1On a dit de l'Œuvre de la Propagation de la Foi qu'elle était « la plus puissante institution mise au service de l'idée religieuse depuis les Croisades1 ». Un Rennais, le P. Charles Langlois (1767-1851) fut à l'origine de cette association de soutien spirituel et matériel aux missionnaires catholiques.

2Une association de prières et de bonnes œuvres pour le salut des « infidèles » s'était formée en France quelques années avant la Révolution. En novembre 1791, un des petits imprimés qu'elle répandait lui avait valu l'adhésion empressée de Charles Langlois qui venait d'être ordonné secrètement à Paris et qui attendait, au séminaire des Missions Étrangères, son départ pour le Tonkin. En 1806, après quatorze ans d'apostolat en Extrême- Orient, le P. Langlois fut rappelé à Paris pour être directeur dans ce séminaire. Vers 1816, il ressuscita, en faveur de cet établissement et des missions qui en dépendaient, l'association de prières fondée une trentaine d'années plus tôt ; il la fit approuver par Pie VII et s'efforça de la faire connaître dans tous les diocèses de France2.

3À la suite de ses démarches dans plusieurs grandes villes, particulièrement à Lyon et à Rennes, des personnes pieuses, non contentes de s'associer pour prier en faveur des missions, voulurent leur venir en aide par des aumônes. Ce fut ce désir qui, à Lyon, porta Pauline Jaricot, considérée comme la fondatrice de la Propagation de la Foi, à faire passer dans la pratique l'idée du sou par semaine suggérée par un des directeurs du séminaire des Missions Étrangères. Elle entreprit la première organisation méthodique et régulière d'assistance aux missions : les associés étaient groupés par. Dizaines, le chef de dizaine étant chargé de recueillir chaque semaine la cotisation des autres membres de son groupe3.

4À Rennes, M^lle Langlois mettait tout son dévouement au service de l'association dont son frère était l'organisateur. En 1821, les quêtes qu'elle entreprit lui permirent de recueillir plus de 1250 francs. En 1822, les noms de M^gr Mannay, évêque de Rennes, de la comtesse de Corbières, de M^lle de Trédern et de M^me de la Vallière firent leur apparition sur la liste des souscripteurs. Cette même année, il arriva à M^lle Langlois de recevoir un don anonyme de 500 francs.

5Vers le même temps, le séminaire des Missions Étrangères recevait le produit de quêtes faites ou provoquées en différentes villes de Bretagne par des membres de l'Association de prières pour les Missions. Ces sommes, assez importantes parfois, étaient transmises de Saint-Malo par le curé de la paroisse, de Fougères par l'abbé Cochet, du grand séminaire de Vannes par l'abbé Le Gal, de Saint-Brieuc par l'abbé Jean-Marie de La Mennais et par l'abbé Vielle, supérieur du grand séminaire, de Nantes par le curé de la cathédrale et par une de ces demoiselles du Guiny chez lesquelles la duchesse de Berry sera découverte en 1832.

6Mais pendant que la Bretagne manifestait ainsi son zèle pour la conversion des infidèles, l'Association pour la Propagation de la Foi, lancée par le P. Langlois et organisée méthodiquement à Lyon par la cotisation du sou par semaine et le groupement des associés en dizaines et en centaines, cessait d'être l'œuvre de soutien de la seule Société des Missions Étrangères. Le 3 mai 1822, douze notables lyonnais la transposaient sur un plan catholique tout en lui conservant son titre, dont la paternité revenait au P. Langlois, et grâce à l'organisation rationnelle que lui avait donnée Pauline Jaricot.

7Grâce au sens des affaires qui caractérise les industriels lyonnais, l'Association de la Propagation de la Foi prit rapidement une très grande extension. Un Conseil supérieur fut créé sous la présidence de M^gr le prince de Cröy, grand aumônier de France. Au mois d'août 1823, celui-ci écrivit à tous les évêques du royaume pour recommander l'Œuvre à leur bienveillance. La France fut partagée en deux zones ou secteurs confiés respectivement à deux conseils centraux, l'un à Lyon, l'autre à Paris. Les événements politiques de 1830 firent disparaître le Conseil supérieur. Les conseils de Lyon et de Paris demeurèrent en activité, égaux et autonomes, toute décision importante exigeant leur mutuel accord.

8Pendant un siècle, l'administration générale de cette institution, répandue de bonne heure dans presque tous les pays catholiques, fut constituée par les Conseils centraux de Paris et de Lyon, c'est-à-dire uniquement par des Français. Les membres de ces conseils, des laïcs presque tous, répartissaient, sans la participation de la hiérarchie ecclésiastique, les fonds recueillis en grande partie par le clergé pour l'extension de l'Église dans le monde.

9En 1922, Pie XI érigera la Propagation de la Foi en Œuvre pontificale, fixera à Rome son siège central et confiera son administration à la Congrégation de la Propagande.

L'influence des évêques sur la diffusion de l'idée missionnaire

10La démarche faite en 1823 par le prince de Cröy ne reçut pas le même accueil dans les cinq évêchés bretons4.

11De Nantes, M^gr de Guérines répondit que l'Association pour la Propagation de la Foi dans les pays « infidèles » entrait trop dans ses vues personnelles pour qu'il ne s'empressât pas de la seconder de tous ses efforts. Il la signala aussitôt à l'attention de son clergé et de ses fidèles par la publication d'un petit livret de propagande, la recommanda de nouveau dans une lettre pastorale en 1828 et lui donna pour directeur diocésain l'abbé Gély, prêtre très zélé attaché au service de sa cathédrale. Dès 1830, le diocèse de Nantes donnait 20 000 francs pour les missions.

12Tout en étant favorable, la réponse de M^gr Mannay, l'évêque de Rennes, datée du 4 septembre 1823, contenait quelques réticences quant à la possibilité de donner à l'œuvre nouvelle une grande extension dans son diocèse. Après avoir affirmé qu'offrant chaque année son tribut personnel aux Missions Étrangères, il saisissait toute l'importance de l'Association pour la Propagation de la Foi, qu'il la ferait connaître « autant qu'il serait en lui », il ajoutait :

J'aurais plus d'espoir qu'elle s'étendît dans mon diocèse si, au milieu des besoins qu'il éprouve, il n'offrait pas aussi peu de ressources. Je le sens moi-même pour des établissements de première nécessité, mes séminaires. Je suis loin de pourvoir à ce qui leur serait nécessaire.

13Lors de la mort de M^gr Mannay survenue en 1824, la Propagation de la Foi n'avait encore reçu aucune organisation dans le diocèse de Rennes mais les offrandes continuaient à être recueillies pour être envoyées directement au séminaire des Missions Étrangères. Ce fut vers 1828 que M^gr de Lesquen, successeur de M^gr Mannay, nomma un Comité diocésain dont les membres les plus actifs furent M. Salmon, notaire royal et M. de Der- val, adjoint au maire de Rennes. Bénéficiant de l'intérêt suscité pour les missions par l'action antérieure de M^lle Langlois, l'Association prit un rapide essor. Dès 1831, le versement du diocèse de Rennes rejoignait et dépassait celui du diocèse de Nantes.

14De 1806 à 1809, M^gr Dombideau de Crouseilles, évêque de Quimper, avait fait partie du Conseil supérieur des Missions créé, en 1806, par le cardinal Fesch ; il aurait sans doute porté grand intérêt à l'Œuvre de la Propagation de la Foi s'il n'était mort au début de l'année 1823. Pendant la vacance du siège, les vicaires généraux Le Dalf de Tromelin, Mauduit et Herry firent parvenir aux recteurs tous les renseignements nécessaires pour la fondation de sections paroissiales. M^gr de Poulpiquet, successeur de M^gr Dombideau donna d'abord à l'Œuvre une certaine impulsion. Chose exceptionnelle pour l'époque, il la favorisa par l'insertion dans l'Ordo diocésain pour l'année 1828 d'une recommandation spéciale qui lui valut une recette de 12 000 francs. Il semble bien cependant que par la suite il ne lui témoigna qu'un intérêt mitigé. Jusqu'en 1840, année qui marqua la fin de son épiscopat, elle ne fit que végéter dans son diocèse. Pour recevoir une organisation sérieuse, elle dut attendre l'arrivée de M^gr Graveran.

15Lorsqu'en 1827, M^gr de la Motte de Broons fut nommé à l'évêché de Vannes, rien n'avait été fait dans son diocèse pour la Propagation de la Foi. Il attendit lui-même quelques années avant de donner à cette œuvre un commencement d'organisation. Au cours de l'été de 1829, dans une circulaire à son clergé, il exprimait « le désir de voir cette œuvre s'établir dans son diocèse comme elle l'était dans la plupart des autres diocèses français et spécialement dans tous les diocèses voisins ». Cette circulaire négligeant d'entrer dans les détails de l'organisation, ses résultats furent médiocres. Vers la fin de l'année, M. Jarry, vicaire général honoraire, écrivait au trésorier parisien : « Nous allons lentement, froidement peut-être, mais enfin nous allons. Pour ma part, je ne puis qu'exhorter ». Et à propos d'imprimés de propagande que l'abbé Gély lui avait transmis de Nantes, il laissait entendre plus clairement la modération de son évêque dans l'intérêt qu'il portait à l'Association : « Je ne puis, disait-il, que les communiquer à Monseigneur et attendre ses ordres ». Un comité fut enfin constitué au début de 1830. Il comprenait deux ecclésiastiques, M. Jarry et le chanoine Gouyon, et huit laïcs aux premiers rangs desquels figuraient MM. Rialan, juge d'instruction de l'arrondissement de Vannes, de Hay-Durand, receveur général des contributions indirectes du même arrondissement et Le Bobinéc, secrétaire général de la préfecture du Morbihan. Le chanoine Gouyon était le président et M. Jarry, le trésorier.

16La même année, dans une lettre pastorale, M^gr de la Motte exhorta les fidèles à entrer dans l'Association qui connut dès lors un développement continu mais très lent ; en 1840, les recettes diocésaines n'atteignaient pas encore 20 000 francs.

17Seul de tous les évêques bretons, M^gr Le Groing de la Romagère, évêque de Saint-Brieuc, se montra nettement opposé à l'organisation et au développement de la Propagation de la Foi dans son diocèse. Le chanoine Vielle, très zélé pour les missions, écrivait le 10 novembre 1831 :

Nous n'avons jamais été bien libres ici de nous occuper de la bonne œuvre de la Propagation de la Foi. Nous le sommes encore moins aujourd'hui.

18Et en 1839 :

Il ne nous manque pour donner plus d'extension à la bonne œuvre que l'autorisation formelle de Monseigneur. Nous sommes obligés d'y aller bien doucement dans la crainte de faire plus de mal que de bien.

19Cette attitude tout juste tolérante de M^gr de la Romagère freina considérablement l'essor de l'Association dans son diocèse. Alors qu'en 1839, les trésoriers de Nantes et de Rennes envoyaient à Paris plus de 44 000 francs chacun, le chanoine Vielle s'estimait heureux de pouvoir en envoyer un peu moins de 9 000.

20Par leurs dispositions personnelles, les évêques jouèrent donc un rôle capital dans l'organisation plus ou moins rapide de la Propagation de la Foi dans leur diocèse respectif. Même après le lancement définitif de l'Association, leur influence sur son évolution fut toujours prépondérante. Cette influence s'exerça sous des formes multiples. La constitution des comités diocésains, la nomination des directeurs diocésains furent toujours laissées à leur entière discrétion. Par des mandements lus au prône dominical dans toutes les églises, ils pouvaient exciter le zèle des fidèles pour les missions. Ce genre d'intervention se révélait d'ordinaire très efficace. À Saint-Brieuc, en 1842, un mandement de M^gr Le Mée fit passer les recettes de 16 000 à 30 000 francs ; à Quimper, en 1859, un mandement de M^gr Sergent les fit passer de 41 000 à 48 000 francs. À Nantes, en 1840, un mandement de M^gr de Hercé les fit augmenter de 20 000 francs. En 1874, une lettre pastorale du cardinal Saint-Marc sur laquelle nous reviendrons renouvela complètement l'organisation de l'Œuvre dans le diocèse de Rennes.

21Certains évêques, particulièrement désireux de voir la Propagation de la Foi prospérer dans leur diocèse, faisaient directement appel à la bonne volonté de leur clergé. Quelques extraits de circulaires adressées aux prêtres du diocèse de Saint-Brieuc par M^gr Le Mée donneront le ton ordinaire de ces interventions épiscopales.

Nous vous avions recommandé, leur écrivait-il le 20 décembre 1842, la sainte et excellente œuvre de la Propagation de la Foi. Vous vous êtes empressés de correspondre à nos désirs... Néanmoins tous les prêtres ne paraissent pas avoir accueilli nos pressantes exhortations avec la même faveur puisque, dans le courant de septembre dernier, le respectable M. Vielle nous affirmait que 150 paroisses environ avaient manqué à notre appel. C'est beaucoup sur les 385 que renferme notre diocèse. Ah ! Nous ne pouvons trop vous le redire, le moyen le plus efficace de conserver parmi nous le don précieux de la foi c'est de travailler de tout notre pouvoir à en procurer le bienfait à ces âmes innombrables qui en sont privées.

22Il leur disait le 16 décembre 184 :

Le succès dépend de vous principalement. Jugez donc quelle terrible responsabilité vous prenez sur vous si, par votre négligence, cette œuvre venait à dépérir et à tomber.

23Il revenait à la charge l'année suivante :

L'état malheureux de la foi dans notre patrie ne doit pas tellement nous préoccuper que nous ne songions ou presque plus à une autre œuvre dont nous vous avons déjà entretenus bien souvent : l'Association catholique pour la Propagation de la Foi. Bien loin que notre situation nous autorise à ralentir notre zèle en faveur des missions, c'est au contraire un motif de plus pour nous de les soutenir avec persévérance et d'étendre davantage leur salutaire influence puisque par là nous pouvons désarmer la colère de Dieu... Nous vous conjurons donc de recommander avec instance cette œuvre aux fidèles ; de soutenir la ferveur et le dévouement de ses anciens associés et d'en gagner de nouveaux. Nous avons appris qu'un certain nombre de paroisses de notre diocèse ne figuraient pas encore dans la Propagation de la Foi et cette nouvelle nous a péniblement affecté. Nous croyons que le succès dépend de vous presque uniquement et que, si vous le voulez, on verra bientôt se former de nombreuses décuries dans les lieux où il n'en avait pas existé jusqu'à présent.

24Plusieurs évêques profitaient aussi des retraites sacerdotales pour recommander la Propagation de la Foi à leur clergé. Cette pratique était de tradition à Saint-Brieuc dans la seconde moitié du xix^e siècle. Il arrivera même à M^gr Boucher d'inviter le prédicateur à rappeler aux retraitants la gravité de leurs devoirs de directeurs paroissiaux de l'Association.

25À Quimper, M^gr Sergent manifesta le grand intérêt qu'il portait à celle- ci, en la protégeant contre la concurrence d'autres œuvres missionnaires comme la Sainte-Enfance ou l'Œuvre des Écoles d'Orient. Il écrivait en 1859 :

Nous continuons à autoriser l'Œuvre de la Sainte-Enfance pourvu qu'elle ne nuise point à la Propagation de la Foi5.

26Il fallut les massacres des chrétiens de Beyrouth par les Druses, en 1860, pour lui faire admettre dans son diocèse l'Œuvre des Écoles d'Orient.

Les douloureux événements de Syrie nous portent à autoriser l'Œuvre des Écoles d'Orient, mais toujours à la condition que cela ne portera aucun préjudice à la Propagation de la Foi. Il serait à désirer que les œuvres nouvelles respectassent l'organisation des anciennes et une des causes qui, malgré toutes nos sympathies, nous avaient empêché d'approuver jusqu'ici cette excellente Œuvre des Écoles d'Orient, c'est que, comme elle avait pris sans façon l'organisation de la Propagation de la Foi, nous avions lieu de craindre qu'il en résultât pour celle-ci quelque préjudice6.

Le rôle des directeurs diocésains et du clergé paroissial

27Dans chaque diocèse, sous la dépendance immédiate des évêques, l'Œuvre de la Propagation de la Foi a été dirigée soit par un Conseil soit par un directeur unique.

28Tout à la fin de la Restauration, des conseils diocésains furent établis à Rennes et à Vannes. Ils n'eurent qu'une existence éphémère. Au cours du xix^e siècle, plusieurs évêques, voulant donner à l'Association un nouvel élan dans leur diocèse, créèrent des « Commissions de la Propagation de la Foi ». Ainsi firent M^gr Sergent à Quimper en 1859, le cardinal Saint-Marc à Rennes en 1874, M^gr Lecoq à Nantes en 1879. La commission de Quimper présidée par le vicomte de la Houssaye, professeur au grand séminaire, ne répondit pas aux espérances de M^gr Sergent. Elle cessa d'exister quelques mois seulement après sa création. Les commissions de Rennes et de Nantes préparèrent pour l'Œuvre une organisation méthodique mais, ce travail accompli, elles disparurent à leur tour.

29Pratiquement, dans les cinq diocèses bretons, la direction générale de la Propagation de la Foi a été assurée presque toujours par une seule personnalité portant le titre de directeur, de président ou de trésorier. Sauf à Rennes où, jusqu'en 1875, les trésoriers (M. Salmon de 1829 à 1857, M. de Séré de 1857 à 1874) furent des laïcs, cette personnalité a toujours été un ecclésiastique : secrétaire d'évêché, vicaire général, chanoine titulaire, économe de grand séminaire. À Nantes, après 1886, le directeur diocésain, chargé seulement du service d'aumônerie d'une communauté de religieuses, put consacrer presque toute son activité au service des Missions. Un seul directeur, M. Hamet, du diocèse de Saint-Brieuc, faisait partie du clergé paroissial.

30Si quelques-uns de ces directeurs diocésains, ceux surtout dont le temps était absorbé par leur charge de vicaire général ou de secrétaire d'évêché, n'ont guère été que des comptables, la plupart ont fait preuve d'un très grand dévouement. Quelques-uns, comme le chanoine Gély et M^gr Robert à Nantes, le chanoine Hamet à Saint-Brieuc, le chanoine Alexandre, le chanoine Morvan et leurs successeurs à Quimper, ont exercé une influence considérable sur la marche de l'Œuvre dans leur diocèse respectif. Il suffira pour donner une idée de cette influence d'étudier dans quelque détail l'action du chanoine Gély et celle du chanoine Hamet.

31Ainsi que l'écrivait M^gr de Guérines le 4 janvier 1831, c'est à l'abbé Gély que la Propagation de la Foi fut redevable du succès qu'elle connut dans le diocèse de Nantes dès les premiers temps de son existence.

Le succès qu'a obtenu dans mon diocèse l'Association de la Propagation de la Foi est principalement dû au zèle soutenu de M. l'abbé Gély. Doué d'un esprit d'ordre et d'une activité qui ne se décourage jamais, en le nommant trésorier, nous avions pressenti que personne n'était plus propre que lui à imprimer le mouvement et à le soutenir par une vigilance continuelle.

32En 1836, dans une liste des diocèses de France dressée d'après le rapport du nombre de souscripteurs de la Propagation de la Foi à celui de la population, le diocèse de Nantes venait au second rang avec un souscripteur pour trente-quatre habitants7.

33L'abbé Gély n'était pas seulement un intermédiaire entre les conseils centraux et les directeurs paroissiaux. Dans un but d'émulation, il publia en 1831 le tableau des paroisses inscrites à l'Œuvre. Chaque année, il préparait avec un soin tout particulier les deux grandes fêtes de l'Association, celle de l'Invention de la Sainte-Croix (3 mai) et celle de saint François- Xavier (3 décembre).

34À Nantes et dans plusieurs paroisses du diocèse, ces solennités prirent un caractère exceptionnel. À la cathédrale, la messe, pendant laquelle le Saint-Sacrement était exposé, était toujours présidée par l'évêque de Nantes ou par un évêque missionnaire ; quatre-vingts cierges illuminaient le maître- autel : des milliers de fidèles emplissaient les immenses nefs ; le prédicateur, choisi, il est vrai, avec le plus grand soin, pouvait se permettre, comme le fit l'abbé Fournier8, futur évêque de Nantes, de parler des missions pendant cinq quarts d'heure ; les communions étaient toujours très nombreuses. Sous l'impulsion de l'abbé Gély, ces fêtes missionnaires étaient devenues de grandes manifestations de foi et de piété. Le zélé trésorier avait la joie d'écrire le 13 décembre 1835 :

M^gr Flaget (évêque de Bardstown, États-Unis) officia pontificalement le jour de la fête de saint François-Xavier dans notre église cathédrale, très grande, très grande et malgré sa grandeur, trop petite pour contenir tous les fidèles qui désiraient assister à cette messe solennelle célébrée par un évêque de l'Amérique septentrionale... Dans toutes les églises, un très grand nombre d'hommes et de femmes ont approché des sacrements. On croyait se trouver au jour de Pâques.

35Nantes devint pour la Propagation de la Foi un centre de diffusion qui exerça son rayonnement dans le diocèse de Bourges et jusqu'aux Mascareignes et aux Antilles. Chaque année, le curé de la cathédrale envoyait au clergé de l'île Bourbon et à celui de plusieurs possessions françaises d'Amérique de l'huile des infirmes consacrée le samedi saint par l'évêque de Nantes. L'abbé Gély profita de ses relations et de la bonne volonté de certains capitaines au long cours qui se chargeaient de la transmission de tous les renseignements et des documents qu'il leur confiait pour lancer la Propagation de la Foi à l'île Bourbon en 1831, à l'île Maurice en 1834, à la Guadeloupe en 1844. Pendant plusieurs années, les fonds recueillis dans ces îles ne furent transmis à Paris que par son intermédiaire.

36Quand, en 1831, M. de Solages, préfet apostolique de Bourbon, arriva dans cette île, il prétendit disposer, pour la réalisation de ses projets d'évangélisation de Madagascar et de l'Australie, des fonds recueillis par son clergé en faveur de la Propagation de la Foi. Ces prétentions furent à l'origine de son conflit avec l'abbé Collin, conflit qui causa un certain trouble dans la petite colonie9. La sorte de patronage que l'abbé Gély gardait sur les sections de l'Association créées par ses soins l'amena à intervenir dans le conflit10. La connaissance des textes suivants extraits de sa correspondance est indispensable pour une juste compréhension de l'incident que, dans l'histoire religieuse des colonies, il est convenu d'appeler « l'affaire Collin ».

J'ai écrit à M. l'abbé Collin, curé de Saint-Denis à l'Isle Bourbon, de ne disposer, sous aucun prétexte quelconque, des aumônes que les fidèles donnent pour notre œuvre, sans l'autorisation spéciale du Conseil Central de Paris chargé exclusivement de la répartition des dites aumônes. Monsieur l'Abbé de Solages ne peut en disposer contrairement pour l'exécution de ses projets presque imaginaires. Il paraît qu'il rend la vie bien dure à M. l'abbé Collin, vieillard de soixante-quinze ans, digne de meilleurs procédés de la part de ce nouveau préfet apostolique qui peut trouver, dans la très riche île de Bourbon, les ressources dont il croit avoir besoin pour ses nouvelles entreprises sans s'emparer des aumônes données pour les missions étrangères. Je crains qu'il nuise à notre œuvre par ses exactions qui ne peuvent que produire un très mauvais effet parmi les fidèles de la ville de Saint-Denis, mécontents de la nouvelle destination des aumônes qu'ils donnaient exclusivement pour notre sainte œuvre. Votre sagesse et votre zèle vous suggéreront le parti que vous aurez à prendre pour mettre un terme aux prétentions de M. De Solages et aux peines de Monsieur l'abbé Collin qu'il faut soutenir et consoler11.
M. l'abbé Collin me dit que M. l'abbé de Solages lui a témoigné beaucoup de regrets du passé dont je vous ai donné connaissance et l'ai prié de tout oublier, ce qu'il a promis. Il doit ici ce changement de M. de Solages à son égard aux observations qui lui ont été faites par un respectable ecclésiastique de l'Isle Bourbon qui a beaucoup de respect et d'amitié pour M. Collin et qui a dit, avec beaucoup de ménagements, à M. de Solages, que sa rigueur envers un vieillard de soixante-quinze ans avait été déplacée, qu'il aurait dû avoir plus d'égards pour un ecclésiastique qui travaillait avec zèle et succès depuis cinquante ans dans les Colonies. M. Collin, depuis l'entrevue qu'il a eue avec M. de Solages, n'a plus à s'en plaindre. Ce dernier est parti le 14 (ou 16) juillet pour sa Mission de Madagascar dont il est préfet. Il a dit que le tribunal de la Propagande de Rome l'autorisait à prendre toutes les recettes qu'on faisait dans la colonie pour la Propagation de la Foi. Il n'a pas osé exiger celles de M. l'abbé Collin, craignant de lui faire de la peine...12.

37L'abbé Louis Hamet était prêtre custode de la cathédrale de Saint-Brieuc et n'avait que trente-deux ans quand, en janvier 1857, M^gr Le Mée le désigna comme successeur du chanoine Vielle, doyen du chapitre « pour tout ce qui regardait l'Œuvre de la Propagation de la Foi dans le diocèse ». Déjà, depuis trois ans, il secondait, ou mieux remplaçait, le vénérable doyen qui était né en 1766.

38La première lettre adressée par lui au secrétaire du Conseil de Paris, le 3 août 1854, avait été pour lui demander des notices qu'il se proposait de remettre aux recteurs lors des retraites sacerdotales. Ce geste avait valeur de symbole. La principale caractéristique de sa propagande en faveur de la Propagation de la Foi fut en effet l'importance qu'il donna à la diffusion d'imprimés : brochures, prospectus, comptes rendus, images, etc. En 1864, il publia une petite plaquette qu'il répandit dans toutes les paroisses du diocèse. De 1862 à 1870, par la vente de brochures, de gravures et de médailles, il se fit le promoteur de la dévotion aux martyrs du Japon13.Chaque année, il fit paraître un rapport sur l'état de l'Œuvre, qui était un petit chef-d'œuvre de propagande, et aussi une circulaire à l'occasion de la fête de saint François-Xavier. Ayant obtenu de Léon XIII une indulgence plénière en faveur des associés du diocèse de Saint-Brieuc, il remit à chacun de ceux-ci un titre d'association qui mentionnait cette faveur et qui fut exposé dans de nombreux foyers.

39La volumineuse correspondance qu'il adressa au secrétaire du Conseil de Paris est pleine de suggestions relatives à une présentation plus attrayante des Annales de la Propagation de la Foi et à une meilleure organisation de l'Association elle-même, mais la plus importante de ses initiatives fut celle des Fondations perpétuelles dont il sera question plus loin.

40Connaissant l'influence des évêques sur la marche des œuvres dans leur diocèse, il s'efforçait de conserver à la Propagation de la Foi les bonnes grâces de l'évêque de Saint-Brieuc. Il n'hésitait pas, dans ce but, à employer des petits moyens très humains :

Ne serait-il pas bon et avantageux pour notre chère Œuvre, écrivait-il, au secrétaire parisien, le 1^er mars 1899, d'adresser au nom du Conseil central une belle lettre, comme vous savez si bien en faire quand vous voulez, à M^gr notre évêque pour le remercier de ses bienveillantes dispositions en faveur de l'Œuvre des missions. Il n'est pas insensible à la louange. D'un autre côté, je vous avouerai, en toute confidence, qu'il voit avec peine la Propagation de la Foi se développer au détriment, croit-il, des œuvres diocésaines, on le lui dit... Il est bon de le détromper.

41Le 19 avril 1899, juste en an avant sa mort, le chanoine Hamet résigna sa charge de directeur diocésain qu'il assumait depuis près d'un demi-siècle. Dans une lettre pastorale du 10 février 1890, M^gr Fallières avait pu lui rendre ce témoignage que sans avoir négligé aucun de ses devoirs de pasteur — il avait été recteur de Trégueux et de Hillion et il était alors curé de Châtelaudren — il avait consacré sa vie à « l'Œuvre catholique par excellence ». Sans aucune exagération, M. Hamet avait pu dire de lui-même : « J'ai recours à tous les moyens possibles pour augmenter le budget des Missions ».

42L'organisation de la Propagation de la Foi est avant tout paroissiale. L'Œuvre fonctionne sous la direction du curé ou d'un vicaire et, jusque vers 1930 avec le concours de zélatrices ou dizainières. Sa fondation et sa prospérité dans les paroisses dépendaient surtout du clergé. D'une manière générale, celui-ci fit bon accueil. Il y eut cependant quelques exceptions, surtout dans le diocèse de Vannes ; le chanoine Jarry s'en plaignait en 1828, à la direction parisienne :

Les petites filles pauvres de l'hôpital de Lorient ayant voulu donner à la Propagation de la Foi en prenant sur leurs minces épargnes, je désirerais que mention en fût faite dans le prochain numéro de la reddition de comptes à l'article du diocèse de Vannes. Cela servira de stimulant pour plusieurs de nos recteurs qui en ont besoin.

43Un demi-siècle plus tard, l'abbé Max Nicol le déplorait à son tour :

Plusieurs paroisses ne semblent pas se douter que notre chère œuvre existe. J'essayerai de les réveiller mais, chez nous, on est un peu apathique et routinier.

44Dans la paroisse, le succès de la Propagation de la Foi dépendant surtout du clergé, un changement de recteur pouvait entraîner une notable augmentation des souscriptions. Lorsque M. Hamet arriva à Châtelaudren en 1875, cette paroisse figurait au quatre-vingt-onzième rang du tableau diocésain avec 24 centimes de moyenne par habitant. Deux ans plus tard, elle figurait au dixième rang avec une moyenne plus que doublée. Dans le compte rendu du diocèse de Quimper pour l'année 1937, le chanoine Guéguen faisait observer que, conséquence immédiate de changement de pasteur, une paroisse avait versé d'une année à l'autre 1 500 francs au lieu de 400 et une autre 2 500 au lieu de 300.

45Au début, les dizainières recrutèrent souvent d'elles-mêmes les membres de leur dizaine. Une fois l'Œuvre organisée, elles furent le plus souvent désignées par le directeur paroissial. Leur rôle consistait à recueillir chaque dimanche le sou hebdomadaire, principal élément du budget de l'Association. Dans certaines paroisses, un quêteur percevait cette cotisation au cours de la messe dominicale. Plus rarement, cette quête se faisait à domicile par un Frère-instituteur qui, chaque jeudi, lui consacrait ses loisirs.

46C'était la dizainière qui recevait les cahiers — c'était le nom qu'on donnait aux Annales de la Propagation de la Foi — et qui veillait à ce qu'ils parvinssent à tous les membres de la dizaine. Imprimées à Lyon, les revues étaient envoyées par paquets au directeur diocésain. Pendant longtemps, dans les diocèses de Rennes, de Vannes et de Saint-Brieuc, celui-ci les faisait transmettre aux directeurs paroissiaux par les élèves des grands séminaires. Pour les recevoir, les associés devaient attendre l'arrivée en vacances des grands séminaristes. Ce mode de transmission étant par trop défectueux, le directeur diocésain expédia les cahiers à chaque curé-doyen qui devait les remettre à chaque directeur paroissial. Par endroits, la distribution était assurée par des religieuses : les Franciscaines Missionnaires de Marie dans la région de Saint-Brieuc, les Ursulines dans la région de Guingamp.

47Dans tous les cas, les intermédiaires étant trop nombreux, les cahiers arrivaient en retard ou même n'arrivaient pas du tout, ce qui provoquait de nombreuses réclamations. Depuis 1934, tout associé versant sa cotisation a droit au service personnel des Annales par voie postale. Depuis la Grande Guerre surtout, l'organisation des dizainières a complètement disparu sauf dans le diocèse de Quimper où, en 1937, le directeur diocésain a renouvelé la consigne de la sauvegarder à tout prix.

Les revues missionnaires bretonnes

48En faisant connaître les travaux et les souffrances des missionnaires, les Annales furent le meilleur agent de diffusion de la Propagation de la Foi. En Basse-Bretagne où les Annales françaises n'étaient pas comprises, le succès de cette association fut minime. Dans le diocèse de Quimper, elle ne se répandit d'abord que dans les villes. En 1837, Brest et Landerneau fournissaient plus de 60 % des recettes du Finistère. En 1866, dans les Côtes- du-Nord, les arrondissements de Saint-Brieuc et de Dinan, entièrement de langue française, comptaient plus de 26 000 associés alors que les arrondissements de Tréguier, de Guingamp et de Lannion n'en réunissaient pas 6 000. Pour intéresser aux missions les populations de langue bretonne, il fallait traduire en breton les lettres des missionnaires.

49Le Morbihan vit éclore les premières initiatives. En 1830, une personne offrit de payer les frais d'impression d'un prospectus en breton. En 1832, un vicaire de l'île de Groix entreprit d'extraire des Annales les morceaux les plus intéressants et de les traduire en dialecte de Vannes. Enfin, au mois d'août 1842, plusieurs recteurs soumirent aux membres du Conseil de Paris le projet d'une traduction régulière des Annales. Cette initiative ne fut approuvée - non sans hésitation semble-t-il - que dans les derniers jours de l'année. Des traducteurs bénévoles, groupés en une commission présidée par le secrétaire de M^gr de la Motte de Broons, se mirent aussitôt au travail. Vers Pâques 1843 parut, à un millier d'exemplaires, le premier numéro d'une revue intitulée : Brediah er Fé eit er Vretoned a eskobti Gué- ned (Confrérie de la Foi pour les Bretons du diocèse de Vannes).

50L'idée d'une traduction des Annales de la Propagation de la Foi était née dans le diocèse de Quimper quand parut le premier numéro du Brédiah er Fé mais sa réalisation tarda encore un peu. Son principal promoteur fut Th. Hersart de la Villemarqué qui vit dans leur traduction un magnifique instrument de régénération de la langue bretonne et l'occasion de faire prévaloir la méthode orthographique de Le Gonidec14 L'évêque de Quimper, M^gr Graverand, Finistérien de naissance, approuva pleinement et le projet de traduction des Annales et l'idée d'utiliser celle-ci à des fins culturelles.

Nous verrions avec une grande satisfaction publier en langue bretonne des extraits étendus des Annales de la Propagation de la Foi. Nous avons pris connaissance d'une première livraison que M. Th. Hersart de la Villemar-qué se propose de livrer à l'impression à titre d'essai ; les extraits des Annales sont précédés de notions claires et précises sur la position géographique, les mœurs, les usages des contrées évangélisées par les missionnaires apostoliques. Nous ne pouvons qu'approuver les plans et les travaux de M. de la Villemarqué et des personnes qui lui prêteront leur généreux concours.

51À cette approbation datée du 27 octobre 1843, l'évêque de Quimper permit à de la Villemarqué d'ajouter les paragraphes suivants :

Nous ne croyons pas sans intérêt d'attirer l'attention de nos bien-aimés coopérateurs sur le soin apporté par les Écrivains Bretons de ces Annales à n'employer que des mots appartenant à la langue bretonne et à suivre, pour leur orthographe, une méthode rationnelle et arrêtée. L'absence de toute règle et la fréquente introduction d'expressions exclusivement françaises ôtent beaucoup de leur charme aux ouvrages d'ailleurs les plus utiles et les mieux composés, et nous croyons que nos pieux laboureurs eux-mêmes apprécient très bien l'élégance et la pureté du langage.
Dans quelques années, grâce à la multiplicité des écoles, tous, ou du moins le plus grand nombre, entendront la langue française ; mais ce sera la langue savante qu'ils parleront aux habitants des villes et aux personnes d'une condition supérieure. Entre eux et dans leurs rapports de tous les moments, le breton demeurera le langage usuel auquel ils s'attacheront de plus en plus s'il est purgé de tout alliage, si, dans ses productions, il substitue aux errements capricieux de chaque écrivain les règles fixées par la pratique et l'assentiment des plus doctes ; l'instruction même qu'ils auront puisée dans les écoles les rendra plus sévères sur l'observation de ces règles nécessaires de toute langue écrite ou articulée.
Appliquons-nous donc à les connaître et à les observer pour prévenir le mépris ou la décadence de notre précieux idiome : car sa conservation importe au bien de ce pays ; il y a une intime connexion entre le langage d'un peuple et son caractère, ses habitudes, ses mœurs, ses croyances...

52Le premier numéro des Lizeri Breuriez ar Feiz parut en octobre 1844, et fut rédigé totalement en langue bretonne pendant près de cent ans, mais l'essai tenté par la Villemarqué n'eut d'abord qu'un succès relativement modeste. Cette revue eût été plus profitable à la Propagation de la Foi si l'on ne s'en était pas tenu à la méthode Le Gonidec. Dans une note qu'il inséra dans l'Ordo de 1846, M^gr Graverand ne pouvait qu'exprimer l'espoir de voir les Lizeri pénétrer dans les campagnes :

Au nombre des Œuvres excellentes établies dans ce diocèse par le zèle de nos prédécesseurs, adoptées et soutenues par la piété de nos religieuses populations, nous avons trouvé avec bonheur l'Association pour la Propagation de la Foi.
Déjà, comme dans plusieurs paroisses, notre désir est de la voir chaque jour plus goûtée, plus répandue, plus féconde.
C'est dans cette vue que nous avons encouragé la traduction et l'impression en langue bretonne des précieuses Annales qui apprennent à ses pieux souscripteurs les travaux des missionnaires...
Nous avons confiance que les habitants de nos campagnes voudront s'associer à l'œuvre si méritoire de la Propagation de la Foi quand elle leur sera bien connue. Si le nombre des associés répond à notre attente, il nous sera possible d'établir une distribution régulière des Annales en langue bretonne selon le mode adopté pour les Annales françaises.

53Pendant plusieurs années encore et malgré plusieurs interventions de M^gr Graveran et de M^gr Sergent son successeur, les Lizeri ne firent que végéter ; leur publication fut irrégulière et leur tirage réduit à quelques centaines d'exemplaires. La nomination du chanoine Alexandre au poste de directeur diocésain de la Propagation de la Foi, en janvier 1860, assura leur succès ; elles parurent désormais régulièrement tous les deux mois et leur tirage fit mieux que doubler en deux ans.

54En 1860, l'abbé Hamet demanda au chanoine Alexandre de lui céder des exemplaires des Lizeri pour les Bretons du diocèse de Saint-Brieuc, mais l'intelligence des Annales de Quimper offrait parfois certaines difficultés pour ceux-ci. Les recteurs des paroisses bretonnes réclamèrent une traduction très intelligible pour leurs fidèles. Le chanoine Alexandre encourageait lui-même l'abbé Hamet à créer une revue spéciale :

Eh bien, lui écrivait-il, le 20 janvier 1864, avez-vous quelque espoir de monter une rédaction bretonne dans votre diocèse ? M^gr de Saint-Brieuc devrait y penser. C'est le moyen d'avoir un certain nombre de prêtres parlant bien cette langue nécessaire aux trois diocèses de Quimper, Saint- Brieuc et Vannes.

55L'abbé Hamet prit la chose au sérieux. Pour obtenir l'autorisation de la direction de la Propagation de la Foi, il lui écrivit à la fin de 1854 :

Si ce projet peut être réalisé, comme je l'espère, notre œuvre y gagnera considérablement. Ce qui a jusqu'ici arrêté son développement parmi les fidèles qui ne parlent que la langue bretonne, c'est le défaut d'Annales.

56L'évêque de Saint-Brieuc était alors M^gr David, un Lyonnais qui étudiait le breton et qui, s'il faut en croire certains témoignages, portait toujours sur lui la grammaire de Le Gonidec. On retrouvera l'inspiration de la Villemarqué dans la lettre qu'il publia dans l'Armorique du 11 mars 1865.

Les Annales de la Propagation de la Foi sont écrites en français et beaucoup de nos paroisses bretonnes, malgré l'énergique attachement à la patrie commune, sont restées fidèles à la langue héréditaire. Cette langue, la plus ancienne parmi celles qui se parlent en Europe, ne périra pas, quoiqu'en disent ceux qui ignorent l'indestructible vitalité du génie breton. On peut prévoir et désirer le moment où le français sera plus universellement compris par nous, mais on ne cessera pas de parler le brezonek, et, à l'heure qu'il est, des esprits d'élite, dont nous secondons les efforts, cherchent à régénérer et à épurer la langue des vieux Celtes et des premiers saints qui ont civilisé l'Armorique en la faisant agenouiller devant la Croix. Que faire donc ? Suivre l'exemple de nos excellents voisins de Quimper, c'est-à-dire traduire les Annales dans un breton tout à la fois correct et populaire, avec la seule orthographe de Le Gonidec... Ainsi on verra une fois de plus la vérité du proverbe breton : le langage et la foi sont frère et sœur en Bretagne.

57Sous le même titre que la revue de Quimper, une troisième traduction bretonne des Annales de la Propagation de la Foi fit son apparition à Saint- Brieuc en 1865.

58Les Lizeri de Quimper et de Saint-Brieuc paraissaient tous les deux mois comme les Annales françaises, le Brediah er Fé tous les trois mois seulement.

59Les Lizeri de Saint-Brieuc n'étaient guère que la traduction des Annales françaises. Pendant les premières années, cette traduction fut assurée par l'abbé Abgrall. En 1878, elle fut confiée à une commission d'ecclésiastiques nommée par M^gr David et présidée par le professeur de breton au grand séminaire. En 1885, comme depuis quelque temps le travail des traducteurs officiels n'était pas toujours suffisant pour permettre la publication régulière des Lizeri, M^gr Boucher exempta de deux conférences théologiques tout prêtre qui traduirait un numéro entier des Annales.

60En 1889, le Compte rendu du chanoine Hamet demanda une traduction dégagée de tout mot inusité et écrite selon l'orthographe du Buhez ar Sent de l'abbé Marigot. Le tirage du Breuriez ar Feiz ne fut jamais considérable. Il varia entre 700 et 900 exemplaires. Cette revue a cessé de paraître peu après 1918. Outre l'abbé Abgrall, les principaux traducteurs furent l'abbé Camus, recteur de Penvenan et l'abbé Gasdoué, recteur de Coadout.

61Brediah er Fé, la revue du diocèse de Vannes, présenta de préférence à ses lecteurs des lettres de missionnaires bretons extraites des Annales de la Propagation de la Foi, des Annales de la Sainte-Enfance, ou des Missions catholiques, mais faute d'une organisation suffisante de la Propagation de la Foi dans les paroisses, elle n'eut pas tout le succès qu'en avaient espéré ses fondateurs. Le tirage primitif d'un millier d'exemplaires n'a jamais été dépassé. L'abbé Le Berre, recteur de Moustoir'ac, le chanoine Jégouzo et l'abbé Le Priellec, aumônier de la communauté vannetaise des Petites Sœurs des Pauvres figurent parmi les principaux traducteurs.

62Depuis 1860, les Lizeri du diocèse de Quimper ont connu un succès croissant. De 1 000 exemplaires, leur tirage s'éleva à 2 500 en 1865, à 5 000 en 1891, à près de 10 000 en 1939. C'est la plus répandue des revues bretonnes.

63La population de langue bretonne est plus nombreuse dans le seul diocèse de Quimper que dans les deux diocèses de Vannes et Saint-Brieuc. De plus, les habitants des cantons de Gourin et du Faouët, situés dans le Morbihan mais dont le dialecte est celui du Finistère, n'ont jamais voulu d'autre revue que celle de Quimper. Cependant l'explication du succès des Lizeri ne doit pas tant être cherchée dans cet avantage d'une clientèle plus nombreuse que dans une adaptation plus poussée aux goûts de ses lecteurs. Moins que les autres revues bretonnes, les Lizeri ne furent qu'une simple traduction des Annales françaises. Le chanoine Alexandre comprit qu'une revue missionnaire bretonne se devait de faire la place très large aux missionnaires bretons. Il composa une biographie de M^gr Pellerin, un Quimpérois mort en Cochinchine en 1862, et la publia dans les Lizeri au cours des années 1865-1866. Il constata de bonne heure que les lettres écrites par des missionnaires quimpérois allaient « droit au cœur des bons Bretons » ; il en réclama avec insistance et, sans jamais devenir une revue réservée aux seuls missionnaires bretons, les Lizeri prirent un intérêt de plus en plus grand pour leurs lecteurs.

64On a dit, pour expliquer la disparition de la revue bretonne de Saint-Brieuc, qu'elle dura sans doute tant que son utilité le demanda. « Actuellement, écrivait-on en 1937 dans la Semaine religieuse de Saint-Brieuc, elle n'aurait plus d'ailleurs de raison d'être, les personnes ne sachant pas le français étant extrêmement rares ». Il est probable qu'elle aurait excité plus d'intérêt et qu'elle aurait survécu si elle avait réservé plus de pages aux lettres des nombreux missionnaires briochins. Dans le Finistère comme dans les Côtes- du-Nord, les personnes ignorant le français sont devenues rarissimes. Or, sans faire concurrence aux Annales15 qui, depuis 1934, se présentent sous la forme d'un magazine copieusement illustré, les Lizeri n'ont cessé d'augmenter leur tirage. Pendant près de cent ans, la revue missionnaire du diocèse de Quimper avait été rédigée uniquement en breton. Progressivement, par simple adaptation à ses lecteurs, elle est devenue une revue française et son tirage ne cesse d'augmenter. C'est la plus répandue des revues bretonnes.

Le Petit Messager des Missions, Écho des missionnaires nantais

65Une autre expérience tentée à Nantes, c'est-à-dire dans un diocèse entièrement de langue française, montre mieux encore l'intérêt que peuvent présenter des revues missionnaires locales dans des régions fournissant beaucoup de missionnaires. En 1879, M^gr Lecoq voulut exciter le zèle de ses diocésains en faveur de la Propagation de la Foi. Depuis une dizaine d'années, son diocèse, qui pendant longtemps était placé au premier rang des diocèses bretons pour sa générosité envers les missions, s'était vu distancé par les diocèses de Saint-Brieuc, de Quimper et de Rennes. Il nomma un comité diocésain dont les membres, le chanoine Le Maczon, directeur de la Propagation de la Foi, l'abbé Fournier, secrétaire général de l'évêché et le P. Sorin, missionnaire de l'Immaculée Conception, furent chargés « d'aviser aux moyens pratiques d'intéresser la population aux missions catholiques ».

66M. Roger, sulpicien, professeur de théologie au grand séminaire, suggéra l'idée d'une revue missionnaire nantaise. Ce prêtre zélé entretenait, depuis 1863, une abondante correspondance avec ses anciens élèves devenus missionnaires. Non content de les soutenir moralement par ses conseils et ses encouragements, il avait pris à tâche de leur venir en aide matériellement par l'envoi de bréviaires, de calices, de vêtements et d'argent. Son idée fut retenue. À la fin de 1880, la Semaine religieuse annonça l'apparition prochaine d'une publication intitulée Le Petit Messager des Missions, Écho des missionnaires nantais.

67Dans les diocèses de Quimper, de Vannes et de Saint-Brieuc, l'existence d'une revue bretonne était normale, nécessaire même pour atteindre une partie importante de la population, mais, malgré le but du comité diocésain qui était de donner une impulsion nouvelle à la Propagation de la Foi, que penserait-on à Paris et à Lyon, d'une revue de langue française strictement consacrée aux missionnaires nantais ? Un refus catégorique étant prévu, on alla de l'avant sans solliciter aucune autorisation.

68Dans son premier numéro, le Petit Messager exposa clairement le programme de ses fondateurs :

1. Provoquer le développement dans le diocèse de la Propagation de la Foi.
2. Être le trait d'union entre les missionnaires nantais et entre ceux-ci et leurs parents et amis du pays natal.
3. Venir en aide à ces missionnaires. Dans ce but s'adresser au clergé et aux fidèles du diocèse de Nantes et s'efforcer de les intéresser « en faveur d'enfants partis de son sein ».

69Ce même numéro insistait sur la distribution régulière des Annales de la Propagation de la Foi montrant clairement qu'il n'était nullement question de supplanter ou même de concurrencer la revue nationale.

70Le Petit Messager reçut un accueil enthousiaste tant de la part du clergé et des fidèles nantais que des missionnaires eux-mêmes auxquels il était adressé gratuitement ; ses chroniques ne furent alimentées que par des correspondances de Nantais authentiques. Fondé par le P. Sorin et M. Roger, il passa entre les mains de l'abbé Robert quand, en 1885, celui-ci fut nommé directeur diocésain de la Propagation de la Foi. D'abord trimestriel, il paraît tous les deux mois depuis. En même temps que le nombre de pages, qui passèrent de 24 à 32 puis à 48, son tirage ne cessa d'augmenter. En 1901, chaque paroisse recevait autant de Petit Messager que d'Annales de la Propagation de la Foi.

71Grâce au Petit Messager, le diocèse de Nantes vit augmenter rapidement son budget des Missions qui, à différentes reprises, dépassa de nouveau celui des autres diocèses bretons. Or, en plus des cotisations et des dons en argent faits à la Propagation de la Foi, les lettres des missionnaires nantais et les appels lancés par le Petit Messager suscitèrent des dons en nature envoyés directement dans les missions. La maison de l'abbé Robert se transforma en procure des missionnaires nantais. En la seule année 1903, ce prêtre put fournir leur trousseau de départ à une vingtaine de jeunes missionnaires, expédier dans les missions plus de deux cents caisses d'objets divers et distribuer 47 000 francs.

72En 1891, le P. Martin, missionnaire aux îles Marquises, réclama des vêtements en faveur de 400 lépreux dont il avait la charge. L'abbé Robert adressa immédiatement copie de sa lettre à tous les négociants en draps, rouenneries, toile, blanc et confection en tous genres de la Loire-Inférieure et put ainsi donner satisfaction à la demande qui lui avait été faite. Souvent les caisses sortant de la maison de l'abbé Robert contenaient des objets précieux. Lorsque, par exemple, en 1893, le P. Martin dont nous venons de parler fut élevé à l'épiscopat, il reçut entre autres objets de valeur une crosse, une croix pectorale et un anneau pastoral.

73Les résultats obtenus par toutes ces revues bretonnes sont considérables. M^gr David reconnaissait en 1878 que l'accueil sympathique fait, dès le premier jour, au bulletin Breuriez ar Feiz avait produit une notable augmentation des recettes de la Propagation de la Foi dans la partie bretonne de son diocèse. Dans le diocèse de Quimper, ces recettes doublèrent entre 1859 et 1865 grâce à la revue bretonne comme le chanoine Alexandre prenait soin de préciser en 1862 :

Toutes les paroisses rurales ont obtenu des progrès. À quoi cela tient- il ? À l'œuvre bretonne connue sous le nom de Breuriez ar Feiz. Elle a été établie comme élément subsidiaire. Elle est devenue aujourd'hui l'élément principal.

74À la direction de la Propagation de la Foi, on bouda le bulletin nantais, mais les missionnaires enviaient leurs confrères originaires du diocèse de Nantes qui ne recevaient pas seulement le « pain nécessaire » de la Propagation de la Foi, mais encore les gâteries du Petit Messager. Le P. Lecorre, missionnaire dans l'Extrême-Nord canadien écrivait à l'abbé Robert le 24 novembre 1894 :

Voulez-vous me permettre de faire un acte d'humilité en vous confiant l'aveu d'une faiblesse à laquelle j'ai failli succomber quelques instants à la lecture de votre Petit Messager Nantais ? Voilà le cas : comme missionnaire, j’ai porté envie à nos frères et sœurs missionnaires des quatre parties du monde qui sont nés sous la bonne étoile du diocèse de Nantes. Quelle bonne fortune pour eux, en effet, que des cœurs dévoués de compatriotes s'occupent tout spécialement de leurs besoins et de leurs œuvres.
C'est vraiment comme l'affection sainte du foyer domestique qui ne perd pas de vue ses enfants quelque dispersés qu'ils soient et les encourage dans leur pénible carrière par toutes les précieuses industries de la charité. Dieu fasse que ce bel exemple soit imité d'autres diocèses et, en particulier, par celui de Vannes qui compte aussi toute une légion de ses chers Bretons aux avant-postes de la milice apostolique.

75Le pape Pie X reconnut le mérite et l'importance de l'œuvre de l'abbé Robert en le nommant prélat romain en 1912.

76En Bretagne et dans les régions très riches en vocations missionnaires, l'intérêt de revues missionnaires locales ne saurait être contesté. De 1931 à 1940, les diocèses de Quimper et de Nantes, qui possédaient tous les deux un bulletin missionnaire très vivant, avaient versé plus de 9 900 000 francs à la Propagation de la Foi, alors que l'apport des trois autres diocèses était inférieur à 7 000 000 de francs.

Les comptes rendus annuels - Fondations perpétuelles Émulation entre diocèses

77Un autre moyen de promouvoir l'Œuvre de la Propagation de la Foi est la publication par le directeur diocésain d'un compte rendu annuel. Les premiers comptes rendus publiés en Bretagne parurent à Nantes et Saint- Brieuc en 1857, à Quimper en 1860, à Rennes en 1874, à Vannes vers 1880. Entre les mains d'un directeur zélé, ils furent toujours pour les différentes paroisses d'un même diocèse, grâce surtout à un tableau comparatif des recettes, la source d'une émulation profitable aux missions. Dans le rapport qui précède ce tableau, le directeur dressait le bilan du budget diocésain de la Propagation de la Foi pour l'année écoulée, remerciait les paroisses les plus généreuses, signalait les déficiences, en recherchait les causes, encourageait le zèle de ses confrères et celui des dizainières.

78Les évêques de Saint-Brieuc et de Quimper, plusieurs archevêques de Rennes tenaient à répondre au rapport qui leur était adressé en exprimant leurs félicitations et leurs exhortations et en répétant à leurs fidèles l'importance qu'ils attachaient à la prospérité de « l'Œuvre catholique par excellence ».

79Pour augmenter le montant des cotisations, l'abbé Hamet imagina en 1865, le système des fondations perpétuelles. La rente d'un capital de 60 francs représentant la cotisation annuelle de 2,60 francs exigée de chaque associé, il décida que toute personne versant 60 francs serait membre à vie de la Propagation de la Foi et continuerait après sa mort à jouir des prières faites pour les associés. La rentrée annuelle était portée au compte de la paroisse de l'associé-fondateur qui, le plus souvent, continuait de payer sa cotisation ordinaire.

80Le système des fondations perpétuelles se répandit rapidement. En 1872, il était établi dans deux cent dix paroisses du diocèse de Saint-Brieuc où, en une seule année, il provoqua un versement de 24 600 francs. Vers 1872, les jésuites l'introduisirent dans le diocèse de Quimper ; vers la même époque, il fit son apparition dans le diocèse de Rennes, et passa même à l'étranger. Mais sans l'interdire absolument, la direction de la Propagation de la Foi déconseilla cette innovation ; elle ne voulait recevoir elle-même ni fondations perpétuelles ni fondations de messes à dire dans les missions. Le 13 décembre 1893, le secrétaire parisien écrivit au directeur diocésain de Nantes :

Vous désirez savoir si nous recevons des fondations au profit de l'Œuvre. L'Œuvre n'est pas reconnue et ne peut se promettre la perpétuité. D'autre part, en présence de besoins urgents et de l'incertitude de l'avenir, nous ne tenons pas à thésauriser et à nous astreindre à conserver des fonds dont la garde et la transmission offrent mille difficultés et mille peines. En conséquence, le conseil a décidé qu'il n'accepterait aucune fondation, sous quelque forme que ce fût. Nous ne pouvons pas plus accepter une fondation de messes à dire en mission qu'une fondation en faveur de l'Œuvre.

81L'émulation entre les diocèses de Rennes, de Nantes, de Saint-Brieuc et de Quimper joua un grand rôle durant la seconde moitié du xix^e siècle dans les efforts des évêques et des directeurs diocésains pour donner à la Propagation de la Foi une organisation de plus en plus méthodique.

82À partir de 1860, tandis que l'Association perdait du terrain dans le diocèse de Rennes, elle ne cessait d'en gagner dans les autres diocèses bretons. En 1862, pour la première fois, les recettes de Saint-Brieuc dépassaient celles de Rennes. En 1864, alors que Rennes envoyait à l'Œuvre 70 000 francs, Saint-Brieuc en envoyait 80 000 et Quimper 78 000.

83Plusieurs fois, entre 1860 et 1870, la moyenne des recettes rennaises fut inférieure à la moyenne des recettes de la Bretagne entière. En 1871, Quimper donnait 96 000 francs, Saint-Brieuc 106 000 francs ; Rennes n'en donnait que 55 000. Cette dure humiliation porta des fruits. Depuis plusieurs années déjà, il était question à l'archevêché de Rennes de donner à l'Œuvre une organisation nouvelle. L'état d'infériorité du diocèse de Rennes par rapport aux autres diocèses bretons hâta la décision et, en 1873, Henry de Séré, trésorier diocésain, écrivait à Paris :

Je vous annonce une bonne nouvelle : Monseigneur paraît enfin décidé à organiser l'Œuvre comme elle l'est notamment dans le diocèse de Saint- Brieuc, où cette organisation a produit de si merveilleux fruits.

84Le secrétaire de l'archevêché fut envoyé à Saint-Brieuc pour s'informer près de l'abbé Hamet des moyens qu'il employait pour recueillir des sommes supérieures à celles de tous les autres diocèses bretons et, en août 1874, le cardinal Saint-Marc publia une Lettre pastorale qui devait renouveler complètement l'Œuvre de la Propagation de la Foi dans son diocèse. Nous en citons toutes les prescriptions parce que, à quelques détails près, elles donnent la description de l'organisation de la Propagation de la Foi qui fut longtemps en usage dans les diocèses de Saint-Brieuc, de Quimper, de Rennes et de Nantes.

L'Œuvre si importante de la Propagation de la Foi, qui a été longtemps très florissante parmi nous, est devenue depuis quelques années presque languissante et le produit de nos souscriptions est aujourd'hui très inférieur à celui de beaucoup d'autres diocèses.
Ayant donc à cœur de ranimer le zèle de nos populations fidèles pour une œuvre si utile, nous avons cru devoir instituer une Commission tout à la fois ecclésiastique et laïque. Cette Commission est chargée de raviver dans notre diocèse cette belle Association et de nous faire reprendre le rang que nous occupions autrefois parmi les plus généreux.
Pour atteindre ce but, la Commission nous a proposé les moyens suivants ; Nous les approuvons et en prescrivons l'observation entière :

1. Établissement dans chaque chef-lieu de canton d'un Comité présidé par M. le Curé-Doyen et composé des directeurs de l'Œuvre dans chaque paroisse. Ce Comité serait chargé d'exciter le zèle de tous dans sa circonscription ; de veiller à l'expédition exacte des cahiers dans chaque paroisse du doyenné ; de correspondre avec la Commission centrale pour envoyer les souscriptions, indiquer les améliorations possibles, adresser les réclamations utiles.
2. Les cahiers seront adressés à MM. les Curés-Doyens qui les distribueront aux directeurs paroissiaux. Ceux qui désireraient les faire prendre au grand séminaire voudront bien en donner avis à M. l'Économe.
3. Il y aura, au moins dans les villes et les paroisses importantes, deux réunions annuelles des associés ; aux fêtes de l'Invention de la Sainte-Croix et de Saint François-Xavier. Une messe suivie de la bénédiction du T. S. Sacrement sera célébrée à l'intention des associés vivants et défunts, spécialement des directeurs et chefs de dizaines. Nous engageons vivement MM. les Curés et Recteurs à faire, ces jours-là ou le dimanche précédent, une instruction sur le but de l'Œuvre, les faveurs spirituelles qui y sont attachées, etc.
4. Pour assurer la bonne marche de l'Œuvre, il y aura dans chaque paroisse, un directeur et des chefs de dizaines chargés de recevoir, de distribuer et de faire circuler les cahiers ; également de percevoir le montant des souscriptions. Le directeur paroissial recevra aussi les dons particuliers et les fondations, soit de messes pour les Missions, soit de souscriptions perpétuelles.
5. À Rennes et dans les villes où il y a plusieurs églises paroissiales, l'organisation se fera par paroisse ; dans chacune d'elles, un directeur sera désigné par le Curé et on s'y conformera de tous points au règlement ci-dessus énoncé. Les collecteurs isolés devront verser entre les mains du directeur paroissial de chacun de leurs abonnés le montant des souscriptions qu'ils en auront recueillies.
6. Dans les Communautés et Pensionnats, le Chapelain sera directeur, percevra les cotisations et les remettra au directeur paroissial, qui les distinguera de celles de la paroisse dans son compte rendu.
7. Pour une plus grande commodité, c'est entre les mains de M. l'Économe du grand séminaire que seront versées toutes les sommes, souscriptions, etc. Ces versements devront être effectués avant le 1^er janvier de chaque année. Nous recommandons très instamment à MM. les Ecclésiastiques, directeurs de l'Œuvre, de se conformer rigoureusement à cet article, dont l'oubli pourrait entraîner des conséquences regrettables et fâcheuses.
8. Tous les ans, on publiera un compte rendu des résultats de l'Œuvre dans chaque localité, et un tableau comparatif des souscriptions et donations, par cantons et par paroisses, en regard du chiffre des populations.

85Cette lettre influa sur l'exercice en cours et le président de la nouvelle commission diocésaine pouvait écrire au cardinal :

L'élan donné à l'Œuvre de la Propagation de la Foi dans le diocèse par votre circulaire du mois d'août dernier a déjà porté des fruits. Nous sommes heureux de vous apprendre que, dès cette année, le chiffre des recettes s'est élevé plus haut qu'il ne l'avait jamais fait : 110 254 francs.

86L'archevêque de Rennes avait exprimé sa volonté formelle de voir son diocèse reprendre sa place parmi les plus généreux. Il était obéi. Chaque année, les recettes s'augmentaient de quelques milliers de francs et, dès 1878, le diocèse de Rennes se classait premier des cinq diocèses de Bretagne avec plus de 150 000 francs. L'année suivante, il dépassait les 160 000. Pendant plusieurs années, dans le classement général de tous les diocèses de France, il arriva le quatrième, aussitôt après Lyon, Paris et Cambrai, le deuxième en tenant compte du chiffre de la population.

L'aide financière aux missions

87Dans l'ensemble, depuis la fondation de la Propagation de la Foi, les souscriptions de chaque diocèse n'ont fait qu'augmenter d'une manière assez régulière jusqu'à la fin du xix^e siècle. Les anomalies - brusques augmentations, diminutions ou arrêts - sont expliquées d'ordinaire dans la correspondance adressée par les directeurs ou les trésoriers diocésains au conseil central de Paris.

88Les recettes bretonnes se trouvèrent augmentées de 20 % en 1852, de 50 % en 1858 et de 23 % en 1881 par l'affectation à la Propagation de la Foi de l'aumône prescrite pour gagner les indulgences accordées ces années- là par Pie IX ou par Léon XIII. Elles subirent le contrecoup de certains événements politiques ou militaires et surtout celui des crises économiques, car elles avaient pour aliment principal les cotisations des familles ouvrières et paysannes.

89De Nantes où, après l'échec de sa tentative de soulèvement de la Vendée, la duchesse de Berry se tenait cachée, l'abbé Gély écrivait le 16 août 1832 :

Notre recette de 1832 sera sans doute très inférieure à celle de 1831. Des raisons impérieuses me le font craindre. Je fais ce que je peux pour consolider, étendre et multiplier notre bonne œuvre. Le choléra morbus, physique et politique surtout, paralyse mes efforts.

90Le 28 octobre, il renouvelait ses craintes :

Notre recette de 1832 ne vaudra probablement pas celle des deux années précédentes. Un grand nombre de nos bienfaiteurs sont en prison ou cachés ou en fuite ou ruinés. Voilà les doux fruits de l'état de siège16.

91La révolution de 1848 fit fléchir de 20 % les recettes bretonnes. Par suite d'un malaise économique prolongé, il fallut attendre 1858 pour retrouver les chiffres de 1847. L'abbé Évrard écrivait de Quimper le 18 janvier 1850 :

Les principales villes du département ont été visitées par le choléra, la classe ouvrière est sans travail, les quêtes ont tellement été multipliées par les œuvres charitables que notre œuvre aura dû nécessairement s'en ressentir.

92Quelques années plus tard, dans la correspondance du trésorier rennais de Séré, on pouvait relever des phrases comme celles-ci :

Tout n'est pas payé ici en raison de l'état de gêne où se trouve le diocèse : les fermiers ont peine à s'acquitter, les propriétaires se voient obligés de modérer leurs dépenses, les ouvriers ne sont pas toujours occupés (17 janvier 1853).
La misère persévérante arrête les versements et fait diminuer le nombre des abonnés (2 mars 1854).
La cherté de tout ce qui tient à la vie a seule amené cette diminution que nous n'avons pu empêcher, car le grand nombre des souscripteurs est dans la classe moyenne.
Les collecteurs sont zélés et se donnent bien des soins pour recueillir les aumônes, mais ne devaient-ils pas s'arrêter quand ils ont trouvé des ouvriers qui leur disaient : « La cherté du pain nous empêche de donner ou ne nous permet pas de donner notre rétribution entière cette année. Nous espérons que l'année prochaine sera meilleure et alors nous donnerons » (25 janvier 1855).

93Par suite de la guerre franco-allemande, les recettes de 1871 furent de 15 % inférieures à celles de 1869.

94De 1886 à 1891, les doléances des correspondants diocésains rappelèrent celles qu'avaient exprimées leurs prédécesseurs au cours des premières années du Second Empire.

Les temps deviennent de plus en plus mauvais. La crise financière et commerciale se fait de plus en plus sentir dans nos villes et dans nos campagnes (Rennes, 1886).
Nous avons une diminution. Je ne suis surpris que d'une chose c'est qu'elle ne soit pas plus considérable. Nos agriculteurs sont ruinés. Le commerce est en souffrance. Les œuvres catholiques se multiplient (Rennes, 1888).
Nos écoles chrétiennes sont aux abois, nos populations dans une situation très gênée (Quimper, 1889).

95La progression des sommes d'argent versées à la Propagation de la Foi par les diocèses bretons permet de répartir ces versements en cinq périodes. La première va de 1823 à 1860. Elle correspond à l'introduction de l'Association et à son organisation plus ou moins rapide dans les différents diocèses selon les dispositions des évêques et les circonstances qui favorisèrent sa pénétration dans les villes plus que dans les campagnes, dans les régions de langue française plus que dans celles de langue bretonne. De la somme de 5 575 874 francs versée par la Bretagne au cours de ces trente-sept années, Nantes fournit 34,5 %, Rennes 28 %, Vannes 13,6 %, Saint-Brieuc 13 % et Quimper 10,9 %.

96Les années 1861-1870 forment une décennie de transition marquée par le lancement de revues bretonnes et par une organisation méthodique de l'Œuvre dans les diocèses de Saint-Brieuc et de Quimper. Des 3 864 577 francs versés par la Bretagne pendant ces dix années, Nantes fournit 24,9 %, Saint-Brieuc 23,4 %, Quimper 21,8 %, Rennes 20,2 % et Vannes seulement 9,7 %. La faiblesse de ce dernier pourcentage était dû à une organisation insuffisante de l'Œuvre de la Propagation de la Foi dans le diocèse de Vannes, mais plus encore peut-être par l'intérêt que les recteurs portaient à l'Œuvre de saint François de Sales fondée par M^gr de Ségur pour venir en aide aux paroisses pauvres. Cet intérêt perdura pendant très longtemps. Le tableau des sommes récoltées dans chaque paroisse pour différentes œuvres est éloquent : les paroisses d'Allaire, d'Ambon et d'Arzal, les trois premières par ordre alphabétique, avaient versé respectivement 55, 551 et 120 F à la Propagation de la Foi et 770, 175 et 204 F à l'Œuvre de saint François de Sales.

97La troisième période va de 1871 à 1900. Elle est marquée par une grande émulation entre les diocèses de Saint-Brieuc, de Rennes et de Nantes. Au cours de ces trente années, la première place revient dix-neuf fois à Saint-Brieuc, grâce au zèle et aux multiples initiatives du chanoine Hamet, sept fois à Rennes, après l'adoption de l'organisation mise en place à Saint-Brieuc, quatre fois à Nantes après le lancement du Petit Messager. Le diocèse de Quimper n'occupe d'ordinaire que la quatrième place mais ses versements augmentent d'une manière régulière. Faute surtout d'un effort de propagande proportionné à celui des autres diocèses, Vannes se laisse distancer plus encore que par le passé. Du total de 17 630 000 F versés par la Bretagne, Saint-Brieuc fournit 24,6 %, Rennes 23,1 %, Nantes 22,7 %, Quimper 21,8 %, Vannes 7,8 %.

98La quatrième période va de 1901 à 1920. La Propagation de la Foi subit le contrecoup de la surcharge imposée au budget des populations chrétiennes par le denier du culte, par l'entretien des écoles libres et celui de la désorganisation du service paroissial occasionné par la guerre de 1914-1918 qui, dans les Côtes-du-Nord spécialement, prive de prêtres plusieurs localités. La réaction des diocèses bretons en face de ces circonstances n'est pas uniforme. Au cours de ces vingt années, la Bretagne donne 12 031 593 F. En s'en tenant aux chiffres, cette somme représenterait une légère augmentation par rapport à la période précédente ; en fait, cinq francs 1920 n'équivalant même pas à un franc 1900, elle accuse une diminution considérable. La proportion respective des cinq diocèses subit de notables modifications : Nantes avec 27,6 % devance Quimper (25,7 %) et Saint-Brieuc (23,7 %) ; Rennes (16 %) vient au quatrième rang et Vannes (7 %) est toujours bon dernier.

99La cinquième période va de 1921 à 1940. Elle est marquée par la générosité exceptionnelle du diocèse de Quimper qui donne près du tiers (32,4 %) des recettes bretonnes. Il est suivi par Nantes (23,2 %) et Saint- Brieuc (20,8 %). Les proportions de Rennes et de Vannes restent sensiblement les mêmes : 15,7 % et 7,9 %. Le versement global qui dépasse 27 millions a plus que doublé par rapport à celui de la période précédente, mais l'augmentation n'est qu'apparente. Une comparaison entre l'apport des diocèses bretons à la Propagation de la Foi entre 1881-1900 et 1921-1940 qui tiendrait compte de l'érosion monétaire et du nombre des habitants manifesterait une diminution importante (Vannes : 54 % ; Quimper : 60 % ; Nantes et Saint-Brieuc : 68 % ; Rennes 70 %) dont la principale explication est sans aucun doute l'effort financier exigé des catholiques pour l'ouverture et le soutien d'écoles libres de plus en plus nombreuses.

La pénétration de l'idée missionnaire dans le peuple chrétien

100L'influence de l'Œuvre de la Propagation de la Foi sur le développement des missions catholiques depuis le début du xix^e siècle a été capitale. Les Lettres curieuses et édifiantes publiées sous l'Ancien Régime par les Pères jésuites n'atteignaient que la noblesse et la bourgeoisie. Les Annales furent lues par tous. Il est difficile aujourd'hui, alors que journaux, revues et brochures arrivent jusqu'aux foyers les plus modestes, de se représenter la popularité dont les Annales jouirent longtemps dans la plupart des familles chrétiennes. À une époque où il n'y avait ni radio, ni télévision, où aucun journal ne pénétrait dans les campagnes, où les livres de piété étaient écrits trop souvent en un style diffus et obscur, les lettres missionnaires étaient accueillies avec le même empressement par la piété que par la curiosité populaire.

101Dans le lancement de l'Association, le clergé n'eut souvent qu'à fournir le premier effort d'organisation ; la foi des populations, l'esprit de prosélytisme inné chez les Bretons firent le reste. L'abbé Hamet pouvait écrire dès 1856, c'est-à-dire quelques années seulement après le lancement effectif de la Propagation de la Foi dans le diocèse de Saint-Brieuc :

Le zèle pour cette oeuvre passe heureusement dans les habitudes des fidèles ; la prière quotidienne de l'Association se récite en commun à l'église, le dimanche ; on la redit tous les soirs au foyer domestique ; on s'intéresse au départ des missionnaires, à leurs travaux, à leurs succès. Les Annales sont attendues avec impatience et lues avec avidité, quelquefois du haut de la chaire.
Ici, écrivait un recteur du Finistère en 1861,1es Annales font merveille, surtout dans une petite exploitation qui occupe de 40 à 45 ouvriers. Tous sans exception se sont enrôlés dans la Propagation de la Foi. Ils lisent les Annales bretonnes tout haut, pendant leur repas... Le propriétaire et directeur de l'exploitation a établi le règlement suivant : tout ouvrier qui s'absentera pour s'enivrer sera passible d'un franc d'amende au profit de la Propagation de la Foi. Tout le monde y a adhéré.

102Les comptes rendus et les correspondances des directeurs diocésains fourmillent de traits qui témoignent de la popularité de l'idée missionnaire dans tous les milieux sociaux. Sa dernière heure venue, une mendiante de soixante-douze ans remet à son recteur tout son avoir, 15,75 F pour les missions. Dix années durant, une filandière travaille une heure de plus chaque soir au bénéfice de la Propagation de la Foi. Des villageois marquent une brebis de leur troupeau pour en réserver le produit à l'Œuvre. Un cultivateur de Dinan, offre chaque année, en don anonyme, le plus clair de ses économies. Des marins, quand ils sont à terre, déposent leur sou hebdomadaire dans un tronc placé dans leur maison devant une image de Notre- Dame. Quand ils ont repris la mer, leur femme ou leurs enfants continuent religieusement leur offrande17.

103Par la collecte du sou hebdomadaire, par la lecture des Annales, la Propagation de la Foi a intéressé le peuple chrétien à la conversion des païens et lui a fait assumer le rôle que, depuis les grandes découvertes de Vasco de Gama, de Christophe Colomb et de Champlain, les rois de Portugal, d'Espagne et de France avaient joué comme protecteurs des missions lointaines18.