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Mémoires des guerres

 | 
Noëlline Castagnez
, 
Pierre Allorant

Première partie. Acteurs du « devoir de mémoire » en région Centre-Val de Loire

Les chemins de la mémoire : géographie et tourisme patrimonial en Centre-Val de Loire

Christine Romero

Texte intégral

  • 1 Anne Bourgon, Valorisation et mise en réseau des lieux de mémoire de l’internement et de la déport (...)

1Notre contribution à l’étude des mémoires des guerres en Centre-Val de Loire interroge la manière dont les lieux concernés sont aujourd’hui investis et valorisés dans le cadre de l’activité touristique régionale. Nous postulons, en effet, que les chemins de la mémoire, ici entendue comme celle des conflits armés contemporains intervenus depuis les guerres napoléonniennes1, font partie de l’offre de tourisme patrimonial et sont susceptibles d’intéresser un public curieux de découvrir des sites emblématiques des guerres du passé. Partant, leur valorisation contribue à la promotion de l’activité touristique dans la région et à l’entretien de la mémoire collective.

  • 2 Voir toutes les cartes réalisées pour cette étude dans le cahier d’illustrations en couleur, no 1 (...)

2Notre étude se donne deux objectifs. Le premier s’attache à la localisation des lieux de mémoire des guerres en région Centre-Val de Loire et vise la réalisation d’une cartographie2. Le second questionne la manière dont ces lieux sont re-présentés aux visiteurs dans le cadre d’activités relevant du tourisme et des loisirs et dont se transmet la mémoire collective. Pour mettre en perspective le discours de valorisation des lieux de mémoire contemporains, il nous a paru nécessaire de prendre en compte l’ensemble des guerres de l’Histoire.

  • 3 Denis Retaille, Le monde du géographe, Presses de Sciences Po, références inédites, 1997.
  • 4 Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ?, Conférence donnée à la Sorbonne en 1882, publiée dans Dis (...)

3S’agissant de mémoire des guerres et de valorisation touristique, la question des lieux est essentielle. Les guerres, en effet, concernent de vastes étendues, voire la Nation toute entière pour les plus mémorables d’entre elles. Cependant, seuls des lieux font mémoire, souvent pour un événement qui leur est lié et à qui un groupe confère une valeur symbolique et, partant, mémorielle3. De plus, certains événements sont tus et oubliés ; comme l’écrivait Ernest Renan4, « l’oubli, je dirai même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création des nations ». Or, tant les événements oubliés que les événements mémorisés sont signifiants du moment que l’on s’interroge sur la manière dont les sites sont représentés aujourd’hui.

4Les guides touristiques nous sont apparus une source pertinente pour une étude exploratoire, permettant tout à la fois de recenser les lieux et d’analyser la manière dont ils sont valorisés. Ces ouvrages sont les locuteurs d’un discours destiné à stimuler la curiosité et à promouvoir l’activité touristique. Ce faisant, leurs auteurs concourent à la construction d’une représentation des lieux et de la mémoire collective.

  • 5 Berry Limousin, Guide Michelin, 1993.
    Châteaux de la Loire, Guide Michelin, 1981.
    Châteaux de la Loi (...)
  • 6 Je découvre la France, [www.jedecouvrelafrance. com/] (consulté en 2013).

5Le corpus a été élaboré d’abord dans le souci d’effectuer une recension, la plus exhaustive possible, des lieux de mémoire de guerre en région Centre-Val de Loire. Le seul critère retenu pour choisir les guides touristiques destinés à l’alimenter a été le fait que l’éditeur couvre toute la région avec la collection concernée. Autrement dit, la date d’édition n’a pas été un critère pour constituer le corpus. Il se compose de sept ouvrages5 édités entre 1981 et 2012 et d’un site internet6.

6La retranscription intégrale de tous les passages concernant une guerre a permis d’alimenter une base de données considérable, à défaut d’être exhaustive. Les différents guides, en effet, ne référencient pas les mêmes lieux et ne rapportent pas les mêmes informations.

7Ceci nous permet de pointer une lacune de la démarche : il est impossible, vue la manière aléatoire dont a été constitué le corpus, de savoir si les différences de représentations des lieux et des événements sont liées à des choix éditoriaux ou bien au contexte de la publication. Sur ces points, nous ne pourrons émettre que des hypothèses. Il serait intéressant de prolonger ce travail en mettant en place, avec la même méthode, un corpus de discours extraits des éditions successives d’un même guide.

  • 7 Système d’information géographique.

8L’étape suivante a consisté à construire une base de données pour alimenter le SIG7 nécessaire à la cartographie. Chaque citation a été traitée comme une donnée. Autrement dit, toute évocation d’un conflit en rapport avec un lieu nommément désigné est considérée comme une donnée, retranscrite dans la base.

  • 8 [http://flo-geohist.wix.com/tourisme-de-guerres].

9Dans le souci d’expérimenter l’application de la cartographie ainsi réalisée, nous avons choisi le webmapping. Autrement dit, nous avons créé un site Internet pour mettre les cartes à la disposition du public. Les cartes sont interactives. En cliquant sur les lieux, une notice apparaît, affichant un résumé du contenu des guides les concernant. Ce site est d’ores et déjà disponible8. En l’état, il est ambivalent car il se présente à la fois comme un outil de recherche puisqu’il est une synthèse en images du corpus, et comme un outil à destination du visiteur qui peut être déconcerté par le fait que les notices présentent des extraits de citations et ne sont pas reformulées.

En région Centre, une mémoire des guerres longue, mais sélective

10Toutes les guerres citées dans les guides touristiques ont été prises en compte. Autrement dit, le corpus et la cartographie permettent de remonter aux lieux de mémoire de la guerre des Gaules…

11Ont été considérés comme des guerres les conflits opposant des armées organisées et/ou comportant le mot « guerre » dans leur appellation. Ainsi, les violences liées à la Révolution française n’ont pas été recensées à l’exception de la guerre de Vendée. Par ailleurs, dans un souci de simplification, certains conflits ont été regroupés. Ainsi, les guerres entre grands féodaux du Moyen Âge ont été réunies en un seul ensemble.

12Au final, les guides touristiques donnent à connaître un certain nombre de caractéristiques de la mémoire des guerres en région Centre, et permettent de souligner quelques difficultés du tourisme de mémoire.

Toutes les guerres de l’Histoire de France concernent, peu ou prou, la région9

  • 9 Illustration 1 : Liste des guerres ayant affecté le territoire de la région Centre.

13Toutes les guerres de l’Histoire de France sont référencées dans les guides touristiques dédiés à la région, ne serait-ce qu’une ou deux fois, y compris des guerres qui n’ont pas directement impacté son territoire. Ainsi, la guerre de colonisation de l’Algérie est citée, car Abd El-Kader fut assigné à résidence à Amboise. La guerre de Vendée eut des résonances en région puisque 350 prisonniers suspectés d’être vendéens furent massacrés à Chinon en 1793 et que la duchesse de Berry se réfugia à Sully-sur-Loire.

14La position centrale de la région est donc un déterminant majeur du mode d’implication de son territoire dans les différentes guerres de l’Histoire.

15Sa situation géographique, sur les itinéraires entre le Sud et le Nord de l’Europe, en fait, dès la guerre des Gaules, un lieu carrefour, un lieu de passage, et de ce fait un lieu stratégique. Les armées de César y passent et repassent, Vercingétorix y organise le soulèvement des Carnutes ; Huns et Normands la traversent, incendiant ses villes et ses monastères.

16En d’autres temps, sa position centrale se fait plus politique. La région est un lieu du pouvoir, ou, à tout le moins, un lieu proche du pouvoir central. Au Moyen Âge, elle est un espace de tensions entre différents pouvoirs : les grands féodaux s’y affrontent et affrontent le pouvoir royal. Elle retrouve cette position dans les moments d’affaiblissement du pouvoir central : pendant la guerre de Cent Ans, le futur Charles VII s’y réfugie avant de trouver les voies de la reconquête du royaume ; le futur Louis XIV s’y réfugie pendant la Fronde ; par deux fois, le gouvernement français fuyant Paris, en 1870 et en 1940, s’y installe brièvement. Le Cher fait frontière, à partir de 1940, entre la zone dite libre et la zone occupée.

17Souvent, la Loire a fonctionné comme un front stratégique dont le contrôle était essentiel pour la conquête ou la reconquête du pays : les armées dites « de Loire » abondent dans l’Histoire, de Jeanne d’Arc à la Seconde Guerre mondiale, en passant par la guerre de 1870.

18Enfin, la position centrale de la région, éloignée des frontières extérieures, en fait une zone de repli pour installer des hôpitaux militaires pendant la Première Guerre mondiale ou mettre à distance des entreprises du Nord et de l’Est du pays du voisinage de l’Allemagne.

19De tout cela résulte une succession de dévastations, de destructions et de reconstructions. D’où une première difficulté du tourisme de mémoire des guerres : on peut raconter l’Histoire, mais l’on ne voit plus rien, ou si peu… Des châteaux dont on nous explique qu’ils ont été édifiés à l’emplacement d’une forteresse féodale détruite par les guerres ou démantelée par le pouvoir royal ; des abbayes, dont on nous raconte qu’elles ont été reconstruites après avoir été dévastées par les Normands ou par les Huguenots ; des villes dont on nous dit qu’elles ont été détruites à 70 % par les bombardements en 1940 et 1944. Ainsi, il est difficile de « montrer », sur le terrain, du patrimoine concret. Le patrimoine mémoriel ne peut qu’être raconté par les guides, présenté dans les musées, ou commémoré par des monuments et des plaques.

Si la totalité du territoire régional est concernée par l’ensemble des conflits, les lieux sont inégalement référencés

  • 10 Nous avons effectué cette recension en comptant pour « une citation » la référence à un lieu ou à (...)

20Pour évaluer l’image des lieux de la région au regard des guerres, nous avons comptabilisé le nombre de fois auxquelles les guides leur font référence pour un conflit donné10.

21Orléans est le lieu le plus fréquemment cité dans la plupart des conflits. La ville est toutefois supplantée par Chartres, s’agissant des raids normands, par Chinon, et plus globalement par la Touraine, s’agissant des conflits féodaux, par Loigny-la-Bataille, s’agissant de la guerre de 1870, par Gien et Tours à égalité, s’agissant de la Seconde Guerre mondiale.

La recension des citations, fait apparaître une prépondérance de la mémoire des guerres médiévales11

  • 11 Illustration 2 : Pourcentage du total des citations par période.
  • 12 Illustration 3 : Notoriété des lieux.

22Une citation sur cinq concerne la guerre de Cent ans. Le total des citations relatives aux guerres médiévales représentent plus du tiers de l’ensemble. Additionnées, de manière plus pratique qu’académique, aux guerres de Religion, les références à ces guerres anciennes représentent plus de la moitié du total. Les conflits contemporains sont évoqués dans tous les guides touristiques, mais les événements et personnages s’y rapportant sont moins récurrents que ceux des guerres plus anciennes. Cela peut se justifier au regard des échelles de temps : les conflits féodaux et la guerre de Cent Ans ont été de plus longue durée que les guerres contemporaines. La Seconde Guerre mondiale représente le 1/6 des citations. La prégnance de la mémoire des conflits n’est donc pas homogène dans la région12.

23Nous avons distingué les conflits selon qu’ils sont antérieurs ou postérieurs aux guerres napoléoniennes. Or, la plupart des lieux de mémoire contemporains sont situés dans le Val de Loire et le nord de la région. Le Berry n’est principalement cité qu’en lien avec des conflits plus anciens.

  • 13 Référencé 14 fois sur 8 lieux.
  • 14 Référencé 12 fois sur 10 lieux.
  • 15 Référencé 11 fois sur 8 lieux.
  • 16 Référencé 7 fois sur 5 lieux.
  • 17 Référencé 10 fois sur 7 lieux.

24Le même type de recension a été effectué concernant les 116 personnalités citées en lien avec les guerres. 6 d’entre elles sont référencées plus de 10 fois. Jeanne d’Arc est la championne régionale, référencée 40 fois sur 19 lieux différents. Viennent ensuite Charles VII, référencé 22 fois sur 10 lieux, Henri IV13, Foulques Nerra14, puis Jules César15 (davantage référencé que Vercingétorix16), et enfin, Philippe Auguste17. 5 personnalités sont référencées entre 7 et 9 fois sur 5 ou 6 lieux. Il s’agit du duc Henri de Guise, de Henri III, de Clovis, d’Henri II Plantagenêt et de Vercingétorix. La première personnalité du XXe siècle est Gambetta, citée 4 fois sur 3 lieux. Viennent ensuite Max Jacob, référencé 3 fois sur 1 lieu, puis Charles de Gaulle, Hitler, Jean Moulin, Gaston Menier, Pétain, référencés respectivement 2 fois.

  • 18 Bataille de Patay, 18 juin 1429.
  • 19 Guerre de 1870.

2557 personnalités, soit près de la moitié du total, ne sont référencées qu’une seule fois dans l’ensemble des guides. Il s’agit, par exemple, d’Abd el-Kader, du général Davout, de Falstaff18, des généraux de Sonis et de Charette19, du philosophe Maurice Clavel et de l’actrice Sylvia Montfort en lien avec le maquis de Marolles les Buis, de Nicolas Sarkozy, pour sa visite au musée de Maillé.

26Ces comptages ne prétendent pas fonder une critique des guides touristiques. Simplement, ils étonnent tant les choix sont différents.

  • 20 Je découvre la France.
  • 21 Châteaux de la Loire, Gallimard, Géoguide, 2009, p. 376.

27Un seul guide20 raconte comment, durant la Seconde Guerre mondiale, « le duc de Valençay fit valoir son titre de Prince de Sagan, une principauté neutre d’Europe de l’Est. Le château […] déclaré zone neutre [abrita] des sculptures […] du Louvre, dont la « Vénus de Milo » ou la « victoire de Samothrace ». De même, un seul autre guide21 mentionne la Vallée troglodytique des Goupillières, qui servit de refuge aux paysans durant les conflits féodaux. La survalorisation des guerres médiévales dans la représentation de la région suggère une deuxième difficulté du tourisme de mémoire de guerres : la promotion de cette pratique ne va pas de soi. Il y a, en effet, une contradiction entre l’idée de tourisme, associé aux loisirs, et celle de mémoire associée au devoir et au recueillement. Or, le tourisme de mémoire, décrypté à la lumière du discours des guides touristiques, relève du tourisme de masse. Il est plus aisé de promouvoir les châteaux forts et la guerre de Cent Ans auprès d’un public soucieux de se détendre en famille, que de promouvoir le souvenir de conflits plus récents.

La diversité des discours sur l’histoire des guerres dans les guides touristiques

28Raconter l’Histoire, dans un guide touristique, est un genre particulier. Les guides touristiques ne sont pas des manuels. Ils sont une invitation à un voyage informé. Et ce, aussi bien sur les guerres que sur la gastronomie, la faune, l’architecture, les traditions locales, etc.

  • 22 Loiret, Guide Gallimard, Éd. Nouveaux Loisirs, 1999, p. 142-152.
  • 23 Châteaux de la Loire, Guide Michelin, 1981, p. 9.
  • 24 Le 20 avril 1429. Châteaux de la Loire, 1981, op. cit., p. 84-85.

29Il s’agit donc, pour les auteurs, de raconter l’Histoire, de manière attrayante et facile à lire, puisque l’ouvrage doit pouvoir être utilisé sur les lieux de la visite. Pour ce faire, ils usent de différents modes narratifs. Certains événements sont racontés sur le ton de l’épopée. Le périple de Jeanne d’Arc en est un exemple22, « merveilleuse épopée dont la délivrance d’Orléans marquera […] le couronnement23 ». Le même guide rapporte comment Jeanne attendit trois jours, en jeûnant et priant, d’être reçue par le dauphin ; puis, décrit la salle illuminée de cinq cents torches dans laquelle, parmi trois cents courtisans richement vêtus, elle reconnut le dauphin et lui confirma qu’il était bien le fils de Charles VI ; enfin, il raconte sa comparution devant la cour de Poitiers et la manière dont on l’équipa avant qu’elle ne parte « accomplir son destin24 ».

  • 25 Illustration 4 : Itinéraire de Jeanne d’Arc en Centre-Val de Loire.

30Nous avons tenté de cartographier l’itinéraire de Jeanne, pensant qu’il y avait là matière à un circuit thématique sur les pas de l’héroïne. Cela s’est avéré impossible. Du moment où elle rencontre le roi à Chinon, jusqu’à celui où elle libère Orléans, le 8 mai, puis, dans la foulée, Jargeau, le 12 juin, Meung-sur-Loire, le 15, Beaugency le 18 avant de vaincre les Anglais à Patay le même jour, les choses semblent simples. Par contre, il est beaucoup plus hasardeux de retracer l’itinéraire reliant tous les sites dont les guides indiquent que Jeanne y serait passée25.

31Par ailleurs, alors que certains événements sont narrés de manière détaillée, d’autres sont seulement évoqués.

  • 26 Châteaux de la Loire, Gallimard, Géoguide, 2009.
  • 27 Ibid., p. 244.

32Ainsi, dans un guide touristique26, la rencontre d’Hitler et de Pétain à Montoire en octobre 1940 est traitée de façon presque allusive : le musée des Rencontres « retrace […] les étapes de la négociation du pacte de collaboration27 ».

33Par contre, dans le même ouvrage, l’assassinat du duc de Guise, en 1588 à Blois, est raconté avec force détails :

  • 28 Ibid., p. 158.

« Au petit matin du 23 décembre, Henri de Guise, après une nuit galante, rejoint la salle du Conseil. Le roi le fait appeler “en son cabinet vieux”. Dans l’étroit et sombre corridor qui y mène, il est lardé de coups de poignard par un détachement de gentilshommes gascons […]. Le lendemain, le cardinal de Guise subit le même sort. Les corps sont découpés et brûlés dans une cheminée du château28. »

  • 29 Châteaux de la Loire, Gallimard, Encyclopédie du Voyage, 2012, p. 182.

34L’assassinat des Guise fait d’ailleurs partie des événements bien détaillés dans tous les guides. Il en est de même de la conjuration d’Amboise (1580) et de sa cruelle répression qui vit « les conspirateurs […] décapités, noyés ou pendus au balcon du château29 ».

35Enfin, certains faits n’apparaissent qu’une fois dans l’ensemble du corpus. Ainsi en est-il d’une fête organisée par Catherine de Médicis au château de Chenonceau pour :

  • 30 Châteaux de la Loire, 2009, op. cit., p. 330.

« [honorer] la victoire de son fils François II sur les Huguenots en 1577 et [qui] se déroula en présence du fameux “escadron volant” de la reine, aréopage de jeunes espionnes peu farouches, et de son autre fils, Henri III, qui, le cheveu poudré de paillettes cardinalices, revêtit pour la circonstance une longue robe de damas rose et argent30 ».

  • 31 Ibid., p. 398.
  • 32 Eure-et-Loir. Chartres, Gallimard, Encyclopédies du Voyage, 2011, p. 144.

36Ainsi en est-il aussi du château de Montbazon, construit par Foulques Nerra à la fin du Xe siècle et dont « le donjon en ruine fut sauvé […] par un soldat des US Marines qui combattit dans les tranchées de la 1re Guerre mondiale [et] l’acheta en 192231 ». Enfin, dernier exemple, un seul guide32 mentionne que c’est de Cloyes-sur-le-Loir « que partit, en 1212, la croisade “des enfants” qui mena 20 000 adolescents délivrer la Terre sainte ».

Les « chemins de la mémoire » au fil des guides touristiques

  • 33 Anne Bourgon, op. cit.

37Pour finir, nous examinerons notre corpus à la lumière des lieux et chemins de la mémoire des conflits contemporains33.

38En région Centre-Val de Loire, le ministère de la Défense recense quatre sites de tourisme de mémoire : la ville de Châteaudun et son musée des Beaux-Arts et Sciences naturelles, la maison du Souvenir de Maillé, le musée de la Résistance de Lorris.

39Châteaudun est distinguée pour la défense héroïque des Dunois contre les Prussiens le 18 octobre 1870. Elle valut à la ville le droit de faire figurer dans ses armoiries la Légion d’honneur. Ne sont visibles aujourd’hui que cinq totems illustrés et le monument aux morts. Une salle du musée des Beaux-Arts et Sciences naturelles est consacrée à la guerre de 1870.

40La maison du Souvenir de Maillé, quant à elle, a été inaugurée en 2006. Elle évoque le souvenir du massacre de 126 habitants et de la destruction du village le 25 août 1944. Plus largement, elle rappelle le sort des civils dans les conflits armés du XXe siècle.

41Ouvert en 1988, le musée de la Résistance et de la Déportation de Lorris, enfin, propose de découvrir la Seconde Guerre mondiale au niveau international, national et local.

Le discours des guides touristiques sur les sites officiels de tourisme de mémoire

  • 34 Eure-et-Loir. Chartres, 2011, op. cit., p. 140.

42Concernant Châteaudun, la défense de la ville contre les Prussiens en 1870 n’est évoquée que dans deux guides. L’un rapporte : « La population du Dunois résiste à l’ennemi qui, exaspéré […], embrase Châteaudun », puis, plus loin : « La ville s’ordonne autour de la place du 18-octobre, ainsi baptisée en souvenir des combats soutenus face à l’armée prussienne en 187034. » L’événement représente beaucoup moins de lignes que le texte consacré à Dunois, le compagnon de Jeanne d’Arc.

  • 35 « 18 octobre 1870, les Prussiens attaquent la ville avec 12 000 hommes et 24 canons. 300 gardes na (...)
  • 36 Châteaux de la Loire, 1981, op. cit., p. 74.

43L’autre guide explicite davantage les forces en présence35, la destruction de 263 maisons et le fait que : « Châteaudun reçut la légion d’honneur et adopta la devise “Exctincta revivisco” : je renais de mes cendres36. »

  • 37 Loiret, 1999, op. cit., p. 108 et Châteaux de la Loire, 2009, op. cit., p. 138.

44Le musée de Lorris n’est présenté que dans 237 des 5 guides couvrant le territoire concerné.

  • 38 Châteaux de la Loire, 2009, op. cit., p. 442.

45La maison du souvenir de Maillé n’est indiquée que dans un seul38 des deux guides postérieurs à sa création en 2006. Le texte évoque son inauguration en 2008 par Nicolas Sarkozy et l’ambassadeur d’Allemagne, qui « officialisa » le massacre de la population par des soldats allemands après la Libération de Paris.

Les discours des guides touristiques sur les guerres contemporaines

46Au-delà des sites « officiels » du tourisme de mémoire, la présentation des guerres contemporaines dans les guides touristiques est hétérogène. Afin de ne pas nous répéter, nous ne reviendrons pas sur les faits et personnalités déjà évoqués.

  • 39 Loiret, 1999, op. cit., p. 26-36.

47Les guerres napoléoniennes sont peu représentées. Un seul guide39 mentionne l’invasion du Gâtinais et le sac de Pithiviers par les Cosaques en février 1814, le repli des troupes de Davout derrière la Loire après la défaite de Waterloo et l’occupation prussienne d’Orléans et de la région au nord de la Loire jusqu’à la signature du traité de paix en novembre 1815. Le même guide explique que les guerres de la Révolution et de l’Empire, coupant le Loiret de ses relations avec l’Outre-mer, ont entraîné le déclin des raffineries de sucre et des manufactures de laine et de coton.

  • 40 Environs de Paris, Guide Michelin, 1986.
  • 41 Châteaux de la Loire, 1981, op. cit., p. 57.

48Concernant la guerre de 1870, à l’exception notable d’un guide40 qui n’y fait aucune allusion, les autres évoquent, de manière plus ou moins détaillée, les principaux combats, l’occupation prussienne, la brève installation de Gambetta à Tours, et la défaite de l’armée de Loire. Une anecdote n’est rapportée que par un seul guide41 : alors que le prince Frédéric-Charles de Prusse festoie au château d’Azay-le-Rideau où il loge, le lustre tombe sur la table. Le prince croit à un attentat et la ville échappe de peu à la destruction.

  • 42 Homme politique et chocolatier industriel.
  • 43 Châteaux de la Loire, 2012, op. cit., p. 221 et Châteaux de la Loire, 2009, op. cit., p. 330.

49La région Centre n’a pas connu de combats durant la guerre de 1914-1918. Par contre, elle a accueilli des soldats blessés au front. L’aménagement du château de Chenonceau en hôpital militaire, par son propriétaire, Gaston Menier42, est raconté dans 243 des 3 guides touristiques dédiés aux châteaux de la Loire.

  • 44 Illustration 5 : La Seconde Guerre mondiale en Centre-Val de Loire.

50La Seconde Guerre mondiale, quant à elle, est évoquée par tous les guides. Parfois a minima44.

  • 45 Environs de Paris, 1986, op. cit.
  • 46 Berry Limousin, Guide Michelin, 1993, p. 22-25.

51Ainsi, un guide de 1986 dédié aux environs de Paris45 ne la traite que par la mention de la Voie de la Liberté, souvenir de la progression, en « août 1944, [de] la 3e Armée américaine conduite par le Général Patton en direction de Reims, Verdun et Metz ». Un autre, daté de 199346, ne l’évoque que par « la ligne de démarcation [qui] traverse le Cher ».

  • 47 Châteaux de la Loire, 2009, op. cit., p. 78.

52Par contre, les bombardements de 1940 et de 1944 sur les villes ligériennes sont mentionnés par tous les guides touristiques dédiés au Val de Loire. La Reconstruction en a effacé les traces. Un guide47 touristique cible la visite d’Orléans sous cet angle. Il la décrit comme « une ville-pilote », expliquant que :

« Les recettes révolutionnaires imaginées par l’architecte Pol Abraham pour la reconstruction […] seront reprises dans bien des localités françaises. Afin de faire face à la pénurie de main-d’œuvre […], Abraham recourt à des modules préfabriqués en béton qu’il combine dans le respect de l’ordonnancement classique des quartiers dans lesquels il intervient. »

  • 48 Cf. Olivier Lalieu, « La lente émergence de l’internement et de la déportation juive : le CERCIL » (...)
  • 49 Eure-et-Loir. Chartres, 2011, op. cit., p. 22 sq.
  • 50 Cf. Pierre Allorant, « La mémoire du corps préfectoral : entre panthéonisation de Jean Moulin et l (...)

53Concernant les camps de transit de Pithiviers, Jargeau et Beaune-la-Rolande, ou bien l’arrestation de Max Jacob à Saint-Benoît, ils ne sont pas évoqués dans les guides antérieurs aux années 1990. Sans doute faut-il du temps au travail de mémoire ; sans doute faut-il aussi un contexte pour admettre que de tels événements relèvent de la pratique touristique ; sans doute faut-il enfin le travail d’acteurs tels le CERCIL, depuis 1991, pour promouvoir cette mémoire48. Dans le même ordre d’idée, il peut apparaître surprenant que Jean Moulin et son rôle héroïque à Chartres, ne soient rapportés que dans un seul guide touristique49 édité en 201150.

En conclusion, quelques pistes

  • 51 MagCentre, « Les écrivains en première ligne pour célébrer la Grande Guerre », 20 avril 2014, [http (...)

54Ce travail sur les guides touristiques, ainsi que des travaux en cours sur les pratiques et représentations individuelles des lieux de mémoire, attestent que les lieux n’ont pas de sens en dehors du discours qui les investit. Or, ce discours s’élabore autour des individus qui les ont « habités », les chargeant d’événements, d’expériences et d’histoires, individuelles ou collectives, qui leur donne un sens pour le visiteur, même si, concrètement, il n’y a « rien à voir ». Des pratiques touristiques renouvelées sont donc à imaginer ou prolonger telles, pour la Première Guerre mondiale, la proposition de visites51 sur les pas de grands écrivains régionaux, Alain Fournier, Charles Péguy et Maurice Genevoix, ou, pour la Seconde Guerre mondiale, sur les pas des grandes figures de la région.

Notes

1 Anne Bourgon, Valorisation et mise en réseau des lieux de mémoire de l’internement et de la déportation en Seine-Saint-Denis, [http://www.tourisme93.com/notion-lieu-memoire.html].

2 Voir toutes les cartes réalisées pour cette étude dans le cahier d’illustrations en couleur, no 1 à 5.

3 Denis Retaille, Le monde du géographe, Presses de Sciences Po, références inédites, 1997.

4 Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ?, Conférence donnée à la Sorbonne en 1882, publiée dans Discours et conférences en 1887.

5 Berry Limousin, Guide Michelin, 1993.
Châteaux de la Loire, Guide Michelin, 1981.
Châteaux de la Loire, Gallimard, Encyclopédie du Voyage, 2012.
Châteaux de la Loire, Gallimard, Géoguide, 2009.
Environs de Paris, Guide Michelin, 1986.
Eure-et-Loir. Chartres, Gallimard, Encyclopédies du Voyage, 2011.
Loiret, Guide Gallimard, Ed. Nouveaux Loisirs, 1999.

6 Je découvre la France, [www.jedecouvrelafrance. com/] (consulté en 2013).

7 Système d’information géographique.

8 [http://flo-geohist.wix.com/tourisme-de-guerres].

9 Illustration 1 : Liste des guerres ayant affecté le territoire de la région Centre.

10 Nous avons effectué cette recension en comptant pour « une citation » la référence à un lieu ou à un territoire dans un même passage d’un guide.

11 Illustration 2 : Pourcentage du total des citations par période.

12 Illustration 3 : Notoriété des lieux.

13 Référencé 14 fois sur 8 lieux.

14 Référencé 12 fois sur 10 lieux.

15 Référencé 11 fois sur 8 lieux.

16 Référencé 7 fois sur 5 lieux.

17 Référencé 10 fois sur 7 lieux.

18 Bataille de Patay, 18 juin 1429.

19 Guerre de 1870.

20 Je découvre la France.

21 Châteaux de la Loire, Gallimard, Géoguide, 2009, p. 376.

22 Loiret, Guide Gallimard, Éd. Nouveaux Loisirs, 1999, p. 142-152.

23 Châteaux de la Loire, Guide Michelin, 1981, p. 9.

24 Le 20 avril 1429. Châteaux de la Loire, 1981, op. cit., p. 84-85.

25 Illustration 4 : Itinéraire de Jeanne d’Arc en Centre-Val de Loire.

26 Châteaux de la Loire, Gallimard, Géoguide, 2009.

27 Ibid., p. 244.

28 Ibid., p. 158.

29 Châteaux de la Loire, Gallimard, Encyclopédie du Voyage, 2012, p. 182.

30 Châteaux de la Loire, 2009, op. cit., p. 330.

31 Ibid., p. 398.

32 Eure-et-Loir. Chartres, Gallimard, Encyclopédies du Voyage, 2011, p. 144.

33 Anne Bourgon, op. cit.

34 Eure-et-Loir. Chartres, 2011, op. cit., p. 140.

35 « 18 octobre 1870, les Prussiens attaquent la ville avec 12 000 hommes et 24 canons. 300 gardes nationaux dunois et 600 francs tireurs […] résistent […] malgré un bombardement intense de midi à 18 h 30. »

36 Châteaux de la Loire, 1981, op. cit., p. 74.

37 Loiret, 1999, op. cit., p. 108 et Châteaux de la Loire, 2009, op. cit., p. 138.

38 Châteaux de la Loire, 2009, op. cit., p. 442.

39 Loiret, 1999, op. cit., p. 26-36.

40 Environs de Paris, Guide Michelin, 1986.

41 Châteaux de la Loire, 1981, op. cit., p. 57.

42 Homme politique et chocolatier industriel.

43 Châteaux de la Loire, 2012, op. cit., p. 221 et Châteaux de la Loire, 2009, op. cit., p. 330.

44 Illustration 5 : La Seconde Guerre mondiale en Centre-Val de Loire.

45 Environs de Paris, 1986, op. cit.

46 Berry Limousin, Guide Michelin, 1993, p. 22-25.

47 Châteaux de la Loire, 2009, op. cit., p. 78.

48 Cf. Olivier Lalieu, « La lente émergence de l’internement et de la déportation juive : le CERCIL », infra, p. 31-42.

49 Eure-et-Loir. Chartres, 2011, op. cit., p. 22 sq.

50 Cf. Pierre Allorant, « La mémoire du corps préfectoral : entre panthéonisation de Jean Moulin et l’oubli de Jacques Morane », infra, p. 169-186.

51 MagCentre, « Les écrivains en première ligne pour célébrer la Grande Guerre », 20 avril 2014, [http://www.magcentre.fr/48109-les-ecrivains-du-centre-en-premiere-ligne-cvlebrer-grand-guerre/].

Auteur

Maître de conférences de géographie, université d’Orléans – CEDETE

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