Chapitre XIV. Les variations du rythme des départs pour les missions
p. 227-241
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Texte intégral
1Dire que, de 1801 à 1940, la Bretagne a donné aux missions catholiques une moyenne annuelle de 22 prêtres, de 11 frères et de 26 religieuses ne donnerait aucune idée du rythme réel des départs. Les variations de ce rythme au cours de près de deux siècles permettent de distinguer quatre périodes.
De 1801 à 1830
2Au cours des trente premières années du xixe siècle, 19 missionnaires seulement - 17 prêtres et 2 religieuses — quittèrent la Bretagne. Dix de ces prêtres et les 2 religieuses étaient originaires du diocèse de Rennes. Un chiffre si modeste, nettement inférieur à la moyenne générale d'une seule année, s'explique à la fois par l'état du clergé français et par l'ignorance presque générale de tout ce qui concernait les Missions Étrangères.
3Le clergé français, décimé sous la Révolution par la guillotine et les déportations, était encore assez nombreux puisqu'en 1808 il comprenait à peu près 33 000 curés ou vicaires1 En 1930, pour une population plus nombreuse, les effectifs du clergé paroissial seront sensiblement les mêmes2. Mais presque tous ces prêtres avaient été ordonnés dans la seconde moitié du xviiie siècle. Même s'ils avaient été plus nombreux, leur âge trop élevé aurait interdit de compter sur eux pour assurer une sérieuse reprise des missions. En mars 1809, alors que 1 374 prêtres en activité de service avaient plus de soixante-quinze ans, 933 seulement avaient moins de quarante ans. Les grands séminaires ne comptaient eux-mêmes que peu d'étudiants. Chaque année, beaucoup de prêtres mouraient qui ne pouvaient être remplacés. En quatre ans, de 1804 à 1808, 1 600 paroisses perdirent ainsi leurs desservants.
4La situation du clergé breton n'était nullement privilégiée. En 1808, le grand séminaire de Nantes ne comptait que 9 théologiens. De 1803 à 1807, dans le diocèse de Quimper, 170 prêtres moururent, 54 seulement furent ordonnés. Pendant le même temps, également par excédent des décès sur les ordinations, le diocèse de Saint-Brieuc perdait 164 prêtres. Vers la fin de l'Empire et surtout sous la Restauration, les vocations sacerdotales, favorisées par diverses circonstances, devinrent plus nombreuses sans l'être assez toutefois pour satisfaire aux besoins immédiats du ministère paroissial. Le diocèse de Saint-Brieuc, par exemple, dont le recrutement sacerdotal bénéficia, de 1816 à 1830, d'une période de prospérité qu'il n'a jamais connue depuis ne comptait encore que 709 prêtres en 1826, soit un peu moins qu'en 18033. Dans ce diocèse, et plus encore, dans celui de Rennes, de grandes espérances semblaient cependant permises pour un proche avenir. Depuis 1820, les ordinations l'emportaient à peu près de moitié sur les décès ; tandis que le clergé de 1803 était constitué surtout par des vieillards dont certains avaient été ordonnés en 1750, le clergé de 1830 comptait une très forte majorité de jeunes prêtres. Dans les autres diocèses, particulièrement dans celui de Nantes, les ordinations avaient été moins nombreuses.
5La nécessité pour les diocèses de renouveler rapidement leur clergé ne suffit pas à rendre compte de l'extrême pénurie des vocations apostoliques en ce début du xixe siècle. Si les missions avaient été plus connues, les besoins de l'Église de France n'auraient pas empêché un nombre plus important de jeunes prêtres de se tourner vers elles. Mais, sous l'Ancien Régime, c'étaient les ordres religieux qui avaient fourni l'immense majorité des missionnaires. Sans être toutefois absolu, on peut dire que dans le clergé séculier, il n'existait pas de tradition missionnaire. Moins que toute autre, la génération sacerdotale qui avait assisté, inconsciente, au déclin des missions dans la seconde moitié du xviiie siècle et qui achevait de disparaître vers 1830, n'avait pu favoriser dans le jeune clergé qui lui succédait le désir d'un apostolat en pays lointains.
6Ce jeune clergé lui-même, qui avait grandi sous la Révolution et l'Empire, aspirait davantage, au dire de l'abbé J.-M. de La Mennais, à une vie douce et tranquille qu'aux aventures et aux sacrifices inséparables de la vie apostolique. Ce prêtre, alors vicaire général du diocèse de Saint-Brieuc écrivait à M. Bruté de Rémur qui, en 1815, parcourait la Bretagne à la recherche de missionnaires pour les États-Unis d'Amérique :
Que parlez-vous de passer l'Océan à des hommes qui craignent de passer un ruisseau pour porter les secours de la religion à de pauvres paysans qui parlent la même langue, qui ont les mêmes mœurs et qui les appellent du rivage opposé ! L'esprit de zèle et de dévouement s'est affaibli parmi nous à un point prodigieux ; chacun veut rester chez soi, dans sa paroisse, dans sa famille et dormir dans son berceau. Il faut, en quelque sorte, saisir les prêtres d'une main ferme, au moment où ils sortent du séminaire, pour les transplanter, et encore, quand ils ont pris racine dans le sol où on les a placés, a-t-on infiniment de peine à les en arracher lorsque les circonstances rendent un changement nécessaire. Cependant, peut-être trouverez-vous quelques ecclésiastiques décidés à prendre part à cette œuvre si éminemment apostolique ; mais ce secours sera bien faible en proportion de vos besoins4.
7Cette prévision ne s'avéra que trop juste. M. Bruté ne trouva personne. La rareté des vocations missionnaires était un fait général en France. Sous la Restauration, deux séminaires, tous deux établis à Paris, préparaient des jeunes clercs pour les missions : le séminaire des Missions Étrangères pour l'Extrême-Orient et le séminaire du Saint-Esprit pour les colonies françaises. L'un et l'autre ne comptaient que peu d'aspirants. Le nombre des départs allait cependant en progressant : le séminaire des Missions Étrangères qui n'en avait vu qu'une quinzaine de 1802 à 1820 pouvait en enregistrer 45 de 1821 à 18305. En somme, à la fin de cette première période et malgré l'impossibilité où se trouvaient les ordres religieux, à peine reconstitués, de reprendre leurs anciens champs d'apostolat, le rajeunissement du clergé et l'influence grandissante des Annales de la Propagation de la Foi qui paraissaient régulièrement depuis 1822 et dont près de 2 000 numéros parvenaient déjà en Bretagne, permettaient de prévoir la prochaine multiplication des messagers de l'Évangile.
8Autre heureux présage : deux Sœurs de Saint-Joseph de Cluny étaient parties, l'une en 1826 pour la Réunion, l'autre en 1828 pour Saint-Pierre-et-Miquelon.
De 1831 à 1850
9De 1831 à 1850, la Bretagne fournit 169 prêtres missionnaires, dix fois plus que pendant les trois décennies précédentes. Jusqu'en 1830, sauf dans le diocèse de Rennes, on pouvait à peine parler de réveil missionnaire ; c'est sous la Monarchie de Juillet, ou plutôt sous le pontificat de Grégoire XVI (1831-1846)6, que le grand mouvement d'expansion du catholicisme à travers le monde, qui devait être une des principales caractéristiques religieuses du xixe siècle, commença à se dessiner avec netteté.
10En Bretagne, les Annales de la Propagation de la Foi, sans parler de leurs traductions bretonnes, quadruplaient le nombre de leurs lecteurs. Dans les séminaires, ces Annales et les conférences des évêques d'Amérique créaient peu à peu un climat propice aux résolutions héroïques. C'est entre 1831 et 1850 que les Jésuites, les Picpuciens, les Maristes, les Spiritains, les Oblats de Marie envoyèrent au-delà des mers leurs premiers apôtres bretons. Des Bretons étaient eux-mêmes à l'origine de certains mouvements missionnaires : Mgr Bruté créait en faveur des États-Unis un important courant de vocations ; le P. Mathurin Gaultier, professeur au séminaire colonial y attirait de nombreux compatriotes ; le P. Marcellin Collin, un Vannetais, figurait parmi les fondateurs de la Congrégation du Saint-Cœur de Marie. Des établissements bretons essaimaient en Afrique ou en Amérique. L'abbaye de Melleray fournissait une grande partie des premiers religieux de la Trappe de Staouëli (Algérie) et fondait elle-même, dans l'État du Kentucky, la première abbaye du Nouveau Monde tandis que des eudistes, partis de Saint- Martin de Rennes, ouvraient un collège dans l'État de l'Indiana puis un autre dans l'État du Mississipi.
11La Bretagne retenait l'attention de quelques supérieurs de congrégations auxquelles elle apparaissait comme une terre de missionnaires. En 1848, les Picpuciens transportaient à Sarzeau une de leurs maisons de formation et, vers le même temps, le P. Libermann, fondateur de la Société du Saint- Cœur de Marie, tentait d'introduire ses religieux dans les Côtes-du-Nord ou dans le Morbihan. Des prêtres que divers motifs empêchaient de passer les mers, voulaient cependant consacrer aux missions une partie de leur activité. À Nantes, M. Guibou inaugurait l'institution des écoles apostoliques ; dans le diocèse de Vannes, plusieurs amis du P. Le Berre, missionnaire au Gabon, rêvaient d'établir à Auray, un petit séminaire africain.
12En 1850, l'idée missionnaire avait donc largement pénétré le jeune clergé breton. Le mouvement des vocations apostoliques qui s'était d'abord affirmé dans le diocèse de Rennes et de Saint-Brieuc, s'était étendu à la province entière. Les diocèses de Nantes, de Quimper et de Vannes avaient donné aux missions presque trois fois plus de prêtres entre 1841 et 1850 qu'entre 1801 et 1840. Les départs eussent été cependant plus nombreux si l'ordonnance du 16 juin 1828, qui limitait à 20 000, pour la France entière, le nombre des petits séminaristes, n'avait mis une entrave très sérieuse au recrutement sacerdotal7.
13À Saint-Brieuc, la moyenne annuelle des ordinations qui s'était élevée à 41 sous la Restauration n'atteignit pas 25 sous la Monarchie de Juillet ; à Rennes, cette moyenne fléchit de plus de 50 %. Les effectifs du clergé ne cessaient pas d'augmenter cependant car, les vieillards étant rares, la mortalité avait beaucoup diminué. Les 907 prêtres que possédait le diocèse de Saint-Brieuc en 1843 pouvaient suffire aux besoins des paroisses8. Dans les diocèses de Quimper, Vannes et Nantes, la situation n'était pas encore aussi favorable et les évêques n'accordaient que difficilement un exeat aux prêtres et aux séminaristes désireux de consacrer leur vie au salut des infidèles.
14En même temps que des prêtres, la Bretagne envoyait désormais des frères dans les missions. Elle envoyait même plus de frères que de prêtres. En 1850, les sociétés religieuses cléricales comptaient déjà dans les rangs de leurs missionnaires une cinquantaine de frères coadjuteurs d'origine bretonne et l'institut des Frères de Ploërmel qui, en 1837, à la demande du gouvernement, avait pris en charge les écoles des « Vieilles Colonies » françaises, avait pu, en quelques années, leur réserver 150 de ses instituteurs.
15À la suite des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, les Sœurs de Saint-Paul de Chartres et les Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul recrutaient quelques religieuses missionnaires en Bretagne tandis que Mère Théodore Guérin, sœur Irma Le Fer de la Motte et quelques autres religieuses de la Providence de Ruillé, attirées aux États-Unis par Mgr de la Hailandière, y fondaient une nouvelle congrégation. Les Bretonnes émigrées pour la diffusion de l'Évangile n'étaient encore qu'une trentaine. Ce chiffre était suffisant cependant, en un temps où un grand nombre de congrégations en étaient encore au stade de leur fondation ou de leur première organisation, pour laisser entrevoir qu'au xixe siècle la femme prendrait à l'œuvre missionnaire une part beaucoup plus importante que dans les siècles passés.
De 1851 à 1910
16Au cours de cette période, le mouvement missionnaire prit une extension très rapide : 403 Bretons ou Bretonnes quittèrent la France de 1851 à 1860, 826 de 1871 à 1880, 1 525 de 1901 à 1910. Différentes circonstances rendirent possible une augmentation si considérable des vocations apostoliques.
17L'œuvre de Propagation de la Foi prit un développement de plus en plus grand. Au cours de la seconde moitié du xixe siècle ses recettes bretonnes passèrent de 190 000 à 660 000 francs. Une œuvre nouvelle, celle de la Sainte-Enfance, intéressait les enfants chrétiens aux enfants païens et suscitait leur enthousiasme en faveur des missions. Les visites des missionnaires dans les séminaires, dans les collèges, dans les paroisses se multiplièrent. Ainsi, la diffusion croissante de l'idée missionnaire dans l'ensemble du peuple chrétien, et particulièrement parmi la jeunesse, créa peu à peu en Bretagne un climat éminemment favorable à l’éclosion de vocations apostoliques. Au-dessus de toutes ces circonstances, il faut placer cependant la loi de 1850 sur la liberté de l'enseignement, connue sous le nom de loi Falloux, qui abolit l'ordonnance du 16 juin 1828 et permit la multiplication des écoles congréganistes et des collèges ecclésiastiques.
18Sitôt votée la loi Falloux, le clergé breton s'empressa de mettre à profit une liberté qu'il attendait depuis le début du siècle. Les derniers mois de la Seconde République virent apparaître toute une floraison de collèges. Il y en eut cinq dans le Morbihan, à Vannes, Ploërmel, Gourin, Sarzeau et Hennebont. Dans les Côtes-du-Nord, les petits séminaires de Dinan, de Tréguier et de Plouguernevel furent doublés par les collèges de Quintin et de Saint-Brieuc et par le collège municipal de Guingamp confié par cette ville au clergé9.
19Le recrutement des nouveaux collèges fut d'autant plus prospère que, pendant longtemps encore, les écoles primaires supérieures firent presque entièrement défaut. Ces institutions virent éclore de nombreuses vocations sacerdotales tandis que les effectifs des petits séminaires eux-mêmes ne souffraient plus d'aucune limitation. La population des grands séminaires ne fit donc que s'accroître jusqu'à la fin du siècle. Celui de Saint-Brieuc avait reçu 483 élèves entre 1850 et 1859 ; il en vit arriver 674 entre 1860 et 1870.
20Le total des ordinations qui, pour les 5 diocèses bretons, avait été de 1 130 entre 1841 et 1850, s'éleva à 1 899 entre 1871 et 1880. Malgré la multiplication des postes de professeur — dans le diocèse de Saint-Brieuc, ils étaient passés de 37 en 1839 à 85 en 1860 et à plus de 130 en 187010 - le recrutement sacerdotal dépassa bientôt les besoins et même les possibilités des diocèses. Avant de recevoir un poste de vicaire, les jeunes prêtres durent séjourner d'abord quelques mois, puis quelques années, dans leur famille, ou chercher une place hors de Bretagne, dans un diocèse pauvre en clergé.
21Dans ces conditions, les évêques, loin de freiner le mouvement qui portait de nombreux jeunes gens vers les missions, le favorisaient au contraire en ouvrant toutes larges aux missionnaires conférenciers les portes de leurs collèges et de leurs séminaires. Ils le favorisaient encore par une plus grande sévérité dans les examens d'entrée aux grands séminaires et dans l'admission définitive des jeunes clercs dans les rangs de leur clergé diocésain. Chaque année, un certain nombre d'aspirants, dont l'aptitude au sacerdoce était cependant reconnue, étaient mis de cette façon dans l'obligation de choisir un autre champ d'apostolat que leur diocèse natal : plusieurs optaient pour les missions.
22La surabondance des vocations ne suffirait cependant pas à rendre compte de la progression des départs pour les missions entre 1850 et 1910 car, aux jeunes clercs qui n'étaient pas à même de rester dans leur diocèse d'origine, il restait toujours la possibilité de s'agréger à un autre diocèse de France ou d'entrer dans une congrégation non missionnaire. De fait, des centaines de jeunes prêtres bretons émigrèrent dans les diocèses de Paris, Versailles, Périgueux, Angoulême, La Rochelle, Blois, Tours, etc. Mais l'emprise de l'idée missionnaire sur la jeunesse des séminaires devenait plus forte d'année en année. Cette vogue croissante des missions est bien mise en relief par le relevé des exeat accordés par les évêques d'une part en faveur de diocèses français, d'autre part en faveur de pays d'outre-mer ou de sociétés missionnaires. De 1827 à 1850, 27 jeunes ecclésiastiques du diocèse de Vannes reçurent l'autorisation de s'agréger à un diocèse français et 20 seulement celle de s'orienter vers les missions. De 1851 à 1890, ces nombres passèrent respectivement de 65 à 266.
23Les séminaires diocésains n'étaient plus, du reste, les seules sources de recrutement de prêtres missionnaires. Dès 1853, les Pères du Saint-Esprit, profitant de la liberté accordée par la loi Falloux, avaient ouvert dans le Morbihan leur école apostolique de Gourin, transportée par la suite à Langon- net. En 1872, Mgr Guilloux installait à Pontchâteau le séminaire destiné à la formation du clergé d'Haïti ; en 1877, les Picpuciens transformèrent en petit scolasticat leur collège de Sarzeau ; vers 1882, le P. Le Doré, supérieur général des eudistes, fonda en faveur de sa congrégation plusieurs maisons de formation en Bretagne et, en 1890, le P. Desribes inaugura pour les Misions Africaines l'école apostolique Saint-Paul de Pont-Rousseau.
24Ces institutions empêchèrent les missions de se ressentir de la diminution des vocations sacerdotales causées par la loi de 1880 qui laïcisa l'enseignement, par celle de 1886, qui laïcisa le personnel des écoles communales, par la loi militaire de 1889 qui exigea des séminaristes le service militaire d'un an et, d'une manière générale, par l'hostilité de la République radicale à l'Église catholique. Quoique très sensible, la chute des ordinations fut loin d'être aussi accentuée que celle provoquée sous la Monarchie de Juillet par l'ordonnance du 16 juin 1828. D'autre part, les congrégations religieuses, prévoyant une persécution ouverte, multiplièrent leurs établissements à l'étranger.
25La loi de juillet 1904 astreignant les séminaristes à deux ans de service militaire et surtout la Séparation de l'Église et de l'État, votée en 1905, devaient avoir des résultats particulièrement néfastes pour le recrutement du clergé, mais ceux-ci ne se firent pas sentir avant 1910. Les dix premières années du xxe siècle virent même remonter la courbe des ordinations. Les séminaristes désireux de se consacrer aux missions purent le faire d'autant plus facilement qu'au lendemain de la loi de Séparation les évêques bretons se demandaient avec anxiété de quelle manière ils pourraient assurer la subsistance de leur nombreux clergé11. Les religieux, expulsés de leurs couvents, furent eux-mêmes plus nombreux que jamais à passer les mers. L'ensemble de ces circonstances explique l'ascension prodigieuse de la courbe des départs de prêtres bretons pour les missions entre 1851 et 1910.
26Au cours de cette période, les vocations missionnaires s'étaient accrues d'une façon extraordinaire dans l'ensemble de la France. Pendant toute la première moitié du xixe siècle, le séminaire des Missions Étrangères n'avait envoyé en Extrême-Orient que 275 prêtres ; il avait pu en envoyer 183 de 1851 à 1860, 400 de 1871 à 1880, 609 de 1891 à 1900. D'autres sociétés, exclusivement vouées à l'évangélisation des païens comme la Société des Missions Africaines fondée en 1851, celle des Pères Blancs fondée en 1869, et surtout la congrégation du Saint-Esprit, déjà ancienne mais revivifiée en 1848 par le P. Libermann, avaient disposé, elles aussi, d'un nombre toujours croissant d'ouvriers apostoliques. Non seulement la Bretagne avait assuré dans des proportions très larges la prospérité de ces sociétés et de tous les autres mouvements missionnaires français de quelque importance, mais les Eudistes missionnaires, les Montfortains missionnaires et les prêtres du clergé d'Haïti étaient presque tous des Bretons12.
27La plupart des sociétés de prêtres missionnaires s'adjoignirent des frères coadjuteurs mais, comme les Frères de Ploërmel restaient toujours de beaucoup les plus nombreux, ce sont les fluctuations de leur propre émigration qui commandent l'allure générale de la courbe des départs de frères dans les pays de missions.
28Jusqu'en 1881, cette courbe suivait à peu près celle des prêtres : 170 frères étaient partis de 1851 à 1860, 207 de 1861 à 1870, 280 de 1871 à 1880. Mais, au cours des deux dernières décennies du xixe siècle, les lois de laïcisation chassant les Frères de Ploërmel de leurs écoles de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane ramenèrent ces départs à 171 puis à 167. De 1901 à 1910, il n'y en eut que 145 par suite de l'éviction des Frères de Ploërmel de leurs dernières écoles coloniales et de la désorganisation que provoqua dans leur institut la loi interdisant l'enseignement aux congréganistes. Mais, conséquence inverse de la législation anticongréganiste, des frères franciscains cherchaient refuge en Terre Sainte, 44 frères de Saint-Gabriel et 126 frères des Écoles Chrétiennes quittaient la Bretagne pour ouvrir des écoles en Afrique, en Amérique et en Asie. Pour la première décennie du xxe siècle, la courbe des départs (283 frères) atteint un niveau jamais dépassé.
29Les 33 religieuses qui avaient passé les mers avant 1850 ne représentaient pas même le huitième des missionnaires bretons. La caractéristique du mouvement des missions catholiques dans la seconde moitié du xixe siècle fut la place toujours plus grande qu'y occupèrent les instituts féminins.
30Au lendemain de la loi Falloux, certaines congrégations, à la fois enseignantes et missionnaires, s'empressèrent d'ouvrir de nouvelles écoles, sachant bien que c'était pour elles le plus sûr moyen de s'assurer un abondant recrutement. C'est ainsi que les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, qui dirigeaient déjà quelques établissements scolaires dans la région brestoise, en fondèrent de nouveaux dans la Cornouaille, dans le pays de Gourin, à Châteaubourg en Ille-et-Vilaine tandis que les Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition, congrégation méridionale jusqu'alors inconnue en Bretagne, prirent la direction de plusieurs écoles dans les Côtes-du-Nord et dans le Morbihan. D'autres congrégations enseignantes furent bientôt assez nombreuses pour prélever en faveur des missions une part de leur personnel. Dès 1855, des Filles de la Croix de Tréguier passèrent en Louisiane ; en 1875, des filles de la Sagesse se mirent au service des évêques d'Haïti.
31Grâce surtout à la multiplication des écoles libres, les congrégations non enseignantes bénéficièrent elles-mêmes d'un afflux inaccoutumé de postulantes. Les Filles de la Charité, qui comptaient déjà quelques Bretonnes parmi leurs missionnaires, purent en multiplier le nombre. En 1868, c'est-à-dire moins de trente ans après la fondation de leur congrégation à Saint-Servan, des Petites Sœurs des Pauvres débarquaient en Afrique et en Amérique.
32Fait entièrement nouveau dans l'histoire de l'Église, aux congrégations enseignantes et hospitalières s'ajoutèrent des instituts féminins fondés spécialement en vue des missions : Sœurs Blanches de Notre-Dame d'Afrique en 1869, Sœurs de Notre-Dame des Apôtres en 1876, Franciscaines missionnaires de Marie en 1877, Sœurs missionnaires de la Société de Marie en 1880. Ce fut en Bretagne que, par l'intermédiaire de l'abbé Le Mauff, Lavigerie trouva ses premières Sœurs Blanches ; ce fut à Saint-Brieuc qu'une Nantaise, mère Marie de la Passion, fonda les Franciscaines missionnaires ; ce fut dans cette même ville que le P Méchin et Mme des Groues instituèrent le premier noviciat des Sœurs Missionnaires de la Société de Marie. De nombreuses jeunes filles, qui ambitionnaient de se dévouer au service des missions, entrèrent de préférence dans ces instituts purement missionnaires.
33En dehors des congrégations bretonnes, figurent seulement dans ce tableau d'ensemble celles qui se recrutèrent en Bretagne avec le plus de succès, mais il faut noter que, de 1850 à 1910, le nombre des congrégations envoyant des religieuses bretonnes dans les missions passa de 5 à 25.
34Les lois de laïcisation ne firent pas grand tort au recrutement de toutes ces congrégations car les écoles laïcisées furent remplacées par des écoles libres. Ce ne fut qu'en 1889 que les Sœurs de Saint-Paul de Chartres prirent la direction de plusieurs écoles en Bretagne et en 1892 qu'elles ouvrirent un noviciat missionnaire à Carquefou. Ces mêmes années, des Sœurs de Saint-Jacut, des Filles de Jésus de Kermaria et des Augustines hospitalières de Pont-l'Abbé, de Vitré et de Fougères s'embarquèrent pour l'Afrique du Sud. À partir de 1890, il partit chaque année plus de religieuses que de prêtres.
35Le contrecoup immédiat de la politique d'Émile Combes fut favorable aux missions. Dès la fin de 1904, 1 316 religieuses enseignantes s'étaient exilées en Amérique du Nord et des congrégations à la fois enseignantes et missionnaires, telle celle de Saint-Joseph de Cluny, envoyèrent leurs jeunes religieuses hors d'Europe en plus grand nombre encore que par le passé. Au cours du xixe siècle, 1 616 religieuses bretonnes avaient passé les mers ; 1 316 le firent au cours de la première décennie du xxe.
36Grâce à toutes ces circonstances favorables, la courbe des départs des religieuses missionnaires marqua une ascension nettement plus rapide encore que celle des prêtres : 83 religieuses de 1851 à 1861, 115 de 1861 à 1870, 229 de 1871 à 1880, 468 de 1881 à 1890, 688 de 1891 à 1900, 1316 de 1901 à 1910.
De 1911 à 1940
37La législation antireligieuse de la IIIe République, loin de diminuer immédiatement le nombre des missionnaires, avait contribué à le grossir. La grave atteinte portée aux écoles chrétiennes par la suppression de l'enseignement congréganiste, la désorganisation de l'enseignement secondaire libre par la spoliation de la plupart des collèges et des petits séminaires, un certain complexe psychologique où dominait une appréhension craintive de l'avenir, créée dans beaucoup de familles catholiques par la séparation de l'Église et de l'État et par les Inventaires, et aussi le fléchissement progressif de la natalité eurent d'importantes conséquences sur le recrutement du clergé séculier comme sur celui des différentes congrégations masculines ou féminines.
38Par rapport aux chiffres enregistrés de 1890 à 1900, les rentrées des grands séminaires de Nantes, de Rennes, de Saint-Brieuc et de Vannes baissèrent de 16 % entre 1901 et 1910 et, malgré une reprise générale amorcée pendant la Grande Guerre, de 48 % entre 1911 et 1920. La guerre venant par surcroît interrompre les études de presque tous les séminaristes, le nombre des ordinations entre 1911 et 1920 fléchit de 59 % par rapport à la décennie précédente. Au lendemain de la guerre, la courbe des ordinations reprit une marche ascendante sans jamais atteindre cependant, pour l'ensemble de la Bretagne, le niveau le plus bas de la période 1851-1910. De plus, les besoins des diocèses s'accrurent assez considérablement par la multiplication des postes de vicaires-instituteurs et d'aumôniers d'œuvres d'action catholique.
39Si la courbe des départs de prêtres missionnaires suit assez sensiblement la courbe des ordinations c'est que, au début du siècle, plusieurs congrégations avaient sauvé leurs écoles apostoliques en les transférant à l'étranger et que, la guerre terminée, ces écoles avaient pu se réinstaller en France. Parmi les prêtres missionnaires, les anciens élèves des écoles apostoliques furent désormais nettement plus nombreux que ceux des séminaires dioésains où, dans l'ensemble, l'éclosion des vocations apostoliques fut loin d'être favorisée comme elle l'avait été autrefois.
40Les mouvements de prêtres séculiers, qui se recrutaient en grande partie dans l'excédent en vocations des grands séminaires diocésains, et les sociétés dépourvues d'écoles apostoliques comme les Missions Étrangères de Paris, virent décroître dans des proportions considérables le nombre de leurs missionnaires bretons. Au contraire, la courbe du recrutement des instituts missionnaires dotés d'écoles apostoliques - Spiritains, Pères Blancs, prêtres des Missions Africaines - ne fit que progresser.
41La dissolution légale des congrégations fit un tort considérable aux frères enseignants. Obligés de se séculariser, ne pouvant avoir en France leurs maisons de formation, ils se trouvaient dans l'impossibilité de répondre favorablement à toutes les demandes qui leur étaient adressées par les évêques. De 1911 à 1940, les Frères des Écoles Chrétiennes envoyèrent cependant 23 frères dans les missions et les Frères de Saint-Gabriel, 14 ; les Frères de Ploërmel qui, au cours des dix premières années de la IIIe République avaient envoyé outre-mer 249 instituteurs, ne purent en envoyer que 103. Par contre, la congrégation du Saint-Esprit, qui disposait en Bretagne d'une maison de formation, reçut, en qualité de frères, une centaine de candidats aux missions.
42La courbe des départs de religieuses est caractérisée, de 1911 à 1920, par un effondrement plus accentué encore que celui des prêtres ; de 1921 à 1930, par un ressaut bien accusé, approchant du niveau atteint de 1881 à 1890, puis, de 1931 à 1940 par un retour au niveau des années 1911- 1920.
43Plusieurs congrégations à la fois enseignantes, hospitalières et missionnaires, celles de Saint-Joseph de Cluny et de la Sagesse, par exemple, avaient refusé de se séculariser ; elles avaient affecté à leurs écoles des pays de mission leurs institutrices expulsées des écoles françaises et placé leurs jeunes religieuses dans leurs œuvres hospitalières. La fermeture de leurs écoles tarit immédiatement leur recrutement. Dans l'ensemble, les congrégations purement enseignantes, incapables de donner une nouvelle occupation à toutes leurs religieuses, se sécularisèrent. Les Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition auraient pu très facilement envoyer dans leurs missions toutes leurs religieuses employées dans leurs écoles des Côtes-du-Nord et du Morbihan ; elles saisirent parfaitement qu'en fermant ces écoles elles auraient ruiné leur recrutement breton qui avait motivé leur venue dans la province. Elles se sécularisèrent donc et augmentèrent même le nombre de leurs écoles.
44D'autre part, dans plusieurs diocèses, lors des retraites annuelles de leur clergé, les évêques demandèrent, souvent avec grande insistance, d'orienter les vocations féminines vers les congrégations diocésaines enseignantes. Les religieuses hospitalières, recevant elles-mêmes beaucoup moins de postulantes que par le passé, ne purent en réserver qu'un petit nombre pour les missions. Seules les congrégations purement missionnaires virent augmenter le nombre de leurs recrues bretonnes, les jeunes filles désireuses de se dévouer dans les missions n'ayant plus que des chances très diminuées de réaliser leur idéal en entrant dans des congrégations enseignantes ou hospitalières.
45De 1931 à 1940, la courbe des frères et celle des religieuses marquent une nette diminution tandis que celle des prêtres progresse légèrement. Une des raisons de cette différence vient de ce que la diminution des naissances, due à la guerre 1914-1918, s'est fait sentir dès 1935 pour les frères et pour les religieuses qui partent dans les missions vers l'âge de vingt/vingt-trois ans, c'est-à-dire quatre ou cinq ans plus tôt que les prêtres.
De 1941 à 1990
46La décennie 1941-1950 parut très prometteuse pour les missions. Le total des ordinations dans les cinq diocèses de Bretagne fut de 1 532 alors que, au cours du siècle écoulé, sa moyenne décennale avait été de 1 300. Les petits et grands séminaires, les écoles apostoliques étaient remplis. L'avenir semblait assuré. Si, de 1940 à 1945, la guerre et l'occupation allemande avaient stoppé tout départ pour les missions, au cours des cinq années suivantes, celles-ci avaient reçu 745 missionnaires bretons soit un peu plus qu'au cours de la décennie précédente. De ce nombre, les prêtres (479) avaient constitué plus de 64 %, les frères (74) 10 %, les religieuses (192) moins de 26 %. L'infériorité numérique des religieuses s'était déjà manifestée entre 1931 et 1940 mais pas dans un pareil pourcentage. Elle constituait une anomalie puisque sur près de 6 500 missionnaires partis outremer de 1881 à 1930, 33,5 % étaient des prêtres, 14,25 % des frères et 52,25 % des religieuses. Les statistiques permettent de découvrir les raisons de cette anomalie.
47Plus de la moitié des religieuses parties entre 1946 et 1950 appartenaient à des congrégations spécifiquement missionnaires. En dehors de celui des Augustines, qui avaient ouvert récemment un noviciat missionnaire à Malestroit, l'apport des hospitalières, dont le recrutement s'était effondré depuis longtemps, avaient été des plus minimes. Les Filles de la Sagesse et les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny qui, dans les dernières années du xixe siècle et dans les premières du xxe, avaient envoyé hors d'Europe 561 religieuses pour leur éviter la sécularisation, n'avaient pu en envoyer que trois chacune de 1945 à 1950. Les Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition qui, pour sauver leurs écoles, avaient accepté de se séculariser en avaient envoyé 17. Quant aux instituts d'enseignantes à statut diocésain, leur recrutement était abondant et pour l'augmenter, certains d'entre eux construisaient d'importants juvénats. Mais en ce temps où les écoles libres étaient le souci majeur des évêques bretons, ils ne pouvaient pas se permettre de sacrifier aux missions la moindre part de leurs effectifs. La vingtaine de religieuses enseignantes et bretonnes parties outre-mer appartenaient à des congrégations dont la maison-mère était située hors de Bretagne.
48Au cours de la décennie 1950, les ordinations chutèrent dans tous les diocèses : de près de 22 % dans celui de Rennes, de 40 % dans celui de Nantes, de près de 50 % dans celui de Saint-Brieuc, de 53 % dans celui de Quimper, de près de 58 % dans celui de Vannes. Les départs de prêtres (365) chutèrent aussi, très faiblement dans les diocèses de Nantes et de Rennes, environ du quart dans ceux de Quimper et de Vannes, des trois quarts dans celui de Saint-Brieuc. Les départs de frères étaient stables. Ceux des religieuses (243) étaient toujours notablement inférieurs à ceux des prêtres mais ils avaient augmenté dans tous les diocèses sauf celui de Rennes. De ces 243 religieuses parties au cours de ces dix années, les membres de congrégations missionnaires n'étaient plus que 60.
49L'un des objectifs de Pie XII quant il avait promulgué Fidei Donum avait été de parer à la déficience de leur recrutement. Peu avant cette encyclique ou aussitôt après, des congrégations bretonnes envoyèrent de leurs religieuses en Afrique. Entre 1954 et 1960, 20 Filles du Saint-Esprit arrivèrent au Cameroun, 9 Sœurs de Saint-Thomas de Villeneuve au Sénégal, autant de Sœurs de la Charité de Saint-Louis à Madagascar, des Filles de la Providence de Créhen au Zaïre, des Sœurs de Saint-Gildas et de la Sainte- Famille de Grillaud (Nantes) au Bénin. C'est grâce à ces religieuses et, dans une proportion moindre, à celles d'une vingtaine de congrégations françaises se recrutant en Bretagne qu'au lieu de s'effondrer le nombre des départs avait augmenté.
50Au cours de la décennie 1960, le nombre des ordinations, 637, chuta encore de plus de 26 % et les départs de prêtres pour les missions (221) de près de 60 %. 137 de ces prêtres missionnaires étaient originaires des diocèses de Nantes et de Quimper et 84 des trois autres diocèses. Effet de Fidei Donum et de Vatican II, 49 % de ces prêtres étaient envoyés par leurs évêques (39 par les évêques de Nantes et de Quimper, 22 par les autres diocèses).
51Les départs de religieuses augmentèrent de plus d'une cinquantaine. En décembre 1965, Paul VI avait promulgué le décret Ad gentes sur l'activité missionnaire de l'Église dont le texte, signé par tous les évêques, avait singulièrement renforcé l'Encyclique Fidei Donum. Il fait un devoir à tous les instituts de vie active de « se poser devant Dieu la question de savoir s'ils peuvent étendre leur activité en vue de l'expansion du règne de Dieu parmi les païens, s'ils peuvent laisser à d'autres certains ministères de façon à dépenser leurs forces pour les missions ».
52Les aspirations missionnaires, présentes souvent depuis longtemps chez les religieuses enseignantes, furent d'autant plus facilement libérées par le décret conciliaire qu'en 1959 la loi Debré leur avait donné la possibilité de mettre leurs écoles sous contrat et donc de recourir davantage à des professeurs laïques sans compromettre leurs finances. Des 297 religieuses bretonnes parties au cours de la décennie, 28 seulement appartenaient à un institut missionnaire. Les Filles de Jésus de Kermaria en avaient donné 33, les Filles du Saint-Esprit 26, les Sœurs du Christ Rédempteur (Rillé) 23, les Sœurs de Saint-Gildas 23, les Sœurs de Saint-Jacut 14. À noter aussi que 31 instituts dont la maison-mère n'est pas située en Bretagne avaient eux-mêmes envoyé dans les missions plus d'une centaine de Bretonnes.
53Pour comprendre l'évolution de la courbe des départs de missionnaires bretons au cours des deux dernières décennies, il convient de prendre en compte des statistiques concernant l'Église en France et dans le monde entier. Entre 1963 et 1967, faute de recrutement suffisant, presque tous les petits séminaires et presque toutes les écoles apostoliques avaient fermé. Il y avait eu 845 entrées dans les grands séminaires en 1965 ; il n'y en eut que 402 en 1971 et seulement 155 cinq ans plus tard. Dès 1970, il avait été nécessaire de regrouper dans un seul séminaire les séminaristes de plusieurs diocèses. Les ordinations, qui dépassaient encore le millier en 1951, n'étaient que 845 en 1964, 402 en 1971 et ne seront que 111 en 1980.
54Pour les effectifs de tous les instituts masculins et de presque tous les instituts féminins, 1964 fut une année record ; pour tous aussi, les années qui suivirent amorcèrent un déclin qui, presque toujours devait s'accentuer d'année en année. Ainsi, par exemple, les quatre instituts missionnaires masculins se recrutant en Bretagne, Missions Étrangères, Spiritains, Pères Blancs et Missions Africaines totalisaient 12 087 membres en 1964 ; treize ans plus tard, cet effectif avait diminué de 20 %. Dans le même laps de temps, le nombre des Frères de Ploërmel et de Saint-Gabriel avait chuté d'un cinquième. Les instituts féminins subissaient le même sort. Conséquence d'un renouvellement insuffisant, les moyennes d'âge ne cessaient de croître. Au début de 1985, la proportion des sœurs âgées de plus de soixante-cinq ans était particulièrement élevée dans les instituts spécifiquement missionnaires ; près de 65 % chez les Franciscaines missionnaires de Marie, 66 % chez les Sœurs de Notre-Dame des Apôtres, près de 79 % chez les Sœurs Blanches ; elle l'était beaucoup moins dans les instituts d'enseignantes : 52 % chez les Sœurs de Kermaria, 55 % chez les Filles de la Sagesse13.
55En Bretagne, de 1971 à 1980, le nombre des ordinations s'est effondré à 28, celui des prêtres partis dans les missions à 59 dont 17 Fidei Donum. Celui des frères a diminué de moitié, celui des religieuses d'un tiers. D'après nos renseignements, sur la dernière décennie, (renseignements incomplets pour les religieuses), de 1981 à 1990 seraient partis 10 prêtres dont 5 Fidei Donum, 44 frères et 79 religieuses. Ce qui mérite explication, c'est moins la diminution des départs de frères et de religieuses que leur maintenance alors que les noviciats de la plupart des instituts sont vides. Les instituts enseignants et aussi les contemplatifs sont très attachés à leurs fondations, souvent récentes, dans les pays de mission. La moyenne d'âge des religieuses envoyées hors d'Europe au cours des dernières années varie selon les congrégations entre quarante-deux et quarante-cinq ans, mais il n'est pas rare que des frères ou des religieuses qui ont enseigné en France dans des écoles sous contrat et qui, à l'approche de la retraite ou même après, se trouvent encore vaillants et sollicitent leur obédience pour un pays lointain le plus souvent francophone.
Notes de bas de page
1 D'après un « État de la population des curés et desservans » dressé en mars 1809, par les soins de Bigot de Préameneu, ministre des Cultes, et publié par F. Combaluzier, Le Recrutement sacerdotal, année 1931, p. 614-617. D'après cette statistique, il y avait alors, dans les cures et succursales 31870 prêtres. Comme le nombre des prêtres mourant chaque année (plus de 1 000) était de beaucoup supérieur à celui des ordinations, nous pensons être au-dessous de la réalité en fixant à 33 000 le nombre des membres du clergé paroissial en activité en 1803.
2 32 332 d'après le P. Doncœur, La crise du sacerdoce, Paris, 1932, p. 42
3 Cf. E. Le Bellec, « Quelques éléments pour une statistique du clergé diocésain » dans SRSB, 1939, p. 402-410.
4 Fr. Symphorien-Auguste, à travers la correspondance de l'abbé J.-M. de La Mennais, Vannes, 3e série, 1937, p. 201.
5 A. Launay, Mémorial de la Société des Missions Étrangères, op. cit.
6 Grégoire XVI, ancien préfet de la Propagande, fut comme le grand pape missionnaire du xixe siècle.
7 J. Brugerette, Le prêtre français et la société contemporaine, 3 vol., 1933-1938, t. I, p. 98.
8 E. Le Bellec, art. cit., SRSB, 1939, p. 405.
9 E. Lecanuet, Montalembert, 2 vol., Paris, 1909, t. II, La liberté de l'enseignement, p. 497.
10 SRSB, 1939, p. 405
11 Le passage suivant d'une lettre d'un vicaire général au P. Delbrel, fondateur du Recrutement sacerdotal, traduit bien la mentalité qui régnait dans plusieurs évêchés de Bretagne au lendemain de la Séparation : « [...] Je me demande s'il faut, dans les circonstances actuelles, se préoccuper de susciter des vocations sacerdotales. Sans doute, chez nous comme ailleurs, elles sont, depuis quatre ou cinq ans, un peu plus rares qu'autrefois. Mais enfin, d'une part nous avons à peu près ce qu'il nous faut de prêtres pour que tous les postes soient pourvus et d'autre part, après la suppression du budget des cultes, je crains que nous n'en ayons trop pour qu'il nous soit possible de pourvoir à leur subsistance... », Le Recrutement Sacerdotal, décembre 1905.
12 Ce fait ne passait pas inaperçu. Ayant appris l'arrivée de quelques Bretons au noviciat des Pères Blancs, M. Payan d' Angery écrivait à Lavigerie, le 15 décembre 1872 : « Que N.-S. vous adresse de nouveaux Bretons : ils sont partout les fondements des Ordres religieux. », Archives de la Maison-Mère des Pères Blancs.
13 Élisabeth Dufourq, Les Congrégations religieuses féminines hors d'Europe de Richelieu à nos jours,t. IV, Paris, 1993, p. 867.
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