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Vivre en Touraine au xviiie siècle

 | 
Annie Antoine

Troisième partie. L’encadrement social du monde rural

Les créations de paroisse rurales au xviiie siècle : l’exemple des diocèses de Tours et d’Angers.1

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Publication : Société et religion en France et aux Pays-Bas, xvexixe siècles. Mélanges offerts à A (...)
  • 2 A. Playous, La Vie religieuse dans le diocèse de Boulogne au xviiie siècle, Arras, 1972, p. 28. En (...)
  • 3 J. Dupâquier, La Population rurale du Bassin Parisien à l’époque de Louis XIV, Paris, Ehess, 1979, (...)
  • 4 Au xviie siècle une seule paroisse a été créée en Touraine, celle de Richelieu, en 1638.
  • 5 En réalité le problème ne fut pas définitivement réglé à cette date puisque les habitants de Saint (...)
  • 6 En Touraine comme dans d’autres provinces, il existe des situations étranges comme celle des « tou (...)
  • 7 J.B. Denisart, Collection de décisions nouvelles, t. III, p. 156-157.
  • 8 Selon Denisart, au début du xviiie siècle la création d’une succursale est plus simple ; il cite L (...)

1Aux xviie et xviiie siècles la création de deux diocèses, celui de La Rochelle en 1648 et celui de Blois en 1697, n’a pas entraîné d’importantes modifications pour les limites de la province ecclésiastique de Tours. La carte des paroisses est elle aussi bien fixée mais elle subit des retouches : les évêques cherchent à améliorer l’encadrement religieux des populations ; pour répondre aux besoins et aux demandes ils créent des paroisses à partir de lieux de culte secondaires existants. En effet certaines communautés comportent une église principale et une ou des annexes. Si en Bretagne les « trèves » ou dans le diocèse de Boulogne les « secours2 » sont nombreux ; en Touraine les « succursales » et en Anjou les « fillettes » restent exceptionnelles, alors que la dispersion de l’habitat et l’existence d’une forte minorité de grosses communautés sont des caractéristiques du peuplement3 ; ces annexes sont souvent récentes puisque créées au xviie siècle ; plusieurs sont, au siècle suivant, définitivement séparées de leur « église matrice » et érigées en paroisse4. À l’inverse les évêques ont cherché la simplification dans les villes : dans la petite ville de Preuilly en 1705 l’archevêque de Tours met fin, sur la demande des habitants, à une situation bizarre qui provoquait du « scandale » puisque deux paroisses, Saint Pierre et Saint Melaine, étaient desservies dans l’église abbatiale5 ; à Tours même il supprime cinq très petites paroisses. Dans les campagnes des diocèses d’Angers et de Tours6, les prélats prennent en compte l’existence de conditions qui rendent difficiles la fréquentation de la messe et l’administration en urgence de sacrements comme le baptême ou l’extrême onction ; ils ne créent pas de nouveaux lieux de culte mais érigent en paroisse quelques « succursales ». Selon le juriste Denisart, une « succursale » est une « église dans laquelle se célèbrent les services de paroisse pour la commodité de quelques habitants éloignés de l’Église Paroissiale » ; elle doit avoir des fonts baptismaux et détenir les Saintes Huiles parce que « c’est principalement à cause des enfants nouveaux nés et des personnes malades, que les succursales sont établies7 ». Seul l’évêque a le droit de créer des paroisses, droit que rappelle l’article 24 de l’édit d’avril 16958, mais une simple décision épiscopale ne peut suffire ; il faut respecter toute une procédure à la fois religieuse et civile puisque les autorités séculières ont un avis à donner et que les populations doivent être consultées. Ainsi tout décret d’érection est confirmé par des lettres patentes qui doivent être enregistrées au parlement, de Paris en l’occurrence pour la Touraine et l’Anjou.

  • 9 Archives départementales d’Indre et Loire, G 15 et G 16, 2B 1414 et 1518, 3E12/112 et 3E5/573.
  • 10 Archives départementales du Maine et Loire, G 1854, 5E30/50 et 51, 5E90/16.

2Dans la seconde moitié du xviiie siècle, toutes les demandes n’ont pas été couronnées de succès mais dans le diocèse de Tours quatre paroisses sont créées à partir d’une succursale et sept dans celui d’Angers. Un dossier documentaire a pu être constitué pour 5 cas (dont un échec) ; il comprend différents actes épiscopaux évidemment mais aussi des actes notariés (procès verbaux d’assemblées de paroisse) et des archives judiciaires (procès verbaux des enquêtes de commodo incommodo). Les paroisses choisies pour l’étude forment un ensemble géographique cohérent, puisque ces communautés sont toutes situées à proximité de la Loire, parfois même dans un voisinage étroit. En Touraine9, il s’agit de trois villages ; deux, proches d’Amboise, Pocé sur la rive droite de la Loire et Lussault sur la rive gauche furent érigés en paroisse, par contre le troisième, Vallières à quelques kilomètres au nord ouest de Tours, ne put obtenir satisfaction ; en Anjou10, sont concernés Behuard, pèlerinage marial très fréquenté, et Beaulieu, un peu plus loin au sud sur les bords du Layon. Ces cas permettent d’étudier les étapes de la procédure et l’application pratique de celle-ci qui permet aux différentes parties concernées de se faire entendre.

  • 11 Dans l’échantillon étudié, pour les paroisses de Touraine il s’agit du bailliage présidial de Tour (...)

3Un Mémoire rédigé par un homme de loi à la demande des habitants de Lussault qui veulent connaître la marche à suivre pour obtenir satisfaction énumère les étapes de la procédure à respecter et les conditions à remplir ; il cite de nombreux textes législatifs, religieux ou civils. L’évêque est bien le seul habilité à créer une paroisse mais il doit s’assurer que la population concernée est assez nombreuse pour rendre la fondation nécessaire et prendre l’avis de toutes les parties intéressées, directement ou par l’intermédiaire de leurs représentants ; ce sont les curé, présentateurs, décimateurs, marguilliers, habitants… de la « paroisse matrice » qui doit être démembrée, mais aussi les habitants et propriétaires « forains » du district qui formera la nouvelle paroisse. L’évêque doit aussi « pourvoir à la dotation de la nouvelle église » afin que le curé jouisse de ressources financières suffisantes, soit au moins 300 livres, montant de la portion congrue, que paieront les décimateurs sans pouvoir être contraints à verser plus. Il diligente donc une enquête de « commodité incommodité » faite par un commissaire, – le plus souvent le promoteur ou l’official – ; ses tâches sont de convoquer et interroger les parties intéressées ; de visiter les lieux de culte, de faire l’inventaire des objets du culte et enfin d’inspecter le territoire pour définir de façon précise les limites du « district » qui fournira son cadre territorial à la nouvelle paroisse. À chaque étape un greffier rédige un procès verbal précis. Quand la demande émane de la population, comme à Saint-Roch ou à Lussault, elle doit d’abord obtenir une autorisation de l’intendant ; en effet les communautés d’habitants sont mineures ; en outre des biens de mainmorte et des enjeux financiers sont en cause ; c’est la raison de forme qui permet aux administrateurs du collège de Tours propriétaires à Luynes de s’opposer au projet des habitants de Saint-Roch, ces derniers n’ayant pas sollicité une ordonnance de l’intendant leur permettant d’entreprendre les démarches, alors qu’ils ont obtenu une autorisation du bailliage présidial pour s’assembler. La procédure ne s’arrête pas là. En effet le pouvoir séculier est concerné par l’aspect matériel du dossier et son contrôle semble se renforcer dans la seconde moitié du siècle, puisqu’il soumet les biens de mainmorte à un contrôle accru. C’est pourquoi la création de la nouvelle paroisse doit être confirmée par lettres patentes du roi, soumise ensuite à l’enregistrement par le parlement le de Paris. Avant de le faire, la cour souveraine demande une enquête de commodo incommodo, qui est réalisée sous l’autorité du siège présidial11dont dépend la nouvelle paroisse.

4Chaque cas étudié présente des caractères spécifiques et les demandes sont d’origine variée ; leur étude apporte des éléments intéressants pour l’histoire des comportements religieux. Dans un cas et un seul, l’initiative vient d’en haut : l’évêque d’Angers Mgr de Vaugirauld décide d’ériger en paroisse la succursale de Behuard, dépendant de Denée ; autre cas particulier, celui de Pocé où la création de la paroisse a été demandée en 1714 par le seigneur qui prévoyait dans son testament la fondation nécessaire. Les habitants de Lussault et de Saint-Roch, respectivement « succursales » de Saint Martin le Beau et de Vallières, ont pris l’initiative et une assemblée de communauté a décidé de présenter une requête à l’archevêque ; l’origine de la demande pour Beaulieu, qui dépend de Saint-Lambert en Anjou, n’est pas connue mais elle émane peut-être d’une partie des habitants qui ont le soutien de l’ensemble de la population.

  • 12 Le site de ce village est de même nature que celui des villages tourangeaux de la Chapelle-aux-Nau (...)
  • 13 Déjà, en 1659, la création de la paroisse de Paulmy, aux confins de la Touraine et du Poitou, avai (...)

5Quelle que soit la démarche originelle le but visé est toujours le même : il faut assurer les conditions nécessaires à une vie religieuse plus conforme aux commandements de l’Église ; il ne s’agit pas de créer un « bénéfice » pour offrir un débouché nouveau au clergé séculier, d’ailleurs le diocèse de Tours ne semble pas former assez de prêtres pour répondre à ses propres besoins. Les raisons exposées sont très proches ; elles correspondent vraiment à la réalité mais elles sont aussi celles dont on sait qu’elles sont reconnues comme valables. Les difficultés de communication avec l’église matrice empêchent les habitants de recevoir les « secours de la religion » quand ils sont malades et d’assister régulièrement dans l’église paroissiale à la messe les jours d’obligation. Ainsi Behuard12établie dans une île de la Loire est très facilement isolée de Denée située de l’autre côté d’un bras du fleuve dont les inondations sont fréquentes ; Saint-Roch et Lussault sont éloignées de leur paroisse mère ; de plus la première dépend de Vallières dont la situation est curieuse : c’est une petite paroisse enclavée dans celle de Fondettes qui sépare donc l’église matrice de sa succursale ; Beaulieu est isolé de Saint-Lambert par le Layon qui coule dans une vallée profonde et étroite et déborde facilement. Un seul le cas, celui de Pocé, est plus original et témoigne de la persistance, dans le milieu des officiers tourangeaux, de l’esprit de la Réforme catholique ; il s’agit moins d’un problème de distance (3 km) entre la succursale et l’église de Saint-Ouin que du vœu du seigneur de devenir vraiment seigneur de paroisse en obtenant la transformation de la succursale du lieu où se trouve sa seigneurie13

  • 14 Désormais la famille s’appelle de Cop de Pocé.

6Les demandes émanant de laïcs prennent bien en compte les aspects matériels et financiers. Pelluye, trésorier de France, seigneur de Pocé, « donne et lègue […] la somme de six mil livres pour être employée dans un fonds dont le revenu sera pour la subsistance d’un curé à la terre de Pocé » par son testament rédigé en octobre 1708 ; il meurt peu après mais son exécuteur testamentaire n’agit pas et la terre de Pocé est vendue à Jeanne Soulas, veuve de René de Cop, lui aussi trésorier au bureau de Tours14. Le promoteur du diocèse fait faire saisie de la somme due pour la fondation et madame de Cop la fait consigner, augmentée des intérêts, soit un total de 8530 livres, entre les mains du receveur des consignations du bailliage de Tours ; cette femme entreprend les premières démarches mais meurt après avoir essuyé diverses oppositions et avant d’avoir pu faire aboutir la demande. L’argent a été placé en rentes de l’hôtel de ville à 2,5 % et la somme s’arrondit pendant plusieurs années car c’est en 1765 ou 1766 que Jean de Cop agit comme héritier de sa mère pour que la fondation soit enfin réalisée : l’archevêque Mgr Rosset de Fleury lance la procédure en mai 1766. Toutes les conditions favorables sont réunies : la succursale est presque aussi peuplée que le bourg, centre de la paroisse, elle est dotée d’une chapelle ; la fondation permet de construire ou réparer une maison presbytérale et de rémunérer le curé, les paroissiens s’engageant même à verser un supplément financier de 1 000 livres en cas de besoin ; mais le projet suscite à Saint-Ouin l’opposition du curé, du seigneur qui est le patron et des habitants, ceux-ci craignant sans doute d’être contraints de verser une participation financière.

  • 15 Le mot « collecte » n’est jamais employé ; par contre le terme « commune » revient plusieurs fois (...)

7Les habitants de Lussault, qui bénéficient sans doute de la protection du duc de Choiseul, mettent en avant la grande distance (1,5 lieue) et les difficultés du chemin à travers la forêt d’Amboise qui isole leur village, au bord de la Loire, de celui de Saint-Martin le Beau, sur les rives du Cher ; mais ils soulignent aussi la dégradation de la situation religieuse qu’ils connaissent depuis quelques années. Selon eux le prêtre desservant de la succursale créée en 1628, a longtemps résidé sur place, dans une petite maison ; mais ses ressources ont toujours été insuffisantes car elles sont constituées d’une portion congrue de vicaire à 250 livres, du produit de la « glane » et la « quête » du vin qui ne donnent guère plus de 40 livres et de fondations pour 100 livres, il a donc été autorisé à aller résider au presbytère de la paroisse ; il ne peut dès lors plus assurer aussi efficacement le service religieux des habitants. En conséquence selon ces derniers des enfants sont morts sans baptême, des agonisants n’ont pu recevoir les derniers sacrements ; on évoque « la nécessité du culte dans un endroit voisin d’une grande route où il ne se trouve personne pour maintenir le bon ordre et où l’impunité peut enhardir tout malfaiteur ». Or Lussault qui est une « commune » fiscale15indépendante comptant 120 feux et 489 habitants, vignerons, carriers et journaliers, doit assumer les charges financières de sa succursale mais aussi contribuer à toutes les dépenses de l’église matrice à hauteur d’un quart ; la création d’une paroisse indépendante allégerait ce poids financier en supprimant leur participation aux dépenses de Saint-Martin. Pour atteindre la somme de 500 livres nécessaire au paiement du curé les habitants demandent que leur soit cédé le quart d’un commun dont jouit Saint-Martin depuis 1202, ils le loueraient au profit de la fabrique qui rémunérerait le curé.

  • 16 Il s’agit de 21 maisons de Sainte-Geneviève de Luynes, 24 de Fondettes et 4 de Charentilly.

8Les habitants de Saint-Roch savent qu’une faiblesse de leur demande réside dans la trop petite taille, – 59 feux en 1766 –, de leur village, qui constitue par ailleurs une « commune » fiscale indépendante ; ils ont pourtant une église et un presbytère qui vient d’être réparé aux frais de la fabrique pour un coût de 100 livres ; mais ils n’ont plus de desservant régulier depuis deux ans, l’archevêque leur envoie un prêtre seulement aux temps forts de l’année liturgique, en particulier au temps pascal. C’est pourquoi ils se sentent délaissés et ils affirment même que des maisons ont été abandonnées par suite de ces problèmes. Ils demandent donc la création d’une grande paroisse qui engloberait toutes les « maisons » et hameaux qui, tout en faisant partie des paroisses limitrophes16, sont plus proches de l’église de Saint-Roch ; ils arguent du service à rendre aux habitants de ces métairies et « fermes » isolées, dont la garde, le dimanche, exige la présence d’un domestique ou d’un enfant dès lors privé de messe. Les « bourgeois » de Tours propriétaires à Saint-Roch sont aussi présents ou représentés aux assemblées générales car ils viennent passer le dimanche ou faire en été des séjours dans leur maison de campagne et ils souhaitent assister à la messe dans l’église du village. Les habitants des maisons énumérées dans la requête sont d’accord puisqu’ils ont déjà l’habitude de fréquenter l’église de Saint-Roch.

  • 17 Mais il faut noter l’absence générale des femmes chefs de feu.
  • 18 Dans la grosse paroisse voisine de Fondettes, les assemblées sans grand enjeu connaissent une part (...)

9Les différents procès verbaux disponibles, que ce soit ceux des assemblées de paroisses ou ceux des enquêtes de commodo incommodo, ecclésiastiques ou civiles, indiquent l’opinion des parties concernées mais ne donnent pas la teneur précise des débats ; certains restent formels mais les arguments des opposants évoquent de façon précise des situations concrètes. Ainsi en est-il des enquêtes menées par les autorités civiles : sans doute pour que les avis émis soient impartiaux, les individus interrogés ne sont pas des habitants des paroisses concernées mais des notables voisins, qui jugent tous la création nécessaire et affirment que les conditions matérielles favorables sont réunies… Dans le cas de Behuard ce sont des citadins possédant une maison de campagne à proximité, pour Pocé des notables d’Amboise, tous bourgeois, hommes de loi et officiers du roi. L’intérêt des habitants des villages concernés est manifeste ; ils sont plus nombreux aux assemblées qui débattent de ces questions qu’aux réunions ordinaires : 30 % des chefs de feu sont présents à Pocé et Beaulieu, 40 % à Behuard ; à Saint-Roch17les assemblées de paroisse qui décident de demander la création de la paroisse en 1765-1766, réunissent presque la moitié (46 % ) des chefs de feu, alors que pour les questions concernant la taille seulement 30 % des familles sont représentées18.

  • 19 Nous n’avons pas retrouvé de demandes précises pour les succursales de la Chapelle-aux-Naux et de (...)

10Sur les six dossiers qui ont pu être étudiés19, cinq ont abouti à la création demandée. Celle de la paroisse de Behuard, effective en 1757, allait de soi puisque la proposition émanait de l’évêque ; pourtant lors d’une première réunion les habitants avaient opposé un refus en affirmant ne pas avoir de plainte à formuler et ne pas voir la différence entre un desservant et un curé ; sans doute sur l’insistance de Mgr de Vaugirauld, ils finissent par accepter mais en posant des conditions précises, qui sont évidemment financières puisqu’ils ne veulent être soumis à aucune charge supplémentaire. L’archevêque a passé outre l’opposition déclarée du curé et des habitants de Saint-Ouin et créa la paroisse de Pocé. Le seul échec connu est celui de Saint-Roch alors que la demande est vraiment d’origine populaire ; elle a aussi le soutien des habitants de la paroisse de Vallières puisque la géographie fiscale ne sera pas modifiée et qu’ils ne courent pas le risque de voir le poids de leur taille augmenter. L’archevêque lui avait réservé un accueil favorable mais les habitants suscitèrent une forte opposition puisqu’ils demandaient un démembrement touchant trois paroisses : les curés, les syndics de celles-ci, le chapitre Saint-Martin de Tours présentateur et décimateur de deux des paroisses concernées y sont hostiles et ils ont sans doute pu empêcher que soit donnée satisfaction aux habitants de Saint-Roch. Par contre, à Beaulieu en Anjou, l’abbesse du Ronceray à Angers a donné son accord à l’érection de la paroisse alors qu’elle était fondatrice et décimatrice de la paroisse de Sainte-Foy qui devait être supprimée en faveur d’une cure érigée en la chapelle de Beaulieu.

  • 20 Mais en 1786 quand le curé veut opter pour la portion congrue on découvre que le décret d’érection (...)
  • 21 B. Maillard, « De la Visite pastorale à l’enquête administrative », dans Foi, fidélité, amitié en (...)

11Les délais observables pour la création d’une nouvelle paroisse sont brefs tant qu’il s’agit de décisions de l’administration épiscopale mais ils s’allongent avec les interventions des autorités civiles et la multiplication des étapes de la procédure : en 1704 les habitants de la succursale de Sainte Catherine de Fierbois, démembrée de Sainte-Maure, qui a déjà son propre rôle de taille, obtiennent satisfaction en quatre semaines20. À Beaulieu, la première démarche date sans doute de 1765 et l’évêque rend le 15 septembre 1768 l’ordonnance d’érection, mais l’enregistrement de ce texte n’est fait par le parlement que le 16 août 1775. À Behuard, le projet épiscopal d’une paroisse est présenté aux habitants le dimanche 21 novembre 1755, l’assemblée générale finit par l’accepter le 14 mars 1756 ; le 12 mai 1756 le lieutenant particulier de la sénéchaussée et siège présidial d’Angers fait l’enquête de commodo incommodo, le 8 août 1757 le décret officiel d’érection est publié. Mais les lettres patentes du roi vont se faire attendre21 ans, jusqu’en 1778, et on ignore la date d’enregistrement par le Parlement ; en effet le problème de la répartition du coût des réparations a suscité un procès opposant les habitants et le curé de Behuard au curé de Denée ; le conflit s’achève par une transaction en novembre 1777. Les délais les plus longs concernent Pocé puisqu’entre l’ouverture du testament du seigneur en juillet 1714 et le décret d’érection en août 1771 il s’écoule 57 ans ; toutefois c’est seulement en 1766 que la procédure est vraiment lancée ; les lettres patentes du roi permettant l’achat d’un bâtiment pour y installer le presbytère sont datées de novembre 1772 et l’enregistrement par le parlement se fait sans doute en 1774.

12En Maine et en Anjou il existe une assimilation presque totale entre communauté religieuse et territoire fiscal : les difficultés de la levée de la taille sont évoquées par des officiers de l’élection d’Amboise lors de l’enquête sur la création de la paroisse de Pocé. Ces érections sont parfois suivies de la création d’une « commune » fiscale et désormais les deux types de circonscriptions coïncident de mieux en mieux : ainsi Lussault devient paroisse en 1783 et collecte en 1786, la paroisse de Pocé est créée en 1771 et la collecte en 1782, Behuard avait déjà son rôle de taille ; seule Beaulieu continua à avoir un rôle de taille commun avec son ancienne « église matrice ». Mais ce n’est pas là l’essentiel ; on peut noter que la plupart des créations de paroisse se situent dans la seconde moitié du xviiie siècle ; c’est la preuve que plus d’un siècle et demi après le véritable début de la réforme catholique en France se poursuit l’effort des évêques : ils continuent à vouloir améliorer l’administration de leur diocèse 20, à lutter contre les pratiques condamnées par l’Église et à exercer une plus grande surveillance sur leurs fidèles.

Notes

1 Publication : Société et religion en France et aux Pays-Bas, xve xixe siècles. Mélanges offerts à Alain Lottin, Gilles Deregnaucourt dir., Arras, Artois Presses Université, 2000, 648 p., p. 337345.

2 A. Playous, La Vie religieuse dans le diocèse de Boulogne au xviiie siècle, Arras, 1972, p. 28. En 1725 pour 279 paroisses on dénombre 145 « secours ».

3 J. Dupâquier, La Population rurale du Bassin Parisien à l’époque de Louis XIV, Paris, Ehess, 1979, p. 200

4 Au xviie siècle une seule paroisse a été créée en Touraine, celle de Richelieu, en 1638.

5 En réalité le problème ne fut pas définitivement réglé à cette date puisque les habitants de Saint Melaine s’opposèrent à la disparition de leur paroisse qui fut maintenue.

6 En Touraine comme dans d’autres provinces, il existe des situations étranges comme celle des « tournants et virants » : ce sont des hameaux qui dépendent alternativement de deux ou trois paroisses ; dans ce cas aussi, au xviiie siècle, on assiste à une simplification grâce à de nombreuses suppressions.

7 J.B. Denisart, Collection de décisions nouvelles, t. III, p. 156-157.

8 Selon Denisart, au début du xviiie siècle la création d’une succursale est plus simple ; il cite L’exemple de Pouancé en Anjou où, en juin 1704, la Madeleine devient succursale de Saint-Aubin, sans qu’il soit fait d’enquête de commodo incommodo. Mais depuis les conditions sont devenues plus rigoureuses.

9 Archives départementales d’Indre et Loire, G 15 et G 16, 2B 1414 et 1518, 3E12/112 et 3E5/573.

10 Archives départementales du Maine et Loire, G 1854, 5E30/50 et 51, 5E90/16.

11 Dans l’échantillon étudié, pour les paroisses de Touraine il s’agit du bailliage présidial de Tours et de la sénéchaussée et présidial d’Angers pour celles qui sont en Anjou.

12 Le site de ce village est de même nature que celui des villages tourangeaux de la Chapelle-aux-Naux et de Bréhémont devenues succursales au xviie siècle et qui le sont resté.

13 Déjà, en 1659, la création de la paroisse de Paulmy, aux confins de la Touraine et du Poitou, avait été demandée et obtenue par le seigneur du lieu, Jacques de Voyer, vicomte de Paulmy, qui sans doute souhaitait affirmer ainsi sa situation sociale. L’église du couvent des Augustins devint l’église paroissiale et le prieur fut curé.

14 Désormais la famille s’appelle de Cop de Pocé.

15 Le mot « collecte » n’est jamais employé ; par contre le terme « commune » revient plusieurs fois dans les textes concernant Saint-Roch, au sens d’unité taillable ayant son propre rôle.

16 Il s’agit de 21 maisons de Sainte-Geneviève de Luynes, 24 de Fondettes et 4 de Charentilly.

17 Mais il faut noter l’absence générale des femmes chefs de feu.

18 Dans la grosse paroisse voisine de Fondettes, les assemblées sans grand enjeu connaissent une participation de 6 % , de 10 % quand il faut décider des dépenses dans un but local.

19 Nous n’avons pas retrouvé de demandes précises pour les succursales de la Chapelle-aux-Naux et de Bréhémont ; pourtant des procès verbaux d’assemblées qui demandent un vicaire et qui s’engagent à le payer grâce aux revenus des communaux existent dans les minutes notariales.

20 Mais en 1786 quand le curé veut opter pour la portion congrue on découvre que le décret d’érection de la paroisse en date du 17 décembre 1704 n’a jamais été homologué par le procureur du roi, ce qui n’a pas empêché la paroisse de fonctionner.

21 B. Maillard, « De la Visite pastorale à l’enquête administrative », dans Foi, fidélité, amitié en Europe à la période moderne. Mélanges offerts à R. Sauzet, Tours, 1995, p. 67-76.

© Presses universitaires de Rennes, 2003

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