1Aux XVIII^e et XIX^e siècles, les procédures de séparations de biens ou de corps constituent le seul chemin par lequel une épouse peut quitter son mari. À l’exception de la brève période de légalisation du divorce, entre 1792 et 1816, et jusqu’à la loi du sénateur socialiste Naquet qui permet son autorisation définitive en 1884, les époux, en cas de faillite, d’inconduite, de mauvais traitements, d’abandon ou d’infidélité, ne peuvent dissoudre le contrat qui les unit1. La femme, lorsque ses biens propres sont menacés, est autorisée à saisir la justice civile dont elle dépend afin d’engager une demande de séparation de biens contre son mari. Lointain héritage du Corpus juris civilis romain, cette pratique apparaît timidement à partir du XII^e siècle dans les officialités ecclésiastiques2. En 1580, la coutume de Paris l’admet dans son champ de compétences, puis des arrêts de cours souveraines émergent progressivement en ce sens au XVII^e siècle, parfois suite à un désistement de la juridiction ecclésiastique comme à Châlons en 16633. Au cours des décennies suivantes, un nouveau droit matrimonial s’élabore avec des fondements solides, diffusé dans de nombreux textes et répertoires de jurisprudence à partir de la fin du siècle4. La doctrine, issue du principe romain de l’exactio doctis, est stricte : seules des raisons d’ordre économique sont admises pour obtenir une séparation, la dot de l’épouse doit être mise en danger par la mauvaise gestion du mari. Afin d’éviter les recours « abusifs », les motifs affectifs sont volontairement bannis mais, dans les faits, certaines femmes usent de ces arguments pour justifier la dissolution de la communauté avec un homme violent5. Seuls les procès en impuissance, en recul depuis l’interdiction de l’épreuve du Congrès en 1677, demeurent sous l’égide de l’Église catholique6.

Une stratégie de défense masculine

2Les débats qui opposent, au long du XVIII^e siècle, partisans et détracteurs du droit au divorce, accompagnent l’augmentation des mentions de violences dans les dépositions. En effet, afin d’obtenir gain de cause, les épouses doivent rassembler un certain nombre de pièces juridiques (acte et contrat de mariage en particulier, inventaire des biens) ainsi que des témoignages à charge contre la conduite et les « mauvaises affaires » de son mari, deux à quatre le plus souvent. Dans l’aire géographique étudiée, qui recouvre l’ancienne province du Poitou (figure 1) dans laquelle près d’un millier de procédures en séparation ont été analysées7, la première déposante à évoquer des violences physiques se nomme Marguerite David. Mariée au cabaretier Louis Bodin, de Varennes, un petit village près de Melle, elle sollicite en mai 1679 la séparation de cet homme qui passe son temps à boire, jouer, chercher querelle, la tromper tout en la frappant régulièrement8.

3Une fois la sentence prononcée, elle est publiée, affichée et mise en exécution : l’homme doit rembourser la dot et les héritages éventuels perçus par sa femme. Dans les cas de séparations de corps, peu nombreux mais qui se multiplient dans les deux décennies qui précèdent la Révolution française, le devoir de vie commune est dissout avec la communauté de biens9. Les époux jouent parfois autant leur réputation qu’une certaine assise matérielle que la femme apportait au ménage, ou qui ne sont pas état de restituer ces biens. En conséquence, ils doivent élaborer des stratégies de défense. Si la moitié d’entre eux négligent de venir plaider leur cause auprès de la justice dont ils dépendent, l’autre moitié tente d’infléchir des procureurs qui, à compter du milieu du XVIII^e siècle, accordent la séparation sous le seul motif des violences physiques, ce qui constitue un changement de pratique radical et libère les paroles des femmes et des témoins. Ces maris accusés de mauvais traitements plaident l’incompatibilité de caractère, accusent les femmes d’adultère, de dépenses inconsidérées, invoquent un « droit de correction » qu’ils estiment légitime enfin, pour 22 % d’entre eux, retournent l’accusation de violences10. La femme complote pour la perte de l’honneur de son mari, la ruine de son commerce, voire veut attenter à sa vie. Ainsi, à huit reprises au XVIII^e siècle, les tentatives d’empoisonnement sont mises en avant dans les dépositions des époux, mais délaissées par les juges car non prouvées. Quelques décennies plus tard, une arrestation retentissante se déroule à Châtellerault11, en 1832, qui met en scène une « fausse empoisonneuse », un mari violent et un beau-fils complice, renouant avec cette stratégie masculine. Afin de compléter cette contextualisation, il convient de souligner d’une part que, si la première affaire apparaît en 1714, cinq d’entre elles se situent entre 1771 et 1782 et, d’autre part, qu’il s’agit exclusivement de procédures en séparation de corps12. Pour ces dernières, la femme devant appuyer celles-ci par des témoignages et des preuves d’atteintes à son intégrité physique, les maris répliquent sur le même registre. Toutefois, seules deux d’entre elles obtiennent gain de cause auprès des juges. En effet, la séparation de corps sanctionne en priorité, depuis le XIV^e siècle, l’adultère. Mais les atteintes aux coutumes régissant le droit matrimonial se multiplient dans la seconde moitié du siècle des Lumières, jusqu’à l’édit du 17 novembre 1787 qui établit la première forme de mariage civil. Louis XVI, à la demande du Parlement de Paris, autorise en effet que les juges prennent acte des mariages lorsqu’un prêtre s’y refuse, en particulier afin de faciliter la reconnaissance légale des nombreuses unions clandestines de couples protestants13. L’union se trouvant facilitée, la désunion doit l’être également, et ce mouvement touche toutes les pratiques liées à la vie conjugale. La séparation de corps est ainsi prise « au pied de la lettre » par des femmes toujours plus nombreuses : si leur corps est menacé, elles doivent le protéger. Dans ce cadre s’insèrent les affaires de « fausses empoisonneuses » qui forment l’objet de cette étude.

Fig. 1. – La province du Poitou sous l’Ancien régime. J. Marcadé, Protestants poitevins de la Révocation à la Révolution, La Crèche, Geste éditions 1998, p. 6.

4Ce petit nombre d’exemples, peu probant sur le plan statistique (moins de 5 % des modes de défense adoptés par les époux), offre cependant des angles d’analyse à l’historien. Ils apparaissent tous dans des contextes de violences très fortes et sont l’objet de mises en scène très soignées, préméditées. Le vocabulaire en usage à propos du poison, souvent et à dessein le « vert-de-gris », ainsi que la forme des enquêtes de réputation qui s’ensuivent révèlent un schéma qui, faute de se vérifier quantitativement, permet de dégager un modèle du travail judiciaire sur les accusations d’empoisonnement dans le cadre conjugal.

Un contexte de fortes violences conjugales

5Les accusations de « fausses empoisonneuses » résultent de parcours conjugaux marqués par des violences verbales et physiques importantes. La première d’entre elle, qui émerge des archives poitevines le 2 février 1714, oppose Marguerite Suzanne d’Heustefelt à Nicodème Babin, avocat au Parlement de Rennes. Elle déclare subir depuis de longues années des violences verbales dans son foyer comme en public si humiliantes qu’elle abandonne son domicile et s’en retourne chez ses parents. Après une absence de plusieurs mois, son mari lui rend visite et, devant plusieurs témoins, la menace « de lui écraser le visage avec ses pieds, tellement qu’elle portera des masques14 ». Malgré cela, il la convainc ou la contraint de reprendre la vie commune. Une période d’accalmie précède un déchaînement de violences : un soir, il entre de force dans la chambre de Marguerite, une épée à la main, pour la forcer à avoir des relations sexuelles. Un autre jour, il tente de la jeter dans le feu puis de la défenestrer, ce qu’il ne parvient pas à faire grâce à l’intervention de plusieurs domestiques. Auditionné, Nicodème Babin « dénie avoir battu ni maltraité sa femme, quoiqu’elle aurait bien mérité de l’avoir été ». Il renverse l’accusation, affirmant, avec dix-huit témoins pour le soutenir dont ses beaux-parents15, que son épouse l’injurie continuellement « de bête, d’animal, de brutal, de fol, race indigne ».

6La brutalité extrême franchit un seuil dans le cas des époux Mornet. L’homme, marchand dans le bourg de Jaunay, au nord de Poitiers, multiplie les sévices sur son épouse. Selon leur fille et les déposants, il la poursuit régulièrement dans les rues une épée à la main en la menaçant de mettre fin à ses jours, a tenté de l’égorger, de la lapider dans leur jardin, l’a rouée de coups à la sortie de la messe16. L’affaire, portée devant la justice poitevine en 1738, recoupe dans ses actes de violences, plusieurs autres. Un meunier de Châtellerault, Sautereau, est accusé de fouetter son épouse, Marie Aluchaud, en 1772, ainsi que de l’avoir « laissée étendue sans connaissance après qu’elle eut été projetée dans les blés, poussée contre un mur avec violence et traînée par les cheveux dans le grenier à blé où il lui a infligé de nombreux coups sur la tête et le visage » ; tandis que l’année précédente, le sergent du marquisat de La Mothe Saint-Heray17, Jean Guiffard, essaye à plusieurs reprises d’étouffer ou d’égorger Suzanne Ursault dans son sommeil18.

7Les injures, les violences sexuelles ou la mauvaise réputation forgée par l’époux illustrent également ces demandes en séparation de corps qui provoquent, en guise de défense, des accusations d’empoisonnement envers les femmes. Deux femmes avancent que leur mari les obligent à se prostituer afin de rembourser les dettes contractées dans des « mauvais marchés ». À Beaupréau19, outre les coups de fusil évités à plusieurs reprises tirés par l’officier Thibaudeau à son encontre et « les coups de pied malgré qu’elle fut grosse », Marie Richard soutient qu’il l’a contraint à avoir des relations charnelles avec des soldats, des ecclésiastiques et des domestiques de la ville en échange d’argent. Lorsqu’elle entreprend la procédure en justice, Thibaudeau s’empare de la situation pour la présenter sous un autre angle : selon lui « elle était une femme de mauvaise vie, se prostituait au premier venu20 ». Charles Bardel des Gléraux, lieutenant de la Marine Royale, doit se défendre d’une accusation similaire formulée par sa femme, Marie-Henriette de Boscals de Reals, en 1782. Selon le mémoire publié à Angers, non seulement il la séquestre dans la journée mais, la nuit venue, il « la force à se prostituer dans les ruelles proches de leur demeure21 ». Les deux femmes soulignent la vigueur des insultes prononcées à leur encontre, qui s’avèrent similaires : « putain, gueuse, fille à gages, garce » sont cités, termes qui se retrouvent dans la majorité des procédures de séparations conjugales sous l’Ancien Régime évoquant les violences verbales entre époux.

8Pour Jacques Moreau, en 1746, sa femme Jeanne de Bernon est à l’origine des différends. Selon sa déposition, « dans tous les temps, elle l’a injurié et frappé la première, ce qui l’a obligé de la repousser pour éviter l’excès de ses fureurs [...] qu’elle a tenu une conduite irrégulière ayant sorti de jour et de nuit passé par les fenêtres et les murs pour aller coucher hors de la maison, qu’elle s’est absentée des mois entiers sans le prévenir du lieu de sa retraite22 ». À ces accusations, Jeanne explique les rumeurs que son mari répand à son encontre qui salissent sa réputation, à tel point que les habitants de leur quartier de Niort ont tenté de l’assassiner quelques années plus tôt à l’incitation de Jacques Moreau. L’officier Thibaudeau, pour sa part, fait également connaître dans Beaupréau l’inconduite supposée de son épouse, alors que le lieutenant de la Royale, Bardel, narre, imprime et diffuse sous la forme d’un factum de trente-deux feuillets les soirées de débauche de Marie de Boscals. Sautereau, pour sa part, ajoute les sacrilèges à l’adultère lorsqu’il évoque les défauts de celle qu’il a épousée23. Selon lui, « elle complote pour assassiner le dauphin, l’enfant qu’elle avait eu pendant le mariage n’était point de lui mais d’une opération ecclésiastique ». En 1772, alors que Louis XV montre quelques signes de déclin physique et que ses héritiers disparaissent prématurément, l’angoisse populaire liée aux interrogations sur la pérennité dynastique trouve un écho inattendu dans les désordres conjugaux. D’autre part, l’affaire Damiens n’est pas si éloignée : l’homme, qui accusera son épouse d’empoisonnement, ne cherche-t-il maladroitement à la faire condamner à la peine capitale24 ? Au siècle suivant, la déposition de Jeanne Poupault, arrêtée et emprisonnée à Châtellerault sous l’accusation d’empoisonnement contre son beau-fils, s’avère plus sobre. Au cours de son premier interrogatoire, le 2 février 1832, elle répond simplement, lorsque le juge d’instruction lui rapporte que son mari, le cabaretier Philippe, affirme qu’elle « lui a souvent mis le poing dans la figure », que « tout cela est faux, c’est au contraire mon mari qui a de forts mauvais procédés pour moi, il me frappe souvent [...] il y a environ quinze jours il m’a porté plusieurs coups de sabots en plein visage25 ».

9Si l’intensité des violences conjugales exposées dans les neuf affaires qui constituent notre corpus, ne sont pas des cas isolés en archives, les détails dans lesquels entrent les protagonistes répondent à l’attente des juges en matière de séparation de corps. La faillite matérielle ne suffit pas pour ces procédures, contrairement aux séparations de biens, les sévices et souffrances morales et physiques doivent l’appuyer. À ce jeu, les hommes se révèlent aussi combatifs que leurs épouses, proposant des stratégies offensives qui mettent les femmes en défaut sur le plan moral, allant parfois jusqu’à inverser les accusations de violences et de tentatives de meurtres. Ils élaborent un grief crédible et qui correspond aux manigances féminines dans les représentations de la société moderne : la tentative d’empoisonnement.

Mettre en scène de faux empoisonnements

10Les dépositions permettent de retracer approximativement la chronologie des violences et des menaces qui ponctuent les vies conjugales avant la demande de séparations. Ainsi, ces tentatives seraient des répliques au franchissement par l’homme d’un degré supplémentaire dans l’humiliation physique ou morale. Marguerite d’Heustefelt, en 1714 à Pornic, aurait réagi de la sorte après avoir été « chassée du lit nuptial », fait similaire au contexte du supposé empoisonnement de Sautereau par Marie Aluchaud en 1772, à Châtellerault26. La femme Mornet, une vingtaine d’années plus tard, élaborerait un moyen de défense par le poison après avoir été « prise fortement à la gorge en plein marché », comme Suzanne Ursault à La Mothe Saint-Heray dont son mari est le sergent royal, tandis que l’épouse de l’officier Thibaudeau tenterait de s’extraire de trois mois de séquestration, en 177727. Enfin, pour Marie de Boscals, la distillation du venin dans la boisson de Charles Bardel, dans leur maison brestoise résulterait des accusations de prostitution formulées par ce dernier et qu’elle ne saurait supporter. Cependant, si les évocations de ces empoisonnements supposés restent peu explicitées dans la plupart des procédures identifiées, deux affaires permettent de comprendre la mise en scène que les hommes jugent nécessaires à leur crédibilité.

11La ville de Saint-Maixent est le théâtre d’une séparation retentissante en 178028. Elle concerne un riche entreposeur de tabac, Joseph Girault de Crouzon et Thérèse Avrain, unis depuis quinze ans. Lorsque les audiences des témoins débutent, au début du mois de février, Thérèse vit recluse chez les religieuses de l’Union chrétienne de sa ville et attend que soit prononcée une séparation de biens et de corps « pour raison de faits d’adultère, de violences et crimes d’empoisonnement29 ». Trente-cinq personnes déposent durant près de trois semaines, accablant le mari, auteur de violences extrêmes, d’humiliations publiques et coupable de multiples fois d’adultère avec les servantes de la maison. Le bonnetier Jamonneau explique, par exemple, que Crouzon lui a loué une chambre dans laquelle il amenait régulièrement des demoiselles pour la nuit, ce à quoi le propriétaire dut mettre fin au bout de quelques mois afin d’apaiser la rumeur qui lui faisait du tort. Huit femmes, lingères, tailleuses, couturières, expliquent comment Crouzon a tenté de les corrompre, d’obtenir de gré ou de force leurs faveurs avec des mots qui, parfois, masquent probablement des viols. Lors de son audition, le mari s’engage dans un processus très argumenté de retournement de l’accusation. Il se dit menacé d’empoisonnement par Thérèse Avrain depuis dix ans, à tel point qu’en octobre 1770 il fit mander le médecin Cléophon, de Niort, afin de constater « qu’il eut de vives douleurs dans les jambes, les pieds et les mains, des crispations dans les doigts de pied et de main ». Malgré un avis négatif du praticien, Crouzon maintient ses accusations d’empoisonnement, affirmant que sa mère s’est installée à ses côtés à partir de ce moment afin de surveiller les agissements de l’épouse. Début 1772, après un repas, il se tord de douleur, hurle dans la maison que sa femme l’a assassiné, va jusqu’à se jeter à terre. Après avoir repris quelque peu ses esprits, Crouzon explique longuement à son médecin les desseins meurtriers qu’il prête à Thérèse Avrain mais, de nouveau, Cléophon ne détecte nulle trace de poison. Sans nier sa propre inconduite sexuelle, il l’explique par le fait que :

« Nul homme ne voudrait être à sa place, avec son air doucereux c’est un diable, vous la prendriez pour la plus grandes vestale alors qu’elle n’est qu’une bougresse, ou pour la plus sage du monde alors que ce n’est qu’une putain, une garce, je suis bien sûr que la fille dont elle a accouché n’est point de moi... »

12Lors de la procédure, durant de longues descriptions, le greffier prend note des griefs injurieux de Crouzon envers son épouse qui justifieraient, selon lui, qu’elle eut cherché à devenir veuve. Il précise, par exemple, qu’elle retrouve ses amants dans les bois pour assouvir son appétit sexuel. Nous retrouvons un topos des discours médicaux et théologiques sur l’inconduite féminine supposée à l’époque moderne mis en avant par les historien(ne)s du genre. La « sexualité dévorante » supposée des femmes est utilisée dans les procédures de séparations par des maris et leurs défenseurs imprégnés de cette vision30. Elle s’inscrit dans un processus d’atteintes aux corps, les leurs comme ceux de leurs maris. Si ces derniers font obstacle aux pulsions de leurs épouses, ils doivent disparaître.

13Il convient de souligner la présence du chirurgien Cléophon, qui, selon les dépositions de Thérèse Avrain, est venu constater ses blessures pendant de nombreuses années tout en lui déconseillant de se séparer. La complaisance des hommes de l’art se retrouve dans le couple Moreau, où il venait « panser les plaies nées de cet empoisonnement », tandis qu’à plusieurs reprises, il lui demande d’aller « dans la chambre de ladite de Bernon pour la faire crever avec ses outils ». S’il ne s’exécute pas, le chirurgien s’abstiendra néanmoins de soigner l’épouse de ses multiples plaies et contusions. Il est perçu comme un complice du mari violent par les différents témoins qui déposent à charge de Moreau en 1746. De même, les documents concernant Jeanne Poupault, en 1832, mettent en avant le rôle du praticien, Michel Lauray31. Ce dernier déclenche l’affaire en faisant suivre au juge d’instruction de Châtellerault, le 1^er février, un compte-rendu de sa visite au beau-fils de l’accusée. La mise en scène du faux empoisonnement est savamment élaborée. Lorsque le chirurgien se rend dans l’auberge dont l’enseigne se tient sur la place du Champ de foire de la ville, il est accompagné du commissaire de police, d’un lieutenant de gendarmerie et de son greffier32. Devant le fils du tenancier, il explique les raisons de son inquiétude pour François Philippe, qu’il soigne depuis quatre mois pour des douleurs intestinales :

« Hier soir, ayant fait une nouvelle visite à mon malade, il me fit part qu’il avait trouvé dans un vase et une tasse différentes matières qui avaient lieu de l’étonner ainsi que leur contenu, après les avoir attentivement examinées... ce ne me permit plus de doute d’après ce que le jeune homme me dit que sa belle-mère lui fait à différentes fois des menaces de nature à l’inquiéter, que l’on eut chercher à l’empoisonner. Je ne suis plus étonné aujourd’hui des coliques et des vomissements que le jeune homme a éprouvé depuis la Toussaint, elles ne pouvaient provenir évidemment que de plusieurs tentatives d’empoisonnement pratiquées de la même manière et avec les mêmes substances... D’après ce qu’il m’a dit hier de sa belle-mère, elle a toujours montré beaucoup de haine pour lui, je ne suis pas éloigné de penser qu’elle ne soit l’auteur de cette tentative33. »

14Lorsque Lauray et les hommes de loi pénètrent dans sa chambre, le jeune homme, âgé de 22 ans, est dans son lit, donnant toutes les apparences d’une intense souffrance physique. Pâle, inondé de transpiration, le souffle court, il parvient avec difficulté à leur exposer de quelle manière il a découvert des dépôts étranges dans son verre que seule sa belle-mère, Jeanne Poupault, de laquelle il affirme subir des violences physiques, peut avoir versé. Son époux précise durant la visite qu’il s’agit de son fils du premier lit et non de l’accusée. Il souligne également que sa seconde épouse a disparu depuis la veille. Aux soupçons immédiats du commissaire, qui s’étonne que les verres et les vases à l’usage du fils soient fort bien disposés sur une petite table à l’entrée de la pièce, l’aubergiste répond qu’il a rassemblé les objets et les produits qui pourraient servir à Jeanne Poupault dans l’accomplissement de son crime, afin de faciliter l’enquête. Le juge décide d’émettre, le jour même, un mandat d’amener à son encontre « au vu des soupçons qui pèsent sur elle, saisit les deux vases comme pièces à conviction, puis perquisitionne dans toutes les armoires pour trouver des substances semblables », recherche qui demeure vaine.

15Si l’entreposeur de tabac de Saint-Maixent et le fils Philippe mettent en scène leurs corps, l’aubergiste, pour sa part, agence les lieux et les objets du prétendu forfait. La préméditation, facteur aggravant et qu’il souhaite probablement suggérer aux hommes de loi, permettrait une condamnation à la peine capitale, stratagème utilisé de manière moins habile par le meunier Sautereau un demi-siècle plus tôt34. Les marqueurs des représentations « stéréotypées colportées par la presse et relayées par l’opinion publique » sur les femmes criminelles se retrouvent : la femme de Crouzon présente un « aspect physique désavantageux et épaissi » selon son mari, tandis que la femme de l’aubergiste châtelleraudais mesure à peine 1,40m et offre une apparence « très disgracieuse et disproportionnée35 ». Les vomissements prolongés, les douleurs intestinales des deux victimes suffisent à élaborer un soupçon qui obligent les deux femmes à s’expliquer en justice voire, dans le cas de Jeanne Poupault, à subir de nombreux interrogatoires et six mois de détention.

Les mots du venin

16Au-delà du soupçon que la femme peut éveiller chez les proches et les hommes de loi par son seul aspect extérieur et ses pratiques douteuses, qui seront évoqués plus avant, les maris et leurs témoins se doivent de désigner l’instrument du crime : le poison.

17Dans cinq des neuf affaires étudiées, aucun détail ne ressort de la déposition de l’époux. Il ne s’agit que d’une accusation parmi d’autres que les hommes récitent afin de convaincre les juges du bien-fondé de leur violence ou du « martyre » qu’ils subissent. L’avocat Babin de Pornic, en 1714, affirme que Marguerite d’Heustefelt a contracté l’union « que pour les meubles, effets et linges que cela pouvait lui procurer et, sitôt la vie commune établie, elle a voulu l’empoisonner36 ». La plupart des autres époux ne sont guère plus explicites, faute de preuve probablement : tantôt la femme « a voulu profiter qu’il était malade pour l’empoisonner », « veut qu’il vende ses biens plutôt que de le soutenir et menace publiquement de l’empoisonner » ou encore invite l’homme « à prendre son parti, à quitter la maison sinon qu’elle l’empoisonnerait37 ». Ces allégations en restent à ce stade d’énonciation, sans appui matériel ni témoin. En revanche, lorsque le voiturier Jean Guiffard, en 1771, précise son accusation, il obtient le rejet de la séparation demandée par Suzanne Ursault en dépit de sa violence et de sa faillite financière. Le sénéchal du marquisat de La Mothe Saint-Heray, dans le Poitou « protestant », déclare recevable le doute qui pèse sur les agissements de Suzanne. Selon Guiffard :

« Elle aurait tenté de l’empoisonner en déposant des substances dans sa soupe [...] tout le village sait qu’elle a tué son premier mari, qu’elle avait vingt-sept ans et lui soixante-dix, qu’il est mort étrangement quinze jours après la célébration38. »

18La rumeur suffit pour discréditer l’épouse, sans que le représentant de la justice seigneuriale ne tente de vérifier si les crimes sont véridiques. Le schéma constaté par C. Bertrand, pour le XIX^e siècle, selon lequel « l’empoisonneuse n’est pas seulement une criminelle [...] elle est d’abord celle qui a failli dans son rôle d’épouse et de gardienne de foyer » semble en place à la fin de l’Ancien Régime dans les représentations collectives et judiciaires39.

19Au cours de trois autres procédures, la nature du poison et les circonstances précises dans lesquelles il aurait été administré, sont dénoncées. L’officier Thibaudeau explique, le 21 juin 1777, devant le présidial de Poitiers, que les coups de bâton assénés à son épouse ne furent qu’une réaction instinctive lorsqu’il découvrit qu’elle tentait de l’empoisonner. Pour parvenir à ses fins, elle doublerait les doses en « mettant du vert-de-gris dans sa tabatière et en assaisonnant sa cuisine avec le même venin40 ». L’entreposeur de tabac Crouzon, avance également que le vert-de-gris sert à son épouse, Thérèse Avrain, dans l’accomplissement de son dessin criminel envers lui. Il soutient qu’elle « lui fait passer cette drogue chaque jour et que le 19 octobre 1770, assis sur une chaise près du feu après le dîner, il fut pris de vives douleurs dans les jambes, les pieds et les mains, des crispations dans les doigts de pied et de main, les tendons en convulsion, la langue sèche et le cœur empoisonné par le bouillon que son épouse lui donnait le soir41 ». Crouzon explique ses douleurs, tente de rendre crédible son accusation en décrivant des symptômes précis.

20Le vert-de-gris s’avère également être au cœur de l’affaire Poupault en 1832. Entre la fin de l’Ancien régime et le Second Empire, cette substance, issue de l’oxydation du cuivre, rôde dans les crimes et les violences conjugales. Utilisé depuis le Moyen Âge pour la conservation des légumes et des confitures, il constitue le « poison domestique » par excellence, celui qui se trouve dans la cuisine elle-même et qu’il suffit de recueillir patiemment pour en accumuler une dose mortelle. Toxique à partir d’un certain nombre d’ingestions, il fait l’objet de nombreuses études dans les traités médicaux et juridiques des XVIII^e et XIX^e siècle42. En 1814, le docteur parisien M. Orfila lui consacre un long chapitre où il retrace son histoire, inventorie les victimes connues dans la capitale au cours les décennies précédentes, les symptômes et leurs éventuels remèdes. La sécheresse de la langue, des coliques et des vomissements, des vertiges et des sueurs froides qui s’achèvent en une perforation des intestins constituent les phases communes de l’empoisonnement au vert-de-gris selon M. Orfila43.

21L’antidote, pourtant, paraît simple : de fortes doses d’eau sucrée. Si Thibaudeau ne décrit aucune souffrance, Crouzon, dont l’imposture sera démasquée, semble renseigné sur les douleurs à simuler. Quant à François Philippe, en 1832, son témoignage correspond parfaitement à la description du traité de M. Orfila, confortant le soupçon de mise en scène qui saisit l’esprit du commissaire lors de sa première visite. Sa description du poison reste cependant impressionniste. Le fils de l’aubergiste évoque « différentes parcelles brillantes de bleu et de jaune [...] une limaille brillante [...] une couleur rougeâtre et une autre couleur bleuâtre qui n’étaient pas ordinaires au fond de mes vases... », ce que son médecin Lauray reconnaît comme du verre pilé44. Le juge retiendra les dénominations « limaille de cuivre rouge » et « verre pilé » lors des interrogatoires qu’il entreprendra auprès de Jeanne Poupault. Dès le lendemain de son arrestation, le 3 février, Jean Baptiste des Roseaux, pharmacien et Génie Mascarel, médecin, procèdent à l’analyse des produits chimiques saisis dans la chambre de la victime supposée. Leur description montre la précision de leur analyse :

« Une écuelle à oreille en terre et une en verre ordinaire, au fond et sur les parois avons remarqué de petits corps blancs très durs, transparents, anguleux et de diverses grosseurs, au nombre de 18 ; des parcelles rouges, brillantes [...] quelques tâches d’un vert bleuâtre [...] enfin un enduit gras sur toute la surface du vase45. »

22Après un traitement à l’acide sulfurique et à l’ammoniaque, les deux experts sont catégoriques :

« L’écuelle et le verre contiennent des fragments en grand nombre de verre pilé et de vert-de-gris qui peuvent déterminer des maladies graves et même la mort, le vert-de-gris est un poison violent qui peut faire périr promptement pris en certaines quantités. »

23Le XIX^e siècle, époque de l’émergence des experts en justice, apporte ces nouveaux points de vue aux hommes de loi qui, à l’époque précédente, ne faisaient appel aux médecins que pour des autopsies lors de suicides ou de soupçon de meurtre46. Le poison choisi par les accusateurs ne résulte pas du hasard. Les accusations d’empoisonnement au vert-de-gris, plus souvent désigné par la suite sous le simple vocable de « cuivre », parsèment le XIX^e siècle. Outre la facilité à s’en procurer et de le faire ingérer, il symbolise également la « mauvaise cuisinière », qu’il s’agisse de l’épouse incapable de remplir ses devoirs domestiques comme de la servante malintentionnée ou incompétente. De nombreuses affaires similaires sont narrées, sous la forme de faits divers, dans la presse spécialisée ou régionale47. Le vert-de-gris inspire même une chanson populaire, dans laquelle toutefois la répartition sexuelle est renversée (voir ci-dessous). Thibaudeau, Crouzon et Philippe, protagonistes d’affaires « ordinaires » de violences et de séparations conjugales, utilisent comme mode de défense une des peurs collectives, et masculines, qui se répand aux XVIII^e et XIX^e siècles, celle de l’empoisonnement au cuivre dans l’alimentation.

Le vert de gris en chanson (1855) :
« Le Sir’ de Framboisy 48  »

« Ayant pris femme, la plus belle dupays
La prit trop jeune, bientôt s’en repentit
Partit en guerre afin qu’elle mûrit
Revint de guerre après cinq ans et demi
N’trouva personne de la cave au chenil
Appela la belle trois jours et quatre nuits
Un grand silence hélas lui répondit
Le pauvre sire a couru tout Paris
Trouva la dame dans un bal à Clichy
Corbleu princesse, que faites-vous ici ?
Voyez je danse avec vos amis !
Dans son carrosse la ramène à Framboisy
Il l’empoisonne avec du vert de gris
Et sur sa tombe il sema du persil
De cette histoire la morale la voici
à jeune femme il faut jeune mari ! »

Fausse chanson médiévale composée
par Ernest Bourget, créateur de la SACEM.

Des enquêtes de réputation

24La prise en compte par la justice de ces accusations est liée à leur degré de précision. Tandis qu’elle n’apparaît pas dans les dépositions des témoins concernant cinq maris qui n’étayent pas leurs affirmations, le sénéchal de La Mothe Saint-Heray questionne onze habitants du bourg, en 1771, concernant la rumeur selon laquelle Suzanne Ursault aurait empoisonné son premier époux, âgé, avant de tenter de faire de même avec le second. Face à des témoins unanimes qui abondent dans le sens du mari, il déboute la demande en séparation. à l’inverse, à Beaupréau, l’officier Thibaudeau ressort de l’enquête avec une « mauvaise réputation » établie aux yeux de la justice du présidial49. Afin de contrer les griefs de prostitution et d’empoisonnement qu’il énonce contre elle, Marie Richard rassemble huit personnes qui expliquent les violences physiques graves et les fausses rumeurs qu’elle subit depuis le début de leur union. Il s’agira d’une des rares séparations de corps qui aboutit, l’homme étant condamné au versement d’une provision alimentaire de 600 livres annuelles.

25Si la résonance de l’affaire est plus importante pour l’entreposeur de tabac Crouzon, la configuration judiciaire s’avère similaire50. À sa déposition dans laquelle il affirme que son épouse a versé du vert-de-gris dans ses repas, Thérèse Avrain répond en rassemblant trente témoignages. Si aucun d’entre eux n’infirme les accusations d’empoisonnement prodiguées contre Thérèse, ils dressent un sombre portrait du mari, volage, violent, corrompu et joueur. Selon la tailleuse Madeleine Sarrault, l’homme « passe son temps au billard et a proposé de l’argent à la déposante pour témoigner en sa faveur », tandis que le bonnetier Jacques Jamonneau affirme que « le sieur Crouzon lui a loué durant quatre mois une chambre dans laquelle il amenait régulièrement des demoiselles pour la nuit ». Six servantes se disent victimes de viols répétés perpétrés par le mari, tandis que la sage-femme Madeleine Levesque, qui a mis au monde leur fils, explique combien l’épouse fut maltraitée durant sa grossesse, délaissée après la naissance, Crouzon lui ayant même proposé de l’argent pour parvenir au trépas de Thérèse lors de l’accouchement. Les autres témoins décrivent le dénuement dans lequel le vendeur de tabac laisse sa femme, les injures et les rumeurs qu’il répand à son encontre, les coups qu’il lui porte en public. Le dernier déposant, nommé Dominique Pasquier, lieutenant criminel au siège royal de Saint-Maixent, ami du couple, confie que Crouzon a tenté d’obtenir son appui pour la délivrance d’une lettre de cachet afin de faire enfermer Thérèse dans un couvent. Indigné, Pasquier aurait rétorqué « que nous vivions sous un prince où les lettres de cachet étaient beaucoup plus rares que sous le règne précédent, que d’ailleurs tout mari qui demandait des ordres rigoureux contre sa femme était suspect au ministre, qu’on accordait point ces lettres sans qu’il y eut de faits graves51 ». Seuls deux déposants, le médecin Cléophon et un tailleur défendent Crouzon et relaient les rumeurs sur l’inconduite sexuelle de Thérèse, qui serait l’amante d’un vétérinaire de la ville. À nouveau, la séparation de corps est prononcée au vu de la mauvaise réputation du mari, sans que les accusations d’empoisonnement proférées par ce dernier contre Thérèse Avrain ne fassent l’objet d’une vérification quelconque par le siège royal de Saint-Maixent.

26De même, à Châtellerault, en 1832, la mise en scène du mari et de son fils contre Jeanne Poupault, savamment élaborée, éveille les soupçons du commissaire. Les témoignages ne convaincront pas la Cour d’assises de la Vienne lors du procès qui se déroule le 20 août, près de sept mois après l’arrestation de la suspecte. Les sept témoins appelés à comparaître se révèlent peu solides : trois d’entre eux sont au fait que les époux se querellent mais ne savent pas lequel des deux est à l’origine des disputes. Le médecin Lauray, est jugé partial car il prend fait et cause pour son patient. Quant aux trois derniers témoins, comme la veuve Anne Leclerc, ils rapportent les dires du beau-fils « qui se plaint souvent devant moi des mauvais procédés et des menaces de la belle-mère, ajoutant qu’elle lui causait bien des malheurs mais ne m’a jamais rien raconté de particulier ». Faute d’arguments solides, ils insistent sur « sa très petite taille qu’elle était appelée dans toute la ville la pygmée [...] son visage déformé par la petite vérole [...] la peur qu’elle inspire aux clients de l’auberge et le bruit public qui affirme qu’elle est capable de maudire52 ». Laideur, nanisme, sorcellerie : le procès ressemble à la volonté sociale de l’élimination d’une femme hors norme53.

27L’époux, pour sa part, refuse de comparaître et prétexte un voyage d’affaires à Paris. Durant les quatre interrogatoires infligés à Jeanne Poupault, celle-ci a renversé les accusations. Elle nie inlassablement être une empoisonneuse et décline sous de multiples angles une ligne de défense homogène : « la haine est du côté de mon mari », « je suis aussi innocente que l’enfant qui sort du ventre de sa mère mais cela ne peut venir que de lui, comme je l’ai dit, je le crois capable d’après ce que j’ai déjà éprouvé », « mon mari et son fils m’avait mise dehors en me battant », « quand on veut du mal à son chien on dit qu’il est fou54 ». Elle obtient plusieurs soutiens décisifs. Michel Delage, entrepreneur en bâtiment, explique que son épouse, Rose Leclerc, a pour métier de soigner les malades à domicile et prodigue des soins quotidiens au fils Philippe durant les six mois qui précèdent l’affaire qu’il passe alité. Delage précise que la belle-mère n’entrait jamais dans la chambre du malade. Pour sa part, Maxime Venault, un étudiant ami de la famille, abonde dans le sens de Jeanne Poupault en décrivant de manière détaillée les violences physiques qu’elle subit. L’accusation se délite progressivement, les preuves matérielles analysées par les deux experts mentionnés ne pouvant être reliées à la belle-mère et les témoins à charge se révélant peu crédibles. Au bénéfice du doute, Jeanne Poupault obtient l’acquittement.

28Quoique séparées sur le plan social, géographique et chronologique, les huit affaires de « fausses empoisonneuses » issues des archives judiciaires poitevines des XVIII^e et XIX^e siècles offrent des points communs. Ceux-ci, résultats des normes judiciaires autant que des représentations de genre en vigueur, dessinent un schéma cohérent. Les accusations apparaissent dans le cadre de mariages violents, sont suscitées par une demande de séparation de corps ou, dans le cas de Jeanne Poupault, par le souhait de se débarrasser d’une épouse honteuse qui, peut-être, compromet le commerce. Acculés par des dépositions qui détaillent leurs méfaits, les maris se réfugient dans une stratégie de retournement radical de l’accusation et se prétendent victimes de tentatives d’assassinat. Les enquêtes qui s’ensuivent laissent une large part à la rumeur et à la réputation de chacun des époux, qui sera finalement déterminante dans le jugement des hommes de loi. À l’inverse, lorsque qu’apparaissent les « experts » au XIX^e siècle, ils prouvent la présence du poison mais ne peuvent désigner de coupable. Ces procédures résultent « essentiellement de la pression sociale55 », les démêlés qui opposent les époux Crouzon ou Philippe abondent en ce sens. Toutefois, durant l’intervalle qui sépare les méfaits de la Brinvilliers et l’affaire Marie Lafarge, si l’intérêt suscité par l’empoisonnement semble connaître un certain reflux, la peur ou l’instrumentalisation du poison demeure du même côté : celui des hommes.