1L'inscription des missionnaires bretons dans l'espace renvoie à trois échelles de référence : la Bretagne, la France et le monde. Les deux premiers espaces se situent en quelque sorte en amont, car ils concernent le recrutement. La mesure statistique précise permet d'apprécier la part de la région, tout à fait déterminante, dans l'ensemble du recrutement missionnaire français, mais aussi les inégalités internes à la région elle-même. Le troisième espace se situe en aval, puisqu’il concerne les destinations que prirent ces hommes et ces femmes, contribuant de façon décisive à tisser des liens entre la Bretagne et l'outre-mer.

Géographie du recrutement en Bretagne

2Si l'on divise la population de la Bretagne à la fin du xix^e siècle (3 143 000) par 8 252, le nombre des missionnaires qu'elle a fournis de 1801 à 1940, on trouve un missionnaire pour 381 habitants. Le procédé serait factice si l'on entendait donner une valeur absolue au résultat de cette opération. Il ne tient compte ni du nombre des générations qui se sont succédées depuis la Révolution, ni des variations de la population, ni du rythme des départs pour les missions. Nous l'adoptons cependant pour l'étude géographique du recrutement missionnaire et nous allons l'appliquer aux départements, aux arrondissements et aux cantons parce que sa simplicité permet des comparaisons faciles. Nous appellerons quotient de recrutement missionnaire (QRM) le résultat obtenu en divisant la population d'une circonscription par le nombre de missionnaires issus de cette circonscription.

3Des cinq départements bretons, c'est le Morbihan qui s'est montré le plus généreux en vocations apostoliques ; bien qu'il soit le moins peuplé, c'est lui qui détient le chiffre absolu le plus élevé de missionnaires et ce sont la Loire-Inférieure et le Finistère, les deux départements les plus peuplés, qui détiennent les chiffres les plus bas. On notera la concordance presque parfaite du classement des départements d'après le nombre des prêtres et d'après celui des frères que chacun d'eux a donnés aux missions :

4Ce tableau met en évidence l'influence des Frères de Ploërmel sur le recrutement des prêtres missionnaires. Nous savons que, dans chaque diocèse, ce recrutement est dans une dépendance très étroite du recrutement des séminaires diocésains. Or les diocèses de Rennes, de Saint-Brieuc et de Vannes, qui furent les premiers à reconstituer leur clergé dans la première moitié du xix^e siècle1 furent précisément ceux qui bénéficièrent le plus de l'activité des Frères de Ploërmel. Ceux de Quimper et de Nantes, qui ne reçurent qu'un petit nombre de frères, n'eurent pendant longtemps qu'un clergé diocésain à peine suffisant2 et, par suite, les évêques permirent plus difficilement à leurs jeunes clercs de s'orienter vers les missions.

5Si on met à part les Côtes-du-Nord, berceau des Franciscaines missionnaires de Marie, des sœurs missionnaires de la Société de Marie et des Filles de la Croix de Louisiane, une comparaison entre le nombre des prêtres missionnaires et celui des religieuses aboutit à cette conclusion paradoxale que ce sont les départements les plus généreux en vocations sacerdotales qui l'ont été le moins en vocations de religieuses. Pour 100 prêtres, le Morbihan et l'Ille-et-Vilaine n'ont fourni que 71 religieuses, tandis que le Finistère et la Loire-Inférieure en ont fourni 124.

6La raison de ce contraste ? Il ne faut pas la chercher dans le rôle des congrégations, à la fois enseignantes et missionnaires, car si celles-ci ont donné la moitié des religieuses missionnaires du Finistère et du Morbihan, elles n'ont formé qu'une faible partie de celles de l'Ille-et-Vilaine et de la Loire-Inférieure. Les revues missionnaires locales, les Lizeri et surtout le Petit Messager des Missions dont presque chaque numéro contenait des lettres de religieuses nantaises, ont certainement contribué à multiplier les vocations féminines, mais la raison principale doit être cherchée, croyons-nous, dans l'influence des prêtres qui avaient voulu partir eux-mêmes en mission et qui, le plus souvent par soumission à leur évêque, avaient dû rester dans leur diocèse natal. Au cours de leur ministère paroissial, ces « missionnaires manqués » eurent à cœur de favoriser l'éclosion de vocations apostoliques. Dans le Morbihan et l'Ille-et-Vilaine où, dans l'ensemble, entre 1870 et 1910, les prêtres qui désirèrent quitter leur diocèse purent le faire facilement, cette influence des « missionnaires manqués » ne joua que dans une plus faible mesure.

7La carte du recrutement missionnaire en Bretagne montre que certains arrondissements dans un même département, certains cantons dans un même arrondissement, ont donné beaucoup plus de missionnaires que d'autres. Dans les Côtes-du-Nord, par exemple, le quotient de recrutement missionnaire est de 272 dans l'arrondissement de Saint-Brieuc et de 521 dans celui de Lannion. À l'intérieur des arrondissements, le quotient accuse des différences beaucoup plus considérables ; dans l'arrondissement de Nantes, il varie de 137 pour le canton d'Aigrefeuille à 734 pour le canton de Legé ; dans l'arrondissement de Lannion, de 309 pour le canton de Tréguier à 1 400 dans celui de Perros-Guirec. Dans le classement des arrondissements par leur générosité en vocations missionnaires, les cinq premiers sont Ploërmel, Vitré, Pontivy, Saint-Brieuc et Vannes (trois sont du Morbihan). Ils ont donné 2 446 missionnaires (955 prêtres, 627 frères, 864 religieuses). Les cinq derniers (Lannion, Châteaubriant, Quimper, Quimperlé et Châteaulin) n'en ont donné que 486 (110 prêtres, 102 frères, 274 religieuses). La comparaison entre les cinq premiers et les cinq derniers cantons accuse un contraste beaucoup plus accentué. Les premiers (St-Jean Brévelay, Plouguenast, Rohan, Étables et Aigrefeuille) totalisent 486 missionnaires (130 prêtres, 102 frères, 254 religieuses) et les derniers (Huelgoat, Châteaubriant, Perros-Guirec, Le Faou et Saint-Nazaire) seulement 57 (26 prêtres, 5 frères, 26 religieuses).

8La carte obtenue peut être étudiée en distinguant trois Bretagne, se succédant d'est en ouest, comme l'avait fait André Siegfried3 : la Bretagne continentale, la Bretagne de langue française ou pays gallo, la Bretagne bretonnante ou Basse-Bretagne.

9La Bretagne continentale comprend les départements de la Loire-Inférieure et de l'Ille-et-Vilaine, moins les arrondissements de Saint-Nazaire, de Redon et de Montfort. Nous y ajoutons le pays de Dinan, qui n'a rien de commun avec le reste du pays gallo. En mettant à part la mosaïque du sud de la Loire-Inférieure où le quotient de recrutement missionnaire varie de 200 à 992, on ne trouve qu'une seule région, les pays de Vitré et de Fougères, où le QRM (232) soit supérieur à celui de l'ensemble de la Bretagne. Ce quotient s'abaisse à 464 pour les régions de Rennes et de Saint-Malo, à 534 pour la région de Dinan, à 605 pour l'arrondissement de Châteaubriant et une partie de celui d'Ancenis.

10La Bretagne de langue française ou pays gallo est comprise entre la Bretagne continentale et la limite des dialectes bretons. Elle constitue une région très homogène, plus étendue qu'un département, dont le QRM s'élève à 255. Le contraste avec la Bretagne continentale est très accentué ; le contraste avec l'ensemble de la Bretagne bretonne est plus grand encore. Dans les Côtes-du-Nord, à l'exception des cantons bretonnants de Plouagat et de Lanvollon, qui ont bénéficié de l'influence de Saint-Brieuc et de celle de la communauté des Filles de la Croix de Tréguier, on ne peut distinguer aucune zone de transition entre la Bretagne de langue française et la Bretagne bretonnante. Le QRM passe par exemple de 134 dans le canton gallo d'Étables à 567 dans le canton breton de Plouha ; de 215 dans le canton gallo de Quintin à 1198 dans le canton breton de Saint-Nicolas du Pelem. Dans le Morbihan, il en va tout autrement. Le recrutement missionnaire des cantons bretons de Pontivy, de Baud, de Locminé, de Saint- Jean-Brévelay, d'Elven, de Grandchamp, d'Auray, ont un QRM ne se distinguant pas sensiblement de celui des cantons de la bordure orientale du pays gallo.

11Abstraction faite de cette bordure orientale du Vannetais bretonnant, la Basse Bretagne ne renferme que deux régions, d'étendue assez restreinte, dont le quotient soit supérieur à celui de l'ensemble de la Bretagne : une partie du Léon (QRM : 285) et une zone englobant les cantons de Gourin, du Faouët, de Cléguérec et de Guémené dans le Morbihan, de Quimperlé et d'Arzano dans le Finistère, de Rostrenen dans les Côtes-du-Nord, qui accuse d'une manière très nette l'influence de l'abbaye de Langonnet, dans le canton de Gourin, occupée par les Pères du Saint-Esprit depuis le milieu du xix^e siècle. La zone de Langonnet rompt l'unité d'une grande bande verticale, d'une étendue comparable à celle d'un département, comprenant le Haut-Léon, le Trégorrois occidental, l'est et le sud-est de la Conouaille, le nord-est du Vannetais, dont le QRM, le plus bas de toute la Bretagne, n'est que de 757.

12Les autres régions de la Basse-Bretagne ne se distinguent guère les unes des autres. Leur QRM moyen (424) est assez sensiblement inférieur à celui de l'ensemble de la province. Le canton de Briec, au nord de Quimper, soit aux écoles tenues sur son territoire par les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny d'arriver en tête de tous les cantons du Finistère (QRM : 227).

13Un simple coup d'œil sur cette carte fait ressortir le fait que, d'une manière générale, les régions maritimes ont fourni nettement moins de missionnaires que les régions rurales. D'ordinaire, les villes ont donné moins de missionnaires que les campagnes, mais ce n'est pas une règle absolue. Dans les cantons de Vitré et de Saint-Brieuc, le quotient de recrutement est le même pour les populations urbaines et les populations rurales. La ville de Rennes est partagée en quatre cantons qui, tous, s'étendent sur des communes rurales. À populations égales, elle a donné moins de missionnaires que les campagnes des deux cantons méridionaux, mais elle en a donné plus que les campagnes des deux cantons septentrionaux. Les cantons à la fois maritimes et industriels comme Lorient (QRM : 1 009) ou Saint-Nazaire (1911) n'ont fourni que très peu de missionnaires. Pour Brest (649), il est remarquable que, sur 85 missionnaires, on compte 60 religieuses.

14Dans un même diocèse, les régions les plus missionnaires sont aussi les plus chrétiennes. D'un diocèse à l'autre, il faut tenir compte du fait que, dans les diocèses de Rennes, de Saint-Brieuc et de Vannes, le recrutement sacerdotal fut favorisé, dès la première moitié du xix^e siècle, par la fondation de nombreuses écoles primaires par les Frères de Ploërmel. En comparant la Bretagne de langue française avec la Bretagne de langue bretonnante, on doit se rappeler qu'au xix^e siècle, les Annales de la Propagation de la Foi furent le principal agent de diffusion de l'idée missionnaire et qu'elles commencèrent dès 1825 à pénétrer dans la Bretagne de langue française, tandis que les Lizeri de Quimper ne furent vraiment lancées qu'en 1860.

La place de la Bretagne dans l'élan missionnaire français (1801-1940)

15Une statistique qui prend en compte tous les prêtres missionnaires (à l'exception des prêtres séculiers partis aux États-Unis) et les religieuses missionnaires des seules congrégations suivantes : Sœurs Blanches, Notre-Dame des Apôtres, Société de Marie, Saint-Joseph de l'Apparition, Saint-Paul de Chartres, nous a permis d'établir une carte qui, sans être exhaustive, répartit cependant par diocèse d'origine plus de 10 000 prêtres et environ 5 000 religieuses.

16Pour chaque diocèse, le chiffre de la population de 1900 a été divisé par le nombre de missionnaires, sans tenir compte des générations qui se sont succédé de 1801 à 1900, pour obtenir le quotient de recrutement missionnaire. Si cette carte avait tenu compte des 1 700 frères et des 2 645 religieuses missionnaires originaires de Bretagne qui ne figurent pas dans ce calcul, le contraste entre les diocèses riches et les diocèses pauvres en vocations missionnaires eût été considérablement accentué.

17Une comparaison souligne l'intérêt de statistiques précises pour l'histoire missionnaire de la France : de 1801 à 1840, l'arrondissement de Ploërmel a donné plus de missionnaires à l'Église que l'ensemble des quinze diocèses suivants : Pamiers, Beauvais, Rouen, Ajaccio, Bourges, Moulins, Sens, Bordeaux, La Rochelle, Soissons, Nice, Limoges, Meaux, Périgueux et Angoulême ; le seul canton de Saint-Jean Brévelay (Morbihan) en a donné presque deux fois plus que les diocèses de Meaux, de Périgueux et d'Angoulême.

18Mieux que la carte, les chiffres manifestent les variations du nombre des missionnaires selon les diocèses. Par million d'habitants, les dix diocèses de Rodez, Strasbourg, Tarentaise, Chambéry, Vannes, Saint-Brieuc, Nantes, Mende, Le Puy et Rennes ont donné en moyenne 1 136 missionnaires ; les diocèses de Soissons, Nice, Limoges, Meaux, Périgeux et Angoulême, qui se classent en fin de liste, seulement 49, soit 23 fois moins4.

Les missionnaires bretons dans le monde

En Amérique

19Avant la Révolution française, plus de 130 missionnaires bretons, des prêtres presque tous, exercèrent leur apostolat en Amérique du Nord, particulièrement au Canada. Deux d'entre eux, M^gr de Pontbriand et M^gr Briand occupèrent successivement le siège épiscopal de Québec de 1742 à 1784.

20De 1800 à 1940, l'Amérique du Nord, à la fois terre de mission et terre d'asile, reçut 574 prêtres, 440 frères et 1 400 religieuses. Le Canada accueillit les deux tiers de ce contingent : 302 prêtres, 359 frères et 740 religieuses. Les oblats de Marie, pères et frères, se consacrèrent surtout aux Esquimaux et aux Indiens, les Eudistes, aux Acadiens des Provinces maritimes, les Jésuites aux populations des Montagnes Rocheuses, les Sulpiciens à la formation du clergé.

21Inquiets de la politique anticongréganiste de la République radicale, des frères de Ploërmel arrivèrent à Québec en 1886, les Frères de Saint-Gabriel à Montréal deux ans plus tard. En 1903, d'autres frères de Ploërmel, évincés de leurs écoles, prirent pied dans les Montagnes Rocheuses. Les disciples de J.-M. de La Mennais entrent pour 72 % du total des frères bretons immigrés au Canada.

22De 1800 à 1940, les États-Unis reçurent 272 prêtres, 82 frères et 354 religieuses nés en Bretagne. Ces Bretons et Bretonnes jouèrent un rôle important dans les progrès du catholicisme dans ce pays. De nombreux prêtres séculiers exercèrent leur apostolat dans l'Indiana, la Louisiane, le Ver- mont, l'Arizona, des oblats de Marie dans le Texas, des Maristes à San Francisco, des sœurs Marianistes à New-York et à la Nouvelle-Orléans, des Petites Sœurs des Pauvres dans une quarantaine de grandes cités industrielles.

23L'Église catholique des États-Unis a beaucoup reçu de la Bretagne. Son premier grand séminaire fut ouvert à Baltimore, dès les débuts du xix^e siècle par deux sulpiciens venus de Nantes. Sa première abbaye fut celle de Notre- Dame de Gethsémani fondée par des trappistes venus de Melleray. Sa première congrégation de religieuses a pour fondateur M^gr David ; la seconde, la Providence de Sainte-Marie des Bois, eut pour fondatrice Mère Théodore Guérin et les Filles de la Croix de Louisiane, Mère Marie-Hyacinthe Le Conniat, l'une et l'autre originaire du diocèse de Saint-Brieuc. Les États- Unis comptent aussi sur leur sol plusieurs monastères de Notre-Dame de Charité, tous issus d'une première fondation par quelques religieuses du couvent rennais de Saint-Cyr.

24À partir de 1903, le Canada et les États-Unis virent affluer plus de 1 000 religieuses bretonnes, de huit congrégations différentes, privées du droit d'enseigner par la législation française ; certaines furent accueillies dans les diocèses de Québec et de Montréal ; d'autres, arrivées aussi au Canada, ne s'arrêtèrent que dans le Montana et les Dakota et les Sœurs de Saint-Jacut descendirent jusque dans le Texas. Les Filles du Saint-Esprit trouvèrent directement refuge aux États-Unis dans le Connecticut.

25Une portion importante des prêtres, des frères et des religieuses venus de Bretagne au Canada et aux États-Unis se dévouèrent spécialement aux Acadiens de la Nouvelle-Écosse comme à ceux de Louisiane, aux Franco- Américains de la Nouvelle-Angleterre, voire aux colons bretons de la Sas- katchewan. Ce furent des Marianistes bretonnes qui fondèrent à New York une crèche, un orphelinat et un hôpital pour les Français immigrés aux États-Unis.

26Trois des Bretons missionnaires au Canada ont été élevés à l'épiscopat : M^gr Légal, premier archevêque d'Edmonton, M^gr Blanche et M^gr Leven-toux, deux eudistes qui furent l'un le premier vicaire apostolique du Golfe Saint-Laurent et l'autre le troisième. Des sept Bretons évêques aux États- Unis, M^gr Bruté de Rémur et M^gr de la Hailandière furent les deux premiers évêques de Vincennes (Indiana), M^gr Martin, le premier de Natchi-toches (Haute-Louisiane), M^gr de Goesbriand, le premier de Burlington (Vermont).

27Les autres pays de l'Amérique continentale ont bénéficié du zèle de 200 prêtres ou religieuses bretons avant 1940 et de 79 depuis : Eudistes, Montfortains et Lazaristes en Colombie, Picpuciens et Frères des Écoles chrétiennes au Chili, Assomptionnistes au Brésil et en Argentine, Fidei Donum

28dans chacun de ces pays ; de celui de 211 religieuses avant 1940 et de 182 depuis : Petites Sœurs des Pauvres en Colombie, Picpuciennes et Sœurs de Saint-Joseph de Cluny au Chili et au Pérou, Filles de la Charité dans chacun de ces pays. Depuis une trentaine d'années, les Filles de Jésus sont présentes en Colombie, au Chili et au Honduras.

29M^gr Guiot, montfortain de Ponchâteau, fut vicaire apostolique de San Martino (Colombie) de 1908 à 1941. M^gr du Hoday, dominicain de Saint-Servan-sur-Oust (56), fut nommé évêque de Porto-Nacional (Brésil) en 1936.

30De 1864 à 1940, la République d'Haïti fut le champ d'apostolat d'environ 600 prêtres bretons : montfortains, spiritains et surtout séculiers ; de 362 frères de Ploërmel ; de 335 religieuses : Filles de la Sagesse ou Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Depuis 1940, le contingent des missionnaires a été de 120 prêtres, 46 frères et 50 religieuses. Aujourd'hui tous les évêques et la majorité des prêtres sont haïtiens. Les étrangers, Oblats, Montfortains, Frères de l'Instruction chrétienne qui exercent leur apostolat dans cette île proviennent surtout des provinces fondées au Canada par ces différentes congrégations à la suite des mesures prises contre elles au début du xx^e siècle par le gouvernement français. L'Église d'Haïti a cessé d'être fille spirituelle de la Bretagne. De 1864 à 1940, les différents diocèses d'Haïti furent gouvernés par 16 archevêques ou évêques bretons. En 1995, M^gr Christophe, de Saint-Malo, a été nommé nonce.

31Entre 1800 et 1940, les territoires français d'Amérique : Guadeloupe, Martinique, Guyane et Saint-Pierre-et Miquelon reçurent 230 prêtres bretons dont 204 du clergé colonial, 836 Frères de Ploërmel, 238 religieuses de Saint-Joseph de Cluny ou de Saint-Paul de Chartres. Depuis la Seconde Guerre mondiale, ils n'ont reçu qu'une trentaine de prêtres et une quinzaine de religieuses. Le nombre des prêtres et des religieuses créoles, plus élevé qu'autrefois, ne suffit pas à expliquer cette faiblesse de l'apport breton et de l'apport métropolitain.

32M^gr Carméni, du clergé colonial, fut évêque de la Martinique de 1875 à 1897. M^gr Gourtay, spiritain, fut vicaire apostolique de la Guyane de 1933 à 1944 et un M^gr Morvan, autre Breton, est évêque de Cayenne depuis 1973. Les petites îles de la Dominique et de Sainte-Lucie ont reçu une trentaine de prêtres bretons et aussi des religieuses. M^gr Poirier, eudiste redonnais, fut évêque de Roseau (La Dominique) de 1858 à 1878.

En Afrique

33Alors qu'à la fin du xviii^e siècle, une bonne partie de l'Amérique avait été plus ou moins christianisée, l'Afrique restait presqu'entièrement partagée entre le fétichisme et l'islamisme et, pour des raisons diverses, fermée dans son ensemble à l'influence chrétienne. On connaît une trentaine de prêtres bretons qui avaient tenté de l'évangéliser. Cassien de Nantes et Agathange de Vendôme, deux capucins qui, en 1632, s'étaient aventurés en Éthiopie, y furent pendus. Ils ont été béatifiés par Pie X.

34Au cours du xix^e et du xx^e Siècle, ce continent a été progressivement pénétré par les missionnaires chrétiens. Des 1930 missionnaires bretons qu'il reçut avant 1940, 1313 (72 %) œuvrèrent dans des territoires qui étaient sous tutelle française, 233 (12 %) dans des territoires sous tutelle britannique. Les pays issus de ce qu'on appelait naguère l'Empire français ont reçu 91 % des 1 603 missionnaires bretons arrivés sur ce continent depuis 1940.

35L'ancienneté de la présence française à la Réunion, au Sénégal et en Algérie rend compte du fait que ces trois pays avaient reçu à eux seuls plus de la moitié des missionnaires bretons envoyés en Afrique alors que le Cameroun et le Togo, longtemps colonies allemandes, n'en avaient pas reçu 0,15 %.

36La proportion entre les prêtres et les frères d'une part, les religieuses de l'autre a varié considérablement selon les régions. Ainsi, avant 1940, l'Afrique méditerranéenne musulmane (Maroc, Algérie, Tunisie, Lybie et Égypte) avaient reçu 206 prêtres ou religieux et 415 religieuses alors que l'AOF et l'AEF avaient reçu beaucoup plus de prêtres (551) mais beaucoup moins de religieuses (152). Il est vrai que dans les pays musulmans, les religieuses, par leur activité sociale, rendaient plus facile la présence des prêtres catholiques. Il faut tenir compte aussi du fait que les Sœurs Blanches avaient été fondées à Alger, et de l'important recrutement breton des Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition dont l'apostolat s'exerce principalement dans les pays méditerranéens. Mais l'obédience pour l'Égypte de la majorité des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d'Afrique s'explique surtout par l'influence sur leur congrégation de M^gr Duret, vicaire apostolique du Delta du Nil de 1885 à 1910, puis supérieur général des Missions Africaines de 1914 à 1920.

37Depuis 1940, des 1 603 missionnaires bretons recensés, les États issus de l'ex-Empire français en ont reçu 1417 soit 91 %. L'Afrique Noire a été la grande bénéficiaire de cette progression car l'Algérie, le Maroc et la Tunisie qui, jusqu'en 1940, avaient reçu le quart des missionnaires bretons n'en ont reçu depuis que 8 %.

3825 Bretons missionnaires en Afrique ont été élevés à l'épiscopat et chargés de diriger des préfectures, vicariats apostoliques ou diocèses situés au Maroc, en Égypte, en Éthiopie, en Afrique du Sud, à Madagascar, à la Réunion et surtout en Afrique Noire ; figurent parmi eux huit prêtres des Missions Africaines, six spiritains, trois pères Blancs, deux capucins, deux oblats de Marie, un lazariste, un rédemptoriste et un père de la Salette.

En Asie

39Au cours des xvii^e et xviii^e siècles, environ 170 missionnaires bretons, jésuites et surtout capucins, furent missionnaires dans l'un des pays du Proche-Orient et 47, jésuites, lazaristes et surtout prêtres des Missions Étrangères en Chine, en Indochine ou dans l'Inde. Aux xix^e et xx^e siècles, on retrouve ces congrégations sur le continent asiatique ; quelques autres s'y sont ajoutées comme les Oblats, les Picpuciens et plusieurs instituts féminins : Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition, nombreuses en Asie Mineure, Franciscaines missionnaires de Marie et Sœurs de Saint-Paul de Chartres qui, à elles seules, ont constitué 80 % des religieuses bretonnes missionnaires en Extrême-Orient.

40Avant 1940, 1 205 missionnaires bretons exercèrent leur apostolat en Asie, 231 au Proche-Orient et 974 en Extrême-Orient. Comme l'Afrique musulmane méditerranéenne, l'Asie occidentale a reçu beaucoup plus de religieuses (201) que de prêtres (30) ; c'est le contraire qui est vrai dans l'Asie Orientale : 613 prêtres ou religieux et 361 religieuses. Le tiers des missionnaires bretons de l'Extrême-Orient ont œuvré en Chine, le quart dans ce qui était l'Indochine française, le cinquième dans l'Inde. Depuis 1940, les pays du Proche-Orient n'ont reçu qu'une trentaine de missionnaires bretons et ceux d'Extrême-Orient 123. Pour une part importante, les événements politiques, particulièrement la fermeture aux missionnaires de plusieurs pays de l'Est asiatique, sont responsables de la faiblesse de ces chiffres.

41Au xviii^e siècle, 5 missionnaires bretons, un jésuite et quatre prêtres des Missions Étrangères avaient été élevés à l'épiscopat en Chine, au Siam, au Cambodge ou dans l'Inde ; 33 l'ont été depuis le début du xx^e siècle : 11 au Viet-nam, 8 en Chine, 5 dans l'Inde, 3 en Mandchourie, un dans chacun des pays suivants : Birmanie, Corée, Laos, Sri-Lanka, Thibet, Irak, Turquie. Parmi eux : 22 prêtres des Missions Étrangères, quatre jésuites, deux capucins, deux Dominicains, un franciscain, un oblat de Marie et un assomptionniste.

En Océanie

42Le P. Caret, picpucien, premier missionnaire breton en Océanie, débarqua aux îles Gambier en 1834. De cette date à 1940, 130 prêtres, 70 Frères de Ploërmel et 212 religieuses l'ont suivi dans cette partie du monde. Au cours des 50 dernières années, celle-ci a reçu 169 prêtres ou frères et 87 religieuses.

43Les principales congrégations qui ont envoyé ces missionnaires sont les Picpuciens et les Picpuciennes (Océanie orientale), les Maristes et les Sœurs de la Société de Marie (Polynésie), les Prêtres du Sacré-Cœur d'Issoudun (Papouasie et îles Gilbert), les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny (Nouvelle Calédonie), sans oublier les Frères de Ploërmel (Tahiti).

44Quatorze missionnaires bretons d'Océanie ont été élevés à l'épiscopat ; quatre maristes ont été vicaires apostoliques des îles Salomon ou des Nouvelles-Hébrides, quatre prêtres du Sacré-Cœur d'Issoudun ont été vicaires apostoliques des îles Gilbert et six picpuciens ont exercé cette charge à Tahiti ou dans les îles Marquises.

45La part que les cinq diocèses bretons ont fait aux différentes parties du monde dans la distribution de leurs missionnaires respectifs est loin d'être identique. Ainsi avant 1940, le diocèse de Vannes a donné 71,8 % des siens à l'Amérique et 2 % à l'Océanie, le diocèse de Nantes 38 % à l'Amérique et 14 % à l'Océanie.

46Les proportions des missionnaires reçus par l'Amérique, par l'Afrique, par l'Asie et par l'Océanie du début du xix^e siècle à 1910 ont subi depuis cette date d'importantes modifications. À cette date la part de l'Amérique était tombée de 53,6 % à 33,5 % celle de l'Afrique s'était élevée de 23 à 41 % Depuis, l'écart entre l'apport missionnaire à ces deux continents n'a fait que s'accentuer au bénéfice de l'Afrique.

47L'Amérique recevait surtout des prêtres séculiers qui cherchaient en Haïti, dans les colonies françaises ou aux États-Unis, un genre de ministère qui se rapprochait beaucoup du ministère traditionnel dans les diocèses de France, et des religieuses qui appartenaient presque toutes à des congrégations enseignantes ou hospitalières. Dès qu'en Bretagne la population des séminaires a cessé d'excéder les besoins des diocèses, les courants des prêtres séculiers vers les missions ont disparu ou se sont amenuisés. Vers le même temps, les congrégations enseignantes et hospitalières ont subi une crise de recrutement qui les a obligées de diminuer leurs envois à l'étranger.

48Contrairement à l'Amérique, l'Afrique avait toujours reçu d'instituts purement missionnaires, qui avaient tous su organiser en France de solides bases de recrutement, le plus grand nombre de ses prêtres et de ses religieuses. Depuis 1950, le recrutement de ces instituts s'est amenuisé, mais c'est surtout vers l'Afrique qu'à la suite de Fidei Donum et du Concile, les congrégations diocésaines bretonnes ont envoyé le plus grand nombre de religieuses.

49Jusqu'en 1890, la Bretagne donnait presque autant de missionnaires à l'Asie et à l'Afrique. De 1910 à 1940, elle en donna 770 à l'Afrique et seulement 348 à l'Asie. Cette différence peut s'expliquer en partie par le fait que les Missions Étrangères, pour des raisons compréhensibles, furent toujours résolument hostiles à l'institution d'écoles apostoliques.

50Du début du xix^e siècle à la Seconde Guerre mondiale les « Vieilles Colonies » françaises furent le champ d'apostolat de 39 % de missionnaires bretons. Depuis 1880 cependant, la disparition du clergé colonial et l'abandon forcé de leurs écoles coloniales par les Frères de Ploërmel, les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny et de Saint-Paul de Chartres avaient beaucoup réduit leurs effectifs bretons. Par contre, le développement des instituts purement missionnaires a grandement favorisé les colonies fondées au cours du xix^e et du xx^e siècle.

La longévité des missionnaires

51On ne sera pas surpris que la mortalité soit, à âge égal, plus forte chez les missionnaires que chez leurs compatriotes demeurés dans leur pays d'origine. Même aujourd'hui, les prêtres, les frères, les religieuses qui partent dans les missions acceptent le sacrifice de plusieurs années de leur vie normale. Un tableau comparant la durée moyenne de vie apostolique des prêtres vivant dans leur mère-patrie et celle de leurs compatriotes missionnaires met ce fait en évidence. Ainsi la vie moyenne des prêtres hollandais est de soixante-huit ans, celle des missionnaires hollandais de quarante- huit ; la vie moyenne des prêtres français est de soixante-trois ans, celle des missionnaires français de cinquante-trois. Il y a donc une différence de vingt ans entre la vie moyenne des premiers, et de dix seulement entre celle des seconds.

52Une étude de la mortalité des missionnaires français, d'après leur province d'origine, fournirait des renseignements intéressants de biologie comparée. En comparant celle des prêtres bretons et celle des prêtres alsaciens de la Société des Missions Africaines, nous avons trouvé la même moyenne de vie : quarante ans pour les Bretons, 40,2 pour les Alsaciens. Nous avons constaté cependant une différence notable entre ces deux catégories de missionnaires ; les Alsaciens sont plus nombreux à mourir dès leurs premières années de séjour en Afrique, mais ceux qui s'acclimatent vivent plus longtemps que les Bretons.

53Sans avoir valeur scientifique, la comparaison de la durée de la vie apostolique des missionnaires bretons (1 661 prêtres ou religieux ; 789 religieuses) selon leur champ d'apostolat n'est pas dénuée d'intérêt. D'une manière générale, les religieuses vivent plus longtemps en mission que les prêtres. Les Frères de Ploërmel, dont la vie est plus sédentaire que celle des prêtres, ont contribué à augmenter la moyenne de vie apostolique des missionnaires des Antilles. Dans tous les pays tropicaux, la proportion des missionnaires morts dans les cinq premières années suivant leur arrivée a été considérable : le quart des prêtres et des frères missionnaires aux Antilles. Jusqu'en 1920, la moyenne de vie apostolique des prêtres missionnaires de pays africains comme le Congo ou le Dahomey ne dépassait pas trois ans.