maré repose sur l’appel au travail humain, par une utilisation massive de la force servile. Ce qui est d’ailleurs confirmé par la comparaison avec la sucrerie Bellevue où, pour une superficie cultivée identique à celle de Maré, cette dernière produit beaucoup plus avec un peu plus d’esclaves. On a vu toutefois que le rendement de la main-d’œuvre ne s’éloigne guère d’une moyenne de 1 900 à 2 000 livres par esclave aux Sources et à Bellevue, tandis qu’il se situe à 3 000 – 3 500 pour Maré, ce qui paraît être un seuil limite de l’exploitation de la force humaine. Ces moyennes restent très élevées, largement supérieures à celles que retient G. Debien à partir de ses travaux sur les sucreries Cottineau et Bongars. Aux Sources et plus encore à Maré, les niveaux de productivité humaine et la pression sont maximaux. Autrement dit, les ateliers sont soumis à un travail intensif qui permet d’apporter beaucoup de soins à la terre. Il faut aussi regarder du côté de la proportion d’esclaves actifs pour connaître la part des esclaves de jardin, ceux qui sont spécifiquement mis à contribution pour la mise en valeur des terres. La comparaison avec l’atelier Maré est rendue difficile, puisque l’effectif de l’atelier total est incertain, et conséquemment la proportion d’actifs est inconnue. En revanche, l’étude est possible pour les sucreries Macnemara et des Varreux.

  • 47 Geggus David, « Les esclaves de la Plaine du Nord à la veille de la Révolution », in Revue de la S (...)

27Il y a trois ratios d’observation possibles pour appréhender la question d’un manque de main-d’œuvre selon l’importance de l’habitation : le premier considère la superficie totale de la plantation et l’effectif servile dans son entier. On note alors que le rapport est d’à peine un esclave pour deux carreaux aux Sources : 130 esclaves pour 300 carreaux. Il est un peu plus élevé aux Varreux avec 175 Noirs pour 267 carreaux. À Macnemara, dont les 120 carreaux sont exploités par 137 esclaves, la proportion est d’un homme par carreau. Ce dernier ratio reste conforme à celui de la majorité des sucreries de la plaine du Nord47. Celui de la plantation Bellevue, dont les 289 carreaux sont travaillés par un effectif total de 256 esclaves, est légèrement en-deçà, tandis qu’à Maré, en considérant les deux hypothèses quant à l’effectif servile total, la proportion excède deux travailleurs par carreau. Il a déjà été souligné que cette supériorité numérique du nombre d’esclaves par carreau permet un travail intensif des sols. Le rapport esclaves/superficie est un peu plus faible aux Sources qu’aux Varreux mais, sur cette dernière, le chiffre est faussé par l’importante superficie de la hatte adjacente, qui couvre à elle seule 53 % des 267 carreaux. Il faut donc regarder la surface réellement cultivée. C’est la deuxième méthode de calcul. Pour lors, la première observation montre des ratios faibles aux Sources et aux Varreux, témoignant d’un manque évident de main-d’œuvre par rapport à l’envergure des propriétés, tandis que Maré dispose d’une main-d’œuvre en surreprésentation au regard des ratios habituellement observés.

Tableau 10 : La disparité des forces de travail sur les plantations

Tableau 10 : La disparité des forces de travail sur les plantations
  • 48 Selon l’inventaire de 1757 seulement ; c’est le plus précis en terme d’affectation servile. Le nom (...)
  • 49 Cauna Jacques de, Au temps des isles à sucre..., op. cit., p. 115. Le chiffre reste approximatif.
  • 50 Il faut considérer la surface roulée. Elle est en général supérieure au nombre de carreaux plantés (...)

Note 4848
Note 4949
Note 5050

  • 51 La différence entre les deux premières méthodes porte sur la mise en culture de la terre et non su (...)
  • 52 David Geggus calcule les ratios à partir de superficies exprimées en hectares. Pour une même compa (...)

28La deuxième méthode, celle qu’utilise directement D. Geggus51, met en rapport le nombre total d’esclaves sur la superficie cultivée en cannes, puisqu’on sait qu’il faut généralement compter en cannes seulement le tiers de la superficie globale. Le quotient étant plus faible, les ratios sont naturellement plus élevés. Ils restent cependant proportionnels au premier cas observé, excepté pour la sucrerie Bellevue où la part des surfaces mises en cultures ne représente guère plus de 22 %. C’est donc un peu moins que sur les trois autres plantations, qui consacrent un petit tiers de la superficie totale à la canne. Les ratios des Sources et des Varreux sont inférieurs à ceux des sucreries de la plaine du Nord52, et montrent une sous-représentation de la force de travail assez importante. Le seuil du surmenage, au sens de manque de bras, pourrait être situé aux alentours de 2,0 – 2,2 puisque D. Geggus estime que le ratio observé pour la plantation Macnemara (2,4) est plutôt « favorable ». À Maré, la situation est tout à fait exceptionnelle, c’est-à-dire que l’on compte quatre à cinq esclaves par carreau de canne cultivé, soit un taux supérieur au ratio déjà important de Bellevue.

  • 53 Cauna Jacques de, Au temps des isles à sucre…, op. cit., p. 163. Le produit moyen est de 502 068 l (...)
  • 54 Ibidem, p. 105. Sur un laps de temps de 14 ans, l’habitation renouvelle de moitié sa population se (...)

29Enfin, il reste à considérer sur quelle part effective de l’atelier repose réellement le travail agricole, sachant que le nombre d’esclaves de jardin correspond en général à la moitié de la population servile. C’est le cas aux Sources et à Macnemara, mais la proportion est plus faible aux Varreux comme à Bellevue, les deux premières sucreries concentrant leur effectif vers le travail agricole, tandis que sur les deux dernières, la main-d’œuvre reste dispersée. Nous n’avons pas tenté une approximation de l’effectif actif à Maré, car cela reviendrait à formuler une nouvelle hypothèse à partir du chiffre déjà incertain de la population globale. C’est évidemment ce troisième niveau qui doit être considéré comme le plus représentatif pour l’étude du surmenage des ateliers, même si l’approche méthodique reste la moins fiable en raison de l’artificialité de la notion de population active pour la structure esclavagiste. Les ratios sont proportionnels aux chiffres des méthodes 1 et 2 et confirment la grande exploitation de travailleurs humains sur les plantations des Sources et des Varreux, qui comptent à peine un esclave de jardin par carreau de culture, ce qui paraît être le seuil reconnu pour le surmenage d’un atelier. La première sucrerie compte un nombre très réduit d’esclaves au jardin, malgré les fréquents renforts en période de récolte des cannes, et le nombre de 64 esclaves de jardin selon le recensement de 1757 reste un maximum, ce qui signifie que le ratio de 0,8 est susceptible d’être encore plus faible certaines années. La proportion d’un travailleur par carreau est dépassée à Macnemara. La plantation s’aligne sur la majorité des sucreries de la plaine du Nord, où le rapport est de 9 à 12 esclaves de jardin pour 10 hectares (soit 12 à 14 pour 10 carreaux). Quant à la comparaison avec la plantation Bellevue, elle reste difficile étant donné l’amplitude importante du chiffre des esclaves de jardin, mais le ratio reste correct, voire élevé. Il s’agit donc d’une sucrerie dont la superficie en cannes ne représente qu’un petit quart de la surface totale, tandis que le travail agricole repose sur un tiers environ de l’atelier. Les deux données restent inférieures aux « normes ». Et pourtant, cette exploitation assure un bon rendement sucrier53. J. de Cauna l’impute à la « force de l’atelier », celui-ci étant régulièrement conforté par des achats54. C’est une autre forme d’utilisation massive de la force servile, qui tient non au surmenage, mais à de fréquents investissements humains. L’apport massif de 186 esclaves à Maré paraît placer cette dernière dans la même situation d’un effectif élevé de travailleurs par carreau, et d’un fort approvisionnement en bras. Au contraire, les ateliers des Sources et des Varreux sont soumis à un surmenage sévère. D’où en corollaire l’explication du faible rendement de la main-d’œuvre observé précédemment.

  • 55 Foubert Bernard, Les habitations Laborde…, op. cit., p. 529-530. Sur la première plantation Labord (...)

30Il faudrait également, pour une parfaite justesse, pouvoir déterminer le nombre de jours de travail des esclaves de jardin réellement consacrés à la culture de la canne, à côté de celle des patates douces, du mil et des divers aménagements de parcelles en rotation. Cette précision n’est possible que pour la sucrerie des Sources, avec la lecture du journal des travaux sur la période de décembre 1788 à janvier 1789. Durant ces deux mois, la culture de la canne occupe en moyenne 22 esclaves de jardin par jour de travail effectivement consacré précisément à cette denrée. On ne connaît pas l’effectif total de l’atelier à cette période. En se basant sur le dernier chiffre connu, à savoir 151, établi à partir du recensement de 1773, la canne occupe 15 % de l’atelier, ce qui apparaît très peu. Cela témoigne, d’une part, d’une mauvaise organisation du travail par le gérant qui détourne de manière excessive les esclaves pour poursuivre les aménagements et les constructions engagées, alors que le début de l’année civile correspond selon le calendrier agricole à la récolte des cannes. Les efforts devraient alors justement être concentrés sur la denrée d’exploitation. D’autre part, il prouve qu’une grande partie de l’atelier est journellement indisponible. Le document mentionne en moyenne 20 esclaves retenus à l’hôpital et 30 détournés par les corvées royales. De la même façon, en retenant la moyenne de 64 esclaves agricoles aux Sources, la canne occuperait 34 % des « nègres de jardin », soit une proportion, là encore, extrêmement faible, comparée aux habitations Laborde où, en 1791, plus du tiers des ateliers et près des trois-quarts des esclaves de jardin étaient effectivement employés dans les champs de cannes55.

31Le véritable ratio pour l’approche du surmenage des ateliers est celui de la productivité. Le volume annuel produit n’est connu que pour deux habitations, les Sources et Maré. Or, pour cette dernière, le nombre de travailleurs est inconnu. La productivité par esclave a précédemment été établie en considérant l’ensemble des ateliers. Cette valeur reste proche de 2 000 livres pour les sucreries des Sources et Bellevue, tandis qu’elle dépasse 3 000 à Maré. De la même façon que l’approche précise de la rentabilité de la terre a considéré uniquement l’effectif des esclaves de jardin, celle de la productivité doit ajouter les ouvriers aux travailleurs agricoles, ce qui revient à exclure les esclaves domestiques, les enfants, les vieillards et les infirmes. Ces comptages restent suggestifs, puisque l’on a montré, notamment aux Sources et aux Varreux, la mise au travail d’une très grande proportion d’invalides.

Tableau 11 : La productivité humaine

Tableau 11 : La productivité humaine
  • 56 Ce chiffre est celui du recensement de 1757, qui mentionne 64 esclaves agricoles, 57 ouvriers, 2 d (...)
  • 57 Le seul chiffre indiqué par l’auteur est celui de 18 sucriers en 1777. Celui des autres ouvriers n (...)

Note 5656
Note 5757

32Les rendements présentés ici diffèrent des chiffres calculés à partir de l’effectif total des ateliers. On remarque en effet que l’écart se creuse entre les Sources et Bellevue, ce que montrait également l’étude de la rentabilité en fonction de la superficie. Cela s’explique par la très faible proportion d’inactifs au sein de l’atelier des Sources. En 1757, la population adulte de cette plantation atteint 134 personnes, dont 121 travailleurs agricoles et ouvriers, soit une proportion de 90 %, prouvant une mise au travail massive des infirmes et vieillards. En fait, la sucrerie cumule trois composantes contradictoires : une importante surface en cannes – ce qui pourrait certes être un atout si les forces humaines suivaient –, cependant l’importance numérique de la population travaillante cache une très forte proportion d’affaiblis et malgré cela, le ratio des esclaves de jardin sur la superficie en cannes demeure parmi les plus bas des quatre habitations observées. Dans ces conditions, la productivité de cette vaste plantation, avec une main-d’œuvre en sous-effectif, ne peut être que réduite. L’exemple de la sucrerie Maré prouve qu’un atelier où l’on compte une très forte proportion de travailleurs par carreau de canne n’est pas nécessairement moins soumis à une très forte pression, comme le montre le seuil du rendement humain qui avoisine 3 000 livres par esclave. C’est sur ce type de plantation que la productivité humaine est la plus élevée. Cette supériorité numérique de travailleurs permet un travail intensif de la terre qui alors produit plus, ce qui accroît ainsi son rendement. Les meilleurs productivités aux îles tiennent à la forte utilisation d’énergie humaine, bien plus qu’à une amélioration des techniques. Le fonctionnement de la sucrerie domingoise repose sur un approvisionnement massif en captifs et sur une exploitation maximale de la force de travail.

Maintenir l’effectif servile malgré l’écrasante mortalité

Une mortalité écrasante

33Les correspondances des gérants Berquin et Parison récriminent invariablement contre le manque de main-d’œuvre au sein de la sucrerie des Sources et la nécessité d’augmenter la part des dépenses pour cet investissement humain qui se monnaie de plus en plus cher dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Maintenir numériquement un atelier ou, au mieux, le renforcer s’inscrit dans un choix stratégique selon que le colon procède par achats fractionnés auprès des capitaines négriers ou par acquisitions auprès d’un colon pour un lot d’esclaves faits au pays. Dans le premier cas, le captif est physiquement et moralement affaibli par un voyage de traite parfois très long, et par la violence d’une déportation loin des terres d’Afrique. Dans la seconde situation, l’esclave change de lieu de vie et de maître avec des conditions de travail et d’esclavage qui peuvent se révéler très différentes. Dans les deux cas, les nouvelles recrues sont les premières victimes : leur mortalité est écrasante, supérieure à celle, déjà élevée, des nouveaux-nés et des enfants, qui représentent un cinquième des décès. La mortalité infantile s’avère considérable : seul 1 enfant sur 3 qui naît sur la plantation des Sources y atteint l’âge de 15 ans. Ce chiffre est forcément erroné, puisque ne sont répertoriés sur le recensement que les enfants ayant survécu aux premiers jours après leur naissance. Il est donc impossible de connaître la réelle proportion de mortalité infantile sur l’habitation.

  • 58 Mettas Jean, Répertoire des expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle, Paris, Société fran (...)
  • 59 Deveau Jean-Michel, La traite rochelaise, Paris, Karthala, 1990, p. 273. L’auteur avance la moyenn (...)
  • 60 Pluchon Pierre, préface du manuscrit de Alexandre-Stanislas de Wimpffen, Haïti au XVIIIe siècle ; (...)
  • 61 Debien Gabriel, « Plantation à la Guadeloupe : la caféière et la sucrerie Bologne au Baillif », Bu (...)

34Mais la situation est encore pire pour les Noirs d’Afrique qui constituent un tiers des mortalités survenues sur la plantation des Sources. Entre 1742 et 1790, 291 esclaves ont été achetés par les gérants de l’habitation, soit une moyenne de 6 par an. Les captifs de traite représentent presque les deux-tiers des acquisitions, à savoir 191 personnes. Entre 1765 et 1773, c’est-à-dire sur une période où le recensement détaillé du gérant permet de suivre à la fois les acquisitions et la démographie précise de l’atelier, la plantation achète 47 esclaves, dont 42 captifs. Sur ces derniers, 20 décèdent avant la fin de l’année 1773, soit un taux de mortalité de 47,6 % en l’espace de seulement huit années. Pourtant, l’approvisionnement servile de la plantation des Sources effectué par Parison concerne des cargaisons où le taux de mortalité reste assez faible58, ce qui témoigne de la prudence et de la connaissance des pratiques de traite de la part du gérant. Les transactions concernent des lots de cinq à dix Noirs59, pour des sommes allant de 10 000 à 20 000 livres coloniales que Philippe-François Galbaud rétribue en sucres le plus souvent. Le planteur fractionne ainsi les dépenses et limite aussi les pertes en cas d’épidémies sur une même cargaison. Par ailleurs, les décès sur l’habitation n’interviennent pas forcément pour des individus appartenant à une cargaison ayant connu une forte mortalité durant la traversée. Mortalité sur le navire négrier et sur la plantation ne sont pas systématiquement liées. Le seuil de huit années, qui marque le décès de la majorité de l’effectif servile acheté sur la plantation Galbaud, correspond aux données générales avancées par P. Pluchon. L’historien établit en effet le décès de plus d’un tiers des bossales dans les trois ans qui suivent leur transplantation et de plus de la moitié dans les huit ans60. La mortalité sur l’habitation domingoise reste donc extrêmement importante, même à la fin du XVIIIe siècle. Aux Sources, il meurt 70 esclaves entre 1767 et 1773, soit 11 à 12 personnes par an, sur un effectif global de 151 individus. Cette mortalité annuelle moyenne apparaît très importante, de l’ordre de deux fois plus que sur la sucrerie Mont-Robert étudiée par G. Debien. Il n’y a pas non plus d’accroissement naturel capable de pallier les décès. Cependant les mortalités infantile et enfantine y sont moins marquées61.

  • 62 ADLA : 146 J 13. Contrat et vente de « nègres » par M. Petitbois à M. de Manègre pour l’habitation (...)

35À Maré, les décès sont également nombreux, mais beaucoup plus irréguliers. Cela tient à une politique d’achat différente. Le gérant a opéré en 1785 un investissement massif d’esclaves déjà faits au pays, par l’acquisition de 186 esclaves auparavant attachés à la plantation Delorme à Jacmel dans la partie sud de l’île62. Pourtant, malgré une acclimatation ancienne dans l’île, ces nouvelles recrues au sein de l’atelier Maré en constituent les premières victimes.

  • 63 On ne connaît pas l’effectif total de l’atelier à cette date.

Tableau 12 : Évolution démographique de l’atelier Maré entre 1785 et 179063

Tableau 12 : Évolution démographique de l’atelier Maré entre 1785 et 179063

36La mortalité de ces esclaves reste extrêmement élevée : 24 décès sont comptabilisés à la fin du mois de décembre 1785. Sur les six années 1785-1790, les esclaves venus de Jacmel constituent 45,6 % des décès. C’est quasiment le même taux qu’aux Sources pour les captifs africains. Ces deux cas de figure, qui montrent une évolution sur six années dans l’un et l’autre cas, ne sont pas forcément généralisables. Reste qu’il apparaît ici que la politique d’achats ponctuels et fractionnés dans le temps, à raison de cinq ou six captifs africains achetés par an, n’est guère plus prudente en termes de démographie qu’un achat massif d’un lot d’esclaves. Par contre, les mortalités infantile et juvénile sur la sucrerie Maré demeurent exceptionnellement faibles : sur 79 décès, on ne compte que onze enfants dont quatre nourrissons, ce qui montre une bonne prise en charge sanitaire.

  • 64 Debien Gabriel, La sucrerie Galbaud du Fort…, op. cit., p. 56.
  • 65 Frémond de la Merveillère Olivier, « L’habitation sucrière d’une famille nantaise à Saint-Domingue (...)

37L’exemple du transfert particulièrement mortifère des esclaves de la plantation Delorme entre Jacmel et l’Arcahaye pose la question de l’éloignement géographique entre les deux habitations concernées comme principal responsable de l’échec d’une telle entreprise. Le cas des esclaves de l’indigoterie Sigonneau, voisine de l’habitation des Sources, prouve qu’il n’en est rien. En 1755, la plantation Sigonneau est mise en vente. Berquin profite de l’occasion pour acquérir 63 Noirs64. Le prix de la transaction, 150 000 livres, reste un peu élevé pour cette date, portant à 2 250 livres la valeur d’un esclave. Mais l’affaire paraît bonne : ce sont des esclaves faits au pays et 46 d’entre eux ont moins de 30 ans. Or, elle ne l’est pas. La mortalité sur ce groupe est telle qu’entre le recensement de 1754 et celui de 1757, l’accroissement, natalité et mortalité de l’atelier total incluses, n’est que de 18 individus, passant seulement de 149 à 167 esclaves. Ce renfort de 63 Noirs, sitôt fait, est déjà insuffisant. Par la suite, cette politique d’achats massifs et hâtifs est abandonnée. Par contre, le budget est grevé sur de longues années par ce lourd investissement : en 1761, alors que le renfort humain a déjà été réduit de plus des deux-tiers, l’habitation est encore débitrice de 44 608 livres envers Sigonneau65. À partir de 1765, les achats d’esclaves sont fractionnés et la concurrence pour l’acquisition de créoles oblige de toute façon le gérant à recourir à la traite.

  • 66 Cauna Jacques de, Au temps des isles à sucre…, op. cit., p. 98. Il semble que même ce chiffre sous (...)

38Quant à l’âge moyen lors du décès, calculé sur la base de 69 personnes décédées aux Sources entre 1767 et 1773, il ne dépasse pas 29 ans, sachant qu’à 50 ans, on peut souvent considérer l’esclave comme invalide. Calcul refait, en excluant les enfants de moins de 10 ans, l’âge moyen au décès pour les hommes est de 33,5 ans et de 36,6 pour les femmes. Pour comparaison, rappelons que l’espérance de vie à la naissance était précisément de 30 ans en France en 1800, et qu’elle n’excédait encore pas 48 ans en 1975 en Haïti. Si le chiffre de 29 ans, pris sur l’ensemble de la population, est proche de celui de métropole, la réalité est pourtant bien différente car la faible fécondité au sein de la population servile réduit le nombre d’enfants et donc l’impact des mortalités infantile et juvénile. Par conséquent, le poids de la mortalité sur l’ensemble de la population servile s’exerce de façon encore plus nette sur les adultes, ce qui aboutit à des vies très écourtées. Il faut en outre ajouter le problème de l’état-civil servile qui fait défaut sur la plupart des plantations, sachant que pour les colons et les affranchis, la non-déclaration des décès d’enfants est déjà considérable, de l’ordre de 50 %66. Les taux de mortalité servile présentés ici sont donc largement en-deçà de la réalité coloniale.

L’échec d’une politique nataliste

  • 67 Debien Gabriel et Guyvarc’h Didier, « Instructions des colons des Antilles à leurs gérants (1687-a (...)
  • 68 L’indice de fécondité est le rapport de l’effectif d’enfants de 0 à 4 ans au nombre de milliers de (...)
  • 69 Geggus David, « Les esclaves de la Plaine du Nord… », art. cit., no 144, septembre 1984, p. 17. L’ (...)
  • 70 Ibidem, p. 22. Il en est toutefois encore de plus bas : celui de la sucrerie Pons au Bas-Limbé dan (...)

39La volonté d’accroître la natalité sur les habitations répond à celle de réduire les achats de captifs africains, jugés plus onéreux. À l’opposé, d’autres colons arguent qu’élever un créole est plus coûteux qu’un investissement ponctuel. En fait, il semble que certains n’aient pas d’abord envisagé l’argument financier, mais celui de la créolité. La population née sur l’habitation n’a plus besoin d’être acclimatée par de longs mois de surveillance sanitaire. C’est le raisonnement de Foäche, pour qui les efforts natalistes n’ont de toute façon pas forcément pour but de pallier les achats d’Africains67. La politique nataliste est très présente dans les correspondances des habitations Galbaud et Le Chauff, mais le seul cas de recensement servile mentionnant des femmes enceintes est celui de la sucrerie Macnemara. Pour les quatre plantations, la proportion des femmes jeunes en âge de procréer n’est pas très forte, mais ceci ne suffit pas à expliquer la fécondité extrêmement basse des ateliers des Sources, des Varreux et de Macnemara, face à l’atelier Delorme tel qu’il est acheté en 1785 par Manègre. L’indice de fécondité exceptionnellement élevé (562) n’est donc pas représentatif de la démographie à Maré68, pour laquelle il n’y a pas d’indications, mais il montre la situation démographique d’un atelier à Jacmel, dans la partie sud. Ce chiffre est même supérieur aux maxima relevés pour les sucreries de la plaine du Nord69. C’est par conséquent une population où les naissances sont fréquentes et régulières, et donc un groupe servile particulièrement jeune et créolisé qui arrive sur la sucrerie Maré en 1785. À l’inverse pourtant, à Macnemara où les créoles constituent 89 % des femmes fécondes, l’indice de fécondité dépasse à peine 200, mais c’est aux Sources que les chiffres présentent la situation la plus critique70, malgré un accroissement, par l’achat de jeunes captives, du nombre de femmes en âge de procréer. Il y a pourtant des naissances, mais la très forte mortalité infantile, telle que le recensement de 1773 permet de l’observer, inscrit l’atelier des Sources dans une incapacité chronique à se renouveler.

Tableau 13 : La très faible fécondité des femmes esclaves sur les habitations Macnemara, des Varreux et des Sources face à l’atelier Delorme acquis par Manègre

Tableau 13 : La très faible fécondité des femmes esclaves sur les habitations Macnemara, des Varreux et des Sources face à l’atelier Delorme acquis par Manègre

40Pour les deux plantations des Sources et Maré pour lesquelles on dispose du nombre des naissances sur plusieurs années, l’étude de la natalité confirme les mêmes disproportions mises en évidence par l’indice de fécondité. À Maré, entre 1785 et 1790, on comptabilise 57 naissances, soit une moyenne de 9,5 par an. Plus d’un tiers (22) des nourrissons sont issus de mères transférées de Jacmel. Trois des accouchées donnent deux fois naissance en six années : Pélagie, Sainte et Avoye, la première étant âgée de 23 ans en 1785 et les deux autres de 15. Une quatrième accouche trois fois : en 1785, deux mois après être arrivée à Maré, Gautiche donne naissance, à 24 ans, à Pascal. Elle a ensuite deux autres fils : Alexandre en 1788 et Robert en 1790.

  • 71 Geggus David, « Les esclaves de la Plaine du Nord… », art. cit., p. 33 et annexes et Cauna Jacques (...)

41Aux Sources, la natalité est quatre fois plus faible. Entre 1767 à 1773, il n’y a que seize naissances, 10 garçons et 6 filles, soit une moyenne de 2,3 enfants par an et un taux de natalité très faible de 10,5‰, soit un taux annuel de 1,5 %. C’est inférieur à ceux de bon nombre de sucreries de la plaine du Nord, qui avoisinent 2 %. Celui de la sucrerie Bellevue est également plus élevé, 24‰ et évolue même à 25‰ à partir de 178171. La plantation des Sources se situe donc largement en-deçà des taux établis par J. de Cauna et D. Geggus pour des sucreries observées à la même époque. Malgré un renfort du groupe des jeunes femmes, la sucrerie étudiée conserve des taux de fécondité et de natalité extrêmement bas, ce qui témoigne de conditions de servilité particulièrement dures et d’une pression excessive sur les travailleuses. Ils expriment aussi le refus d’enfanter sur la plantation et d’offrir de nouveaux bras au maître. Pour ordre de grandeur, si l’on rapproche ce nombre de 16 naissances comptabilisées en six années, au nombre de familles dénombrées sur la plantation en 1741, à savoir 16 également, on s’aperçoit qu’une famille a un enfant tous les six ans en moyenne, ce qui reste exceptionnellement faible. L’échantillon chronologique restreint met toutefois en relief une natalité à tendance décroissante sur l’habitation : cinq naissances en 1767, deux en 1768, trois en 1769, deux en 1770, une en 1771, trois en 1772 et aucune la dernière année du recensement. Sur ces 16 nourrissons, 11 seulement ont survécu à la fin de l’année 1773. La natalité est faible aux Sources et les mortalités infantile et juvénile nettement plus élevées, d’où un évident déficit naturel. Quant aux accouchements, on compte un seul enfant par femme dans la majorité des cas. L’étude des lignées familiales permet d’établir que 31 femmes ont donné naissance à 60 bébés entre 1725 et 1772. La moitié de ces femmes n’a eu qu’un seul enfant, cinq femmes ont accouché quatre fois. Toutefois, il est clair que ce chiffre de 60 naissances est inférieur à la totalité des naissances ayant eu lieu sur l’habitation des Sources pour cette période ; ont pu être mis en évidence ici seulement les accouchements dont le nom de la mère est connu et celle-ci encore en vie en 1773.

Tableau 14 : Nombre de naissances par femme

16 femmes ont eu un seul enfant

6 femmes ont eu 2 enfants

dont Pauline, achetée en 1765

4 femmes ont eu 3 enfants

dont Ménalide, achetée en 1765

4 femmes ont eu 4 enfants

1 femme est grand-mère

Vieille Marthe a 55 ans lors de la naissance de sa petite-fille

  • 72 On dénombre 57 accouchements pour lesquels on connaît l’âge de la mère, non compris Vieille Marthe (...)

Tableau 15 : Âge moyen des femmes lors de l’accouchement72

Moins de 15 ans

1

Entre 15 et 19 ans

5

Entre 20 et 24 ans

22

Entre 25 et 29 ans

16

Entre 30 et 34 ans

9

35 ans et plus

4

42Les accouchées sont jeunes, en moyenne aux alentours de 25 ans, les deux-tiers ont entre 20 et 30 ans, la plus jeune a 14 ans et la plus âgée 36. La précocité et le libertinage des esclaves seraient donc assez peu fondés. La fréquence des naissances s’avère dans l’ensemble assez espacée, souvent tous les trois ou quatre ans, voire dix années, par fatigue physiologique et plus vraisemblablement par refus d’enfanter dans la servilité. Toutefois, le cas de Ménalide n’est pas non plus complètement isolé : achetée en 1765, elle donne naissance l’année d’après à Jacques, puis en 1769 à Maurice et enfin en 1772 à Marie-Louise. Les trois sont encore en vie en 1773. Le recensement des esclaves à Macnemara ne permet pas de suivre ainsi plusieurs générations, car l’ascendance est seulement précisée pour les « négrillons » et elle fait défaut pour les « négrittes ». Parmi les mères citées, seules deux ont plus d’un enfant de sexe masculin (l’imprécision demeurant pour les filles) : Gothe, créole de 34 ans a donné naissance à Saint-Malo en 1773 et à Blaise en 1776, tandis que la créole Suzette, âgée de 50 ans, jouit de la « liberté de savane » pour avoir eu six enfants. Elle est toutefois encore estimée financièrement sur l’inventaire de 1786, à hauteur de 2 500 livres coloniales.

  • 73 La dernière ligne du recensement indique le chiffre total de 124 esclaves, mais il n’est répertori (...)
  • 74 Debien Gabriel, La sucrerie Galbaud du Fort…, op. cit., p. 89.

43Pouvoir suivre l’évolution d’un atelier servile est une opportunité rare et donc extrêmement précieuse. C’est en fait la seule possibilité de repérer les différentes générations qui se succèdent sur une habitation, en l’occurrence la plantation des Sources, où les prénoms inscrits sur l’inventaire après décès de Jean Duquesnot, grand-père maternel de l’épouse Galbaud, en 1 710 peuvent être confrontés avec ceux de l’acte de partage de 1741 et encore avec les quatre recensements de l’époque de Philippe-François Galbaud du Fort. Le recensement de 1741 diffère des autres, puisqu’il s’agit d’un recensement par famille et non d’une liste nominative comme habituellement. On compte à cette date 116 esclaves, dont 70 personnes regroupées en 16 familles, c’est-à-dire plus de la moitié (56 %) de la population servile73. Sur les 16, 9 ont un chef de famille inscrit sur l’acte de 1 710. Onze autres anciens (non chefs de famille) ont également été repérés74, soit au total 20 personnes (17 % des 116). En prenant maintenant en considération non seulement les 20 anciens, mais aussi leur descendance directe (les 9 chefs de familles regroupent 34 personnes), il apparaît que 39 % de l’effectif de 1741 est directement issu de celui de 1 710. Ce qui prouve qu’à la date de 1741, la moitié des esclaves de l’atelier des Sources est structurée en familles, certes souvent réduites à un seul parent. Cependant cette structuration familiale n’a pas permis d’assurer la continuité des effectifs.

44Plusieurs lignées familiales ont toutefois pu être suivies sur trois générations. Le cas de « Vieille Marthe » apparaît assez emblématique. Née en 1 701 – date à laquelle Jean Duquesnot achète la plantation à Du Casse ; on ne sait si l’esclave fait alors partie de la vente ou si son achat y est postérieur –, elle est inscrite parmi les « négrittes » sur l’inventaire de 1 710. En 1729, elle accouche d’un fils baptisé Jean Cottard. « Vieille Marthe » donne ensuite naissance en 1735 à Vénus, décédée en 1768, puis à une seconde fille, Jeanne Marthe en 1737, laquelle eut elle-même une fille, Marie-Jeanne, née en 1756. En 1773, « Vieille Marthe » vit toujours sur l’habitation ; elle a 72 ans. Il y a aussi Catin Arada, née en 1730, dont les quatre enfants naissent aux Sources : André en 1750, puis Louis et Marthe, tous deux vraisemblablement en 1754 et Louis dit Lolossou en 1757. À 17 ans, Marthe donne elle aussi naissance à un fils sur la sucrerie : Ambroise. Quant au plus long asservissement familial que l’on puisse dater sur la plantation des Sources, il s’agit de Marothe qui serait née vers 1682. Son fils Ambroise, né en 1702, devient tonnelier puis commandeur en 1757, aux côtés d’Alexandre qui occupe le poste depuis 1741. À cette date, ce dernier est inscrit avec sa femme Ayouba, attaquée de « mal caduc », c’est-à-dire d’épilepsie. Alexandre et Ayouba seraient quant à eux nés aux alentours de 1700-1710 selon les actes. On lit leurs prénoms sur les quatre recensements de 1741, 1749, 1754, 1757 et enfin de 1773 pour Ayouba seulement.

  • 75 Yacou Alain, « Essor et déclin du système esclavagiste… », art. cit., p. 194.
  • 76 Foubert Bernard, Les habitations Laborde…, op. cit., p. 507.

45La présente étude a mis en évidence différents niveaux de productivité de la terre et de la main-d’œuvre servile. Les mesures de la productivité humaine présentent des écarts moindres entre les quatre plantations, ce qui prouve une exploitation humaine maximale. Au contraire, les grandes disparités observées dans la productivité de la terre suggèrent que la rentabilité du sol repose sans doute bien moins sur une innovation technique agricole que sur une utilisation massive de travailleurs à l’hectare. On peut donc dégager deux types de gestion : l’une, plus capitaliste, impose d’investir en esclaves pour obtenir un rendement à l’hectare plus élevé, tandis que dans le cas d’une gestion traditionnelle, plus rentière, le seul moyen de s’enrichir est alors d’augmenter la surface cultivée. Concernant les productivités de la main-d’œuvre servile, les chiffres calculés pour les plantations des Sources, des Varreux, Macnemara et Maré majorent considérablement les moyennes établies par D. Geggus et J. de Cauna. Les deux auteurs ont appuyé leurs démonstrations du taux de surmenage sur le rapport du nombre d’esclaves/superficie, alors que les données relatives au volume produit indiquent que si les deux notions peuvent être liées, elles ne sont pas inversement proportionnelles. Un atelier où le nombre d’esclaves par carreau est élevé, comme à Maré, n’est pas nécessairement celui où la pression sur les travailleurs est minimale, bien au contraire, ce qui est rendu patent par la très forte mortalité des esclaves. En revanche, un ratio important permet une productivité de la terre bien supérieure. En ce sens, la performance de l’économie de plantation repose bien en grande partie sur un appel massif aux travailleurs serviles75. La hausse de la production sucrière pose la question du renouvellement des esclaves de façon plus accrue encore dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, mais cette forme de peuplement dictée par des considérations mercantiles reste de toute façon incompatible avec la recherche d’un équilibre entre les naissances et les décès76.

Notes

1 Archives Départementales de la Vienne : série J, dépôt 65/60. Inventaire de la plantation Macnemara, 12 juin 1786.

2 Centre des Archives d’Outre-Mer (CAOM) : 5 supsdom 4. État des habitations séquestrées, 15 prairial de l’an VI (3 juin 1798).

3 CAOM : 5 supplément de Saint-Domingue 1. Tableau des habitations séquestrées au quartier Morin, dépendance du Cap, 23 brumaire an III (13 novembre 1794) avec un état des habitations établies en sucre affermées pour le compte de la République, Petite Anse, 1er prairial de l’an VI (20 mai 1798).

4 Foubert Bernard, Les habitations Laborde à Saint-Domingue dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Contribution à l’histoire d’Haïti, plaine des Cayes, thèse d’État soutenue sous la direction d’Yves Durand, Paris IV-Sorbonne, 1990, p. 70.

5 Archives Nationales : minutier central, XCVI, 460. Selon le contrat de mariage de Jacques-Marie Pays de Lathan et Françoise Louise Modeste Ferron, 19 juin 1771.

6 Archives privées du château de Lathan (Maine-et-Loire) : acte d’achat d’esclaves, 29 mars 1782.

7 Les données retranscrites sont celles des recensements établis par le gérant. Pour deux années surtout, 1749 et 1754, ces chiffres sont supérieurs à ceux de Gabriel Debien, qui a parfois pu compléter ces indications brutes par la correspondance privée, et notamment celle émanant des propriétaires, plus précise quant à la chronologie des décès survenus pendant l’année, et à laquelle nous n’avons pas eu accès. Pour l’année 1746, le chiffre est celui que fournit l’historien. Debien Gabriel, Une plantation à Saint-Domingue : la sucrerie Galbaud du Fort (1690-1802), Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 1941, p. 92.

8 Foubert Bernard, op. cit., p. 506.

9 Cauna Jacques de, Au temps des isles à sucre : histoire d’une plantation de Saint-Domingue au XVIIIe siècle, Paris, Karthala, 1987, p. 97.

10 Foubert Bernard, op. cit., p. 518-519.

11 Le chiffre de 147 inclut les neuf enfants de 10 à 14 ans affectés à un poste de travail. En l’excluant, la population adulte à cette date est donc de 138.

12 « Négrittes » est le terme local pour « négrilles ». C’est celui qu’utilisent les gérants et que l’on retrouve sur tous les actes notariés, domingois et métropolitains.

13 Archives Départementales de Loire-Atlantique (ADLA) : 175 J 13, Correspondance du gérant Barré aux Abricots à Parison, 9 septembre 1770.

14 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 30 novembre 1775. Jean Parison a commencé à travailler sur l’habitation des Sources en 1751 comme raffineur. En 1767, lorsque Galbaud quitte la colonie, ce dernier lui confie la gérance de son bien, poste que Parison conserve jusqu’en 1788. Il rentre alors à Nantes où il décède deux ans plus tard.

15 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 1er avril 1783.

16 Article 27 du Code noir.

17 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 8 février 1775.

18 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 29 mars 1773.

19 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 25 décembre 1775.

20 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 17 avril 1769.

21 Debien Gabriel, « La société coloniale aux XVIIe et XVIIIe siècles ; Destinées d’esclaves à la Martinique (1746-1778) », Notes d’histoire coloniale no 57, in Bulletin de l’institut français d’Afrique Noire, Dakar, t. 22, no 1-2, 1960, p. 21.

22 Guyvarc’h Didier, Instructions des colons à leurs gérants aux Antilles (1687-An III), maîtrise soutenue sous la direction de Gabriel Debien, Université de Nantes, p. 38.

23 Les six « nègres nouveaux » ont été classés parmi les esclaves de jardin, car c’est toujours le premier poste pour les captifs. Les trois commandeurs, poste d’expérience qui marque une « qualification », ont été comptabilisés avec les ouvriers. Le reste des enfants, au nombre de 28, et tous âgés de moins de 10 ans participe aux travaux du jardin, sans affectation précise, ce qui n’est pas le cas des 9 qui ont été comptabilisés dans le tableau.

24 Brisseau Solène, La vie des Bretons à Saint-Domingue dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, maîtrise d’histoire soutenue sous la direction de Serge Bianchi, Université de Rennes, 2003, p. 138. Pour comparaison, sur les trois habitations de la famille bretonne Rivière, les pourcentages d’esclaves au jardin sont de 64 % pour celle de François Rivière, de 45 % pour celle de sa mère, et de 52 % pour celle de Jean Rivière.

25 Dont le commandeur.

26 Nous avons classé les gardiens parmi les ouvriers, comme le fait Gabriel Debien, quoique ceux-ci puissent aisément se situer à la frontière avec le monde agricole.

27 Debien Gabriel, « La société coloniale aux XVIIe et XVIIIe siècles ; Destinées d’esclaves… », art. cit., p. 32.

28 Ibidem, p. 35.

29 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 11 avril 1786.

30 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 20 mai 1776.

31 Debien Gabriel, « La société coloniale aux XVIIe et XVIIIe siècles ; Destinées d’esclaves… », art. cit., p. 31.

32 Debien Gabriel, La plantation Galbaud du Fort…, op. cit., p. 105.

33 ADLA : 175 J 17. Comptes de régie de l’habitation des Sources, années 1745, 1753 et 1777.

34 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 13 août 1772.

35 Le Code noir oblige le colon à fournir à chaque esclave un vêtement neuf chaque année.

36 ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 4 juin 1769.

37 C’est la surface roulée qui importe et non la surface plantée, car on ne replante pas en nouvelles cannes tous les ans. Par contre, toute la surface cultivée en cannes est roulée, c’est-à-dire récoltée pour que les cannes soient mises au moulin et broyées lors de la roulaison.

38 Onze comptes de régie ont été retrouvés pour la sucrerie des Sources, mais ceux de 1742 et 1743 n’indiquent pas le volume poids des sucres produits.

39 Cauna Jacques de, Au temps des isles à sucre…, op. cit., p. 259. Cette équivalence est celle que présente l’auteur dans la transcription du tableau de l’état des produits de l’habitation Bellevue établi par le colon Fleuriau pour les années 1777 à 1790. Cependant, il ne précise pas si la colonne d’équivalence figure bien sur le document d’origine. C’est également la concordance indiquée par Girod Françoise, La vie quotidienne de la société créole : Saint-Domingue au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1971, p. 46. Gabriel Debien mentionne quant à lui une concordance plus élevée, de l’ordre de 2 250 livres de bruts pour 1 000 de blancs pour les années 1757 à 1762. Cf. Debien Gabriel, Une plantation à Saint-Domingue : la sucrerie Galbaud du Fort…, op. cit., p. 49. La différence entre les deux équivalences tient en partie à la chronologie, le sucre des années 1760 étant plus grossier et donc plus lourd puisque l’avancée dans le siècle voit le perfectionnement des moyens de fabrication et de cristallisation du sucre. Mais cet écart – surtout si la concordance pour Bellevue émane du colon et non de Jacques de Cauna – est aussi le signe d’une qualité de sucre bien différente. Comme les données fournies pour l’habitation Bellevue correspondent chronologiquement à celles de Maré, l’équivalence de 1 000 livres de terrés pour 1 500 de bruts a été retenu.

40 Pour les trois sucreries, les chiffres présentés pour les surfaces roulées, le nombre d’esclaves et le volume poids produit sont des moyennes, établies à partir des comptes de régie concernant les années 1744-1777 pour la plantation des Sources, 1785-1790 pour Maré et 1777 à 1790 pour Bellevue.

41 Debien Gabriel, « Plantations et esclaves à Saint-Domingue : la sucrerie Cottineau », Notes d’histoire coloniale, no 66, Dakar, 1962, p. 19.

42 Foubert Bernard, Les habitations Laborde…, op. cit., p. 277 et 650-651. Pour la première des trois, qui regroupe 450 esclaves et produit moins de 300 milliers, l’auteur conclut que la productivité est trois fois plus faible que sur une sucrerie ordinaire.

43 Cauna Jacques de, Au temps des isles à sucre…, op. cit., p. 258.

44 Girod Françoise, La vie quotidienne…, op. cit., p. 46.

45 Moreau de Saint-Méry Médéric-Louis-Élie, Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l’isle Saint-Domingue, Nouvelle édition entièrement revue et complétée par B. Maurel et E. Taillemite, Société de l’histoire des colonies françaises, Larose, 1958, 3 tomes, p. 923.

46 Debien Gabriel, « Histoire de deux plantations à Saint-Domingue, 1781-1829. Papiers Bongars-Broc », Notes d’histoire coloniale, no 114, in Revue de la province du Maine, 1968, p. 305-320. Il est intendant de Saint-Domingue à deux reprises : entre 1766 et 1771 et 1782-1785.

47 Geggus David, « Les esclaves de la Plaine du Nord à la veille de la Révolution », in Revue de la Société Haïtienne d’Histoire et de Géographie, p. 15, 21 et 24. La sucrerie du Pons au Limbé compte 133 carreaux pour 129 esclaves ; celle de Baudin au Quartier Morin, 190 carreaux pour 238 esclaves et celle de Gallifet à la Petite Anse 740 carreaux pour un atelier de 808 Noirs. Les ratios ne sont pas explicités par l’auteur, mais en reprenant les données citées on obtient respectivement les chiffres de 1 ; 1,3 et 1,1.

48 Selon l’inventaire de 1757 seulement ; c’est le plus précis en terme d’affectation servile. Le nombre d’esclaves de jardin correspond à la moitié de l’effectif servile total et aux deux-tiers environ de la population active qui se chiffre aux Sources respectivement à 62, 102 et 123 esclaves adultes travaillants selon les recensements de 1749, 1754 et 1757, ce qui donne une moyenne de 95 esclaves. Cette moyenne est confirmée par Parison dans une de ses lettres en 1789 (ADLA : 175 J 12. Correspondance de Parison, 7 février 1789). Ces chiffres sont revus à la baisse selon l’état de travaux entre le 1er décembre 1788 et le 1er février 1789. Berquin y indique 88 esclaves actifs, dont 55 à 60 esclaves de jardin en incluant les « nègres détournés », c’est-à-dire les esclaves ouvriers que l’on affecte aux champs en cas de besoin lors des sarclages et plantations. Autrement dit, le chiffre de 64 doit être considéré.

49 Cauna Jacques de, Au temps des isles à sucre..., op. cit., p. 115. Le chiffre reste approximatif.

50 Il faut considérer la surface roulée. Elle est en général supérieure au nombre de carreaux plantés, parce qu’on ne replante pas tous les ans. Toutefois, à Bellevue, pour l’année 1786, Jacques de Cauna note une superficie de 90 carreaux plantés et 57,75 carreaux roulés, signe que les jeunes cannes nouvellement plantées ne sont pas encore arrivées à maturité (Idem, p. 115 et 258).

51 La différence entre les deux premières méthodes porte sur la mise en culture de la terre et non sur l’utilisation massive d’esclaves. Elle n’est significative que pour Bellevue, pour laquelle elle montre une sous-exploitation de la surface.

52 David Geggus calcule les ratios à partir de superficies exprimées en hectares. Pour une même comparaison, nous avons ramené les valeurs des sucreries des Sources, des Varreux, de Macnemara, de Maré et de Bellevue à cette unité. Les ratios ainsi calculés sont respectivement de 1,4 ; 1,9 ; 2,2 ; 4,1 – 5,1 et 3,5 pour la plantation du Rochelais, tandis que celui de la sucrerie Pons au Limbé avoisine 2 et celui des trois unités de la sucrerie Gallifet varie de 1,5 à 2,8.

53 Cauna Jacques de, Au temps des isles à sucre…, op. cit., p. 163. Le produit moyen est de 502 068 livres de sucre brut entre les années 1777 et 1789, ce qui correspond généralement à des sucreries consacrant 150 carreaux à la culture de la canne. Or l’habitation de Bellevue n’en compte que 60 à 80. Les chiffres montrent pourtant un atelier peu surmené.

54 Ibidem, p. 105. Sur un laps de temps de 14 ans, l’habitation renouvelle de moitié sa population servile : elle a acheté 133 Noirs pour une population moyenne de 253 esclaves.

55 Foubert Bernard, Les habitations Laborde…, op. cit., p. 529-530. Sur la première plantation Laborde, la canne occupe 18 % de l’atelier total et 46 % des esclaves agricoles, chiffres qui passent respectivement à 36 et 78 % sur la seconde habitation et enfin à 34 et 70 % sur la troisième.

56 Ce chiffre est celui du recensement de 1757, qui mentionne 64 esclaves agricoles, 57 ouvriers, 2 domestiques et 11 inaptes

57 Le seul chiffre indiqué par l’auteur est celui de 18 sucriers en 1777. Celui des autres ouvriers n’est pas connu. L’effectif ouvrier total peut approcher une trentaine d’individus, celui des esclaves agricoles variant entre 80 et 137 personnes.

58 Mettas Jean, Répertoire des expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle, Paris, Société française d’histoire d’Outre-mer, édité par S. Daget, 1978, 2 tomes. La mortalité des cargaisons d’où proviennent les esclaves des Sources varie entre 0,2 et 21 %, excepté celle du navire Le Saint-Hilaire qui se chiffre à 36,7 %. Les données relatives au lieu de traite, à la durée de la traversée Afrique-Amérique et à la mortalité sont données par l’auteur.

59 Deveau Jean-Michel, La traite rochelaise, Paris, Karthala, 1990, p. 273. L’auteur avance la moyenne d’achat de cinq captifs par colon.

60 Pluchon Pierre, préface du manuscrit de Alexandre-Stanislas de Wimpffen, Haïti au XVIIIe siècle ; richesse et esclavage dans une colonie française, Paris, Karthala, 1993, p. 28. Pour les plantations cubaines du début du XIXe siècle, Alain Yacou n’indique pas la durée de vie, mais le temps où l’esclave va être « utile » à la sucrerie : temps qui ne dépassait pas cinq années. Cf. Yacou Alain « Essor et déclin du système esclavagiste des habitations sucrières à Cuba et en Guadeloupe », in Actes du colloque Commerce et plantation dans la Caraïbe, XVIIIe et XIXe siècles, Bordeaux, mars 1991, Bordeaux, 1992, Centre d’histoire des espaces atlantiques, 1992, Collection de la Maison des Pays ibériques, p. 205.

61 Debien Gabriel, « Plantation à la Guadeloupe : la caféière et la sucrerie Bologne au Baillif », Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, no 3-4, 1965, p. 9.

62 ADLA : 146 J 13. Contrat et vente de « nègres » par M. Petitbois à M. de Manègre pour l’habitation Maré, 12 février 1785. Les esclaves sont achetés par le gérant Manègre de la Feuillade, au nom des héritiers Maré, à Merceron Petitbois représentant le négociant nantais Lieutaud-de-Trois-Villes. Les 186 esclaves étaient auparavant attachés à l’habitation des Côtes-de-fer, appartenant à la veuve Delorme, décédée à Jacmel et dont la famille Lieutaud-de-Trois-Villes est héritière. Le prix de vente des 186 esclaves se monte à la somme de 372 000 livres coloniales, sans intérêt si les échéances sont respectées, ce qui équivaut en moyenne à 2 000 livres par tête.

63 On ne connaît pas l’effectif total de l’atelier à cette date.

64 Debien Gabriel, La sucrerie Galbaud du Fort…, op. cit., p. 56.

65 Frémond de la Merveillère Olivier, « L’habitation sucrière d’une famille nantaise à Saint-Domingue (1742-1762) » (sucrerie Galbaud), in Bulletin de la Société Archéologique de Nantes, t. 74, 1934, p. 156.

66 Cauna Jacques de, Au temps des isles à sucre…, op. cit., p. 98. Il semble que même ce chiffre sousévalue la réalité car la proportion, étudiée pour les enfants des familles blanches et des affranchis, à partir des registres de trois paroisses de Saint-Domingue, est considérable : près de deux décès d’enfant sur trois auraient été omis. Cf. Houdaille Jacques, « Reconstitution des familles de Saint-Domingue (Haïti) au XVIIIe siècle », in Population, 46e année, janvier-février 1991, no 1, p. 36. Comparaison faite avec les campagnes de l’Ouest français, au début du XVIIIe siècle, 50 % des décès d’enfants en bas âge ne sont pas déclarés pour 31 % à la fin du siècle. Cf. Dupâquier Jacques (dir.), Histoire de la population française, t. 2 : de la renaissance à 1789, Paris, Presses Universitaires de France, 1988, p. 223.

67 Debien Gabriel et Guyvarc’h Didier, « Instructions des colons des Antilles à leurs gérants (1687-an III) », Notes d’histoire coloniale no 155, in Annuaire des Etudes américaines, 1972, 2e édition, p. 545.

68 L’indice de fécondité est le rapport de l’effectif d’enfants de 0 à 4 ans au nombre de milliers de femmes de 15 à 44 ans.

69 Geggus David, « Les esclaves de la Plaine du Nord… », art. cit., no 144, septembre 1984, p. 17. L’indice de la sucrerie Baudin, voisine de la plantation Macnemara au quartier Morin, est de 521. C’est le plus élevé que David Geggus établit à partir de son échantillon d’ateliers du Nord.

70 Ibidem, p. 22. Il en est toutefois encore de plus bas : celui de la sucrerie Pons au Bas-Limbé dans le Nord est établi à 102.

71 Geggus David, « Les esclaves de la Plaine du Nord… », art. cit., p. 33 et annexes et Cauna Jacques de, Au temps des isles à sucre…, op. cit., p. 98.

72 On dénombre 57 accouchements pour lesquels on connaît l’âge de la mère, non compris Vieille Marthe qui a 55 ans lorsqu’elle est grand-mère.

73 La dernière ligne du recensement indique le chiffre total de 124 esclaves, mais il n’est répertorié que 116 personnes sur les listes nominatives.

74 Debien Gabriel, La sucrerie Galbaud du Fort…, op. cit., p. 89.

75 Yacou Alain, « Essor et déclin du système esclavagiste… », art. cit., p. 194.

76 Foubert Bernard, Les habitations Laborde…, op. cit., p. 507.

Table des illustrations

Titre Graphique I : Évolution de la population servile aux Sources entre 1710 et 1773
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/97664/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 96k
Titre Graphique II : Évolution démographique par sexe et par âge des esclaves de l’habitation des Sources entre 1749 et 1773
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/97664/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 121k
Titre Graphique 3 : Démographie comparée des ateliers des habitations Maré, Macnemara, des Sources et des Varreux dans la seconde moitié du XVIIIe siècle
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/97664/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 107k
Titre Tableau 2 : Proportion des adultes au sein des ateliers serviles
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/97664/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 46k
Titre Tableau 3 : Répartition et affectation des 138 esclaves adultes des Varreux en 1784, ainsi que de 9 enfants, entre 10 et 14 ans, affectés à un poste précis23
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/97664/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 66k
Titre Tableau 4 : Répartition et affectation des 134 esclaves adultes des Sources en 1757
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/97664/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 56k
Titre Tableau 5 : Répartition et affectation des 111 esclaves adultes de Macnemara en 1786
Légende Note 2525
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/97664/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 81k
Titre Tableau 6 : Classification des esclaves ouvriers de l’habitation des Varreux en 1784
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/97664/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 39k
Titre Tableau 7 : Classification des esclaves ouvriers de l’habitation Macnemara en 1786
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/97664/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 41k
Titre Tableau 10 : La disparité des forces de travail sur les plantations
Légende Note 4848Note 4949Note 5050
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/97664/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 129k
Titre Tableau 11 : La productivité humaine
Légende Note 5656Note 5757
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/97664/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 64k
Titre Tableau 12 : Évolution démographique de l’atelier Maré entre 1785 et 179063
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/97664/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 61k
Titre Tableau 13 : La très faible fécondité des femmes esclaves sur les habitations Macnemara, des Varreux et des Sources face à l’atelier Delorme acquis par Manègre
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/97664/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 80k

Auteur

Docteur en histoire de l’Université de Nantes. Sa thèse, Seigneurs et planteurs, entre l’Ouest Atlantique et Antilles : quatre familles du XVIIIe siècle est en cours de publication.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search