Les milices dans la première modernité
| ,Première partie. La milice : « faire corps »
La milice bourgeoise comme instrument de reconstruction identitaire de la communauté citadine à Amiens, dans le premier tiers du XVIIe siècle
Texte intégral
- 1 G. Parker, La Révolution militaire. La guerre et l’essor de l’Occident (1500-1800), 1988, éd. fr., (...)
- 2 L. Coste, « Les milices bourgeoises en France », J.-P. Poussou (dir.), Les Sociétés urbaines au XV (...)
1On constate qu’à de rares exceptions près, les milices urbaines de l’époque moderne ont peu retenu l’attention des historiens à l’exception de ceux de la deuxième moitié du XIXe ou du début du XXe siècle, qui se sont beaucoup intéressés au fonctionnement des anciens gouvernements citadins mais souvent dans une perspective idéologique d’exaltation du libéralisme bourgeois. Tel est le cas d’Auguste Janvier, qui fait paraître en 1851 une Notice historique sur la milice amiénoise, dans laquelle, après avoir brièvement exposé les modalités du service militaire bourgeois, il s’applique à faire l’apologie de l’abnégation et de la bravoure des Amiénois au service de la Couronne et de la ville, ce qui leur a valu la jouissance de privilèges étendus. C’est la raison pour laquelle cette présentation s’interrompt avec l’évocation de la prise d’Amiens par les Espagnols, le 11 mars 1597, qui aurait précipité la ruine politique de la ville et le déclin de la milice. Pourtant, c’est au XVIIe siècle et au siècle suivant que les archives communales se révèlent les plus riches sur ce sujet. Il est vrai que, de prime abord, ces sources s’avèrent quelque peu décevantes, consistant, pour l’essentiel, en textes réglementaires, en demandes d’exemption et en listes d’amendes infligées aux bourgeois réfractaires. La documentation disponible aurait donc tendance à corroborer le jugement négatif que l’on porte ordinairement sur le service militaire bourgeois, qui serait devenu complètement obsolète au XVIIe siècle, surtout à partir du règne personnel de Louis XIV sous l’effet de la fameuse « révolution militaire1 » et des progrès de l’absolutisme monarchique accompagnant la « sanctuarisation du royaume2 ».
2Néanmoins, un examen approfondi des sources révèle que, malgré les événements de 1597, à Amiens, le service militaire bourgeois conserve une très grande importance dans le premier tiers du XVIIe siècle, tant pour la royauté que pour la municipalité. En effet, jusqu’en 1659 et l’annexion de l’Artois, la capitale picarde reste « une des clefs du royaume », une place frontière d’une valeur stratégique considérable et de surcroît très exposée aux troubles intérieurs qui ont marqué le début du règne de Louis XIII et aux dangers de la guerre contre l’Espagne à partir de 1635. Cependant, il n’y a pas que du point de vue militaire que la citoyenneté en armes garde toute sa pertinence dans une ville qui est également engagée, pendant toute cette période de transition dans un difficile processus de reconstruction économique et démographique, mais aussi politique, sociale et culturelle, au sortir des conflits, civils et étrangers, du dernier tiers du XVIe siècle. Il s’agira donc de montrer que le service militaire bourgeois a pu apparaître aux yeux des dirigeants amiénois comme l’un des instruments privilégiés d’une reconstruction identitaire de la communauté citadine dans la mesure où il pouvait contribuer à refonder des liens solides entre la ville et la Couronne, entre le corps de ville et le reste des habitants et entre les bourgeois eux-mêmes, en tant que membres d’une collectivité soudée, bien policée et consciente d’elle-même.
- 3 B. Chevalier, Les bonnes villes de France du XIVe au XVIe siècle, Paris, Aubier-Montaigne, 1982.
3Certes, au vu des problèmes que génère le service militaire bourgeois au cours des années 1610-1630, on serait tenté de douter de l’efficacité de cette stratégie. Néanmoins, il importe de tenir compte, tout d’abord, du contexte local, particulièrement calamiteux, lequel a largement contribué à aggraver certains défauts intrinsèques du système, fragilisé de l’intérieur par une exacerbation des tensions sociales et de l’extérieur par une volonté de contrôle accru du gouvernement citadin de la part de la monarchie. Par ailleurs, on doit toujours se méfier de l’effet de source et on peut se demander si tous ces conflits ne sont pas la preuve, a contrario, de l’attachement encore très fort que portent les bourgeois à cette institution et, donc, de l’intériorisation d’une culture civique, pas encore frappée de caducité, même si elle entre de plus en plus en contradiction avec le nouvel ordre politique et social qui se met alors en place dans les « bonnes villes du royaume3 ».
Le rôle du service militaire bourgeois dans une ville frontière
La restauration de la milice en 1598 : une décision a priori étonnante
- 4 Archives communales d’Amiens (AC Amiens), EE 14, pièce no 1.
- 5 AC Amiens, EE 9, pièce no 1.
4En septembre 1598, soit moins de six mois après la signature de la paix de Vervins, alors qu’elle avait été suspendue un an plus tôt, la garde bourgeoise est rétablie à Amiens « en la manière accoustumée4 ». Dorénavant, la surveillance des remparts et des portes fortifiées sera assurée par des « compagnies d’habitants », constituées de cent hommes chacune, commandées par un capitaine, deux lieutenants, un enseigne et un sergent, nommés par le gouverneur de la ville, et réparties en « portes » c’est-à-dire en escouades de quinze hommes (dix portiers et cinq guetteurs), elles-mêmes dirigées par six chefs de portes, désignés par l’échevinage. C’est également lui qui est chargé d’inscrire sur les registres des portes les hommes mariés valides, « capables de porter les armes », de s’assurer qu’ils s’acquittent convenablement de cette obligation et, dans le cas contraire, de les sanctionner, sous forme d’amendes et de prison. On prévoit aussi de faire la « garde ou guet stationnaire », dont la finalité est d’assurer la sécurité intérieure, de jour comme de nuit, en plaçant des escouades de dix hommes, appelées « dizaines » et commandées par un « dizainier » dans les dix quartiers qui subdivisent la ville. Reprennent également du service les six « compagnies privilégiées » d’archers, d’arbalétriers, de couleuvriniers, d’arquebusiers et de joueurs d’épée, auxquelles il est d’usage d’attribuer des postes de confiance sur le rempart et à l’intérieur de la ville, si nécessaire5.
- 6 O. Carpi, Une république imaginaire. Amiens pendant les troubles de religion (1559-1597), Paris, B (...)
- 7 O. Carpi, Une république imaginaire…, p. 223-224.
5Cette organisation n’est pas celle qui prévalait depuis le Moyen Âge mais celle qui a été mise en place par la municipalité ligueuse, en juin 1588, juste après l’adhésion de la ville à la Sainte Union. À ce moment, sur le modèle parisien, on crée vingt-et-un capitaines, affectés aux dix quartiers de la ville, nommés par l’échevinage à titre viager et ayant pouvoir de frapper d’amendes les bourgeois récalcitrants à la garde et de les faire comparaître devant l’échevinage. Cassé en septembre 1588 par Henri III, qui ne souhaitait pas qu’il pût contribuer à renforcer l’emprise des ligueurs sur la ville, ce système avait été restauré lors de l’entrée d’Amiens en révolte contre le roi, le 26 décembre 1588 et maintenu par Henri IV, après la réduction à l’obéissance de cette dernière en août 15946. On pourrait s’en étonner, sauf si l’on garde à l’esprit que le Bourbon s’est souvent inspiré de ce qui se faisait dans la capitale pour réformer le gouvernement de certaines cités, au lendemain de la guerre civile. C’est en l’occurrence ce qui se produit à nouveau, en novembre 1597, quand il redéfinit la constitution municipale de la métropole picarde, après l’avoir reconquise sur les Espagnols, en septembre7.
- 8 O. Carpi et J. J. Ruiz Ibáňez, « Les noix, les espions et les historiens. Réflexion sur la prise d (...)
6Ce qui surprend le plus, c’est plutôt que le monarque ait autorisé le rétablissement de la milice bourgeoise, malgré le cuisant échec qu’elle a essuyé le 11 mars 1597, quand les Espagnols ont réussi à s’emparer de la ville par « surprise ». Certes, on peut invoquer plusieurs circonstances atténuantes pour expliquer cette défaillance grave de la défense amiénoise, qui est au demeurant pris en faute pour la première fois de son histoire8. Il n’empêche que le souverain rejette explicitement l’entière responsabilité de cette catastrophe sur les bourgeois, taxés de « néglicence » et de présomption, à cause des
- 9 AC Amiens, AA 39, pièce no 5.
« difficultés qu’ils ont faictes de recevoir les Suisses que nous avions proposé de mettre en leurs faubourgs pour aider à faire leur garde et le peu de devoir qu’ils ont rendu après avoir été surpris à se défendre […], à quoy ils estoient autant et plus obligez qu’aucuns autres des habitans des villes de nostre royaume pour l’honneur que les rois nos prédécesseurs leur avoient faict de se reposer sur eux de la garde et défense de nostre dite ville, joint au soin qu’ils devoient avoir de la conservation d’eux mesmes9 ».
7C’est la raison pour laquelle, alors que la guerre n’était pas encore terminée et que la ville était dépeuplée par la peste, Henri IV avait cru bon, en septembre 1597, d’y mettre une garnison et de nommer un gouverneur militaire, au mépris des privilèges de la ville, exemptée de garnison et de gouverneur par Louis XI, en 1471, lors de son rattachement au domaine de la Couronne. Toutefois, dans le cas d’une ville qu’il a reprise « par la force et comme par droit de guerre », le roi peut se permettre de contrevenir aux « droits franchises et privilèges » de cette dernière voire de les lui retirer, dans la mesure où il ne les considère plus comme mérités. Ainsi, l’édit qu’il prend en novembre 1597 fait
- 10 Ibid.
« inhibition et défense à l’échevinage de prendre doresnavant aucun commandement aux portes, murailles et fossés et généralement de tout ce qui appartient à la défense et seureté de ladite ville et qui dépend des armes sinon qu’en tant qu’il leur sera ordonné par le gouverneur et lieutenant général de la province ou le gouverneur de la ville10 ».
8Pour faire bonne mesure, Henri IV ordonne l’érection d’une citadelle à l’endroit même où les Espagnols ont pénétré dans la ville.
- 11 Ibid., EE 20, pièce no 5.
- 12 Ibid., EE 157.
- 13 Ibid., EE 322, pièce no 1.
9Cependant, un an plus tard, le roi accepte que la milice bourgeoise soit restaurée, « ayant reconnu la grande despence de l’entretenement d’une garnison » et ne jugeant plus utile, une fois la paix revenue, de maintenir dans la place de gros effectifs de soldats, cantonnés dans la citadelle, tandis que la garde de la ville est laissée aux bourgeois11. Il rejoint en cela le vœu des édiles amiénois, également désireux de se libérer du fardeau financier que constituent pour une ville criblée de dettes l’hébergement et la nourriture des gens de guerre. Dans une lettre adressée à un gentilhomme qu’on suppose être le gouverneur de la ville en partance, l’échevinage explique, en effet, que le maintien d’une garnison dans la ville pourrait l’empêcher de « se remectre », étant donné sa « pauvreté » et la « grande incommodité » qu’elle apporte aux habitants12. Plus tard, dans une remontrance au roi datant de 1614, on va plus loin dans l’argumentaire contre la citadelle et la garnison, en mettant notamment en avant les mauvais traitements infligés aux civils par des soldats bénéficiant d’une sorte d’impunité de fait et le préjudice économique et fiscal qu’ils occasionnent à la ville et au roi, en obligeant les marchands à verser de fortes sommes d’argent pour entrer ou sortir de la cité, en plus des redevances qu’ils paient déjà, en faisant « la traicte des bleds » et la contrebande du sel ou en « donnant escorte à ceulx qui transportent l’or et l’argent et marchandises défendus hors du royaume13 ».
- 14 Ibid., EE 12 et EE 13.
- 15 Bibliothèque de la Société des Antiquaires de Picardie, manuscrits, BC 6, « Manuscrits ou œuvres o (...)
10On lie donc explicitement la prospérité de la ville, à laquelle le roi lui-même a intérêt fiscalement parlant, à une réduction de la présence militaire au profit de la garde bourgeoise, qui ne présente pas tous ces inconvénients et qui possède surtout le grand avantage de ne rien coûter au roi et au corps de ville. C’est, en revanche, très pesant, pécuniairement et physiquement, pour les bourgeois, qui doivent payer leur équipement, ainsi que « le feu et la chandelle » équipant les postes de garde, mais aussi employer à ces factions diurnes et nocturnes un temps précieux, qu’ils pourraient utiliser à gagner leur vie et à se reposer. On comprend alors que, bien avant 1597 où elle s’est révélée au grand jour, la milice bourgeoise ait souffert de certains dysfonctionnements, en raison des dispenses sollicitées par les officiers royaux et les notables et des nombreuses défections, malgré la menace d’amendes et de prison. À plusieurs reprises, en 1557, 1569 et 1586, il a même fallu que le roi intervienne, à la demande de l’échevinage, pour rappeler leur devoir aux bourgeois, même « les plus riches et opulens14 ». De même, en 1579 et en 1595, un échevin avait alerté ses collègues et proposé des solutions drastiques à ces problèmes, comme d’imposer la peine de la « hart » ou de la pendaison aux défaillants récidivistes ou de professionnaliser la garde de la ville en mettant, à chaque porte, « douze honnestes hommes de guerre esprouvez et expers », payés sur le produit des amendes prélevées sur les bourgeois absentéistes et chargés de monter la garde mais aussi de surveiller les bourgeois et de les former au maniement des armes. Il suggérait également de créer deux nouvelles compagnies privilégiées, une de mousquetaires et une de piquiers, pour soutenir « les communs bourgeois » et « obéissant aux commandements de l’échevinage comme les soldats du roi15 ». Probablement jugées trop radicales, contraires aux usages et trop coûteuses, ces mesures ne furent pas adoptées par l’échevinage, qui se contenta d’instaurer, en 1580, un prix de tir au mousquet pour encourager les bourgeois à s’entraîner à l’utilisation de cette arme.
La milice amiénoise à l’épreuve des conflits du premier tiers du XVIIe siècle
- 16 AC Amiens, EE 8.
11En dépit de ses défauts, il a néanmoins semblé judicieux au roi et à la municipalité de rétablir la milice bourgeoise, lesquels étaient vraisemblablement convaincus de sa capacité à assurer la « conservation de la ville ». Précisons que, jusqu’au milieu du XVIIe siècle, Amiens est « le chef ville de ce pais de Picardie, assise en frontière, de grand circuit et estendue, de telle importance, comme chacun scait, pourquoi elle a besoin estre garnie de gens de deffense » pour garantir sa « seureté16 ». Étant donné que la royauté n’a pas les moyens d’entretenir de grosses garnisons sur tous les points vulnérables du royaume, la milice bourgeoise apparaît, par conséquent, comme une force d’appoint d’autant plus appréciable que, dans le cas d’Amiens, ce sont les officiers royaux qui en détiennent le commandement, et non plus le corps de ville, ce qui peut être vu comme un gage de fiabilité, ceux-ci possédant des moyens de rétorsion plus importants que l’échevinage.
- 17 Ibid., AA 49. A. Janvier, Notice historique sur la milice amiénoise, milice communale, garde bourge (...)
12Ainsi, lors des révoltes nobiliaires qui émaillent le début du règne de Louis XIII, puis lors de l’entrée en guerre contre l’Espagne et surtout après la prise de Corbie en 1636, on constate, dans les lettres qu’il adresse à l’échevinage, que le souverain compte toujours sur les bourgeois pour « faire bonne garde », en appelant à « leur fidélité ancienne et esprouvée et à l’affection qu’ils ont toujours eue au bien de l’estat et au service du roi » et se disant assuré de leur résolution à défendre la ville « avec la constance à laquelle leur honneur, leur conscience et leur propre salut les obligent […], aimant bien mieux conserver par leur courage et fidélité leurs biens, honneur et vie que d’attirer sur eux par aucune lâcheté une infamie perpétuelle et leur propre ruine17 ».
- 18 F. Pouy, Concini, maréchal d’Ancre, son gouvernement en Picardie (1611-1617), Amiens, Imp. de A. D (...)
- 19 AC Amiens, EE 9, pièces no 2 et no 14. A. Janvier, Notice historique sur la milice amiénoise…, p. (...)
13Sachant que, dans les années 1610, la ville est très disputée entre son gouverneur, Concino Concini, très impopulaire auprès de la population, et celui de la province, le jeune duc de Longueville, qui fait partie des grands seigneurs « mécontents » et qui dispose de nombreux soutiens dans la cité, le monarque n’a, en fait, d’autre alternative que de faire confiance aux bourgeois pour « la manutention de la ville sous son autorité obéissance et soumission18 ». C’est encore plus vrai en 1636, où Amiens se retrouve en première ligne face à l’envahisseur et dépourvue des troupes qui y stationnaient, envoyées à Corbie. Or, à chaque fois, cette confiance n’est pas déçue. Malgré le mécontentement que suscite l’autoritarisme de Concini, à l’origine d’une émeute populaire en 1614 et malgré la présence au sein de l’échevinage de clients d’Henri d’Orléans, duc de Longueville, gouverneur de Picardie, Amiens fait preuve d’une loyauté sans faille envers le roi, à la différence de Péronne, sa voisine, qui ouvre grand ses portes au duc, en août 1616. Il en va de même en 1619-1620, lors du soulèvement de la reine mère contre son fils et encore en 1635-1636, où les bourgeois tiennent bon face aux troupes espagnoles, alors qu’une virulente attaque de peste décime les rangs de la milice et la désorganise. De même, en 1615 et en 1635-1636, les privilégiés prêtent main-forte à l’armée royale en conduisant les canons de la ville à Clermont, assiégée par Concini, et aux villages de Vaux et de Picquigny, pour protéger les passages sur la Somme19.
- 20 AC Amiens, EE 9, pièce no 15, EE 15, pièce no 4, EE 16, EE 18, pièce no 2, EE 22, EE 23, pièce no (...)
- 21 Ibid., EE 18, pièce no 8.
- 22 AC Amiens, EE 322, pièce no 1. Bibliothèque municipale d’Amiens (BM Amiens), mss, M 3729, no 16, « (...)
14Certes, les gouverneurs de la ville ont pris leurs précautions, en renforçant les défenses de la citadelle et en promulguant des règlements sur la garde bourgeoise, en 1612, 1616, 1619, 1635, 1637, 1638 et 1640, certains ayant même été imprimés pour plus d’efficacité20. Cependant, rien n’aurait été possible si l’échevinage, chargé de superviser la garde bourgeoise, n’avait pas mis un point d’honneur à s’acquitter de sa fonction, prenant même l’initiative, en l’absence du gouverneur, en 1635, de faire participer les ecclésiastiques et les veuves, d’enrôler la jeunesse et d’assujettir les habitants de la ville et de sa banlieue à la corvée pour les faire travailler aux remparts21. Les bourgeois également se sont montrés à la hauteur de ces attentes, eux aussi convaincus que « nul n’est si bon gardien du bien que celui à qui il appartient » et que les habitants de la ville « ne peuvent avoir trop en recommandation la conservation de leurs biens, parents et amis ». Tel est le point de vue que l’échevinage développe en 1614 et en 1616, à la faveur de la réunion des États généraux et de la signature de la paix de Loudun entre Louis XIII et les Grands, dans des requêtes au roi en vue d’obtenir le démantèlement de la citadelle ou tout du moins son incorporation dans l’appareil défensif de la ville et le départ de la garnison22. Non contents de souligner le danger que la citadelle constituerait si elle tombait entre de mauvaises mains et le fait qu’un tel dispositif n’a plus lieu d’être, alors qu’il y a désormais à Amiens « douze mille hommes et plus portant armes […] en nombre suffisant pour garder la ville sous la conduicte du gouverneur de la province […] et qui ne sont autres que très humbles et très affectionnez serviteurs de Sa Majesté », les auteurs de ces discours insistent également sur le fait qu’Amiens est la capitale de la province et qu’« en ceste qualité elle doibt estre relevée en dignité et privilège par dessus les autres et ne peut estre si florissante ni abondante en commerce et traffic estant asservie sous le joug d’une citadelle que si elle estoit libre ». On en déduit aisément que, dans le premier tiers du XVIIe siècle, le service des armes par les bourgeois n’a pas qu’une incidence militaire et que, dans l’esprit de ses dirigeants, il sert aussi les intérêts économiques et politiques de la ville, qui aspire à recouvrer un peu de sa richesse, de sa puissance et de son prestige passés, au lendemain des guerres du dernier tiers du XVIe siècle, dont elle paie chèrement les conséquences.
Les vertus de la citoyenneté armée
Une institution « utile au publicq »
- 23 J. J. Ruiz Ibáñez, « De la guerre civile à la guerre royale : les Espagnols à Amiens en 1597 », O. (...)
15De 1588 à 1598, Amiens a été mise à rude épreuve, pendant la dernière des guerres de Religion, celle de la Ligue, puis celle qu’Henri IV a déclarée, en janvier 1595, à Philippe II, synonymes d’une intense mobilisation des habitants, de difficultés d’approvisionnement, de cessation du commerce, de chômage, de pauvreté, de disette, d’épidémies, d’accroissement de la pression fiscale, d’augmentation de la dette publique, d’une occupation étrangère et d’un siège extrêmement éprouvant en 1597, mais aussi de graves divisions au sein de la communauté citadine, entre ligueurs et royalistes, entre hispanophiles et « bons Français », ce qui a entraîné des arrestations, des emprisonnements, des privations de charges et des promotions irrégulières, des extorsions de fonds, des bannissements temporaires ou des exils volontaires, des émotions populaires, des conspirations et l’exécution de certains de leurs protagonistes23. Or, si, à l’été 1594, Amiens a bénéficié de la part d’Henri IV de la même clémence que les autres composantes de la Sainte Union et si elle a finalement été délivrée de l’ennemi, en septembre 1597, la ville souffre par la suite des séquelles profondes et durables de ces dix ans de conflit, à commencer par le complet bouleversement politique qu’elle a connu en novembre 1597, avec la restriction drastique des effectifs, des prérogatives et des ressources du corps de ville, placé en outre sous la tutelle des gens du roi. Il incombe cependant à l’échevinage, garant du « bien commun », de tâcher de remédier à tout cela, en réaffirmant le pouvoir municipal, affaibli et discrédité, tout en refaisant la cohésion de la communauté citadine par le biais, notamment, de l’exaltation de valeurs consensuelles et de la promotion de pratiques collectives ou d’institutions capables de produire du lien social et de réguler les éventuelles tensions entre les habitants. Et il semble que, pour ce faire, le maintien du service militaire bourgeois ait été considéré par les édiles comme un précieux atout.
- 24 AC Amiens, BB 56, f° 38v°.
16Parce que les capitaines de compagnies et les chefs de portes sont autorisés à prendre part à la désignation annuelle de l’équipe municipale, cela permet, en premier lieu, de conforter la légitimité de l’échevinage, qui est privé de maire, remplacé par un premier échevin nommé par le roi, et qui a été ramené de vingt-cinq à sept membres, élus par un collège restreint et issus en majorité du monde de la robe et des offices. De cette manière, les échevins apparaissent un peu moins comme les hommes du roi et un peu plus comme l’émanation de la sanior pars de la bourgeoisie. Ce n’est donc pas un hasard si la milice bourgeoise est reconstituée en septembre 1598, juste avant le déroulement, le 25 de ce mois, du premier « renouvellement de la loi » selon les règles dictées l’année précédente par le roi24.
- 25 P. Deyon, Amiens, capitale provinciale. Étude sur la société urbaine au XVIIe siècle, Amiens, CRDP (...)
17D’autre part, la supervision de la garde donne la possibilité à l’échevinage de peser un peu plus face au nouveau gouverneur de la ville mais aussi de faire ressentir son autorité aux habitants. Dans le même ordre d’idées, l’échevinage peut s’appuyer sur la milice dans l’exercice de la « police », à laquelle ses compétences se bornent dorénavant, tout d’abord pour maintenir ou rétablir l’ordre, ce qui s’est effectivement passé lors des émeutes frumentaires ou antifiscales de 1614, 1628, 1630 et 163625. Pour l’échevinage qui ne possède plus, comme autrefois, la justice civile et criminelle et qui ne peut plus s’appuyer que sur un petit nombre d’officiers, la milice fait également figure de relais entre les habitants et lui. Étant donné que les cadres de celle-ci sont, pour la plupart, des membres de l’échevinage et des notables, jouissant d’une certaine influence sur leurs concitoyens, la milice permet, en effet, de faciliter la transmission et l’exécution des prescriptions de l’échevinage, mais aussi de régler de manière informelle les litiges pouvant résulter de leur mise en œuvre.
18Pour finir, la milice contribue à structurer et à stabiliser la communauté citadine en intégrant les bourgeois dans des réseaux de sociabilité relativement contraignants et en développant d’étroites solidarités, produites par la récurrence des tâches assumées en commun et se surajoutant à celles qu’engendrent déjà la famille, le voisinage, le travail, la pratique religieuse et les loisirs. C’est particulièrement net en ce qui concerne l’appartenance aux compagnies priviligiées, qui suppose des entraînements hebdomadaires, des réunions périodiques pour l’administration de la confrérie, la participation à des cérémonies religieuses et à des réjouissances comme la célébration de la fête annuelle du saint patron. Toutefois, même les bourgeois n’ayant pas les moyens financiers d’adhérer à ce type d’association, plutôt onéreuse, font aussi l’expérience de la convivialité et de l’entraide, simplement en s’acquittant de leurs obligations militaires, ce qui les amène à passer de longues heures ensemble, à partager des repas, à discuter, à échanger des idées, à s’épauler dans la préservation de leur cadre de vie et de tout ce qu’il recèle, du point de vue matériel, affectif et symbolique.
- 26 D. Crouzet, « Écriture de l’Histoire et idéologie urbaine. Lyon au Grand Siècle », M. Acerra, J.-P (...)
19Bien que très attachés à leur quartier, les bourgeois n’oublient pas non plus qu’ils sont autant d’éléments d’un tout organique, dont l’unité et la force se donnent à voir lors des grands défilés en armes, en bon ordre, au son de la musique et bannières déployées, à l’occasion des grands événements politiques et religieux qui scandent la vie citadine, comme le « renouvellement de la loi », une « joyeuse entrée » ou la procession générale du Saint-Sacrement, à l’Ascension. Ainsi, le maintien du service militaire s’inscrit parfaitement dans la perpétuation délibérée, par les édiles amiénois, d’une culture civique ancienne mais toujours d’actualité parce que valorisante et fédérative, axée sur l’exaltation de l’« honneur » de la ville. C’est la raison pour laquelle, après 1597, l’échevinage s’obstine à faire les choses « en la manière accoustumée », spécialement pour tout ce qui touche au décorum et aux aspects rituels de l’exercice du pouvoir municipal, ce qui explique, par exemple, le transfert en faveur du premier échevin de tous les attributs honorifiques du « maieur », comme le palefroi, l’escorte de trois sergents de nuit, le bonnet de velours et la bourse azurée et vermeille, frappée de lys d’or et des armes de la ville et renfermant les sceaux de cette dernière, ou encore les funérailles publiques en grande pompe. L’échevinage va même plus loin en sollicitant, à plusieurs reprises, après la mort d’Henri IV et lors de la visite à Amiens, en 1625, des trois reines, Marie de Médicis, Henriette d’Angleterre et Anne d’Autriche, en route pour Calais, la « réformation » de l’édit de novembre 1597 sur quelques points essentiels pour la « dignité » de la ville, comme la récriture de sa « préface scandaleuse », afin qu’il n’y soit plus question de la « faute » des bourgeois, à qui l’on prétend qu’Henri le Grand aurait finalement pardonné, ou encore la restitution du titre de « maieur » ou le passage de sept à douze échevins. Cette propension à entretenir une sorte de « mythique communale » s’observe également dans la production littéraire locale, louant la grandeur passée de la ville, déplorant son abaissement présent et plaidant auprès du roi ou des Grands, à qui ces « écrivains citoyens » dédidacent leurs œuvres, afin que lui soient rendus ses privilèges26. Qu’importe si ces démarches n’ont pas abouti, elles témoignent avant tout de la permanence et de l’instrumentalisation par l’élite citadine d’un système de représentations toujours signifiant, en attendant que s’opère la recomposition idéologique allant de pair avec la reconfiguration institutionnelle du gouvernement citadin et dans le sens d’une conversion à l’absolutisme monarchique.
Un système pénalisé par la conjoncture mais toujours performant
- 27 AC Amiens, EE 16, no 2.
- 28 Ibid., EE 18, pièces no 2, 5, 6, 7, 8 et 9 et EE 20, pièces no 1 à 11.
20Que, pour différents motifs, le service militaire bourgeois ait été paré de toutes les vertus par les dirigeants amiénois n’implique pas qu’il ait forcément bien fonctionné. Au contraire, dans les années 1610-1630, il est à l’origine de vives tensions entre les gouverneurs et l’échevinage mais aussi entre les habitants. Déjà, dans les années 1610, l’échevinage apprécie peu l’immixtion de Concini dans ce qui relève de ses attributions, pourtant reconnues par le souverain. Il se fait également le porte-parole du mécontentement des habitants, en butte aux « insolences » des soldats de la citadelle et victimes de la destruction de tout un quartier que le gouverneur a ordonnée pour renforcer cette dernière27. Cependant, c’est surtout à partir de 1635 que les relations avec le gouverneur se dégradent le plus, quand le duc de Chaulnes revendique la responsabilité exclusive de la défense de la ville, se heurtant à la résistance de l’échevinage qui n’hésite pas à braver ses ordres et à se tourner vers le roi pour obtenir gain de cause28.
21Le contexte de troubles civils ou de guerre étrangère a beaucoup joué dans le développement de ces conflits, incitant les gouverneurs à redoubler de vigilance et de sévérité pour assurer leur propre sauvegarde, celle de la place et du royaume. De même, une grande part de ces malentendus et de cette animosité entre eux et l’échevinage découle aussi de leur statut de favori d’origine étrangère ou de grand aristocrate, qui les rend peu sensibles aux susceptibilités locales et, à l’inverse, très sourcilleux quant à l’obéissance qui leur est due. Ainsi, Honoré d’Albert, seigneur de Cadenet et duc de Chaulnes, gouverneur de Picardie (1633-1643), menace plusieurs fois des membres du corps de ville de les rosser, de les jeter dans un cul de basse-fosse ou de les « exterminer », c’est-à-dire les chasser de la ville, pour « se venger d’eux », les obligeant à supplier le roi de les prendre sous sa protection.
- 29 AC Amiens, AA 39, pièce no 15 et BM Amiens, mss, M 1721, « Les eschevins de la ville d’Amiens supp (...)
22Toutefois, c’est à l’échevinage que le souverain donne raison en 1636, ce qui n’empêche pas l’échevinage de continuer à militer pour que de sérieux amendements soient apportés au système de gouvernance militaire de la ville instauré en 1597. Dans les remontrances, qui s’échelonnent entre 1614 et 1644, on en dénonce inlassablement les effets pervers, dans la mesure où cela revient à confier « un pouvoir extraordinaire » à un individu « susceptible de trahison et de faiblesse » et qui peut être tenté d’en abuser au détriment de la ville et du roi, en s’érigeant en véritable despote29. Certes, l’échevinage amiénois n’espère sans doute pas recouvrer le commandement militaire de la ville mais s’efforce vraisemblablement de préserver un partage des tâches, même inégalitaire, entre les agents du roi et les élus de la bourgeoisie et, par là même, un certain équilibre social et politique dans le gouvernement de la cité, condition sine qua non, selon eux, de sa pérennité et son efficacité.
- 30 Ibid., EE 9, pièce no 3; EE 14, pièce no 9.
- 31 Ibid., EE 46 à 64.
23On constate que cette intransigeance de l’échevinage au sujet de la garde s’applique aussi aux bourgeois, dont il refuse presque systématiquement les demandes d’exemption, même lorsqu’elles semblent valables, procédant à de méticuleuses enquêtes pour en vérifier le contenu et sévissant sévèrement contre tous ceux qui ont essayé de se soustraire à leurs obligations. Car à peine est-il remis en vigueur que le service militaire suscite les mêmes réticences qu’auparavant chez certains bourgeois, alléguant de « quelque ombre de privilège » pour y échapper30. C’est encore pire lorsque la ville est en péril : en 1615 et en 1635, certains privilégiés refusent d’accompagner le canon de la ville sur le champs de bataille et, à compter de 1630, les demandes d’exemptions se multiplient de la part de bourgeois arguant de leur « caducité » c’est-à-dire de leur « ancien aage », de leur infirmité, de la maladie, de leur pauvreté ou de tout cela à la fois pour être dispensés de la garde, versant dans un pathos qui prête souvent à sourire31.
24Néanmoins, à y regarder de plus près, même en admettant que tous les documents n’aient pas été conservés, on s’aperçoit que les personnes concernées ne sont qu’une toute petite minorité par rapport aux effectifs incorporés dans la milice, soit quelques dizaines d’individus, au pire un peu plus d’une centaine sur les « douze mille hommes et plus » qui sont déclarés porter les armes par l’échevinage dans les années 1610. Par ailleurs, alors que le contexte de guerre extérieure et d’attaque pesteuse alourdit fortement la charge physique et pécuniaire que constitue la garde de la ville pour ceux qui y sont assujettis, il n’est pas si étonnant que les demandes de dispense se multiplient. De fait, beaucoup invoquent pour l’obtenir la « despense » exorbitante que cela constitue pour eux, requérant de pouvoir travailler le jour pour pouvoir se nourrir au risque d’être réduits à la mendicité. On comprend qu’ils soient tentés d’alléger ce fardeau en s’arrangeant également pour faire « mectre à la porte », autrement dit pour faire inscrire sur les registres tenus par l’échevinage, d’autres habitants qui, de leur côté, dénoncent ce procédé comme une « vengeance » de la part de leurs « voisins haineurs » ou « envieux ».
- 32 Ibid., EE 19, pièce no 3.
- 33 Ibid., EE 51.
25Ces accusations témoignent, en fait, de l’existence, dans les années 1620-1630, d’un malaise social, qui se traduit par une accentuation des inégalités et par une exacerbation des tensions entre les nantis et les plus modestes, mais aussi au sein de la classe laborieuse et qui se répercutent sur le fonctionnement de la milice. En 1636, par exemple, un capitaine de la compagnie de la jeunesse émet le vœu de démissionner, après avoir déménagé, parce qu’il n’entend pas, dans son nouveau quartier, « estre réduict à obéir après avoir commandé et à suivre ceulx qu’il aura précédés32 ». Au même moment, les officiers de finance sont « traités avec rigueur par leurs compagnons portiers », qui ne leur passent rien, même quand ceux-ci, souvent absents, paient déjà quelqu’un pour les remplacer ou quand ils essuient, eux aussi, des revers de fortune33. Cependant, c’est surtout de la part des « mécaniques » que remontent le plus de plaintes vers l’échevinage, émanant de travailleurs du textile ou de jeunes artisans non mariés, venant juste d’ouvrir leur affaire, que les habitants de leur quartier font mettre à la porte afin de les empêcher de se livrer à leur activité et de faire la besogne à leur place, en ces temps où il n’y en a pas pour tout le monde. Sont également visés les réfugiés en provenance des endroits occupés par les Espagnols, victimes d’un réflexe xénophobe de la part des Amiénois de souche, qui ne semblent guère compatir à leur malheur.
- 34 Ibid., EE 23, pièces no 1 et 2.
- 35 AC Amiens, EE 12.
26Il faut pourtant se garder de noircir le tableau. Dans cette documentation, on voit aussi des vieillards se vanter d’avoir « rendu service au roi et au publicq depuis quarante ans et plus comme bon et fidèle habitant », expression d’une authentique fierté de la part de ces bourgeois pour qui le service militaire demeure un élément de définition sociale et une source de considération de la part de leurs semblables34. De même, la plupart de ceux qui demandent à être exemptés de la garde des portes proposent, en échange, soit de se faire remplacer, par un membre de leur maison ou en payant quelqu’un, soit de faire le guet de nuit pour les moins aisés, ce qui leur permettrait de travailler le jour sans manquer à leur devoir. Que la crainte d’être mis à l’amende voire d’être emprisonné puisse inspirer ces bonnes intentions est indéniable. Toutefois, cela vaut surtout pour les plus modestes et n’implique pas nécessairement un défaut d’authenticité de ces déclarations qui témoignent de l’attachement des bourgeois au service militaire comme un des fondements de leur identité. Il s’agit effectivement pour eux d’une bourgoisie vécue, qui excède largement la simple définition juridique de ce statut. C’est pourquoi les habitants de la ville se montrent si durs envers les réfugiés qui vivent à l’abri dans la ville, y travaillent ou bénéficient de l’assistance publique pendant des mois voire plus longtemps, au nom du principe qu’il ne suffit pas de « résider actuellement et sans fraude avec femme et enfants l’espace d’un an entier, sans aucune discontinuation » pour se dire bourgeois de la ville et bénéficier de tous les avantages que cela procure. Cela suppose aussi de « soustenir les charges pour lesquelles lesdits privilèges ont été octroyés » et donc « de faire le service de la garde et autre service comme tous les autres vrais bourgeois manans et habitans d’icelle ville35 ».
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27De cette étude, il ressort donc qu’il importe de nuancer quelque peu les jugements péjoratifs qui ont été portés sur le service militaire bourgeois en France au XVIIe siècle, dans la mesure où, à Amiens, entre 1598 et 1640, il conserve une réelle vitalité, malgré les facteurs externes et internes de déréliction auxquels il est soumis pendant une période cruciale caractérisée par la recomposition politique, sociale et idéologique de la communauté citadine, après la crise qu’elle vient de traverser, alors même qu’elle pâtit des effets d’une nouvelle conjugaison de problèmes. À cet égard, la milice apparaît bien comme une sorte de miroir de la société citadine, dont elle souligne certes les failles, qu’elle a même tendance à exagérer, tout en mettant en lumière la survie, en son sein, d’une culture civique, qui ne doit pas être disqualifiée parce qu’elle a tendance à s’exprimer en termes négatifs, ce qui tient, pour beaucoup, à la conjoncture.
28La question se pose alors de la spécificité d’Amiens, qui se singularise d’autres villes marquées à la même époque par le déclin du service militaire bourgeois. Cela tient sans doute à sa situation de ville frontière, où la notion de communauté en armes continue de faire sens aux yeux des habitants et des dirigeants de la ville bien que d’autres conceptions de la citoyenneté et de l’administration de la république urbaine commencent à se faire jour.
Notes
1 G. Parker, La Révolution militaire. La guerre et l’essor de l’Occident (1500-1800), 1988, éd. fr., Paris, Gallimard, 1993.
2 L. Coste, « Les milices bourgeoises en France », J.-P. Poussou (dir.), Les Sociétés urbaines au XVIIe siècle. Angleterre, France, Espagne, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2007, p. 175-188. G. Saupin, « La milice bourgeoise ? Relais politique fondamental dans la ville française d’Ancien Régime. Réflexions à partir de l’exemple de Nantes », B. Dumons et O. Zeller (dir.), Gouverner la ville en Europe. Du Moyen Âge au XXe siècle, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 73-90.
3 B. Chevalier, Les bonnes villes de France du XIVe au XVIe siècle, Paris, Aubier-Montaigne, 1982.
4 Archives communales d’Amiens (AC Amiens), EE 14, pièce no 1.
5 AC Amiens, EE 9, pièce no 1.
6 O. Carpi, Une république imaginaire. Amiens pendant les troubles de religion (1559-1597), Paris, Belin, 2005, p. 129-130.
7 O. Carpi, Une république imaginaire…, p. 223-224.
8 O. Carpi et J. J. Ruiz Ibáňez, « Les noix, les espions et les historiens. Réflexion sur la prise d’Amiens (11 mars 1597) », Histoire, Économie et Société, 23e année, no 3, juillet-septembre 2004, p. 323-348.
9 AC Amiens, AA 39, pièce no 5.
10 Ibid.
11 Ibid., EE 20, pièce no 5.
12 Ibid., EE 157.
13 Ibid., EE 322, pièce no 1.
14 Ibid., EE 12 et EE 13.
15 Bibliothèque de la Société des Antiquaires de Picardie, manuscrits, BC 6, « Manuscrits ou œuvres originaux de Claude Lemastre, sieur de Haidicourt, citoyen et eschevin d’Amiens concernant la défense de ceste ville ».
16 AC Amiens, EE 8.
17 Ibid., AA 49. A. Janvier, Notice historique sur la milice amiénoise, milice communale, garde bourgeoise et compagnies privilégiées, Amiens, Imp. de Duval et Herment, 1851, p. 24.
18 F. Pouy, Concini, maréchal d’Ancre, son gouvernement en Picardie (1611-1617), Amiens, Imp. de A. Douillet, 1885. O. Carpi, « Entre institutions et représentations : la reconstruction politique d’Amiens après 1597 », A. Duménil et Ph. Nivet (dir.), Les Reconstructions en Picardie, Amiens, Encrage, 2003, p. 31-48 et « La quête de l’âge d’or. La vie municipale à Amiens dans le premier tiers du XVIIe siècle », Revue du Nord, t. XC, no 377, octobre-décembre 2008, p. 795-816.
19 AC Amiens, EE 9, pièces no 2 et no 14. A. Janvier, Notice historique sur la milice amiénoise…, p. 21.
20 AC Amiens, EE 9, pièce no 15, EE 15, pièce no 4, EE 16, EE 18, pièce no 2, EE 22, EE 23, pièce no 26.
21 Ibid., EE 18, pièce no 8.
22 AC Amiens, EE 322, pièce no 1. Bibliothèque municipale d’Amiens (BM Amiens), mss, M 3729, no 16, « Remonstrance très humble présentée au roy par ses subjectz de la province de Picardie sur le faict de la citadelle d’Amiens ».
23 J. J. Ruiz Ibáñez, « De la guerre civile à la guerre royale : les Espagnols à Amiens en 1597 », O. Carpi et Ph. Nivet (dir.), La Picardie occupée, Amiens, Éd. Encrage, 2005, p. 27-50.
24 AC Amiens, BB 56, f° 38v°.
25 P. Deyon, Amiens, capitale provinciale. Étude sur la société urbaine au XVIIe siècle, Amiens, CRDP, 1986, p. 304-308.
26 D. Crouzet, « Écriture de l’Histoire et idéologie urbaine. Lyon au Grand Siècle », M. Acerra, J.-P. Poussou, M. Vergé-Franceschi et A. Zysberg (éd.), État, marine et société, Paris, Presses de la Sorbonne, 1995, p. 135-161. A. de la Morlière, Les Antiquitez de la ville d’Amiens, Paris, Sébatien Cramoisy, 1642 (3e édition). C. de Mons, Chants oraculeux, Amiens, Huhault, 1627.
27 AC Amiens, EE 16, no 2.
28 Ibid., EE 18, pièces no 2, 5, 6, 7, 8 et 9 et EE 20, pièces no 1 à 11.
29 AC Amiens, AA 39, pièce no 15 et BM Amiens, mss, M 1721, « Les eschevins de la ville d’Amiens supplient très humblement le roi, la reyne et nos sieurs du Conseil de faire observer l’édit de l’an 1597 particulièrement en trois points ».
30 Ibid., EE 9, pièce no 3; EE 14, pièce no 9.
31 Ibid., EE 46 à 64.
32 Ibid., EE 19, pièce no 3.
33 Ibid., EE 51.
34 Ibid., EE 23, pièces no 1 et 2.
35 AC Amiens, EE 12.
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