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Les Pontchartrain, ministres de Louis XIV

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Charles Frostin

Chapitre VIII. Jérôme de Pontchartrain à travers sa correspondance administrative

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Géographique :

France

Texte intégral

1Au début de l’année 1699, dans une longue lettre à Jérôme de Pontchartrain, le gouverneur de Saint-Domingue Jean-Baptiste Ducasse ne mâchait pas ses mots pour décrire la situation de cette colonie sévèrement touchée par la crise du tabac, naguère sa culture principale. Quelques extraits valent d’être reproduits ici.

  • 1 Achille Du Guest d’Artigny, un lieutenant de vaisseau, avait été nommé en 1697 lieutenant du roi à (...)
  • 2 AN, Colonies, C 9A, recueil 4, de Léogane, le 13 janvier 1699, lettre de Ducasse à Jérôme de Pontc (...)

« Ce gouvernement, se plaint Ducasse, est le plus pénible qu’il puisse y avoir et il me naît journellement un surcroît d’embarras… Il ne vient de France que des misérables sans chemises que la contagion tue ou accable immédiatement. Les vieux habitants sont embarrassés de leurs personnes et ceux qui ont du bien veulent se retirer. Il y a dix-sept ou dix-huit mois que les Français n’ont pas porté un Nègre, seule ressource des colons. Les denrées ne valent point d’argent ni le tabac en parti qui a formé toutes les habitations de cette Coste ; l’arrêt, que M. votre père a donné en faveur du fermier, est pire que le parti, qui [l’arrêt] détermine toute l’espérance des colons à sept cents milliers, quantité qui ne peut pas occuper cinquante misérables et qui les prive de toute espérance d’en retirer autre bénéfice que le simple achat ordonné par le dit arrêt et qui établit une police impraticable et qui déterminera l’habitant à n’en point faire plutôt que de s’y soumettre.
Vous m’ordonnez de me fortifier, que la saison de la paix y est favorable. Comment le faire sans un ouvrier ni des bâtiments pour charrier les matériaux. Je sais que les ordres ont été donnés plusieurs fois aux ports de mer qui cependant ne m’en ont pas procuré. Les années se passent et tout reste imparfait…
Vous me trouvez difficile sur l’envoi de soldats. Permettez-moi de vous dire que mon caractère est tout opposé et que lorsque je me plains, il faut que les raisons en soient extrêmes et si vous aviez vu ces malheureux, vous auriez défendu leur embarquement et, quoique mon intérêt ne soit blessé en rien dans la dépense qu’ils font, je la plains comme si elle m’intéressait seul. C’est péché de les nourrir et payer et, par cette raison, j’en ai cassé nombre il y a trois mois, je les fais cependant entretenir, attendant qu’ils trouvent à se placer, par une pure charité…
Vous apprendrez, Monseigneur, la mort de M. d’Artigny1… Ce gentilhomme était si pauvre qu’il était obligé de faire chasser et vendre ses viandes pour subsister et, tant que vous placerez des personnes de nécessité, il arrivera de semblables choses ou pires2… »

  • 3 Cf. Mémoires de Robert Challe, Paris, Plon, 1931, 301 p., p. 175.
  • 4 Expression de Robert Challe qui, étant alors écrivain principal de la Marine, fut témoin de la « f (...)

2Le contenu de la lettre suffit à montrer que Pontchartrain fils, encore survivancier, n’en prenait pas moins une part importante dans la gestion des affaires coloniales. Mais le ton peu amène du gouverneur, qui ne se prive pas de critiquer les ordres de Jérôme et s’en prend même à son père responsable de l’affermage du tabac, pourrait aussi laisser croire que le jeune secrétaire d’État ne se trouvait alors guère en mesure de s’imposer. En réalité, Jean-Baptiste Ducasse, bientôt négociateur du traité d’asiento de 1701, jouissait de l’entière confiance des deux Pont-chartrain, en attendant, de plus, de s’intégrer à leur réseau de parentèle par le mariage en 1704 de sa fille unique avec un La Rochefoucauld-Roye, beau-frère de Jérôme. Doué d’une forte personnalité et ayant son franc-parler, cet homme – le seul roturier promu lieutenant général des armées navales (1707) – pouvait se permettre d’user d’une telle liberté de langage, ce qui n’était certes pas le lot commun du haut personnel – d’épée ou de plume – servant dans la Marine ou aux Colonies. En son temps, Pontchartrain père tolérait fort mal la contestation, comme en témoigne, peu avant l’affaire de la Hougue, le sec billet, daté du 25 mai 1692, qu’il adressait au vice-amiral Tourville pour lui réitérer l’ordre d’appareiller de Brest : « Ce n’est point à vous, monsieur, à discuter les ordres du Roi, c’est à vous de les exécuter et d’entrer dans la Manche. Mandez si vous voulez le faire, sinon le Roi commettra à votre place quelqu’un de plus obéissant et moins circonspect que vous3. » Le mot « monsieur » placé non pas en tête du billet, « mais seulement dans le corps de l’écriture4 », le nom du Roi mis en avant à deux reprises en quatre lignes et l’épithète de « circonspect » employée à dessein pour sous-entendre la lâcheté, rien ne manque dans ce bel échantillon de style d’un grand commis louis-quatorzien pour qui un vice-amiral n’était jamais qu’un exécutant parmi d’autres.

3S’agissant de style impératif dans les correspondances avec le personnel du département de la Marine, Jérôme se révélera un digne émule de son père. Très tôt, dès 1694, on voit ce survivancier débutant prendre le ton du ministre habitué à parler au nom du Roi, telle cette lettre qu’il écrivait, de Versailles, le 5 mai, à Hubert de Champy-Desclouzeaux, intendant de la Marine, à Brest, pour lui annoncer sa visite dans le port breton :

  • 5 Archives de la Marine à Brest, Lettres de la Cour, 1E 28, 1694, t. 2, f° 10.

« Le Roi m’ayant ordonné de partir dans peu pour aller visiter les ports du Ponant, je compte de commencer par le Port-Louis et de me rendre ensuite à Brest. Je suis bien aise de vous en donner avis afin que vous prépariez les mémoires dont je puis avoir besoin pour connaître à fond toutes les affaires de ce port et en rendre compte à Sa Majesté. J’espère trouver tous les magasins en bon ordre et toutes les batteries de la rade de Brest en état d’agir en cas de besoin5. »

4Ou encore, autre lettre d’un ton moins ministériel, datée de Versailles, le 4 novembre, par laquelle Jérôme pressait Desclouzeaux d’activer l’armement en course dans son secteur.

  • 6 Archives de la Marine à Brest, Lettres de la Cour, 1E 28, 1694, t. 2, f° 306.

« Le Roi, lui expliquait-il, veut être informé du nombre des vaisseaux qui sont armés en course dans chacun de ses ports pour le compte des particuliers. Sa Majesté désire même qu’on cherche les moyens convenables pour en augmenter le nombre. Ainsi, je ne doute pas que vous n’y donniez tous vos soins dans l’étendue de votre département. Il me semble que le peu de corsaires qui ont armé au port de Brest ont été heureux et leur exemple devrait en attirer d’autres. Vous travaillerez, s’il vous plaît, à former pour cela des sociétés et vous me proposerez vos vœux. La protection particulière que le Roi veut bien donner à la course et les récompenses dont sa Majesté a résolu d’honorer les actions d’éclat et de distinctions qui s’y feront doivent exciter le zèle et la vivacité de tous ceux qui sont à portée de les pouvoir mériter. Je compte que vous étudierez à les engager et que cependant vous m’informerez à la fin de chaque mois par des lettres particulières du nombre des vaisseaux corsaires qui seront pour lors à la mer, des pertes et des prises qu’ils auront faites et de tout ce qui peut avoir quelque rapport avec la course ou contribuer à son augmentation6. »

5Ces deux lettres, surtout la seconde qui donne la mesure des exigences administratives du jeune survivancier, sont à rapprocher d’un billet d’une tout autre teneur que celui-ci, après son séjour brestois, adressait, de Dieppe, le 15 août 1694, au même Desclouzeaux :

  • 7 Archives de la Marine à Brest, Lettres de la Cour, 1E 28, 1694, t. 2, f° 199.

« Le nommé La Fontaine qui m’a servi et que j’ai laissé à Brest m’a écrit que l’emploi de gardien de vaisseau que vous lui avez donné à ma considération n’est pas capable de le faire subsister. Je vous prie de lui en donner un où il puisse avoir dix écus par mois ou de lui conserver celui qu’il a en augmentant ses appointements jusqu’à trente livres. S’il n’est pas content de cette somme, vous aurez la bonté de lui donner quelqu’argent pour qu’il s’en revienne à Paris7. »

  • 8 « Monsieur Phélypeaux » : première dénomination de Jérôme.
  • 9 « Le Roi vous a accordé les 15 000 livres qui lui sont dus par la succession du feu sieur de Champ (...)
  • 10 Marguerite Vinet, fille de Marguerite de Champy, sœur de Desclouzeaux.
  • 11 Abraham Dusquesne-Guiton (1650-1724), petit-fils par sa mère, Suzanne Guiton, du maire huguenot de (...)

6En plus des nombreux problèmes relatifs au service, Jérôme n’hésitait donc pas, comme l’indique ce billet, à mobiliser Desclouzeaux pour une simple affaire domestique, et cela au moment le moins opportun, alors que l’intendant se trouvait confronté à des tâches pressantes dans la perspective d’une nouvelle descente des Anglais après leur échec de Camaret. On peut y voir une certaine marque de désinvolture de la part de « Monsieur Phélypeaux8 » d’autant que Desclouzeaux, en poste à Brest depuis 1683 (mort en charge en 1701), était un vieil officier de plume âgé de 65 ans, entré dans la carrière en 1654, puis remarqué par Colbert qui en fit un commissaire général ordonnateur (au Havre en 1676, à Dunkerque en 1680). Mais surtout, dans les trois correspondances précitées, c’est l’assurance précoce manifestée par Jérôme qui vaut d’être soulignée, suggérant que ce novice dans le ministère se sentit probablement d’emblée fort à son aise avec les administrateurs les plus chevronnés et les plus compétents déjà accoutumés à servir sous son père. Desclouzeaux constituait, en effet, l’une des figures représentatives de cette catégorie, étant un intendant particulièrement apprécié de Louis de Pontchartrain qui lui avait fait obtenir une pension de 3 000 livres sur le Trésor royal et s’était entremis pour l’avantager dans une affaire de succession concernant l’un de ses oncles9. De plus, et ceci ne va pas sans expliquer cela, cet administrateur ne manquait pas de relations dans le milieu des officiers généraux de la Royale, étant parrain de l’une des filles de Jean Bart et se trouvant apparenté aux Duquesne par le mariage en 1686 à Brest de sa nièce Marguerite Vinet10 avec un neveu du grand Duquesne, le capitaine de vaisseau Abraham Duquesne-Guiton qui devra à la protection de Jérôme de Pontchartrain d’être nommé gouverneur général des Îlesdu-Vent en janvier 171411.

  • 12 Archives de la Marine à Brest, 1E 28 à 41, Lettres de la Cour, 1 E 438 et suivantes, réponses aux (...)

7Être « né dans le ministère », expression saint-simonienne, signifiait pour un survivancier avoir l’immense avantage de bénéficier, au départ, du concours d’hommes dévoués et pleins d’expérience prêts à faire le maximum pour aplanir la voie devant le futur secrétaire d’État. Tout acquis au clan Pontchartrain, Desclouzeaux fut de ceux-là, ne manquant pas de féliciter Jérôme dès sa nomination de survivancier le 27 décembre 1693, puis de se mettre à son entière disposition lors du séjour brestois de l’été 1694. Mais surtout le dépôt des Archives de la Marine à Brest conserve actuellement l’abondante correspondance échangée entre le secrétaire d’État survivancier et l’intendant de Brest, le premier réclamant sans cesse de nouveaux renseignements tant sur les activités du grand port de guerre du Ponant que sur de menues affaires défrayant la chronique brestoise, et le second s’empressant d’y répondre avec force précisions à l’appui12. De 1694 à 1699, durant les quatre années de survivance de Jérôme, Desclouzeaux, resté gros travailleur malgré son âge, se trouve ainsi astreint à une double correspondance avec Louis de Pontchartrain, secrétaire d’État titulaire, et avec son survivancier, tous deux aussi exigeants l’un que l’autre. On se bornera ici à citer quatre lettres de Jérôme à Desclouzeaux, les trois premières, des 19 août, 26 août et 2 septembre 1699, la quatrième du 15 septembre suivant, car elles se situent peu avant et peu après la titularisation du survivancier survenue le 6 septembre.

8La lettre du 19 août porte, entre autres sujets, sur un « scandale » provoqué par le curé de la paroisse en conflit avec les Jésuites qui tenaient le séminaire de la Marine à Brest. Cette affaire vaut à l’intendant de se voir réprimander pour avoir négligé d’en rendre compte.

  • 13 Archives de la Marine à Brest, 1E 41, f° 147-150.

« Vous trouverez ci-joint, lui écrit Jérôme, une lettre du père Roubleau, jésuite. Je vous prie de me mander le détail du fait dont il s’agit, ce qui a obligé le curé à faire scandale dans la chapelle du Roi et les raisons qu’il peut avoir pour justifier sa conduite. Il me paraît que la chose était assez importante que vous eussiez pris soin d’en rendre compte ou à mon père ou à moi13. »

9Non moins caractéristique du style et des exigences de Jérôme apparaît la lettre du 26 août, comme en témoignent les larges extraits ci-dessous où se manifestent bien son esprit pointilleux et son application à suivre les dossiers.

  • 14 Archives de la Marine à Brest, 1E 41, f° 151-152.

« Ne manquez pas, s’il vous plaît, de marquer votre réponse sur chacun des papiers que je vous ai envoyés en liasse et je vous prie de faire la même chose à l’égard de ceux que vous trouverez dans ce paquet, en observant les apostilles que j’y ai mises.
Vous me ferez plaisir de m’envoyer l’état de la dépense que l’on aura fait pour la carène du vaisseau du roi “le Fulminant” parce que cela me mettra encore plus en état du juger de la proposition qui m’a été faite, et que d’ailleurs je suis bien aisé de savoir précisément à combien se montent toutes ces dépenses.
J’ai vu par l’état général des armes qui ont été fournies des magasins de Brest aux compagnies de ce département depuis leur création que l’on n’a pu parvenir à en faire rendre compte aux capitaines, en sorte que l’on n’a pas encore su ni ce qui a été pris ni ce qui a été rendu. Cette erreur vient de deux principes, savoir de la négligence de ceux qui ont l’inspection sur les magasins, et de ce que ces compagnies ont changé souvent de capitaines et de département, mais comme il est absolument nécessaire de leur faire rendre compte, et que je veux savoir précisément tout ce qui est fait sur cela, je vous prie de travailler au plus tôt à vérifier ces comptes et à me faire ensuite un état général où soient comprises toutes les armes qui ont été prises, et par qui, celles qui ont été rendues et celles qui restent à rendre, afin que je puisse faire compter les officiers qui ne l’auront pas encore fait14. »

10Quant à la lettre du 2 septembre, la dernière que Jérôme, en qualité de survivancier, adressa à Desclouzeaux, elle revient sur l’affaire des Jésuites de Brest :

  • 15 Archives de la Marine à Brest, 1E 41, f° 165-165 v°.

« Les exhortations que les R.P. jésuites font dans la chapelle de la Marine ne peuvent être que bonnes pourvu néanmoins qu’elles ne se fassent que pour l’instruction des soldats, matelots, bas officiers et gens du port et que ce soit dans des temps convenables. Mais vous devez dans toutes ces choses éviter d’entrer dans les contestations que ces Pères pourraient avoir avec le curé15. »

11Pontchartrain fils ne fait là que reprendre en substance les consignes données par Pontchartrain père à l’intendant dans une correspondance datée du même jour :

  • 16 Archives de la Marine à Brest, 1E 41, f° 159-163.

« J’ai vu ce que vous m’écrivez sur les exhortations que le Recteur (jésuite) du séminaire de Brest a voulu faire dans la chapelle de la Marine aux ouvriers et artisans. Pourvu que cela se fasse de manière que le curé n’y puisse trouver à redire, cela me paraît bon, mais à l’égard des contestations qui sont entre eux pour leurs autres affaires, Sa Majesté n’a pas voulu y entrer et ne veut pas s’en mêler16. »

12Piqué au vif par la réprimande de Jérôme dans sa lettre du 19 août, Desclouzeaux avait tenu, en effet, à fournir à chacun des Pontchartrain un compte rendu détaillé de cette affaire qui, pour être d’un intérêt mineur, ne risquait pas moins d’altérer son crédit près du fils qui donnait déjà la pleine mesure d’un esprit aussi tatillon qu’ombrageux.

13La première lettre qu’une fois titularisé Jérôme écrivit à l’intendant de Brest est datée de Fontainebleau, le 15 septembre 1699.

  • 17 Jérôme est d’abord appelé « Monsieur Phélypeaux », puis à partir de 1696, « Monsieur de Maurepas » (...)
  • 18 Archives de la Marine à Brest, 1E 41, f° 175, lettre écrite de Fontainebleau.

« Mon père, déclare le nouveau secrétaire d’État, vous a fait savoir par l’ordinaire dernier que le Roi m’avait chargé des affaires de la Marine en le faisant chancelier de France. Je suis persuadé que vous n’en serez pas fâché et qu’en cessant de travailler sous ses ordres vous serez bien aise de passer sous les miens. J’espère que vous n’oublierez rien pour me donner des marques de votre attachement et pour exécuter ponctuellement les ordres que je vous enverrai. Vous devez compter aussi que, de ma part, j’aurai soin de faire valoir vos services et que je chercherai avec empressement les occasions de vous faire plaisir. Le Roi a désiré que je prisse le nom de mon père17. Je vous prie d’en aviser les officiers de votre département. À l’égard des affaires dont vous êtes chargé, vous m’informerez exactement de tout ce que vous ferez comme vous faisiez avec mon père, afin que je puisse en rendre compte à sa Majesté toutes les semaines18. »

14Desclouzeaux ne fut probablement pas « fâché » de l’élévation de Pontchartrain père à la Chancellerie, un remaniement ministériel qui avait au moins l’avantage de le libérer de l’obligation fastidieuse d’expédier régulièrement à Versailles une double correspondance traitant le plus souvent des mêmes sujets. D’autre part, le changement du titulaire des affaires de la Marine ne dut guère perturber le vieil intendant déjà rompu aux exigences et manies de Pontchartrain fils pour avoir été abreuvé par celui-ci de lettres de service en nombre croissant depuis 1694.

15Avantage du système des survivances, la transition s’opéra donc insensiblement d’un secrétaire d’État à l’autre, s’accompagnant, lors du départ de l’ancien titulaire, d’un suivi immédiat dans la gestion des affaires courantes, non sans quelques variantes et inflexions nouvelles de la part du successeur. À cet égard, apparaît caractéristique le refus opposé d’abord par Louis de Pontchartrain, puis réitéré par Jérôme, aux demandes de Desclouzeaux qui réclamait un ordre du Roi pour l’enfermement d’une femme nommée de Roussel. Le 26 août 1699, deux semaines avant de quitter la Marine, Louis répondait en ces termes à l’intendant de Brest :

  • 19 Archives de la Marine à Brest, 1E 41, f° 153-157 v°, lettre écrite de Versailles.

« J’ai parlé à sa Majesté de ce que vous m’écrivez au sujet de la dame de Roussel. Puisque la supérieure du couvent de Guingamp veut la recevoir, que la dite dame de Roussel ne refuse pas d’y aller et que son mari veut s’obliger à payer la pension, il n’est pas nécessaire d’ordre du Roi, et il vaut beaucoup mieux que les choses se fassent et sans autorité, aussi je ne vous envoie point cet ordre19. »

16Le mois suivant, en date du 15 septembre, Jérôme, désormais titulaire, éconduisait également Desclouzeaux pour la même affaire, tout en s’exprimant de manière fort différente de celle de son père.

  • 20 « Monsieur de Léon » : l’évêque du diocèse de Léon en Basse Bretagne.
  • 21 Archives de la Marine à Brest, 1 E 41, f° 176 et suivantes, lettre écrite de Fontainebleau. Le mêm (...)

« J’ai parlé au Roi, lui précisait-il, de ce que vous m’avez écrit au sujet de la dame de Roussel. Sa Majesté ne croit pas, sur un simple récit comme celui que vous faites, la devoir faire enfermer, et Elle a même beaucoup de peine à donner ces sortes d’ordres quand les faits sont bien clairs. Aussi, à moins que son mari et son [illisible] ou le grand vicaire de Monsieur de Léon20 à son défaut ne le demandent, Sa Majesté ne le donnera point21. »

17Cette dernière lettre, rédigée en termes nets, tranchants, et marquée par le souci de se référer expressément à la volonté royale, reflète déjà le style et le ton qui caractériseront les correspondances administratives de Jérôme de Pontchartrain. En même temps, elle témoigne de l’attitude restrictive du pouvoir louis-quatorzien quant à l’expédition de lettres de cachet privatives de liberté sur la demande des familles, une politique dont s’éloignera le gouvernement de Louis XV en laissant proliférer ce genre de mesures d’enfermement, faute d’enquêtes préalables et de contrôle sérieux de la part des secrétaires d’État comme au temps du vieux Roi.

  • 22 Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 3, p. 1003-1005.

18Prise dans son ensemble, la correspondance échangée entre Pontchartrain fils et l’intendant Desclouzeaux de 1694 à 1699 appellerait une étude exhaustive permettant d’examiner de près, à l’aide de cas précis, le travail d’un secrétaire d’État survivancier à l’époque de Louis XIV. Mais, compte tenu des dimensions de notre enquête sur les Pontchartrain, on se bornera ici à dégager l’un des intérêts majeurs de cette correspondance qui réside dans les aperçus qu’elle donne de la personnalité de Jérôme de Pontchartrain avant qu’il prenne en mains, seul, la direction des affaires de la Marine. À cet égard, les quelques lettres de l’année 1699 mentionnées plus haut apparaissent particulièrement éclairantes avec, à la fin de chaque lettre, revenant comme un leitmotiv, la même recommandation : « Je vous prie de continuer à me faire part avec le plus d’exactitude que vous pourrez de tout ce qu’il y aura de particulier et qui méritera attention » (lettre du 19 août) et, « je vous prie de continuer à m’informer avec la même régularité de tout ce qu’il y aura de particulier et qui méritera attention » (lettres des 26 août et 2 septembre). Ou encore, peu après sa prise officielle de fonctions, ces deux injections pressantes faites à Desclouzeaux de n’oublier rien « pour exécuter ponctuellement » ses ordres et de veiller à l’informer « exactement de tout ce qu’il ferait » (lettre du 15 septembre). Enfin, rappelons à nouveau cette sorte de leçon donnée par Jérôme à l’intendant de Brest, lui enjoignant de marquer sa réponse « sur chacun des papiers… envoyés en liasse » comme si ce vieil officier de plume faisait son apprentissage du travail de bureau (lettre du 26 août). Bref, au travers de sa correspondance avec Desclouzeaux, administrateur pourtant expérimenté et considéré, investi de la responsabilité du premier port de guerre du royaume, Jérôme de Pontchartrain annonce déjà le ministre peu accommodant que Saint-Simon dépeindra comme un homme « appliqué, sachant bien sa marine », mais, en même temps, « pédant en régent de collège », d’un « commerce insupportable », exigeant « tout en maître dur », et régnant sur son département « comme un comite sur ses galériens22 ».

  • 23 Jean-François-Paul Lefèvre de Caumartin, frère consanguin de l’intendant des Finances Urbain-Louis (...)

19Ce portrait comporte une part de vérité, bien que le mémorialiste, grossissant les traits déplaisants du personnage, oublie de rappeler que c’était souvent l’intérêt du service qui poussait le secrétaire à adopter un tel comportement et à se montrer intraitable même à l’égard des membres de sa propre parentèle. Ainsi, par lettre du 9 juillet 1703, l’abbé de Caumartin23, directeur de l’Académie des inscriptions, se voyait sévèrement tancé pour le laisser aller qui sévissait dans cette compagnie réorganisée par les soins de l’abbé Bignon en 1701.

  • 24 Le nombre des membres de l’Académie des Inscriptions avait été porté de huit à quarante par l’ordo (...)
  • 25 Depping, t. IV, p. 634-635.

« Il n’y a que trop longtemps, lui écrivait Jérôme de Pontchartrain, que l’Académie est accusée de ne rien faire, de chercher sans cesse des prétextes pour éloigner la conclusion des travaux, et même de s’y appliquer très nonchalamment… La plus grande partie des séances se consume en discours inutiles ou en disputes frivoles, souvent même à ne s’entretenir que des nouvelles, et hors trois ou quatre qui s’appliquent sincèrement, le reste n’apporte aux assemblées qu’un air d’ennui ou un esprit critique… L’augmentation faite par le Roi depuis deux ans24 devrait naturellement produire dans les anciens une noble ambition de servir par leur zèle et par leur application d’exemple aux nouveaux, et dans les nouveaux une juste émulation de se rendre capables de remplacer les anciens. Les grâces dont sa Majesté veut bien accorder la continuation, malgré toutes les dépenses d’une des plus grandes guerres, devraient encourager à lui faire voir des travaux qui fussent de dignes fruits de ses libéralités. L’inaction ferait un tort infini à l’Académie aux yeux du public, et même auprès du Roi25. »

20Jérôme intervenait là en qualité de ministre de la Maison du Roi, responsable des Académies. En tant que ministre de la Mer, responsable des Colonies, le ton pouvait devenir encore beaucoup plus incisif, car, dans ce domaine, il ne s’agissait pas seulement de négligences, nombre d’administrateurs coloniaux profitant de l’éloignement pour se livrer à de multiples abus de pouvoir accompagnés de trafics frauduleux. C’était le cas, en particulier, de l’intendant du Canada Michel II Bégon de la Picardière à qui le secrétaire d’État adressait, le 13 juillet 1715, une lettre de blâme où il ne lui épargnait rien de la longue liste de ses prévarications accumulées depuis sa prise de fonction en 1712.

  • 26 AN, Col., série B, registre 37, f° 204.

« Il m’est revenu une infinité de plaintes contre vous par différents endroits. On m’assure que vous vous rendez le maître de tout le commerce du Canada ; que vous avez fait construire trois ou quatre vaisseaux dont le sieur Butler, de la Rochelle, a la direction et qu’il vous envoie de France beaucoup de marchandises ; que vous avez envoyé l’année dernière aux Isles deux navires chargés de farine et que ce fut cette raison qui vous porta à défendre aux autres navires d’en charger, sous prétexte d’attendre si la récolte serait bonne ;
que cette même raison vous engagea à rendre votre ordonnance du 24 janvier 1714 pour défendre les achats de blé et résilier tous les marchés qui avaient été faits par des particuliers, pendant que vous les faisiez enlever tous pour votre compte, ce qui fut cause de l’émeute qui arriva à Québec l’année dernière, que vous avez voulu faire passer pour une sédition ;
que vous avez fait sceller tous les bluteaux des particuliers, afin qu’il n’y eut que vous qui puissiez faire des farines par vos émissaires ;
que vous avez vendu des blés jusqu’à quinze et seize livres le minot, sans compter que vous vous êtes réservé la fleur des farines de tous ces blés pour charger les navires du sieur Butler, votre prête-nom ;
que vous avez fait tirer la fleur des farines destinées à la conversion du pain que vous faisiez faire à la boulangerie du Roi pour le public, auquel vous le faisiez cependant vendre beaucoup plus cher qu’il ne coûtait, quoique mauvais par la suppression de la fleur de farine ;
que vous avez acheté pour votre compte, par différentes personnes qui vous sont affidées, tous les bœufs et les cochons qu’on peut trouver et que vous tenez boucherie ;
que vous avez arrêté à Montréal toutes les barques pour transporter vos blés à Québec, pendant que vous avez empêché par-là les particuliers de faire descendre ceux qu’ils avaient pour leur commerce.
En un mot, on assure que vous vous rendez absolument maître de tout et que les gens du Canada sont perdus sans ressources si on ne met ordre à votre avarice et à votre injustice.
Je vous avoue que vous ayant toujours connu des sentiments si éloignés d’une pareille conduite, j’ai eu beaucoup de peine à penser que vous ayez pu être capable d’un changement aussi étrange, si contraire à la religion, au service du Roi, à votre honneur et à votre devoir26… »

  • 27 Charles Le Normant : grand-père de Charles-Guillaume le Normant d’Étiolles marié à Jeanne-Antoinet (...)
  • 28 Berthelot de Montchesne : frère d’Agnès Berthelot, marquise de Prie, maîtresse du duc de Bourbon, (...)

21La chute de Jérôme de Pontchartrain, qui suivit de peu la mort de Louis XIV, permit à l’intendant prévaricateur d’échapper aux poursuites et de rester en poste (jusqu’en 1726). Mais, bien que non suivi d’effet, ce réquisitoire prend un relief particulier en ce sens qu’il s’attaquait à un représentant de la puissante tribu familiale des Bégon solidement ancrée dans le milieu de la marine comme celui de la finance et, de plus, apparentée à la fois aux Colbert et aux Pontchartrain (voir tableau 58). Michel II Bégon de la Picardière, avant son affectation au Canada, s’était occupé des approvisionnements à Rochefort près de son père Michel Ier Bégon de la Picardière, intendant de la marine dans ce port et, en même temps, intendant de la généralité d’Aunis-Saintonge à La Rochelle. Ce Michel Ier, cousin germain de Marie Charron, femme de Colbert, comptait parmi ses frères un affairiste notoire, Michel Bégon de Montfermeil, dit « le jeune », premier commis du bureau des fonds de la Marine de 1689 à 1705, après avoir été commissaire des poudres et salpêtres de 1685 à 1689 grâce à la protection du grand financier François Berthelot qui, en qualité de commissaire général des poudres et salpêtres, monopolisera la fourniture de la poudre aux vaisseaux et aux armées du Roi de 1661 à 1690, un monopole destiné à rester dans les mains de sa nombreuse famille jusqu’à la fin du règne. Alliance caractéristique, Bégon de Montfermeil avait épousé en 1684 Catherine Guymont, sœur du receveur général des Finances Paul-Jacques Guymont (1667-1748) et cousine germaine du fermier général Charles le Normant (mort en 1712)27qui, l’un et l’autre, participaient aux fournitures de la Marine, le premier comme munitionnaire, le second comme traitant de la poudre. Par la suite, Montfermeil devait resserrer ses liens avec le clan Berthelot, en mariant en 1706 sa fille aînée Catherine Bégon à Nicolas Berthelot de Jouy, l’un des huit enfants de François Berthelot, puis en 1720 sa troisième fille Marie-Michèle Bégon à Louis-Michel Berthelot de Montchesne28, petit-fils de François Berthelot et fils de Jean-Étienne Berthelot de Pléneuf, commissaire général des poudres et salpêtres (1693), trésorier général de l’extraordinaire des guerres (1702), directeur général de l’artillerie (1704), premier commis de la guerre (1707), l’un des plus gros munitionnaires de son temps.

22Baignant dans un environnement hautement propice aux activités lucratives, Michel Bégon de Montfermeil bénéficiait, en plus, de l’immense avantage de la protection ministérielle. C’était son cousin germain Seignelay qui, en 1689, l’avait propulsé à la tête du bureau des fonds de la Marine, et, un an plus tard, Louis de Pontchartrain, successeur de Seignelay, s’était empressé de conserver un premier commis si étroitement lié au milieu maltôtier, la Marine ne pouvant se soutenir sans le concours des publicains. À en croire les Mémoires – composés en 1716 – de Robert Challe, Pontchartrain père et Bégon de Montfermeil se seraient entendus comme larrons en foire, avec la complicité de leurs épouses Marie de Maupeou et Catherine Guymont :

  • 29 Mémoires de Robert Challe, op. cit., p. 196.

« Il [Pontchartrain] fut le premier qui vendit généralement tous les emplois de la Marine. En quoi, il fut aidé par Bégon, son premier commis, dont la femme, aussi joueuse que facile à ses amants, le secondait aussi parfaitement et employait son gain à faire des présents à ses favoris… Mme de Pontchartrain disposait du gros. Elle vendait les places de fermiers généraux cinquante mille francs29. »

  • 30 Ibid., p. 197.

23Et, au sujet de cette dernière, Robert Challe, qui dénonce son « avarice sordide et crasse », se fait l’écho d’un propos qu’elle aurait tenu à la nouvelle de l’élévation de son mari à la Chancellerie : « Bran de l’élévation ! Quand j’étais la femme d’un contrôleur général, je roulais sur l’or et l’argent. À présent que je suis femme d’un chancelier, je n’ai pas un b… de sol30. »

  • 31 Titre exact : « Intendant de la Marine, ayant inspection générale sur les classes des officiers ma (...)
  • 32 Pour cette affaire de pillage de prises, voir le numéro spécial de la Revue d’histoire littéraire (...)

24Exagération ou déformation, le témoignage de ce mémorialiste, homme au caractère emporté, sent manifestement le règlement de comptes. Ancien protégé de Seignelay dont il avait été le condisciple au collège de la Marche (place Maubert), Robert Challe s’était vu révoquer en 1694 de son emploi d’écrivain principal de la Marine pour affaires de pillage de prise31. D’où l’étendue de ses rancœurs qui englobait le couple Pontchartrain et le couple Bégon, Michel Bégon de Montfermeil tenant le registre des officiers de plume et d’épée en qualité de premier commis du bureau des fonds, et influant par là sur les mouvements du personnel (avancement, révocations, congés, pensions, etc.). Ainsi, en février 1691, une dame nommée Dumay-Drouet écrivait à Mme Bégon de Montfermeil (Catherine Guymont) pour la presser d’intervenir près de son mari afin qu’il fit accorder une commission de capitaine de la chaîne des galères à un jeune protégé, l’opération supposant, au préalable, la révocation du capitaine alors en poste, soi-disant incapable. En échange, la dame Dumay-Drouet promettait à l’épouse du premier commis une somme de mille livres par an32. Pareille démarche, qui ne devait pas être isolée, donne une certaine consistance aux assertions de Robert Challe sur le trafic d’influence pratiqué dans la distribution des emplois de la Marine. En tout cas, ce fut bien grâce à ses fonctions de premier commis que Montfermeil put donner libre cours à ses talents de grand brasseur d’affaires, la direction du bureau des fonds comprenant, autre attribution importante, la surveillance de l’exécution des marchés qui se faisaient dans les ports par les soins des intendants. Fort de cette position centrale, il allait en profiter pour s’introduire dans la fourniture des vivres et munitions au point de devenir, après son départ du bureau des fonds en 1705, munitionnaire général des vivres des armées de Flandre, d’Allemagne, d’Espagne et de Roussillon.

  • 33 Lettre du 15 février 1691 citée dans Yvonne Bezard, Fonctionnaires maritimes et coloniaux sous Lou (...)
  • 34 D. Dessert, La Royale…, p. 26.
  • 35 Ibid., p. 297.

25Non content d’être l’un des piliers des sociétés de vivres, Bégon de Montfermeil entrera aussi dans les sociétés de traitants qui se formaient pour la perception des impôts ou pour le recouvrement de la finance d’offices nouvellement créés. Mais surtout son secteur de prédilection résidera dans les affaires maritimes ou coloniales. Très tôt, et durant une longue période, des années 1680 à la fin du règne, on le voit s’investir dans l’armement de navires, notamment pour la course. D’autre part, il opérait, en qualité de directeur-actionnaire, au sein de quatre compagnies de commerce, la Compagnie de Saint-Domingue et la Compagnie de la mer du Sud fondées sur l’inspiration des Pontchartrain, la Compagnie de la Méditerranée et celle du cap Nègre et du Bastion de France dans lesquelles figurait son frère François Bégon, un ancien commis du trésorier de la Marine à Toulon. Tout ce déploiement d’activités dans de multiples directions avait été considérablement facilité tant par ses origines et relations familiales que par sa position privilégiée dans les bureaux du ministère durant quinze années, de 1689 à 1705. Successivement protégé par Seignelay, puis par Pontchartrain père, Michel Bégon de Montfermeil forme ainsi un personnage où se trouvent intimement mêlés l’influence politique, la haute administration et l’affairisme. En même temps, ce Bégon illustre, selon l’expression de l’historien Daniel Dessert, « l’extraordinaire concentration et homogénéité des milieux qui gèrent et ravitaillent la marine33 », en raison notamment de ses liens de parenté et d’affaires avec le clan Berthelot, détenteur du monopole de la fourniture de la poudre. Une union étroite qui transparaît dans le bail Philippe Paumier de 1707-1715 concernant les fournisseurs de la poudre – au nombre de douze – pour la marine royale : Montfermeil y figure aux côtés de quatre Berthelot, dont son propre gendre Berthelot de Jouy marié en 1706 à Catherine Bégon34. Ce fut d’ailleurs grâce à la sœur de ce gendre, Agnès Berthelot, marquise de Prie, maîtresse du duc de Bourbon (principal ministre de 1723 à 1726), qu’il put se rétablir partiellement après avoir été quasi ruiné par le non remboursement de ses avances comme munitionnaire général, Agnès lui ayant fait obtenir une place de directeur à la Compagnie des Indes. Cela n’empêchera pas ses héritiers, à sa mort en 1728, de refuser la succession, l’estimant « plus onéreuse que profitable35 » (tableau 58).

26Pourvu d’un tel oncle, Michel II Bégon de la Picardière, le futur intendant du Canada, avait pu baigner très tôt dans l’ambiance d’un microcosme politico-financier où l’affairisme régnait en maître. Dans ce domaine, d’ailleurs, lui-même, avant de passer en Amérique en 1712, s’était déjà doté d’un bagage fort utile en étant amené, de par ses fonctions, à fréquenter de près le milieu des armateurs et celui des munitionnaires. En 1704, en effet, il avait été affecté aux côtés de son père Michel Ier Bégon, intendant de La Rochelle-Rochefort (mort en charge en 1710), en qualité d’inspecteur général d’Aunis-Saintonge, surintendant des approvisionnements. Aussi, une fois installé à Québec, s’empressa-t-il de mettre à profit l’expérience acquise en matière d’armement maritime et de fournitures de vivres pour tenter de capter le marché canadien, qu’il s’agisse de la construction de navires, destinés, sous le prête-nom de l’armateur bordelais Butler, à introduire des marchandises de France à son propre compte, ou d’actes arbitraires et de manœuvres frauduleuses visant à se rendre seul maître de la vente des blés et farines, voire même des animaux de boucherie. La lettre-réquisitoire de Jérôme de Pontchartrain, du 13 juillet 1715, constitue, à cet égard, un témoignage accablant. À la fin de cette lettre, Jérôme déclarait à Michel II Bégon avoir eu « beaucoup de peine » à croire à un « changement aussi étrange » pour lui « avoir toujours connu des sentiments si éloignés d’une pareille conduite ». En réalité, ce changement de comportement n’avait rien d’« étrange », nombre de membres du haut personnel d’épée et de plume de la Marine, une fois affectés outre-mer comme gouverneurs, intendants ou commissaires ordonnateurs, transgressant volontiers les ordonnances et règlements à la faveur de l’éloignement du pouvoir central qui, de son côté, fermait plus ou moins les yeux, ne serait-ce qu’en raison de l’incapacité du Trésor à verser régulièrement les appointements des administrateurs coloniaux. Toutefois, même en un temps de détresse financière, ce Bégon, intendant du Canada, représente un cas extrême par l’étendue de ses prévarications dépassant largement les bornes d’une tolérance tacite. Un dépassement qui laisse entrevoir chez lui l’assurance de pouvoir agir en toute impunité.

  • 36 Pour la carrière de Michel Bégon de Montfermeil, voir Yvonne Bezard, Fonctionnaires maritimes et c (...)

27Cette assurance tenait beaucoup à un lien étroit et récent qui avait apparenté Michel II Bégon de la Picardière aux Pontchartrain. Au mois de janvier 1711, moins de deux ans avant de rejoindre Québec (octobre 1712), il avait épousé à Rochefort Élisabeth de Beauharnais, sœur de cinq Beauharnais servant tous dans la Marine : François de Beauharnais de Beauville, successeur en 1710 de Michel Ier Bégon à la double intendance de La Rochelle-Rochefort et ancien intendant du Canada (1702-1704) ; Jean-François de Beauharnais de Moulon, lieutenant de vaisseau (1707) ; Charles de Beauharnais de la Boische, capitaine de vaisseau (1708), gouverneur de Québec de 1708 à 1726, puis gouverneur du Canada de 1726 à 1747 ; Claude de Beauharnais de Beaumont, capitaine de frégate (1712)36 ; Guillaume de Beauharnais de Beauville, lieutenant de vaisseau (1711). Élisabeth et ses frères étaient les arrière-petits-neveux d’Anne de Beauharnais, femme du secrétaire d’État Paul de Pontchartrain, et les petits-cousins de Marie-Anne de Beauharnais, femme du conseiller d’État, intendant de Paris Jean Phélypeaux, comte de Montlhéry (mort en 1711), lui-même frère du chancelier Pontchartrain (voir tableau 26). Par son mariage avec une Beauharnais, Michel II Bégon, issu d’une famille alliée aux Colbert, se trouvait donc pleinement intégré au clan Pontchartrain, la prolifique tribu des Beauharnais bénéficiant d’une sorte de priorité dans les emplois de la Marine et des Colonies grâce à la protection attentive de Louis et de Jérôme de Pontchartrain : une situation privilégiée destinée à perdurer sous le ministère du bienveillant Maurepas, non moins sensible que son père et grand-père à l’esprit de solidarité familiale.

  • 37 Claude de Beauharnais de Beaumont (†1738) est le père de François, marquis de la Ferté-Beauharnais (...)

28Derrière l’alliance Bégon/Beauharnais, et ce qui en renforce la signification, se perçoit aussi l’écho des vieilles solidarités ligériennes, les Beauharnais provenant de l’Orléanais et les Phélypeaux de Blois, une cité où les Bégon – d’origine bretonne – s’étaient fixés au xvie siècle et y avaient gardé de profondes attaches familiales et terriennes. D’autre part, pour mieux situer encore les Bégon par rapport aux Pontchartrain, il convient de signaler qu’un lien de parenté, mais beaucoup plus indirect, s’était déjà créé entre eux par le mariage à Rochefort en 1691 de Catherine Bégon, sœur de Michel II Bégon, avec un capitaine de vaisseau promu chef d’escadre en 1702 et commandant de la marine à Rochefort en 1704, Roland Barrin de La Galissonnière, qui est le père du lieutenant général des armées navales Roland-Michel Barrin de La Galissonnière, célèbre par la prise de Port-Mahon (Minorque) en 1756. Les Barrin de La Galissonnière étaient, en effet, alliés de longue date aux Fouquet et aux Maupeou, ce qui mène à Marie de Maupeou, l’épouse du chancelier Pontchartrain (voir tableau 59). Rochefort, dont le nom vient d’être mentionné, paraît avoir été le lieu de rencontre et de rapprochement des Bégon, des La Galissonnière et des Beauharnais, un rapprochement cimenté par deux alliances et accompagné d’une main mise sur la direction du port charentais avec l’intendant Michel Ier Bégon, son successeur François de Beauharnais, son fils Michel II Bégon, surintendant des approvisionnements, et son gendre La Galissonnière pourvu du commandement militaire. Ce petit clan familial avait manifestement profité de la sollicitude des Pontchartrain, en attendant de bénéficier, comme l’ensemble des Beauharnais, de la protection du comte de Maurepas, dernier ministre de la dynastie Pontchartrain. Un exemple caractéristique de cette solidarité persistante est fourni par la difficile fin de carrière de Claude-Michel Bégon (1683-1748), dit le chevalier Bégon, frère benjamin de Michel II Bégon et de Catherine, l’épouse de La Galissonnière. Embarqué en 1695 à l’âge de 12 ans, garde-marine en 1699, le chevalier Bégon, grièvement blessé lors du désastre de Vigo (10 octobre 1702), à bord de l’Espérance commandé par La Galissonnière, s’était retrouvé durant quelques mois en captivité en Angleterre avec son beau-frère. Dix ans plus tard, lassé de la Marine et profitant de la nomination de son frère Michel à l’intendance de Québec, il choisissait de se fixer au Canada pour y faire carrière. Servant d’abord comme capitaine de compagnie, le chevalier deviendra lieutenant du Roi à Trois-Rivières (1731), puis à Montréal (1733) avant de terminer gouverneur de Trois-Rivières (1743-1748). Ce cursus canadien ne l’avait pas pour autant enrichi, faute, entre autres raisons, de n’avoir pas suivi l’exemple de nombre d’officiers célibataires qui, une fois installés dans la colonie, convolaient avec quelque héritière confortablement dotée afin de compenser la maigreur de leurs appointements. Au contraire, Claude-Michel s’était entêté à épouser, en 1718, la fille d’un simple garde-magasin de Montréal, Élisabeth Rocbert, cela malgré la vive opposition de l’intendant irrité d’une telle mésalliance. Aussi sera-t-il contraint de mener une vie le plus souvent besogneuse, à la recherche de ressources complémentaires, notamment en se lançant dans la fourniture pour la Marine de bois d’« épinette » (épicéas), d’érable et de merisier. Ce fut là précisément que se manifesta à nouveau la solidarité familiale de Maurepas, l’intervention de ce ministre ayant permis à l’ancien chevalier Bégon – appelé « Bégon des Trois-Rivières » au soir de sa vie – de devenir le principal fournisseur des magasins de Rochefort en bois canadiens de 1733 à 174537 (tableau 59).

  • 38 Cf. Maurice Filion, La pensée et l’action coloniale de Maurepas vis-à-vis du Canada, 1723-1749, Ot (...)

29Une restitution, même sommaire, du parcours des Bégon à partir des années 1690 permet donc de situer Michel II Bégon, l’intendant du Canada, dans un milieu étroitement lié aux Pontchartrain et hautement protégé par eux. Et cette situation ne donne que plus de relief à la lettre-réquisitoire du 13 juillet 1715 de Jérôme de Pontchartrain à l’intendant prévaricateur dont le comportement, à défaut d’excuses, n’apparaît cependant pas sans circonstances atténuantes. Irrégulièrement payé, et avec bien des retards, ce Bégon avait, de 1712 à 1715, reçut ses appointements en billets de l’État qui perdirent 60 % de leur valeur. En outre, ayant, faute de numéraire, multiplié la « monnaie de cartes » locale pour faire face aux dépenses urgentes de la Colonie, et tiré plus de lettres de change que les trésoriers généraux n’avaient de fonds ordonnés, il se verra obligé, lors de la liquidation de cette monnaie en 1717, d’ébrécher sa fortune personnelle pour acquitter un certain nombre de lettres de change38. La prise en considération de ces déboires financiers imputables aux nécessités du service a pu peser dans le maintien de l’intendant du Canada jusqu’en 1726, mais probablement beaucoup moins que son alliance avec une Beauharnais, cousine du jeune secrétaire d’État Maurepas auquel il dut, en tout cas, de connaître une fin de carrière honorable. Deux ans avant que Michel Bégon eût quitté l’Amérique, Maurepas, titulaire de la Marine depuis 1723, lui avait, en effet, réservé une affectation de choix en le faisant nommer intendant de la Marine au Havre. Ce poste, qu’il rejoignit en 1726, Bégon le quittera en 1746 pour s’en aller mourir à Blois au mois de janvier 1747, passablement désargenté.

  • 39 Au Canada, l’extrême rareté du numéraire en période de guerre avait entraîné l’utilisation de « la (...)
  • 40 AN, Col., B 34, f° 374, le 28 juin 1712, Bégon rejoindra le Canada au mois d’octobre 1712.
  • 41 Ce prélat finit mal, démis de son évêché et renfermé dans un monastère pour « ses désordres éclata (...)
  • 42 AN, Col., B 37, f° 134, le 17 juillet 1715, lettre de Jérôme de Pontchartrain à l’abbé Bégon.
  • 43 AN, Col., B 34, f° 374, le 28 juin 1712, B 35, f° 338, le 4 juillet 1713, B 36, f° 190, le 17 mai (...)
  • 44 AN, Col., B 32, f° 310, le 10 mai 1710, lettre au sujet de la nomination de Raudot fils à l’intend (...)

30En son temps, Jérôme de Pontchartrain n’avait eu cure des difficultés pécuniaires rencontrées par Michel II Bégon, refusant, par exemple, de lui faire payer un acompte en prévision de son installation à Québec39, et restant sourd, par la suite, aux doléances de l’intendant quant au paiement de ses appointements en billets d’État et non en argent comme il ne cessait de le réclamer. À ce sujet, le frère cadet de Michel, un ecclésiastique considéré et bien en cour, avait cru opportun d’intervenir près du secrétaire d’État, en juillet 1715, au moment où la gestion de l’intendant se trouvait gravement mise en cause. Il s’agissait de l’abbé Scipion-Jérôme Bégon, bientôt – en 1721 – évêque-comte de Toul, et alors grand-vicaire à Beauvais près d’un jeune prélat écervelé qu’il était chargé de surveiller et guider, François de Beauvillier40, frère du duc de Beauvillier, le ministre d’État, mort en 1714. Non content d’éconduire l’abbé Bégon, Jérôme de Pontchartrain s’empressa de l’informer des agissements de son aîné, notamment de ses spéculations sur les blés, source de désordres dans la Colonie41. Et, pourtant, à sa manière, Jérôme veillait activement sur les Bégon. Ainsi il fit accorder successivement au chevalier Bégon, le frère benjamin déjà mentionné, une expectative de compagnie en 1712, le commandement d’une compagnie dans la même colonie en 1713, enfin un brevet de lieutenant de vaisseau en 171442. Mais c’est surtout l’affectation à Québec de Michel II Bégon qui constituait de sa part une marque insigne de protection, cette intendance coloniale étant devenue, comme l’intendance d’Aunis-Saintonge, un fief du clan Pontchartrain. À Québec, en effet, Bégon succédait à Jacques Raudot, arrivé en 1705, issu du milieu financier et cousin du chancelier Pontchartrain par sa mère née Talon (tableau 60). Et ce Raudot avait lui-même été précédé dans le poste, de 1702 à 1704, par le très proche parent des Pontchartrain, François de Beauharnais de Beauville, qui sera nommé intendant de La Rochelle-Rochefort à la mort de Michel Ier Bégon en 1710 et deviendra, un an plus tard, le beau-frère de Michel II Bégon par le mariage de ce dernier avec Élisabeth de Beauharnais. Signalons encore qu’avant cette nomination, François de Beauharnais exerçait, depuis quelques mois, les fonctions d’inspecteur général des Classes43 un emploi important aussitôt attribué au fils de Jacques Raudot, Antoine-Denis44, auparavant, de 1705 à 1710, intendant adjoint de son père au Canada, et appelé à devenir, en 1713, premier commis à la Maison du Roi. On assiste donc à un véritable entrecroisement de postes au sein du même petit groupe de familles, tous postes relevant directement de l’autorité de Jérôme de Pont-chartrain (tableau 60).

  • 45 AN, Col., B 28, f° 271.
  • 46 AN, Col., B 30, f°101 ; B 31, f°408 ; B 31, f°441.
  • 47 AN, Col., B 38, f° 397, le 12 juillet 1711, f° 410 v°, le 3 août 1716, f° 411 v°, le 19 août 1711  (...)

31Il reste que la faveur du secrétaire d’État s’accompagnait, en contrepartie, de manières fort rudes, volontiers blessantes. Ainsi, par lettre du 18 août 1706, Bégon père se voit incité, en sa qualité d’intendant de Rochefort, à réfléchir au fait que « tous les crimes et toutes les fautes les plus graves trouvent à Rochefort, non seulement impunité, mais protection45 ». Autres échantillons de la correspondance de Jérôme avec cet administrateur septuagénaire réputé probe et consciencieux, trois lettres de même style, des 31 janvier, 20 février et 17 avril 1709, valent aussi d’être sélectionnées. La première dénonce à la fois le peu de soins avec lesquels on s’occupe à Rochefort des affaires de la Compagnie de l’Asientio et le « désordre général » qui règne dans ce port. La seconde évoque les « négligences inadmissibles » qui ont provoqué les retards apportés à l’appareillage des navires l’Indien et le Ludlow. Enfin, dans le troisième, le blâme ministériel porte sur « les désordres extraordinaires » qui règnent dans les affaires des colonies traitées à Rochefort46. Successeur de Michel Ier Bégon, François de Beauharnais, lui-même, ne sera guère mieux loti, le secrétaire d’État ne ménageant pas les réprimandes au nouvel intendant dès que l’occasion s’en présentait. Du mois de juillet 1711 au mois de janvier 1712, par exemple, il se voit harcelé de lettres à propos d’un voyage aller et retour France-Canada du Héros commandé par son frère Claude de Beauharnais de Beaumont, lieutenant de vaisseau. Ces lettres peuvent se résumer en une énumération de griefs. Le Héros a appareillé de Rochefort avec plus d’un mois de retard ; son armement s’est fait à des conditions désavantageuses pour le Roi, avec, circonstance aggravante, la participation du sieur Guitton, marchand de La Rochelle, déjà inquiété pour des fournitures de poudres de mauvaise qualité à la colonie du Canada ; lors du voyage aller du Héros, les ordres du secrétaire d’État n’ont pas été exécutés, des malversations se sont produites, et, au retour, le tonnage de castor rapporté était insuffisant47. Négligences, incurie, inexécution des ordres, soupçon de complicité dans les malversations commises, rien n’est épargné aux deux frères Beauharnais ainsi mis en cause, sans que pour autant des sanctions soient prises contre eux. Claude de Beauharnais sera même promu capitaine de frégate au mois de novembre 1712. Appartenant au noyau dur du réseau Pontchartrain, les Beauharnais bénéficiaient d’une sorte de mansuétude appelée à se perpétuer sous le patronat de Maurepas, ce qui ne va pas sans éclairer l’omniprésence de cette puissante famille dans les hauts emplois de la Marine et surtout des Colonies tout au long du xviiie siècle. Rappelons que le marquis François de la Ferté-Beauharnais (1714-1800), beau-père de Joséphine Tascher de la Pagerie, vicomtesse de Beauharnais (remariée en 1796 à Bonaparte), avait été gouverneur général des Îles-du-Vent de 1756 à1764.

  • 48 AN, Col., B 35, f° 337, le 4 juillet 1713, lettre de Jérôme de Pontchartrain au marquis de Vaudreu (...)
  • 49 AN, Col., B 33, f° 235 v°, le 16 janvier 1711, lettre de Jérôme de Pontchartrain à M. de Beauharna (...)
  • 50 Au lieu d’entrer dans les ordres, Philippe-Antoine, baron de Vaudreuil, fera une carrière militair (...)
  • 51 AN, Col., B 34, f° 318 v°, le 18 juin 1712, lettre de Jérôme de Pontchartrain à Mme de Vaudreuil ; (...)
  • 52 AN, Col., B 30, f° 209-213, lettre du 30 octobre 1709 ; B 37, f° 45 v°, lettre du 10 mars 1715.

32Cependant, le fonctionnement des réseaux de parentèle et de clientèle n’étant jamais simple, le chef de file pouvait se trouver confronté à des situations où, par suite de l’hostilité trop marquée entre deux protégés investis de responsabilités voisines, il lui fallait faire un choix au profit de l’un ou de l’autre. Ainsi, depuis son arrivée à Québec en 1712, Michel II Bégon n’avait cessé de se heurter au gouverneur général Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuil, installé depuis 1702 (mort en charge en 1725). Cette mésentente apparaît fréquente outre-mer, chaque colonie étant régie par une sorte de diarchie, avec, pour le pouvoir militaire, un gouverneur, généralement un capitaine de vaisseau, et, pour le pouvoir civil, soit un intendant, ou, à défaut, un commissaire ordonnateur, soit, plus rarement, un magistrat de cour souveraine. Mais ici le problème se compliquait du fait que les Vaudreuil, sans être apparentés aux Pontchartrain, occupaient une place de choix dans leur clientèle en raison surtout de la position à la Cour de l’épouse du marquis de Vaudreuil, Louise-Élisabeth Joibert de Soulange de Marson, dame d’honneur de la duchesse de Berry en 1710 et sous-gouvernante des enfants du duc de Berry en 171348. Cette femme, une protégée de Mme de Maintenon, paraît avoir exercé un certain ascendant sur Jérôme de Pontchartrain, lui servant d’informatrice et même de conseillère, tel ce projet de reconquête de l’Acadie qu’elle lui adressait, début 1711, peu après la chute de Port-Royal (actuellement Annapolis) survenue au mois d’octobre 171049. De son côté, le secrétaire d’État ne ménageait pas les marques de sollicitude envers la marquise de Vaudreuil, qu’il s’agisse d’une promotion en 1712 de commandeur dans l’ordre de Saint-Michel pour son mari, d’une nomination, la même année, d’enseigne au Canada pour leur fils cadet Joseph-Hyacinthe, d’un brevet, l’année suivante, de lieutenant de vaisseau pour leur fils aîné Louis-Philippe, ou encore de recommandations près du père de la Chaize, confesseur du Roi, puis de son successeur le père Le Tellier, pour l’obtention d’un bénéfice ecclésiastique en faveur du benjamin Philippe-Antoine50 alors étudiant au collège de la rue Saint-Jacques51. Cette sollicitude s’étendait également à la situation matérielle des Vaudreuil, famille peu fortunée, originaire du Languedoc et possessionnée dans la province. En 1709, par exemple, Jérôme prend soin de transmettre au contrôleur général des Finances Nicolas Desmarets un placet du marquis de Vaudreuil sollicitant du Roi le don de la forêt de Vauré située près de son château de Revel, de même qu’en 1715, il écrira à Basville, le célèbre intendant du Languedoc, pour lui demander de veiller personnellement sur les intérêts fonciers de Vaudreuil en raison de l’absence de longue durée de cet administrateur colonial52.

  • 53 AN, Col., B 35, f° 340 v°, lettre du 8 juillet 1713.
  • 54 Né en 1643, Vaudreuil passe au Canada à 15 ans, en 1658, comme cadet. Capitaine en 1689, il exerce (...)
  • 55 Cf. Yvonne Bezard, Fonctionnaires maritimes et coloniaux…, op. cit., p. 313-314.

33Cette prédilection du secrétaire d’État pour les Vaudreuil ne dut pas peu contribuer à nourrir son irritation devant le comportement de Michel II Bégon qu’il avait déjà affecté au Canada précisément parce que Vaudreuil s’y trouvait déjà en poste, la présence sur place de ces deux hommes intégrés à son réseau lui promettant de pouvoir tenir la colonie bien en mains. Le calcul supposait évidemment que le gouverneur et l’intendant travaillassent en harmonie. C’est dans cet esprit, et non sans quelque naïveté, que Jérôme de Pontchartrain avait cru bon d’expédier à Bégon en 1713 un exemplaire de la Dîme royale de Vauban, en lui recommandant d’étudier avec Vaudreuil les possibilités d’appliquer au Canada les « principes » développés dans cet ouvrage53. Or Bégon n’avait cure de ce genre de spéculation. Arrivé tard dans la Colonie, en 1712, il entendait ne pas faire figure de personnage de second plan, malgré l’expérience locale de Vaudreuil qui, dès son plus jeune âge, avait servi au Canada comme cadet54. Aussi, la cohabitation devint-elle rapidement orageuse, les occasions de conflit ne manquant pas. Ainsi Vaudreuil, soucieux d’entretenir la paix avec les « Sauvages des nations d’En Haut » par l’envoi de députations chargées de présents, se heurtait à l’obstruction de Bégon qui refusait de débloquer les fonds nécessaires sans ordres de la Cour, cela au risque de voir les Anglais supplanter les Français près de ces tribus indiennes éloignées. Ou encore, autre source de friction, l’intendant s’autorisait à vendre des « congés » permettant aux démarcheurs et aux trafiquants d’aller chez les « Sauvages » se procurer des peaux de castor contre des armes, des étoffes et de l’eau-de-vie, alors que la délivrance des « congés » relevait de la seule autorité du gouverneur général55. S’ensuivaient d’incessantes récriminations de la part de Vaudreuil qui, dans ses lettres à Jérôme, n’oubliait pas de se faire l’écho des bruits fâcheux courant dans la Colonie quant à la probité de Michel Bégon. Le tout laisse penser que, si graves qu’aient été les prévarications de l’intendant du Canada, ce furent plutôt ses démêlés avec le gouverneur qui le perdirent aux yeux du secrétaire d’État.

  • 56 Antoine Laumet de la Motte-Cadillac (1658-1730), passé au Canada dès 1683, fondateur de Fort Pontc (...)
  • 57 AN, Col., B 27, f° 296 v°, le 23 juin 1706 ; B 30, f° 159, le 6 juillet 1709.
  • 58 AN, Col., B 27, f° 287, le 9 juin 1706, lettre à René-Louis Chartier de Lobtinière, conseiller au (...)
  • 59 AN, Col., B 27, f° 282.
  • 60 AN, Col., B 27, f° 284 v°.
  • 61 AN, Col., B 32, f° 315 v°, lettre du 10 mai 1710 ; B 33, f° 293, lettre du 6 juillet 1711. Cet Eus (...)

34Cela ne signifie pas pour autant que Vaudreuil se trouvait à l’abri des réprimandes ministérielles. À plusieurs reprises, il s’était fait reprendre pour son animosité à l’encontre de la Motte-Cadillac, commandant du poste avancé de Détroit56, animosité qui nuisait à l’essor de ce jeune établissement d’importance stratégique et commerciale57. Mais surtout Jérôme de Pontchartrain s’irritait de le voir entourer d’« égards trop considérables » les parents et alliés de sa femme, celle-ci, née Soulange de Marson, se trouvant apparentée à plusieurs familles canadiennes influentes. Le phénomène devait être assez notoire pour, qu’en dépit de ses liens d’amitié, Jérôme tint à rappeler sèchement à Mme de Vaudreuil que « les gens » de sa famille ne devaient pas être traités « d’une autre manière que les autres habitants de la Colonie58 ». Cette irritation tenait probablement au fait que le favoritisme du gouverneur prêtait à bien des suspicions, comme le laisse entrevoir le cas de René-Louis Chartier de Lobtinière, premier conseiller au Conseil supérieur de Québec, en même temps l’un des principaux directeurs et actionnaires de la Compagnie du Canada, ou « Compagnie du Castor » fondée en 1701 pour la traite des fourrures. Apparenté aux Vaudreuil par le mariage d’une Chartier avec Pierre de Soulange de Marson, capitaine des troupes au Canada (mort en 1703), Lobtinière jouait un rôle non négligeable dans la vie économique de la Colonie, avec le concours de son ami, le procureur général du Conseil supérieur du Québec, François Ruette d’Auteuil, autre directeur et actionnaire de la Compagnie. Or Jérôme de Pontchartrain subodorait des malversations chez ces deux magistrats, et cela en collusion avec le gouverneur général lui-même. Dans une lettre du 9 juin 1706 adressée à Ruette d’Auteuil et portant sur la mauvaise gestion de la Compagnie, Jérôme réclamait, en effet, des éclaircissements sur les intérêts que Vaudreuil aurait pris dans le commerce des castors59. Et le même jour, il écrivait à Lobtinière pour lui reprocher les conditions irrégulières du renouvellement de sa nomination comme directeur de la Compagnie60. Finalement, Ruette d’Auteuil sera révoqué en 1707 de sa charge de procureur général qu’il exerçait depuis 1680, sans que ni Vaudreuil ni Lobtinière ne soient inquiétés. D’autre part, le fils de Lobtinière, Eustache Chartier, bénéficiera en 1710 de lettres de dispense d’âge qui lui permettront d’être reçu comme conseiller au Conseil supérieur de Québec avant l’âge requis de vingt-cinq ans, une marque de faveur due probablement à son lien de parenté avec la marquise de Vaudreuil61.

  • 62 Saint-Simon, Mémoires, éd. Boislisle, t. 9, p. 147, note 5.
  • 63 Rapports inédits du lieutenant de police René d’Argenson (1697-1715), Paris, Plon, 1891, 418 p., i (...)
  • 64 Cf. Arlette Lebigre, « La naissance de la police en France », L’Histoire, n° 8, janvier 1979, p. 5 (...)

35De manière générale, les correspondances du secrétaire d’État à la Marine et à la Maison du Roi témoignent d’un style très direct, voire agressif, même lors-qu’il s’adressait à de fortes personnalités, très en vue dans la vie publique, comme l’illustre le cas du lieutenant général de police de « la ville, prévôté et vicomté de Paris » Marc-René d’Argenson, encore un membre de la parentèle par sa femme née Caumartin. Selon Saint-Simon, Argenson se serait « habilement saisi de la confiance du Roi, et, par elle, du secret de la Bastille et des choses importantes de Paris », ne laissant en pâture à Pontchartrain « que les délations des sottises des femmes et des folies des jeunes gens62 ». Autrement dit, le lieutenant général de police aurait été le « véritable ministre de Paris ». Cette version, sortie de l’imagination du mémorialiste, a longtemps prévalu. Or, bien au contraire, Marc-René d’Argenson, si efficace qu’ait été son action, apparaît en posture de subordination à un double titre, se trouvant être à la fois « juge » et « policier ». Magistrat au Châtelet et y tenant des séances hebdomadaires avec faculté de juger au criminel, ses sentences étaient tranchées en appel devant le parlement de Paris qui, en outre, pouvait le mander pour lui faire rendre des comptes. Mais surtout comme « policier », c’est-à-dire comme administrateur responsable de la police de la capitale, il se voyait minutieusement contrôlé, au jour le jour, par Jérôme de Pontchartrain, son supérieur hiérarchique direct en qualité de secrétaire d’État à la Maison du Roi. Neuf fois sur dix, en effet, les milliers de rapports dressés par Marc-René vont d’abord à Jérôme qui, avant de transmettre au Roi, n’oublie pas, au passage, de tancer sèchement le lieutenant général de police dès qu’une information s’avère inexacte ou incomplète63. En 1706, bel exemple de style ministériel, il le réprimande en ces termes : « Il me semble que vous négligez fort, depuis quelque temps, plusieurs affaires dont vous deviez cependant me mettre en état de rendre compte au Roi. » Suit l’énumération des nombreuses négligences du lieutenant général de police, et le secrétaire d’État de conclure : « Voyez donc, s’il vous plaît, à réparer tant de fautes par une plus grande exactitude64. »

36Argenson se trouvera ainsi soumis durant une quinzaine d’années, de 1699 à 1715, à un harcèlement constant qui prouve combien sa marge de manœuvre était limitée. Tantôt ce sont des précisions supplémentaires qui lui sont réclamées :

  • 65 Depping, t. 2, p. 736, lettre du 19 décembre 1700.

« Vous me marquez par votre lettre d’hier que la malle du courrier de Tours a été volée au bout du Pont-Neuf ; mais vous ne dites point si c’était du courrier qui partait de Paris ou qui arrivait de Tours. Je vous prie de m’expliquer plus au long la chose et de me mander les diligences qu’on a faites pour tâcher de découvrir ceux qui l’ont volée, Sa Majesté voulant qu’on n’oublie rien65. »

37Tantôt il se voit mis en garde pour abus de pouvoir :

  • 66 Depping, t. 2, p. 745, lettre du 29 octobre 1702.

« Lorsque des raisons particulières vous obligent de vous servir du nom de Sa Majesté pour faite mettre en prison quelques particuliers, vous pouvez tout au plus les y retenir que deux ou trois jours, mais, si vous estimez qu’ils méritent une plus longue peine, alors vous êtes obligé de m’en donner avis, afin d’en rendre compte à sa Majesté et de vous envoyer ses ordres si Elle le juge nécessaire66. »

  • 67 Cf. Arlette Lebigre, loc. cit.

38Enfin, le plus souvent, Jérôme de Pontchartrain abreuve Argenson de reproches sur son manque de zèle dans la répression des jeux de hasard, jeux officiellement interdits qui soulèvent « l’indignation du Roi » et auxquels s’adonnent même des femmes très proches du lieutenant général de police. « On a cité à Sa Majesté, remarque perfidement Jérôme, une infinité de maisons où l’on y joue publiquement, et on met au nombre de ces personnes Madame d’Argenson et mesdames vos belles-sœurs67. » Manque de zèle sur le chapitre de la voirie :

  • 68 Depping, t. 2, p. 745, lettre du 29 octobre 1702.

« Je ne puis m’empêcher de vous dire que les rues de Paris m’ont paru bien sales. Je vous prie de ne point souffrir de négligence à cet égard, car, en vérité, le public, qui paie de grosses contributions pour le nettoiement des boues, a tout lieu de se plaindre du peu d’exactitude de ceux à qui ce soin est commis68. »

39Manque de zèle pour l’application de l’édit somptuaire du mois de mars 1700 prohibant les dorures sur les carrosses et dans l’ornementation intérieure des hôtels particuliers :

  • 69 AN, O1, reg. 364, lettre du 28 octobre 1703.

« Le Roi est informé que le luxe reprend sa vigueur à Paris… Sa Majesté est fort étonnée que vous veilliez avec si peu d’attention à l’exécution de l’édit… et m’a ordonné de vous avertir qu’Elle n’est pas contente de voir que vous vous relâchiez sur ce point, et que vous devez au contraire empêcher la continuation de cet abus par toutes sortes de moyens69. »

40Ou encore négligence dans le contrôle des renseignements fournis :

  • 70 Louis de Melun, marquis de Maupertuis, officier général, commandant en chef des compagnies de mous (...)
  • 71 AN, O1, reg. 362, lettre du 9 février 1701.

« Comme vous m’aviez écrit que le sieur Dournel, qui avait fait du bruit à la Comédie, était mousquetaire de la première compagnie, j’en donnai avis à M. de Maupertuis70 afin qu’il lui fit une sévère réprimande, mais il m’a mandé qu’il n’y en a point de ce nom ni dans la première, ni dans la deuxième compagnie. Je vous prie, lorsque vous m’écrirez à l’avenir sur pareilles choses, d’examiner auparavant si les avis qu’on vous aura donnés sont véritables, car il est désagréable que ces officiers voient qu’on leur fait des plaintes mal fondées71. »

  • 72 Lettre citée dans Jacques Saint-Germain, La vie quotidienne en France à la fin du Grand Siècle, Pa (...)

41Au travers de toutes ces récriminations du secrétaire d’État, Marc-René d’Argenson, sans cesse taxé de relâchement, d’inattention et de manque de suivi, donne l’impression d’avoir été débordé par la multiplicité des tâches policières qui lui incombaient. Jérôme de Pontchartrain, d’ailleurs, n’hésitait pas à mettre en doute ses capacités à s’acquitter correctement des devoirs de sa charge. Ainsi, en 1703, à propos de deux individus « tenus dans les cachots » plus d’un mois après leur arrestation sans avoir subi le moindre interrogatoire, il s’empressait de lui faire cette remarque désobligeante : « On prétend que le grand nombre des affaires dont vous êtes chargé vous empêche de donner à toutes en particulier les soins et l’attention qui sont nécessaires. Soyez en garde à ne pas vous éloigner des règles de la justice72. » À la vérité, le lieutenant général de police, déjà confronté à l’énorme travail que constituait la surveillance de la capitale, se trouvait, circonstance aggravante, flanqué d’un ministre de tutelle particulièrement incommode, et, à proprement parler, exténuant. Habitué à se faire le « précepteur grossier de tout le monde » (Saint-Simon), Pontchartrain n’épargna pas, en effet, les rebuffades à son subordonné qui, de plus, devait se plier aux exigences d’un esprit inquisiteur, toujours en quête d’explications circonstanciées comme ici à propos de l’éclairage des rues.

  • 73 Depping, t. 2, p. 745, lettre du 29 octobre 1702.

« Pendant que j’étais à Paris, écrit le secrétaire d’État à Marc-René d’Argenson, on m’a fait des plaintes qu’on avait augmenté la contribution des lanternes et qu’on en avait établi une nouvelle pour les boêttes qui servent à les descendre. Je vous prie de me mander si cela a quelque fondement et d’où peut provenir cette augmentation ; car il me semble qu’il n’y a pas un plus grand nombre de lanternes que par le passé et que la chandelle n’a pas augmenté de prix73. »

  • 74 AN, O1, reg. 362, lettre du 18 février 1701 à d’Argenson.

42Pourtant cette tutelle tatillonne, Argenson, loin d’avoir cherché à s’y soustraire, paraît au contraire l’avoir accentuée lui-même en se réfugiant derrière son supérieur hiérarchique dans les cas délicats. Il le sollicite, par exemple, d’intervenir à sa place et sans mentionner son nom, contre un magistrat du Parquet, nommé De Luizan, auteur de scandales à la Comédie. Jérôme de Pontchartrain lui répond, rassurant : « Je ferai faire par M. le Procureur général une réprimande au sieur de Luizan, son substitut, pour l’insulte qu’il fit ces jours passés à la porte de la Comédie, et je vous promets que l’avis ne paraîtra pas venir de votre part74. » De fait, le même jour, 18 février 1701, Jérôme saisit de l’affaire le Procureur général du parlement de Paris, tout en travestissant délibérément l’origine de l’« avis » en question :

  • 75 AN, O1, reg. 362, lettre du 18 février 1701 au procureur général du Parlement.

« Le Roi me dit hier en travaillant avec lui qu’un nommé de Luizan, originaire de Lyon, qu’on dit être votre substitut, fit ces jours passés beaucoup de bruit à la porte de la Comédie, qu’il insulta de manière indécente les officiers de la garde et qu’il maltraita les laquais du sieur de Mont-Saint-Père, grand-maître des eaux et forêts en Bourgogne. On dit qu’il loge dans la rue des Mathurins à la première porte cochère du côté de Saint-Cosme et qu’il est d’une fierté qui ne convient pas à un homme de son caractère. Comme il est sous votre direction, Sa Majesté m’ordonne de vous écrire de l’envoyer chercher et de lui faire une réprimande aussi verte que l’action qu’il a faite le mérite75. »

43L’anecdote est éloquente, avec, d’un côté, le lieutenant général de police peu soucieux d’affronter l’esprit de corps de Messieurs du Parlement, et, de l’autre, le secrétaire d’État de la Maison du Roi usant du prestige de son travail en tête-àtête avec le monarque pour faire donner satisfaction à son subordonné dans une affaire qui intéressait le maintien de l’ordre. Ajoutons qu’en la circonstance, l’intervention de Jérôme ne pouvait qu’être déterminante, le procureur général du Parlement s’appelant Henri-François Daguesseau et se trouvant être un proche cousin par sa grand-mère maternelle née Talon (voir tableau 32). Marc-René d’Argenson se devait donc de ménager précautionneusement la susceptibilité du secrétaire d’État qui, si peu accommodant fût-il, savait, à l’occasion, se transformer en un protecteur attentionné. Cela permet, en même temps, de comprendre le soin particulier qu’Argenson prit, jusqu’à la fin du règne, à remplir l’une des tâches les plus contraignantes de sa mission qui était de fournir rapports sur rapports à son ministre de tutelle pour le mettre en état d’entretenir régulièrement le Roi des derniers événements survenus à Paris. Cette tâche était, certes, fort ingrate, le ministre se montrant rarement satisfait du contenu des rapports, quoiqu’il en tirât ample matière pour se valoriser aux yeux du Roi. Mais le ton souvent hargneux, et même réprobateur, des lettres de Jérôme ne doit pas donner le change. Incontestablement, pour ce dernier, Argenson fut beaucoup plus qu’un simple exécutant, tant sa fermeté, son doigté et son sang-froid s’avérèrent efficaces au moment où sur les marchés parisiens l’on commençait à s’agiter dangereusement sous l’effet conjugué de la crise économique et de la prolongation de la guerre. Aussi mérite-t-il de figurer, aux côtés d’hommes comme Daguesseau père, le conseiller d’État, Caumartin, l’intendant des Finances, Amelot de Gournay, l’âme du Conseil de Commerce, ou encore l’abbé Bignon, le directeur de la Librairie, parmi ces grands collaborateurs-parents qui, chacun dans leur domaine respectif, contribuèrent puissamment à affermir la position des deux ministres Pontchartrain de Louis XIV. Issu d’une vieille famille d’épée passée à la robe et gardant toujours la fierté de ses origines nobiliaires, Marc-René d’Argenson allait par la suite jouer un rôle de premier plan, le Régent lui confiant en 1718 la garde des Sceaux ainsi que « l’administration principale des Finances ». Il n’en est que plus significatif de constater que Jérôme, au temps de son ministère, n’hésitait pas à malmener et rudoyer un personnage de cette envergure, de vingt-deux ans son aîné, et par surcroît très apprécié de Pontchartrain père qui l’avait propulsé à la lieutenance générale de police en 1697. On comprend mieux ainsi le régime de « galérien » – comme dirait Saint-Simon – auquel se trouvait soumis, de haut en bas de la hiérarchie, l’ensemble du personnel appelé à travailler sous la férule de Pontchartrain fils.

44Ce style épistolaire véhément, sinon agressif, qu’affectionnait le secrétaire d’État à la Marine et à la Maison du Roi à l’intérieur de son double département, se retrouve également à l’extérieur lorsqu’il y avait à régler quelque contentieux portant le plus souvent sur des conflits d’attribution avec les autres départements, notamment les Finances et les Affaires étrangères. S’ensuivaient des relations interministérielles orageuses où d’ailleurs Jérôme s’attirait parfois de cuisantes leçons en raison de sa tendance à se mêler des affaires de ses collègues. Une lettre du 5 novembre 1701, que lui adressait le contrôleur général des Finances Chamillart, vaut à ce propos d’être citée, révélant un ton abrupt qui ne s’embarrassait pas de fioritures :

  • 76 AN, 257 AP 2, dossier 4.

« Vous pouvez, monsieur, épargner à votre correspondant le voyage de Genève et au Roi la dépense que vous lui faites faire si vous ne l’employez que pour ce qui regarde les monnaies. Je ne fais aucune dépense pour vous informer de ce qui se passe dans la Marine, j’ai toute l’attention que je dois avoir sur les monnaies et de plus sûrs correspondants que vous, car les nouvelles que vous m’envoyez me viennent souvent par d’autres endroits longtemps avant que vous les receviez, et je crois que pour que le Royaume soit bien gouverné, il est bon que chacun se mêle de son métier. Pardonnez si je m’explique avec cette franchise, mais j’ai cru devoir le faire plutôt que d’en importuner le Roi qui sait que jusques à présent, je ne me suis mêlé que des affaires dont il m’a chargé. Je suis, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur76. »

  • 77 Cf. Boislisle, Correspondance des contrôleurs généraux, t. 2, 1699-1709, appendice n° 1 : « Partag (...)

45« Que chacun se mêle de son métier » : principe simpliste plus facile à énoncer qu’à appliquer, car où s’arrête le « métier » ? Certes, la question des « monnaies », motif de la réaction coléreuse de Chamillart, relevait du Contrôle Général, mais, de son côté, Jérôme de Pontchartrain, au titre du département de la Marine, régissait le commerce par mer, ce qui l’amenait nécessairement à s’intéresser aux problèmes de circulation d’argent. Et il s’y intéressait d’autant plus qu’à partir de cette année 1701, année de « l’Union des Deux Couronnes », allait, sous son impulsion, s’amplifier la politique de pénétration commerciale en Amérique espagnole, avec, pour objectif primordial, la captation du métal blanc péruvien et mexicain. On objectera qu’en matière de commerce, le partage des attributions était nettement fixé sur le papier : au contrôleur général, le « commerce intérieur et extérieur par terre », au secrétaire d’État à la Marine, « le commerce extérieur et maritime ». Mais comment, par exemple, Jérôme de Pontchartrain aurait-il pu s’occuper sérieusement du commerce de Marseille avec le Levant, qui nécessitait aux « allers » de grosses sorties d’espèces, sans tenir compte de l’activité des places bancaires de Lyon et de Genève, habituées de longue date à interférer dans les transactions du négoce marseillais ? D’autre part, de manière plus générale, comme n’aurait-il pas été tenté d’influer sur la décision en matière douanière, en principe du seul ressort du Contrôle Général ? Les augmentations ou diminutions de droits d’entrée, de sortie ou de passage, la régie de la ferme de ces droits et les franchises ou prohibitions de marchandises constituaient, en effet, autant de questions qui ne pouvaient lui être indifférentes en sa qualité de secrétaire d’État responsable de la police et de l’administration de l’ensemble des ports de mer77.

  • 78 Cf. J. Rambert, Histoire du commerce de Marseille, t. IV, Paris, 1954, 682 p., p. 271-272 ; J. Ric (...)
  • 79 Cf. M. Quenet, « Un exemple de consultation dans l’administration monarchique au xviiie siècle. Le (...)

46À la fois incisif, tenace et envahissant, Pontchartrain fils sut mieux que défendre son département face à celui des Finances probablement moins puissant qu’on ne le pense communément. Ainsi, en 1704, il marquait un point important contre Chamillart en obtenant une véritable « sectorisation » administrative de la Provence par l’émancipation d’une « inspection du commerce » déjà existante qui devint une intendance du commerce spécialement chargée de Marseille et séparée de l’intendance de la généralité d’Aix. « Séparation inouïe », s’indignait le vieil intendant Pierre Cardin Le Bret en poste à Aix depuis 1687 : d’où une série de querelles locales qui remonteront jusqu’au Conseil de Commerce, Chamillart prenant le parti de Le Bret et Pontchartrain voulant promouvoir dans le nouveau poste l’intendant des galères Habert de Montmor, son parent et protégé. L’intendant d’Aix réussira à cumuler les deux postes, mais, à sa mort en 1710, la séparation deviendra effective avec Pierre Arnoul qui, nommé intendant des galères et intendant du commerce à Marseille, s’arrogera, plus ou moins abusivement, le titre d’« intendant du commerce en Provence », cela avec la complicité de Pont-chartrain78. Par la suite, après 1715, l’ensemble du contentieux résultant de l’inapplicable partage des attributions commerciales entre Finances et Marine ne fera que s’envenimer, et, en 1789, le problème restait entier comme en témoigne le cahier de doléances de la ville de Nantes qui réclamait la création d’un ministère du Commerce pour mettre fin à une rivalité intergouvernementale qui nuisait aux intérêts du négoce maritime79.

  • 80 Minute de la réponse de Chamillart écrite en marge de la lettre de Descazeaux du 30 avril 1703 (Bo (...)
  • 81 Cf. Boislisle, Correspondance des Contrôleurs Généraux, t. 2, p. 128, lettre de Descazeaux à Chami (...)

47Un exemple précis montre qu’en matière de grand commerce la protection du contrôleur général des Finances ne pesait pas lourd lorsqu’elle se heurtait à l’opposition du secrétaire d’État à la Marine. Il s’agit du cas de l’influent et du riche négociant nantais Descazeaux du Hallay, député au Conseil de Commerce, à propos de « passeports » de navigation. En octobre 1701, du Hallay, fort de ses relations près de Chamillart, obtient de ce dernier la promesse de « laisser partir un de ses navires pour la mer du Sud, sans que les fermes prissent connaissance de la destination ». S’ensuit, sans tarder, la réaction de Pontchartrain lui signifiant « une défense formelle » de faire ce genre de voyage, qu’au contraire les Malouins, inventeurs de la route du cap Horn, allaient pouvoir pratiquer grâce à la bienveillance du secrétaire d’État. Dix-huit mois plus tard, le 30 avril 1703, du Hallay s’adresse à nouveau à Chamillart pour lui rappeler sa promesse et solliciter « une permission ou quelque tolérance tacite ». À ce rappel, le contrôleur général ne peut que répondre en s’excusant « de ne point donner de passeports » et en affirmant son intention – clause de style – de « s’employer à faciliter les expéditions des négociants80 ». Face aux sollicitations du député du commerce de Nantes, Pontchartrain était intervenu d’autant plus énergiquement que celui-ci, qui se déclarait « une créature absolument dévouée » à Chamillart, ne cachait pas son hostilité à la Compagnie de l’Asiento créée et activement soutenue par le secrétaire d’État à la Marine81. D’autre part, Pontchartrain entendait réserver aux seuls Malouins l’octroi des « permissions » pour la mer du Sud, l’envoi d’un trop grand nombre de navires français dans cette zone risquant d’apparaître comme une provocation aux yeux de l’allié espagnol déjà irrité par la soudaine irruption du commerce interlope le long des côtes chilo-péruviennes. Enfin à tout cela s’ajoutait, pour rendre le secrétaire d’État encore plus intraitable, le fait que le contrôleur général lui paraissait, en la circonstance, s’intéresser de trop près aux affaires du négoce portuaire. En misant sur le soutien de Chamillart, Descazeaux du Hallay ne pouvait donc frapper à plus mauvaise porte.

48Vigilant sur ses prérogatives de « ministre de la Mer », Jérôme de Pontchartrain ne l’était pas moins quant à ses responsabilités comme « ministre de Paris » comme le montre cette affaire d’internement où se retrouve mêlé Chamillart.

  • 82 Depping, t. 2, p. 743, lettre du 9 juin 1702.

« Je vous prie, écrivait-il à Marc-René d’Argenson, de me mander par quel hasard le nommé Moufle avait été mis à la Bastille sur un ordre signé de M. de Chamillart pour avoir mal parlé du Roi, car si cela s’est passé à Paris, il me semble que j’en aurais dû être averti82. »

49Par contre, le respect des prérogatives de ses collègues ne l’embarrassait guère, si l’on se réfère notamment à ses relations souvent conflictuelles avec Torcy qui cumulait les fonctions de secrétaire d’État aux Affaires étrangères et de Surintendant général des « postes, courriers et relais de France ». On le voit, par exemple, sur plainte d’un capitaine de vaisseau, La Bruyère de Court, maltraité par des postillons à Étampes, s’emparer de l’incident pour doubler Torcy, normalement compétent au titre des Postes.

  • 83 AN, O1, reg. 362, lettre du 23 février 1701.

« M. le marquis de Torcy, signifiait-il au prévôt de la maréchaussée d’Étampes à propos des postillons incriminés, doit donner des ordres pour les faire punir, mais comme je m’intéresse en ce qui regarde cette affaire, je désire que vous la suiviez avec vivacité et que vous me rendiez compte exactement de tout ce qui se passera sur ce sujet83. »

50S’en faire rendre compte « exactement » d’une affaire relevant d’un autre secrétaire d’État constituait à la fois une marque de suspicion envers ce collègue et une tentative d’empiétement sur ses attributions. Par contre, à l’inverse, Pontchartrain ne se privait pas de harceler le même Torcy pour une catégorie particulière de tâches policières qui requérait le concours du titulaire des Affaires étrangères. Sous l’appellation « Police des étrangers », il s’agissait d’un vaste travail de surveillance de l’ensemble des étrangers et des personnels du corps diplomatique installé à Paris, le tout assorti d’arrestations, d’expulsions et de démarches près des ambassadeurs et autres agents accrédités. Incontestablement, dans ce domaine, Pontchartrain, grâce aux rapports du lieutenant général de police, se trouvait mieux renseigné que Torcy, telle cette lettre où il l’informait, de manière très précise, du prosélytisme manifesté par un pasteur luthérien attaché à l’ambassade du Danemark :

  • 84 AN, O1, reg. 362, lettre du 2 février 1701.

« Le ministre de M. l’Envoyé de Danemark continue toujours à visiter les Étrangers à Paris lorsqu’ils sont malades, et en dernier lieu l’un des sieurs Bionoseki, gentilhomme polonais luthérien étant à l’extrémité, son frère ne voulut pas qu’aucuns ecclésiastiques en approchassent et envoya appeler à leur place ce ministre. Le Roi m’ordonne de vous en donner avis, afin que vous ayez, s’il vous plaît, agréable d’en parler encore une fois à M. l’Envoyé de Danemark84. »

  • 85 Voir, par exemple, AN, O1, reg. 362, lettre du 10 janvier 1701 à propos des domestiques de l’ambas (...)
  • 86 AN, O1, reg. 362, lettre du 3 mars 1701.
  • 87 Le 25 octobre 1703, Victor-Amédée signait à Turin avec les représentants de l’Empereur un traité c (...)

51Pontchartrain n’ignorait rien non plus de la turbulence des « gens de livrée » des diverses ambassades, turbulence dont pâtissaient trop souvent « les bourgeois du voisinage ». Aussi, au moindre incident provoqué par les domestiques de tel ou tel ambassadeur, ivresse publique, tapage nocturne, rixes, etc., le secrétaire d’État aux Affaires étrangères recevait-il une lettre impérative du secrétaire d’État à la Maison du Roi qui se terminait invariablement par une formule du genre : « Sa Majesté m’a ordonné de vous dire d’en parler à cet ambassadeur85. » Torcy devenait en quelque sorte un auxiliaire dans le maintien de l’ordre. D’autre part, lorsque Pontchartrain entendait obtenir des renseignements sur des étrangers arrêtés ou recherchés pour espionnage, menées subversives ou encore complicité avec les « religionnaires », sa méthode favorite paraît avoir été de s’adresser directement, sans passer par Torcy, aux agents diplomatiques français en poste dans les pays d’origine de ces individus jugés dangereux. Ainsi ordonnait-il au marquis de Puysieulx, ambassadeur en Suisse, d’enquêter sur la famille d’une femme nommée « la dame d’Eaubonne », originaire du canton de Berne, arrêtée à Bordeaux, puis transférée à l’Hôpital Général de Paris pour avoir fourni de l’argent à des « religionnaires fugitifs86 ». Enfin, toujours à propos de la « Police des étrangers », c’était au secrétaire d’État à la Maison du Roi qu’incombait la diffusion des mesures générales prises à l’encontre des ressortissants d’un pays déterminé en cas de déclenchement des hostilités. Pour cela, Jérôme procédait par lettres-circulaires, telle sa lettre, datée de Fontainebleau, le 14 octobre 1703, prescrivant à tous les intendants des généralités et provinces du royaume l’internement des ressortissants savoyards en représailles de la défection de Victor-Amédée II de Savoie qui, onze jours plus tard, rejoignait le camp de la Coalition87.

  • 88 Depping, t. 2, p. 835.

« Le Roi ayant appris, expliquait-il, que M. le Duc de Savoie faisait arrêter tous les Français qui se trouvaient dans ses États, Sa Majesté m’a ordonné de vous écrire de faire de même arrêter tous les sujets du Duc de Savoie qui se trouvent en France, à l’exception des ramoneurs et autres gens de cette sorte auxquels il faut laisser la liberté de travailler à leur ordinaire88. »

  • 89 Anne Stuart, reine de Grande-Bretagne, mourut le 2 août 1714, laissant le trône à son cousin Georg (...)
  • 90 AN, sous-série B7 (pays étrangers, commerce, consulat), reg. 23, f° 267-268, le 11 juillet 1714, l (...)

52Avec ces diverses interventions à partir de sa position centrale parisienne, Jérôme de Pontchartrain faisait déjà figure, en ce début du xviiie siècle, de ministre de la Police générale, s’acquittant d’une mission diffuse de surveillance, de renseignement et de contre-espionnage jusqu’au-delà des frontières du royaume. Un ministre de la Police, à vrai dire, peu regardant sur le choix des moyens, notamment vis-àvis d’individus qui, réfugiés à l’étranger et s’y croyant hors d’atteinte, osaient défier l’autorité du Roi ou conspirer contre ses intérêts. Durant ces années, par exemple, Jérôme, grâce à ses agents dans les cours du Nord, sera parfaitement informé des agissements et pérégrinations d’un ancien banquier du roi, de famille protestante lyonnaise, Jean-Henri Huguetan, qui, après une retentissante faillite en 1705 (dix millions de traites impayées), s’était enfui pour se mettre au service des puissances maritimes. À Marlborough, Huguetan avait dévoilé les multiples circuits financiers parallèles permettant à Louis XIV de soutenir l’effort de guerre malgré la détresse du Trésor, ce qui eut pour effet d’accélérer la dépréciation des billets de monnaie émis en France. Et, un peu plus tard, en 1707, il soumettait aux États Généraux de La Haye un mémoire circonstancié préconisant des mesures pour parvenir à un véritable blocus économique du royaume. Enfin la paix d’Utrecht, elle-même, ne devait pas interrompre ses manœuvres anti-françaises, puisqu’au mois de juillet 1714, on le voit spéculer sur la mort prochaine de la Reine Anne89 pour une reprise des hostilités et la formation d’une « ligue contre la France afin de pouvoir jouir tranquillement des biens qu’il avait emportés90 ».

  • 91 Huguetan était veuf depuis 1703 de sa première femme Suzanne Testas.
  • 92 Pour les multiples intrigues et la carrière mouvementée de Jean-Henri Huguetan, voir notamment Cla (...)

53L’ancien banqueroutier se trouvait, en effet, toujours sous le coup de poursuites émanant de très gros et très influents financiers parmi lesquels figuraient Samuel Bernard et Antoine Crozat. Aussi, très tôt, Jérôme de Pontchartrain avait-il concocté plusieurs tentatives d’enlèvement à la fois pour lui faire rendre gorge et pour le mettre hors d’état de nuire. Mais Huguetan n’était pas facile à atteindre, ayant réussi en 1708 à se faire nommer ministre d’État du duc de Saxe-Weimar-Eisenach et à se remarier91 à Marguerite de Nassau-Odyck, petite-fille d’un bâtard de Maurice de Nassau, ce qui lui avait valu de devenir baron du Saint-Empire sous le nom de baron d’Odyck. Puis, précaution supplémentaire, à la faveur d’un séjour à Copenhague, il se faisait naturaliser sujet danois en 1711 et entrait au service de Christian IV qui lui accorda dès lors une large protection. Chargé de missions diplomatiques, nommé comte de Glydenstein et chambellan à la Cour, par surcroît créateur d’une banque, de compagnies maritimes et de manufactures textiles, Huguetan terminera ses jours au Danemark, à l’âge de 85 ans (mort vers 1750), comblé de biens et d’honneurs92.

54Avec l’aide de ses limiers, Jérôme de Pontchartrain n’avait pourtant pas ménagé ses efforts pour couper court à l’étonnante carrière de ce maître intrigant, qui, à peine sorti de France, s’était créé un vaste réseau de relations à travers l’Europe du Nord. Le 8 mars 1713, Jérôme, toujours à l’affût de quelque mauvais coup contre le transfuge, écrivait au contrôleur général des Finances Nicolas Desmarets ce billet non dénué de sous-entendus :

« J’ai l’honneur, Monsieur, de vous informer qu’un homme qui a du mérite et en qui on peut prendre toute confiance me donne avis que si l’on avait quelque dessein sur le sieur Huguetan, il trouverait le moyen de l’exécuter non pas par lui-même de peur de se rendre odieux dans la ville où il réside, mais par des gens qu’il aurait facilement à sa disposition. »

55Et le 5 juillet suivant, le même Jérôme prenait soin de transmettre à Desmarets une lettre émanant du sieur Haguedorn qui occupait le poste de résident du Danemark à Hambourg. Dans cette lettre fort explicite, Haguedorn déclarait que

« […] si le Roi [Louis XIV] voulait donner au Roi de Danemark 100 000 rixdales et promesse qu’on n’entreprendrait rien contre la vie du sieur Huguetan, autrement nommé Odyck, ce prince le ferait délivrer à la disposition de Sa Majesté pour la satisfaction de ses créanciers auxquels on pourrait insinuer de sacrifier jusqu’à 10 000 écus pour tenir lieu de douceur audit résident et aux autres résidents qui s’en mêlent ».

  • 93 Cf. C.-F. Lévy, op. cit., t. 2, p. 171-172.

56Un tel marché si peu ragoûtant n’eut pas l’heur de plaire à Desmarets qui se contenta de noter à l’angle de la lettre d’envoi de Pontchartrain : « Il ne serait ni de l’honneur, ni de la gloire du Roi d’écouter cette proposition93. » Toutefois ce n’était probablement pas là le seul motif du refus du contrôleur général qui tendait à ménager l’ancien banqueroutier en souvenir des services rendus ; ce dernier, homme d’expédients, s’était, en effet, révélé fort utile à l’époque où Desmarets, nommé en 1703 directeur des Finances sous Chamillart, se trouvait déjà confronté à de graves problèmes de trésorerie.

  • 94 AN, Marine, B7, reg. 23, f° 267-268, lettre du 11 juillet 1714.
  • 95 Pour l’abbé de La Bourlie, voir Saint-Simon, Pléiade, t. 2, p. 338-339, 631 et 1080 ; L. Bély, Esp (...)
  • 96 « Vienne » : il s’agit de la seigneurie de Vianen, au sud d’Utrecht, enclave étrangère dépendant d (...)
  • 97 Cf. L. Bély, Espions et ambassadeurs…, op. cit., p. 205, 281-282 ; Voir aussi AN, Marine, B7, reg. (...)

57Jérôme de Pontchartrain semble, en fait, avoir été le principal animateur de la traque organisée autour de Huguetan qu’il rencontrait trop souvent sur son chemin, ne serait-ce par exemple, qu’en tentant de s’interférer dans de laborieuses tractations engagées à partir de 1710 près du tsar Pierre le Grand en vue de conclure un accord de commerce et de navigation entre la France et la Russie. Aussi, encore en 1714, l’un des agents de Pontchartrain, Charles Rochefort, commissaire de la Marine à Hambourg, entretenait-il le secrétaire d’État d’un projet tortueux visant à atteindre Huguetan en la personne de son fils et collaborateur, Jean-Marie Desmercières, négociant. « Il a un fils, écrivait Rochefort, qu’il envoie à Rome. S’il était possible qu’on le pût enlever et le faire passer en France, le père donnerait tout ce qu’il a pour le retirer94. » Le projet n’eut pas de suite, Jean-Baptiste Poussin, résident de France à Hambourg et agent de Torcy, s’étant empressé d’informer Huguetan de cette machination, ce qui en dit long sur la collaboration entre les départements de la Marine et des Affaires étrangères. L’affaire Huguetan laisse, en tout cas, entrevoir que, sous le régime louis-quatorzien, l’organisation d’enlèvement à l’étranger n’était pas pratique exceptionnelle et que, pour sa part, Jérôme de Pontchartrain s’y prêtait volontiers, sans le moindre scrupule de bafouer ainsi « le droit des gens ». Deux autres lettres du secrétaire d’État sont révélatrices de cet égard. « Le Roi souhaite qu’on emploie toutes sortes de moyens pour l’attirer en France, s’il est possible » écrivait Jérôme en 1708 à propos d’Antoine de Guiscard, dit « l’abbé de la Bourlie », un agitateur qui, bien que frère du comte Louis de Guiscard, lieutenant général des armées, s’était mis au service de l’Angleterre et avait entretenu des relations avec les Camisards de Cévennes95. Et, en 1713, Jérôme préconisait sensiblement le même genre de solution dans une lettre à Sossiondo, son agent à Amsterdam, pour un pamphlétaire réfugié en Hollande, Lambert Gasparini, auteur de libelles contre le duc et la duchesse du Maine. « On prétend, précisait-il, que Gasparini s’est réfugié à Vienne [sic], lieu de franchise à deux heures d’Utrecht96. Éclaircissez-moi de ce qu’il en est, en m’expliquant s’il n’y aurait pas moyen de l’en tirer par adresse pour le faire prendre et le conduire en France97. »

58Comme l’indiquent ces quelques exemples, Jérôme de Pontchartrain ne se privait pas de mettre à contribution son réseau d’agents consulaires pour harceler les transfuges qui proliféraient alors, conspirant à la perte du royaume. Au titre de la lutte contre la subversion, le secrétaire d’État à la Maison du Roi étant investi d’une sorte de mission de contre-espionnage débordant les frontières, la tâche de Jérôme en ce domaine se trouvait donc considérablement facilitée par le fait qu’il dirigeait en même temps le département de la Marine avec la haute main sur la gestion des consulats à l’Étranger, qu’il s’agisse des pays du Nord ou des pays méditerranéens. Autrement dit, le cumul Maison du Roi-Marine lui offrait mille occasions d’empiéter sur le domaine de Torcy, responsable des Affaires étrangères. Mais, à cet égard, c’était surtout la possession du département de la Marine qui permettait à Jérôme de faire sentir tout le poids de son importance, tel le cas du transport des équipages du duc d’Aumont nommé en novembre 1712 ambassadeur à Londres, lors du rétablissement des relations diplomatiques entre la France et la Grande-Bretagne.

  • 98 Lettre du 14 décembre 1712, citée dans L. Bély, Espions et ambassadeurs…, p. 355.

« M. le duc d’Aumont ayant, écrivait-il à Torcy, supplié le Roi de lui accorder un bâtiment pour le transport de ses équipages en Angleterre, Sa Majesté a bien voulu l’approuver ; comme il ne s’en est point trouvé de propre pour lui rendre ce service parmi ceux de Sa Majesté, on a été bien obligé d’en fréter plusieurs appartenant à des particuliers dont la dépense monte à une somme si considérable que Sa Majesté a pris la résolution de ne plus entrer à l’avenir dans ces sortes de frais lorsqu’Elle nommera ses ambassadeurs ou envoyés dans les Cours étrangères. J’ai cru devoir vous faire part des intentions de Sa Majesté98. »

59Il ne fait guère de doute que cette « résolution » avait été directement soufflée au Roi par Pontchartrain soucieux de mettre un frein aux exigences de MM. les Ambassadeurs.

60Il ne s’agit là que d’une simple mesure d’économie, mais qui laisse apparaître combien l’utilisation des navires dépendait du bon vouloir du secrétaire d’État à la Marine. Transposé à une tout autre échelle, ce pouvoir de contrôle exercé tant sur la mobilisation des vaisseaux du Roi pour d’éventuelles opérations que sur les destinations des flottilles marchandes naviguant au long cours devaient donner à Pontchartrain des moyens de pression accrus grâce auxquels il put bien souvent faire prévaloir ses options en matière de politique navale, et, plus encore, en matière de politique commerciale. Ainsi, on l’a déjà vu réserver, de préférence, aux Malouins, les permissions d’armer pour la mer du Sud, malgré les réclamations des négociants des autres ports, et notamment des Nantais. D’autre part, lors-qu’un projet d’expédition navale n’avait pas l’heur de lui plaire, les préparatifs laissaient singulièrement à désirer, si, du moins, l’on se réfère à l’expédition d’Écosse, en 1708, du « Prétendant » Jacques III Stuart, compromise dès le départ par la lenteur de mobilisation de la flotte. Après de multiples retards, l’escadre du compte de Forbin appareillait de Dunkerque, le 19 mars, pour aller débarquer en Écosse le Prétendant et un petit corps expéditionnaire de 6000 hommes. Mais les Anglais, prévenus à temps, ayant massé des forces à l’entrée de la rivière d’Édimbourg, Forbin, qui obéissait probablement aux consignes de Pontchartrain, choisit de virer de bord sur Dunkerque qu’il rejoignit le 7 avril. Dans son Spicilège, Montesquieu fait allusion à cette équipée peu reluisante.

  • 99 « La reine d’Angleterre » : Marie d’Este, veuve de Jacques II Stuart et mère du « Prétendant ».
  • 100 Montesquieu, Œuvres complètes, Pléiade, Spicilège, t. 2, p. 1424.

« L’expédition d’Écosse, affirme-t-il, avait été formée sur le dessein de M. de Chamillart, et M. de Pontchartrain en était jaloux, si bien qu’on tint qu’il la fit manquer. J’ai ouï dire à la Maréchale de Berwick que le bonhomme Chamillart disait toujours à la reine d’Angleterre99 et aux siens de s’adresser à M. de Pontchartrain et de lui donner l’honneur du projet et de l’exécution afin qu’il ne le traversât pas100. »

  • 101 Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 2, p. 983.

61Ce témoignage appelle quelques rectifications. En la circonstance, le rôle de Chamillart, qui venait d’abandonner les Finances à Desmarets et conservait encore le secrétariat d’État à la Guerre, fut surtout de rassembler le corps expéditionnaire destiné à embarquer sur l’escadre de Forbin. Mais les véritables promoteurs du projet semblent avoir été le duc de Beauvillier, le duc de Chevreuse, et leur cousin Torcy qui, lui-même, était résolument acquis à la cause jacobite. Ils entendaient profiter de l’Acte d’Union de 1707 établissant le « Royaume Uni de Grande-Bretagne » pour provoquer un soulèvement en faveur du Prétendant dans l’ancien royaume des Stuart désespérés « de se voir réduit en province sous le joug des Anglais101 ». Or Jérôme de Pontchartrain, trop bien renseigné pour partager ce genre d’illusions, entendait ne pas gaspiller les vaisseaux de la « Royale » dans des tentatives de débarquement vouées à l’échec, ne serait-ce qu’en raison des intrigues et trahisons au sein même de la cour jacobite de Saint-Germain-en-Laye où proliféraient les agents doubles. À cela s’ajoutant le fait que Torcy fut l’un des initiateurs du projet, le tout suffit à expliquer le dénouement de l’entreprise.

  • 102 Mémoires secrets sur l’établissement de la maison de Bourbon en Espagne. Extraits de la correspond (...)
  • 103 Mémoires secrets…, op. cit., t. 1, p. 49.
  • 104 Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 2, p. 13.

62Cette capacité de contrecarrer les projets qui n’étaient pas siens permet aussi de comprendre pourquoi Pontchartrain formait un personnage généralement redouté dont il convenait de se méfier au maximum sans pourtant risquer de le heurter. « Je finis en vous recommandant de ménager M. de Pontchartrain. Il est ennemi dangereux et pourrait vous porter des coups secrets. » Telle est la conclusion d’une lettre du duc de Beauvillier, du 17 août 1701 à Charles-Auguste d’Allonville, marquis de Louville, désigné, dès l’avènement de Philippe V au trône d’Espagne, comme conseiller et mentor de ce jeune prince âgé de 18 ans102. Beauvillier met ici en garde le marquis de Louville contre les manœuvres de Jérôme de Pontchartrain qui disposait déjà à la cour de Madrid d’émissaires chargés, entre autres missions, de le renseigner sur les faits et gestes du personnel de la « maison française » du nouveau roi. Or, précisément, et bien que n’ayant pas parlé « deux fois dans sa vie à M. de Louville », Pontchartrain s’était empressé de « lui demander d’entrer en commerce intime avec lui103 ». Ancien gentilhomme de la manche du duc d’Anjou (futur Philippe V) et bientôt promu chef de la « maison française », Louville exerçait alors un fort ascendant sur le petit-fils de Louis XIV. D’autre part, il ne manquait pas d’appuis à Versailles, étant, selon l’expression de Saint-Simon, « créature du duc de Beauvillier, ami intime de Torcy et très bien avec le duc de Chevreuse104 ». Aussi Jérôme entendait-il se gagner, ou du moins neutraliser ce personnage influent connu pour être « dévoué sans réserve » au ministre des Affaires étrangères. Louville était, en effet, le principal informateur de Torcy pour les affaires espagnoles qui constituaient un véritable imbroglio comme en témoigne, au printemps 1701, cette lettre d’un ton fort peu ministériel.

  • 105 Le comte de Marsin, remplaçant du duc d’Harcourt tombé malade.
  • 106 Mémoires secrets…, op. cit., t. 1, p. 167.

« Que ferais-je si vous veniez à mentir, avouait Torcy à Louville, puisque M. d’Harcourt [l’ambassadeur de France à Madrid] ne m’honore plus de sa confiance. Je relis sans cesse vos lettres et vous les reconnaîtrez aux instructions qui seront données au remplaçant105. Le Roi, à qui je montre régulièrement les passages essentiels, se les fait souvent lire toutes entières et il en fait faire des extraits pour Mme de Maintenon106. »

63Cet imbroglio des affaires espagnoles provenait, pour une bonne part, des luttes d’influence au sein de la cour madrilène envenimées, elles-mêmes, par le jeu des coteries à Versailles.

  • 107 Au retour de la campagne d’Italie de 1702 menée par Vendôme, campagne à laquelle avait assisté Phi (...)
  • 108 Mémoires secrets…, op. cit., t. 2, p. 34-35, lettre du 24 mars 1703.

« Une chose que je vous prie de communiquer à M. de Torcy, écrivait Louville au duc de Beauvilliers en 1703, c’est que depuis notre retour107 chaque ministre de France a son représentant direct à Madrid. M. de Pontchartrain a le sien, M. de Chamillart le sien, etc., de sorte que l’ambassadeur [de France] doit traiter avec eux, ce qui est offensant pour M. de Torcy, ou ne rien faire, ce à quoi on veut le réduire108. »

64Le « représentant direct » de Jérôme – déjà mentionné au chapitre précédent – était François-Amboise Daubenton, neveu du père Guillaume Daubenton, confesseur de Philippe V. En sa qualité d’« Agent du commerce et de la marine de France », il avait à traiter de problèmes spécifiques tels que le respect du monopole de la traite des nègres vers l’Amérique espagnole concédée à la Compagnie française de Guinée transformée en Compagnie de l’Asiento. Un monopole trop souvent battu en brèche par une administration hispano-américaine corrompue et volontiers francophobe qui fermait les yeux sur la contrebande anglo-hollandaise. Pontchartrain, en conséquence, se trouvait amené à œuvrer, par l’intermédiaire de Daubenton, pour que les administrateurs de l’« Ultra Mar » les plus suspectés de complaisance fussent relevés dans les postes de vice-rois, de gouverneurs et de présidents d’« Audience » par des éléments réputés sûrs. Ce genre d’immixtion dans la haute administration des « Indes de Castille » n’allant pas sans incidences diplomatiques, venait ainsi ajouter, entre le secrétaire d’État à la Marine et le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, une nouvelle source de friction destinée à perdurer avec la prolongation de la guerre pendant plus d’une décennie.

65Aux yeux de Jérôme de Pontchartrain, le théâtre espagnol relevait en grande partie de son domaine, ne serait-ce en raison du rôle joué par la « Royale » dans la protection des convois ramenant l’argent américain. Rappelons que la « Navy » britannique ne parviendra jamais à interrompre les lignes de communication transatlantique d’un intérêt primordial pour le financement de l’effort de guerre dans le camp franco-espagnol. Ce droit de regard, Jérôme l’avait affirmé très tôt. Ainsi la négociation du traité d’« asiento » de 1701, rondement menée sur place à Madrid par Jean-Baptiste Ducasse, s’était faite sous l’impulsion et le contrôle du secrétaire d’État à la Marine qui, en la circonstance, avait délibérément court-circuité son collègue des Affaires étrangères.

  • 109 AN, Col., B 24, f° 208 v°.

« J’ai reçu la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire le 25 du mois précédent pour m’informer du mouvement qui s’est fait dans l’affaire de l’asiento et j’en ai rendu compte au Roi, écrivait Jérôme de Pontchartrain, le 14 septembre 1701, au comte de Marsin, ambassadeur de France à Madrid. Sa Majesté a approuvé les instances que vous avez faites pour ne la point laisser entre les mains du Président du Conseil des Indes… et pour la faire remettre aux Commissaires qui ont été nommés pour l’examiner avec M. Ducasse109. »

  • 110 AN, Col., B 24, f° 213.
  • 111 À partir des années 1630, les flibustiers et boucaniers de l’île de la Tortue s’étaient progressiv (...)

66Et le 1er octobre 1701, accusant à Ducasse réception du texte définitif du traité d’Asiento, Jérôme le félicitait en ces termes : « Sa Majesté avait été très satisfaite et il lui a paru que vous avez ménagé les intérêts de ceux de ses sujets qui se chargeront de l’exécution autant bien qu’il a été possible110. » De plus, dans la même lettre, le secrétaire d’État entretenait Ducasse des négociations qu’il l’avait chargé de mener en même temps sur la fixation des limites entre la partie française et la partie espagnole de Saint-Domingue restées imprécises depuis la paix de Ryswick de 1697111. Avec les discussions autour du contrat d’asiento et de la délimitation de Saint-Domingue, c’était donc tout un aspect des relations franco-espagnoles qui se trouvait supervisé par Pontchartrain, lequel en rendait compte directement au Roi, tandis que Torcy, pourtant chef de la diplomatie, apparaît manifestement tenu à l’écart de ces deux négociations importantes.

67L’attitude précitée du comte de Marsin illustre bien l’effacement de Torcy, cet ambassadeur rendant compte à Pontchartrain de la bonne marche de l’« affaire de l’Asiento », comme s’il s’adressait à son propre ministre. Et, de même, attitude non moins caractéristique, Pontchartrain ne se privait pas de dicter ses ordres à l’ambassadeur de France comme s’il appartenait au département de la Marine. On retiendra, à titre d’exemple, une lettre du 9 novembre 1701, où ce secrétaire d’État – au nom du Roi, clause de style – intimait à Marsin les consignes les plus strictes pour faire interdire le marché hispano-américain au commerce britannique :

  • 112 AN, Col., B 24, f° 247 v°.

« Je vois par les lettres que les Anglais, comptant que les projets qu’ils ont formés sur les places maritimes des Indes Occidentales réussiront…, préparent une quantité de marchandises pour les répandre dans les Indes… Sur le compte que j’en ai rendu au Roi, Sa Majesté m’a commandé de vous en faire part afin que vous puissiez en informer les ministres du Roi d’Espagne et les exciter à renouveler les ordres aux gouverneurs de ne point recevoir les Anglais dans leurs ports ni de les souffrir à leurs côtes112. »

  • 113 Cf. Henry Karneu, The War of Succession in Spain, 1700-1715, London, Weidenfeld Nicolson, 1969, 43 (...)
  • 114 Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 2, p. 307.

68À maintes reprises, les successeurs du comte de Marsin, parti en 1702, eurent également à recevoir les directives du secrétaire d’État à la Marine, notamment Amelot dont le long séjour à Madrid (mai 1705-septembre 1709) marque le temps fort de l’engagement français aux côtés de Philippe V113, avant que Louis XIV ne se décide à un désengagement progressif dans la perspective d’une cessation des hostilités avec l’Angleterre. Si bien qu’en cette période cruciale de la guerre de Succession d’Espagne, il ne restait à Torcy, selon l’expression de Saint-Simon, que « les choses sèches et résolues sur lesquelles on ne pouvait se passer de son expédition114 ».

69Les directives de Jérôme de Pontchartrain s’appliquaient principalement à la défense des avantages commerciaux acquis à la faveur de l’« Union des deux Couronnes », ce qui n’allait pas sans engendrer des tensions avec l’allié espagnol, le secrétaire d’État entendant pousser à fond l’exploitation de ces avantages. Déjà, au mois de novembre 1701, Chamillart s’inquiétait près de Jérôme des dispositions du traité d’Asiento conclu au mois de septembre précédent, et notamment du rôle imparti à la compagnie française, dite Compagnie de l’Asiento, formée à cette occasion.

  • 115 Cf. C.-F. Lévy, Capitalistes et Pouvoirs au siècle des Lumières, t. 1, p. 170.

« [L’]affaire de l’Asiento et le traité de la manière dont il a été dressé font bien plus de bruit, écrivait le contrôleur général des Finances. Vous autorisez la Compagnie à porter directement des marchandises de France aux Indes et le retour des Indes en France. On aurait pu, pour contenter les Espagnols et pour favoriser l’union qui est si nécessaire pour se les rendre favorables à notre commerce, s’engager à faire des retours à Cadix et d’y laisser toutes les marchandises qui seraient pour l’Espagne et de rapporter en France toutes celles qui seraient pour le royaume. Cet article mérite réflexion115. »

  • 116 AN, Col., B 28, f° 315 et f° 352.

70Pontchartrain n’eut évidemment cure de ce genre de considération, l’Asiento étant en quelque sorte son affaire personnelle, son domaine réservé sur lequel il ne cessera de veiller jalousement jusqu’au moment où les nécessités du rétablissement de la paix imposeront l’abandon aux Anglais du monopole de la traite négrière aux « Indes de Castille ». Cette même défense des avantages commerciaux pouvait l’entraîner très loin, son objectif étant de placer entièrement le marché hispano-américain et l’Espagne elle-même sous contrôle économique français. Ainsi, en même temps qu’il s’efforçait d’enrayer la contrebande anglo-hollandaise en Amérique, Jérôme s’alarmait de l’écoulement, en grosses quantités, des sucres et tabacs du Brésil portugais sur le marché métropolitain espagnol. Cette tolérance lui paraissait d’autant plus inadmissible que depuis 1703 le Portugal s’était joint à la coalition et que, par surcroît, les autorités de Madrid renâclaient constamment à laisser entrer les denrées coloniales en provenance des Antilles françaises. À deux reprises, par exemple, en des lettres pressantes du 1er décembre 1706 et du 19 janvier 1707, il intimait l’ordre à Amelot de faire prendre par Philippe V les mesures nécessaires pour entraver le commerce considérable que les Portugais continuaient, malgré l’état de guerre, à entretenir avec les Espagnols116.

  • 117 AN, Col., B 21, f° 415.
  • 118 AN, Col., B 21, f° 557 v°, lettre du 31 mars 1700.
  • 119 AN, Col., B 21, f°431, le 20 octobre 1699 ; f°452, le 25 novembre 1699 ; f° 460, le 15 décembre 16 (...)

71L’importance des enjeux maritimes, commerciaux et coloniaux au cours de la guerre de Succession d’Espagne explique fort logiquement la tendance de Jérôme de Pontchartrain, qui était si pénétré de ses responsabilités ministérielles, à s’ingérer le plus possible dans le travail des ambassadeurs de France en poste à Madrid. Mais il convient aussi de tenir compte d’une autre motivation que constituait son ambition, manifestée précocement, de jouer un rôle important en matière de politique étrangère. Jérôme n’avait pas, en effet, attendu la conjoncture particulièrement favorable du dernier grand conflit du règne pour s’arroger un droit de regard sur les activités des agents diplomatiques. Plus de deux ans et demi avant l’ouverture des hostilités (mai 1702), on le voit, à peine titularisé secrétaire d’État – le 8 septembre 1699 – écrire, dès le 23 septembre, au président des Comptes Pierre Rouillé, ambassadeur à Lisbonne (1693-1703) pour s’irriter des atermoiements apportés par les Portugais au règlement d’un contentieux sur les frontières de la Guyane et pour lui recommander l’attitude la plus énergique à cet égard117. Rouillé avait, en effet, signé un traité provisionnel avec les autorités de Lisbonne, mais sans pour autant résoudre le problème, en raison notamment de l’impossibilité géographique d’introduire une délimitation précise dans la région entre l’Oyapock et l’Amazone, sorte de « no man’s land » au contact du Brésil portugais. Cela n’empêchait pas Pontchartrain d’exiger que l’affaire soit examinée à fond, comme s’il s’agissait d’une contestation territoriale de type rhénan où, sur de modestes superficies, s’entremêlaient les droits de plusieurs princes possessionnés. Le marquis de Férolles, gouverneur de Cayenne, recevait ainsi l’ordre de rechercher dans les archives locales – probablement fort maigres – tous documents susceptibles d’appuyer les droits du Roi sur les terres contestées, et, en outre, d’étudier avec soin cette zone pour l’attaquer éventuellement et en inventorier les ressources118. De son côté, Rouillé se voyait harcelé, du mois d’octobre 1699 au mois de janvier 1700, de lettres où Pontchartrain le pressait de régler ce conflit frontalier et aussi, mission ponctuelle, de réagir vigoureusement à propos de l’enlèvement d’Indiens en Guyane par des Portugais119.

  • 120 Encore en 1743, quatre îles parmi les plus disputées des Antilles, Sainte-Lucie (30 km au sud de l (...)
  • 121 AN, Col., B 21, f° 423, lettre du 7 octobre 1699 ; f° 531, lettre du 3 février 1700.
  • 122 AN, Col., B 21, f° 548.
  • 123 AN, Col., B 21, f° 549 v°.
  • 124 AN, Col., B 21, f° 551 v°.
  • 125 AN, Col., B 21, f° 589, f° 592 v°, et f° 598.
  • 126 AN, Col., B 22, f° 136.
  • 127 AN, Col., B 24, f° 300 v°, le 20 octobre 1701, lettre au conseiller d’État Amelot (membre du Conse (...)

72Exactement à la même époque, cette tendance du jeune secrétaire d’État à la Marine à court-circuiter son collègue des Affaires étrangères s’observe dans les correspondances qu’il adressait directement au comte de Tallard, ambassadeur à Londres (1698-1701), pour l’alerter sur les visées anglaises menaçant Tobago (à proximité du Venezuela actuel), Saint-Vincent et la Dominique (voisines de la Martinique et de la Guadeloupe), trois îles antillaises peuplées d’Indiens Caraïbes insoumis et théoriquement neutralisés en vertu de conventions franco-britanniques restées enfouies dans les archives120. Dès le 7 octobre 1699, Jérôme de Pontchartrain, toujours bien informé, avertissait Tallard d’un projet concocté par des « marchands de Londres », de constituer une compagnie de colonisation de Tobago, avec la participation de marchands français qui, circonstance aggravante, se trouvaient être, précisait-il dans une lettre du 3 février 1700, des « religionnaires » transfuges121. Peu après, le 24 février, Jérôme prescrivait à Tallard de protester auprès du gouvernement britannique contre les établissements commencés par des Anglais à la Dominique122. Et le même jour, il ordonnait à Clairambault, premier commis du Dépôt des Archives de la Marine, de rechercher s’il existait quelque convention diplomatique relative au statut de la Dominique123. Puis Clairambault ayant retrouvé le texte d’un traité du 31 mars 1660 qui neutralisait la Dominique et la réservait aux Indiens Caraïbes (avec permission à la France d’y envoyer des missionnaires), le secrétaire d’État s’empressait, le 3 mars 1700, d’en adresser copie au comte de Tallard, de même qu’au marquis d’Amblimont, gouverneur général des Îles d’Amérique, lui aussi concerné par cette affaire124. D’autres sujets, non moins préoccupants, l’amenaient également à correspondre avec Tallard, telles ses lettres des 30 juin, 7 juillet et 14 juillet 1700 dénonçant des tentatives d’établissements écossais dans le golfe de Darien, bordant l’isthme de Panama125. Mais la vigilance face aux agissements de Londres ne se limitait pas à la Méditerranée américaine car, au même moment, se poursuivaient d’âpres négociations autour de la délimitation des frontières entre les colonies anglaises d’Amérique septentrionale et les dépendances avancées de la Nouvelle-France. Sur ce problème resté en suspens depuis le traité de Ryswick de 1697, Pontchartrain, qui s’estimait intéressé au premier chef, ne manquait pas non plus de mobiliser Tallard pour faire prévaloir ses propres points de vue, notamment en lui communiquant, par lettre du 2 juin 1700, un projet de règlement très précis relatif à la baie d’Hudson, l’Acadie et les îles au large de l’Acadie, trois zones sensibles convoitées par les Anglais126. Rappelons enfin, à propos d’un autre problème non résolu à Ryswick et intéressant, cette fois, les relations franco-espagnoles, que le secrétaire d’État à la Marine s’était arrogé un droit de regard quasi exclusif sur le règlement des limites des deux parties de Saint-Domingue par l’intermédiaire de Ducasse et de Daubenton qui étaient ses hommes de confiance127.

73Toutes ces interventions se situent durant la brève période de paix précédant l’ouverture de la guerre de Succession d’Espagne. Par là, cette période fut en même temps pour le jeune « ministre de la Mer » celle de l’apprentissage en matière de relations internationales avec l’initiation aux multiples conflits frontaliers nés des rivalités des puissances européennes qui se disputaient le contrôle du Nouveau Monde sur un immense espace géographique du Brésil portugais aux rives de la Baie d’Hudson en passant par la mer des Antilles. Une initiation qui allait permettre à Jérôme de Pontchartrain de s’affirmer rapidement comme un expert des problèmes de délimitation outre-mer, sachant utiliser les ressources des archives pour revendiquer hautement les « droits du Roi » sur les territoires contestés. Et l’assurance, née d’une compétence vite reconnue, ne va pas sans expliquer l’habitude que prit, très tôt, Jérôme, de traiter avec les agents diplomatiques français sans passer par son collègue des Affaires étrangères. C’était ainsi, pour lui, se mettre en mesure d’intervenir énergiquement lorsqu’arrivait le moment des grandes échéances accompagnant et conditionnant la difficile sortie d’un état de belligérance qui n’avait que trop duré. Entre 1710 et 1713, au cours des longues tractations avec l’Angleterre, Pontchartrain ne cessera, en effet, de faire pression à Versailles pour limiter au maximum les indispensables concessions, notamment dans le domaine ultra-sensible de la grande pêche morutière où son travail d’obstruction ne sera pas sans résultats. Et surtout, une fois la paix rétablie, et fort de son audience près du Roi, il saura impulser une vigoureuse politique de reconversion et de relance visant à annihiler les clauses les plus désavantageuses imposées par les puissances maritimes.

  • 128 Au mois de février 1973, l’abbé de Polignac sera rappelé au Congrès pour être élevé à la pourpre c (...)

74Un intense travail diplomatique avait précédé le Congrès d’Utrecht qui, ouvert le 19 janvier 1712, déboucha sur une suspension d’armes le 19 août 1712, puis sur la signature des traités de paix le 11 avril 1713. Début août 1711, le député de Rouen au Conseil de Commerce, Nicolas Mesnager, était parti à Londres en qualité d’« envoyé extraordinaire du Roi », afin de prendre en mains les tractations entamées dès 1710 par un agent secret, l’abbé Gaultier, ancien chapelain du comte de Tallard. Cette mission aboutit, le 8 octobre 1711, à la signature de préliminaires de paix dits « Préliminaires de Londres », ce qui valut à Mesnager de figurer parmi les trois plénipotentiaires français du Congrès d’Utrecht, aux côtés du Maréchal d’Huxelles et de l’abbé Melchior de Polignac, futur cardinal128. Jérôme de Pontchartrain, pour sa part, n’appréciait guère Nicolas Mesnager qu’il rappelait sèchement à l’ordre, par lettre du 13 avril 1712, au moment où celui-ci s’activait au Congrès.

  • 129 Lettre citée dans Lucien Bély, Espions et ambassadeurs…, op. cit., p. 589-590.

« Je suis très étonné, écrivait-il, de ce que vous ne m’avez encore rien expliqué de tout ce qui a été fait et négocié en conséquence des mémoires que je vous ai remis par ordre du Roi, touchant les colonies, le commerce et la navigation. Vous savez que ces points regardent entièrement mon département et que Sa Majesté vous a précisément recommandé par ces mêmes mémoires, de m’informer exactement de tout ce qui serait agité, discuté et conclu sur tout ce qui les concerne. Après cela, que pouvais-je penser de votre silence ? Je vous avoue qu’il m’a fait de la peine129… »

  • 130 AN, Col., B 24, f° 240 v°, le 28 octobre 1701, lettre de Jérôme de Pontchartrain au sr. Mesnager, (...)
  • 131 Cf. C.-F. Lévy, Capitalistes et pouvoirs au siècle des Lumières…, op. cit., t. 2, p. 79, note 11.

75Ce « silence », ou du moins une certaine tendance à correspondre le moins souvent possible avec le secrétaire d’État à la Marine, le député de Rouen semble en avoir été coutumier, pour l’avoir déjà pratiqué à l’occasion de trois missions politico-commerciales qui lui avaient été confiées, la première en Espagne, de 1704 à 1706, la seconde en Hollande de décembre 1707 à mars 1708, et la troisième de nouveau en Espagne de mai 1708 à la fin de la même année. En réalité, il existait entre les deux hommes un lourd contentieux qui remontait à l’année 1701, lorsque Pontchartrain, à la recherche d’actionnaires pour la Compagnie de l’Asiento, avait vivement pressé Mesnager d’entrer dans cette compagnie en gestation, lui écrivant, le 28 octobre 1701, une lettre personnelle et mobilisant, de plus, Samuel Bernard pour mieux le convaincre130. Ce fut peine perdue, l’intéressé, peu soucieux de participer à une compagnie d’inspiration étatique s’étant dérobé aux avances du ministre. Par la suite, leurs relations ne s’améliorèrent pas, Mesnager, lors de ses deux missions en Espagne s’attachant à correspondre avec Torcy plutôt qu’avec Pontchartrain et rechignant systématiquement à collaborer avec Daubenton malgré les recommandations du secrétaire d’État à la Marine. On retrouve ici l’écho des rivalités interministérielles à Versailles, Nicolas Mesnager se trouvant être un protégé de Torcy comme le confirme bien une lettre de son cousin Jacques le Baillif, du 20 juin 1713, au secrétaire d’État aux Affaires étrangères, avec l’emploi de cette expression caractéristique de l’époque : « Mr Mesnager… qui est votre créature et l’ouvrage de vos mains131. » Aussi ce ministre avait-il fait du député de Rouen son homme de confiance, en quelque sorte son « expert » attitré pour tous les problèmes relatifs au grand commerce international, problèmes qu’il était si important de résoudre dans l’éventualité d’une cessation des hostilités avec les puissances maritimes. C’était par exemple, Torcy qui, au mois de décembre 1707, avait envoyé en mission secrète à La Haye Mesnager avec un intermédiaire, le docteur Adrian Helvetius, médecin du duc d’Orléans et fils d’un premier médecin du prince d’Orange. Hollandais de naissance et français d’adoption, Helvetius rêvait de réconcilier ses deux patries. Dès 1705, il avait adressé plusieurs mémoires à Torcy suggérant de promettre l’ouverture du marché hispano-américain aux Provinces-Unies afin de détacher de la Grande-Bretagne cette puissance maritime. Selon lui, la France était incapable d’exploiter seule les avantages découlant de l’« Union des deux Couronnes », faute de pouvoir répondre à la demande des Espagnols de l’« Ultra Mar » pour qui le commerce néerlandais restait indispensable. C’était donc un argument supplémentaire pour l’ouverture.

76À ce propos, Helvetius s’élevait contre les visées exclusives de la Compagnie de l’Asiento et dénonçait en même temps les entreprises malouines en mer du Sud, mettant ainsi en cause la politique américaine poursuivie par Jérôme de Pontchartrain. Il se trouvait, par là, en accord avec Nicolas Mesnager, qui, lors de son premier séjour en Espagne de 1704-1706, préconisait déjà, dans un plan en dix-sept articles, cette participation néerlandaise. Torcy, lui-même, était résolument acquis à un tel changement de politique, comme l’illustre sa lettre à Mesnager du 16 décembre 1707, pour l’informer de la nature de sa mission secrète à La Haye.

  • 132 Ibid., t. 1, p. 267.

« Vous verrez par les ordres du Roi, lui écrivait-il, que le Roi vous a choisi pour aller en Hollande, Sa Majesté étant persuadée par les assurances que le sieur Helvetius en a données à son retour de ce pays que la paix y est désirée et que rien ne contribuera davantage à l’avancer que de dissiper les ombrages que MM. des États Généraux peuvent avoir sur la sûreté de leur commerce après la paix. Comme vous êtes particulièrement instruit sur cette matière, et que le plan que vous venez de dresser en Espagne vous met en état de faire connaître mieux que personne la sûreté et les avantages que les Hollandais aussi bien que les autres nations de l’Europe trouveront après le rétablissement de la paix dans le commerce des Indes Occidentales, le Roi veut que vous entriez en conférence sur cet article avec ceux de la République d’Hollande dont le sieur Helvetius promet de vous procurer l’entrevue, et que vous leur donniez les explications et les éclaircissements nécessaires pour dissiper leurs doutes et pour leur faire connaître les sincères intentions de Sa Majesté. La lettre que je vous écris par son ordre pourra servir de preuve de votre mission132… »

77Le secrétaire d’État aux Affaires étrangères se faisait là bien des illusions, cette mission, pour le moins prématurée, tournant vite court en raison de l’hostilité du Grand Pensionnaire Heinsius. Arrivé le 25 décembre 1707 en Hollande et ayant obtenu, non sans mal, d’être reçu par Heinsius le 28 février 1708, Nicolas Mesnager dut repartir bredouille dès le lendemain 1er mars. Cet échec n’altéra nullement son crédit près du ministre, puisqu’après avoir été envoyé à Madrid pour la seconde fois, puis à Londres pour les préliminaires de paix, on le retrouve au Congrès d’Utrecht, chargé spécialement des questions d’ordre commercial, comme étant le seul des plénipotentiaires français compétent en ce domaine.

  • 133 C’est-à-dire que la négociation « sera entièrement renvoyée » à Mesnager par le maréchal d’Huxelle (...)

« Je compte, précisait Torcy à Mesnager le 21 novembre 1712, à propos des difficiles pourparlers autour d’un traité de commerce franco-anglais, que la négociation vous sera entièrement renvoyée133 et qu’après la résolution que le Roi a prise, cette négociation se fera de concert avec la Hollande. Ainsi vous pourrez ménager ce que vous croirez être utile au service du Roi et à l’intérêt de ses sujets. »

  • 134 Pour les relations privilégiées entre Torcy et Mesnager au moment des négociations d’Utrecht, voir (...)

78Et, peu après, dans un mémoire de janvier 1713, le même Torcy renouvelait l’expression de sa pleine confiance dans les talents de négociateur du député de Rouen : « M. Mesnager, qui est fort instruit de tout ce qui concerne le commerce, pourra employer utilement les connaissances qu’il a acquises dans les discussions qui seront à faire134. »

79Ces relations privilégiées entre Torcy et l’un des plénipotentiaires français du Congrès n’allèrent pas sans compliquer la tâche de Jérôme de Pontchartrain qui, entendant user d’un large droit de regard sur les conférences d’Utrecht, avait communiqué un chiffre à Nicolas Mesnager pour qu’il lui rendît compte exactement des discussions sur la marine, le commerce et les colonies. Par lettre du 27 avril 1712, Mesnager l’éconduisit fort civilement au moyen d’un exposé des méthodes qui régissaient le travail des trois plénipotentiaires de manière à assurer l’union entre eux, cela dans l’intérêt même du service du Roi.

« Nous devons, lui expliquait-il, nous assembler chez Monsieur le Maréchal [Huxelles] pour y rapporter ce qui s’est passé dans nos conférences avec les ministres des Alliés ; c’est là que nous devons nous communiquer respectivement nos idées et les inductions que nous croyons devoir tirer de ce qui s’est passé. »

80Et Mesnager, invoquant « ce petit règlement », de conclure :

  • 135 Ibid., p. 415-416, lettre citée et commentée.

« Vous jugerez aisément qu’il ne m’est pas permis d’outrepasser nos dépêches, lors même qu’il s’y rencontrera des matières qui regarderont votre département ; mais, lorsque le détail de certaines circonstances pourrait les rendre trop étendues, c’est alors que je me chargerai avec un très grand plaisir de vous en rendre compte et, pour cet effet, je me chargerai du chiffre que vous m’avez envoyé135. »

81Autrement dit, le secrétaire d’État à la Marine se voyait réduit à jouer les utilités, n’ayant pour toute pâture que le trop-plein des dépêches et le détail technique.

82En s’exprimant ainsi, Mesnager obéissait probablement aux consignes de Torcy visant à neutraliser Pontchartrain au moment où précisément le congrès, ouvert en janvier 1712, entré en sommeil au mois de mars, commençait – fin avril – à être sérieusement réactivé. Mais le secrétaire d’État à la Marine n’était pas homme à se laisser tenir à l’écart et traiter en quantité négligeable. En réalité, de 1711 à 1713, tout au long du lent processus qui devait aboutir à la conclusion des traités d’Utrecht, son action n’avait cessé et ne cessera de se faire sentir. Ainsi, les « Instructions du Roi », en date du 3 août 1711, données à Mesnager chargé de négocier les Préliminaires de Londres, sortent de la rédaction de Pontchartrain pour la partie concernant la cession de Terre-Neuve réclamée par les Anglais.

« Le sr Mesnager, y est-il écrit à propos de cette cession, en connaît parfaitement les inconvénients par rapport au Commerce de France, à l’entretien de la Marine et de la navigation et à la subsistance des matelots… Toutefois Sa Majesté voulant autant qu’il dépend d’Elle faciliter la conclusion de la paix, Elle permet au sr Mesnager de promettre aux Anglais la cession de Plaisance (chef-lieu de Terre-Neuve) et de toute l’île de Terre-Neuve aux conditions suivantes :
— que les sujets du Roi continuent la pêche et la sécherie de la morue dans la partie du petit Nord de cette île comme ils l’ont fait jusqu’à présent ;

  • 136 Cf. Recueil des institutions aux ambassadeurs et ministres de France, XXV-2, Angleterre, t. 3 (169 (...)

— que les Anglais renoncent à toute prétention sur les îles du Cap Breton, de Saint-Pierre et Sainte-Marie, le Roi se réservant de faire tels établissements dans ces îles que Sa Majesté jugera le plus à propos136. »

83Et sur ces conditions, Jérôme de Pontchartrain saura batailler ferme et finalement obtenir satisfaction, l’article 13 du traité, qui portait cession de Terre-Neuve, réservant à la France le droit de pêche « depuis le Cap Bonnavista jusqu’au Cap Saint-Jean » et lui reconnaissant en outre la conservation de l’île du Cap-Breton et des autres îles de l’embouchure du Saint-Laurent. Précisons que cette conservation de l’île du Cap-Breton, appelée encore Île Royale, répondait à un ambitieux projet de Pontchartrain qui entendait y créer un port très actif pour remplacer Plaisance comme base de la pêche morutière et pour disposer d’un jalon sur la route de Québec. Un projet vite mis à exécution, sans même attendre le rétablissement de la paix, avec les débuts de la construction de l’entrepôt-forteresse de Louisbourg appelé à prendre une importance stratégique considérable avant de tomber aux mains des Anglais en 1745.

84De manière générale, le secrétaire d’État à la Marine pouvait difficilement être évincé du jeu diplomatique, puisque la Direction des consulats à l’Étranger lui était impartie et que, d’autre part, il avait la prérogative de compléter les « Instructions du Roi » aux ambassadeurs par des mémoires annexes sur les matières relevant de son département. Ici, en cette période exceptionnelle de grandes négociations internationales où ces mêmes matières occupaient une large place, son concours devenait d’une impérieuse nécessité, ce qui donnait à la fois à Jérôme de Pontchartrain des moyens de pression accrus et une certaine liberté de mouvement pour développer une action personnalisée par rapport à celle de son collègue des Affaires étrangères. Ainsi, malgré les prétentions de Torcy à régir seul – sous l’autorité du Roi – la marche des négociations d’Utrecht, Jérôme se livrera à des manœuvres retardatrices souvent proches de l’obstruction, visant à préserver les chances de pouvoir bientôt restaurer la politique française d’expansionnisme commercial et colonial des années 1700. Un exemple caractéristique en est fourni par son opposition larvée à un traité de commerce entre la France et la Grande-Bretagne, exigence formulée, du côté anglais, dès les Préliminaires de Londres, au même titre que la cession de Terre-Neuve. Puis, dans le cadre des discussions d’Utrecht, le ministère britannique avait sorti un projet de traité dont les trois plénipotentiaires français rendirent compte à Versailles dans une lettre du 21 mars 1712 accompagnée d’un mémoire probablement dû à Mesnager. S’étant saisi de l’affaire, Pontchartrain adressait, le 8 mai, aux plénipotentiaires, un mémoire portant d’extrêmes réserves sur la clause de la nation la plus favorisée et réclamant le maintien des interdictions commerciales pour les toiles, les soieries du Levant et des Indes, de même que pour les toiles peintes et les soies « crues » réservées à la Compagnie des Indes. De plus, il y était énergiquement rappelé que les marchandises du Levant ne pouvaient entrer que par Marseille et en payant des droits de 20 %.

  • 137 « Mémoire pour MM. les plénipotentiaires du Roi à Utrecht, de ce qui a été observé sur quelques ar (...)

« C’est, expliquait le secrétaire d’État, ce qu’il est important de maintenir pour la conservation du commerce et de la navigation, et même pour empêcher la chute de la manufacture des draps de Languedoc propres pour le levant qui tomberaient sans ces 20 %. Il est d’une extrême importance de maintenir cette manufacture par rapport au commerce du Levant et à l’avantage que le Royaume en retire et en particulier la Provence137. »

  • 138 Ibid., p. 556.

85Par la suite, Jérôme de Pontchartrain n’allait cesser de prôner la même fermeté et la même vigilance, tel son mémoire du 7 septembre 1712 dénonçant le danger de permettre le cabotage aux étrangers et surtout aux Hollandais, ces derniers se trouvant à même d’en tirer un profit considérable « à cause de leur grande économie dans l’équipement de leurs flottes qu’ils font naviguer avec dix ou douze hommes pendant que les Français en mettent davantage sur leurs barques, en sorte qu’un Hollandais ferait pour 10 sols par tonneau ce qu’un Français ne pourrait faire pour 15 livres138 ». Bref, en matière de navigation et de commerce, Pont-chartrain se révéla un adversaire déterminé d’Utrecht, multipliant, par exemple, les atermoiements sous divers prétextes pour mieux saboter le projet d’accord commercial franco-britannique puis, une fois l’accord signé, persistant dans la même attitude pour en appliquer les clauses qui, à ses yeux, étaient contraires aux intérêts du royaume. Ce travail de sape n’avait pas échappé à l’envoyé anglais en France Matthew Prior qui, le 18 avril 1713, écrivait au secrétaire d’État William Darmouth :

  • 139 Ibid., p. 556-557.

« Comme je me suis constamment adressé au ministère ici [à Versailles] en relation avec les intérêts de nos marchands, et en conformité avec les ordres de votre Seigneurie, j’ai plus particulièrement, à ce moment crucial de la paix, désiré que M. Pontchartrain finisse de telles opérations et questions de prix et de navires, retardées ici par d’autres voies comme demeurant cependant non décidées139. »

86Prior voulait dire par là que rien n’était résolu en raison du mauvais vouloir de Pontchartrain qui allait d’ailleurs finir par s’avérer payant, bien qu’il n’ait pas réussi à empêcher la conclusion de ce traité de commerce, trop ardemment réclamé par le ministère tory de Bolingbroke. Les exigences et les manœuvres dilatoires sans cesse renouvelées du secrétaire d’État à la Marine constituèrent, en effet, autant d’arguments pour l’opposition whig qui, avec l’appui des grands négociants et armateurs, entraîna la Chambre des communes en 1714 à refuser la ratification du traité.

  • 140 Ibid., p. 456-457.

87L’affaire de l’accord commercial franco-anglais avec ses rebondissements vaut d’être rapprochée de celle des pêcheries de Terre-Neuve, autre grave question non moins conflictuelle où l’obstination de Jérôme de Pontchartrain assura la conservation des droits de pêche et de sécherie à terre sur plus d’un tiers de la côte nord (le « French Shore »). Ces deux cas laissent clairement entrevoir que le secrétaire d’État à la Marine ne se priva pas d’intervenir dans le grand marchandage diplomatique de 1711-1714 et que, de plus, son action pouvait s’avérer des plus efficaces. Cette efficacité tenait à sa connaissance approfondie des dossiers accompagnée d’une tactique de harcèlement épistolaire, à coups de mémoires circonstanciés, visant, par exemple, à imposer ses vues aux trois plénipotentiaires français du Congrès d’Utrecht, malgré leur « petit règlement » interne concocté sur l’inspiration de Torcy. Ces mémoires témoignent d’une méthode de travail chère à Pontchartrain qui, rappelons-le, fut le créateur du dépôt des Archives de la Marine et des Colonies et un grand utilisateur des compétences de Clérembault, premier commis de ce nouveau bureau. On retiendra, à ce propos, le Mémoire sur les colonies, le commerce et la navigation, qu’il prit soin de remettre au maréchal d’Huxelles partant pour le Congrès. Enrichi de cartes, ce mémoire qui traite, entre autres problèmes, du Canada et de ses dépendances, s’attarde notamment sur Terre-Neuve et la baie d’Hudson avec des considérations replaçant la présence française dans la continuité historique. Pour Terre-Neuve, Jérôme de Pontchartrain invoque, à l’appui, des textes tirés de récits anciens, tels ceux de Samuel Champlain ou encore de Marc Lescarbot, l’Hérodote de la Nouvelle-France. La toponymie, elle-même, se trouve mise à contribution. « Ce sont, écrit-il, ceux qui ont donné les noms à tous les ports, havres, baies, caps et autres endroits qui méritaient quelqu’attention ; et c’est le titre le plus authentique qu’on puisse rapporter de la découverte et de la propriété d’un pays. » S’agissant de la baie d’Hudson, Jérôme, qui a veillé à s’armer d’une solide documentation, donne un aperçu suggestif de l’histoire mouvementée de cet établissement lointain, aventuré dans un immense espace trop propice à la traite des fourrures pour ne pas susciter les convoitises des marchands de Londres. Une fois évoquée la prise de possession en 1663, il insiste à dessein sur la trahison de deux « coureurs des bois », Des Groseillers et Radisson, qui facilita la pénétration anglaise au cours des années 1670-1680. S’ensuivit la riposte française avec des raids sur les postes de traite ennemis, notamment ceux de Pierre Lemoyne d’Iberville, le « Cid canadien », puis les négociations de Ryswick en 1697 qui ne tranchèrent rien, faute d’accord entre les deux parties. À ce sujet, le secrétaire d’État rappelle au maréchal d’Huxelles un principe de droit colonial ainsi défini du côté français : « Il faut une possession continue et un commerce non interrompu dans un pays pour être en droit d’en prétendre et d’en contester la propriété. » En conséquence, la revendication de la partie adverse s’avère sans fondement puisque, ajoute-t-il, « une usurpation violente faite en pleine paix contre le droit des gens et par la perfidie de deux traîtres ne peut servir de titre aux Anglais140 ».

88Sachant donc mêler les arguments juridiques et moraux aux références historiques tirées des pièces d’archives ou d’ouvrages imprimés, Jérôme de Pontchartrain déployait des trésors d’ingéniosité pour faire valoir les droits du Roi sur ces deux dépendances excentrées de la Nouvelle-France, dont pourtant l’abandon faisait partie des concessions prévues pour parvenir à un règlement de paix. C’était en quelque sorte un combat d’arrière-garde, mais non pas un combat inutile. Il s’agissait, dans l’esprit du secrétaire d’État, de mettre les plénipotentiaires français en mesure de disputer le terrain, pouce par pouce, de manière à focaliser le plus longtemps possible l’attention et les efforts de leurs interlocuteurs anglais sur des secteurs sacrifiés à l’avance. Et toute cette action retardatrice répondait elle-même à un objectif précis de Pontchartrain qui était de sauvegarder les chances de pouvoir procéder rapidement à une politique de reconversion et de relance de l’activité maritime et coloniale. Une politique qu’en réalité, il avait impulsée dès 1712, sans attendre les résultats des négociations d’Utrecht, et qu’il allait poursuivre énergiquement jusqu’en 1715. Aussi, dans la carrière du « ministre de la Mer », cette brève période mérite-t-elle une attention privilégiée. Manifestement, en effet, Jérôme de Pontchartrain, sûr de l’appui de Louis XIV, a alors les coudées franches pour mener à bien son entreprise, ce qui n’ira pas sans de fortes tensions entre Versailles et Londres. Puis survint la mort du vieux Roi qui signifiait le renoncement à l’ambitieux projet du secrétaire d’État à la Marine, puisqu’avec la Régence priorité était désormais donnée à la consolidation de la paix par le moyen de l’entente franco-britannique, quitte à s’effacer complètement devant la Grande-Bretagne dans la compétition pour la suprématie navale. La chute de Jérôme de Pontchartrain suivit ainsi de peu le temps où il avait atteint l’apogée de sa puissance ministérielle qui peut être situé aux lendemains d’Utrecht, comme on le verra au chapitre suivant.

Notes

1 Achille Du Guest d’Artigny, un lieutenant de vaisseau, avait été nommé en 1697 lieutenant du roi à Saint-Domingue. Il mourut à Léogane le 10 décembre 1698.

2 AN, Colonies, C 9A, recueil 4, de Léogane, le 13 janvier 1699, lettre de Ducasse à Jérôme de Pontchartrain.

3 Cf. Mémoires de Robert Challe, Paris, Plon, 1931, 301 p., p. 175.

4 Expression de Robert Challe qui, étant alors écrivain principal de la Marine, fut témoin de la « fureur » de Tourville à la lecture du billet de Pontchartrain père.

5 Archives de la Marine à Brest, Lettres de la Cour, 1E 28, 1694, t. 2, f° 10.

6 Archives de la Marine à Brest, Lettres de la Cour, 1E 28, 1694, t. 2, f° 306.

7 Archives de la Marine à Brest, Lettres de la Cour, 1E 28, 1694, t. 2, f° 199.

8 « Monsieur Phélypeaux » : première dénomination de Jérôme.

9 « Le Roi vous a accordé les 15 000 livres qui lui sont dus par la succession du feu sieur de Champy votre oncle. J’ai été bien aise de vous procurer cette grâce et vous pouvez compter qu’en continuant de bien servir, vous me trouverez toujours disposé à vous faire plaisir » (Archives de la Marine à Brest, Lettres de la Cour, 1 E 28, 1694, t. 2, f° 255, lettre de Louis de Pontchartrain à Desclouzeaux, datée de Versailles, le 11 septembre 1694).

10 Marguerite Vinet, fille de Marguerite de Champy, sœur de Desclouzeaux.

11 Abraham Dusquesne-Guiton (1650-1724), petit-fils par sa mère, Suzanne Guiton, du maire huguenot de La Rochelle Jean Guiton, sera gouverneur général des Îles-du-Vent de 1714 à 1717 et nommé lieutenant général des armées navales « ad honores » en 1720.

12 Archives de la Marine à Brest, 1E 28 à 41, Lettres de la Cour, 1 E 438 et suivantes, réponses aux lettres de la Cour.

13 Archives de la Marine à Brest, 1E 41, f° 147-150.

14 Archives de la Marine à Brest, 1E 41, f° 151-152.

15 Archives de la Marine à Brest, 1E 41, f° 165-165 v°.

16 Archives de la Marine à Brest, 1E 41, f° 159-163.

17 Jérôme est d’abord appelé « Monsieur Phélypeaux », puis à partir de 1696, « Monsieur de Maurepas » ou « le comte de Maurepas », enfin, à partir de 1699, « Monsieur de Pontchartrain » ou « le comte de Pontchartrain ». Il signe successivement « Phélypeaux », « Maurepas », et « Pontchartrain », au bas de ses correspondances.

18 Archives de la Marine à Brest, 1E 41, f° 175, lettre écrite de Fontainebleau.

19 Archives de la Marine à Brest, 1E 41, f° 153-157 v°, lettre écrite de Versailles.

20 « Monsieur de Léon » : l’évêque du diocèse de Léon en Basse Bretagne.

21 Archives de la Marine à Brest, 1 E 41, f° 176 et suivantes, lettre écrite de Fontainebleau. Le même jour, 15 septembre, Jérôme adresse deux lettres à Desclouzeaux.

22 Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 3, p. 1003-1005.

23 Jean-François-Paul Lefèvre de Caumartin, frère consanguin de l’intendant des Finances Urbain-Louis Lefèvre de Caumartin qui avait épousé une Quentin de Richebourg, cousine germaine de la chancelière Pontchartrain.

24 Le nombre des membres de l’Académie des Inscriptions avait été porté de huit à quarante par l’ordonnance du 16 juillet 1701.

25 Depping, t. IV, p. 634-635.

26 AN, Col., série B, registre 37, f° 204.

27 Charles Le Normant : grand-père de Charles-Guillaume le Normant d’Étiolles marié à Jeanne-Antoinette Poisson, favorite de Louis XV (la marquise de Pompadour).

28 Berthelot de Montchesne : frère d’Agnès Berthelot, marquise de Prie, maîtresse du duc de Bourbon, principal ministre de 1723 à 1726.

29 Mémoires de Robert Challe, op. cit., p. 196.

30 Ibid., p. 197.

31 Titre exact : « Intendant de la Marine, ayant inspection générale sur les classes des officiers mariniers et matelots du royaume ».

32 Pour cette affaire de pillage de prises, voir le numéro spécial de la Revue d’histoire littéraire de la France consacré à Robert Challe, nov-déc. 1979, 79e année, n° 6, p. 940-946.

33 Lettre du 15 février 1691 citée dans Yvonne Bezard, Fonctionnaires maritimes et coloniaux sous Louis XIV. Les Bégon, Paris, Albin Michel, 1932, 330 p., p. 231.

34 D. Dessert, La Royale…, p. 26.

35 Ibid., p. 297.

36 Pour la carrière de Michel Bégon de Montfermeil, voir Yvonne Bezard, Fonctionnaires maritimes et coloniaux sous Louis XIV, op. cit., p. 220-259 ; D. Dessert, Argent, pouvoir et société…, op. cit., p. 530, notice biographie ; D. Dessert, La Royale…, op. cit., p. 65-66.

37 Claude de Beauharnais de Beaumont (†1738) est le père de François, marquis de la Ferté-Beauharnais, gouverneur général des Îles-de-Vent (1756-1764), et le grand-père du général Alexandre de Beauharnais, guillotiné en 1794, premier époux de Joséphine Tascher de La Pagerie remariée en 1796 au général Napoléon Bonaparte.

38 Cf. Maurice Filion, La pensée et l’action coloniale de Maurepas vis-à-vis du Canada, 1723-1749, Ottawa, éd. Leméac, 1972, 460 p., p. 260-261.

39 Au Canada, l’extrême rareté du numéraire en période de guerre avait entraîné l’utilisation de « la monnaie de cartes », c’est-à-dire de « cartes à jouer » signées du gouverneur et prenant valeur monétaire. En 1717, la monnaie de cartes fut supprimée, échangée contre de la monnaie française, en perdant la moitié de sa valeur. « Bégon, qui avait promis d’acquitter certaines lettres de change en monnaie de cartes, fut obligé de payer deux fois plus qu’il ne s’y attendait et de combler la différence à l’aide de sa fortune personnelle » (cf. Yvonne Bezard, Fonctionnaires maritimes et coloniaux sous Louis XIV, op. cit., p. 312).

40 AN, Col., B 34, f° 374, le 28 juin 1712, Bégon rejoindra le Canada au mois d’octobre 1712.

41 Ce prélat finit mal, démis de son évêché et renfermé dans un monastère pour « ses désordres éclatants et persévérants » (Saint-Simon, Pléiade, t. 4, p. 173-174).

42 AN, Col., B 37, f° 134, le 17 juillet 1715, lettre de Jérôme de Pontchartrain à l’abbé Bégon.

43 AN, Col., B 34, f° 374, le 28 juin 1712, B 35, f° 338, le 4 juillet 1713, B 36, f° 190, le 17 mai 1714.

44 AN, Col., B 32, f° 310, le 10 mai 1710, lettre au sujet de la nomination de Raudot fils à l’intendance générale des classes du royaume à la place de M. de Beauharnais.

45 AN, Col., B 28, f° 271.

46 AN, Col., B 30, f°101 ; B 31, f°408 ; B 31, f°441.

47 AN, Col., B 38, f° 397, le 12 juillet 1711, f° 410 v°, le 3 août 1716, f° 411 v°, le 19 août 1711 ; B 34, f° 268, le 2 janvier 1712, f° 270, le 31 janvier 1712.

48 AN, Col., B 35, f° 337, le 4 juillet 1713, lettre de Jérôme de Pontchartrain au marquis de Vaudreuil pour le féliciter du choix qui a été fait par le Roi de Mme de Vaudreuil comme sous-gouvernante des enfants du duc de Berry. Voir aussi Saint-Simon, Pléiade, t. 4, p. 100-102.

49 AN, Col., B 33, f° 235 v°, le 16 janvier 1711, lettre de Jérôme de Pontchartrain à M. de Beauharnais au sujet du projet déposé par Mme de Vaudreuil pour la reprise de l’Acadie, et de la mise au point d’un plan qui permettrait de récupérer cette colonie.

50 Au lieu d’entrer dans les ordres, Philippe-Antoine, baron de Vaudreuil, fera une carrière militaire et se fera tuer au siège de Prague en 1742.

51 AN, Col., B 34, f° 318 v°, le 18 juin 1712, lettre de Jérôme de Pontchartrain à Mme de Vaudreuil ; B 35, f° 337, le 4 juillet 1713, lettre au marquis de Vaudreuil ; f° 338, le 4 juillet 1713, lettre à Louis-Philippe de Vaudreuil ; B 29, f°390, le 6juin 1708, lettre à Mme de Vaudreuil ; f°370, le 6juin 1708, lettre au père de La Chaize ; B 32, f° 508, le 22 décembre 1710, lettre à Mme de Vaudreuil et lettre au père Le Tellier.

52 AN, Col., B 30, f° 209-213, lettre du 30 octobre 1709 ; B 37, f° 45 v°, lettre du 10 mars 1715.

53 AN, Col., B 35, f° 340 v°, lettre du 8 juillet 1713.

54 Né en 1643, Vaudreuil passe au Canada à 15 ans, en 1658, comme cadet. Capitaine en 1689, il exerce cette même année l’intérim du commandement de la Colonie en l’absence de Callières et de Frontenac. Gouverneur de Montréal en 1699, il est nommé gouverneur général par intérim en 1703, puis en titre en 1705.

55 Cf. Yvonne Bezard, Fonctionnaires maritimes et coloniaux…, op. cit., p. 313-314.

56 Antoine Laumet de la Motte-Cadillac (1658-1730), passé au Canada dès 1683, fondateur de Fort Pontchartrain à Détroit en 1701, futur gouverneur de la Louisiane (1710-1716).

57 AN, Col., B 27, f° 296 v°, le 23 juin 1706 ; B 30, f° 159, le 6 juillet 1709.

58 AN, Col., B 27, f° 287, le 9 juin 1706, lettre à René-Louis Chartier de Lobtinière, conseiller au Conseil supérieur de Québec ; B 29, f° 109 v°, le 30 juin 1707, lettre à Mme de Vaudreuil.

59 AN, Col., B 27, f° 282.

60 AN, Col., B 27, f° 284 v°.

61 AN, Col., B 32, f° 315 v°, lettre du 10 mai 1710 ; B 33, f° 293, lettre du 6 juillet 1711. Cet Eustache Chartier de Lobtinière entrera dans les ordres en 1726 après avoir été garde des Sceaux du Conseil supérieur de Québec. Archidiacre, doyen du chapitre de Québec, il meurt dans cette ville en 1740.

62 Saint-Simon, Mémoires, éd. Boislisle, t. 9, p. 147, note 5.

63 Rapports inédits du lieutenant de police René d’Argenson (1697-1715), Paris, Plon, 1891, 418 p., introduction, notes et index par Paul Cottin. On y remarquera le ton sec des apostilles de Jérôme de Pontchartrain en marge de ces rapports.

64 Cf. Arlette Lebigre, « La naissance de la police en France », L’Histoire, n° 8, janvier 1979, p. 5-12.

65 Depping, t. 2, p. 736, lettre du 19 décembre 1700.

66 Depping, t. 2, p. 745, lettre du 29 octobre 1702.

67 Cf. Arlette Lebigre, loc. cit.

68 Depping, t. 2, p. 745, lettre du 29 octobre 1702.

69 AN, O1, reg. 364, lettre du 28 octobre 1703.

70 Louis de Melun, marquis de Maupertuis, officier général, commandant en chef des compagnies de mousquetaires.

71 AN, O1, reg. 362, lettre du 9 février 1701.

72 Lettre citée dans Jacques Saint-Germain, La vie quotidienne en France à la fin du Grand Siècle, Paris, Hachette, 1965, 320 p., p. 105-106.

73 Depping, t. 2, p. 745, lettre du 29 octobre 1702.

74 AN, O1, reg. 362, lettre du 18 février 1701 à d’Argenson.

75 AN, O1, reg. 362, lettre du 18 février 1701 au procureur général du Parlement.

76 AN, 257 AP 2, dossier 4.

77 Cf. Boislisle, Correspondance des contrôleurs généraux, t. 2, 1699-1709, appendice n° 1 : « Partage des attributions du commerce et des manufactures entre le secrétaire d’État à la Marine et le contrôleur général des Finances », p. 463-471.

78 Cf. J. Rambert, Histoire du commerce de Marseille, t. IV, Paris, 1954, 682 p., p. 271-272 ; J. Ricommard, « Les résistances régionales et locales à l’administration royale de la fin du règne de Louis XIV. L’exemple de la Provence et de Marseille », L’Information historique, 1966, n° 2, 3, 4, p. 64-68, 152-154, 193-199.

79 Cf. M. Quenet, « Un exemple de consultation dans l’administration monarchique au xviiie siècle. Les Nantais et leurs députés au Conseil de Commerce », Annales de Bretagne, 1978, t. 85, p. 449-485, p. 451.

80 Minute de la réponse de Chamillart écrite en marge de la lettre de Descazeaux du 30 avril 1703 (Boislisle, Correspondance des contrôleurs généraux, t. 2, p. 128).

81 Cf. Boislisle, Correspondance des Contrôleurs Généraux, t. 2, p. 128, lettre de Descazeaux à Chamillart du 1er novembre 1700.

82 Depping, t. 2, p. 743, lettre du 9 juin 1702.

83 AN, O1, reg. 362, lettre du 23 février 1701.

84 AN, O1, reg. 362, lettre du 2 février 1701.

85 Voir, par exemple, AN, O1, reg. 362, lettre du 10 janvier 1701 à propos des domestiques de l’ambassade d’Angleterre ; lettre du 19 février 1701 à propos d’un cocher de l’ambassade de Venise ; lettre du 18 février 1701, à propos des domestiques de l’ambassadeur de Savoie.

86 AN, O1, reg. 362, lettre du 3 mars 1701.

87 Le 25 octobre 1703, Victor-Amédée signait à Turin avec les représentants de l’Empereur un traité consacrant la défection de la Savoie et son entrée en guère aux côtés des Alliés.

88 Depping, t. 2, p. 835.

89 Anne Stuart, reine de Grande-Bretagne, mourut le 2 août 1714, laissant le trône à son cousin George Ier, Électeur de Hanovre.

90 AN, sous-série B7 (pays étrangers, commerce, consulat), reg. 23, f° 267-268, le 11 juillet 1714, lettre du sr Rochefort, commissaire de la Marine à Hambourg, à Jérôme de Pontchartrain.

91 Huguetan était veuf depuis 1703 de sa première femme Suzanne Testas.

92 Pour les multiples intrigues et la carrière mouvementée de Jean-Henri Huguetan, voir notamment Claude-Frédéric Lévy, Capitalistes et pouvoirs au siècle des Lumières, op. cit., t. 1, p. 201-213, 221, 229, 235 ; t. 2, p. 164-186, 192-193 ; t. 3, p. 349-353.

93 Cf. C.-F. Lévy, op. cit., t. 2, p. 171-172.

94 AN, Marine, B7, reg. 23, f° 267-268, lettre du 11 juillet 1714.

95 Pour l’abbé de La Bourlie, voir Saint-Simon, Pléiade, t. 2, p. 338-339, 631 et 1080 ; L. Bély, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Paris, Fayard, 1990, 906 p., p. 104 et 205.

96 « Vienne » : il s’agit de la seigneurie de Vianen, au sud d’Utrecht, enclave étrangère dépendant de la principauté allemande Lippe-Detmold et qui avait la réputation d’être « l’asile sacré » des banqueroutiers. Coïncidence troublante, Huguetan, en 1710, s’était rendu acquéreur de la charge de bailli de cette seigneurie, ce qui lui valait de bénéficier d’une double immunité en raison de cette charge et de sa localisation.

97 Cf. L. Bély, Espions et ambassadeurs…, op. cit., p. 205, 281-282 ; Voir aussi AN, Marine, B7, reg. 18, f° 278 v°, et reg. 19, f° 19, lettres du 15 juin 1713 et du 3 juillet 1713, de Sossiondo. Lambert Gasparini, ancien secrétaire du 1er président du parlement de Dombes, avait été chassé, pour malversation, par le duc du Maine qui, depuis 1693, régnait sur la principauté de Dombes, sous le patronage tutélaire du roi de France.

98 Lettre du 14 décembre 1712, citée dans L. Bély, Espions et ambassadeurs…, p. 355.

99 « La reine d’Angleterre » : Marie d’Este, veuve de Jacques II Stuart et mère du « Prétendant ».

100 Montesquieu, Œuvres complètes, Pléiade, Spicilège, t. 2, p. 1424.

101 Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 2, p. 983.

102 Mémoires secrets sur l’établissement de la maison de Bourbon en Espagne. Extraits de la correspondance du marquis de Louville, gentilhomme de la Chambre de Philippe V et chef de sa maison française, Paris, 1818, 2 vol., t. 1, p. 174.

103 Mémoires secrets…, op. cit., t. 1, p. 49.

104 Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 2, p. 13.

105 Le comte de Marsin, remplaçant du duc d’Harcourt tombé malade.

106 Mémoires secrets…, op. cit., t. 1, p. 167.

107 Au retour de la campagne d’Italie de 1702 menée par Vendôme, campagne à laquelle avait assisté Philippe V avec Louville à ses côtés.

108 Mémoires secrets…, op. cit., t. 2, p. 34-35, lettre du 24 mars 1703.

109 AN, Col., B 24, f° 208 v°.

110 AN, Col., B 24, f° 213.

111 À partir des années 1630, les flibustiers et boucaniers de l’île de la Tortue s’étaient progressivement implantés dans la partie occidentale de l’île de Saint-Domingue, île d’abord entièrement occupée par les Espagnols et appelée Hispaniola. Cette implantation donna naissance au cours des années 1660 à un établissement placé sous contrôle français, « l’Isle de la Tortue et Coste Saint-Domingue », non reconnu par l’Espagne. Il en résulta d’âpres combats qui trouvèrent leur terme avec la paix de Ryswick où la grande île se trouva officiellement partagée entre la France et l’Espagne. L’établissement de la « Tortue et Coste Saint-Domingue » prit alors le nom de « Partie française de Saint-Domingue », tandis que la partie orientale, restée espagnole, sera communément appelée « Santo-Domingo », du nom de la capitale de cette partie orientale.

112 AN, Col., B 24, f° 247 v°.

113 Cf. Henry Karneu, The War of Succession in Spain, 1700-1715, London, Weidenfeld Nicolson, 1969, 436 p., p. 45.

114 Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 2, p. 307.

115 Cf. C.-F. Lévy, Capitalistes et Pouvoirs au siècle des Lumières, t. 1, p. 170.

116 AN, Col., B 28, f° 315 et f° 352.

117 AN, Col., B 21, f° 415.

118 AN, Col., B 21, f° 557 v°, lettre du 31 mars 1700.

119 AN, Col., B 21, f°431, le 20 octobre 1699 ; f°452, le 25 novembre 1699 ; f° 460, le 15 décembre 1699 ; f° 467, le 23 décembre 1699 ; f° 473, le 6 janvier 1700 ; f° 520 v°, le 20 janvier 1700.

120 Encore en 1743, quatre îles parmi les plus disputées des Antilles, Sainte-Lucie (30 km au sud de la Martinique), Saint-Vincent, la Dominique et Tobago, avaient été à nouveau déclarées neutres et vouées au peuplement caraïbe pour mettre fin aux contestations entre les puissances européennes (cf. J.-C. Narden, La mise en valeur de l’île de Tobago, 1763-1783, Paris-La Haye, Mouton, 1969, 352 p., p. 61-62).

121 AN, Col., B 21, f° 423, lettre du 7 octobre 1699 ; f° 531, lettre du 3 février 1700.

122 AN, Col., B 21, f° 548.

123 AN, Col., B 21, f° 549 v°.

124 AN, Col., B 21, f° 551 v°.

125 AN, Col., B 21, f° 589, f° 592 v°, et f° 598.

126 AN, Col., B 22, f° 136.

127 AN, Col., B 24, f° 300 v°, le 20 octobre 1701, lettre au conseiller d’État Amelot (membre du Conseil de Commerce) au sujet de négociations menées par Daubenton sur les limites des parties française et espagnole de Saint-Domingue.

128 Au mois de février 1973, l’abbé de Polignac sera rappelé au Congrès pour être élevé à la pourpre cardinalice.

129 Lettre citée dans Lucien Bély, Espions et ambassadeurs…, op. cit., p. 589-590.

130 AN, Col., B 24, f° 240 v°, le 28 octobre 1701, lettre de Jérôme de Pontchartrain au sr. Mesnager, et lettre du même jour à Samuel Bernard au sujet de l’entrée de Mesnager à la Compagnie de l’Asiento.

131 Cf. C.-F. Lévy, Capitalistes et pouvoirs au siècle des Lumières…, op. cit., t. 2, p. 79, note 11.

132 Ibid., t. 1, p. 267.

133 C’est-à-dire que la négociation « sera entièrement renvoyée » à Mesnager par le maréchal d’Huxelle et l’abbé de Polignac, les deux autres plénipotentiaires français au Congrès.

134 Pour les relations privilégiées entre Torcy et Mesnager au moment des négociations d’Utrecht, voir notamment L. Bély, Espions et ambassadeurs…, op. cit., p. 589-590.

135 Ibid., p. 415-416, lettre citée et commentée.

136 Cf. Recueil des institutions aux ambassadeurs et ministres de France, XXV-2, Angleterre, t. 3 (1698-1791), par Paul Vaucher, Paris, CNRS, 1965, 581 p., p. 96.

137 « Mémoire pour MM. les plénipotentiaires du Roi à Utrecht, de ce qui a été observé sur quelques articles du projet de commerce proposé par l’Angleterre, et sur les remarques qu’ils y ont faites » (cité dans L. Bély op. cit., p. 556).

138 Ibid., p. 556.

139 Ibid., p. 556-557.

140 Ibid., p. 456-457.

© Presses universitaires de Rennes, 2006

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