Chapitre X. Instituts féminins enseignants et missionnaires
p. 171-187
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Index géographique : France
Texte intégral
1Le premier institut féminin établi spécialement en vue des missions ne fut fondé qu'en 1869. Jusqu'à cette date, les évêques missionnaires qui désiraient des religieuses devaient s'adresser à des congrégations enseignantes ou hospitalières. Il en était de même du gouvernement français lorsqu'il voulait donner aux colonies des institutrices ou des infirmières.
2Pendant longtemps, seules les congrégations qui dirigeaient des écoles eurent un recrutement assez abondant pour leur permettre de répondre favorablement aux demandes des missionnaires ou des ministres des Colonies. Les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, les Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition et les Sœurs de Saint-Paul de Chartres comptèrent dans leurs rangs un grand nombre de Bretonnes et plusieurs congrégations d'origine bretonne, comme les Filles de la Sagesse, les Sœurs de la Providence, de Ruillé, les Filles de la Croix de Tréguier essaimèrent en Amérique ou en Afrique.
Les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny
3La congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny1 fut fondée à Châlons-sur-Saône en 1806, par la Vénérable Anne-Marie Javouhey (1779- 1851). Celle-ci n'avait d'abord fixé d'autre but à son institut que l'enseignement dans la métropole mais, à la demande du gouvernement de la Restauration, elle accepta d'envoyer des religieuses aux colonies comme institutrices et comme infirmières. Les premières s'embarquèrent pour l'île Bourbon en 1817. Par la suite, les Sœurs de Saint-Joseph étendirent leur champ d'action missionnaire à divers pays d'Afrique, d'Amérique, d'Asie et d'Océanie.
4La désignation par le ministère de la Marine, en 1825, de la ville de Brest comme port d'embarquement pour les colonies amena les Sœurs de Saint-Joseph en Bretagne. La Mère Javouhey vint à Brest, dans les premiers jours de 1826, accompagnant trois de ses filles qui partaient pour la Martinique. À cette époque, les bâtiments de l'État n'avaient jamais une date bien précise pour prendre la mer. Il en résultait un grand embarras pour les passagers qui étaient exposés soit à manquer le départ, soit à séjourner assez longtemps dans le port. Pour assurer un pied-à-terre aux religieuses qui partiraient de Brest pour les colonies, la Mère Javouhey fit l'acquisition d'une maison, située rue Vauban, dans laquelle elle décida d'ouvrir aussitôt un petit noviciat.
5Le costume des Sœurs de Saint-Joseph leur valut aussitôt dans la ville le nom de « Sœurs Bleues » qui leur est resté. Le Baron de Rojoux, ancien Girondin, qui était préfet de Saône-et-Loire lors de leur fondation et qui les avait fait autoriser par Napoléon en décembre 1806, vivait à Brest depuis le retour des Bourbons. Il parla avec admiration de l'œuvre qu'il les avait vues accomplir dans son département pour l'éducation des enfants du peuple2. En octobre 1826, pour répondre aux vœux de la population, elles ouvrirent une école qui, en 1882, au moment de sa laïcisation comptera 1 300 élèves.
6La Mère Javouhey revint à Brest en 1828 pour s'y embarquer elle-même. Vers 1822, le gouvernement de la Restauration avait essayé de coloniser la Guyane au moyen de cultivateurs et d'ouvriers recrutés en France. Il avait abouti à un échec. En 1827 Mère Javouhey accepta la proposition qui lui fut faite par M. de Chabrol, ministre de la Marine, de reprendre la colonisation tentée sur les bords de la Mana. Deux bâtiments furent mis à sa disposition pour le transport des religieuses, des hommes de différents métiers et de tout le matériel destinés à l'entreprise. Le départ se fit de Brest le 29 juin 1828. L'œuvre entreprise à la Guyane par Mère Javouhey eut vite fait de la rendre célèbre. Son retour en France, le 15 août 1833, fut marqué à Brest par une manifestation de sympathie à laquelle prirent part les autorités civiles3.
7Grâce à la maison de Brest, le noviciat des Sœurs de Saint-Joseph reçut quelques jeunes filles du Finistère. Il en reçut aussi quelques-unes de la région de Saint-Malo, à la suite de l'envoi de religieuses aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon, en 1826. Il ne s'agissait pas cependant d'un grand courant de vocations puisque, en 1860, malgré l'ouverture sur la paroisse Saint- Marc de Brest, en 1844, d'une maison spéciale de formation et d'un noviciat, la congrégation ne comptait encore qu'une quarantaine de religieuses bretonnes.
8La communauté de champs d'apostolat - au Sénégal, à la Réunion et en d'autres colonies — avait créé de bonne heure des rapports très étroits entre la congrégation de Saint-Joseph de Cluny et celle du Saint-Esprit. Le P. Schwindenhammer, successeur de Libermann, attira les Sœurs de Saint- Joseph à Gourin, dans l'ancien collège de M. Maupied. Elles comprirent que pour intensifier leur recrutement en Bretagne, il leur fallait y ouvrir de nouvelles écoles. Elles en fondèrent une douzaine avant la fin du xixe siècle, dont quatre dans le canton de Gourin et trois dans celui de Briec, au nord de Quimper. Sauf celle de Châteaubourg, à mi-chemin entre Rennes et Vitré, toutes étaient situées dans le Finistère ou dans le Morbihan.
9Le but cherché par ces fondations fut atteint dans des proportions inespérées : la moyenne annuelle des professions de religieuses bretonnes qui, depuis 1826, dépassait à peine l'unité, fut portée à 7 entre 1861 et 1870, à 16 entre 1871 et 1880, à 25 entre 1882 et 1890, à 34 entre 1891 et 1900. La laïcisation des écoles n'avait pas arrêté la marche ascendante du recrutement car les écoles laïcisées avaient été remplacées aussitôt par des écoles libres. Mais en 1903, lors de la dissolution légale des congrégations enseignantes, les Sœurs de Saint-Joseph refusèrent de se séculariser et abandonnèrent donc la direction de leurs écoles. La moyenne annuelle des professions fut ramenée brusquement à 16 entre 1901 et 1910, puis à 5,5 entre 1911 et 1920.
10De 1826 à 1940, la congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny a reçu 1 298 religieuses bretonnes dont 712 étaient nées dans le Finistère, 315 dans le Morbihan, 151 en Ille-et-Vilaine, 90 dans les Côtes-du-Nord et 30 en Loire-Inférieure. Dans l'ensemble, leur localisation à l'intérieur de ces départements est en étroite relation avec celle des écoles tenues par leur congrégation. Il faut noter cependant que si une partie des jeunes filles des Côtes-du-Nord entrées chez les Sœurs de Saint-Joseph ont subi l'influence de la maison de Gourin, la plupart ont dû l'orientation de leur vocation aux Pères du Saint-Esprit de la communauté de Saint-Ilan, près de Saint- Brieuc.
11La courbe des départs suit sensiblement celle des professions. 60 % des sœurs missionnaires partirent entre 1881 et 1910. De 1911 à 1940, grâce surtout à la réouverture de quelques écoles sur son territoire, le Finistère a fourni 209 postulantes, les trois quarts des postulantes bretonnes.
12Une Finistérienne, Mère Marie-Sainte Othilde (Marie Raguenès, 1858- 1930) de Plouzané, fut supérieure générale des Sœurs de Saint-Joseph de 1919 à 1928. Elle avait passé ses vingt-cinq premières années de vie religieuse en Nouvelle-Calédonie, au service des femmes déportées et dans les écoles, lorsqu'en 1907 elle fut appelée à la maison mère et devint supérieure générale. Depuis la Seconde Guerre mondiale, 28 religieuses bretonnes ont été envoyées dans les missions dont 23 sont originaires des diocèses de Quimper et de Vannes. Pendant son généralat, pour compenser la diminution du recrutement français, elle multiplia les noviciats à l'étranger. Par sa bonté et sa fermeté, elle mérita d'être considérée comme la « supérieure idéale4 ».
13Au cours de ses quarante-huit années d'Afrique, Mère Saint-Elien (Jeanne Renoux), de Domalain reçut sept fois le sacrement de l'extrême-Onction. C'est dire que sa santé n'était pas des plus solides. « Mais, lit-on dans sa notice nécrologique, son énergie de bretonne, trempée de l'amour divin, parait tous les coups ». D'abord missionnaire au Sénégal, elle passa la plus grande partie de sa vie apostolique à Caconda (Angola) où elle fonda la congrégation indigène des Petites Soeurs de Sainte-Thérèse de l'Enfant-Jésus. Son influence était si grande que les Anglais l'avait surnommée « la Reine de Caconda5 ».
14Sœur Marie Dédier, de Plougastel-Daoulas (1859-1929) arriva au Congo français en 1893 après une dizaine d'années d'apostolat au Sénégal. Au début, son activité à Brazzaville fut surtout celle d'une infirmière mais, à partir de 1909, elle s'occupa de l'œuvre des fiancées :
2 867 jeunes filles passèrent par ses mains ; elle put marier 1 523 d'entre elles. À l'œuvre des fiancées de Brazzaville, où il y a d'ordinaire 110 internes, elle joignit une école fréquentée par 180 fillettes de 12 à 17 ans, appartenant à 16 tribus, et puis, dans la brousse, l'œuvre des fiancées de Kingambor. Puis ce fut l'orphelinat Augouard pour jeunes métisses. Tant que vécut Mgr Augouard cette sœur fut son bras droit.6
15En 1927, le Gouvernement français lui décerna la Croix de la Légion d'Honneur.
La congrégation de Saint-Paul de Chartres
16La congrégation des Sœurs de Saint-Paul de Chartres7 fut fondée en 1694 par l'abbé Chauvet, curé d'une petite paroisse de la Beauce. D'abord uniquement enseignante, elle devint hospitalière en 1707 et missionnaire dès 1727 par l'envoi de religieuses à Cayenne. Sous l'Ancien Régime, outre l'hôpital de Cayenne, les Sœurs de Saint-Paul desservirent celui de Port-Louis (Île-de-France) à partir de 1770 et celui de Saint-Denis (île Bourbon) à partir de 1775. En 1817, elles furent appelées aux Antilles françaises et la seconde moitié du xixe siècle leur ouvrit l'Extrême-Orient : Chine, Cochinchine, Japon, etc.
17C'est semble-t-il par l'intermédiaire des prêtres bretons du clergé colonial dont elles étaient les collaboratrices à la Guadeloupe, à la Martinique et à la Guyane, qu'elles furent d'abord connues en Bretagne. Puis les lettres de leurs missionnaires d'Extrême-Orient publiées dans les Annales de la Sainte-Enfance attirèrent sur elles l'attention de la jeunesse féminime.
18Leur recrutement dans la province resta toujours assez localisé. Il eut pour principales sources les cantons d’Étables et de Dinan dans les Côtes- du-Nord, les trois cantons voisins de Rohan, de la Trinité-Porhoët et de Ploërmel dans le Morbihan, le canton de la Guerche en Ille-et-Vilaine et, dans le Finistère, la ville de Landerneau. En 1940, ces quatre départements avaient donné ensemble 236 sœurs de Saint-Paul. Grâce à des écoles et à une maison de formation établie sur son territoire, la Loire-Inférieure en avait donné 324.
19Les mêmes raisons qui avaient poussé Mère Javouhey à l'achat d'une maison à Brest amenèrent les Sœurs de Saint-Paul à fonder une procure à Saint-Nazaire en 1846. Elles furent suppliées d'ouvrir une école dans cette ville comme les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny l'avaient été à Brest, mais elles refusèrent et lorsqu'en 1849, par suite de nouvelles dispositions prises au ministère de la Marine et des Colonies, Saint-Nazaire cessa d'être le port d'embarquement de leurs missionnaires, elles fermèrent leur procure.
20Une quarantaine d'années plus tard, considérant la part importante de la Bretagne dans le recrutement de presque toutes les congrégations missionnaires, elles regrettèrent leur refus et décidèrent de créer au plus tôt un établissement scolaire en un point quelconque de cette province si riche en vocations apostoliques. En 1888, elles firent part de leur intention à M. Boucher d'Argis, maire de Carquefou (Loire-Inférieure) qui les avait connues à Prasville (Eure-et-Loir) où il passait une partie de l'année. Il leur répondit qu'elles n'avaient qu'à s'installer dans sa commune.
21Les choses ne tardèrent pas. Sitôt faites les démarches nécessaires, une grande école fut mise en construction et les classes s'ouvrirent le 20 mai 1889. Trois ans plus tard, comme les locaux prévus pour un pensionnat restaient vides, ils furent occupés par un noviciat qui fut présenté comme un noviciat missionnaire8. Le 15 octobre 1893, la cérémonie solennelle d'un premier départ pour l'apostolat lointain, annoncée par La Semaine religieuse du diocèse de Nantes, fut rehaussée par la présence de la supérieure générale des Sœurs de Saint-Paul, de Mgr Robert, directeur du Petit Messager, du P. Légué, vicaire général du diocèse de Chartres. Elle attira à Carquefou une foule très nombreuse. Le noviciat était lancé. Un juvénat lui fut adjoint. Les vocations affluèrent vers ces œuvres de formation, les seules du diocèse de Nantes à préparer de futures missionnaires.
22Presque en même temps, trois nouvelles écoles étaient ouvertes à Trans-sur-Erdre (1892), à Rezé-lès-Nantes (1896) et à Thouaré-sur-Loire (1896). Malheureusement le noviciat et le juvénat durent être fermés en 1902 et toutes les écoles en 1903. Bien que les Sœurs de Saint-Paul soient restées à Carquefou, à Trans et à Rezé, leur recrutement n'a cessé de décroître. Seuls les diocèses de Chartres et de Clermont-Ferrand ont donné à l'institut plus de missionnaires que le diocèse de Nantes.
23Des 559 Bretonnes entrées dans la congrégation de Chartres, avant 1940 231, soit 41 %, reçurent leur obédience pour l'Amérique ou pour l'Extrême- Orient. Elles représentaient à peu près le tiers des religieuses de leur institut envoyées dans les missions depuis le début du xixe siècle.
24Le noviciat et le juvénat de Carquefou multiplièrent rapidement le nombre des départs : au lieu de 17 départs entre 1881 et 1890, il y en eut 60 de 1901 à 1910. Mais la fermeture de ces établissements s'avéra, à la longue, aussi néfaste pour les œuvres missionnaires de Saint-Paul que leur ouverture avait été heureuse. De 1931 à 1940, 13 Bretonnes seulement furent envoyées dans les missions, et 13 également l'ont été depuis.
Les Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition
25La congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition9 fut fondée à Gaillac (Tarn) en 1833, par la Bienheureuse Émilie de Vialar (1795-1856) petite-fille du docteur Portai, médecin de Charles X. L'intention de Mme de Vialar était de réunir dans son institut « toutes les œuvres de charité que l'on trouvait éparses dans les divers ordres existants », en particulier, le soin des malades, l'éducation de la jeunesse et l'apostolat missionnaire.
26Ses filles étaient à Alger dès 1835. Elles débarquaient en Birmanie en 1847 et en Australie en 1855. Mais leur principal champ d'apostolat fut et reste l'Orient méditerranéen. Née dans un diocèse peu fertile en vocations religieuses, la congrégation de Mme de Vialar aurait végété si elle n'avait pas cherché de bonne heure, dans le diocèse de Rodez et en Bretagne, de meilleures sources de recrutement. Après vingt ans d'existence, elle ne groupait pas encore une centaine de membres. Cette année-là, sœur Marie-Xavier Woïle des Loges, qui comptait en Bretagne quelques membres de sa famille et de nombreuses relations, obtint de la fondatrice, l'autorisation de tenter l'établissement de la congrégation dans cette province. Chez des amis qu'elle avait à Moncontour (diocèse de Saint-Brieuc), elle fit la connaissance de l'Abbé Cadier, recteur de Trémorel. Ce prêtre qui désirait depuis longtemps des religieuses pour sa paroisse, lui exprima le désir de recevoir des Sœurs de Saint-Joseph. Quelques mois plus tard, avec l'agrément de Mgr Le Mée et l'approbation du conseil municipal, quelques sœurs vinrent s'établir à Trémorel en qualité d'institutrices communales.
27À peine les Sœurs de Saint-Joseph eurent-elles pris pied en terre bretonne que des jeunes filles sollicitèrent leur admission dans leur congrégation. L'unique noviciat était alors à Marseille. Au lieu d'y envoyer les postulantes bretonnes, sœur Marie-Xavier jugea préférable d'en installer un autre sur place, dans l'école même de Trémorel. L'affluence des novices rendant vite trop petit ce noviciat improvisé, elle le transporta à Plouguenast en 1861 dans les dépendances d'une école plus importante dont elle prit la direction cette même année.
28Le succès de leur recrutement justifiant les espérances qu'elles avaient conçues en s’installant dans les Côtes-du-Nord, les Sœurs de Saint-Joseph, pour se faire connaître dans le Morbihan, y acceptèrent la direction de l'école de Guéhenno en 1865 puis celle de Crach en 1867. Par la suite elles ouvrirent trois nouvelles écoles dans les Côtes-du-Nord : à Plessala en 1881, à Plumaugat en 1913 et à Trédaniel en 1924. Lors des lois contre les congrégations enseignantes, toutes les Sœurs de Bretagne se sécularisèrent pour sauver leurs écoles. Les écoles communales qui furent laïcisées furent aussitôt remplacées par des écoles libres. Le noviciat de Plouguenast fut fermé en 1921, mais un juvénat et un postulat continuèrent de recevoir les jeunes Bretonnes désireuses d'entrer dans l'institut.
29Des 391 jeunes Bretonnes qui étaient entrées dans l'institut avant 1940, 285 (72 %) avaient reçu leur obédience pour les missions. Le recrutement breton représentait plus de 44 % des effectifs français et 56 % des religieuses missionnaires. 188 de ces Bretonnes étaient venues du diocèse de Saint- Brieuc et 75 de celui de Vannes. Depuis 1940, 42 presque toutes originaires de ces deux mêmes diocèses.
30La provenance de ces missionnaires met bien en relief l'influence des écoles sur l'orientation de leur vocation religieuse : 188 sont nées dans les Côtes-du-Nord dont 86 dans le canton de Plouguenast où se trouvent 3 des 5 écoles tenues par les Sœurs de Saint-Joseph dans ce département ; 75 sont originaires du Morbihan. Les trois autres départements, dépourvus d'écoles, n'ont donné ensemble que 22 missionnaires. Encore la moitié d'entre elles, nées dans la partie orientale de l'Ille-et-Vilaine, ont-elles subi l'influence des maisons des Côtes-du-Nord.
31Grâce à la sécularisation de ces religieuses enseignantes, au maintien des œuvres de formation de Plouguenast et à l'ouverture de deux nouvelles écoles en 1913 et en 1924, les Sœurs de Saint-Joseph sont au nombre des congrégations qui ont le mieux maintenu leur recrutement breton jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Sœur Marie-Xavier des Loges avait été bien inspirée en demandant à Mme de Vialar de fonder des maisons en Bretagne pour y trouver des vocations. En 1940, cette province avait fourni près du tiers des Françaises entrées dans la congrégation. Les trois quarts des sœurs d'origine bretonne ont été missionnaires. Cette proportion révèle bien le vrai caractère des établissements des Sœurs de Saint-Joseph en Bretagne. Ce sont, avant tout, des maisons de soutien pour leurs missions à l'étranger.
32Parmi les Sœurs de Saint-Joseph qui méritent le plus d'être signalées, il convient de retenir Mère Célina Le Bouffo, (1854-1934) de Trévé (Côtes- du-Nord), qui après avoir enseigné à Sofia et dirigé un grand pensionnat à Athènes, présida de 1898 à 1927, en qualité de supérieure générale, aux destinées de sa congrégation ; Mère Placide Collet (1859-1928) de Plouguenast, célèbre en Syrie et particulièrement dans la région d'Alep pour son activité charitable10, et soeur Catherine Névo (1856-1926), de Trévé, missionnaire en Birmanie. Sœur Catherine était dans ce pays depuis près de vingt ans lorsque, vers 1897, on s'aperçut qu'elle avait contracté la lèpre. Elle dut revenir en France pour suivre, à l'hôpital Saint-Louis de Paris, un traitement qui fut inefficace. En 1903, le P. Freynet, des Missions Étrangères, lui proposa de retourner en Birmanie pour se dévouer dans l'asile des lépreux qu'il avait fondé depuis peu à Kemmendine près de Rangoon. Elle accepta avec joie. Peu après son arrivée, elle eut la charge des enfants lépreux. Malgré les souffrances causées par sa terrible maladie, elle se donna sans compter au soulagement de ces pauvres déshérités. Les autorités anglaises reconnurent son dévouement. Elle reçut une médaille d'argent des mains du lieutenant Gouverneur de Birmanie, Sir Georges Shaw. Mgr Cardot, évêque de Rangoon disait un jour à un visiteur de l'asile de Kemmendine : « Vous n'avez pas besoin de chercher loin une sainte ; vous l'avez ici à l'asile, c'est Sœur Catherine ».
Les Sœurs de la Providence de Ruillé-sur-Loir
33Au début de la Restauration, Mlle Zoé Rolland du Roscoät, de Pléhédel (Côtes-du-Nord), songeait à fonder une congrégation enseignante et hospitalière. En 1816, elle s'ouvrit de ce projet au Père de La Chapelle, jésuite de la communauté de Laval, à l'occasion d'une mission donnée par ce religieux à Saint-Brieuc. Le Père de La Chapelle était en relation avec l'abbé Dujarié, curé de Ruillé-sur-Loir (Sarthe) qui, depuis 1806, s'efforçait lui- même de mettre sur pied, une communauté de religieuses pour faire la classe aux petites filles de sa paroisse. Il lui adressa Mlle du Roscoät qui fut la première professe et devint la première supérieure générale de la congrégation de la Providence de Ruillé. Les deux fondateurs assignèrent un double but à leur institut : l'instruction des enfants et le soulagement des malades et des pauvres. Mlle du Roscoät mourut en 1822. Mère Marie (Aimée Lecor), de l'île de Bréhat, qui l'avait suivie à Ruillé, fut élue pour lui succéder. Elle gouverna la congrégation pendant près d'un demi-siècle et l'imprégna de l'esprit qui la caractérise11
34Les Sœurs de la Providence dirigeaient déjà dix-sept établissements en Ulle-et-Vilaine quand, au mois d'août 1839, Mgr de La Hailandière vint à Ruillé demander des religieuses pour son diocèse de Vincennes (Indiana). Mère Marie acquiesça à son désir, mais, d'accord avec Mgr Bouvier évêque du Mans, il fut convenu que la Providence américaine serait totalement indépendante de la Providence française et que la religieuse placée à la tête du rameau américain serait fondatrice et supérieure générale. Mère Théodore Guérin, une des Bretonnes des Côtes-du-Nord qui avaient été entraînées à Ruillé dans le sillage de Mlle du Roscoät fut désignée pour assumer ces responsabilités12.
35Née à Étables, le 2 octobre 1798, Mère Théodore était entrée à Ruillé en 1823. Après avoir dirigé de 1825 à 1834 la principale communauté rennaise des Sœurs de la Providence, elle avait été envoyée à Soulaines, petit bourg du Maine-et-Loire. C'était une femme d'une trempe exceptionnelle et d'une vie spirituelle très élevée. Louise Tiercin, une Fougeraise qui portait le nom de sœur Marie-Lignori13 et quatre autres religieuses quittèrent Ruillé le 12 juillet 1840 ; le 22 octobre suivant, elles arrivèrent à Sainte- Marie-des-Bois, petit village de l'Indiana choisi par Mgr de la Hailandière pour être le berceau de la nouvelle congrégation qui prit le nom de Providence de Sainte-Marie-des-Bois14.
36Les six missionnaires françaises auxquelles s'adjoignirent dès le premier jour quatre postulantes américaines n'eurent d'abord pour logement qu'une chambre et un grenier prêtés par un fermier. Elles eurent beaucoup à souffrir de la pauvreté, de l'isolement, de la rigueur du climat, des rudes travaux qu'il leur fallut entreprendre15. En 1841 la construction d'un petit couvent étant achevée, elles ouvrirent une école. Elles furent rejointes, cette année-là, par sœur François-Xavier, (Irma Le Fer de la Motte) une jeune fille de Saint-Servan qui n'était entrée à Ruillé, en 1839, que pour participer à la fondation de l'Indiana.
37En 1843, un incendie réduisit la petite communauté à un extrême dénuement. Mère Théodore fut obligée de venir en France pour y solliciter des secours. Ses démarches pour provoquer des générosités n'eurent que peu d'efficacité jusqu'au jour où à Tours, dans le salon de Mme de la Valette, une parente d'Irma le Fer de la Motte, elle fit la rencontre de Léon Aubineau, jeune collaborateur de Louis Veuillot à L'Univers16. Quelques articles publiés dans ce journal firent connaître au public catholique l'œuvre de Sainte-Marie-des-Bois. Dès lors, les quêtes entreprises par Mère Théodore devinrent faciles et fructueuses. À Paris Mgr de Forbin Janson donna un sermon de charité en faveur de sa petite congrégation. Lacordaire lui-même promit de mettre son éloquence à son service17.
38Tout lui promettait un heureux et rapide succès lorsque les intérêts de son institut réclamèrent son prompt retour en Amérique. Son départ arrêta l’élan qui se formait en sa faveur. Néanmoins les amis que Mère Théodore s'était faits à L'Univers lui restèrent fidèles. Ils continuèrent à solliciter des aumônes et réunirent en une petite brochure les articles de Léon Aubineau18.
39Avant de quitter Paris, Mère Théodore fut reçue aux Tuileries par Louis- Philippe et la reine Amélie. Elle obtint de cette dernière la somme nécessaire pour payer son retour aux États-Unis, celui d'une novice américaine qui l'avait accompagnée en France et le voyage de deux jeunes Bretonnes désireuses d'entrer au noviciat de Sainte-Marie-des-Bois19.
40Les circonstances qui avaient interrompu la campagne de propagande faite en France par Mère Théodore avaient été provoquées par Mgr de la Hailandière. Depuis la fondation de la communauté de Sainte Marie-des- Bois, ce prélat tentait de faire prévaloir sa volonté sur la règle. Lors du départ pour la France de Mère Théodore dont il désapprouvait le gouvernement, il lui avait donné plusieurs lettres de recommandation, mais, pendant son absence, après l'avoir déposée, il avait procédé à de nouvelles élections. Contrairement au désir de l'évêque, les sœurs avaient réélu leur fondatrice20.
41À son retour à Sainte-Marie, Mère Théodore réussit par sa prudence et son humilité à rétablir l'harmonie, mais avec un évêque aussi autoritaire et aussi capricieux que l'était Mgr de la Hailandière, il était impossible de vivre longtemps en paix sans renoncer à des articles de la règle estimés essentiels à la pratique de la vie de communauté. Le 20 mai 1847, après avoir subi toutes sortes de vexations, la supérieure de Sainte-Marie, fut déposée une seconde fois, renvoyée de sa congrégation et excommuniée. Elle fut alors saisie d'une fièvre violente qui faillit lui ôter la vie. Sa maladie n'était pas terminée qu'arriva à Vincennes un bref du Pape Pie IX nommant Mgr Bazin en remplacement de Mgr de La Hailandière. Ce fut pour Mère Théodore la fin d'une épreuve de presque huit années tout au long de laquelle elle avait pratiqué, à un degré héroïque, les vertus de prudence et de charité21.
42Quand elle mourut le 14 mai 1856, elle avait fondé 15 établissements dans l'Indiana, sa petite congrégation comprenait 80 professes, 12 novices et 20 postulantes. Neuf Bretonnes l'avaient suivie en Amérique. Son procès de béatification est introduit en cour de Rome. Ses écrits ont été approuvés par la congrégation des Rites en 1926 et Jean-Paul II a signé, en 1994, le décret d'héroïcité de ses vertus. Sa correspondance et ses souvenirs, publiés en 1937, sont des documents d'un grand intérêt pour l'histoire des débuts de l'Église catholique dans le Middle-West.
43Sœur François-Xavier qui, en sa qualité de maîtresse des novices, fut le bras droit de Mère Théodore dans la formation spirituelle de la congrégation mourut quelques mois avant elle, le 31 janvier 1856. Sa vie, intitulée Une femme apôtre, fut publiée en 1879 par Mme Clémentine de La Corbinière, sa sœur et sa filleule. Elle a connu une dizaine d'éditions en français, quatre en allemand, trois en anglais et une en espagnol.
44Elvire le Fer de la Motte, arrivée à Sainte Marie-des-Bois en 1852, y succéda à Irma, sa sœur, dans ses fonctions de maîtresse des novices22, puis devint assistante générale. En 1940, la congrégation de la Providence de Sainte-Marie-des-Bois comptait près de 1 300 membres. L'esprit apostolique reçu de ses fondatrices l'anime toujours. En 1920, elle fut la première des congrégations américaines à envoyer des missionnaires en Chine. En 1994, plusieurs sœurs de la Providence sont originaires de Taïwan.
Les Filles de la Croix
45La congrégation des Filles de la Croix fut fondée à Paris en 1640 par Mme Marie de Villeneuve qui adopta la règle primitive rédigée par saint François de Sales, son directeur, pour les monastères de la Visitation. Ses fins principales étaient l'éducation des enfants et les retraites. Les Filles de la Croix furent appelées en Bretagne par Balthasar Grangier, évêque de Tréguier, qui les installa dans sa ville épiscopale en 1667. Elles fondèrent par la suite deux autres maisons l'une à Saint-Brieuc, l'autre à Saint-Servan. Ces trois communautés furent dispersées par la Révolution. La communauté de Tréguier, rétablie dès 1805, fut à l'origine de nouvelles maisons ouvertes dans le diocèse de Saint-Brieuc, à Guingamp, Magoar, Merdrignac, etc.23. C'est elle aussi qui envoya les premières Filles de la Croix en Amérique.
46En 1854, la supérieure de cette communauté était Mère Marie-Hyacinthe24, une religieuse de trente-sept ans ardente et tenace. Le 24 juillet, l'abbé Jean-Pierre, clerc tonsuré de Lanloup (Côtes-du-Nord) vint lui demander de recevoir gratuitement sa nièce dans son établissement. Comme elle ne semblait pas disposée à exaucer cette proposition, l'abbé Pierre, qui était sur le point de s'embarquer pour la Louisiane avec Mgr Martin, lui lança :
Je m'étonne que les Filles de la Croix fassent difficulté d'exercer un acte de charité ! Il faut avoir plus de confiance dans la Providence... Celui qui vous parle sera dans quelques mois à 2 000 lieues d'ici sans qu'il sache de quelle manière le bon Dieu l'y nourrira25.
47Réalisant qu'elle avait affaire à un jeune missionnaire, Mère Marie-Hyacinthe le questionna. La conversation s'engagea sur l'Amérique et de la nièce il ne fut plus question. Quand le jeune ecclésiastique quitta le parloir, il était chargé de transmettre à Mgr Martin le désir des Filles de la Croix de Tréguier de travailler dans son diocèse. L'évêque de Natchitoches accepta avec empressement cette offre de concours inespérée. La proposition d'un départ pour l'Amérique, soumise à la communauté par la supérieure, fut accueillie avec une joie unanime. Restait à obtenir l'autorisation de l'évêque de Saint-Brieuc. Mgr Le Mée craignit que les Filles de la Croix ne se lançassent dans une aventure. Il les mit en garde contre leur imagination et leur demanda de réfléchir encore. Il leur avoua aussi qu'il n'aimait pas voir ses religieuses quitter son diocèse. Mère Marie-Hyacinthe sut cependant obtenir son consentement qu'il accorda le 30 octobre26. La communauté de Tréguier groupait alors une quarantaine de religieuses. C'était plus qu'il ne lui en fallait pour son pensionnat et son œuvre de retraites. Il fut décidé que dix religieuses partiraient pour l'Amérique.
48En principe, les différentes maisons des Filles de la Croix étaient indépendantes les unes des autres mais Mgr Martin, qui connaissait le climat débilitant de la Louisiane et la rareté des vocations parmi ses jeunes diocésaines, souligna la nécessité de maintenir un lien étroit entre Tréguier et sa fondation américaine. Mère Marie-Hyacinthe, qui avait préparé cette fondation, tenait à la réaliser elle-même. Aidée par l'abbé Le Conniat, son frère, et par l'abbé Le Bon, aumônier de la communauté, qui tous les deux voulaient accompagner les Filles de la Croix aux États-Unis, elle rédigea un contrat qui conférait à la future maison de Louisiane les prérogatives de maison-mère. Mgr Le Mée refusa d'approuver cette convention et dans une nouvelle rédaction le titre de supérieure générale fut réservé à la supérieure de Tréguier27. Mère Marie-Céleste fut élue pour remplacer Mère Marie- Hyacinthe.
49Laissant en Bretagne les abbés Le Bon et Le Conniat28, retenus par Mgr Le Mée, dix Filles de la Croix quittèrent Tréguier, le 19 octobre 1855, sous la direction de Mère Marie-Hyacinthe et arrivèrent au terme de leur voyage le 26 novembre. Elles s'établirent aux Avoyelles dans une boucherie inhabitée depuis six mois qu'elles durent réparer et aménager en se faisant elles-mêmes peintres, menuisiers et maçons. Le 2 février 1856, elles purent ouvrir une première école.
50Des difficultés surgirent dès le début entre Tréguier et les Avoyelles. Mère Marie-Hyacinthe avait désigné elle-même ses compagnes. Pour leur faciliter l'adaptation au climat et l'acquisition de la langue anglaise, indispensable pour faire œuvre d'enseignement, elle les avait choisies presque toutes parmi les plus jeunes. Or, des cinq religieuses que Mère Marie- Céleste lui fit passer en renfort en 1856, trois avaient de quarante-deux à cinquante-deux ans et, des deux plus jeunes, une seule put rendre service. Les réclamations de Mère Marie-Hyacinthe ne firent que mettre au jour le peu d'intérêt que portait Mère Marie-Céleste à la maison de Louisiane. Le contrat établi entre les deux communautés l'année précédente était ambigu. Un paragraphe demandait à la maison-mère d'envoyer à sa filiale « autant de sujets que possible », un autre lui prescrivait d'en envoyer autant qu'il y en aurait à demander leur départ29. De son côté, Mgr Martin avait exprimé le désir de recevoir de préférence « des jeunes personnes de 20 à 30 ans ». Mère Marie-Céleste se mit pratiquement dans l'impossibilité de se séparer de nouvelles sœurs en donnant, grâce à de dispendieuses constructions, une importance accrue aux œuvres de sa communauté. Elle fit interdire par Mgr Le Mée à toute religieuse n'ayant pas quarante ans de solliciter leur départ en mission. Elle obtint enfin la mutation de l'abbé Lebon qui manifestait trop d'intérêt pour la fondation de Louisiane et elle indisposa contre celle-ci Mgr Martial, successeur de Mgr Le Mée, qui laissa sans réponse les lettres de Mgr Martin30. Pour recevoir quelques religieuses, Mère Marie- Hyacinthe dut déléguer à Tréguier sœur Saint-Jean-Baptiste, son assistante, en 1857 et s'y rendre elle-même en 186031.
51En cinq ans, les Filles de la Croix avaient fondé quatre écoles en Louisiane ; aux Avoyelles où elles tenaient aussi un noviciat, à l'île Brévelle, à Alexandria et à Shreveport. La guerre de Sécession, si désastreuse pour les États du Sud, arrêta ces heureux débuts. Les écoles furent fermées, les communautés ruinées et la source des vocations indigènes tout à fait tarie. Comme il ne fallait décidément plus compter sur Tréguier, Mère Marie-Hyacinthe décida de fonder un noviciat en France. Il ne lui fut pas permis de l'installer sur le territoire du diocèse de Saint-Brieuc. Après une tentative malheureuse dans la région de Saint-Servan, ce fut au Relecq, en Plonéour-Menez, à une quinzaine de kilomètres au sud de Morlaix, qu'elle le fixa en 1866. Sept ans plus tard sœur Anne de Jésus le transporta à ambézeilec, près de Brest ; pour en faciliter le recrutement, elle ouvrit une école et fit bâtir un pensionnat qui devint très florissant32.
52Le développement rapide des sœurs de Lambézellec fit retenir sur place toutes les jeunes religieuses qui firent profession de 1874 à 1881 mais leur sacrifice fut compensé par l'entrée au noviciat de si nombreuses aspirantes que, tout en soutenant les maisons d'Amérique, il fut possible d'en établir deux nouvelles dans le Finistère, l'une à Saint-Renan en 1891, l'autre à Quimper en 1893.
53La politique de Combes à l'égard des congrégations enseignantes provoqua le départ pour les États-Unis d'une grande partie du personnel des trois communautés finistériennes et une séparation entre ces communautés et celles de Louisiane. Cette séparation n'excluait pas de nouveaux envois de religieuses bretonnes en Amérique et il y en eut de fait en 1912 et en 1919. Mais la situation respective des maisons louisianaises et de leurs fondations françaises a subi une nouvelle et importante modification en 1935 par l'adhésion donnée par ces dernières à l'Union, sous une même supérieure générale, de toutes les communautés des Filles de la Croix de Paris, du Nord et de Bretagne.
54De 1855 à 1919, 108 religieuses bretonnes émigrèrent aux États-Unis : 54 des Côtes-du-Nord ; 53 du Finistère et une de la Loire-Inférieure. 20 furent envoyées par Tréguier, 18 par le noviciat du Relecq et 69 par celui de Lambézellec. Le diocèse de Saint-Brieuc ne fournit pas seulement celles qui partirent de Tréguier ; mais il resta la principale source de recrutement du Relecq et jusqu'en 1890, de Lambézellec. Dans la suite, grâce surtout au pensionnat établi dans cette dernière localité, le recrutement finistérien l'emporta.
Les Filles de la Sagesse
55Le 2 février 1703, à Poitiers, le Bienheureux Grignion de Montfort donna l'habit religieux à une pieuse fille nommée Marie-Louise Trichet et devint ainsi le fondateur de la congrégation des Filles de la Sagesse, vouée aux œuvres d'éducation et au soin des malades. Le nouvel institut dont la maison-mère fut transférée à Saint-Laurent-sur-Sèvres en 1720, pénétra en Bretagne en 1724 par la fondation à Rennes d'une maison d'instruction et de charité. En 1791 il comptait 30 établissements dans la province.
56Brest fut la seule ville importante où les Filles de la Sagesse purent vivre et se dévouer au grand jour pendant toute la Révolution. À l'hôpital maritime où elles étaient depuis 1777, la guerre et de terribles épidémies rendaient leurs services indispensables33. Au début du xixe siècle, la communauté de Brest devint donc tout naturellement le noyau autour duquel se reconstitua la congrégation et dans le développement de celle-ci, malgré le retour de la maison-mère au sud de la Loire, la Bretagne joua, dès lors un rôle prépondérant. En 1900, les Filles de la Sagesse dirigeaient 115 maisons en Bretagne34 : hôpitaux, écoles, orphelinats, ouvroirs, établissements spéciaux de sourdes-muettes et de jeunes aveugles.
57L'œuvre des Sourdes-muettes, commencée à la Chartreuse d'Auray, en 1812, par deux sœurs, élèves du célèbre abbé Sicard, fit appeler la congrégation à Lille en 1839. De cette ville, les Filles de la Sagesse rayonnèrent rapidement sur le Nord de la France et passèrent en Belgique en 1846.
58La République d'Haïti fut le premier champ d'apostolat missionnaire de ces religieuses. Elles s'y rendirent pour la première fois en 1875, quelques années après les Pères de la Compagnie de Marie. En 1926, elles y dirigeaient presque tous les établissements sanitaires et la moitié des écoles féminines. Toujours dans le sillage des Montfortains, elles passèrent au Canada en 1884, au Danemark en 1903, au Shiré (Nyasaland) en 1904, en Colombie en 1905, et à Madagascar, dans la région de Tamatave en 1934. La préparation d'un refuge, en cas de persécution religieuse en France, fut à l'origine de leurs fondations canadiennes. La même intention les porta à s'installer en Italie (1887) en Angleterre (1891) et en Suisse (1901).
59À la fin du xixe siècle, leur recrutement breton était plus abondant qu'il ne l'avait jamais été au cours de leur histoire. Lors de la loi de 1903 contre les congrégations enseignantes, elles rejetèrent toute sécularisation et durent fermer 36 de leurs écoles. En quelques années leur recrutement baissa de moitié et, sauf dans le Finistère, le fléchissement n'a fait que s'accentuer depuis. La moyenne annuelle des professions de sœurs bretonnes qui était de 106 entre 1891 à 1900 est tombée à 25 entre 1931 et 1940.
60Ces données rendent facile l'intelligence du rythme des départs pour les missions ; après s'être élevé par une progression normale à 97 pour la dernière décennie du xixe siècle, ceux-ci montent subitement, par suite d'un exode massif de religieuses enseignantes pour le Canada, à 222 entre 1901 et 1910, pour retomber à 47, à 30 et enfin à 13 au cours des trois décennies suivantes. Le dernier demi-siècle n'a vu que 25 départs de religieuses bretonnes (dont 9 Finistériennes et 9 Morbihannaises).
61La Bretagne a fourni 56 % des Filles de la Sagesse originaires de France et envoyées dans les pays de mission. Les trois diocèses de France qui ont donné à la fois le plus de religieuses et le plus de missionnaires sont ceux de Vannes, de Nantes et de Quimper.
62Si les œuvres fondées en Amérique et en Afrique par les Filles de la Sagesse ne devaient compter que sur la France pour maintenir leur personnel, il faudrait désespérer de leur avenir car l'effectif des religieuses françaises a baissé d'un quart de 1910 à 1940 et il est devenu insuffisant pour maintenir les œuvres de France elles-mêmes35. Rien qu'en Bretagne, il avait fallu fermer une dizaine de maisons entre 1920 et 1940. La moyenne d'âge de plus en plus élevée du personnel français, laisse prévoir de nouvelles fermetures.
63Heureusement pour les missions, des noviciats établis en Belgique, au Canada, en Hollande, en Italie, en Angleterre, en Haïti et en Colombie compensent les pertes subies par le recrutement français. Non seulement la Province du Canada se suffit à elle-même, mais, depuis quelques années elle envoie de nombreuses religieuses en Haïti. Non contente de donner des missionnaires au Nyassaland et en Colombie, la province de Belgique a depuis 1935 entrepris de nouvelles fondations au Congo Belge.36En 1940, 7 300 Filles de la Sagesse étaient originaires d'un autre pays que la France ; elles sont maintenant plus de 2 000 de 24 nationalités différentes qui représentent plus que les deux tiers des membres de la congrégation.
Autres instituts
64La congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie et de l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement de l'autel, dite congrégation de Picpus — fut fondée à Poitiers, en 1797, par le P. Condrin et Mère Henriette Aymer de la Chevallerie. À l'Adoration réparatrice qui est leur fin primordiale, les religieuses des Sacrés-Cœurs joignent les œuvres d'éducation et, depuis 1838, l'apostolat missionnaire.
65Elles s'établirent à Rennes en 1818, à Saint-Servan en 1835, à Nantes en 1840. Dans ces trois villes, elles ouvrirent des écoles gratuites et des pensionnats qui furent très florissants jusqu'à leur fermeture en 1903. En 1900, une nouvelle communauté s'installa à Saint-Pol-de-Léon. L'institut a reçu 584 Bretonnes dont 370 étaient nées en Ille-et-Vilaine et 95 dans la Loire-Inférieure ; 43 dans le Finistère, 41 dans le Morbihan, 35 dans les Côtes-du-Nord. 70 (12 %) ont exercé leur apostolat aux îles Hawaï ou en différents états du continent américain, particulièrement au Chili et au Pérou.
66Le P. Joseph du Tremblay, fondateur des Bénédictines de Notre-Dame du Calvaire avait rêvé, dès 1617, d'installer ces religieuses à Jérusalem. Les circonstances ne lui permirent pas de le faire. Dès 1672, les Calvairiennes comptaient neuf monastères en Bretagne. Après la Révolution, elles ne purent en rétablir que deux, l'un à Landerneau, l'autre à Machecoul. Jusqu'en 1903, les religieuses de Landerneau dirigèrent l'important pensionnat du Calvaire. Le grand désir du P. Joseph se réalisa en 1896. À cette date ses filles spirituelles fondèrent un monastère au Mont des Oliviers, sur le versant faisant face à Jérusalem. Elles y dirigent un orphelinat de fillettes grecques-melchites. De 1896 à 1920, le monastère du Mont des Oliviers a reçu 14 religieuses bretonnes, toutes originaire du Finistère37.
67L'institut des Sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux, fondé au début du xixe siècle par l'abbé Noailles, s'introduisit en Bretagne en 1838 par l'ouverture d'une œuvre de garde-malades dans la ville de Nantes. Au moment des lois contre les congrégations enseignantes, il possédait dix maisons dans la province.
68Depuis 1862, il envoie des missionnaires à Ceylan et depuis 1864 dans l'Afrique du Sud. Le nombre des Bretonnes qui ont exercé leur apostolat dans des établissements scolaires ou hospitaliers de ces pays lointains s'élève à 22. Deux d'entre elles doivent être signalées : Mère Marie-Joseph (Marie Jeanne Angot, 1825-1909) née à Villepot (Loire-Inférieure) qui présida aux premières fondations en Afrique du Sud et Mère Sainte-Adèle (Anna Robert, 1857-1917) femme supérieure par l'énergie, l'esprit d'ordre et d'organisation, fondatrice de l'hôpital et du sanatorium de Johannesburg (Transvaal).
69De 1916 à 1938, 5 ursulines bretonnes de l'Union Romaine sont parties pour la Chine ou le Brésil.
Notes de bas de page
1 Maison-Mère, 21, rue Méchain, Paris, 14e. Sur cette congrégation voir : Annales historiques de la congrégation de Saint-Joseph de Cluny, par une religieuse de la même congrégation, Solesmes, 1890 et La congrégation de Saint-Joseph de Cluny, Paris, 1922.
2 Sur le baron Louis-Julien de Rojoux, né à Landerneau en 1753, mort à Brest en 1829, voir : Saluden (abbé Louis), Un centenaire à Brest. L'œuvre de la Vénérable Anne-Marie Javouhey, fondatrice de la congrégation de Saint-Joseph de Cluny, Brest, 1926. chap. II : « Un Breton bienfaiteur de la congrégation naissante des Sœurs de Saint-joseph de Cluny », p. 12-18.
3 Saluden, op. cit., p. 56.
4 Après nos fondatrices, quatre supérieures générales, Paris, 1936.
5 Au Service de la Moisson, revue des Sœurs de Saint-Joseph, 1930, p. 245-247.
6 G. Goyau, La femme dans les missions, op. cit., p. 100-101. On trouvera d'autres détails sur Mère Marie Dédié et sur plusieurs autres sœurs missionnaires bretonnes de Saint-Joseph de Cluny dans : Filles d' Arvor au service du Maître de la Moisson, Paris, 1927.
7 J. Vaudon, Histoire générale de la Communauté des Filles de Saint-Paul de Chartres, 4 vol., Paris, 1922-1931.
8 Sur ce noviciat, ce juvénat et ces écoles, voir : Vaudon, op. cit., t. iv.
9 La congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition, Marseille, 1935.
10 Luce Camuzet, L'œuvre de Syrie des Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition, 1931, p. 50-51. Luce Camuzet cite ce jugement de Maurice Barrès sur Mère Placide Collet, « La sœur Placide Collet, Supérieure régionale des Sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition, est une Bretonne, femme de tête, et qui contraste, je vous prie de le croire, avec ces Orientaux protocolaires... ».
11 Sur Mlle du Roscoät et sur Aimée Lecor, voir : Clémentine de la Corbiniere, L'Indiana, Paris, 1886, p. 129-151.
12 Life and life-work of mother Theodore Guérin, foundress of the Sisters of Providence at Saint-Mary-of-the-Woods, by a member of the Congrégation, New-York, 1904.
13 Cette religieuse n'entra à Ruillé que pour participer à la fondation d'Amérique. Ses sœurs comptaient sur elle pour succéder à Mère Théodore, mais elle mourut dès 1847. Cf Journals and letters of Mother Théodore Guérin, ouvrage édité et annoté par sœur Theodosia Mug. Saint-Mary-of-the- Woods, 1937, p. XXI-XXV et index.
14 Maison-Mère : Providence Couvent, Saint-Mary-of-the-Woods, Indiana (USA).
15 Le 15 septembre 1843, Mère Théodore pourra écrire ; « Je ne me sens pas le courage de voir de nouveau une communauté dont je suis chargée, manquer de pain, d'habits, de couvertures ; de les voit, ces pauvres filles, marcher sans chaussures dans la neige par une température au-dessous de 20° ». Lettre inédite, Archives de la Propagation de la foi, f. 149.
16 Sur les relations de Mère Théodore avec Léon Aubineau et Louis Veuillot, cf. Journals and letters..., op. cit., p. 139-145.
17 Clémentine de la Corbiniere, Une femme apôtre ou vie et lettres d'Irma Le Fer de la Motte, Paris, 1884, 3e édition, p. 275.
18 Léon Aubineau, Sainte-Marie-des-Bois, Paris, 1846. Cette brochure, un peu augmentée, a été insérée par Léon Aubineau dans son ouvrage : Les serviteurs de Dieu au xixe siècle, 1875. De son côté, le Chanoine Lottin, vicaire général du Mans avait publié en 1843 : Notice sur la congrégation des Sœurs de la Providence établie à Sainte-Marie-des-Bois, au diocèse de Vincennes, Le Mans, 1843.
19 Voir le récit détaillé de cette réception d'après le journal de Mère Théodore : Joumals and Letters... op. cit., p. 118-122. Faisant visiter la chapelle des Tuileries à Mère Théodore et à sœur Cécilia, la jeune novice américaine qui l'accompagnait, Louis-Philippe dit en leur désignant un confessionnal : « C'est le confessionnal de la reine ». Sœur Cécilia qui se trouvait près du roi lui demanda ingénument : « Et le vôtre, Sire ? ».
20 La Servante de Dieu Mère Théodore Guérin, par une religieuse de la Providence de Sainte-Marie-des-Bois, Rome, 1925, p. 13-14.
21 Cf. Life and Life-Work of Mother Théodore Guérin, op. cit., p. 340-356.
22 Mme de la Corbiniere a écrit la vie de sa sœur Elvire dans : L'Indiana, op. cit., p. 255-442.
23 Les Filles de la Croix de Paris, effrayées par la révolution de 1830, se réfugièrent à Guingamp et y restèrent. Une nouvelle communauté, fondée dans la capitale en 1855, fut une communauté brtonne, ayant un aumônier breton, dirigeant en faveur des jeunes bretonnes émigrées à Paris l'Œuvre du placement des bonnes. Cf. Ch. Cordonnier : Les Filles de la Croix depuis leur fondation jusqu'à nos jours, Paris 1923. Chap. X : « Les Filles de la Croix en Bretagne », p. 90-125 ; chap. XIII : « Le départ en Bretagne et le retour à Paris », p. 192-205 et le chap. XIV : « La rue Vaugirard et les Œuvres des Filles de la Croix », p. 206-217.
24 Notice biographique de notre bien-aimée Mire Marie-Hyacinthe, Mss., Communauté des Filles de la Croix de Lambézellec. Mère Marie-Hyacinthe (Madeleine Le Conniat, 1817-1897) née à Plou-nez (Côtes-d Armor) était entrée au noviciat de Tréguier en 1838.
25 Cordonnier, Les Filles de la Croix, op. cit., p. 143-144.
26 Cordonnier, op. cit., p. 146-149 et Arch. de l'évêché de Saint-Brieuc.
27 Arch. de l'évêché de Saint-Brieuc.
28 L'abbé Yves Le Conniat ne pourra partir en Louisiane qu'en 1860.
29 Arch. de l'évêché de Saint-Brieuc.
30 Ibidem.
31 Arch. de l'évêché de Saint-Brieuc.
32 Cf. Notice : Noviciat des Filles de la Croix établi en France pour les missions d'Amérique, Brest, 1877, p. 3.
33 Congrégation des Filles de la Sagesse, Paris, 1925, p. 67-68.
34 33 dans le Morbihan, 32 dans la Loire-Atlantique, 24 dans le Finistère, 21 en Ille-et-Vilaine,5 dans les Côtes-d'Armor.
35 1 703 en 1966 ; 1 513 en 1970 ; 1 537 en 1980.
36 Sur les missions des Filles de la Sagesse, voir : En mission, Cholet, s.d. Cette brochure contient d'importants extraits de la correspondance de sœur Jacques du Sauveur, missionnaire au Nyassaland de 1909 il 1918, née à Pleurtuit (Ille-et-Vilaine) qui mourut en 1918, victime de son dévouement comme infirmière dans les troupes coloniales anglaises.
37 Cf. Missions catholiques, 1er juillet 1937, p. 303-307.
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