Étrange Bretagne
|Deuxième partie. Faire : la Bretagne des marcheurs et des chasseurs ou la Bretagne à l'épreuve de l'action
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FranceTexte intégral
1Dans l’action, le Victorien est dans son élément et donne toute sa mesure. Le voir braconnier qui en résulte, du fait qu’il s’exerce le plus souvent hors des sentiers battus, par son pragmatisme même, est un voir plus aigu, plus exigeant que le voir touristique qui va nous occuper à présent.
2Le faire va de pair avec un certain excès. Jephson est, au fond, un Hope inversé. Mieux : « Je est un autre », comme ne le sait que trop Bromfield. Une même énergie vitale, une même envie de croire animent le discours laudateur et le discours critique. C’est peut-être cela qui explique que Jephson et Reeve puissent voyager de concert, non pas ensemble, mais côte à côte.
3Aussi excessifs, aussi odieux, parfois, qu’ils soient, ces auteurs ont le mérite d’être entiers et d’avoir laissé des témoignages vivants où l’Autre existe autrement qu’in absentia. L’Autre adulé ou détesté, ils en ont besoin pour agir et ce besoin de l’Autre, qui est déjà un pas vers lui, est ce qui les sauve.
4On dit volontiers des Victoriens qu’ils étaient léthargiques. Rien ne nous semble plus faux. Il y a au contraire, chez ceux que nous avons lus, de l’enthousiasme, de la gourmandise, de l’humour aussi.
5Il est vrai que s’ils ne sont pas les rabat-joie que l’on a voulu en faire, la médaille que nous nous leur décernons à un revers. Ce que l’on pourrait appeler leur instinct prédateur. Une rage d’agir au-delà des frontières, qui est aussi un aveu d’échec, une façon de reconnaître que cela n’est plus possible chez soi. Que les véritables hommes d’action, ceux de Manchester et d’ailleurs, l’ont emporté. Que la noblesse des hommes et des sentiments ne peut plus exister que dans le fantasme (Jephson), la brutalité de l’Empire (Reeve, Musgrave), le retour à un état antérieur de la société (Davies) ou dans l’exil qui rachète (Hope/Bromfield).
6Nous avons volontairement placé les discours du faire à la place qui nous semble être la leur, c’est-à-dire au centre de notre exploration du discours victorien. Entre le savoir qui ne s’appuie pas toujours sur un voir, et le voir qui ne cherche pas à savoir, il nous semble qu’ils occupent une position intermédiaire, parvenant, précisément, à convertir ce qui a été vu dans le feu de l’action en une meilleure connaissance de soi et d’autrui.
© Presses universitaires de Rennes, 2002