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Missionnaires bretons d'outre-mer

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Joseph Michel

Troisième partie. Vue d'ensemble sur les vocations missionnaires

Chapitre XIII. L'éveil des vocations missionnaires Encouragements, obstacles, orientations

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Géographique :

France

Texte intégral

Le missionnaire, principal éveilleur de vocations missionnaires

  • 1 C'est là le sens passif du mot vocation, mais ce mot est aussi employé dans un sens actif. Il dési (...)
  • 2 L. Bertin, Autobiographie, manuscrit cité.

1La vocation missionnaire peut se définir : la volonté de se consacrer aux missions chez un sujet doué des qualités morales, intellectuelles et physiques requises pour l'exercice de la vie apostolique1 Les Annales de la Propagation de la Foi, les Annales de la Sainte-Enfance, les revues publiées par différentes congrégations, des biographies de martyrs ou d'apôtres célèbres, furent à l'origine d'un grand nombre de vocations missionnaires. Dès 1825, des lettres d'Amérique publiées par les Annales de la Propagation de la Foi décidèrent un jeune étudiant rennais, Louis Bertin, à consacrer sa vie aux missions de ce continent2.

  • 3 SRR.

2La multiplication des écoles congréganistes au cours de la seconde moitié du xixe siècle eut une très grande influence sur le mouvement des vocations missionnaires, surtout quand ces écoles étaient dirigées par des congrégations à la fois enseignantes et missionnaires, ou quand elles devenaient le centre paroissial de l'œuvre de la Sainte-Enfance. L'influence directe ou indirecte des Frères de Ploërmel sur l’éclosion de vocations sacerdotales et missionnaires semble ressortir de cette constatation que les diocèses ayant donné le plus de prêtres aux missions sont également ceux qui leur ont donné le plus de frères. D'après une statistique de 1937, 92 % des petits séminaristes du diocèse de Rennes venaient des écoles libres3.

3Le grand éveilleur de vocations missionnaires, c'est le missionnaire lui- même. Lorsqu'il a quitté le petit ou le grand séminaire ou même son poste de vicaire, il a souvent entraîné un condisciple ou un ami dans son sillage. C'est presque une règle qu'un départ pour les missions en amène un ou plusieurs autres. L'entrée de l'abbé Caret chez les Pères de Picpus, celle de l'abbé Reigner chez les Pères Maristes furent à l'origine de courants de vocations en faveur de ces congrégations.

4Même sans le rechercher délibérément, le missionnaire a de grandes chances de faire des recrues dans sa propre famille. Près de 500 familles bretonnes ont donné 2 missionnaires, 90 en ont donné 3, 18 en ont donné 4, les familles Daniel, de Plessala (C.-d-N.), Beaucé, de Fleurigné (I.-et-V.), Hervouet, de Remouillé (L.-I.), Lavolé, de Meslan et Le Bris, du Saint (Morbihan) en ont donné 5 ; les familles Picarda, de Meslan et Guiche-bard, de Plounez (C.-d-N.) en ont donné 6 ; la famille Esvan, d'Arzano (Finistère) en a donné 7. Encore ne tenons-nous compte que des frères et sœurs et des neveux et cousins portant le même nom et nés dans la même commune. Mais, par de multiples exemples, nous avons pu nous convaincre que, en dehors de leurs frères et de leurs sœurs, c'est surtout parmi les enfants de leurs sœurs que les missionnaires trouvent des imitateurs. Madame Lavolée, par exemple, mère ou grand-mère des 5 missionnaires de Meslan était la sœur des Pères Picarda.

5Nous avons constaté, tout au long des pages consacrées aux différents mouvements missionnaires masculins que les principaux foyers de recrutement étaient les séminaires diocésains. C'est à la suite du passage d'un conférencier dans ces établissements que les oblats de Marie et les Pères Blancs reçurent leurs premiers Bretons. La meilleure méthode pour les propagandistes était de parler de l'apostolat en pays païen en montrant plutôt le « revers de la médaille » comme disait Mgr Clut aux grands séminaristes de Vannes. C'est ce que reconnaissent les auteurs de l'histoire du petit séminaire de Sainte-Anne d'Auray :

  • 4 J. Buleon et E. Le Garrec, Sainte-Amie d'Auray, op. cit., t. III, p. 323

On a entendu parfois des missionnaires vanter les charmes et les avantages matériels des pays qu'ils évangélisaient. Et leurs paroles ne trouvaient aucun écho, les élèves étant bien convaincus que s'il fallait se placer à ce point de vue, aucun pays du monde n'était préférable au leur. D'autres faisaient un appel discret au sacrifice et il était rare que leur appel ne fût pas entendu4.

6Voici le souvenir gardé par un ancien élève du petit séminaire de Machecoul d'une conférence donnée dans cet établissement, vers 1864, par Mgr Grandin, évêque oblat des glaces polaires.

  • 5 Petit Messager des Missions, 1897, p. 35.

Il nous décrivait, sans en rien dissimuler les difficultés terribles et de tout genre qu'il rencontrait dans sa mission, du côté des hommes et du côté des éléments. La peinture était sombre comme à plaisir. Nous étions suspendus à ses lèvres. Tout à coup il s'écria : « Dans ce pays de sauvages et de bêtes fauves, sous un ciel glacial, sur ce sol couvert de neige, il vient cependant des commerçants anglais qui s'exposent à tous les dangers pour acheter des queues de loup et des peaux de martre, et on ne trouverait pas des prêtres pour venir y chercher des âmes ! » Cela était dit avec un visage austère, des yeux humides, une voix d'absolue conviction. Nul de nous n'a pu oublier ce cri5.

7Une trentaine d'années plus tard, Mgr Grandin, devenu archevêque de Saint-Boniface, conférait la consécration épiscopale à Mgr Legall, l'un de ses jeunes auditeurs de Machecoul, qu'il venait de recevoir pour coadjuteur.

8Les Semaines religieuses inséraient parfois des demandes de volontaires pour les missions. Le P. Lecorre, missionnaire de l'Athabaska-Mackenzie recourait beaucoup à ce genre de propagande. Le passage suivant donnera le ton de ses articles :

  • 6 SRV, 1872, p. 687.

Pourquoi ne viendriez-vous pas grossir les rangs de notre petite phalange ? Et sur un si beau champ de bataille ? L'exil est à trois mille et quelque cents lieues de sa patrie, la privation absolue de pain et de toute boisson, des marches forcées à la suite d'un traîneau attelé de quatre chiens, pendant 8, 10, 15 jours et davantage, par un froid de 35 à 40° avec la perspective, chaque soir, d'un bon lit de branches de sapin dans la neige, au milieu d'une forêt ! Voilà de quoi satisfaire un cœur généreux et avide de souffrir quelque chose pour son Dieu ! Ce n'est pas le martyre de Chine ; on peut vivre longtemps dans le Nord, mais c'est loin d'être aussi le coin du feu paternel6.

  • 7 R. P. Duchaussois, Apôtres inconnus, Paris, 1929

9Joseph Lorfeuvre, infirmier de l'hôpital de Pontivy, lut un jour par hasard un appel de ce genre. Montrant l'article à son camarade, l'infirmier Thouminet : « Tiens Thouminet, lui dit-il, voilà ce qu'il nous faut ! — Allons-y ! » Répliqua Thouminet et tous deux partirent aussitôt pour l'Athabaska7.

10Dans certaines congrégations, un religieux était spécialement chargé de la recherche des vocations. Il visitait les séminaires, les collèges, les paroisses et les écoles, donnait des conférences et des sermons sur les missions. Il gardait contact avec les enfants et les jeunes gens désireux d'embrasser la vie apostolique et avec les membres du clergé paroissial disposé à le seconder dans sa tâche.

11Les missionnaires pouvaient utiliser leur correspondance pour lancer des appels en faveur de leur mission ou de leur congrégation. Beaucoup n'y manquaient pas. À certaines périodes, ces appels pouvaient être faits d'une façon directe et avec une insistance qui, aujourd'hui, nous semblerait indiscrète. On en jugera par cette lettre qu'on trouva inachevée sur la table d'un missionnaire d'Haïti enlevé subitement par la fièvre jaune :

  • 8 Lettre du P. Fauchoux, SRV, 1872, p. 675.

.Ces derniers jours, mon cher ami, nous parlions entre nous, comme nous le faisions souvent, de l'immense besoin de prêtres... Je pensais à mes anciens condisciples du séminaire et de Ploërmel et je me demandais si le bon Dieu n'inspirerait pas à quelques-uns d'entre eux la sainte pensée de venir nous rejoindre. Alors me vint à l'idée de t'écrire...
Viens donc et amène avec toi un bon nombre de saints et généreux apôtres. L'occasion est belle : M. Hillion est en France. Le voilà nommé évêque du Cap-Haïtien en même temps que le Père Ronvel est nommé évêque des Cayes. Il leur faudra des prêtres et je ne doute pas que M. Hillion n'en ramène une bonne petite troupe avec lui. Sois du nombre...8

12La correspondance adressée par le P. Pelé, un ancien professeur du petit séminaire de Saint-Méen devenu missionnaire en AEF au jeune Paul Rault, un de ses élèves qui s'était décidé à le suivre dans la congrégation du Saint- Esprit, montre mieux encore l'intérêt de cette propagande épistolaire :

Nous ne sommes qu'une trentaine de Pères ou de Frères pour tout ce pays de Loango, qui mesure une superficie égale à près de la moitié de la France. Dites donc à vos amis et aux miens que ce vaste champ est ouvert à toutes les bonnes volontés. Qu'ils viennent à la rescousse. La vie est si courte qu'il importe de la bien employer.
Parlez des missions. Qui sait si Dieu ne fera pas germer des vocations après que vous aurez semé la bonne parole. Il y a tant d'âmes qui cherchent leur voie, qui regardent l'horizon, qui attendent un signe du bon Dieu...

13Et quand Paul Rault fut entré chez les Pères du Saint-Esprit, le P. Pelé lui faisait ces recommandations :

  • 9 J. Delaire, Le Pire Rault, Rome, 1930, p. 5.

Écrivez au petit et au grand séminaire. Où qu'ils soient, restez en relation avec vos amis. Sollicitez des vocations... Je commence à être oublié, moi... C'est aux jeunes, aux derniers venus, à continuer la tradition, à ajouter quelques anneaux à la chaîne des apôtres rennais9.

  • 10 Petit Messager des Missions, 1928, p. 135.

14Au nombre des éveilleurs de vocations apostoliques, il faut placer, aussitôt après les missionnaires eux-mêmes, des prêtres liés avec un missionnaire par des liens de parenté ou d'amitié et surtout les « missionnaires manqués », c'est-à-dire des prêtres ou des religieux qui auraient voulu partir dans les missions et qui, pour une raison ou pour une autre, en ont été empêchés. Mgr Robert, le directeur du Petit Messager des Missions, était de ces derniers. Lorsqu'il avait quitté le grand séminaire de Nantes, le P. Roger son confesseur, lui avait dit pour le consoler : « Mon enfant, vous serez missionnaire quand même10 ». Nous savons à quel point se réalisa cette prédiction.

Vocation missionnaire et famille

15Nous sommes loin d'avoir signalé toutes les influences qui peuvent contribuer à l'éveil de vocations apostoliques. Il faut poser en principe que tout ce qui favorise l'idée missionnaire favorise du même coup l'éclosion de vocations pour les missions. Tous les auteurs qui traitent de la vocation sacerdotale ou religieuse s'accordent pour dire que, le plus souvent, pour s'épanouir, cette vocation a besoin d'un milieu favorable et, avant tout, d'une atmosphère familiale profondément chrétienne. Il ne peut qu'en être de même de la vocation missionnaire qui représente un idéal plus sublime et qui exige des sacrifices plus grands, tant de la part des parents que de celle des enfants.

16La grande majorité des missionnaires bretons appartenaient à des familles nombreuses. Fait qui se vérifie pour l'ensemble des missionnaires français. En 1942, alors qu'en moyenne on ne trouvait plus en France que deux enfants par foyer, une enquête faite au Séminaire des Missions Étrangères de Paris, au Noviciat de la congrégation du Saint-Esprit et au Noviciat des Franciscaines missionnaires de Marie nous a révélé que les foyers d'où provenaient les 400 aspirants de ces trois établissements comptaient en moyenne plus de six enfants. Il n'y a là rien de bien surprenant. Souvent les familles ne sont nombreuses que parce que les parents sont franchement chrétiens et, d'autre part, l'enfant qui grandit au sein d'une telle famille y reçoit d'ordinaire une éducation plus virile et est mieux préparé à embrasser l'austérité de vie et les sacrifices exigés par la vie apostolique.

  • 11 SRV, 1899, p. 664.
  • 12 SRSB, 1905, p. 556.
  • 13 Petit Messager des Missions, t.I, p. 568.

17L'Œuvre de la Propagation de la Foi fit pénétrer l'idée missionnaire dans les foyers chrétiens. Chaque soir, le jeune Buléon, futur vicaire apostolique du Sénégal, entendait sa pieuse mère terminer la prière familiale par une invocation à la Vierge pour lui demander le salut des païens11. Des mamans demandèrent à Dieu de leur accorder un fils missionnaire. Ce fut le cas de la mère du P. Bourdonnec, le martyr du Tibet12. Quand Mgr Van Camel-beck naquit à Nantes, en 1839, son père, le prenant dans ses bras, l'offrit spécialement à Dieu pour devenir missionnaire et, à son baptême, il lui fit donner le nom de François-Xavier en l'honneur de l'apôtre des Indes et du Japon13. M. Amet Limbour exprimait souvent à ses enfants son désir de voir l'un d'entre eux se consacrer à l'évangélisation des pays lointains. Ces exemples ne doivent pas nous faire illusion ; d'une manière générale, c'était pour les parents un dur sacrifice de donner leur consentement au départ de l'un de leurs enfants pour les missions ; s'ils se résignaient à le faire, c'est que, dans la vocation de leur fils ou de leur fille, ils voyaient la volonté de Dieu.

  • 14 P. Gaborit, Vie de François Mabilleau, op. cit., p. 44.

18Les enfants, le plus souvent, même quand leur résolution de partir était bien arrêtée, gardaient longtemps leur secret. Le moment venu, ils préparaient peu à peu leur famille à l'aveu décisif, laissant entrevoir ce qu'ils n'avouaient pas encore ouvertement. À l'occasion du départ d'un jeune prêtre pour l'Amérique, François Mabilleau, qui devait être massacré en Chine en 1865, dit à sa mère : « Oh ma mère, comme c'est beau de tout quitter pour Dieu et d'aller évangéliser les infidèles ! » Il dit cela avec une telle émotion que sa mère, subitement inquiète, lui répondit : « Mais... Est-ce que tu voudrais en faire autant ? - Oh ! je ne dis pas cela ! » Un long silence suivit. Madame Mabilleau avait deviné le projet de son fils14.

  • 15 SRV, 1891, p. 666.

19L'heure du départ approchant, il fallait bien se décider à parler ouvertement. La scène revêtait presque toujours un caractère de religieuse grandeur. L'abbé Le Berre, futur évêque du Gabon, profita du moment où au cours d'une promenade, il passait devant le calvaire de son village pour dire à sa mère qui l'accompagnait : « La Sainte Vierge n'avait qu'un fils, elle l'a sacrifié ; vous, ma mère, qui en avez plusieurs, ne permettrez-vous pas à l'un d'eux de porter l'Évangile aux sauvages ? ». Pour ne pas pleurer sa mère ne répondit rien, mais elle comprit et accepta ce qui lui était demandé15.

  • 16 SRV, 1902, p. 8.

20Le plus souvent, après quelques objections, les parents accordaient leur consentement, même si celui-ci devait être renouvelé à plusieurs de leurs enfants. Quand vers 1870, le jeune Cado Picarda demanda à sa mère l'autorisation de suivre ses trois frères aînés dans la congrégation du Saint-Esprit, elle répondit : « Je croyais que c'était assez de donner trois de mes fils pour ces pauvres Noirs et que toi, du moins, tu resterais pour me consoler et continuer notre famille, mais, va, suis tes frères puisque Dieu t'appelle16 ». Dans ses Souvenirs de mes soixante ans d'apostolat en Athabaska-Mackenzie, Mgr Grouard cite un autre trait qui nous donne la mesure de l'abnégation et de la générosité de certains parents :

  • 17 Mgr Grouard continue : « Je ne voulus pas cependant abuser d'une telle générosité. Prenant l'avis (...)

Un dimanche de l'été 1905, je prêchais dans l'église de Bignan. Après la messe le curé me dit : « J'ai mieux qu'une quête à vous offrir, voulez- vous venir avec moi dans une maison du bourg ? » Il me conduisit chez M. Cadoret. Nous trouvons ce brave homme avec sa femme et leurs six enfants, trois garçons et trois filles, tous déjà grands. « Voici, Monseigneur, ceux qui veulent vous suivre dans vos missions ! » - Comment, m'écriais- je, toute la famille ? Mais le père et la mère consentent-ils à un si grand sacrifice ? » Le bon M. Cadoret répondit : « Si le bon Dieu les appelle, que sa sainte volonté soit faite. » - Et la mère qu'en pense-t-elle ? » Elle aussi, malgré la douleur inévitable de la séparation, acceptait la volonté de Dieu et consentait à laisser partir tous ses enfants pour les missions17.

  • 18 Notes et documents pour servir à l'histoire du Vénérable F.M.P. Libermann, op. cit., t. XII, p. 32 (...)

21Dans bien des cas cependant, l'affection des parents fut un obstacle plus ou moins sérieux à la fidélité des enfants à leurs desseins apostoliques. Le fondateur d'une congrégation missionnaire écrivait même de Quimper en juillet 1850 : « Il existe une grande difficulté dans ces pays pour les vocations aux missions : les enfants aiment trop leurs parents et les parents trop leurs enfants18 ». Même des parents très chrétiens, qui auraient accepté facilement de voir entrer leur enfant dans les rangs du clergé diocésain ou dans une communauté de France, ne pouvaient se résigner à le voir partir dans les missions.

  • 19 Perennes, Mgr François-Marie Pellerin, op. cit.

22M. Pellerin, secrétaire particulier du préfet du Finistère, avait permis à ses six filles d'entrer au couvent et il n'avait fait aucune opposition à l'entrée au séminaire de son fils François-Marie. Mais quand, en 1843, celui-ci, depuis six ans vicaire à Saint-Louis de Brest, lui fit part de sa volonté de partir aux Missions Étrangères, il courut aussitôt chez Mgr Graveran. L'évêque de Quimper lui répondit qu'il connaissait, depuis longtemps déjà, les projets du jeune prêtre et qu'il les avait combattus autant qu'il lui avait été possible de le faire, mais sans réussir à les lui faire abandonner. M. Pellerin ne se tint pas pour battu et il mit tout en œuvre pour changer la résolution de son fils19.

  • 20 La T.R. Mère Marie de la Passion, op. cit., t.1, p. 69.

23Quand Hélène Chappotin de Neuville, devenue Mère Marie de la Passion, fut désignée pour les missions de l'Inde, on aurait pu croire que de la part de sa famille, qui la boudait depuis son entrée dans la Société de Marie Réparatrice et qui avait même refusé d'assister à la cérémonie de sa vêture, l'annonce de son départ n'aurait pas suscité grande réaction. Il en fut tout autrement : lettres et dépêches affluèrent à Paris à l'adresse de la supérieure de l'institut, les frères de la jeune religieuse arrivèrent eux-mêmes dans la capitale où, par toutes sortes de démarches, ils essayèrent de retenir leur sœur en France20. Quelques jeunes gens, comme l'abbé Ménoret qui, devenu Père Blanc, sera massacré par les Touareg, craignant de rencontrer chez leurs parents une hostilité insurmontable à leur résolution, partirent sans les prévenir autrement que par une lettre d'adieu.

24Quelle qu'ait été l'attitude des siens à l'égard de sa vocation, le missionnaire, une fois qu'il les avait quittés, entretenait avec eux une correspondance qui devenait le plus souvent pour l'idée missionnaire une source très efficace de rayonnement. Nous avons déjà dit que des centaines de missionnaires durent leur orientation personnelle vers les missions à l'exemple d'un membre de leur famille, frère, oncle, cousin, etc. Nous avons rencontré deux cas plus étonnants, celui de M. Évain un homme de soixante ans qui, voulant rejoindre son fils à la Martinique, entra dans ce but chez les Frères de Ploërmel et celui de Mme Mahéo qui, à l'âge de cinquante-huit ans, entra au noviciat des Franciscaines de Sainte-Marie-des-Anges et, deux ans plus tard, rejoignit sa fille au Râjputana (Inde).

Les évêques et la vocation missionnaire

25Selon les diocèses, selon les périodes, l'attitude des évêques diocésains à l'égard des vocations missionnaires fut plus ou moins favorable. D'une manière générale, quand le nombre des séminaristes excédait les besoins des paroisses, les évêques favorisaient les départs pour les missions. Dans leurs lettres pastorales sur la propagation de la foi, ils lançaient des appels directs au dévouement. Ainsi Mgr Latieule, évêque de Vannes, le 21 novembre 1900 :

  • 21 SRV, 1900, p. 758.

Ô jeunes diocésains qui n'ignorez pas le prix des âmes ! Vous qui avez arrosé de vos larmes les pages des Annales relatant la profonde misère des païens aussi bien que l'héroïsme de nos missionnaires, ne résistez pas à la voix de l'Esprit-Saint s'il vous appelle réellement et vous demande le sacrifice de vous-même. Laisserez-vous périr pour l'éternité des frères qui vous attendent par-delà les océans ? À Jésus que vous aimez par-dessus tout, ne rendez-vous pas les âmes qu'il a rachetées de son sang, au même prix que les vôtres ? 21.

26Il arriva à certains évêques de dire en substance à leurs séminaristes : « Vous êtes tant ici ; il sera impossible de trouver un poste dans le diocèse pour chacun d'entre vous. Que ceux qui entendent l'appel des missions n'y résistent pas ! » Le meilleur moyen pour un évêque de favoriser l'éveil des vocations apostoliques était de permettre aux missionnaires de parler dans les collèges et dans les séminaires. Nous avons vu que, de 1850 à 1910, les évêques bretons accordèrent facilement cette permission. Parfois cependant, il arriva que, tout en favorisant d'une manière générale les vocations apostoliques, certains évêques firent opposition au départ de tel sujet d'élite. Ainsi, exemple parmi d'autres, le cardinal Labouré réussit à retenir le chef d'une équipe de grands séminaristes futurs missionnaires catenis aureis, en l'espèce, un poste de secrétaire à l'archevêché.

27C'est à Quimper et à Nantes, les deux diocèses qui mirent le plus de temps à compléter les cadres de leur clergé paroissial, que nous avons trouvé le plus grand nombre de candidats aux missions empêchés par leur évêque de suivre leur idéal. Quelques exemples montreront que retenir en Bretagne un clerc vraiment décidé à se faire missionnaire n'était pas toujours chose facile.

28L'abbé Limbour, clerc minoré du diocèse de Quimper, écrivait en décembre 1862 au supérieur de l'abbaye de Langonnet :

Monseigneur [Sergent] se refuse constamment, sans que j'en puisse entrevoir la raison, à me laisser partir. Je suis venu jusqu'à trois fois le trouver pendant les vacances. La première fois, il me fit de belles promesses et se contenta d'ajourner mon départ. Cela se passait le 13 août. Le 2 septembre, je retournai à Quimper plein de confiance. Mais alors Sa Grandeur me tint un tout autre langage : Je n'ai pas encore eu le temps de vous connaître à fond ; j'ai à étudier les besoins de l'Église universelle, les besoins de mon diocèse et vos qualités personnelles... Un troisième voyage à Quimper n'a pas été plus heureux. Quand j'ai demandé à partir en octobre : « Quant à songer à partir en octobre ou même en 1862, vous aurez à le rayer de vos papiers ». C'était définitif. Je n'ai pourtant pas perdu courage. J'ai écrit au R. P. Levavasseur, à Paris, pour le prier d'intercéder pour moi près de Monseigneur. Un grand vicaire, M. de Lézeleuc s'occupe toujours de l'affaire et m'appuie de sa protection. Mais je ne vois pas que la question avance d'un seul pas. Il y a à peine huit ou quinze jours, M. le Supérieur et M. Péron (ce dernier est mon directeur) ont encore demandé, sur mes instances, mon exeat à Monseigneur. « Je réserve l'abbé Limbour » telle a été sa réponse.

29Deux mois plus tard, le jeune Limbour écrivait au même correspondant :

À vrai dire, je ne vois à mon départ qu'un obstacle sérieux : c'est l'opposition de Monseigneur. Je presse continuellement Sa Grandeur, soit directement, soit indirectement, peut-être jusqu'à l'importuner : Si forte profiter importunitatem concédat.
Voici l'un des principaux arguments que Monseigneur me sert toutes les fois. Dans les questions de vocation, la première chose à examiner c'est la volonté de Dieu. Or, pour vous, la volonté de Dieu se manifeste par l'organe de vos Supérieurs, de votre Évêque qui juge que vous devez rester dans le pays. Ergo, etc. Vous voyez donc que vous n'avez qu'une chose à faire. — Oui, Monseigneur, de m'incliner encore pour le moment, d'attendre et de prier Dieu de changer la volonté de Votre Grandeur...

30Après plusieurs mois de démarches et de supplications, Mgr Sergent finit par céder :

  • 22 J. Groell, Le Révérend Père Amet Limbour, Grenoble, 1926, p. 13-16.

Vendredi (sans doute dans les premiers jours de juin 1863), M. Péron, mon directeur, a tenté une nouvelle démarche auprès de Mgr Sergent. À ce qu'il m'a dit, la lutte a été très sérieuse, mais enfin la victoire lui est restée, à la condition toutefois que mon départ fût retardé jusqu'aux vacances pour éviter l'éclat qu'il pourrait avoir...22.

  • 23 Compte rendu de la société des Missions Étrangères, 1911, p. 315.

31L'abbé Corre, autre clerc quimpérois, n'eut pas la chance d'être soutenu par son directeur comme l'abbé Limbour l'avait été par M. Péron. Sa vocation aux Missions Étrangères se dessina avec précision vers 1869, dès sa première année de grand séminaire. Son directeur l'engagea à prendre patience quelque temps encore et à examiner sérieusement « si le vent qui enflait la voile venait de l'Esprit de Dieu ou de l'esprit des Ténèbres ». M. Corre se soumit. Un an avant son ordination, il réitéra sa demande auprès de son directeur. « Attendez la prêtrise » lui fut-il répondu. En fin de compte, le jour de la prêtrise, Mgr Nouvel lui imposa un temps d'épreuve et le plaça comme vicaire à Pont-l'Abbé. Il ne partit pour le Japon qu'en 1876, c'est-à-dire deux ans plus tard23.

  • 24 Petit Messager des Missions, 1930, p. 88.

32À Nantes, Mgr Lecoq obligea un grand nombre de séminaristes à recevoir la prêtrise et à faire quelques années de ministère dans le diocèse avant de leur permettre de suivre leur attrait pour les missions. À certains d'entre eux, il refusa toujours cette permission. L'abbé Joseph Leray, le futur vicaire apostolique des Iles Gilbert, était de ceux qu'il entendait bien retenir définitivement dans son diocèse. En vain. Ce jeune prêtre, dont la vocation apostolique remontait à son adolescence, était, depuis cinq ans déjà, vicaire à Soudan et il voyait venir avec appréhension l'âge où il lui serait plus difficile de s'adapter à la vie religieuse et aux missions d’Océanie. Il se rendit à l'évêché de Nantes où, comme à l'ordinaire, Mgr Lecoq refusa catégoriquement de lui accorder son exeat. Se mettant alors à genoux, il dit à l'évêque : « Monseigneur, je ne me relèverai pas avant que vous ne m'ayez permis de partir aux missions ». Puis, prenant son chapelet, il se mit à le réciter tranquillement. Il était là depuis près d'une heure quand Mgr Lecoq, vaincu par une si pieuse obstination, lui accorda ce qu'il demandait24.

33Depuis 1920, par suite de la crise du recrutement sacerdotal, les conférences faites par les missionnaires dans les collèges et dans les séminaires ont été de plus en plus rares.

L'orientation des vocations masculines

34L'étude des mouvements missionnaires a mis en relief la grande variété des associations qui envoient des prêtres, des frères ou des religieuses dans les pays d'outre-mer : prêtres séculiers, sociétés, congrégations, Ordres. Quels motifs déterminèrent le choix de nos missionnaires bretons ?

35Une comparaison des effectifs antérieurs à 1940 des différentes catégories de prêtres missionnaires permet de donner une réponse partielle à cette question. Sur 100 des 3465 prêtres bretons partis dans les missions avant cette date, 32 étaient des prêtres séculiers, 32 appartenaient à des sociétés sans vœux, 29 à des congrégations, 7 à des Ordres. Ces proportions présentent un contraste énorme avec celles que nous avons pu établir pour les missionnaires bretons partis sous l'Ancien Régime : 6 % étaient des prêtres séculiers, 17 % appartenaient à des sociétés religieuses sans vœux, 77 % à des Ordres à vœux solennels.

36Des grands Ordres - Capucins, Jésuites, Carmes, Récollets, Dominicains, etc. — qui depuis la fin du Moyen Âge avaient été les principaux pour voyeurs des missions, aucun ne subsistait au début du xixe siècle : les Jésuites avaient été supprimés par le Parlement en 1762, tous les autres par la Révolution. Napoléon ne leur permit pas de se reconstituer. Quand il leur fut possible de le faire, ils rencontrèrent presque tous, de grandes difficultés de recrutement car le besoin le plus urgent était la réorganisation du ministère paroissial. Ils ne purent reprendre que très lentement leur apostolat en pays lointains. Le service religieux des colonies qui, dans son ensemble, leur avait été confié jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, fut assuré par le Clergé colonial formé exclusivement de prêtres séculiers.

37Après 1850, lorsque les vocations missionnaires se multiplièrent, les candidats à la vie apostolique ne se dirigèrent qu'en petit nombre vers les grands Ordres, car, sauf chez les Jésuites, ils n'y trouvaient que des chances minimes d'être envoyés dans les missions. Ceux d'entre eux qui voulaient s'assurer la sauvegarde d'une règle et de la vie commune préférèrent s'orienter vers des congrégations nouvelles ou renouvelées comme celles des Pères du Saint-Esprit, des oblats de Marie, des Maristes, des Picpuciens ou même vers des Sociétés missionnaires ayant adopté certains éléments de la vie religieuse comme les Pères Blancs ou les Missions Africaines de Lyon.

38La grande importance numérique des prêtres séculiers est une des caractéristiques du mouvement missionnaire breton. Elle s'explique par la surabondance des vocations sacerdotales et par la désignation de prêtres bretons pour présider aux destinées de l’Église d'Haïti et de plusieurs diocèses des États-Unis. D'un diocèse à l'autre, les proportions entre les membres d'une congrégation à vœux simples ou solennels, les membres de sociétés religieuses sans vœux et des mouvements de prêtres séculiers accusent des différences notables. Prétendre dégager de ces seules données numériques des tendances différentes manifestées par les aspirants-missionnaires de chaque diocèse serait tout à fait illusoire.

39Grâce à leur recrutement sacerdotal plus abondant, les diocèses de Rennes et de Saint-Brieuc furent les premiers à envoyer des missionnaires. L'influence du P. Gaultier orienta les clercs briochins vers le clergé colonial, celles de Mgr Bruté de Rémur orienta les Rennais vers les États-Unis. À partir de 1864, les séminaristes obligés de chercher un autre champ d'apostolat que leur diocèse natal purent entrer dans le clergé d'Haïti. Ces mouvements de prêtres séculiers ont reçu près de la moitié des missionnaires du diocèse de Saint-Brieuc et le tiers de ceux du diocèse de Rennes. Les sociétés missionnaires : Missions Étrangères, Pères Blancs, Missions Africaines ont été beaucoup mieux servies par Rennes que par Saint-Brieuc.

40La répartition des missionnaires de Vannes et de ceux de Quimper offre une grande similitude. Dans un diocèse comme dans l'autre, les Missions Étrangères de Paris, les Missions Africaines de Lyon, les Pères Blancs ne sont que faiblement représentés. C'est à leur collège de Redon que les Eudistes doivent d'être assez nombreux dans le diocèse de Vannes. Les religieux sont presque exclusivement des Pères du Saint-Esprit, grâce à l'abbaye de Langonnet, des Picpuciens grâce à leur maison de Sarzeau, des oblats de Marie grâce à la persévérance de leur propagande. Les prêtres séculiers s'orientent surtout vers Haïti. En somme, dans ces deux diocèses, moins ouverts que les autres aux influences du dehors, les vocations se sont portées surtout vers les mouvements missionnaires qui, en installant en Bretagne des maisons de formation, sont venus au devant d'elles.

41Le diocèse de Nantes mit plus de temps que les autres à reconstituer son clergé. Quand le mouvement des départs vers les missions put y prendre quelque importance, plusieurs sociétés missionnaires avaient déjà été fondées en France. L'une d'elle, celle des Missions Africaines ouvrit une école apostolique à Pont-Rousseau. Les vocations missionnaires spontanées se dirigèrent tout naturellement vers ces sociétés chargées de vrais pays de mission ; les séminaristes obligés de quitter le diocèse uniquement par surabondance du recrutement sacerdotal ne furent jamais très nombreux et même ceux qui furent dans ce cas s'orientèrent le plus souvent vers les congrégations et les sociétés missionnaires qui avaient déjà reçu le plus grand nombre de Nantais. Ce diocèse n'a donné que 7 % des prêtres bretons du clergé d'Haïti et 4 % des prêtres bretons du clergé colonial.

42Les diocèses les plus riches en vocations sacerdotales furent ceux qui comptèrent parmi leurs missionnaires une plus forte proportion de prêtres séculiers, un plus grand nombre de séminaristes ne s’étant orientés vers les missions que par faute d'espoir d'être incorporés au clergé diocésain et aussi parce que des courants vers le clergé colonial et vers les États-Unis existaient déjà avant la fondation de la plupart des sociétés missionnaires.

43Les anciens élèves de Saint-Augustin de Vitré et de Saint-Méen se souvenaient avoir vu se manifester, à partir de 1895, deux tendances différentes parmi les futurs missionnaires de ces deux petits séminaires. Les uns voulaient s'assurer en mission la sauvegarde d'une règle et de la vie commune, les autres voulaient plus de liberté d'initiative, plus d'indépendance. Les premiers entraient dans des congrégations ou chez les Pères Blancs, les seconds aux Missions Étrangères de Paris ou s'adjoignaient à des mouvements de prêtres séculiers. De très nombreux récits de vocations missionnaires, nous croyons pouvoir conclure cependant que, dans l'ensemble, les candidats à la vie apostolique ne se demandaient même pas s'ils avaient intérêt à s'orienter vers une congrégation ou à rester prêtres séculiers. Il faut chercher ailleurs les raisons de leur choix.

  • 25 P. Gaborit Vie de François Mabilleau, op. cit.
  • 26 Lettre conservée aux archives de la congrégation du Saint-Esprit.

44Bon nombre de vocations sont orientées, dès leur éveil, vers telle mission, telle société, telle congrégation. Les vocations suscitées par un missionnaire se dirigent naturellement vers la mission ou la congrégation que celui-ci représente. L'influence des lectures est analogue. La Vie de Mgr Borie décida de l'entrée du P. Mabilleau aux Missions Étrangères25. En 1856, deux Pères du Saint-Esprit partant pour le Sénégal furent hébergés à Brest, au presbytère de la paroisse Saint-Sauveur. Ils prêtèrent les Instructions aux missionnaires du P. Libermann à un vicaire de la paroisse, l'abbé Le Bozec qui écrira plus tard pour expliquer sa vocation : « Le beau chapitre de l'abnégation et celui : des avantages de la vie religieuse m'impressionnèrent vivement. Un an après, j'entrai au noviciat26 ». La lecture de la Vie du Père Camper, au petit séminaire de Saint-Pol-de-Léon, en 1864, décida de l'entrée de plusieurs élèves chez les Oblats.

45Le choix du premier missionnaire d'une famille entraîne d'ordinaire celui des autres missionnaires de la même famille. Les jeunes filles entrent alors dans l'institut féminin apparenté à celui de leur frère ou de leur oncle. La famille Esvan, d'Arzano, compte 2 Pères du Saint-Esprit et 5 Sœurs de Saint-Joseph de Cluny ; la famille Picarda, de Meslan, 4 Pères du Saint- Esprit et deux Sœurs de Saint-Joseph de Cluny ; la famille Bazin, de Piré, 2 Pères Blancs et 2 Sœurs Blanches ; la famille Le Doré, d'Auray, 2 eudistes missionnaires et 2 Sœurs du Bon Pasteur d'Angers ; les Sœurs de Saint- Joseph de l'Apparition ont reçu 4 sœurs Daniel, de Plessala ; les Franciscaines missionnaires de Marie, 4 sœurs Lemierre, de Morlaix, les Filles de la Croix de Louisiane, 6 sœurs Guichebard, de Plounez.

46Même quand elle n'est pas à l'origine de la vocation, l'influence familiale détermine souvent son orientation. C'est en lisant une biographie du Bx Théophane Vénard, un des plus célèbres martyrs de la Société des Missions Étrangères, que le P. Alexis Monnier résolut de se faire missionnaire mais, comme son oncle était Spiritain, il entra dans la congrégation du Saint-Esprit. Cette règle de l'influence familiale souffre cependant des exceptions. Pour n'en citer qu'une : J.-B. et Louis Biais, frères jumeaux nés à Joué-sur-Erdre (Loire-Inférieure) en 1863, furent missionnaires tous deux, mais le premier comme Dominicain et le second comme prêtre des Missions Étrangères.

47Les professeurs et les directeurs des collèges et des séminaires, conseillers naturels de leurs élèves, guidaient parfois ceux-ci vers la congrégation qui avait leurs propres préférences. Le P. Jules Le Chevallier, jésuite et missionnaire en Chine, avait fait ses études secondaires à Sainte-Anne-d'Auray.

  • 27 Missions de Chine, Revue des Pères jésuites.

Là, a-t-il écrit, de fréquentes visites de missionnaires eurent vite fait germer en moi, la vocation aux missions lointaines... Nous avions parmi nos surveillants le saint Père Corvéc, qui déjà, pensait à la Compagnie de Jésus. Causant un jour amicalement avec moi, il me demanda si j'avais pensé aux missions, aux quelles et dans quelle congrégation. À ces dernières questions je répondis que je n'y avais même pas songé : être missionnaire, telle était mon ambition. Il m'exhorta à y penser car, dit-il, dans une congrégation on est beaucoup mieux formé et beaucoup plus soutenu. Il m'indiqua entre autres la Compagnie qui avait des missions en Chine, aux Indes et ailleurs. Je suivis son conseil. La Chine me plaisait. Il se chargea de me présenter27.

48C'est très souvent le désir d'un champ d'apostolat déterminé qui imposait l'orientation vers telle ou telle catégorie de missionnaires. Ainsi pour être sûr d'aller en Extrême-Orient, il fallait entrer aux Missions Étrangères ; pour avoir des chances d'être affecté aux missions de l’Extrême-Nord canadien, il fallait se faire religieux chez les Oblats ; pour aller en Haïti, il fallait rester prêtre séculier. Mais inversement, selon qu'il voulait exercer son zèle dans les rangs de prêtres séculiers, de sociétés religieuses sans vœux ou de congrégations régulières le candidat aux missions voyait se restreindre le choix de son champ d'apostolat. Ceux qui ne voulaient s'agréger ni à une société ni à une congrégation ne pouvaient guère s'orienter que vers le clergé colonial, le clergé d'Haïti ou certains diocèses des États-Unis.

  • 28 Petit Messager des Missions, 1907, p. 55.

49Nous avons dit que tout candidat aux Missions Étrangères de Paris peut considérer la mort violente comme l'achèvement assez normal de sa carrière. Ce fut précisément l'espoir du martyre qui dirigea certains jeunes clercs vers cette Société. « Ces instruments de torture (exposés à la « Salle des Martyrs » de la rue du Bac) ne vous font pas peur ? » demandait-on à Alphonse Joyau, un jeune clerc nantais qui devait mourir en Corée. « En me faisant missionnaire, répondit celui-ci, je n'ai au cœur que deux désirs : sauver des âmes et mourir martyr28 ».

  • 29 P. Gaborit, Vie de François Mabilleau, op. cit., p. 49-50.
  • 30 Lettre du 20 novembre 1885, publiée dans H. Perennes, Vie du Pire Abgrall, p. 391.

50L'abbé Mabilleau, qui devait être massacré en Chine, était déjà prêtre quand il annonça à ses parents son départ pour les Missions Étrangères. Son père, sa mère, ses frères et ses sœurs mirent en œuvre tous les moyens que leur affection leur suggérait pour le faire revenir sur sa décision. Comme il demeurait inébranlable, son père chargea une parente de faire une dernière tentative : « Mais as-tu bien réfléchi à tout ce qui t'attend, les privations, les souffrances et peut-être le martyre ? — Oh ! répondit vivement le jeune abbé si vous disiez vrai, quel bonheur pour moi ! Le martyre est mon plus grand désir29 ». Dans la lettre d'adieu qu'il écrivit à sa sœur en novembre 1885, le P. Abgrall disait sa joie d'être dans la Société des Missions Étrangères et il ajoutait : « Elle compte beaucoup de martyrs. Je voudrais être de leur nombre un jour. Demande à Dieu que je sois assez saint pour mériter cette faveur30 ».

51Le P. Joseph Perrier, un Nantais missionnaire au Tonkin, écrivait en 1865, à la fin d'une persécution qui venait de décimer sa chrétienté :

  • 31 SRV, 1865,p. 21.

Malgré les vicissitudes extrêmes parmi lesquelles je viens de passer, je ne me rappelle pas avoir jamais été déçu dans mes espérances, si ce n'est dans celle du martyre ! Comme j'ai été trompé dans mon attente...31.

52Les congrégations vouées à la Vierge : Société de Marie, oblats de Marie Immaculée, congrégations du Saint-Esprit et du Saint-Cœur de Marie, durent à leur vocable et à leur dévotion mariale de recevoir certains jeunes gens qui tenaient à mettre leur carrière apostolique sous la protection spéciale de la mère du Christ.

  • 32 Petit Messager des Missions, t. IV, p. 102.

53L'orientation de certaines vocations, leur éveil même, peuvent avoir pour point de départ les circonstances les plus inattendues. Un jour que dans un salon de Nantes, le docteur Rathouis, un jeune médecin, avait souri aux diatribes d'une dame contre les Jésuites, il se reprocha comme une malhonnêteté d'avoir paru blâmer des gens qu'il ne connaissait pas et il s'imposa, par une sorte de pénitence, de lire l’Histoire de la Compagnie de Jésus par Crétineau-Joly. Quelques années plus tard, il était jésuite et missionnaire en Chine32.

54Des 1 579 frères missionnaires bretons, 1 188 ont fait partie de l'institut de Ploërmel, 260 de la congrégation du Saint-Esprit et les 127 autres de 14 instituts différents.

552 196 frères bretons sont partis hors d'Europe depuis 1827, soit 53 frères pour 100 prêtres. Aucune province française, aucun pays étranger n'a connu pareil exode.

56Les frères enseignants entrent pour 76 % dans ce total et les Frères de Ploërmel (1 308) représentent 78 % des frères enseignants. Cette prédominance tient au fait qu'ils furent choisis par le gouvernement français pour tenir, pendant un demi-siècle, les écoles des « Anciennes Colonies ». La plupart des autres frères enseignants ne quittèrent la France que parce que les premiers gouvernements de la République radicale leur avaient interdit d'enseigner en France.

57Les Frères spiritains (346) représentent 78 % des 408 frères membres de congrégations cléricales spécifiquement missionnaires. Cela tient au fait qu'une soixantaine d'entre eux étaient déjà entrés en religion lors de la fondation des Missionnaires d'Afrique et des Missions Africaines, et surtout à leur caractère de vrais religieux émettant les vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. La Société des Missions Étrangères, dont le genre de vie se rapproche le plus de celui des prêtres séculiers, n'a reçu que quelques frères. Le plus grand nombre des 118 frères envoyés dans les missions par d'autres instituts étaient des oblats de Marie (40), des trappistes (34), des franciscains (13). La congrégation du Saint-Esprit a reçu cinq fois plus de frères coadjuteurs que les trois autres instituts missionnaires et parmi ces derniers, c'est la société des Missions Étrangères, dont le genre de vie se rapproche le plus de celle des prêtres séculiers, qui en a reçu le moins.

L'orientation des vocations féminines

58Sur 100 religieuses bretonnes parties dans les missions avant 1940 — compte non tenu de celles qui s'exileront par suite des lois anticongréganistes - 30 appartenaient à des instituts exclusivement missionnaires ; 50 à des instituts à la fois enseignants et missionnaires ; 18 à des instituts hospitaliers ; 4 à d'autres instituts. Mais, d'un département à l'autre, ces proportions variaient beaucoup. Celle des religieuses enseignantes s'élevait à 71 % dans le Finistère, grâce aux Filles de la Sagesse, aux Filles de la Croix et surtout aux Sœurs de Saint-Joseph de Cluny ; à 60 % dans le Morbihan grâce aux Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, aux Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition, et aux Filles de la Sagesse ; à 46 % dans les Côtes-du-Nord grâce aux Filles de la Croix en pays breton et aux Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition en pays gallo : à 36 % dans la Loire-Atlantique grâce aux Filles de la Sagesse et surtout aux Sœurs de Saint-Paul de Chartres ; à 32 % en Ille-et-Vilaine grâce aux Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, aux Filles de la Sagesse et aux Sœurs de Saint-Paul de Chartres.

59Ces pourcentages ont beaucoup changé depuis 1940 : si, d'un total d'environ 600 religieuses, les instituts spécifiquement missionnaires ont continué d'en fournir 30 %, l'apport des congrégations enseignantes s'est abaissé à 16 % et celui des hospitalières à moins de 10 %. Plus de la moitié des départs ont été provoqués par l'appel de Pie XI (Fidei Donum) et celui de Vatican II en faveur des missions.

60D'une manière générale, les instituts enseignants avaient évidemment des facilités particulières de recrutement, mais ils augmentaient encore considérablement leurs chances de retenir le choix des aspirantes si, à l'idéal de religieuse enseignante, ils ajoutaient celui de religieuses missionnaires. Ils recevaient alors dans leurs noviciats, non seulement des jeunes filles, anciennes élèves de leurs propres écoles, mais beaucoup d'autres qui étaient attirées par l'espoir d'être envoyées dans les missions. C'est l'explication de l'abondance du recrutement des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny dans le Finistère et le Morbihan ; des Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition dans les Côtes-du-Nord et dans le Morbihan ; des Sœurs de Saint-Paul de Chartres dans la Loire-Inférieure.

61Le recrutement des instituts strictement missionnaires a été beaucoup plus abondant dans la Bretagne française que dans la Bretagne bretonnante. Cette différence ne tient pas seulement à la moins grande pénétration des influences françaises dans la Bretagne occidentale, mais au fait que lorsqu'un institut féminin missionnaire est en liaison avec un institut masculin, son recrutement dépend très étroitement de celui de ce dernier.

62En 1869, les Sœurs Blanches avaient reçu du Morbihan sept de leurs huit premières postulantes. Or, de cette date à nos jours, ce département ne leur a donné que 15 religieuses parce que les Pères Blancs n'ont pas réussi à y déclencher un courant de vocations vers leur propre noviciat. Par contre,

63si l'Ille-et-Vilaine leur en a donné 76 c'est parce que les Pères Blancs y étaient eux-mêmes en vogue. Jusqu'à une époque tardive, les Sœurs de Notre-Dame des Apôtres n'eurent aucune maison en Loire-Atlantique. C'est aux Pères des Missions Africaines de Lyon qu'elles devaient leur beau recrutement dans ce département. La comparaison entre le recrutement des Pères Blancs et des Sœurs Blanches, des prêtres des Missions Africaines et des sœurs de Notre-Dame des Apôtres, des Pères Maristes et des Sœurs missionnaires de la Société de Marie conduit à la même constatation.

64On ne peut jamais noter, en revanche, une influence notable d'un institut féminin sur le recrutement d'un institut masculin. Les Pères du Saint- Esprit, installés à Saint-Ilan (près de Saint-Brieuc), orientèrent un grand nombre de jeunes filles vers les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Les Sœurs de Saint-Joseph de la communauté de Châteaubourg n'exercèrent aucune influence sur le recrutement des Pères du Saint-Esprit en Ille-et-Vilaine.

Notes

1 C'est là le sens passif du mot vocation, mais ce mot est aussi employé dans un sens actif. Il désigne alors une invitation, un appel de la part de Dieu pour entrer dans le sacerdoce ou la vie religieuse apostolique.

2 L. Bertin, Autobiographie, manuscrit cité.

3 SRR.

4 J. Buleon et E. Le Garrec, Sainte-Amie d'Auray, op. cit., t. III, p. 323

5 Petit Messager des Missions, 1897, p. 35.

6 SRV, 1872, p. 687.

7 R. P. Duchaussois, Apôtres inconnus, Paris, 1929

8 Lettre du P. Fauchoux, SRV, 1872, p. 675.

9 J. Delaire, Le Pire Rault, Rome, 1930, p. 5.

10 Petit Messager des Missions, 1928, p. 135.

11 SRV, 1899, p. 664.

12 SRSB, 1905, p. 556.

13 Petit Messager des Missions, t.I, p. 568.

14 P. Gaborit, Vie de François Mabilleau, op. cit., p. 44.

15 SRV, 1891, p. 666.

16 SRV, 1902, p. 8.

17 Mgr Grouard continue : « Je ne voulus pas cependant abuser d'une telle générosité. Prenant l'avis du bon pasteur, il fut décidé que trois seulement, un garçon et deux filles, partiraient avec moi cette année ». Le garçon devint un excellent frère-coadjuteur, grand chasseur de caribous (Duchaussois, Apôtres inconnus, op. cit., p. 195). Les deux filles firent leur noviciat chez les Sœurs Grises de Montréal. L'une mourut à Montréal en 1915, l'autre se dévouait encore en 1942 dans les missions indiennes de l'Alberta.

18 Notes et documents pour servir à l'histoire du Vénérable F.M.P. Libermann, op. cit., t. XII, p. 323.

19 Perennes, Mgr François-Marie Pellerin, op. cit.

20 La T.R. Mère Marie de la Passion, op. cit., t.1, p. 69.

21 SRV, 1900, p. 758.

22 J. Groell, Le Révérend Père Amet Limbour, Grenoble, 1926, p. 13-16.

23 Compte rendu de la société des Missions Étrangères, 1911, p. 315.

24 Petit Messager des Missions, 1930, p. 88.

25 P. Gaborit Vie de François Mabilleau, op. cit.

26 Lettre conservée aux archives de la congrégation du Saint-Esprit.

27 Missions de Chine, Revue des Pères jésuites.

28 Petit Messager des Missions, 1907, p. 55.

29 P. Gaborit, Vie de François Mabilleau, op. cit., p. 49-50.

30 Lettre du 20 novembre 1885, publiée dans H. Perennes, Vie du Pire Abgrall, p. 391.

31 SRV, 1865,p. 21.

32 Petit Messager des Missions, t. IV, p. 102.

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