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Les Pontchartrain, ministres de Louis XIV

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Charles Frostin

Chapitre IV. Une nouvelle assise régionale du réseau : la Bretagne

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 AN, Col., B 31, f° 495, lettre de Jérôme de Pontchartrain à M. Phélypeaux, du 31 juillet 1709, au (...)
  • 2 Cf. C.-F. Lévy, Capitalistes et pouvoir…, op. cit., t. 2, p. 105, note 63 ; D. Dessert, Argent, po (...)
  • 3 Cf. D. Dessert, Argent…, p. 402 (tableau n° 4), p. 599-600 (notice Guihou), p. 598-599 (notice Che (...)

1Parmi les figures représentatives du groupe breton qui évoluait dans le sillage de Paul Poisson de Bourvalais, apparaît, en bonne place, un personnage maintes fois évoqué au cours du chapitre précédent : Jean-Bonaventure Lelay de Villemaré. Pris très tôt sous la protection de Louis de Pontchartrain, alors premier président, Villemaré devait le rester par la suite, bénéficiant, jusqu’à la fin du règne, non seulement de la sollicitude du chancelier, mais aussi de celle de Jérôme de Pont-chartrain, secrétaire d’État à la Marine. Ainsi, en 1709, Jérôme s’arrangea pour faire employer l’un des jeunes neveux de Villemaré au service de Raymond-Balthazar Phélypeaux du Verger, nouvellement nommé gouverneur général des Îles d’Amérique1. De son côté, le chancelier, qui, en 1710, on l’a vu, avait aidé Villemaré à acheter une charge de conseiller au parlement de Paris pour son fils Germain Lelay, honorera, l’année suivante, le même Villemaré d’une marque de confiance particulière en lui concédant, par bail du 27 novembre 1711, la ferme des revenus du comté de Pontchartrain, conjointement avec l’omniprésent Paul Poisson de Bourvalais, principal associé2. Peu auparavant, de 1703 à 1709, Bourvalais s’était déjà adjoint Villemaré dans un autre bail concernant la ferme des terres du prince de Condé en Berry, en même temps qu’il le faisait participer à une vingtaine d’ » affaires extraordinaires » entre 1699 et 1710, chiffre témoignant d’une importante activité comme traitant durant une période relativement courte. À l’origine de cette collaboration, il y eut probablement la recommandation de Pontchartrain pour inciter Bourvalais à prendre Villemaré avec lui, puis à le lancer dans une double carrière de traitant et d’administrateur de biens fonciers. En tout cas, les deux financiers semblent avoir été très proches l’un de l’autre, comme le suggère la composition de l’association qui, en 1703, prit à ferme l’exploitation des terres berrichonnes du prince de Condé. Dans cette société réunissant quatre fermiers figurent, en effet, aux côtés de Bourvalais et de Villemaré, un beau-frère et un neveu de Bourvalais, Charles Guihou de Marcois, secrétaire du Roi en la chancellerie près le Parlement de Bretagne, traitant très actif entre 1696 et 1713 avec trente-neuf « affaires extraordinaires », et François Chendret du Bouchoir, lui aussi traitant d’une certaine envergure, avec une vingtaine d’affaires entre 1697 et 17103. Cet exemple reflète de manière significative le souci de Bourvalais d’intégrer Villemaré dans le réseau familial qui concourait au succès de ses activités économiques et financières. En même temps, par-delà l’association Bourvalais-Villemaré, et grâce à l’évocation du nom de Charles Guihou, il ouvre de nouvelles perspectives sur le réseau de relations que Pontchartrain s’était créé en Bretagne.

  • 4 Voir la liste des financiers taxés dressée par D. Dessert, Argent…, annexe n° 6, p. 489-500.

2Aspect caractéristique des poursuites engagées contre les financiers au début de la Régence, Bourvalais, Villemaré, Guihou de Marcois et Chendret du Bouchoir se virent tous taxés par la Chambre de justice de 1716, soit, respectivement, à 4 466 000 L., 420 000 L., 304 000 L. et 494 000 L. Il en alla de même pour les autres fermiers et hommes d’affaires de Louis de Pontchartrain déjà mentionnés plus haut : Urbain Aubert de Tourny, taxé à 1 200 000 L., François Boutet de Guignonville, à 300 000 L., et Jean Thévenin l’aîné, ou plus exactement sa succession (il meurt en 1708), à 385 000 L. Rappelons que, pour sa part, Claude Miotte, le fermier de Caumartin et l’un des financiers féaux de Pontchartrain, fut condamné à 1 500 000 L.4. Cette série de taxes frappant un groupe précis de traitants, en même temps administrateurs des biens de leur patron, laisse penser que la Chambre de justice, à défaut de pouvoir impliquer le Chancelier, se rabattit sur sa clientèle rapprochée, c’est-à-dire les financiers connus pour lui être étroitement liés non seulement dans le domaine des affaires, mais aussi dans celui de la vie privée. Le caractère personnel de ces relations s’observe, en particulier, à l’occasion des mariages – et ils sont nombreux – conclus sous les auspices de Louis de Pontchartrain. Pratiquant une politique matrimoniale qui débordait largement le cadre de sa propre parenté, celui-ci, en effet, s’intéressait de près aux alliances de ses protégés et amis, avec le souci de promouvoir des unions susceptibles de renforcer la cohésion et l’efficacité de son réseau d’influence.

  • 5 Saint-Simon, Pléiade, t. 4, p. 604.
  • 6 Pour la dot d’Anne-Marguerite de Saint-Amans, voir la Correspondance de Mme de Sévigné, Pléiade, é (...)
  • 7 Saint-Simon, Pléiade, t. 2, p. 395.

3L’un des exemples significatifs de cette politique matrimoniale est fourni, précisément, par le mariage qu’au mois de décembre 1688, Pontchartrain arrangea entre Bourvalais et Suzanne Guihou, la sœur de Charles Guihou de Marcois. Le nom de ce Charles Guihou servira ici de fil conducteur, un fil qui mène de la tribu financière Guihou-Bourvalais-Chendret à la famille de Mme de Sévigné. Charles était l’oncle de Louise-Thérèse Guihou, mariée à François Chendret du Bouchoir, et d’Antoine de Boislarcher, commissaire des guerres, frère de Louise-Thérèse. Celle-ci deviendra la légataire universelle de Bourvalais, son oncle par alliance, mort sans postérité en 1718. De son côté, Boislarcher fera une carrière de traitant, mais de seconde zone, dans le sillage de Chendret, son beau-frère. Enfin, une autre nièce de Charles Guihou, Marie-Suzanne Guihou (morte en 1717), sortira du milieu financier pour s’allier à une famille provençale de noblesse ancienne, en épousant Nicolas-François, comte de Simiane (1669-1741), premier écuyer de Madame, duchesse d’Orléans, et brigadier des armées du Roi en 1706. Par cette union, Marie-Suzanne Guihou devenait la belle-sœur de la petite-fille de Mme de Sévigné, Pauline de Grignan, mariée au frère de Nicolas-François, Louis, marquis de Simiane (1671-1718), premier gentilhomme de la Chambre du duc d’Orléans, qui, à la mort de son beau-père, François Adhémar de Monteil, comte de Grignan (31 décembre 1714), lui succédera comme lieutenant général du Roi en Provence. Les Simiane étaient peu fortunés ; d’autre part, le comte de Grignan, malgré ses hautes fonctions, et sa femme Françoise de Sévigné, fille et correspondante assidue de Mme de Sévigné, avaient toujours vécu accablés de dettes. Aussi le mariage d’inclination de leur fille Pauline, célébré le 29 novembre 1695, fruit d’un « amour réciproque5 », n’était-il nullement fait pour redresser une situation des plus alarmantes. Cette situation explique le mariage, au début de la même année 1695, le 2 janvier, du frère de Pauline, Louis-Provence, marquis de Grignan (1661-1704), avec Anne-Marguerite de Saint-Amans, fille du financier Arnaud de Saint-Amans (mort en 1707), la dot d’Anne-Marguerite s’élevant à 400 000 livres, somme vite engloutie dans le remboursement des dettes du comte de Grignan6. L’alliance fit beaucoup jaser, Louis-Provence étant de famille très noble et très ancienne, tandis que sa femme descendait d’une famille marchande de Montpellier, d’anoblissement tout récent, en 1681, par l’achat d’une charge de secrétaire du Roi. Selon Saint-Simon, Mme de Grignan, la mère du marié, se serait excusée, devant la bonne société, d’une telle mésalliance, en disant « qu’il fallait bien de temps en temps du fumier sur les meilleures terres7 » ; Ce « bon mot » resté fameux, si impertinent envers la belle-fille, n’a peut-être jamais été prononcé. Il n’en correspond pas moins aux propos cyniques tenus par le cousin germain de Mme de Sévigné, Philippe-Emmanuel de Coulanges, dans une lettre à Mme de Grignan, datée du 28 juin 1694, au moment où commençait à s’ébruiter le projet de mariage du dernier rejeton de l’illustre maison de Grignan avec une Saint-Amans.

  • 8 Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, lettre citée en note par R. Duchêne, p. 1637-1639.

« Faites, faites votre mariage, écrit Coulanges, vous avez raison, et le public a tort et très grand tort… Faites-vous donner une si bonne et grosse somme en argent comptant que vous vous mettiez à votre aise ; un gros mariage justifiera votre procédé. Tirez, comme je vous le dis, le plus d’argent comptant que vous pourrez, car voilà la précaution qu’il faut prendre en pareil cas. Le public dit, et il n’a pas tort, qu’il ne faut jamais compter avec les financiers sur les biens à venir, et le public est persuadé, et il a raison encore, que, la paix faite, on les pressera tant qu’on en ruinera beaucoup. Prenez donc bien toutes vos mesures, et consolez-vous d’une mésalliance et par le doux repos de n’avoir plus de créanciers dans le séjour de beaux, grands et magnifiques châteaux qui ne doivent rien à personne, et par la satisfaction de donner quelquefois dans le superflu, qui me paraît le plus grand bonheur de la vie8. »

  • 9 Philippe-Emmanuel de Coulanges était le fils de Philippe II de Coulanges (†1659), trésorier de Fra (...)
  • 10 Catherine de Saint-Amans, née en 1676, qui épousera Arnoul Garnier de Salins, lieutenant de vaisse (...)
  • 11 11. Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, p. 1073-1074.

4Ce témoignage de Coulanges, qui était lui-même fils d’un trésorier de France, et petit-fils d’un fermier des Gabelles9, apparaît prémonitoire, quant à la précarité de la fortune des financiers, comme le prouveront bientôt la recherche entreprise en 1700 sur leurs bénéfices de guerre, et surtout la grande vague de poursuites déclenchée par la Chambre de justice de 1716. Il n’apporte cependant guère d’éclaircissements sur la manière dont fut concocté le mariage de Louis-Provence, sinon un certain reflet de l’âpreté, habitude du milieu nobiliaire en matière de politique matrimoniale. Par contre, une lettre, très précise, de Mme de Sévigné, datée du mois de décembre 1694, adressée à la comtesse de Guitaut, née Verthamon et apparentée aux Phélypeaux, fournit de précieuses indications qui révèlent les dessous de l’affaire. La lettre est écrite du château de Grignan, peu après la signature du contrat de mariage qui eut lieu à Paris, le 18 novembre 1694. On y apprend qu’il était question du mariage depuis « près d’un an », que le père de la future, le fermier général Saint-Amans, un homme « fort riche », avait eu « une commission à Marseille pour les vivres », et que la dot s’élevait à « quatre cent mille francs comptant », en attendant « beaucoup plus dans l’avenir », car Saint-Amans n’avait « qu’une autre fille10 ». Expliquant « qu’un tel parti serait bon pour soutenir les grandeurs de la maison [de Grignan], qui n’est pas sans dettes », la marquise ajoute : « M. de Pontchartrain est entré dans cette affaire avec beaucoup d’amitié. » Enfin, avant de terminer, et encore plus explicite, elle tient à préciser que l’initiative en revient à « M. de Montmor, qui a commencé toute cette affaire11 ». Ces quelques renseignements, fournis en peu de lignes, sont comme autant d’éléments qui permettent de reconstituer un puzzle. « M. de Montmor », Jean-Louis de Fargis de Habert de Montmor (1648-1720), intendant général des Galères à Marseille de 1688 à 1710, puis intendant des armées navales, était cousin de Louis de Pontchartrain par sa mère, Marie-Henriette de Buade de Frontenac (morte en 1676), mariée en 1637 à Henri-Louis Habert de Montmor (v. 1604-1679), maître des requêtes en 1632. Marie-Henriette était, en effet, la fille d’Henri de Buade, baron de Frontenac, officier du régiment de Navarre, et d’Anne Phélypeaux (1595-1633), elle-même fille aînée du secrétaire d’État Raymond d’Herbault-La Vrillière, frère de Paul de Pontchartrain.

  • 12 Charles Pons de Lauzières, marquis de Thémines, fils du maréchal de Thémines, avait tué en duel, e (...)
  • 13 Cf. Françoise Bayard, Le monde des financiers au début du XVIIe siècle…, op. cit., p. 416.
  • 14 C’était un remariage. Veuve en 1690 de Louis Fauste de Brichanteau, marquis de Nangis, Marie-Henri (...)

5Quoique relativement éloignée, cette parenté ne saurait être négligée, les Montmor formant une famille très influente avec qui les Phélypeaux veillèrent à rester toujours en relations suivies. Henri-Louis, le gendre d’Anne Phélypeaux, célèbre polygraphe, à la fois poète, érudit et savant, membre de l’Académie française dès sa fondation en 1634, figurait parmi les fidèles de Richelieu. Animateur d’un cercle qui fut la matrice de l’Académie des sciences, créée en 1666, et jouant un rôle de mécène grâce à sa grosse fortune héritée d’un père publicain, il devait rester, jusque dans les années 1660, l’un des principaux artisans de la vie intellectuelle à Paris. Mais surtout les Montmor se trouvaient étroitement apparentés à la puissante maison ducale d’Estrées. L’une des sœurs d’Henri-Louis, Anne Habert, veuve en 1622 du marquis de Thémines12, s’était remariée en 1634 à François-Annibal d’Estrées, maréchal de France en 1626, duc et pair en 1645, veuf, lui-même, de Marie de Béthune, nièce de Sully. Ce grand personnage, frère de Gabrièle d’Estrées, la maîtresse d’Henri IV, et mort en 1670 à l’âge de 98 ans, avait eu, de sa première union, trois fils : François-Annibal, marquis de Cœuvres (1623-1687), Jean, comte d’Estrées (1624-1707), et César, cardinal d’Estrées (1628-1714). Le marquis de Cœuvres épousera, en 1647, la fille de sa belle-mère Anne Habert de Montmor, en la personne de Catherine de Thémines. De son côté, le comte d’Estrées, lieutenant général des armées navales en 1668, vice-amiral du Ponant en 1669, maréchal de France en 1681, s’était marié en 1658 à Marie-Marguerite Morin, fille du financier Jacques Morin dit « le juif », mort en 1667 ou 1668 en laissant une solide fortune de 2 253 000 livres13. Cette dernière alliance ramène encore aux Montmor, Anne Morin, la sœur de Marie-Marguerite, épousant en 1667 Louis-Henri Habert de Montmor, fils d’Henri-Louis, l’académicien, et frère de Jean-Louis, le futur intendant des Galères. Or ce Louis-Henri (mort en 1680), conseiller au parlement de Paris en 1658, maître des requêtes en 1667, avait épousé en premières noces, en 1660, Marie-Claude de Pontchartrain, morte dès l’année suivante, à l’âge de 17 ans. Née en 1644, Marie-Claude était la sœur cadette de Louis de Pontchartrain, né en 1643, et de Suzanne, née en 1641, mariée en 1656 à Jérôme II Bignon. Les mariages, à peu d’années d’intervalle, de ces demoiselles de Pontchartrain, très jeunes, 15 ans pour l’aînée, 16 ans pour la cadette, et bientôt, en 1668, celui de leur frère avec une Maupeou, témoignent de l’efficacité de la politique matrimoniale de Louis Ier de Pontchartrain qui, à défaut de réussir sa carrière personnelle, sut préparer le rétablissement de sa branche en plaçant ses trois enfants dans des familles proches du pouvoir. Dans le cas du mariage de Marie-Claude, l’objectif évident était de resserrer les liens déjà existants avec les Montmor, une famille alors en pleine réussite sociale, apparentée non seulement à la maison d’Estrées, mais aussi à la maison de Rochefort par le mariage, en 1625, de Marie Habert (sœur aînée d’Anne, l’épouse du maréchal François-Annibal d’Estrées) avec Louis d’Aloigny, marquis de Rochefort, lieutenant général en Berry. De cette union naîtra Henri-Louis d’Aloigny de Rochefort (1626-1676), marié en 1662 à Madeleine de Montmorency-Laval, cousine germaine d’Anne de Souvré, femme de Louvois. La protection du secrétaire d’État à la Guerre vaudra à Henri-Louis, lieutenant des armées du Roi en 1672, d’obtenir le bâton de maréchal de France en 1675, un an avant sa mort précoce. Enfin, une quinzaine d’années plus tard, le mariage de la fille de ce maréchal de Rochefort, Marie-Henriette d’Aloigny (1663-1736), conduit à une illustre famille bientôt alliée aux Pontchartrain. Elle avait épousé, en 1691, Charles de La Rochefoucauld-Roye, comte de Blanzac14, et peu après, en 1697, Jérôme de Pontchartrain se mariait à la sœur de Blanzac, Éléonore-Christine de La Rochefoucauld-Roye (1681-1708). Cette dernière union, qui faisait de Jérôme le beau-frère d’une Rochefort, petite-fille d’une Habert, confirmait, en quelque sorte, la présence des Phélypeaux dans le faisceau d’alliances prestigieuses que les Montmor s’étaient constitué au cours du xviie siècle (tableau 28).

  • 15 Saint-Simon, t. 2, p. 156.
  • 16 Ibid.
  • 17 Ce gouverneur non résident était le comte de Toulouse, âgé de 17 ans. Nommé le 19 mars 1695, il su (...)
  • 18 « M. le comte d’Estrées [Victor-Marie] a soupé et couché ici ; il est parti ce matin pour Paris. J (...)

6Saint-Simon, informateur sûr lorsqu’il parle des coteries de la Cour qui, avec l’appui de tel ou tel ministre, se disputaient les grands emplois de l’État, qualifie Louis de Pontchartrain d’ » ami particulier de tous les Estrées15 ». De fait, Pontchartrain s’efforça de favoriser au mieux les intérêts du maréchal Jean d’Estrées et ceux de son fils, Victor-Marie (1660-1737), lieutenant général des armées navales, qui dut à l’action conjuguée du Chancelier et de Jérôme, secrétaire d’État à la Marine, d’être compris dans la promotion des maréchaux de France de 1703, dès l’âge de 43 ans16. Comme Louis de Pontchartrain, mais un peu plus tard, Jean d’Estrées avait exercé d’importantes responsabilités en Bretagne, d’abord, au début de la guerre de la ligue d’Augsbourg, en qualité de commandant chargé de la défense des côtes, puis, en 1696, de « commandant en chef » représentant le gouverneur non résident de la province17, et, en 1702, de lieutenant général du Comté nantais, charge dans laquelle Victor-Marie lui succéda, à sa mort en 1707. Comme Pontchartrain également, Jean d’Estrées connaissait bien Mme de Sévigné et les siens, pour avoir été, très tôt, un grand ami de Roger de Bussy-Rabutin (1618-1693), l’auteur de l’Histoire amoureuse des Gaules, cousin fantasque, soupirant éconduit et correspondant assidu de la marquise, née Rabutin-Chantal. Par la suite, cette amitié devait quelque peu se refroidir, Bussy-Rabutin, ancien officier général de cavalerie, renvoyé pour ses écarts de conduite, de langage et de plume, ayant mal accepté l’élévation du comte d’Estrées au maréchalat en 1681. Mme de Sévigné, comme le prouvent nombre de ses lettres, n’en continua pas moins à entretenir d’excellentes relations avec le maréchal d’Estrées et bientôt avec son fils Victor-Marie qu’elle recevra chaleureusement à son manoir des Rochers, près de Vitré, au mois de novembre 168918. Aussi, peu après la mort de la marquise, survenue, le 17 avril 1696, au château de Grignan, près de Valence, Victor-Marie d’Estrées tiendra-t-il, rejoignant l’escadre de Toulon, à passer à Grignan, comme il en rend compte à Louis de Pontchartrain, alors secrétaire d’État à la Marine, dans une lettre du 15 mai suivant, expédiée de Toulon.

  • 19 Mme de Grignan était tombée gravement malade au début de l’année 1695, peu après le mariage (2 jan (...)
  • 20 Lettre citée en annexe de la Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, p. 1688.

« Monseigneur, écrit-il à Pontchartrain, les affaires qu’il y a ici pour le service du Roi n’étant pas fort pressées, je n’ai point fait autant de diligence pour m’y rendre que j’aurais fait dans un autre temps ; j’ai passé à Grignan, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, où j’ai encore trouvé tout le monde dans l’affliction de la mort de Mme de Sévigné. Mme de Grignan en paraît extrêmement touchée, mais quoi qu’elle soit très abattue par la douleur et par une aussi longue maladie que la sienne19, je ne l’ai pas cependant trouvée aussi changée qu’on me l’avait dit avant que d’arriver, et je suis persuadé qu’elle se remettrait dans un air moins subtil que celui où elle est, qui à mon avis est très contraire à son mal20. »

  • 21 Capitaine des chevau-légers d’Anne d’Autriche en 1656, François Adhémar de Monteil, comte de Grign (...)

7La lettre, d’ordre privé, met en valeur le caractère personnel des relations entre cet officier de Marine et son ministre. Elle témoigne, en même temps, de l’intérêt commun porté par les deux hommes aux proches de Mme de Sévigné, et particulièrement à sa fille, Françoise de Grignan, personne d’autant plus digne d’attentions que son mari le comte de Grignan, lieutenant général et commandant en chef en Provence de 1669 à 1714, jouissait depuis longtemps de la confiance du Roi pour ses brillants services à la tête de cette province21.

  • 22 Née le 5 février 1626, Marie de Rabutin-Chantal, mariée en 1644 à Henri de Sévigné, deviendra veuv (...)

8Apparentés aux Estrées et aux Pontchartrain, les Montmor venaient naturellement s’insérer dans le cercle de personnages bien placés que les Sévigné et les Grignan, sans cesse harcelés par les problèmes d’argent, avaient toujours veillé à fréquenter et ménager. À l’époque des années 1650-1660 où, jeune veuve très courtisée22, elle brillait au sein de l’élite mondaine et intellectuelle de la capitale, Mme de Sévigné s’était attirée l’amitié de Louis-Henri Habert de Montmor, l’académicien, de vingt ans son aîné. Le fils de celui-ci, Jean-Louis Habert du Fargis de Montmor, futur intendant de la Marine, né en 1648, devint ainsi, très tôt, un familier de la maison de la marquise et un compagnon de ses deux enfants, Françoise, future comtesse de Grignan, née en 1646, et Charles de Sévigné, né en 1648. Dans une lettre datée de Lambesc, 1er décembre 1690, et adressée à Philippe-Emmanuel de Coulanges alors à Rome, la marquise fait allusion, en termes évocateurs, à ces temps joyeux de la jeunesse.

  • 23 Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, p. 952-953.

« Je vous envoie cette lettre, précise-t-elle, par M. de Montmor, intendant à Marseille, autrefois M. du Fargis qui mangeait des tartelettes avec mes enfants. Si vous le connaissez, vous savez que c’est un des plus jolis hommes du monde, le plus honnête, le plus poli, aimant à plaire et à faire plaisir, et d’une manière qui lui est particulière23. »

  • 24 Cf. Jean Marteilhe. Mémoire d’un galérien du Roi-Soleil, éd. André Zysberg, Paris, Mercure de Fran (...)
  • 25 Avant son intendance au Havre, Montmor était conseiller au Châtelet de Paris (depuis 1675). En 170 (...)

9Le portrait charmant tracé, ici, de Montmor, ne manque pas d’un certain humour, bien involontaire, tant il contraste avec l’exécrable souvenir laissé, de son séjour à Marseille (1688-1709), par cet intendant des Galères, personnage qui, semble-t-il, n’avait rien de plaisant. De tempérament irascible et violent, prompt à manier sa canne pour frapper, lui-même, les galériens, Montmor se distingua effectivement « d’une manière qui lui était particulière », mais cela en s’acharnant délibérément sur une catégorie déterminée de forçats, c’est-à-dire sur les protestants condamnés à la peine des galères24. Par surcroît, âpre au gain et volontiers malhonnête, il se trouva compromis dans une affaire de détournement de matériaux de l’arsenal des galères établi à Marseille. Aussi son départ, en 1709, du grand port provençal fut-il soulagement pour tous, y compris le personnel d’encadrement de la chiourme, excédé par ses colères et ses malversations. Un tel comportement ne l’empêcha cependant pas d’être promu, dès le 1er janvier 1710, intendant des armées navales. Cette « belle » carrière dans l’administration de la Marine, qui avait commencé par l’intendance du Havre en 168425, ne saurait surprendre, Jean-Louis Habert de Montmor comptant, parmi ses parents haut placés, deux vice-amiraux du Ponant à la suite, Jean et Victor-Marie d’Estrées, de plus maréchaux de France, et, également à la suite l’un de l’autre, deux ministres de la Marine, Louis et Jérôme de Pontchartrain.

  • 26 Voir, à ce propos, le Journal du maître des requêtes Olivier Lefèvre d’Ormesson : « M. de Montmor (...)
  • 27 Tallemant des Réaux, Historiettes, t. 1, p. 167.
  • 28 D. Dessert, Argent, pouvoir et société…, p. 351.
  • 29 Saint-Simon, t. 4, p. 315-316.
  • 30 Cette présidence du Conseil de Marine ne s’explique pas seulement par ses brillants états de servi (...)
  • 31 Jean-François Le Haguais (1640-1723), ancien premier avocat général à la Cour des aides, était un (...)

10Peu regardant sur les moyens de s’enrichir, Montmor avait de qui tenir en la personne de son aïeul Jean Habert de Montmor (1570-1639), trésorier général des Guerres, puis trésorier de l’Épargne. Gros traitant en même temps que grand officier de finance, Jean Habert sera poursuivi par la Chambre de justice de 1624 et amnistié sans tarder sur l’initiative de Richelieu, moyennant sa participation à la « Compagnie des Cent Associés » créée en 1627 par le Cardinal pour la mise en valeur et le peuplement de « la Nouvelle France dite Canada ». Ce financier, qui aurait aidé le père de Colbert, Nicolas Colbert de Vandières, receveur et payeur des rentes de l’Hôtel de Ville de Paris, à se relever de deux banqueroutes successives26, avait mérité le surnom significatif de « Montmor le riche ». Son exemple semble avoir déteint sur l’un de ses gendres, le maréchal François-Annibal d’Estrées. Une fois marié en 1634 à Anne Habert, le maréchal versa, en effet, dans un affairisme à grande échelle facilité par ses activités de prêteur d’argent à la Cour, ces prêts n’allant pas sans contrepartie. « Il a presque toutes les maltôtes et fait tous les prests », affirme, à son sujet, le mémorialiste Tallemant des Réaux (1619-1692), décrivant François-Annibal, dans la pratique des affaires, comme « un homme avec qui il n’y a point de quartier27 ». De fait, rien n’échappait à l’avidité de ce maréchal de France que l’on voit même en 1643 se transformer en gros minotier par l’acquisition du domaine de Gonesse et de ses moulins banaux, dans le but de monopoliser le ravitaillement en farine de la capitale28. Aussi, étant particulièrement honni dans l’opinion publique, préféra-t-il s’enfuir de Paris, lors de la fameuse « nuit des Rois » de janvier 1649 où le jeune Louis XIV et la Cour trompèrent la vigilance des Frondeurs pour aller se réfugier à Saint-Germain-en-Laye. L’âpreté du premier maréchal d’Estrées en matière d’argent se retrouve, trait de caractère commun, chez les deux maréchaux d’Estrées, son fils Jean et son petit-fils Victor-Marie. À cet égard, le mariage de Jean d’Estrées, en 1658, avec la fille du financier Morin « le juif » se passe de commentaire, sinon que ce fut une excellente affaire. « Avare à l’excès » et « avec cela brocanteuse », la maréchale d’Estrées douairière, née Morin, laissera, à sa mort en 1714, entre 600 000 et 800 000 livres à chacun de ses enfants, « sans compter un amas prodigieux de meubles, de bijoux, de porcelaines, de la vaisselle en quantité, et des pierreries29 ». Quant au troisième maréchal d’Estrées, Victor-Marie, devenu, dès l’institution de la Polysynodie (septembre 1715), président du Conseil de Marine30, puis, en 1718, conseiller au Conseil de Régence, son comportement, lors de l’affaire Law, ne brilla ni par la délicatesse, ni par les scrupules, à l’image de la haute caste nobiliaire qui profita de la brève expérience du « système » pour spéculer à outrance. Quoique d’ordinaire plutôt discret sur l’affairisme en milieu aristocratique, Saint-Simon n’a pu s’empêcher de faire allusion à cet épisode peu reluisant de la vie de Victor-Marie d’Estrées. « C’était un fort honnête homme, écrit-il pudiquement, mais qui, ayant été longtemps fort pauvre, ne s’épargna pas à se faire riche du temps du fameux Law, […] et qui y réussit magnifiquement, mais pour vivre dans une grande magnificence et fort désordonnée31. » Plus directe, avec son franc-parler habituel, la princesse Palatine, mère du Régent, range Victor-Marie parmi ceux des grands seigneurs qui se discréditèrent alors le plus par leurs débordements de fièvre spéculative.

  • 32 Saint-Simon, t. 2, p. 156-157.
  • 33 Le duc d’Antin (1665-1736), fils du marquis et de la marquise de Montespan, était président du Con (...)
  • 34 Henri-Jacques Nompar de Caumont, duc de La Force (1675-1726), vice-président du Conseil de Finance (...)

« Trois ducs, qui appartiennent aux premières maisons, ont fait, selon moi, des choses indignes : le duc d’Antin32, […] le duc maréchal d’Estrées et le duc de La Force33. Le premier a acheté toutes les étoffes afin de les revendre plus cher ; le second tout le café et le chocolat ; le troisième a fait pire, car il a acheté toutes les chandelles, et il les a mises à l’enchère34. »

11Ainsi à un maréchal d’Estrées gros minotier, s’ajoutait, en sautant une génération, un maréchal d’Estrées gros épicier.

  • 35 Lettres de la princesse Palatine, Paris, Club français du livre, 1948, t. 2, p. 217.
  • 36 Il s’agit du maître des requêtes Henri-Louis Habert de Montmor, déjà mentionné, qui occupa le 35e (...)
  • 37 Par un édit d’avril 1664, les trésoriers de l’Épargne, au nombre de trois, avaient été remplacés p (...)

12Ni la succession de trois maréchaux de France chez les Estrées, ni la présence de trois Habert dans la fournée en 1634 des premiers « Quarante » de l’Académie française35 ne doivent donner le change. Malgré ces titres et dignités, les deux familles étroitement liées baignaient dans le monde des affaires, et cela d’autant plus profondément que, depuis l’époque de Montmor « le riche », elles n’avaient cessé de cultiver les alliances en milieu financier. L’alliance de Jean d’Estrées avec une Morin en est certes l’exemple le plus frappant. Mais non moins intéressant ici, en raison du panorama de relations qu’ils permettent de découvrir, apparaissent les mariages d’Anne-Louise Habert et de Claude-Madeleine Habert, la première avec un Bartillat, la seconde avec un Delrieu, toutes les deux sœurs de Jean-Louis Habert de Montmor, l’intendant de la Marine, et de Louis-Henri Habert de Montmor, le veuf de Marie-Claude de Pontchartrain, remarié à Anne Morin, belle-sœur de Jean d’Estrées. On reviendra plus loin sur le mariage de Claude-Madeleine ; quant à Anne-Louise, elle avait épousé vers 1670 Nicolas Jehannot de Bartillat, lieutenant général des armées du Roi en 1695, fils d’un grand officier de finance, Étienne Jehannot de Bartillat, trésorier général de la Maison de la Reine en 1647, qui termina garde du Trésor royal36. De leur union naquit Jean Jehannot de Bartillat qui épousera en 1706 Marie-France Le Bel, fille du fermier général Michel Le Bel de Coulours. Peu après 1708, la sœur de Marie-France Le Bel, Marguerite-Catherine, s’unissait à Marc-Jacques Fermé, conseiller au parlement de Paris, fils du receveur des tailles Jacques Fermé. Présence significative, le chancelier Pontchartrain signe au contrat de mariage dans les deux cas. Michel Le Bel et Jacques Fermé appartenaient, en effet, l’un et l’autre, au réseau du Chancelier. Le second s’y rattache, comme on l’a expliqué plus haut, par ses relations d’amitié et d’affaires avec le lieutenant général de police Marc-René d’Argenson, allié aux Pontchartrain par sa femme née Caumartin. D’Argenson devait, en particulier, à Fermé d’avoir pu acheter en 1694 l’office de maître des requêtes qui fut le point de départ de la nouvelle carrière de cet ancien magistrat du présidial d’Angoulême, propulsé, trois ans plus tard, à la tête de la police parisienne. De son côté, Michel Le Bel, d’abord receveur des tailles comme Jacques Fermé, était un protégé de Louis de Pontchartrain qui, l’ayant fait entrer en 1693 à la ferme générale, lui facilita une triple activité de fermier général, de munitionnaire et de traitant durant la guerre de la ligue d’Augsbourg. Restant ensuite à la ferme générale jusqu’en 1715, Le Bel connaîtra, sous la Régence, un sort semblable à celui des autres financiers qui, depuis les années 1690, évoluaient dans l’orbite de Pontchartrain : poursuivi par la Chambre de justice de 1716, il se verra infliger une taxe de 460 000 livres37.

  • 38 Cf. D. Dessert, Argent…, p. 489-500, annexe n° 6, liste des taxés en 1665, en 1700 et en 1716.
  • 39 Jean de Choisy, financier très lié à Éléonora Galigaï, et, à ce titre, fortement inquiété lors de (...)
  • 40 Pour Pierre Le Charron, voir F. Bayard, Le monde des financiers au xviie siècle, op. cit., p. 231, (...)

13Quoique très indirects, les liens de parenté qui existaient entre Michel Le Bel et son grand patron ne furent certainement pas étrangers au parcours de ce financier féal et à sa belle réussite dans les affaires, du moins tant que le Chancelier se maintint au pouvoir. Sa cousine germaine, Marie-Anne Le Bel, avait épousé en 1665 le financier Jean Ier de Turmenyes de Nointel (mort en 1702), union qui donna, entre autres enfants, Jean II de Turmenyes de Nointel (1668-1727), marié vers 1690 à une demoiselle de Maupeou, fille de Charles de Maupeou (1627-1703), maître à la Chambre des comptes de Paris de 1652 à 1671. Ce Charles de Maupeou était cousin issu de germain de Mme de Pontchartrain, née Maupeou. De plus, sa femme, Madeleine Le Charron, était issue d’une famille de grands officiers de finance alliée aux Beauharnais par le mariage en 1618 de Marguerite de Choisy, fille du receveur général des finances Jean de Choisy38 et d’une Le Charron, également prénommée Madeleine, avec le beau-frère de Paul de Pontchartrain, Aignan de Beauharnais de Miramion, contrôleur général de l’extraordinaire des Guerres en 1628, mort en 1652. Madeleine Le Charron, la mère de Marguerite de Choisy, était, elle-même, la sœur d’un trésorier de l’extraordinaire des Guerres en exercice depuis les années 1590, Pierre Le Charron, financier opulent et grand collectionneur de tapisseries, dont la charge de trésorier passera, à sa mort en 1626, à son fils aîné François Le Charron39. Les Turmenyes se situaient dans le même milieu que celui des Le Charron, Choisy et Beauharnais. Jean Ier de Turmenyes, receveur général des Finances à Amiens (1669-1682), puis, en 1684, trésorier de l’extraordinaire des Guerres, terminera au plus haut rang des officiers comptables comme garde du Trésor royal (1696-1702), charge dédoublée, extrêmement coûteuse (un million de livres), qui avait remplacé l’office, détriplé, de trésorier de l’Épargne, supprimé en 1664. Son fils Jean II lui succédera en 1702 dans cette charge, après toutefois un parcours très différent, ayant été successivement conseiller au parlement de Paris (1690), maître des requêtes (1692) et intendant à Moulins à partir de 1699. Enfin, à la mort de Jean II en 1727, son office de garde du Trésor passera entre les mains de François de Turmenyes, son frère cadet, qui, alliance caractéristique, épousera une petite-fille du trésorier général de l’extraordinaire des Guerres Jossier de La Jonchère40. Si l’on ajoute qu’en 1664 l’un des deux premiers gardes du Trésor fut Étienne Jehannot de Bartillat, le beau-père d’Anne-Louise Habert de Montmor et l’aïeul du Bartillat marié à Marie-Françoise Le Bel, le tout reflète une emprise progressive du réseau Pontchartrain sur ce milieu homogène des grands officiers de finance où, dès la fin du xvie siècle, apparaît en précurseur un Phélypeaux, en la personne du frère aîné de Paul de Pontchartrain, Raymond d’Herbault-La Vrillière, trésorier des parties casuelles en 1591, puis trésorier de l’Épargne en 1599.

  • 41 Cf. D. Dessert, Argent…, p. 699, notice sur les Turmenyes.
  • 42 Thomas Bonneau avait épousé Anne Pallu, sœur d’Étienne Pallu, jurisconsulte et maire de Tours, lui (...)

14Le renforcement de cette emprise s’observe encore au début du xviiie siècle, à l’occasion du mariage en 1705 de Marie-Angélique de La Porte, fille de Jean de La Porte (1636-1695), fermier général de 1683 à 1695, avec Alexandre-Bertrand Pallu du Ruau (v. 1660-1740), fermier général de 1709 à 1718, fils de Bertrand Pallu du Ruau (1632-1709), fermier général de 1674 à 1709. Marie-Angélique de La Porte était, en effet, la cousine germaine du garde du Trésor Jean II de Turmenyes. De son côté, Alexandre-Bertrand Pallu se rattachait à la parentèle Phélypeaux par les Bonneau, lesquels ramènent au puissant syndicat financier tourangeau qui accapara la ferme générale des Gabelles avant l’élimination de Nicolas Fouquet. Son père Bertrand Pallu était le neveu de fermier général Thomas Bonneau41, lui-même frère du fermier général Jacques Bonneau dont la fille Marie Bonneau, la célèbre Mme de Miramion, épousa en 1645 un neveu de Paul de Pontchartrain, Jean-Jacques de Beauharnais, fils d’Aignan de Beauharnais, contrôleur général de l’extraordinaire des Guerres, et de Marguerite de Choisy. Les deux frères Bonneau se trouvaient, de plus, apparentés aux Quentin de Richebourg par leur mère Suzanne Robin42, la sœur de celle-ci, Catherine Robin, ayant épousé Charles Quentin de Richebourg, secrétaire des commandements de la reine Marguerite, une alliance qui conduit à nouveau aux Pontchartrain. Le frère de Charles, le fermier général Bonaventure Quentin de Richebourg (1581-1659), l’un des principaux associés de Thomas Bonneau dans le bail des Gabelles et dans de nombreux traités, était, comme on l’a déjà vu, l’aïeul maternel de la chancelière Pontchartrain, par le mariage de sa fille Catherine Quentin avec Pierre III de Maupeou. Cette tendance endogamique au resserrement des liens de parenté préexistants entre familles d’un même groupe social se manifesta, certes, avec une vigueur particulière, à l’époque faste du syndicat tourangeau, approximativement entre 1640 et 1660, où les associations financières, qui se doublaient d’associations familiales, se prêtaient à une étroite imbrication des alliances. Mais, par la suite, la même tendance, plus ou moins prononcée au gré des circonstances, continuera à s’observer, si bien que le phénomène d’enchevêtrement des diverses parentèles composant le réseau Phélypeaux apparaît comme une constante des politiques matrimoniales pratiquées au sein de ce vaste ensemble.

  • 43 Fille de Claude Robin, commissaire des guerres et échevin de Tours, Suzanne Robin avait épousé Tho (...)
  • 44 Saint-Simon, t. 2, p. 460.
  • 45 AN, Col., série B, correspondance « Départ », B. rec. 22, f° 172 v°, le 23 mars 1701, arrêt du Con (...)

15L’alliance de Jean II de Turmenyes avec l’une des filles de Charles de Maupeou et de Madeleine Le Charron fournit précisément l’occasion d’évoquer un exemple qui illustre bien la persistance, à la fin du xviie siècle, de cette orientation en matière de stratégie familiale. C’est le mariage, en 1694, de Marie-Anne de Maupeou (1676-1741), sœur de Mme de Turmenyes, avec Nicolas Prosper Bauyn d’Angervilliers (1675-1740), un tout jeune magistrat promis à un bel avenir politique. L’âge d’entrée en charge constitue, sous l’Ancien Régime, un repère sûr pour détecter les carrières hautement protégées et spécialement favorisées. Sur ce plan, le profil de carrière d’Angervilliers se révèle des plus éloquents. Reçu conseiller au parlement de Paris en 1692, à 17 ans, avec dispense d’âge (âge requis : 22 ans), puis nommé maître des requêtes en 1697, à 22 ans, également avec dispense d’âge (âge requis : 31 ans), il reçoit sa première commission d’intendant de généralité, pour Alençon, dès 1702, âgé seulement de 27 ans. Mieux, trois ans plus tard, la faveur le propulse à la tête de la très importante intendance de Dauphiné où il succède à Étienne Jean Bouchu, un quinquagénaire, conseiller d’État depuis 1702, qui aspirait à retrouver la vie parisienne. Saint-Simon n’a pas manqué de souligner le caractère insolite de cette promotion. Déclarant que Bouchu « perdu de goutte, mais toujours homme de plaisir, voulut quitter cette place », le mémorialiste prend soin de spécifier : « Je le remarque parce qu’elle fut donnée à Angervilliers, quoique fort jeune, et seulement encore intendant d’Alençon43. » Par la suite, après la mort de Louis XIV, Bauyn d’Angervilliers devait continuer sa marche ascendante. Intendant d’Alsace, le 8 octobre 1715, conseiller d’État en 1720, intendant de la généralité de Paris en 1724, il deviendra secrétaire d’État à la Guerre en 1728, avec rang de ministre d’État en 1729, et mourra en charge, le 15 février 1740. Un si brillant parcours supposait de puissantes relations. Avant 1715, l’appui de Louis de Pontchartrain et aussi celui de Jérôme de Pontchartrain ne font guère de doute. Ainsi, lors de la création du Conseil de Commerce en 1700, d’Angervilliers fut l’un des deux maîtres des requêtes choisis pour faire partie de cette nouvelle section du Conseil du Roi où Jérôme de Pontchartrain allait jouer un rôle prépondérant en sa qualité de secrétaire d’État à la Marine, responsable du commerce extérieur. L’année suivante, le même Jérôme suscitait un arrêt du Conseil du Roi, du 23 mars 1701, nommant Angervilliers comme membre d’une commission chargée de vérifier les titres des bénéficiaires de concessions en Acadie, dépendance maritime de la Nouvelle France44. Composition caractéristique, les trois autres membres de la commission étaient deux cousins des Pontchartrain, Daguesseau et Amelot, et un vieil ami de la famille, Le Haguais, en même temps homme de confiance du chancelier45. La participation, souvent fort bien rétribuée, à ce genre de commissions extraordinaires, aux attributions passagères, qui allégeaient considérablement le travail du Conseil du Roi et des ministres, était très convoitée par les maîtres des requêtes. C’était, pour les plus ambitieux d’entre eux, un moyen efficace de se mettre en valeur et d’être ainsi en mesure de briguer, avec succès, une intendance. Datée du 23 mars 1702, la nomination d’Angervilliers à l’intendance d’Alençon semble donc liée, au moins en partie, à l’exercice de sa commission sur le contentieux acadien, et, par-delà, à ses relations avec le secrétaire d’État à la Marine.

  • 46 La Chambre aux deniers était un bureau où se réglaient et se payaient les dépenses de bouche de la (...)
  • 47 Cf. D. Dessert, Argent…, p. 54-55.
  • 48 Ibid., p. 55, 103. Pour limiter les dégâts, Gabrielle Choart avait pris la précaution de demander (...)

16L’union, en 1694, de Nicolas Prosper Bauyn d’Angervilliers avec une petite cousine de Mme de Pontchartrain ne fut certainement pas étrangère à ces débuts de carrière si prometteurs. De plus, son père, Prosper Bauyn d’Angervilliers, un grand financier, se trouvait déjà apparenté aux Phélypeaux par son mariage, en 1668, avec Suzanne Choart de Buzanval. Rappelons, à ce propos, que les Choart de Buzanval et les Pontchartrain formaient deux familles alliées par l’intermédiaire des Talon. Omer Ier Talon, avocat au parlement de Paris (mot en 1618), et sa femme, une Choart de Buzanval, également prénommée Suzanne, fille de Jacques Choart de Buzanval, avocat au même Parlement, étaient les grands-parents de Marie-Suzanne Talon, mariée en 1639 à Louis Ier de Pontchartrain. D’autre part, le frère d’Omer Ier, Nicolas Talon, procureur au parlement de Paris (mort en 1618), était le gendre d’une Choart : il avait épousé, en 1594, Anne Sobrillard, fille de Jacques Sobrillard, avocat au parlement de Paris, et de Denise Choart, elle-même sœur de l’avocat Jacques Choart de Buzanval. Par son mariage en 1694 avec une Maupeou, Angervilliers, le futur ministre, revitalisait donc, en quelque sorte, le lien de parenté établi, une génération plus tôt, avec le clan Pontchartrain par son père, le financier Prosper Bauyn d’Angervilliers. Ce Prosper Bauyn, issu d’une famille robine parisienne qui comptait trois générations de conseillers à la Cour des aides, s’était, vers 1660, engagé dans la voie des offices de finance, entraînant dans son sillage ses deux frères, André Bauyn de Bersan (mort en 1706) et Louis Bauyn de Cormery (mort en 1701). Activement soutenu par Colbert qui lui procura en 1669 une charge de maître de la Chambre aux deniers46, il semble avoir réussi à s’enrichir rapidement, notamment en se chargeant des recouvrements financiers de plusieurs généralités du Sud-Ouest. Les profits, en tout cas, que Bauyn tira alors des diverses recettes de l’impôt, durent être particulièrement élevés, car, après la mort de Colbert, les débets de ses comptes lui valurent d’être condamné à restituer, d’abord, en 1687, plus de 640 000 livres, puis, en 1688, près de 1 200 000 livres47. Malgré cela, et grâce à la tutelle bienveillante du contrôleur général Louis de Pontchartrain, son second patron, il allait devenir, durant la guerre de la ligue d’Augsbourg, l’un des gros traitants du royaume, participant à une quarantaine de traités. Au retour de la paix, Bauyn se verra d’ailleurs infliger une nouvelle taxe, de 394 216 livres, en application de l’édit de juin 1700 ordonnant une recherche sur les profits réalisés par les gens d’affaires depuis l’ouverture du dernier conflit. La même année 1700, il mourait, laissant une succession en fort mauvais état, surchargée d’arriérés dus au Trésor, ce qui amènera sa veuve, Gabrielle Choart, une femme de tête, à batailler ferme avec la justice pour limiter le désastre48. En résumé, de cette carrière de publicain si mal terminée, deux faits marquants sont à relever : le premier est que ses lourdes condamnations après la disparition de Colbert n’empêchèrent nullement Prosper Bauyn de continuer encore à brasser les « affaires du Roi », et cela à très grande échelle, durant plus d’une décennie ; le second, que toutes les poursuites en recouvrements dont il fut l’objet de la part du Trésor royal, preuves de multiples malversations, n’obérèrent en rien le brillant avenir de son fils Nicolas Prosper Bauyn d’Angervilliers. Or ces avatars ne sauraient pleinement s’expliquer si l’on omettait de se référer aux liens de la famille Bauyn avec les Pontchartrain et avec leur réseau de parentèle, un réseau omniprésent dans le microcosme social des « dominants ». Par là, cette famille apparaît représentative de la gent financière de l’époque qui, parfois sévèrement frappée dans ses biens matériels, mais rarement marquée du sceau de l’infamie (sinon dans une littérature caricaturale peu susceptible de la perturber), tirait sa relative impunité de son appartenance étroite aux mondes entremêlés de la haute administration, de la robe des cours souveraines et de l’aristocratie proprement dite (tableau 29).

  • 49 Claude-Madeleine Habert de Montmor était née de l’union d’Henri-Louis Habert de Montmor (l’académi (...)
  • 50 Avant son mariage, Saint-Amans exerçait déjà cette charge de receveur, par commission, pour le com (...)
  • 51 D. Dessert, Argent…, annexe n° 6, liste des taxés…, p. 498-499.

17Ainsi, quel qu’en soit le point de départ, la plupart des alliances concernant le réseau Phélypeaux, pourtant remarquablement diversifié, conduisent ou ramènent au milieu financier, soit directement, soit indirectement. Pour rester dans le groupe de familles précitées, c’est encore le cas du mariage de Claude-Madeleine Habert de Montmor, sœur du Montmor, intendant de la Marine, et arrière-petite-fille de Raymond d’Herbault-La Vrillière, frère de Paul de Pontchartrain49. En 1677, Claude-Madeleine avait épousé Bernard Delrieu (1626-1702), un financier du lobby Colbert qui présente un profil voisin de celui de Prosper Bauyn et qui, comme lui, fut poursuivi et condamné plusieurs fois pour les débets de ses comptes, après la mort de Jean-Baptiste Colbert. L’évocation de ce personnage permet précisément de restituer l’enchaînement de relations qui aboutit, en 1694, à la conclusion du mariage du petit-fils de Mme de Sévigné, Louis-Provence, marquis de Grignan, avec Anne-Marguerite de Saint-Amans, fille du financier Arnaud de Saint-Amans (mort en 1707). Delrieu, originaire de Montpellier, était, en effet, le patron et l’ami de Saint-Amans, également montpelliérain, qu’il avait fait débuter, en 1656, comme employé dans la ferme des gabelles de Languedoc, étant lui-même commis général, puis directeur des gabelles de cette province. Par la suite, en 1670, à l’occasion du mariage de son protégé avec Anne Racine, sœur du financier Michel Racine, Delrieu lui offrira, en guise de cadeau de noce, l’office de receveur des tailles de l’élection de Meaux dont il était propriétaire50. Ce sera encore le même Delrieu, fermier général des Gabelles et des Fermes unies de 1662 à 1674, et, de plus, animateur de sociétés contrôlant la fourniture des vivres pour la Marine, qui, à partir des années 1670, lancera Arnaud de Saint-Amans dans une double carrière de fermier général et de munitionnaire. À ces activités, Saint-Amans ajoutera celle d’administrateur de biens fonciers, notamment, entre 1670 et 1698, d’une bonne partie des terres du prince de Condé qui était aussi l’un de ses protecteurs. Mais surtout, restant fermier général jusqu’à sa mort en 1707, tout en continuant à s’intéresser à la fourniture des vivres pour la Marine, il appartiendra, dans la dernière partie de sa carrière, au groupe des financiers protégés par Pontchartrain, aux côtés de son beau-frère Michel Racine (1655-1732), receveur général des finances de la généralité d’Alençon de 1693 à 1721, et traitant très actif entre 1684 et 1708, avec une participation à vingt-huit traités et sous-traités. Racine se verra d’ailleurs infliger une taxe de 200 000 livres par la Chambre de justice de 1716, tandis que la succession de Saint-Amans était taxée à 600 000 livres51.

  • 52 Correspondance de Mme de Sévigné…, t. 3, p. 1073-1074, lettre écrite du château de Grignan, décemb (...)
  • 53 Le comte de Grignan assuma pleinement les responsabilités du gouvernement de 1669 à 1714, en raiso (...)
  • 54 Correspondance de Mme de Sévigné…, t. 3, notes et choix de variantes, p. 1500.

18On comprend mieux ainsi les propos de Mme de Sévigné, dans sa lettre du mois de décembre 1694, attribuant à Jean-Louis Habert de Montmor, alors intendant des galères à Marseille, l’initiative du projet de mariage de Louis-Provence de Grignan avec Mlle de Saint-Amans, et précisant que « M. de Pontchartrain était entré dans cette affaire avec beaucoup d’amitié ». De par ses fonctions, Montmor se trouvait en relations suivies avec le père de la future, gros munitionnaire de la marine. Probablement les deux hommes trafiquaient-ils ensemble. Mme de Sévigné écrit lapidairement à la comtesse de Guitaut au sujet de la fortune d’Arnaud de Saint-Amans : « Vous ne doutez pas qu’il soit fort riche ; il avait une commission pour les vivres à Marseille52. » C’était clairement établir un rapport de cause à effet, de la part de la marquise qui parlait en connaissance de cause, son aïeul maternel Philippe de Coulanges (1572-1636), un financier proche de Sully, s’étant enrichi dans les fournitures de vivres aux armées. De plus, Montmor et Saint-Amans se fréquentaient à titre privé, la sœur du premier, Claude-Madeleine Habert, ayant épousé Bernard Delrieu, le grand protecteur et ami du second. De son côté, le contrôleur général Louis de Pontchartrain, cousin des Montmor, ne pouvait qu’appuyer ce projet de mariage avec la fille d’un financier de sa clientèle, d’autant que l’objectif visé était de tirer d’embarras la famille de Mme de Sévigné, une famille, les Grignan compris, qu’il n’avait cessé de ménager et de protéger depuis l’époque de sa présidence du Parlement de Bretagne. Pontchartrain était, en effet, parfaitement au courant des graves ennuis financiers qu’éprouvait alors le gendre de Mme de Sévigné, le comte François de Grignan, lieutenant général, commandant pour le Roi en Provence de 1669 à sa mort en 1714. Malgré cette charge prestigieuse, malgré aussi ses brillants états de service53, Grignan vivait, depuis de longues années, en proie à de lancinants problèmes de dettes. À la fin de l’année 1689, sa situation avait brusquement empiré avec la faillite de Jacques Le Blanc de Valfère, trésorier général des États de Provence, ou plus exactement de l’assemblée des Communautés de Provence, les États de cette province ayant été supprimés en 1639. Les faillites n’étaient pas rares chez les trésoriers généraux des pays d’États qui, hauts responsables des services financiers de leurs circonscriptions, faisaient office de banquiers du Roi en versant au Trésor par anticipation, et moyennant intérêt, les fonds qu’ils se faisaient ensuite rembourser, avec plus ou moins de retard, par l’assemblée des États de leurs provinces respectives. Non contents de pratiquer le métier périlleux de banquier du Roi, ces trésoriers, entraînés par l’appât de taux usuraires, prêtaient aussi à nombre de particuliers, et de préférence aux personnes influentes susceptibles de faciliter ou de couvrir leurs opérations souvent douteuses. Répondant, par lettre du 30 janvier 1690, au contrôleur général Louis de Pontchartrain qui l’interrogeait sur l’affaire Le Blanc, l’intendant de Provence Pierre Cardin Le Bret fournit une réponse explicite : selon lui, la banqueroute du trésorier général de Provence était due à sa politique trop large de crédit, sans réserves de fonds pour la soutenir. « Pour s’attirer la bienveillance et la protection de ceux qui ont l’autorité dans la province, explique Le Bret, il leur prêtait ou avançait des sommes assez considérables, dont il était obligé de payer l’intérêt à ceux de qui il les empruntait54. »

  • 55 Ibid., t. 3, p. 1544.

19Le comte de Grignan, qui était la plus haute autorité de la province, figurait, bien entendu, parmi les gros débiteurs de Jacques Le Blanc. D’après un acte notarié du 1er mars 1690 passé entre le comte et les syndicats de la faillite, sa dette s’élevait à 26 340 livres, auxquels s’ajoutaient deux constitutions de rentes d’une valeur de 17 679 livres, soit un total de 44 019 livres55. Environ deux mois auparavant, le 14 janvier, dans une lettre circonstanciée, François de Grignan avait lancé un véritable appel de détresse à Louis de Pontchartrain pour obtenir de toute urgence son intervention.

« Monsieur, s’excusait-il, il faut que mes affaires soient dans un extrême désordre pour oser vous en parler dans un temps où les besoins de l’État font avec justice votre unique attention… Je ne m’attacherai point à vous persuader le besoin que j’ai d’un prompt secours. Cependant, Monsieur, permettez-moi de vous dire une circonstance très pressante, c’est la banqueroute du trésorier de Provence. Il m’avait avancé jusqu’à trois années des revenus de ma charge et continuait à me prêter ; ses créanciers se paieront par le courant de mes appointements, et je demeure sans aucune subsistance. »

  • 56 Ibid., t. 3, p. 1543.
  • 57 Ibid., t. 3, p. 1544.

20En conséquence, Grignan suppliait « très humblement » Pontchartrain d’user de son influence pour faire créer une charge de lieutenant de roi au-dessous de sa propre charge de lieutenant général en Provence et pour obtenir qu’il en soit gratifié aussi, ce qui, ajoutait-il, « me tirera de l’abîme où je suis56 ». Le Roi n’ayant vraisemblablement pas voulu donner son agrément à cette création, le malheureux Grignan, dans un mémoire daté du 9 mars 1690, implorait à nouveau l’intervention de Pontchartrain, cette fois pour obtenir d’être déchargé de la somme de 40 000 livres représentant le montant des avances de Le Blanc. Là encore, le contrôleur général ne put lui donner satisfaction. Grignan se vit alors contraint de négocier un échelonnement des paiements de sa dette à des conditions onéreuses. En vertu d’un arrangement conclu le 27 juin 1691, il abandonnait les revenus de ses terres à partir de l’année 1692 jusqu’à l’année 1704, soit l’équivalent de la créance Le Blanc, à l’exception, toutefois, des deux constitutions de rentes qui, avec les intérêts cumulés, représentaient une somme dépassant les 30 000 livres57. Autrement dit, le gendre de Mme de Sévigné se retrouvait toujours dans une situation quasi inextricable. C’est dans cette conjoncture des plus alarmantes pour les Grignan que s’inscrit le projet de mariage concernant le jeune marquis de Grignan qu’il fallait, sans tarder, « établir » pour lui permettre de tenir son rang. En s’employant, aux côtés de Montmor, à l’heureuse conclusion de ce projet, Louis de Pontchartrain, à défaut de pouvoir faire autre chose, apportait au comte de Grignan une compensation d’autant plus appréciable que la dot de Mlle de Saint-Amans allait servir à éteindre une partie des dettes de l’impécunieux lieutenant général de Provence.

  • 58 Ibid., t. 3, p. 823.

21La banqueroute, fin 1689, de Jacques Le Blanc de Valfère survenait deux ans après celle, beaucoup plus retentissante, de Guillaume d’Harouys de La Seilleraye, trésorier général des États de Bretagne depuis 1657, dont l’examen des comptes révéla un énorme passif de 6 600 000 livres. L’affaire ne fut jugée qu’au mois de mars 1689. Déjà interné à la Bastille, Harouys ne devait plus en sortir. Il y mourut en 1699, à l’âge de 81 ans. Dans sa correspondance, Mme de Sévigné se montre pleine de compassion pour « le pauvre M. d’Harouys », « notre pauvre Harouys », expressions qui reviennent à plusieurs reprises sous sa plume. Écrivant, le 29 janvier 1690, à Mme de Grignan, elle attribue la déconfiture du trésorier de Bretagne à sa « passion outrée de faire plaisir à tout le monde ». « C’était sa folie, ajoute-telle ; il trouvait de l’impossibilité à refuser… Ce défaut est si rare que jamais il ne se trouvera une déroute pareille, ni fondée sur un tel abus de la vraie générosité58. » Le témoignage de Saint-Simon vient corroborer celui de la marquise. Commentant la mort en prison du « pauvre d’Arrouy » (sic), le mémorialiste insiste, lui aussi, sur sa générosité excessive responsable de sa faillite.

  • 59 Saint-Simon, t. 1, p. 679.

« C’était, déclare-t-il, le meilleur homme du monde et le plus obligeant ; il ne savait que prêter de l’argent, et point presser pour se faire payer : avec cette conduite, il s’obéra si bien que, quand il fallut compter, il ne put jamais se tirer d’affaires. La confiance de la province et de tout le monde était si grande en lui qu’on l’avait laissé plusieurs années sans compter ; ce fut sa ruine. Beaucoup de gens y perdirent gros59… »

  • 60 Ibid.
  • 61 Correspondance de Mme de Sévigné…, t. 3, p. 864.

22La chute du trésorier de Bretagne et celle du trésorier de Provence auraient donc sensiblement la même origine : des avances imprudemment consenties, à l’aide de fonds puisés dans les caisses de la province ou empruntés ailleurs, et une absence de contrôle de la Chambre des comptes locale. Pour Guillaume d’Harouys surtout, l’affaire aurait pu encore plus mal tourner, en raison de la gravité du tort causé tant aux États de Bretagne qu’à de nombreux particuliers. En réalité, il risquait la peine capitale. À en croire Saint-Simon, « les perdants mêmes le plaignirent » et « tout le monde s’affligea de son malheur ». « C’est, assure-t-il, ce qui fit que le Roi se contenta d’une prison perpétuelle60. » Sur ce point, mieux vaut se fier à Mme de Sévigné qui, réagissant à chaud sous le coup des événements, se montre, comme souvent, extrêmement précise. D’après l’une de ses lettres à Mme de Grignan datée du 19 avril 1690, un an après le jugement du procès, l’attitude des « perdants », en effet, ne correspondit nullement aux enjolivures de Saint-Simon. Loin de plaindre le trésorier failli et ruiné, loin même de se satisfaire de son embastillement, ils se signalèrent, au contraire, par leur acharnement à sa perte, et si le pire ne se produisit pas, ce fut bien grâce à l’intervention de Louis de Pontchartrain. « Les créanciers des billets, qui ont tout perdu, sont furieux et menaçants contre sa personne », affirme la marquise. Il s’agit des créanciers possesseurs de « billets simples » sur Guillaume d’Harouys, et qui, ces billets n’étant pas garantis par la province de Bretagne, n’avaient plus leur recours que sur les biens personnels de ce trésorier. Et, citant le plus déterminé d’entre eux, elle ajoute : « Un nommé Bragelonne, qui perd son pain, voulait recommencer un procès criminel ; M. de Pontchartrain l’a empêché61. »

  • 62 À la fin du xvie siècle, Éléonore de La Grange-Trianon avait épousé Léon de Bragelonne, conseiller (...)
  • 63 AN, Col., B 14, f° 384, le 13 avril 1692, lettre de Louis de Pontchartrain à Hubert Champy Desclou (...)
  • 64 AN, Col., B 28, f° 168, le 12 mai 1706, Jérôme de Pontchartrain à Nicolas-François Arnoul de Vaucr (...)
  • 65 AN, Col., B 32, f° 331, le 10 mai 1710, Jérôme de Pontchartrain au sr de Bragelonne pour lui annon (...)

23Cette intervention efficace de Pontchartrain amène à parler des Bragelonne (ou Bragelongne). Le Bragelonne mentionné par Mme de Sévigné – peut-être Étienne de Bragelonne de Versigny, capitaine au régiment des Gardes, mort en 1714 – appartenait à une vieille famille parlementaire parisienne alliée aux Phélypeaux par l’intermédiaire des La Grange-Trianon qui conduisent à la fois aux Bouthillier de Chavigny, aux de Fourcy et aux Buade de Frontenac62. D’autre part, vers la même époque, dans les années 1690, on voit Louis de Ponchartrain s’occuper activement, en sa qualité de secrétaire d’État à la Marine, d’un jeune chevalier de Bragelonne qui, exilé à Saint-Domingue en 1692 sur la demande de sa famille et y vivant privé de ressources, sera promu, par ses soins, capitaine d’infanterie de marine en 169763. Par la suite, Jérôme de Pontchartrain, successeur de son père à la Marine, continuera à protéger le même Bragelonne qui était passé en Guadeloupe et y avait une « habitation », c’est-à-dire une plantation. Ainsi en 1706, une place de colonel de milice en Guadeloupe étant devenue vacante, Jérôme s’emploiera aussitôt pour la faire attribuer à Bragelonne, bien que cet officier se soit abstenu de suivre sa compagnie envoyée à Saint-Domingue, cela pour rester surveiller son « habitation64 ». Enfin, un autre Bragelonne, passé au Canada, bénéficiera également de la sollicitude du secrétaire d’État à la Marine qui lui vaudra d’être promu au grade de lieutenant dans les troupes de la Nouvelle France et de se voir féliciter, dès l’année suivante, pour sa ponctualité dans le service65. Le tout confirme que cette famille n’était pas seulement apparentée aux Pontchartrain, mais que, de plus, elle évoluait dans leur orbite. Sans trop s’aventurer, on peut donc supposer que Louis de Pontchartrain n’eut probablement pas grand mal à dissuader Bragelonne, le créancier d’Harouys, d’entamer une nouvelle procédure contre son débiteur (tableau 30).

  • 66 Lettre de Mme de Sévigné à Jean d’Hérigoyen, son homme d’affaires, Paris, le 23 avril 1687, Corres (...)
  • 67 Jean Quentin de Richebourg était le frère de Marie Quentin de Richebourg, femme de Pierre III de M (...)
  • 68 Journal de la Cour de Louis XIV de Dangeau, Paris, 1854-1860, 19 vol. in-8°, t. 4.

24Le vif intérêt porté par Mme de Sévigné et par Louis de Pontchartrain au sort de l’ancien trésorier s’explique par le fait que celui-ci avait épousé une cousine germaine de Mme de Sévigné, Marie-Madeleine de Coulanges, sœur de Philippe-Emmanuel de Coulanges, le compagnon d’enfance et correspondant assidu de la marquise. De cette union, vite interrompue par la mort de Marie-Madeleine en 1662, naquit André d’Harouys de La Seilleraye (1661-1731) qui, en 1687, étant alors conseiller au parlement de Paris, se mariera à une cousine germaine de Mme de Pontchartrain, Marie-Anne Quentin de Richebourg, fille – « fort riche et fort bien faite66 » – de Jean Quentin de Richebourg (v. 1624-1703), maître des requêtes de 1672 à 1700, lui-même fils du gros financier Bonaventure Quentin de Richebourg67. Un lien de parenté s’établissait ainsi entre les Sévigné-Coulanges et les Pontchartrain par l’intermédiaire des Harouys. Le mariage, célébré à Paris au mois de mai 1687, ne passa pas inaperçu. Fidèle chroniqueur des événements mondains à la Cour et à la Ville, le marquis de Dangeau note dans son Journal : « M. d’Harouys a marié son fils à Mlle de Richebourg, qui a 50 000 écus comptant et quelques choses encore à espérer68. » Selon toute probabilité, cette alliance, qui s’annonçait si prometteuse, avait été arrangée par Pontchartrain, soucieux de raffermir la position chancelante du vieux trésorier de Bretagne obligé d’effectuer une « cavalerie » constante pour assurer le paiement des avances et guetté, depuis des années, par la menace d’une vérification approfondie de sa comptabilité.

  • 69 Correspondance de Mme de Sévigné…, t. 3, p. 234.
  • 70 Ibid., t. 3, p. 282.
  • 71 Ibid., t. 3, p. 290.
  • 72 Ibid., t. 3, p. 1235-1236, note 3.

25Sur ce dernier point, Mme de Sévigné apparaît, une fois de plus, comme un témoin particulièrement bien informé, se trouvant, elle-même, endettée près de Guillaume d’Harouys qui l’avait fortement aidée à constituer la dot de sa fille Françoise-Marguerite mariée en 1669 au comte de Grignan. Déjà en 1685, à l’issue de la session des États de Bretagne tenus à Dinan du 1er au 23 août, la marquise ne cachait pas son soulagement que rien de fâcheux ne s’y soit produit concernant le trésorier général : « M. d’Harouys a sujet d’être content des États et de tous ses amis ; en voilà assez pour vous mettre l’esprit en repos », écrivait-elle à Mme de Grignan, à la date du 26 août69. Ce n’était qu’un bref répit pour lui, l’écart ne cessant, par la suite, de se creuser entre les avances consenties et les recouvrements toujours en retard. Au premier trimestre de l’année 1687, donc peu avant le mariage de son fils André, sa situation était devenue des plus alarmantes, comme l’atteste une série de lettres de Mme de Sévigné pressant Jean d’Herigoyen, son homme d’affaires, de faire rentrer d’urgence des petites sommes d’argent qui lui étaient dues ici et là (1300 francs à exiger d’un ancien fermier indélicat, 2000 francs obtenus d’un procès contre l’évêque de Nantes, etc.), le tout pour la mettre en état de rembourser Harouys au plus vite. « Cela me tient fort à cœur, insistait-elle à la date du 26 février, car j’aime tendrement M. d’Harouys, et ne veux pas être ingrate des plaisirs qu’il m’a faits70. » Et, le 23 avril, rien n’étant encore rentré, elle ne pouvait que réitérer à Hérigoyen son vif désir de voir ces diverses affaires réglées au plus tôt, en lui écrivant presque suppliante : « Je brûle d’envie de commencer à payer un ami si cher et si précieux71. » Finalement l’événement tant redouté se produisit à l’occasion de la session des États tenue à Saint-Brieuc au mois d’octobre 1687, où la faillite du trésorier de Bretagne parut, pour la première fois, au grand jour. Peu après le 27 décembre 1687, Guillaume d’Harouys prenait le chemin de la Bastille, avant même que son procès fut jugé. Quant à Mme de Sévigné, déjà accablée de soucis financiers, elle allait bientôt voir s’en ajouter d’autres non moins préoccupants, sa dette envers Harouys – soit près de 19 000 livres – passant entre les mains des liquidateurs de la faillite qui s’empresseront de la majorer du montant des intérêts en retard. Ce dernier coup aura pour effet de la réduire à de très maigres revenus (3000 à 4000 livres) au soir de sa vie, et d’aggraver le passif de sa succession qui, à sa mort en 1696, s’élèvera à plus de 68 000 livres72.

  • 73 Le 9 avril 1687, Pontchartrain prit congé du Parlement de Bretagne « pour aller en Cour, par ordre (...)
  • 74 Par sa mère, née Ardier, Gaspard de Fieubet (1626-1694) était le petit-fils de Suzanne Phélypeaux (...)
  • 75 Mémoires secrets et inédits de la Cour de France sur la fin du règne de louis XIV, du marquis de S (...)
  • 76 Correspondance de Mme de Sévigné…, t. 3, p. 565.
  • 77 Ibid., t. 3, p. 864. « M. et Mme de Richebourg » : le maître des requêtes Jean Quentin de Richebou (...)

26La faillite du trésorier général des États de Bretagne fut si retentissante que les contemporains l’appelèrent communément « l’affaire de Bretagne ». Quand cette affaire éclata, Louis de Pontchartrain n’était plus premier président du Parlement de la province, ayant rejoint la Cour à la mi-avril 1687 pour prendre des nouvelles fonctions d’intendant des Finances73. Sa présence sur place aux États de Saint-Brieuc, au mois d’octobre suivant, aurait-elle pu conjurer le désastre ? La réponse semble devoir être négative. Trop de temps ayant été perdu, la banqueroute s’avérait inévitable. Ce fut d’ailleurs un ami et proche parent de Pontchartrain, le conseiller d’État Gaspard de Fieubet74, qui, en sa qualité de commissaire du Roi aux États, précipita la chute du trésorier par son refus de lui allouer 200 000 écus pour diverses gratifications qu’il avait payées sur ordre des États75. En tout cas, après la mise en faillite, Pontchartrain restera toujours attaché aux intérêts de la famille Harouys, s’arrangeant notamment pour qu’André d’Harouys de la Seilleraye, l’époux de Marie-Anne Quentin de Richebourg, ait à pâtir le moins possible des malheurs de son père. Dans une lettre datée de Paris, le 30 mars 1689, Mme de Sévigné, commentant à Mme de Grignan les résultats du procès de l’ancien trésorier de Bretagne jugé la veille, 29 mars, précisait à propos du jeune couple : « Le pauvre La Seilleraye [André d’Harouys] est mal traité ; il perd beaucoup du bien de sa mère [Marie-Madeleine de Coulanges] parce que M. d’Harouys était engagé aux États avant que de l’être avec sa femme. Je plains ce petit ménage76. » Et un an plus tard, le 19 avril 1690, la marquise, s’adressant encore à Mme de Grignan, s’apitoyait à nouveau sur « La Seilleraye et sa femme » obligés, « à leur grand regret », de quitter leur maison pour aller habiter « tout auprès de M. et de Mme de Richebourg, où ils vont manger77 ».

  • 78 Ce fut probablement Jean Quentin de Richebourg qui avança à son gendre La Seilleraye l’argent néce (...)

27Heureusement Pontchartrain était là pour venir en aide au « petit ménage ». Sous sa protection, en effet, le fils du prisonnier de la Bastille fera carrière dans la haute administration. Après être resté simple conseiller au parlement de Paris de 1684 à 1694, et avoir été « débourbé », cette année-là, par l’acquisition d’un office de maître des requêtes78, La Seilleraye deviendra intendant de Franche-Comté en 1700, puis passera à l’intendance de Champagne en 1702 pour y demeurer jusqu’à sa démission en 1711, une démission inspirée par le pieux désir de se retirer du monde en compagnie de sa femme. Saint-Simon n’a pas manqué d’insister sur ce profil de carrière très particulier. Rappelant la triste destinée de Guillaume d’Harouys terminant ses jours en prison, il ajoute :

  • 79 Saint-Simon, t. 1, p. 679.

« Cela n’empêcha pas son fils de devenir maître des requêtes et intendant de province, avec réputation d’esprit et de probité ; il se fit aimer et estimer, et il aurait été plus loin, si la piété, tant de lui que de sa femme, dont il n’avait point d’enfants, ne les engageait à tout quitter pour ne penser qu’à leur salut79. »

  • 80 Ibid.
  • 81 Saint-Simon, t. 4, appendice n° 3, p. 1102-1103, Addition de Saint-Simon au Journal de Dangeau, su (...)

28Le mémorialiste, toutefois, ne mentionne pas le rôle joué par Pontchartrain dans le rétablissement d’André d’Harouys de La Seilleraye après la ruine et la condamnation de son père. Mais, en observateur attentif pour avoir fréquenté régulièrement le château de Pontchartrain, où le Chancelier et la chancelière lui réservaient toujours un excellent accueil, il fournit, à propos de Marie-Anne Quentin de Richebourg, l’épouse de La Seilleraye, quelques précieuses indications qui ne permettent guère de douter de la sollicitude de Louis de Pontchartrain envers ce couple tant éprouvé. « J’ai fort vu, raconte-t-il, cette Mme d’Arrouy [sic] à Pont-chartrain, qui avait beaucoup d’esprit, et un esprit très aimable et orné, extrêmement janséniste ; je me suis souvent diverti à disputer avec elle ; j’étais ravi quand je l’y trouvais80. » D’autre part, selon encore Saint-Simon, La Seilleraye devait rester toujours très lié au chancelier Pontchartrain, même après la démission de ce dernier, début juillet 1714. Lui-même, démissionnaire en 1711, s’était, en effet, retiré au noviciat de l’Oratoire, dit « l’Institution, situé faubourg d’Enfer, là même où le Chancelier, aussitôt les sceaux remis au Roi, loua un petit appartement pour se couper du monde et ne voir plus personne, à l’exception de quelques rares intimes ». André d’Harouys de La Seilleraye faisait précisément partie de ce cercle restreint. Décrivant le mode de vie désormais quasi monacal de Louis de Pontchartrain, avec assistance à « tous les exercices de la maison » et bannissement de « toute autre lecture que spirituelle », Saint-Simon ajoute, pour mieux en souligner l’austérité, que l’ancien chancelier « ne donna jamais à manger », dans son appartement de l’Oratoire, « qu’à ses enfants et à MM. Bignon, ses propres neveux, et à ceux-là encore rarement, et quelquefois à MM. de Bagnols et de Harouys, retirés à l’Institution81 ».

  • 82 Pour la « conversion » de Mme de Coulanges, voir Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, p. 493, 8 (...)
  • 83 Voir plus haut, chap. II.

29Ce M. de Bagnols mentionné ici, ancien maître des requêtes, se rattachait aux Coulanges-Sévigné et, de là, aux Harouys, par sa tante Marie-Angélique Dugué de Bagnols, une cousine germaine de Louvois qui avait épousé Philippe-Emmanuel de Coulanges, cousin germain de Mme de Sévigné et frère de Marie-Madeleine de Coulanges mariée au trésorier de Bretagne Guillaume d’Harouys. Étroitement apparentés aux Le Tellier chez qui, rappelons-le, prévalait une certaine tendance jansénisante, les Dugué de Bagnols formaient, quant à eux, une famille résolument acquise à la cause de Port-Royal, et cela tout au long du xviie siècle. Mme de Coulanges, née Dugué de Bagnols, semble avoir fait exception par son goût prononcé pour la galanterie et les « frivolités », mais elle se serait « convertie » vers 1690, gagnée par le prosélytisme de Mme de Sévigné devenue, au soir de sa vie, fervente lectrice de traités d’inspiration augustinienne82. De son côté, Mme d’Harouys, née Quentin de Richebourg, cousine germaine de la chancelière Pontchartrain, est présentée par Saint-Simon comme une femme « extrêmement janséniste », sentiment que devait probablement partager son mari André d’Harouys de La Seilleraye, au moins dans une certaine mesure. Le fait que La Seilleraye, comme le chancelier Pontchartrain et comme Dugué de Bagnols, ait choisi l’Oratoire pour « se retirer hors du monde » apparaît, en effet, très probant à cet égard, compte tenu de la persistance d’un fort courant janséniste en milieu oratorien à la fin du règne de Louis XIV. Les Harouys s’intégraient au groupe des familles qui se trouvaient proches à la fois des Le Tellier et des Pontchartrain tant par leurs alliances que par leurs affinités, plus ou moins accentuées, sur le plan des sensibilités religieuses, le tout venant renforcer, comme on l’a vu dans un chapitre précédent, l’entente de ces deux clans fondée sur la défense d’intérêts communs83.

  • 84 Cf. D. Dessert, Argent…, p. 602, notice Harouys.
  • 85 Dans leur travail, les officiers des États (procureur général syndic, trésorier général et greffie (...)
  • 86 Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, p. 290, lettre du 23 avril 1687 (de Paris) à Jean d’Herigo (...)

30L’intérêt porté par Louis de Pontchartrain à la famille Harouys s’était manifesté bien avant le mariage, en 1687, de sa cousine Mlle de Richebourg avec La Seilleraye. Il s’inscrivait dans le cadre de la politique du premier président du Parlement de Bretagne qui, dès sa prise de fonctions en 1677, veilla à se concilier les familles les plus influentes de la province. Les Harouys y figuraient en bon rang. Le père de Guillaume, le trésorier, avait terminé sa carrière comme premier président de la Chambre des comptes de Bretagne établie à Nantes. Auparavant président au présidial de Nantes, puis maire de cette ville, il était lui-même le fils d’un ancien greffier en la Chancellerie de Bretagne qui s’était élevé dans la magistrature, devenant sénéchal président au présidial de Nantes et finissant conseiller au parlement de Rennes84. D’autre part, la sœur de Guillaume, Louise d’Harouys, avait épousé Jean-Baptiste de Becdelièvre, avocat général à la Chambre des comptes de Nantes. De cette union naquirent Barbe de Becdelièvre (1640-1711) mariée en 1659 à Pierre Le Guerchoys (1631-1692), avocat général en 1652, puis procureur général en 1681 au parlement de Rouen, et Jean-Baptiste de Becdelièvre (1651-1736), marquis de La Brunelaye, marié en 1677 à Renée de Sesmaisons de Tréambert, d’une famille d’ancienne extraction, nièce d’Hilarion de Sesmaisons de Trévaly, commissaire pour la noblesse aux États de Bretagne85. Le mariage de Barbe avait été arrangé par son oncle Guillaume d’Harouys qui gardait d’utiles relations au parlement de Rouen pour y avoir siégé comme conseiller de 1641 à 1645. Il en allait de même pour celui de Jean-Baptiste de Becdelièvre de La Brunelaye, Guillaume d’Harouys étant un intime de Trévaly. « Ces deux amis ne sont qu’un », remarquait, à leur sujet, le 23 avril 1687, Mme de Sévigné qui, deux ans plus tard, dans une lettre du 9 août, montrait Trévaly encore sous le choc de la condamnation de l’ancien trésorier des États : « Nous avons ici Trévaly qui est un ami parfait, écrivait-elle d’Auray à Mme de Grignan ; ses yeux ne sont pas encore commencés à sécher du malheur de son ami86. »

  • 87 En 1663, Henri Daguesseau avait épousé Claire-Eugénie Le Picart de Périgny, fille de J.-B. Le Pica (...)
  • 88 Saint-Simon, éd. Chéruel, t. 4, p. 340, 345 ; t. 7, p. 87-92 ; t. 12, p. 54, 55, 191, 258.
  • 89 Cf. Lucien Bély, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, op. cit., p. 139, 151, 201, 211, 2 (...)
  • 90 Saint-Simon, Pléiade, t. 5, p. 398.

31Cette très vive amitié entre Trévaly et Harouys avait facilité les débuts de carrière de Jean-Baptiste de La Brunelaye qui bénéficia aussi, sans tarder, de la protection de Louis de Pontchartrain. Reçu conseiller au Parlement de Bretagne en 1677, l’année même de son mariage et de l’arrivée de Pontchartrain, il était nommé, dès l’année suivante, premier président de la Chambre des comptes de Nantes à l’âge de 27 ans, pour occuper ce poste jusqu’en 1722, date où son fils lui succéda. Entre-temps, ce qui ne va pas sans éclairer cette perpétuation à la Chambre des comptes, La Brunelaye avait vu s’ajouter à la protection de Pontchartrain, celle des Daguesseau père et fils, Henri, le conseiller d’État, mort en 1716, et Henri-François, chancelier à partir de 1717. Leur sollicitude à l’égard du premier président de la Chambre des comptes de Bretagne se comprend d’autant mieux que le neveu de celui-ci, Pierre-Hector Le Guerchoys (fils de Pierre Le Guerchoys et de Barbe de Becdelièvre) avait épousé en 1700 Marie-Madeleine Daguesseau, sœur d’Henri-François, alors procureur général au parlement de Paris. Cette union avait été probablement concoctée par Pontchartrain, infatigable marieur, toujours soucieux de renforcer par des alliances la cohésion de son réseau. Barbe de Becdelièvre, mère de Pierre-Hector et sœur de La Brunelaye, était la cousine germaine d’André d’Harouys de La Seilleraye, marié à une Richebourg. De leur côté, les Daguesseau, rappelons-le, se trouvaient très proches parents des Pontchartrain, Daguesseau père ayant épousé une cousine germaine de Louis de Pontchartrain87. En tout cas, Pierre-Hector Le Guerchoys (1640-1740) – un grand ami de Saint-Simon qui en parle à plusieurs reprises88 – présente le profil de carrière d’un homme disposant de puissantes relations, et au demeurant fort capable. Conseiller au parlement de Rouen en 1692, à l’âge de 22 ans, maître des requêtes en 1699, intendant d’Alençon en 1705, il passe en 1708 à la tête de l’intendance de Franche-Comté pour y rester jusqu’en 1717, se signalant notamment, au cours des hostilités, par sa vigilance à déjouer les menées subversives dans cette province-frontière fraîchement réunie au royaume89. À la mort d’Henri Daguesseau en 1716, Saint-Simon affirme être intervenu, vainement, pour faire obtenir à Le Guerchoys la place vacante de conseiller d’État laissée par son beau-père90. Ce n’était que partie remise. L’année suivante, Henri-François Daguesseau étant devenu, le 2 février, chancelier de France, peu après, le 23 juillet, Pierre-Hector Le Guerchoys entrait au Conseil d’État comme conseiller semestre, avant de passer conseiller ordinaire en 1725 (tableau 31).

  • 91 Chap. II, p. 116-118 et tableau 19.
  • 92 Philippe II de Coulanges, fils du financier Philippe Ier, était le frère de Marie de Coulanges mar (...)
  • 93 Journal d’Olivier d’Ormesson, et extraits des Mémoires d’André Lefèvre d’Ormesson, éd. Cheruel, Pa (...)
  • 94 Anne-Françoise Lefèvre d’Ormesson (1678-1735) était la fille d’André Lefèvre d’Amboille (1644-1684 (...)

32Beau-frère d’un Le Guerchoys, lui-même cousin des Harouys, Henri-François Daguesseau se rattachait aussi, comme on l’a vu plus haut91, aux Coulanges-Sévigné par son mariage en 1694 avec Anne-Françoise Lefèvre d’Ormesson, petite-nièce du trésorier de France Philippe II de Coulanges et de Marie Lefèvre d’Ormesson. De plus, ce Philippe II, oncle et tuteur de Marie de Rabutin-Chantal, future Mme de Sévigné92, et père de Philippe-Emmanuel de Coulanges, avait pour aïeule maternelle une Daguesseau, prénommée Madeleine, mariée en 1564 à Claude de Coulanges, procureur au parlement de Paris. Quant à sa femme, Marie Lefèvre d’Ormesson, elle nous conduit également à une famille alliée aux Phélypeaux, par l’intermédiaire de son frère, le maître des requêtes Olivier Lefèvre d’Ormesson (1616-1686), resté célèbre à la fois comme auteur d’un précieux Journal93 et comme rapporteur au procès Fouquet où sa courageuse attitude lui valut une disgrâce définitive. Olivier, l’aïeul d’Anne-Françoise mariée à Daguesseau94, avait, en effet, épousé en 1640 Marie de Fourcy, sœur du conseiller au Grand Conseil, Jean de Fourcy (mort en 1655) qui, de sa brève union (1652-1655) avec Marguerite Fleuriau (remariée en 1656 avec Claude Le Pelletier), aura Marie-Marguerite de Fourcy, future épouse – en 1670 – du secrétaire d’État Balthazar Phélypeaux, marquis de Châteauneuf. Enfin rappelons que l’une des filles de Philippe II de Coulanges et de Marie Lefèvre d’Ormesson, Marie-Madeleine de Coulanges, femme du trésorier Guillaume d’Harouys, était, elle-même, la belle-mère d’une cousine des Pontchartrain par le mariage de son fils André d’Harouys avec Mlle de Richebourg. Le tout offre donc le spectacle d’un véritable imbroglio d’alliances où l’émergence, à maintes reprises, d’une parentèle plus ou moins proche des Phélypeaux se prêtait fort bien à l’entreprise menée, de longue date, par Louis de Pontchartrain pour étendre son réseau d’influence parmi les familles les plus considérables de la province de Bretagne.

  • 95 La mère de Michel-Charles Amelot, Catherine Le Pelletier de La Houssaye (mariée au conseiller d’Ét (...)
  • 96 Cf. André Lespagnol, Messieurs de Saint-Malo, op. cit., p. 729, Tableau des dots et avancements su (...)
  • 97 En raison de l’âge et de la santé de son oncle Henri Daguesseau, Amelot dirigea l’instruction des (...)
  • 98 Denis-Jean-Michel Amelot de Chaillou (1666-1746), conseiller au parlement de Paris en 1687, maître (...)

33Cette politique, par la suite, loin de s’essouffler, allait au contraire s’amplifier, avec, entre autres exemples caractéristiques, le mariage en 1705 du fils du grand négociant-armateur malouin Noël Danycan de l’Épine, le jeune Noël Danycan de Landivisiau (1686-1730) qui épousait Marie-Philippe Samson (1692-1734), fille de l’intendant de généralité Claude-Joseph Samson et de Marie-Anne de Maupeou, nièce de la chancelière Pontchartrain. L’impressionnante réussite maritime et commerciale des « Messieurs de Saint-Malo », alors en pleine marche ascendante, était évidemment en relation directe avec cette alliance. D’autre part, Claude-Joseph Samson (1662-1704) bénéficiait de la protection active de Pontchartrain comme le montre l’évolution de sa carrière. Conseiller au parlement de Paris depuis 1685, il passe maître des requêtes en 1690, l’année même de son mariage avec Mlle de Maupeou, et entre sans tarder dans les intendances, nommé successivement à Pau (1692), Montauban (1694), Soissons (1698), enfin Rouen, en 1704, où sa mort, à l’âge de 42 ans, vint interrompre un parcours qui aurait dû le mener au Conseil d’État. En mariant, dès l’année suivante, Mlle Samson, âgée de 13 ans, à Danycan de Landivisiau, le chancelier Pontchartrain assurait donc l’avenir de cette orpheline, petite-nièce de sa femme, en même temps qu’il introduisait une parente au sein de l’élite négociante malouine. Signalons encore que, la même année 1705, le chancelier faisait le mariage d’un petit-neveu de son cousin Henri Daguesseau, Michel-Charles Amelot de Gournay (1680-1730), conseiller au Grand Conseil95, avec une sœur de Landivisiau, Marguerite-Pélagie Danycan, âgée de 11 ans (union consommée en 1710), et qu’enfin, en 1714, il imposera littéralement à Noël Danycan de l’Épine le mariage de son dernier fils Noël Danycan d’Annebaut (1693- ?), maître des Comptes, avec une petite-cousine de la chancelière Pontchartrain, Claude-Charlotte de Tilly de Blarue. Ces alliances cachaient, en fait, une opération d’envergure du clan Pontchartrain pour capter une bonne part de la fortune colossale de Noël Danycan de l’Épine, « le nabab de la mer du Sud ». Les trois contrats de mariage sont éloquents à cet égard. La dot de Marguerite-Pélagie Danycan s’élevait à 500 000 livres, sans compter 250 000 à 300 000 livres de versements complémentaires, tandis que ses frères Landivisiau et Annebaut apportaient, eux-mêmes, une « dot » sous forme d’ » avancements successifs » reçus de leur père, soit un montant total d’environ 2 millions de livres pour le premier et d’un million de livres pour le second96. Ces contrats léonins traduisaient la situation de dépendance de Noël Danycan de l’Épine qui, pour être le plus puissant des « Messieurs de Saint-Malo », n’en devait pas moins se plier, jusque dans le domaine familial, aux exigences des redoutables Pontchartrain, maîtres du département de la Marine depuis un quart de siècle, avec, dans leurs attributions, la haute responsabilité du commerce extérieur par voie de mer. Les contreparties des lourds sacrifices financiers occasionnés par le mariage de ses enfants ne manquèrent toutefois pas à l’armateur malouin, la protection du secrétaire d’État à la Marine Jérôme de Pontchartrain lui valant de bénéficier de nombreux passe-droits qui facilitèrent notamment ses expéditions à la mer du Sud. Autre compensation, son fils Landivisiau, après son union combien onéreuse avec Mlle Samson, allait en être récompensée par une belle carrière aux promotions accélérées. Conseiller au parlement de Paris à l’âge de 20 ans, procureur du Roi en la capitainerie de la Varenne des Tuileries l’année suivante, maître des requêtes avec dispense d’âge dès 1710, il entre en 1711, comme intendant du Commerce, au Conseil royal de Commerce créé en 1700 sur l’inspiration des Pontchartrain qui s’en firent une sorte de fief. Cette nouvelle section du Conseil du Roi était, en effet, présidée par le conseiller d’État Henri Daguesseau, assisté de son neveu le conseiller d’État Michel-Jean Amelot97, père de Michel-Charles époux de la sœur de Landivisiau, et cinq des six intendants du Commerce, qui y siégeaient, appartenaient à la parentèle Phélypeaux, dont un cousin germain d’Amelot père, Denis-Jean-Michel Amelot de Chaillou, marié à Philiberte de Barrillon, arrière-petite-fille de Paul de Pontchartrain98 (tableau 32).

  • 99 Charles Bonaventure Rossignol (1649-1705) était le fils d’Antoine Rossignol, maître des Comptes, e (...)
  • 100 Charles d’Albert d’Ailly, duc de Chaulnes (1625-1698), était le neveu du connétable de Luynes et l (...)

34On reviendra ultérieurement sur la composition si caractéristique du Conseil de Commerce et sur la carrière du conseiller d’État Amelot, un très grand commis accomplissant même d’importantes missions diplomatiques, et qui fut l’un des principaux « collaborateurs-parents » des deux ministres Pontchartrain de Louis XIV. Mais, pour le moment, et afin de pousser plus avant l’étude du réseau breton évoqué à partir de la famille du trésorier Guillaume d’Harouys, une alliance particulièrement significative s’impose à l’attention, en raison de ses implications. C’est le mariage, en 1694, d’un président à la Chambre des comptes de Paris, cousin germain à la fois de Mme de Pontchartrain et de Mme d’Harouys (née Quentin de Richebourg), Charles-Bonaventure Rossignol de Balagny, alors âgé de 45 ans99, avec Michèle de Pomereu, fille du conseiller d’État Auguste-Robert de Pomereu, et petite-fille de François de Pomereu, président au Grand Conseil. Auguste-Robert de Pomereu (1630-1702) fut chronologiquement le premier intendant de Bretagne, de 1689 à 1691. Surveillant jalousement les affaires bretonnes depuis son départ de la province, Pontchartrain, devenu intendant des Finances, avait poussé activement, près du contrôleur général Claude Le Pelletier, à cette nomination, survenue au mois de janvier 1689. Le choix était justifié, Pomereu ayant derrière lui une solide expérience qui le qualifiait pour diriger l’administration d’une province réputée récalcitrante, la dernière du Royaume à recevoir un intendant. Conseiller au Grand Conseil en 1651, maître des requêtes en 1656, intendant successivement à Moulins (Bourbonnais), Riom (Auvergne) et Bourges (Berry) entre 1661 et 1664, conseiller d’État semestre en 1675, puis ordinaire en 1680, il s’était, de plus, distingué comme prévôt des marchands de Paris de 1676 à 1684. Par ailleurs, cet administrateur chevronné connaissait déjà la Bretagne pour y avoir servi, et très efficacement, comme intendant d’armée au moment crucial de la répression des séditions bretonnes de 1675, révolte urbaine du « papier timbré », et, en Basse Bretagne, révolte rurale des « bonnets rouges ». L’approche de la guerre de la ligue d’Augsbourg, qui allait éclater au printemps 1689, précipita très probablement l’envoi, au début de cette même année, d’un intendant à demeure, le Roi ayant besoin sur place d’un haut responsable administratif pour coordonner la mobilisation des ressources d’une province maritime directement exposée aux entreprises de l’Angleterre. L’arrivée de Pomereu s’accompagna, d’ailleurs, de celle du maréchal Jean d’Estrées, chargé de la défense des côtes, tout cela au grand dépit de l’ombrageux duc de Chaulnes, gouverneur résident, en poste depuis 1671100, qui se voyait désormais flanqué d’un administrateur civil et d’un commandant militaire empiétant, l’un et l’autre, sur ses attributions et prérogatives (tableau 33).

  • 101 Saint-Simon, t. 1, p. 350.
  • 102 Extrait des Mémoires du marquis de Sourches, à la date du 22 juin 1685, cité par R. Duchêne dans s (...)
  • 103 Saint-Simon, t. 1, p. 651.
  • 104 Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, Notes, p. 1251.

35Cependant des considérations d’un ordre différent intervinrent aussi dans la nomination de Pomereu. Elles étaient liées aux visées de Pontchartrain qui, une fois promu, en 1687, intendant des Finances, entendit conserver la Bretagne dans son nouveau département pour continuer à se mêler des affaires de la province, et y renforcer ainsi son réseau d’influence. Encore lui fallait-il éliminer, ou du moins neutraliser le duc de Chaulnes dont l’autorité, localement, se trouvait peu contestée, et qui, par surcroît, était résolument hostile à l’ancien premier président du parlement de Vannes, les deux hommes, fortement marqués par une longue et âpre rivalité sur le théâtre breton entre 1677 et 1687, étant devenus ennemis irréconciliables. L’instauration d’une intendance en Bretagne, avec son partage de pouvoirs d’autant plus traumatisant pour le gouverneur que l’administrateur chargé de cette tâche était tout acquis à son vieil ennemi, s’inscrit donc ici sous un éclairage particulier, l’envoi de Pomereu signifiant un succès important remporté par Pontchartrain dans sa lutte déjà ancienne avec le duc de Chaulnes. Depuis son élévation, en 1677, à la tête du « Sénat » breton, Louis de Pontchartrain n’avait cessé de mobiliser ses correspondants parisiens pour ruiner, en haut lieu, le crédit du gouverneur de Bretagne, ce dernier ne se privant évidemment pas de lui rendre la pareille. Dans son style expressif, Saint-Simon a su restituer l’ambiance délétère qui régnait alors au sommet de la hiérarchie de la province. « M. de Chaulnes, écrit-il, était aux couteaux tirés avec M. de Pont-chartrain […] : tous deux en Bretagne, et tous deux remuant l’un contre l’autre ce qu’ils pouvaient à la Cour, à qui aurait le dessus dans leurs prétentions101. » De son côté, le marquis de Sourches, moins abrupt, qualifie le premier président Pontchartrain de « grand acteur pour contrecarrer en toutes choses les desseins de M. le duc de Chaulnes, quoiqu’en apparence, ils vécussent ensemble, comme s’ils eussent été encore bons amis102 ». Les origines de cette hostilité latente n’ont pas échappé à Saint-Simon qui met en avant l’intense activité déployée par Pontchartrain au cours de sa mission bretonne. Soulignant que le premier président « fit toutes les fonctions d’intendant dans une province qui n’en souffrait point encore », le mémorialiste en expose la suite logique, compte tenu des habitudes autoritaires du gouverneur : « Il y eut de grands démêlés d’affaires avec le duc de Chaulnes, qui était adoré en Bretagne, et qui n’était pas accoutumé qu’autre que lui et les États, dont il était le maître, se mélassent de rien dans le pays103. » Effectivement, faute d’intendant à demeure, c’était au premier président du Parlement de Bretagne d’y suppléer, vaille que vaille. Très alerte et soucieux de se faire valoir après tant d’années passées dans l’obscurité comme simple conseiller au parlement de Paris, Louis de Pontchartrain veilla à s’acquitter, avec zèle, de cette lourde tâche extraparlementaire plutôt négligée par son prédécesseur, le premier président François d’Argouges. En cela, il se trouva énergiquement soutenu par le chancelier Michel Le Tellier qui, étant lui-même brouillé avec le duc de Chaulnes, travaillait à saper la position de ce grand seigneur, trop porté par son ancienneté dans le poste et aussi par sa naissance, à se comporter en « roi de la province ». Ainsi, en 1685, le commissaire du Roi que le chancelier Le Tellier fit nommer pour la session des États tenue à Dinan au mois d’août, était un parent et un grand ami de Pontchartrain, le conseiller d’État Gaspard de Fieubet. Le Chancelier, explique en substance le marquis de Sourches, avait procédé à ce choix parce que « M. de Fieubet lui paraissait plus propre à ses intentions, n’ayant pas de liaison avec M. de Chaulnes et en ayant beaucoup avec M. de Pontchartrain104 ». Louis de Pontchartrain apparaît donc bien, à ce stade de sa carrière, comme une créature du chancelier Le Tellier dont, à son poste stratégique de premier président, il servait efficacement la politique d’intervention dans les affaires bretonnes.

  • 105 Saint-Simon, t. 1, p. 350.
  • 106 Cf. Armand Rébillon, Les États de Bretagne de 1661 à 1789, Paris, 1932, in-8°, 518 p., p. 49, note (...)
  • 107 Saint-Simon, t. 1, p. 546.

36La disparition, le 30 octobre 1685, de Michel Le Tellier, aurait pu mettre en danger le premier président de Bretagne, d’autant que le nouveau chancelier, Louis Boucherat, un septuagénaire qui, jadis, avait été dix fois commissaire du Roi aux États de la province, était « ami intime de M. de Chaulnes » et « déclaré pour lui contre M. de Pontchartrain105 ». Rien de tel cependant ne se produisit, le premier président possédant, semble-t-il, des dossiers compromettants sur le gouverneur, aristocrate fastueux et endetté, souvent à court d’argent. À ce sujet, l’abbé du Breuil de Pontbriand, auteur, au xviiie siècle, d’un Traité historique des États de Bretagne, parle de malversations commises par le duc de Chaulnes, dont Colbert, en son temps, aurait été informé106. Peut-être était-ce grâce à l’obligeance du premier président Pontchartrain ? En tout cas, celui-ci disposait d’un moyen dissuasif pour annihiler les tentatives de revanche du gouverneur de Bretagne. C’était l’appui du clan Le Tellier, toujours très influent avec le ministre Louvois et le contrôleur général Claude Le Pelletier. En 1687, sur l’initiative de Le Pelletier, Louis de Pont-chartrain abandonnait sa charge parlementaire pour accéder à l’intendance des Finances, devenant, de ce fait, un puissant personnage, et encore plus lorsque, le 20 septembre 1689, la faveur et aussi sa compétence le propulsaient à la tête du Contrôle Général. Ces deux promotions successives ne furent certainement pas étrangères à l’élimination progressive du duc de Chaulnes qui, dès le mois d’août 1689, fut opportunément envoyé en mission diplomatique à Rome, laissant le champ libre à Pomereu et au maréchal d’Estrées arrivés à Rennes au mois de février précédent. Pourvu, par la suite, d’une seconde mission à Rome et ne revenant plus qu’épisodiquement dans la province, le duc se voyait contraint en 1695, sous la vive pression de Louis XIV, de laisser son gouvernement au comte de Toulouse, pour s’en aller prendre celui de Guyenne, précédemment détenu par le jeune prince. Sa mort, survenue trois ans plus tard, fut celle d’un homme resté inconsolable de son éviction d’une scène provinciale où il avait paradé durant un quart de siècle. « M. de Chaulnes mourut enfin, note Saint-Simon, de douleur de l’échange forcé de son gouvernement de Bretagne107. »

  • 108 Dans une lettre datée du 18 février 1689, jour même de son installation à Rennes, Pomereu demande (...)
  • 109 Cf. D. Dessert, Fouquet, Paris, Fayard, 1987, p. 89. Veuf en 1633 de Marie Baron, épousée en 1622, (...)
  • 110 Cf. H. Fréville, L’intendance de Bretagne…, op. cit., t. 1, p. 53.
  • 111 Saint-Simon, t. 2, p. 105.
  • 112 Louis Bazin de Bezons (†1700), intendant à Limoges, puis à Bordeaux (1686-1700), était le frère du (...)
  • 113 113. Cf. H. Fréville, L’intendance de Bretagne…, t. 1, p. 56.

37S’agissant d’attachement à la Bretagne, le commissaire départi, qui, sur l’inspiration de Pontchartrain, fut chargé au début de 1689, d’implanter la nouvelle intendance, se trouvait, certes, aux antipodes du malheureux duc de Chaulnes. Nommé le 30 janvier, et installé à Rennes le 18 février suivant, Auguste-Robert de Pomereu, qui était conseiller d’État ordinaire depuis 1680, n’entendait nullement s’attarder en pays si lointain, ayant beaucoup mieux à faire au Conseil du Roi, où sa compétence, reconnue de longue date, lui valait de siéger dans les multiples commissions des Finances, généralement très bien rétribuées108. Ce spécialiste des questions financières, élevé au contact de l’intendant des Finances Guillaume de Bordeaux, « publicain notoire, doué d’un talent unique pour embarquer les gens d’affaires109 », semble, en effet, avoir été un homme particulièrement âpre au gain, toujours en quête de « gratifications », et, dès qu’une mission lui était confiée, supputant immédiatement le bénéfice à en tirer110. Aussi s’arrangea-t-il pour abréger la durée de son « exil », avec la complaisance de Pont-chartrain qui, devenu entre-temps contrôleur général et ministre d’État, lui permit de regagner la capitale au mois d’octobre 1691, puis le fit remplacer à Rennes, au mois de décembre suivant, par Béchameil de Nointel, destiné à rester en poste jusqu’en juillet 1705. Malgré sa brièveté, la mission bretonne de Pomereu passa pour une réussite. « C’est le premier intendant, écrit Saint-Simon, qu’on ait hasardé d’envoyer en Bretagne et qui trouva moyen d’y apprivoiser la province111. » Pontchartrain, il est vrai, s’était employé à mettre en valeur le savoir-faire de son protégé, notamment à propos du retour à Rennes, au mois d’octobre 1689, du Parlement de Bretagne, relégué à Vannes depuis les troubles de 1675. Par exemple, dans une lettre circonstanciée du 31 octobre 1689, le nouveau contrôleur général, promu le mois précédent, exposait à son parent l’intendant de Guyenne Louis Bazin de Bezons112 comment Pomereu était parvenu à monnayer avantageusement ce retour avec les magistrats bretons, leur arrachant, en contrepartie, la création de six offices de conseiller et d’un office de président à mortier. Par cette négociation menée dès sa prise de fonctions, l’intendant de Bretagne avait pu se faire mieux accepter, en même temps qu’il procurait d’appréciables rentrées au Trésor royal. En conclusion, Pontchartrain recommandait à Bezons d’imiter l’exemple de Pomereu, l’intendant de Guyenne se trouvant confronté à problème semblable avec le parlement de Bordeaux, également sanctionné en 1675, pour son attitude lors de mouvements séditieux consécutifs à l’introduction du « papier timbré113 ».

  • 114 114. Cf. Dictionnaire du Grand Siècle (dir. F. Bluche), op. cit., article « Bretagne » (Jean Meyer (...)
  • 115 115. Saint-Simon, t. 1, p. 364.

38Les mérites d’Auguste-Robert de Pomereu apparaissent maintenant moins évidents, l’historien Jean Meyer qualifiant même sa mission d’ » essai raté » et considérant son successeur Louis Béchameil de Nointel comme « le premier véritable intendant de Bretagne114 ». En tout cas, « essai » raté ou non, l’astucieux conseiller d’État sut tirer ample profit de ses deux années passées à Rennes, ce séjour lui ayant permis de resserrer ses liens avec le contrôleur général Pontchartrain, lequel allait bientôt le faire bénéficier d’une fin de carrière extrêmement brillante. Ce fut en 1697, lorsque l’une des deux places, si convoitées, de conseiller d’État au Conseil royal des Finances devint vacante par la mort, à l’âge de 82 ans, de l’oncle de Colbert, l’austère Henri Pussort (en charge depuis 1672), décrit par Saint-Simon comme « le dictateur, et pour ainsi dire l’arbitre et le maître » de l’ensemble de la famille Colbert115. La charge de Pussort passa alors aux mains de Pomereu qui s’en vint siéger aux côtés du cousin de Pontchartrain, Henri Daguesseau, détenteur de l’autre charge de conseiller depuis 1695. La parentèle Phélypeaux monopolisait ainsi les deux places de conseiller d’État au Conseil royal, la fille d’Auguste-Robert, Michèle de Pomereu, ayant épousé en 1694 le président Rossignol, cousin germain de Mme de Pontchartrain. Ce mariage, témoignant de l’excellence des rapports entre le contrôleur général et l’ancien intendant de Bretagne, s’inscrivait, lui-même, dans la logique de fonctionnement des réseaux basée sur la réciprocité des services. En plaçant Mlle de Pomereu dans sa propre famille, Pontchartrain récompensait, en la personne du père de celle-ci, un homme qui, après avoir accepté, pour lui plaire, le poste difficile de Rennes où, apparemment, il n’avait rien à gagner, s’était ensuite fait, sur place, le protecteur du groupe de familles formant l’ossature de son réseau breton.

  • 116 Pomereu déclarait à Mme de Sévigné « avoir une grande indifférence pour l’absence, pour la sottise (...)
  • 117 Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, Notes, p. 1561.
  • 118 Cf. Roger Duchêne, Mme de Sévigné ou la chance d’être femme, Paris, Fayard, 1996 (nouvelle édition (...)

39Un exemple caractéristique de cette protection est fourni par le cas de Charles de Sévigné, seul fils de la marquise. Charles de Sévigné (1648-1713), après une carrière militaire de quinze années, très honorable, avec quelques blessures, mais limitée au grade subalterne de sous-lieutenant à la compagnie des Gendarmes-Dauphin, s’était retiré du service en 1683, vendant sa sous-lieutenance à Étienne de L’Aubespine de Verderonne. Signalons, au passage, que la fille de ce L’Aubespine, Hélène de Verderonne, deviendra, en 1713, la seconde épouse de Jérôme de Pontchartrain, veuf, en 1708, d’Éléonore de La Rochefoucault-Roye. Depuis son départ de l’armée, Charles, qui avait « le cœur breton » à la différence de sa mère, aspirait à un emploi en vue dans sa province natale, ambition sans cesse déçue, faute de hautes protections et malgré de multiples démarches. L’horizon commença à s’éclaircir, avec la présence à Rennes de Pomereu, tandis qu’à Versailles, Pontchartrain devenait de plus en plus puissant, cumulant, à partir de la mort de Seignelay en 1690, les fonctions de « grand argentier » et de « ministre de la Mer ». Pomereu s’employait alors à faire créer une charge de lieutenant de Roi au Comté nantais pour remédier aux graves défaillances de Sébastien de Rosmadec, marquis de Molac, gouverneur de Nantes et l’un des deux lieutenants généraux de la province116. Plein de prévenances pour Mme de Sévigné qu’il avait conquise, dès son arrivée, par sa belle prestance, l’intendant vit dans cette lieutenance de Roi un moyen pour débourber son fils. Malheureusement, lorsqu’en 1692, donc après le départ de Pomereu, la charge fut créée, son prix s’élevait à 180 000 livres, et Charles, en bon Sévigné, se trouvait démuni. Il lui fallut passer de longs mois à quémander des prêts, comme en témoignent plusieurs de ses lettres au contrôleur général qui suivait de très près l’affaire, en liaison avec Pomereu revenu à Paris117. Finalement, en 1693, Charles de Sévigné ayant réussi à réunir les 180 000 livres, Pontchartrain s’arrangeait pour lui faire attribuer la lieutenance de Roi au Comté nantais, bien qu’un concurrent en eût proposé une somme supérieure118. Mieux, il obtint du Roi, en faveur de son protégé, une forte indemnité annuelle pour frais de logement. Trois ans plus tard, dans une lettre écrite après le décès de Mme de Sévigné, Charles, voulant donner à Mme de Grignan « un éclaircissement général de toutes les affaires de la maison », évoquait, en termes significatifs, ce rôle tutélaire de Pontchartrain, à propos de sa charge de lieutenant de Roi, qui était héréditaire et dont sa sœur pourrait, par la suite, tirer profit, lui-même n’ayant pas d’enfant.

  • 119 Lettre de Charles de Sévigné à Mme de Grignan, du 27 septembre 1696, reproduite par R. Duchêne en (...)

« Elle n’a point dépéri entre mes mains, au contraire, tenait-il à préciser. Le ministre que nous aimons et qui nous aime y a fait ajouter deux mille francs par an pour mon logement, et si la paix rend l’argent plus commun qu’il n’a été depuis quelques années, il y a de l’apparence, avec la même protection que nous avons eue, que vous pourrez retrouver l’argent que j’y ai mis119. »

  • 120 Saint-Simon, t. 1, p. 767.
  • 121 Selon Saint-Simon, la province de Bretagne l’emporta dans cette affaire, parce que « le Roi ne fut (...)

40Cette « même protection » du ministre tant aimé devait encore valoir à Charles de Sévigné d’être nommé, au mois de décembre 1695, député en Cour représentant les États de Bretagne pour le corps de la noblesse. C’était pour lui l’aboutissement d’un vieux rêve remontant aux années 1670, et qui avait également hanté Mme de Sévigné, soucieuse de l’avenir de son fils. En sa qualité de député des États, il participa notamment à un conseil extraordinaire réuni en 1700 par Louis XIV, à Fontainebleau, pour juger d’un procès déjà ancien entre l’Amirauté de France et la province de Bretagne, qui prétendait conserver, comme par le passé, sa propre amirauté « indépendante en tout de celle de France120 ». L’affaire était d’importance, ne serait-ce que par l’afflux des prises maritimes en période de guerre. Elle tourna au désavantage de l’Amirauté de France, le Conseil s’étant prononcé en faveur de la Province, sur les conclusions du rapport présenté par Daguesseau, qu’assistait son collègue Pomereu, l’ancien intendant de Bretagne121. Peu après, en 1703, le fils de Mme de Sévigné disparaissait de la scène publique, sous l’influence de son épouse, la très dévote Jeanne-Marguerite de Bréhan de Mauron, qui l’entraîna dans une retraite définitive pour ne plus penser qu’au salut éternel. Jadis grand libertin, il terminera ses jours, en 1713, dans une cellule du séminaire oratorien de Saint-Magloire, à Paris. Cette fin de vie fort édifiante présente une ressemblance frappante avec celle d’André d’Harrouys de La Seilleraye qui, également poussé par sa femme Marie-Anne Quentin de Richebourg, prit le parti, en 1711, de se retirer au noviciat oratorien, dit « l’Institution », situé faubourg d’Enfer, là où bientôt, en 1714, viendra s’installer le chancelier Pontchartrain, après sa démission. Par leur choix commun, si caractéristique, de l’Oratoire comme ultime lieu de refuge, Charles de Sévigné, son parent La Seilleraye et son protecteur Pontchartrain semblent donc bien témoigner, tous trois réunis, de cette foi religieuse, teintée de spiritualité janséniste, qui prévalait dans nombre de familles du réseau Phélypeaux.

  • 122 « M. le marquis de Sévigné, lieutenant du Roi au Comté de Nantes, d’une Maison distinguée dans la (...)
  • 123 Fille d’un conseiller à la Chambre des comptes de Dijon, Jeanne-Françoise Fremyot (1572-1641), can (...)
  • 124 Selon la Chorographie et Histoire de Provence d’Honoré Buche (1664), qui fait état d’un Lambert Ad (...)

41L’appartenance de Charles de Sévigné à « une maison distinguée de la Province122 », alliée, par surcroît, à la maison de Gondi, ne fut évidemment pas étrangère aux marques de sollicitude dont il bénéficia de la part de Louis de Pontchartrain. Son grand-père, le baron Charles de Sévigné (1598-1635), gentilhomme breton de très ancienne extraction, avait épousé, vers 1620, Marguerite de Vassé, fille d’une Gondi, et tante de Jean-François-Paul de Gondi, le futur cardinal de Retz. De cette union était né Henri (1623-1651), premier marquis de Sévigné, marié en 1644 à Marie de Rabutin-Chantal, appelée à devenir la célèbre épistolière, et qui, elle-même de vieille noblesse bourguignonne, pouvait se réclamer d’une parenté illustre en la personne de sa grand-mère Sainte Jeanne de Chantal, fondatrice, avec Saint François de Sales, de l’ordre de la Visitation123. Une vingtaine d’années plus tard, leur fille, Françoise-Marguerite de Sévigné, s’était également alliée à une grande famille par son mariage, en 1699, avec le comte de Grignan, issu d’une puissante maison de Provence, celle des Adhémar de Monteil qui remontaient leur filiation au temps des Croisades, voire même jusqu’au viie siècle124. Ces trois alliances successives, maintenant régulièrement mentionnée pour mieux situer Mme de Sévigné dans la haute société nobiliaire de l’époque, communiquaient, bien au-delà des frontières de Bretagne, un lustre particulier à la maison de Sévigné. Par contre, le mariage, en 1684, du frère de Françoise-Marguerite, Charles, second marquis de Sévigné, avec une Bréhan de Mauron, ne semble guère avoir éveillé la curiosité, sinon pour des questions de dot. Pourtant les Bréhan, de noblesse chevaleresque remontant au xie siècle, formaient l’une des maisons les mieux alliées de Bretagne. Influente dans la province, où plusieurs de ses membres siégeaient au Sénat breton féru d’exclusivisme nobiliaire, cette maison l’était peut-être encore plus hors des limites provinciales. Déjà introduite à la Cour au début du xviie siècle, avec Jean de Bréhan, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi et son épouse Claude, dame d’honneur de la Reine, elle y avait, en effet, renforcé son audience au cours du siècle, en s’apparentant à deux maisons ducales, celles des Coislin et des Sully. Mais surtout ici, par-delà cet arrière-plan d’alliances prestigieuses, le mariage de Charles de Sévigné avec Jeanne-Marguerite de Bréhan mérite une attention particulière, en raison des larges perspectives qu’il ouvre sur le fonctionnement du réseau Phélypeaux, et cela jusque sous le règne de Louis XV.

  • 125 Armand du Cambout, duc de Coislin (1635-1703), lieutenant général des armées du Roi, s’était retir (...)
  • 126 Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, Notes, p. 1210 et 1216.
  • 127 Françoise de Bréhan avait épousé en 1664 Paul Hay, baron de Tisé et de Nétumières, qui était le fr (...)

42Jeanne-Marguerite, l’épouse de Charles de Sévigné, était la fille de Maurille de Bréhan, baron de Mauron et de Plélo, et de Louise de Quelen, elle-même fille de Gilles de Quelen et de Renée du Halgouët. C’est Louise de Quelen qui mène aux Coislin et aux Sully par l’intermédiaire de son oncle Philippe du Halgouët (frère de Renée). Ce Philippe avait, en 1654, marié sa fille Madeleine à Armand du Cambout, duc de Coislin125, et de cette union était issue Madeleine-Armande de Coislin qui épousera, en 1689, Maximilien-Pierre-François de Béthune, duc de Sully. La belle-mère de Charles de Sévigné se trouvait donc être la cousine germaine de la duchesse de Coislin, née du Halgouët. Quant au beau-père, Maurille de Bréhan (1631-1688), conseiller, puis président au Parlement de Bretagne, et, en même temps, grand collectionneur de rentes, il passait pour être l’un des hommes les plus riches de la province126. Aussi le mariage de Charles, en février 1684, fut-il précédé d’âpres négociations, Bréhan de Mauron, qui n’ignorait pas l’endettement de la famille de son futur gendre, entendant prendre des garanties pour sa propre fille. Les Sévigné s’en tirèrent à bon compte, un quart approximatif de la dot de Mlle de Bréhan (d’un montant total de 200 000 livres) servant à éteindre la créance Harouys (moins les intérêts) sur Mme de Sévigné, occasionnée par la constitution de la dot de Mlle de Sévigné, mariée en 1669 au comte de Grignan. Le premier président Pontchartrain, en charge jusqu’en 1687, poussa vraisemblablement à cette alliance Sévigné-Bréhan réunissant deux familles influentes de la province qui lui étaient favorables. Chef de cour souveraine, à la fois attentionné et vigilant à l’égard des magistrats placés sous son autorité, il entretenait d’étroites relations avec Maurille Bréhan de Mauron, une haute personnalité en raison de sa naissance et de sa qualité de président à mortier. De plus, ce magistrat était apparenté, par sa sœur Françoise de Bréhan, à un autre président à mortier alors en exercice, Claude de Cornulier, père d’un conseiller à la même cour, Thomas de Cornulier, lui-même président à mortier à partir de 1688127. Cette même année, Mauron, dont toute la carrière s’était déroulée au Parlement de Bretagne, mourait en fonctions, le 18 janvier, à Vannes, où le Parlement se trouvait encore exilé. Peu après, en 1694, l’un de ses deux fils, né en 1668, Jean-François de Bréhan, comte de Mauron et de Plelo, épousait Catherine Le Febvre de La Faluère, fille d’un magistrat parisien, René Le Febvre de La Faluère, premier président du Parlement de Bretagne à la suite de Pontchartrain qui lui avait cédé sa charge pour la somme de 150 000 livres. Or précisément, cette dernière alliance apparaît particulièrement significative. Venant s’ajouter au mariage, dix ans auparavant, de Jeanne-Marguerite de Bréhan avec un Sévigné, l’union de son frère Jean-François avec une La Faluère constitue, en effet, un indice supplémentaire qui ne laisse guère de doute sur l’appartenance des Bréhan au réseau breton mis en place par Louis de Pontchartrain (tableaux 34, 35 et 36).

  • 128 Ce Nicolas Le Febvre mourut, en 1707, doyen des conseillers du Parlement de Bretagne.
  • 129 Il s’agit d’Antoine Ferrand (1603-1689), avocat du Roi au bureau des Finances de Paris en 1629, pu (...)
  • 130 Cf. R. Mousnier, Le Conseil du Roi…, op. cit., p. 62.
  • 131 Le chancelier Daguesseau a décrit, en termes restés célèbres, l’état de maître des requêtes : « Le (...)

43Ce n’était pas le hasard de l’offre et de la demande qui avait incité Pontchartrain, en 1687, à vendre sa charge à La Faluère. L’ancien et le nouveau premier président du Parlement de Bretagne se connaissaient de longue date, pour avoir été conseillers au parlement de Paris à la même époque, Pontchartrain de 1661 à 1677, La Faluère de 1656 à 1673, année où il passait président à la quatrième Chambre des enquêtes du même Parlement. Par la suite, les liens ne devaient pas se distendre, d’autant que le frère de René de La Faluère, Nicolas Le Febvre, servait comme conseiller au Parlement de Bretagne sous la houlette de Pont-chartrain128. On pourrait aussi invoquer d’éventuelles solidarités ligériennes, René et Nicolas ayant pour père un trésorier de France à Tours, Claude Le Febvre. En tout cas, une fois entré au gouvernement, Pontchartrain s’empressa de favoriser les proches de son successeur à la première présidence de Bretagne. Un exemple caractéristique en est fourni par la carrière de François-Antoine Ferrand (1657-1731), neveu de La Faluère qui avait épousé en 1658 sa cousine Françoise Ferrand. Conseiller en 1677, puis lieutenant particulier en 1683 au Châtelet de Paris, Ferrand semblait vouer à faire carrière dans cette juridiction présidiale où son père l’avait précédé comme lieutenant particulier129. Mais soudainement, à partir de 1690, avec l’acquisition d’un office de maître des requêtes, il changeait d’orientation, obtenant sans tarder, début 1694, l’intendance de Bourgogne, pour y rester jusqu’en 1705, et occuper ensuite l’intendance de Bretagne de juin 1705 à février 1716. Sa nomination de maître des requêtes, le 13 avril 1690, suivait de moins de sept mois celle de Pontchartrain au Contrôle Général, le 20 septembre 1689. Aspect insolite, le nouveau maître des requêtes ne pouvait se prévaloir de six ans de services dans une cour supérieure de justice, comme c’était de règle, sauf dispense, pour ses collègues du Conseil. D’autre part, il attendit à peine trois ans et neuf mois pour recevoir sa première commission d’intendant, datée de janvier 1694, soit un délai relativement court, la durée moyenne d’attente étant de l’ordre de quatre ans et neuf mois130, du moins pour ceux des maîtres des requêtes qui, ambitieux et efficacement protégés, parvenaient à quitter le Conseil pour s’engager dans la voie des intendances131. Rappelons, à ce propos, que le choix des intendants incombait au contrôleur général, ici, en l’occurrence, Louis de Pontchartrain. En y ajoutant l’envoi et le long séjour de Ferrand en Bretagne, la province maritime par excellence, surveillée de près par les deux ministres Pontchartrain, le tout semble donc bien indiquer que l’ancien magistrat du Châtelet dut à la protection de Louis de Pontchartrain, relayée plus tard par celle de Jérôme, d’abord de pouvoir changer brusquement de parcours en entrant dans le corps des maîtres des requêtes, puis de faire carrière dans la haute administration, à la tête de deux grandes intendances. Cette réussite devait, d’ailleurs, s’amplifier encore après 1715, malgré le retrait des deux Pontchartrain de la vie publique, la compétence acquise par Ferrand, au cours de sa mission bretonne, en matière d’affaires maritimes, lui valant de siéger à la fois au Conseil de Marine et au Conseil de Commerce sous la Polysynodie. Conseiller d’État semestre en 1719, il terminera conseiller d’État ordinaire en 1728.

  • 132 En 1673, Nicolas Desmarets, alors conseiller au parlement de Paris, avait épousé Madeleine Béchame (...)
  • 133 Pour les démêlés entre La Faluère et Nointel, voir H. Fréville, L’intendance de Bretagne…, op. cit (...)

44Protecteur de François-Antoine Ferrand, Louis de Pontchartrain le fut aussi de son oncle, le premier président de Bretagne René de La Faluère, en charge de 1687 à 1702, qu’il soutint notamment dans ses fréquents démêlés avec Béchameil de Nointel, intendant à Rennes de 1691 à 1705. Des motivations toutes personnelles avaient contribué à la détérioration rapide des relations entre le premier président et l’intendant. La Faluère ne pardonnait pas à Nointel d’avoir signalé au Roi que la Première présidente (née Ferrand) faisait jouer dans son salon à des jeux d’argent. De plus, celle-ci bataillait ferme contre Mme l’Intendante (née Le Ragois de Bretonvilliers), « une femme prétentieuse et sans cervelle », aux dires de Mme de Sévigné. Elle enrageait, en particulier, de la voir bénéficier de la franchise postale, privilège qui lui avait été refusé. Finalement, cette grave affaire étant remontée jusqu’à Versailles, « Madame la Première » obtiendra, à son tour, la franchise, en 1699, sur l’intervention de Pontchartrain qui était encore contrôleur général. Cependant, les querelles de femmes et autres conflits de vanité ne doivent pas donner le change. Ces futilités apparentes n’étaient, elles-mêmes, que le reflet d’une âpre rivalité de pouvoirs au sommet de la province, au moment où l’intendant de Bretagne, le second en date, s’efforçait d’affirmer son autorité sur le plan local. « Boutonné un peu plus haut qu’il n’est nécessaire, ni utile » (selon l’expression de La Faluère), Louis Béchameil de Nointel tranchait, en effet, par ses manières, avec celles de Pomereu, son prédécesseur, plus porté à se comporter en ambassadeur qu’en intendant. Très attaché à ses prérogatives et travaillant à étendre l’emprise de ses agents et de ses bureaux, cet administrateur volontiers intraitable, au demeurant fort capable, n’avait pas tardé à se brouiller avec les deux autres têtes de la province, le maréchal Jean d’Estrées, commandant en chef, et le premier président La Faluère, puis, au fil des années, avec un nombre croissant de notabilités où figurait l’évêque de Saint-Malo Vincent Desmarets, réputé pour ses compétences en matière financière. Ce prélat, qui jouissait d’une grande influence aux États de Bretagne, lui était pourtant apparenté par son frère Nicolas Desmarets marié à une Béchameil132. Aussi, en 1705, le gouvernement de Versailles préféra-t-il rappeler Nointel, tant son isolement de plus en plus prononcé à Rennes risquait de devenir préjudiciable à la bonne marche du service133. Le piquant de la situation – et ce n’était probablement pas un hasard – fut que le nouvel intendant de Bretagne, François-Antoine Ferrand, nommé au mois de juin 1705, se trouvait être le neveu de Mme de La Faluère, elle-même ennemie déclarée de Mme de Nointel.

  • 134 Saint-Simon, t. 2, p. 156 et 159.
  • 135 Cette Gondi, bisaïeule de Châteaurenault, était la fille d’Antoine Gondi, marchand-banquier floren (...)
  • 136 Pour cette tâche, le grand-maréchal disposait, sous ses ordres, de 12 maréchaux des logis.
  • 137 Saint-Simon, t. 1, p. 283.
  • 138 « Faciende » : mot emprunté à l’espagnol.
  • 139 Saint-Simon, t. 2, p. 159.

45En se brouillant avec le maréchal d’Estrées, Nointel n’avait pu que déplaire à Louis de Pontchartrain, « ami particulier de tous les Estrées », eux-mêmes alliés aux Habert de Montmor dont on a vu les liens étroits de parenté avec les Phélypeaux. Malgré les apparences, le départ en 1704 du vieux maréchal, octogénaire, ne saurait donc être considéré comme un avantage remporté par Nointel sur son adversaire. Ce fut, au contraire, une mesure préalable, prise pour éviter de donner l’allure d’une sanction, au rappel de l’intendant, l’année suivante. En outre, le nouveau commandant en chef (nommé le 26 avril 1704), François-Louis Rousselet de Châteaurenault (1637-1716), vice-amiral fraîchement promu maréchal de France, se trouvait être encore un homme proche du clan Pontchartrain. Jérôme de Pontchartrain, assure Saint-Simon, « s’était coiffé de Châteaurenault », et celui-ci, lors de la promotion, le 14 janvier 1703, de dix maréchaux de France, dut à la pression conjointe de Jérôme et de son père, qui réclamaient « deux bâtons » pour la Marine, d’être compris dans la fournée, en compagnie du fils de Jean d’Estrées, Victor-Marie, également vice-amiral134. Cette élévation au maréchalat pourrait surprendre, l’intéressé venant de ternir, l’année précédente, une brillante carrière à la mer par la désastreuse journée du 23 octobre 1702 à Vigo, port espagnol de Galice, où, surpris par une flotte anglo-hollandaise, il perdit une vingtaine de navires de son escadre, et autant de galions chargés de métaux précieux ramenés d’Amérique. En réalité, ce Rousselet, descendant de marchands lyonnais, n’avait cessé de bénéficier de hautes protections dont la toute première fut celle des Gondi qui, en 1661, le firent entrer dans la Marine, sa bisaïeule étant une Gondi mariée en 1553 à un Rousselet135. Par la suite, en 1684, alors qu’il commandait à Brest, son mariage avec une riche héritière, Marie-Anne de La Porte, lui avait procuré une solide assise terrienne en Bretagne et, en même temps, un appui considérable à la Cour. Fille unique de René de La Porte, conseiller au Parlement de Bretagne (mort en 1683), Marie-Anne apportait en dot de gros biens fonciers, entre autres le comté de Crozon, la baronnie du Poulmic et la vicomté d’Artois (en Mordelles, près de Rennes). Mais surtout, elle était apparentée au grand-maréchal des Logis de la Maison du Roi, Louis Ogier, marquis de Cavoye, marié en 1671 à Louise-Philippe de Coëtlogon, cousine germaine du conseiller René de La Porte. En charge à partir de la même année 1671, pour y rester jusqu’à sa mort en 1716, à l’âge de 76 ans, le grand-maréchal sut toujours rester très en faveur près de Louis XIV, ce qui l’avait mis « sur un pied de considération » fort au-dessus de ses fonctions domestiques limitées au marquage des logements lors des voyages de la Cour136. Selon Saint-Simon, le marquis de Cavoye, qui « s’était érigé chez lui une espèce de tribunal auquel il ne fallait pas déplaire », se trouvait « compté et ménagé jusque des ministres137 ». En évoquant l’ambiance des dîners donnés par le grand-maréchal dans sa maison de Louveciennes où, entre « gens de faciende », c’est-à-dire de cabale et d’intrigue138, « il se brassait mille choses avec sûreté », le mémorialiste attribue cette « sûreté » au fait que « le Roi aimait Cavoye et ne se défiait point de ce qui allait chez lui139 ».

  • 140 Saint-Simon, t. 1, p. 271-272.

46Ce furent très probablement les bons offices du grand-maréchal qui facilitèrent la promotion de Châteaurenault au grade de lieutenant général des armées navales en 1688, quatre ans après son mariage avec Mlle de La Porte. Cavoye étant l’ » ami intime » et « le plus grand favori de M. de Seignelay », secrétaire d’État à la Marine de 1683 à 1690140, tout indique, en effet, que Châteaurenault dut à l’intervention de son cousin par alliance de se voir attribuer cette lieutenance générale devenue vacante, la même année 1688, par la mort du titulaire, le célèbre Abraham Duquesne. Un an auparavant, le même Cavoye s’était également employé, avec succès, pour faire nommer Louis de Pontchartrain intendant des Finances. C’est du moins ce qu’affirme l’ancien contrôleur général Claude Le Pelletier qui, au soir de sa vie, se défendait énergiquement d’avoir favorisé l’ascension de Pontchartrain.

  • 141 « Mémoire de mes véritables et derniers sentiments sur les affaires de l’Église et de l’État », in (...)

« Le Roi, écrit-il, m’avait commandé de lui proposer six personnes en 1687 pour en choisir une qui remplit la place d’intendant des Finances que je lui demandais pour me soulager dans le renouvellement des fermes… Entre les six personnes que je nommai au Roi par un mémoire, le dernier était M. de Pontchartrain, alors premier président de Bretagne. Le Roi le choisit, et je sus, dans la suite, que c’était M. de Cavoye, avec lequel il [Pontchartrain] était en liaison, qui avait engagé M. de Seignelay à le proposer au Roi141. »

47Cette version appelle bien des réserves, compte tenu de l’aigreur manifestée, sur le tard, par Le Pelletier à l’encontre de son brillant successeur au Contrôle Général qui sut financer, à coup d’expédients, l’éprouvante guerre de la ligue d’Augsbourg. Il en reste cependant un point peu contestable qui est l’évocation de la « liaison » entre Pontchartrain et Cavoye. Cette liaison s’inscrivait, elle-même, dans le cadre de la politique pratiquée par Pontchartrain durant son séjour breton, et dominée par le souci de se concilier les familles les plus influentes de la province. L’illustre maison de Coëtlogon, à laquelle appartenait l’épouse de Cavoye, figurait précisément en tête de ce groupe, les évêques de Quimper et de Saint-Brieuc, le gouverneur de Rennes et le procureur général syndic des États de Bretagne se trouvant, à l’époque, être tous des membres de cette famille également bien représentée au Parlement de la province. Aussi l’avisé premier président, qui connaissait la position particulière du marquis de Cavoye à la Cour, ne manqua-t-il pas, faisant d’une pierre deux coups, de cultiver au mieux ses relations avec les Coëtlogon, pour se gagner l’amitié du grand-maréchal des Logis de la Maison du Roi. Il y réussit, semble-t-il, assez tôt, à en croire le témoignage de Claude Le Pelletier. En tout cas, par la suite, et jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, le marquis de Cavoye fera partie, aux côtés du marquis d’Effiat, de la coterie agissante de courtisans acquise aux intérêts du clan Pontchartrain.

  • 142 Membre du Conseil de Marine sous la Polysynodie, Coëtlogon deviendra vice-amiral en 1716, succédan (...)
  • 143 Pour Ruellan du Rocher-Portail, natif d’Antrain, près de Saint-Malo, voir Tallemant des Réaux, His (...)
  • 144 Le frère de Gilles Maupeou d’Ableiges, Pierre Ier de Maupeou de Noisy, contrôleur des guerres, éta (...)

48On comprend mieux ainsi pourquoi Jérôme de Pontchartrain « s’était coiffé » de Châteaurenault, au point de lui faire octroyer le bâton de maréchal de France en 1703, malgré le très récent désastre de Vigo. Un autre exemple de protection, non moins caractéristique, est fourni par le cas d’Alain-Emmanuel de Coëtlogon (1646-1730), un excellent marin certes, mais qui, étant beau-frère de Cavoye et cousin de Châteaurenault, dut au moins autant à cette double parenté qu’à ses brillants états de services, d’être promu lieutenant général des armées navales en 1701, par les soins de Jérôme de Pontchartrain142. À tout cela s’ajoutait le fait que les Coëtlogon, comme les Rousselet de Châteaurenault, étaient lointainement apparentés aux Pontchartrain par les alliances qui, pour être anciennes et indirectes, ne doivent cependant pas être négligées. Alain-Emmanuel de Coëtlogon et sa sœur Mme de Cavoye se rattachaient à la parentèle Phélypeaux par leur aïeule Gillette de Ruellan, femme de René, marquis de Coëtlogon, et fille du gros financier breton Gilles de Ruellan du Rocher-Portail (mort en 1627), anobli par décision d’Henri IV pour services rendus lors de la réduction des villes de Dinan et de Fougères143. Le frère de cette Gillette, Pierre de Ruellan, maître des requêtes (mort en 1652), avait, en effet, épousé Madeleine de Maupeou, fille de Gilles de Maupeou d’Ableiges, très proche collaborateur de Sully, intendant, puis, en 1607, contrôleur général des Finances, arrière-grand-oncle de la chancelière Pontchartrain, née Maupeou144. Précisons, au passage, qu’une autre fille de Gilles d’Ableiges, Marie de Maupeou, s’était mariée, en 1610, à François Fouquet, conseiller au Parlement de Bretagne, union dont naîtra, en 1615, Nicolas Fouquet, le futur surintendant des Finances. L’évocation de l’alliance Ruellan mène ainsi à ce milieu de la haute finance si caractéristique de la composition du réseau Phélypeaux dans la première moitié du xviie siècle.

  • 145 Claude de Goulaines, comtesse de Crozon et baronne du Poulmic, fille du marquis de Goulaines et de (...)
  • 146 Henri de Gondi était le cousin et le filleul de François Rousselet, et l’oncle de Jean-François-Pa (...)
  • 147 Cf. Philippe de Villette-Mursay, Mes campagnes de mer sous Louis XIV, Paris, Tallandier, 1991, 464 (...)

49De son côté, François-Louis Rousselet de Châteaurenault avait épousé en la personne de Mlle de La Porte une arrière-petite-fille de Barbe de Ruellan, femme de Gabriel, marquis de Goulaines145, cette Barbe étant la sœur de Gillette et de Pierre de Ruellan respectivement mariés à René de Coëtlogon et à Madeleine de Maupeou. Le fil qui, ici, conduit aux Pontchartrain, apparaît certes des plus ténus, valant à peine d’être mentionné, s’il ne s’était doublé d’un lien particulier, de nature géographique, en raison des origines tourangelles du maréchal de Châteaurenault. Quoique ses ancêtres Rousselet aient été marchands et échevins à Lyon, François-Louis était né, en 1637, à Châteaurenault dans le comté de Blois, sur une terre que son grand-père François Rousselet, fils d’une Gondi, avait achetée en 1618 à Henri de Gondi (1572-1622), évêque de Paris et premier cardinal de Retz de la famille146. Cette terre de Châteaurenault formait une baronnie, érigée en marquisat dès 1620, comprenant dix-sept paroisses. Le maréchal de Châteaurenault en deviendra le septième marquis en 1704, après son aïeul, son père, son frère aîné et ses neveux, tous morts avant lui147. On ne saurait trop insister sur les solidarités ligériennes restées toujours vivaces chez les Phélypeaux qui plongeaient leurs racines connues dans la bonne bourgeoisie blésoise du xive siècle. De la fin du xvie siècle jusqu’au milieu du siècle suivant, les pays de Loire avaient constitué la base principale de leur réseau de parentèle et de clientèle, puis, à partir de 1677 le premier président Pontchartrain entreprit d’y ajouter une seconde assise régionale par l’extension à la Bretagne de ramifications de ce réseau qui allaient bientôt se multiplier à travers l’ancien duché. De Brest à Orléans, en passant par Saint-Malo, Rennes, Tours et Blois, le clan Pontchartrain disposait ainsi, au début du xviiie siècle, de nombreux relais et points d’appui pour étendre son emprise sur un vaste espace englobant deux ensembles régionaux limitrophes. Or avec le marquisat de Châteaurenault, proche de Blois, et le comté de Crozon bordant la rade de Brest, sans parler d’autres domaines, le maréchal de Châteaurenault se trouvait possessionné à la fois en Touraine et en Bretagne, là où le réseau Phélypeaux avait ses plus solides assises provinciales. Cette double appartenance géographique semble donc devoir être prise en compte, à côté des relations étroites du maréchal avec les Coëtlogon et les Cavoye, pour expliquer la protection et les marques de faveur dont cet officier de marine ne cessa de bénéficier près de Louis de Pontchartrain et de son fils Jérôme.

50La réciprocité des services rendus était, répétons-le, une règle impérative au sein des réseaux de l’époque. C’est ce que, de nos jours, on appellerait familièrement « renvoyer l’ascenseur », sous la réserve que les réseaux actuels d’influence obéissent à d’autres critères et d’autres modes de fonctionnement. Sur ce thème de la réciprocité, une lettre, non datée, du chancelier Pontchartrain au maréchal de Châteaurenault, alors commandant en chef en Bretagne, vaut ici d’être citée, en raison de son contenu particulièrement éclairant.

  • 148 AN, Archives privées, 257 AP, Fonds Maurepas, 257 AP 1, dossier 4, minutes autographes des lettres (...)

« Mme la Maréchale de Clérambault, à qui je suis attaché par estime et par amitié plus encore que par la parenté quoique très proche, tient à préciser le chancelier, a plusieurs affaires qui passeront devant vous aux États [de Bretagne], et dire passer devant une personne comme vous, Monsieur, c’est dire que vous en serez le maître. Trouvez donc, je vous supplie, que je réclame votre protection en sa faveur. Celui qui vous rendra ma lettre est un homme qu’elle a envoyé exprès à Dinan [lieu de tenue des États] et qui est parfaitement instruit de toutes ses affaires. Ainsi, je n’ai garde de vous en importuner. Je me retranche uniquement à vous demander en grâce de lui être favorable en tout ce que vous pourrez148. »

  • 149 Cf. R. Mousnier, Les institutions de la France sous la monarchie absolue, Paris, 1976, t. 1, p. 47 (...)

51La maréchale de Clérambault, Louise-Françoise Bouthillier (1634-1722), veuve de Philippe de Clérambault (maréchal de France en 1653, mort en 1665), était la fille du secrétaire d’État Léon Bouthillier de Chavigny et d’Anne Phélypeaux, elle-même fille de Jean Phélypeaux de Villesavin, frère de Paul de Pontchartrain. La maréchale et le chancelier se trouvaient donc cousins issus de germain, ce qui effectivement passait pour une parenté extrêmement proche à une époque où les notions anciennes de « lignage » et de « maison », restées très vives au sein de la haute société, continuaient à y nourrir un profond sentiment d’appartenance à la famille prise au sens le plus large du terme. L’historien Roland Mousnier a défini le lignage comme « une unité pour la conquête des avantages sociaux », chaque membre pouvant compter sur la protection des autres pour maintenir ou améliorer sa position sociale149. Chef de file incontesté de l’ensemble des Phélypeaux, le chancelier Pontchartrain semble avoir parfaitement assimilé cette fonction sociale du lignage, comme en témoignent ses nombreuses lettres de recommandations, près des instances les plus diverses, en faveur de lointains parents qui se réclamaient de leur appartenance à sa « Maison ». On reviendra, en temps utile, sur ce genre particulier de littérature, parfois fort peu édifiant, le Chancelier ne se privant pas d’intervenir près des magistrats pour leur demander implicitement d’avantager tel ou tel de ses protégés qui avait un procès en cours devant les tribunaux. Mais surtout, ici, sa lettre de recommandation concernant Mme de Clérambault est à rapprocher d’un court billet que Châteaurenault, revenant d’Espagne à la nouvelle de son accession au maréchalat, avait écrit de Bayonne, le 27 janvier 1703, à Jérôme de Pontchartrain. Le contenu confirme bien ce qu’avance Saint-Simon à propos du rôle déterminant joué par Jérôme dans cette nomination. « Vous devez être plus, Monseigneur, pour moi que vous ne l’avez jamais été, déclare Châteaurenault, qui assure le secrétaire d’État de sa gratitude et de ses effets pour le service de Sa Majesté et votre satisfaction, n’y ayant rien au monde qui puisse bien remplir mon cœur que cette espérance. » Suivent des précisions sur son voyage de retour et son arrivée prochaine à Versailles, le tout en compagnie d’un émissaire spécialement envoyé par Jérôme.

« Le sieur Rusan m’a joint à quatre lieues par-delà Vitoria. Il est venu avec moi à Bayonne où je trouve la poste qui va à Paris. Il m’a dit de votre part que je le gardasse avec moi pour mon soulagement dans la route. Je profite avec plaisir de toutes vos grâces, espérant par son moyen arriver presqu’aussitôt que le courrier qui vous porte ce billet, auprès de vous pour me rendre aux pieds de Sa Majesté sous vos auspices. »

  • 150 AN, Archives privées, 257 AP 2, dossier 4, lettres adressées à Jérôme de Pontchartrain.

52Enfin, après une allusion au Chancelier auquel il n’a pas écrit « pour ne point retarder le courrier », Châteaurenault de conclure, toujours plein de déférence : « J’espère que vous vous persuaderez aisément que rien au monde ne peut égaler le respect et la plus vive reconnaissance avec lesquelles je vivrai et mourrai votre très humble et très obéissant serviteur150. » Comparée à ce billet de remerciements où le nouveau promu, âgé de 66 ans, s’adresse au jeune secrétaire d’État à la Marine, âgé de 29 ans, sur un ton proche de l’obséquiosité, la lettre postérieure du chancelier Pontchartrain recommandant au même Châteaurenault les intérêts de Mme de Clérambault tranche par son caractère pressant, voire impératif, par-delà les précautions de style, et apparaît ainsi sous un éclairage particulier. Le contraste ne laisse guère de doute, en effet, sur l’existence d’un arrière-plan d’interventions semblables, de la part du Chancelier ou de son fils, en faveur d’autres parents ou clients, que le commandant en chef en Bretagne se devait de prendre en considération pour ne pas déplaire. Et le tout suggère que la protection des Pontchartrain n’allait jamais sans contrepartie, qu’elle se payait même au prix fort, comme on l’a vu à propos des financiers opérant sous le patronage de Pontchartrain père.

  • 151 Coëtlogon était resté célibataire. Selon Saint-Simon (t. 5, p. 397), son neveu Charles-Élisabeth d (...)
  • 152 Saint-Simon, t. 4, p. 119.
  • 153 Colonel dès 1694, à l’âge de 16 ans, Adrien-Maurice escalada ensuite tous les grades d’officier gé (...)

53Au départ, cadet de famille sans fortune ni avenir, septième de sept fils, François-Louis Rousselet de Châteaurenault se retrouva en fin de parcours comblé d’honneurs et de richesses, protégeant, lui-même, ses parents et alliés, notamment son cousin Alain-Emmanuel de Coëtlogon qui, à sa mort, en 1716, lui succédera comme vice-amiral, étant alors membre du Conseil de Marine de la Polysynodie, et recevra le bâton de maréchal en 1730, à l’âge de 84 ans, quatre jours avant de mourir151. En 1713, le maréchal de Châteaurenault avait marié son fils, Emmanuel Rousselet de Châteaurenault, âgé de 18 ans, lieutenant général de Bretagne en survivance, à Marie-Émilie de Noailles, âgée de 24 ans, une personne « fort laide, qui commençait à monter en graine152 », et, pis, très maigrement dotée, mais offrant, en compensation, l’avantage de constituer une alliance prestigieuse pour les Rousselet. Fille d’Anne-Jules, maréchal-duc de Noailles, mort en 1708, Marie-Émilie était la sœur de Louise-Félicité de Noailles, mariée en 1698 au vice-amiral Victor-Marie d’Estrées, maréchal de France en 1703. De plus, ces deux sœurs avaient pour frère le célèbre Adrien-Maurice, comte d’Ayen, puis duc de Noailles (1678-1766), jeune officier général sous Louis XIV153, marié, la même année 1698, à Françoise-Charlotte d’Aubigné, nièce de Mme de Maintenon, et promis à de hautes fonctions sous Louis XV, successivement président du Conseil de Finance de la Polysynodie (1715-1718), maréchal de France (1734) et ministre d’État (1743-1756). Par les Maupeou alliés aux Ruellan et par les Habert de Montmor alliés aux Estrées, le réseau Phélypeaux s’étendait donc jusqu’au milieu aristocratique des maréchaux de France, un milieu que, par ailleurs, il atteignait beaucoup plus directement avec le maréchal de Clérambault, déjà cité, gendre d’Anne Phélypeaux, fille de Jean Phélypeaux de Villesavin, et avec les maréchaux d’Humières et d’Huxelles, tous deux descendants de Raymond d’Herbault-La Vrillière, frère de Villesavin et de Paul de Pontchartrain. Louis de Crevant, duc d’Humières (1628-1694), maréchal de France en 1668, était le fils d’Isabelle Phélypeaux qui, elle-même fille de Raymond, avait épousé Louis de Crevant, marquis d’Humières, premier gentilhomme de la Chambre du Roi et gouverneur du château de Compiègne. De son côté, Nicolas du Blé, marquis d’Huxelles (1652-1730), maréchal de France en 1703, était le petit-fils de la sœur aînée d’Isabelle, Claude Phélypeaux, mariée à Jacques du Blé, baron d’Huxelles, gouverneur de Châlon-sur-Saône, capitaine de cinquante hommes des ordonnances du Roi, tué devant Privas en 1629. De cette union était issu le père du maréchal, Louis-Chalon du Blé, marquis d’Huxelles, gouverneur de Châlon, lieutenant général des armées du Roi, tué devant Gravelines en 1658, et marié à Marie Le Bailleul, fille du président Nicolas Le Bailleul surintendant des Finances de 1643 à 1648 (tableau 37).

  • 154 Cette maison militaire était, pour Richelieu, un moyen de prestige et d’influence politique, ce qu (...)
  • 155 Par testament du mois de mai 1642, le cardinal de Richelieu avait institué légataire universel son (...)
  • 156 Marie-Françoise de Guémadeuc était la fille de Thomas de Guémadeuc et de Jeanne de Ruellan, sœur d (...)
  • 157 Saint-Simon, t. 4, p. 260.

54Cette liste de noms tirés de la noblesse militaire et de la noblesse de cour confondues fournit autant d’exemples témoignant du caractère multiforme du réseau Phélypeaux, lequel débordait largement les mondes de la finance et de la magistrature, ses deux principales assises sociales à l’origine. Sur un plan régional, en Bretagne, les prolongements et ramifications du réseau d’ensemble constituent précisément une sorte de « modèle réduit » de cette diversité, avec, toutefois, une « singularité » qui tient au particularisme de la province : c’est l’omniprésence, au sein de ce réseau breton tissé par Louis de Pontchartrain, des familles d’ancienne extraction, avec une forte représentation de l’élément robin liée à l’exclusivisme nobiliaire du Parlement de Bretagne, sans oublier, non plus, un certain nombre de « gens d’affaires » d’authentique naissance chevaleresque. Au xxe siècle, dans le langage familier, l’expression « noblesse bretonne » prend parfois une coloration péjorative, englobant les milieux traditionnels de notables locaux à l’influence déclinante, jugés « démodés » et « attardés ». Je ne fréquente pas la noblesse bretonne, dira volontiers tel ou tel fonctionnaire d’autorité, de plus ou moins haut rang, sous-entendant, par là, son souci de réserver sa considération et ses précieux instants pour les seules personnes censées incarner les « forces vives » d’une région en pleine mutation. Au temps de Louis XIV, il en allait tout autrement, les « maisons » les plus distinguées de Bretagne, toujours puissantes sur le plan provincial, ne manquant pas, par surcroît, de moyens pour se faire entendre près du pouvoir central, notamment grâce aux fonctions curiales exercées par des parents ou alliés très proches. C’était le cas de la maison de Coëtlogon, avec Louise-Philippe de Coëtlogon, mariée au marquis de Cavoye, grand-maréchal des Logis de la Maison du Roi, et qui, elle-même, avait fait partie des filles d’honneur de la reine Marie-Thérèse. Cette position en vue à la Cour tenait, pour une bonne part, à l’appui de la famille de l’illustre cardinal de Richelieu, famille restée très influente et où Cavoye s’était trouvé introduit dès son jeune âge, en raison de la carrière de son père François Ogier, sieur de Cavoye. Gentilhomme picard mort en 1641 d’une blessure reçue devant Bapaume, François Ogier, une fine lame, s’était distingué au service du Cardinal-Ministre qui, en 1634, lui avait confié le commandement de la compagnie de mousquetaires à pied formant, avec une compagnie montée, sa maison militaire154. De son côté, Louise-Philippe de Coëtlogon pouvait se réclamer de sa parenté avec le duc de Richelieu, Armand-Jean de Vignerot du Plessis (1629-1715), petit-neveu du Cardinal qui, en 1642, l’avait institué son légataire universel155. Par sa mère Marie-Françoise de Guémadeuc, mariée à François de Vignerot de Pont-Courlay, général des Galères, le duc de Richelieu était aussi, en effet, le petit-neveu de Gillette de Ruellan, femme du marquis de Coëtlogon et aïeule de Louise-Philippe156. Ce lien ténu de parenté, Louise-Philippe n’avait pas manqué de l’entretenir soigneusement, avec l’aide de son mari, le grand-maréchal. Saint-Simon présente « Cavoye et sa femme » comme « amis de tout temps de M. de Richelieu » et montre le couple s’activant « à prendre soin » du vieux duc « qui avait 86 ans et qui, en sa vie, n’avait su prendre soin de lui-même ». « Ce leur fut, conclut-il, un mérite auprès de Mme de Maintenon, et par conséquent auprès du Roi157. »

  • 158 Lors de la session des États de Bretagne de 1616, le baron de Guémadeuc avait provoqué et tué en d (...)
  • 159 Il y eut de nombreuses interventions près de Louis XIII pour le supplier de faire grâce au condamn (...)
  • 160 Tallement des Réaux, Historiettes, t. 1, p. 839, note 2.
  • 161 Ibid., t. 1, p. 154-156.

55Marie-Françoise de Guémadeuc, mère du duc de Richelieu, était la petite-fille du financier Gilles de Ruellan du Rocher-Portail, et la fille de Jeanne de Ruellan, sœur de Gillette et veuve du baron Thomas de Guémadeuc, gouverneur de Fougères, condamné à mort et décapité en 1617 pour une affaire de meurtre en duel, aggravée par un acte de rébellion caractérisé158. Le souvenir de cette exécution, qui fit grand bruit, n’empêcha nullement le cardinal de Richelieu, quelques années plus tard, de rechercher la main de Marie-Françoise pour son neveu Pont-Courlay, et, grâce aux bons offices du grand-père Rocher-Portail, le mariage fut conclu au mois de juin 1626. En réalité, Marie-Françoise, fille unique et orpheline, était à la tête d’un gros héritage, Louis XIII ayant accepté, par une grâce spéciale, de lever la sentence de confiscation des biens du baron de Guémadeuc159. D’autre part, Rocher-Portail, qui devait mourir l’année suivante, se trouvait alors à l’apogée de sa carrière, étant devenu, semble-t-il, un familier de Richelieu, après s’être enrichi, jadis, dans les fermes, sous le double patronage de Sully et du principal collaborateur de celui-ci, l’intendant des Finances Gilles de Maupeou d’Ableiges. « Le pauvre M. du Rocher-Portail s’est laissé mourir », note le cardinal dans une lettre en date du 22 mars 1627160. Les débuts de ce financier, natif d’Antrain près de Saint-Malo, paraissent singuliers. D’abord voiturier d’un marchand de « noyales » (toiles pour voiles de navire), puis entré dans une sous-ferme des « impôts et billots », et, à l’occasion, trafiquant d’armes aussi bien pour le compte de Mercœur, chef du parti de la Ligue en Bretagne, que pour celui de Montgommery, chef du parti du Roi, Gilles Ruellan est présenté par Tallemant des Réaux comme un homme de très basse origine, accoutumé dans son jeune âge à marcher pieds nus, fort embarrassé par sa première paire de chaussures, n’ayant appris que tardivement à lire et à écrire, et encore « faisait-il l’un et l’autre pitoyablement161 ». Ces dires du mémorialiste comportent vraisemblablement une part d’affabulation qui s’apparenterait au mythe du « laquais-financier » propagé par la littérature polémique du xviie siècle. En tout cas, Ruellan sut, à partir de sa modeste sous-ferme dans l’évêché de Saint-Malo, étendre son emprise, avec le concours de financiers parisiens, sur la ferme des « impôts et billots » des neuf évêchés de Bretagne, puis, en 1608, sur la ferme des traites d’Anjou. Se rendant, en même temps, propriétaire de la seigneurie du Rocher-Portail, de la baronnie de Tiersant et autres terres bretonnes, l’ancien voiturier sera anobli par Henri IV et, désormais appelé respectueusement « M. de Ruellan du Rocher-Portail », parviendra même à s’intégrer à la robe du Conseil par l’acquisition d’un office de maître des requêtes où son fils Pierre lui succédera en 1621.

56Comme tant d’autres « hommes nouveaux » de l’époque, Rocher-Portail avait dû sa chance aux bouleversements de la fin du xvie siècle qui, renversant des situations bien établies, favorisèrent les ascensions rapides. Aussi la réussite de ce riche financier, parti du bas de l’échelle à en croire Tallemant des Réaux, n’aurait-elle en soi rien de véritablement exceptionnel si, à la performance du parcours individuel réalisé, n’étaient venus s’ajouter les brillants résultats d’une politique matrimoniale remarquable par son ampleur. Incontestablement, en effet, l’aspect le plus éclatant de cette réussite fut que Rocher-Portail se trouva en mesure de marier dans les grandes familles l’ensemble de sa nombreuse progéniture : son fils aîné Pierre, et ses cinq filles, Gillette, Jeanne, Barbe, Vincente et Anne-Guyonne. Pour mieux en restituer l’importance, il convient d’énumérer la série de ces mariages où, seul, ne figure pas le fils cadet François, conseiller au Parlement de Bretagne, mort prématurément en 1618.

  • 162 Pour Gilles de Maupeou d’Ableiges, voir B. Barbiche, Sully, Paris, A. Michel, 1978, 250 p., p. 55 (...)
  • 163 Les Économies royales de Sully, Paris, Klincksieck, 1988, éd. D. Buisseret et B. Barbiche, t. 2, 4 (...)
  • 164 Gilles de Maupeou avait épousé en 1581 Marie Morely, fille d’un conseiller en la justice du Trésor (...)
  • 165 Christophe Fouquet sera nommé conseiller d’État ordinaire en 1618.
  • 166 François Fouquet, marié à Marie de Maupeou, et père du surintendant Nicolas Fouquet, était le fils (...)

57Pierre de Ruellan, conseiller au Grand Conseil en 1615, maître des requêtes en 1621, avait épousé en 1616 Madeleine de Maupeou, fille de l’homme de confiance de Sully, Gilles de Maupeou d’Ableiges (1553-1641), maître en la Chambre des comptes de Paris en 1589, conseiller d’État en 1600, intendant des Finances à partir de 1602, contrôleur général des Finances à deux reprises (1607-1611 et 1617-1619) et démissionnaire en 1619162. Le mariage du fils reflétait l’étroite entente qui prévalait entre le père et Gilles de Maupeou, son puissant protecteur. Cette entente, à l’origine, n’était pas sans rapport avec la mission, pleine de succès, qu’en 1598-1599, Maupeou avait accomplie en Bretagne, en qualité de commissaire extraordinaire chargé de l’application des « règlements en finance » fixés par Sully « pour faire valoir les fermes du pays et faire venir à l’Epargne » les sommes dues par les États163. Très au fait des finances de la province et du système local des fermes, Rocher-Portail avait été alors à même de se rendre utile près du commissaire du Roi et ensuite près du successeur et beau-frère de celui-ci, le maître des requêtes Morely164. Les missions successives de Maupeou et de Morely sont également à rapprocher des relations qui s’établirent entre les Maupeou et les Fouquet, une famille d’origine angevine représentée au Parlement de Bretagne par le très influent Christophe Fouquet de Chalain (1559-1628), président à mortier depuis 1593165. Maupeou, puis Morely, avaient, en effet, besoin d’appuis parmi les hauts magistrats rennais pour calmer l’irritation de cette cour souveraine qui supportait mal de voir ses attributions administratives amoindries par la présence sur place d’un commissaire envoyé de Paris. Les liens se resserrant, il s’ensuivra le mariage, en 1610, de Marie de Maupeou (1590-1681), autre fille de Gilles de Maupeou d’Ableiges, avec le neveu du président Fouquet de Chalain, François Fouquet (1587-1640), conseiller au Parlement de Bretagne (1608), puis de Paris (1610), futur maître des requêtes (1615) et conseiller d’État (1627), qui sera l’un des principaux collaborateurs de Richelieu pour les affaires maritimes et coloniales166. Ces deux alliances Ruellan-Maupeou et Maupeou-Fouquet, particulièrement significatives, conduisent aux Phélypeaux par le jeu d’alliances ultérieures indirectes, et surtout, beaucoup plus directement, par le mariage en 1668 d’une Maupeou, également prénommée Marie, avec le futur chancelier Pontchartrain. Par son bisaïeul Pierre Ier de Maupeou, trésorier de la maison du duc Anne de Joyeuse et frère de Gilles de Maupeou d’Ableiges, la chancelière Pontchartrain se trouvait être, en effet, la petite-nièce de Mmes de Ruellan et Fouquet, nées Maupeou.

58Gillette de Ruellan avait épousé le marquis de Coëtlogon, ce qui conduit, entre autres, au marquis de Cavoye, le grand-maréchal des Logis, marié à Louise-Philippe de Coëtlogon, petite-fille de Gillette.

59Jeanne de Ruellan, mariée au baron de Guemadeuc, mène à la famille du cardinal de Richelieu par le mariage de sa fille Marie-Françoise avec Pont-Courlay, neveu du Cardinal-Ministre.

60Barbe de Ruellan, par son mariage avec le marquis de Goulaines, mène aux Rousselet de Châteaurenault. Claude de Goulaines, fille de Barbe, épouse Jean du Han, conseiller au Parlement de Bretagne, union qui donne Anne-Marie du Han mariée à Renée de La Porte, conseiller au Parlement de Bretagne. Enfin la fille unique issue de cette dernière union, Anne-Renée de La Porte, comtesse de Crozon, épouse en 1684 François-Louis Rousselet de Châteaurenault, futur maréchal de France.

  • 167 Cf. D. Dessert, Fouquet, op. cit., p. 27-29.

61Vincente de Ruellan, qui n’a pas encore été mentionnée, conduit à nouveau aux Fouquet et aux Phélypeaux par l’intermédiaire d’une famille robine installée en Bretagne vers 1550, les Barrin, possesseurs de la terre de la Galissonnière dans le Comté nantais, seigneurie érigée en marquisat en 1658. Vincente de Ruellan avait épousé Jacques II Barrin de la Galissonnière (1577-1645), premier président de la Chambre des comptes de Nantes en 1619, conseiller d’État en 1635, lui-même fils de Jacques Ier (mort en 1593), président à la Chambre des comptes de Nantes en 1573, puis président à mortier au parlement de Rennes en 1576. Ce Jacques Ier avait, en 1588, marié sa fille Isabelle Barrin à Christophe Fouquet de Chalain dont on vient de parler plus haut, une union qui permettra à Chalain, fils d’un marchand drapier d’Angers, mais déjà président aux requêtes du parlement de Rennes (depuis 1586), de s’intégrer pleinement à l’élite de la magistrature bretonne en succédant à son beau-père, mort en 1593, dans sa charge de président à mortier167. Vincente de Ruellan se trouvait donc être la belle-sœur – disproportionnée d’âge – d’un Fouquet, de même que Pierre de Ruellan était le beau-frère d’un autre Fouquet, François, neveu de Christophe.

  • 168 Cf. F. Lebrun, « Les intendants de Tours et d’Orléans », Annales de Bretagne, t. LXXVIII, n° 2, ju (...)
  • 169 Le frère cadet était Louis-Balthazar Phélypeaux, évêque de Riez en 1713.
  • 170 Roland Barrin de La Galissonnière est le père de Roland-Michel de La Galissonnière (1693-1756), ca (...)

62De l’union de Vincente et de Jacques II est issu Jacques III Barrin de La Galissonnière (1614-1683), maître des requêtes, intendant, conseiller d’État (1672), marié en 1635 à Marie Le Boulanger de Hacqueville168, laquelle conduit aux Phélypeaux par sa cousine Anne Le Boulanger de Viarmes mariée en 1638 à Antoine Loisel, conseiller au parlement de Paris (mort en 1652). Anne Le Boulanger est la mère d’Anne Loisel (morte en 1705) qui épouse vers 1660 François Phélypeaux d’Herbault, conseiller au parlement de Paris, petit-fils du secrétaire d’État Raymond d’Herbault-La Vrillière. Deux des trois fils nés de ce dernier mariage feront carrière dans la Marine et trouveront, l’un et l’autre, une fin glorieuse à la bataille de Velez-Malaga en 1704 : ce sont, déjà cités, Antoine-François Phélypeaux d’Herbault (né en 1666), intendant général des armées navales, et son frère benjamin Henri, dit le chevalier de Phélypeaux, capitaine de vaisseau169. Leur cousin, plus âgé, Roland Barrin de la Galissonnière (1646-1737), fils de Jacques III et de Marie Le Boulanger, avait également choisi la Marine. Capitaine de vaisseau depuis 1677, et servant en cette qualité sous les ordres de Châteaurenault lors du désastre de Vigo (1702) où il tomba aux mains des Anglais, La Galissonnière sera promu chef d’escadre à son retour de captivité en 1704 et terminera lieutenant général des armées navales en 1720170. En 1691, il avait épousé Catherine Bégon, fille de Michel Ier Bégon, intendant de la Marine à Rochefort de 1688 à 1710. Cette alliance conduit encore aux Phélypeaux, le frère de Catherine, Michel II Bégon, inspecteur général à Rochefort (1704), futur intendant du Canada (1712-1726), se mariant en 1711 à Élisabeth de Beauharnais dont le frère François avait succédé en 1710, comme intendant de la Marine à Rochefort, à Michel Ier Bégon, mort la même année. Élisabeth était l’arrière-petitenièce d’Anne de Beauharnais, femme de Paul de Pontchartrain, et la cousine de Marie-Anne de Beauharnais mariée à Jean Phélypeaux, intendant de la généralité de Paris (mort en 1711), lui-même frère du chancelier Pontchartrain. Signalons, au passage, que cette Élisabeth avait treize frères et sœurs, le tout formant une véritable tribu qui, d’abord sous l’égide de Jérôme de Pontchartrain, puis sous celle de son fils Maurepas, se perpétuera dans les emplois de la Marine et des Colonies au xviiie siècle.

  • 171 La terre de Brissac, toute proche d’Angers, avait été érigée en duché-pairie en 1620, pour Charles (...)
  • 172 Pour les autres enfants, des garçons, deux embrasseront l’état ecclésiastique, et le troisième, ch (...)
  • 173 Cf. J.-P. Charmeil, Les trésoriers de France à l’époque de la Fronde…, op. cit., p. 459, 465, 466. (...)
  • 174 À la mort de Thierry Bignon en 1697, son gendre Verthamon lui succéda comme premier président du G (...)

63Anne-Guyonne de Ruellan, la benjamine (morte en 1672), vient clore la brillante série des mariages des enfants de Rocher-Portail par une alliance encore plus flatteuse chez les ducs et pairs. Pourvue d’une dot impressionnante de 500 000 livres, elle avait épousé en 1621 François de Cossé, deuxième duc de Brissac (mort en 1651), lieutenant général, en 1638, du gouvernement de Bretagne, province où les Cossé-Brissac disposaient d’une solide assise foncière s’ajoutant à leurs possessions en Anjou171. Signe caractéristique, sur les six enfants issus de cette union, les trois qui se marieront172 – Marie de Cossé, Louis de Cossé, duc de Brissac, et Timoléon, comte de Brissac – s’allieront à des familles déjà évoquées au cours de notre enquête. Comme sa cousine germaine Marie-Françoise de Guémadeuc (fille de Jeanne de Ruellan) mariée en 1626 à Pont-Courlay, neveu du cardinal de Richelieu, Marie de Cossé (1621-1710) s’allie, onze ans plus tard, à la même illustre famille par son mariage en 1637 avec un cousin germain du Cardinal, le maréchal Charles de La Porte de La Meilleraye (1602-1664), veuf en 1633 de Marie Ruzé d’Effiat, fille du maréchal d’Effiat et de Marie de Fourcy. De son côté, Louis de Cossé, troisième duc de Brissac (mort en 1661), rentre dans une famille apparentée aux Rousselet de Châteaurenault et aux Sévigné, en épousant Marguerite de Gondi, cousine germaine de Jean-François-Paul de Gondi, cardinal de Retz. Rappelons que le maréchal de Châteaurenault était arrière-petit-fils d’une Gondi mariée à Rousselet, échevin de Lyon, et qu’Henri de Sévigné, l’époux de Marie de Rabutin-Chantal, était petit-fils d’une autre Gondi par sa mère Marguerite de Vassé. Quant au cadet de Louis, Timoléon, comte de Brissac (mort en 1677), son mariage avec Élisabeth Le Charron, de famille financière, ramène aux Beauharnais par l’intermédiaire des Choisy. Élisabeth était la nièce de Marguerite de Choisy, mariée en 1618 à Aignan de Beauharnais (beau-frère de Paul de Pontchartrain), elle-même fille du financier Jean de Choisy et de Madeleine Le Charron. Enfin, toujours en restant chez les Cossé-Brissac, mais à la génération suivante, une nouvelle alliance conduit à la parentèle Phélypeaux. C’est le mariage en 1684 du fils de Louis de Cossé-Brissac et de Marguerite de Gondi, Henri-Albert, duc de Brissac (1645-1699), veuf de Marguerite de Saint-Simon (demi-sœur du mémorialiste), avec Élisabeth de Verthamon, d’une famille de trésoriers de France anoblie au xvie siècle173 et qui, au siècle suivant, s’était alliée aux Bignon et aux Caumartin, eux-mêmes proches parents des Pontchartrain. Cette Élisabeth, « une petite bossue extrêmement riche » que Brissac, un débauché, « avait épousée pour son bien qu’il mangea » (Saint-Simon), était la sœur de Michel-François de Verthamon (1654-1738), maître des requêtes en 1677, marié à Marie-Anne Bignon (1661-1730), nièce du chancelier Pontchartrain et fille du premier président du Grand Conseil Thierry Bignon (mort en 1697) et de Françoise Talon174. D’autre part, une tante d’Élisabeth, Catherine-Madeleine de Verthamon (1642-1722), avait épousé en 1664 Louis-François Lefèvre de Caumartin (1624-1687), maître des requêtes en 1653, conseiller d’État en 1672. Bel exemple d’entrecroisement des alliances, la mère de Louis-François se trouvait être une Choisy, prénommée Madeleine, mariée en1622 au conseiller d’État Louis Lefèvre de Caumartin. Elle-même fille de Jean de Choisy et de Madeleine Le Charron, Madeleine de Choisy était donc la sœur de Marguerite, femme d’Aignan de Beauharnais. Ainsi ces deux sœurs mènent aux Caumartin et aux Beauharnais, et, à la génération suivante, aux Cossé-Brissac par le mariage de leur nièce Élisabeth Le Charron avec Timoléon, comte de Brissac (tableaux 38 et 39).

  • 175 Guillaume de Cominges, comte de Guitaut, et Mme de Sévigné nourrissaient, l’un pour l’autre, une v (...)
  • 176 Ces deux Caumartin étaient les petit-fils de Louis Lefèvre de Caumartin, président au Grand Consei (...)
  • 177 Fille d’Henri de Fourcy et de Marie de La Grange-Trianon, Mme d’Ormesson était la cousine d’Anne d (...)

64La famille du financier breton Rocher-Portail, « homme nouveau », constitue décidément une famille-clef découvrant un vaste panorama d’alliances prestigieuses où sans cesse apparaissent et réapparaissent des noms qui relèvent de la parentèle Phélypeaux. En prenant, au mois d’août 1677, ses fonctions de premier président du parlement de Rennes transféré à Vannes, Louis de Pontchartrain n’arrivait donc pas en terre inconnue ou hostile, disposant déjà, sur place, de relations suffisamment nombreuses et influentes pour se faire accepter de prime abord et inaugurer sa mission dans de bonnes conditions. Probablement ces appuis locaux ne furent-ils pas étrangers à son envoi dans une province traditionnellement récalcitrante et surtout surveillée de très près par le pouvoir central depuis la grave crise de l’année 1675. En tout cas, Pontchartrain ne tarda pas à les mettre à profit pour tisser, à travers la Bretagne, un réseau de personnalités à sa dévotion, dont la cohésion était le plus souvent renforcée par l’« interconnexion » des parentèles. La famille Sévigné, sur laquelle on a beaucoup insisté, fournit précisément un exemple frappant de ce phénomène, exemple qui permet, en même temps, de mieux comprendre la sollicitude manifestée par Pontchartrain à l’égard des Sévigné. Mme de Sévigné avait pour grands amis et correspondants fidèles le comte et la comtesse de Guitaut175. La comtesse, Antoinette-Elisabeth, née Verthamon, était la tante d’Élisabeth de Verthamon, femme du duc de Brissac, et la sœur de Catherine-Madeleine de Verthamon mariée en 1664 à Louis-François Lefèvre de Caumartin. Or, peu après, en 1666, un cousin germain de celui-ci, portant le même prénom, Louis-François Lefèvre de Caumartin, marquis de Cailly176, épousait une Sévigné : Anne de Sévigné-Montmoron, fille de Renaud de Sévigné, comte de Montmoron, doyen des conseillers du Parlement de Bretagne, et oncle d’Henri de Sévigné (mari de l’épistolière). Les Sévigné se rattachaient ainsi à la parentèle Phélypeaux par les Caumartin. De son côté, Mme de Sévigné s’y rattachait aussi, lointainement, par sa mère, Marie de Coulanges, petite-fille d’une Daguesseau, et, très indirectement, par son oncle et tuteur Philippe II de Coulanges, époux d’une Lefèvre d’Ormesson et beau-frère d’Olivier d’Ormesson, marié en 1640 à Marie de Fourcy, d’une famille doublement alliée, en 1648 et en 1670, aux Phélypeaux de la branche La Vrillière177. Enfin rappelons qu’André d’Harrouys de La Seilleraye, marié en 1687 à Marie-Anne Quentin de Richebourg, cousine germaine de Mme de Pont-chartrain, était un proche parent de Mme de Sévigné, elle-même cousine germaine de sa mère, Marie-Madeleine de Coulanges, femme du trésorier Guillaume d’Harrouys et fille de Philippe II de Coulanges.

  • 178 Notamment son fils Claude-René, reçu conseiller en 1687, puis président à mortier en 1695, et son (...)

65Un autre lien de parenté, toujours indirect, et qui fait remonter loin dans le passé, s’était établi lorsqu’en 1684, le fils de Mme de Sévigné, Charles, épousa Jeanne-Marguerite de Bréhan, fille de Maurille de Bréhan-Mauron et de Louise de Quelen. Les Quelen ramènent, en effet, aux Fouquet et aux Maupeou : l’aïeul de Louise, Grégoire de Quelen, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi, gouverneur de Rennes, avait épousé en 1607 Claude Fouquet, fille du président Christophe Fouquet de Chalain et d’Isabelle Barrin de la Galisonnière, et cousine germaine de François Fouquet marié en 1610 à Marie de Maupeou d’Ableiges. Mais, ici, l’intérêt principal du mariage de Charles de Sévigné vient de ce qu’il fut suivi, en 1694, du mariage de son beau-frère Jean-François-René de Bréhan avec Catherine Le Feuvre de La Faluère, fille du premier président du Parlement de Bretagne, René de La Faluère. Par les Bréhan, Charles s’apparentait ainsi à une famille particulièrement protégée par Louis de Pontchartrain. Ce dernier, comme on l’a vu précédemment, connaissait La Faluère de longue date, au moins depuis les années 1660, ce qui l’avait porté à lui céder sa charge de premier président en 1687. Pour l’ancien premier président, c’était un moyen de garder la haute main sur les affaires de la province, avec la présence, à la tête du Parlement de Bretagne, d’un homme à sa dévotion, et qui, de plus, allait peupler cette cour souveraine de ses créatures178. Effectivement, durant sa mission bretonne de 1687 à 1703, date où il résigne sa charge, René de La Faluère se révélera l’un des meilleurs informateurs de Pontchartrain qui, de son côté, ne manquera pas d’appuyer le premier président dans ses fréquents démêlés avec l’intendant Béchameil de Nointel. Aussi l’union en 1694 d’un Bréhan et d’une La Faluère, succédant à celle, en 1684, d’un Sévigné et d’une Bréhan, paraissent-elles s’inscrire dans la même perspective, d’autant qu’un an après le mariage de son beau-frère, Charles de Sévigné pouvait enfin réaliser un vieux projet remontant aux années 1670, et jusque-là sans cesse contrecarré : au mois de décembre 1695, il était nommé député en Cour représentant les États de Bretagne pour le corps de la Noblesse. Très probablement, en effet, le mariage Bréhan/La Faluère avait été concocté par Pontchartrain, désireux de rapprocher étroitement les Sévigné, les Bréhan et les La Faluère, trois familles très en vue et qui lui étaient acquises, cela afin de renforcer la cohésion de son réseau d’influence en Bretagne, et, par là, d’y accroître ses possibilités d’intervention dans les affaires locales.

  • 179 Pour le personnage du comte de Plélo, son mariage avec une Phélypeaux et celui de sa fille avec le (...)

66L’exemple d’une autre union, vers la même époque, plaide dans ce sens, montrant que Pontchartrain, infatigable marieur, savait utiliser ses relations bretonnes au mieux des intérêts de sa carrière personnelle. En 1688, étant alors intendant des Finances, et pour se faire valoir près du contrôleur général Claude Le Pelletier, il arrangeait le mariage du fils de son « patron », Louis Le Pelletier (1662-1730), président au parlement de Paris, futur premier président de la même cour (1707-1712), avec « le plus riche parti de Bretagne », Geneviève-Josèphe du Cosquer de Rosambo, fille unique de Joseph du Cosquer, seigneur de Rosambo, de noblesse chevaleresque. De cette union sort la branche des Le Pelletier de Rosambo qui alignera trois générations de présidents à mortier au parlement de Paris jusqu’à la Révolution. L’avenir de la descendance issue de l’union Bréhan/La Faluère ne sera pas moins brillant, tout en se situant hors des carrières parlementaires. Mais surtout il confirme bien, par une alliance particulièrement significative contractée à la fin de la Régence, le rôle joué, à l’origine, par Louis de Pontchartrain dans le rapprochement Sévigné-Bréhan-La Faluère, en même temps que l’appartenance étroite de ce groupe de familles au réseau Phélypeaux. C’est, en 1722, le mariage de Louis-Robert de Bréhan, comte de Plélo (1699-1734), mestre de camp de dragons, avec Louise-Françoise Phélypeaux de La Vrillière (1708-1737). Ce comte de Plélo, ambassadeur au Danemark à partir de 1729, est resté célèbre par sa mort héroïque devant Dantzig, le 27 mai 1734, en essayant de dégager, à la tête d’une maigre troupe de 1500 Français, le roi de Pologne Stanislas Leczinski assiégé par 40 000 Russes. Il était le fils de Jean-François-René de Bréhan et de Catherine de La Faluère, et le neveu par alliance de Charles de Sévigné. Sa femme Louise-Françoise, fille de Louis de La Vrillière, secrétaire d’État de 1700 à 1725, était la sœur de Marie-Jeanne (1704-1793) mariée en 1718 au fils de Jérôme de Pont-chartrain, Jean-Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas, alors tout jeune secrétaire d’État, âgé de 17 ans ; elle était également la sœur de Louis Phélypeaux, comte de Saint-Florentin, puis duc de La Vrillière, né en 1705, secrétaire d’État en 1725, ministre d’État en 1751, démissionnaire en 1775, mort en 1777. Les Bréhan conduisent ainsi au cœur de la famille Phélypeaux, les branches La Vrillière et Pontchartrain réunies. Et la piste Bréhan ne s’arrête pas là. En 1740, la fille du comte de Plélo et de Louise-Françoise de La Vrillière, Louise-Félicité de Bréhan-Plélo (1726-1796), dame du palais de la Reine (1748), épousera Emmanuel-Armand de Vignerot du Plessis-Richelieu, duc d’Agenois, puis duc d’Aiguillon (1720-1788), personnage très connu pour ses fonctions de commandant en chef de Bretagne de 1753 à 1758, et de ministre d’État entre 1771 et 1774. Or ce duc d’Aiguillon descendait des Ruellan et des Guémadeuc par son arrière-grand-père Amador-Jean-Baptiste de Vignerot du Plessis, marquis de Richelieu (mort en 1662), fils de François de Vignerot de Pont-Courlay (mort en 1646) et de Marie-Françoise de Guémadeuc (morte en 1674), et petit-fils de Thomas de Guémadeuc et de Jeanne de Ruellan, elle-même fille de Gilles de Ruellan du Rocher-Portail (mort en 1627). En partant du Bréhan beau-frère de Charles Sévigné, et en passant par Plélo qui épouse une Phélypeaux, on aboutit donc, par le mariage de Mlle de Bréhan-Plélo, à un duc et pair de France dont les ascendances ramènent encore au financier Rocher-Portail. En quelque sorte, l’union du duc d’Aiguillon et de la fille du comte de Plélo fermait la boucle rassemblant un vaste groupe de familles apparentées, la plupart issues ou liées, à des titres divers, à la province de Bretagne179 (tableau 40).

67En son temps, Louis de Pontchartrain avait puissamment contribué à ce remarquable entrecroisement d’alliances qui s’étale sur près de deux siècles et où se mêlent les familles financières, les familles parlementaires et certaines des plus illustres maisons aristocratiques. S’il réussit, en effet, rapidement, à jeter les bases d’un réseau breton cohérent, puis, patiemment, à l’étendre et le consolider, ce fut, en partie, grâce à une politique matrimoniale très active utilisant les alliances préexistantes pour en créer de nouvelles par le biais notamment d’unions avec de riches héritières de la province soigneusement sélectionnées à l’issue d’un véritable travail de prospections. À côté de l’interconnexion des parentèles ainsi obtenue, l’entretien des relations d’amitié, même anciennes, et le souci d’en cultiver le souvenir, tenaient également une place non négligeable, car, de la fidélité en amitié, dépendait aussi le bon fonctionnement du réseau. Un exemple, d’autant plus significatif qu’il se situe sous la Régence, en est fourni par l’attitude de Louis de Pontchartrain à l’égard des Talhouët, une famille amie, plongée dans le malheur par la participation de l’un des siens, Louis-Germain Talhouët de Bonamour, capitaine au régiment du Béarn, à la conspiration du marquis de Pontcallec et d’un groupe de gentilshommes bretons visant à faire appel aux Espagnols pour renverser le gouvernement de Philippe d’Orléans en 1718-1719. L’affaire tirait son origine des intrigues du duc et de la duchesse du Maine en liaison avec Cellamare, ambassadeur d’Espagne à Paris.

  • 180 Saint-Simon, éd. Cheruel, t. 17, p. 48-49.

« On les avait éblouis, écrit Saint-Simon, parlant des conjurés bretons, de les remettre comme au temps de leur duchesse héritière Anne, et de trouver la plupart de la noblesse de France prête à se joindre à eux pour la réformation du royaume sous l’autorité du roi d’Espagne, représenté en France par le duc du Maine180. »

  • 181 AN, Archives privées, 257 AP 2, Papiers concernant Jérôme de Pontchartrain, dossier 1, corresponda (...)
  • 182 Cf. Luc Boisnard, Les Phélypeaux…, op. cit., p. 48-49.

68Cette conspiration nobiliaire connut un dénouement sanglant qui devait trouver un écho dans la mémoire populaire avec une émouvante complainte, ou « gwerz », consacrée au marquis de Pontcallec. Le 26 mars 1720, Pontcallec, Montlouis, du Couëdic et un Talhouët, cousin de Bonamour, furent décapités en place de Nantes, et seize autres gentilshommes, en fuite, se virent condamnés à morts par contumace, dont Bonamour qui, réfugié en Espagne, s’y fera employer comme capitaine des gardes wallonnes. Or Pontchartrain, bien que retiré des affaires depuis 1714, réussira à faire rétablir les enfants de Bonamour dans les biens qui avaient été confisqués à leur père lors de sa condamnation par contumace. Cette intervention de l’ancien chancelier montre d’abord qu’il avait conservé une certaine influence occulte, aisément explicable en raison de son capital de relations accumulé au fil des décennies, sans oublier, non plus, la présence au gouvernement de ses cousins La Vrillière et Saint-Florentin et de son petit-fils Maurepas. Mais surtout, elle témoigne de la persistance de sa solidarité envers les familles qui, à l’époque de sa première présidence du Parlement de Bretagne, l’avaient aidé à s’implanter dans la province. Les Talhouët faisaient partie de ce groupe. Le père de Bonamour, Germain de Talhouët de Bonamour, président aux requêtes du Parlement de Bretagne, un « homme de beaucoup d’esprit, et fort entendu aux affaires181 », s’était, en effet, lié d’amitié avec le premier président Pontchartrain auquel il était tout dévoué et qui avait accepté d’être le parrain de son fils. En intervenant en faveur des enfants du conspirateur de 1718-1719 qui était son filleul, l’ex-chancelier Pontchartrain honorait donc, non seulement le souvenir d’une amitié ancienne, mais aussi un lien de parenté d’ordre spirituel selon les lois de l’Église182.

69Le soin constant manifesté par Louis de Pontchartrain, une fois parvenu au gouvernement, dans l’entretien et le renforcement de son réseau breton, ne cessa de s’accompagner d’une vigilance particulière, teintée à la fois de prudence et de méfiance, pour tout ce qui concernait les problèmes de la province. Ainsi, en 1694, ayant envoyé Jérôme, alors secrétaire d’État survivancier, inspecter les ports du Ponant, il lui envoyait une lettre, datée du 14 juillet, qui constituait une véritable mise en garde, en prévision de son passage par Saint-Malo.

  • 183 Ce lien de parenté, d’ordre spirituel, n’était pas fictif. Rappelons que l’Église assimilait au pé (...)

« Vous voilà à Saint-Malo, ou du moins cette lettre vous y trouvera, écrivait-il à son fils. Le théâtre vous doit être plus suspect qu’aucun autre et son plancher plus glissant. Redoublez donc, s’il vous plaît, toute votre application à tout entendre, à parler peu, à ne décider sur rien, et à payer d’honnêtetés et de politesses. C’est le plus solide précepte que vous puisse donner un père, et le plus salutaire avis que vous puissiez avoir d’un ami183. »

70Les problèmes posés aux grands négociants malouins par la reconversion de leurs activités en période de guerre n’étaient évidemment pas étrangers à ces consignes de réserve et de discrétion, Pontchartrain se trouvant confronté, à la fois comme secrétaire d’État à la Marine et comme contrôleur général des Finances, aux revendications des « Messieurs de Saint-Malo » qui, gros importateurs de métaux précieux, réclamaient notamment une revalorisation des espèces d’or et d’argent. Mais l’attention sourcilleuse portée, de manière générale, par Pontchartrain, aux affaires de Bretagne, ne tenait pas seulement à l’importance grandissante de cette province dans l’économie maritime du royaume, ni aux considérations d’ordre politique ou stratégique. Elle était due aussi au rôle primordial joué par la même province, à partir de 1677, dans le rebondissement de sa propre carrière, et, en prolongement, à l’existence d’un puissant groupe breton de grandes familles alliées ou amies dont l’influence non négligeable à la Cour concourrait à assurer la position de l’ancien premier président du Parlement de Bretagne parvenu au ministère.

71Le fait que cette première présidence ait permis à Pontchartrain de relancer complètement sa carrière ne saurait surprendre, les postes de responsabilité en Bretagne étant généralement confiés à des hommes d’envergure, aptes aux plus hauts emplois. L’aspect insolite viendrait plutôt de l’extrême rapidité de l’ascension de ce magistrat, une fois qu’en 1687, il eut pris congé du parlement de Vannes pour prendre ses fonctions d’intendant des Finances : deux ans après, il était propulsé à la tête du Contrôle Général. Mme de Sévigné le souligne aussi brièvement que clairement, lorsque, dans une lettre du 25 septembre 1689 adressée à Mme de Grignan, elle écrivait en guise de commentaire de la nomination de Pontchartrain survenue le 20 du même mois : « Voilà M. de Pontchartrain contrôleur général ; j’y croyais bien, mais pas sitôt. » Et d’ajouter, preuve de ses relations suivies avec le nouveau promu, cette recommandation : « Nous allons lui écrire ; vous n’y manquerez pas. » D’autre part, à la fin de la même lettre, et faisant allusion au premier président du parlement d’Aix dont se plaignait le comte de Grignan, lieutenant général en Provence, la marquise en profitait pour se livrer à un parallèle entre le Parlement de Provence et celui de Bretagne.

  • 184 Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, p. 707-708.

« Je sens le mépris, insistait-elle, que l’on a pour votre Parlement en lui laissant le chef que nous connaissons. Voyez un peu ce que sont devenus ceux qu’on a donnés à cette province [de Bretagne]. MM. d’Argouges, de Pontchartrain, Boucherat, voilà des hommes, et non pas un cheval marin, qui rue et fait cent folies184. »

  • 185 Pierre Cardin Le Bret cumulera les fonctions d’intendant de Provence et de premier président du pa (...)

72Le « cheval marin », ainsi désigné par Mme de Sévigné, s’appelait Arnoul Marin de La Châtaigneraie (1630-1699), premier président du parlement d’Aix depuis 1674, un personnage extravagant qui devait sa carrière à la protection de Jean-Baptiste Colbert, Denis Marin, son père, intendant des Finances (mort en 1678), s’étant marié en secondes noces à Marguerite Colbert, cousine de Jean-Baptiste. Pontchartrain, une fois installé au gouvernement, s’empressera d’ailleurs, dès 1690, de faire remplacer La Châtaigneraie par un ami du comte de Grignan, Pierre Cardin Le Bret (1640-1710), intendant de Provence depuis 1687185. Précisons que ce Le Bret se rattachait à la parentèle Phélypeaux par sa tante Marguerite Le Bret mariée en 1637 au maître des requêtes Pierre Gobelin qui était un neveu de Claude Gobelin, l’épouse du secrétaire d’État Raymond Phélypeaux d’Herbault-La Vrillière. Quant aux trois personnages cités dans la même lettre pour leur réussite après avoir été chefs du Parlement de Bretagne, Argouges, Pontchartrain et Boucherat, ce dernier, en réalité, ne fut jamais premier président, tout en connaissant fort bien la province, le Roi l’y ayant envoyé à dix reprises en qualité de commissaire près des États. Cette inexactitude mise à part, Mme de Sévigné met, ici, heureusement en relief l’importance du passage en Bretagne pour le déroulement ultérieur des carrières. Louis Boucherat terminera chancelier de France (1685-1699). François d’Argouges, à peine sorti de charge en 1677, devient conseiller d’État, ce qui le mène, en 1685, au Conseil royal des Finances. Enfin, son successeur à la première présidence de Bretagne ne quittera la province, en 1687, que pour sauter sur le « marchepied » de l’intendance des Finances et, de là, entamer une fulgurante carrière ministérielle qui le conduira, en 1699, au poste de chancelier de France, à la mort de Boucherat, l’ancien commissaire aux États de Bretagne.

73Le long séjour à Vannes de Louis de Pontchartrain apparaît donc comme le tournant décisif d’une carrière jusque-là vouée à l’obscurité. Les fonctions de premier président, dont il sut s’acquitter avec brio durant une décennie (1677-1687), lui servirent véritablement de tremplin pour accéder aux plus hautes charges de l’État. Parallèlement, le réseau local mis en place par ses soins allait communiquer un surcroît d’influence considérable à tout ce monde de parents, d’alliés, d’amis et de clients qui, évoluant dans le sillage du chef de file des Phélypeaux de la branche Pontchartrain, contribuaient, en même temps, à assurer l’avenir de cette dynastie ministérielle fraîchement restaurée. Loin d’être une simple force d’appoint, ce réseau breton représentait l’apport d’une nouvelle et puissante assise provinciale dont l’aspect général tranchait avec l’allure déjà vieillissante du réseau ligérien qui avait constitué la première assise régionale des Phélypeaux, en raison de leurs origines blésoises. L’époque faste – approximativement entre 1630 et 1660 – du syndicat financier tourangeau étant révolu, l’assise ligérienne avait, en effet, perdu de son importance. Par contre, avec la Bretagne, les Pontchartrain disposaient désormais de tout un milieu extrêmement influent et d’une remarquable diversité englobant des aristocrates familiers de la Cour, des gros négociants maritimes très introduits près du gouvernement, et un grand nombre de parlementaires et de financiers souvent d’origine chevaleresque. Caractéristique bretonne, ce milieu était fortement marqué par l’empreinte nobiliaire, une empreinte qui n’excluait nullement le dynamisme, et, en tout cas, renforçait ses moyens d’intervention. Aussi un rappel de l’union, en 1722, du comte de Plélo, de vieille noblesse bretonne, avec une La Vrillière, à la fois cousine et belle-sœur de Maurepas, petit-fils du chancelier Pontchartrain, s’impose-t-il en conclusion de ce chapitre. Reflétant bien la puissance et le prestige du réseau que Pontchartrain s’était constitué en Bretagne, l’alliance Plélo-La Vrillière permet, en effet, de mieux saisir, rétrospectivement, l’importance de la contribution apportée par ce réseau au rétablissement de la dynastie ministérielle des Pontchartrain à la fin du xviie siècle.

Notes

1 AN, Col., B 31, f° 495, lettre de Jérôme de Pontchartrain à M. Phélypeaux, du 31 juillet 1709, au sujet du passage à suite (en Martinique) « du sieur Le Lay, neveu du sieur de Villemaré ».

2 Cf. C.-F. Lévy, Capitalistes et pouvoir…, op. cit., t. 2, p. 105, note 63 ; D. Dessert, Argent, pouvoir et société…, p. 405, tableau n° 30.

3 Cf. D. Dessert, Argent…, p. 402 (tableau n° 4), p. 599-600 (notice Guihou), p. 598-599 (notice Chendret).

4 Voir la liste des financiers taxés dressée par D. Dessert, Argent…, annexe n° 6, p. 489-500.

5 Saint-Simon, Pléiade, t. 4, p. 604.

6 Pour la dot d’Anne-Marguerite de Saint-Amans, voir la Correspondance de Mme de Sévigné, Pléiade, édition présentée et annotée par Roger Duchêne, t. 3, notes p. 1649-1650 et p. 1637-1639.

7 Saint-Simon, Pléiade, t. 2, p. 395.

8 Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, lettre citée en note par R. Duchêne, p. 1637-1639.

9 Philippe-Emmanuel de Coulanges était le fils de Philippe II de Coulanges (†1659), trésorier de France au bureau des Finances de Paris, et le petit-fils de Philippe Ier de Coulanges (†1636), un financier proche de Sully.

10 Catherine de Saint-Amans, née en 1676, qui épousera Arnoul Garnier de Salins, lieutenant de vaisseau. Elle était la sœur cadette d’Anne-Marguerite, née en 1674.

11 11. Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, p. 1073-1074.

12 Charles Pons de Lauzières, marquis de Thémines, fils du maréchal de Thémines, avait tué en duel, en 1619, Henri de Richelieu, frère aîné du futur Cardinal-Ministre. Il fut tué, lui-même, au siège de Montauban en 1622.

13 Cf. Françoise Bayard, Le monde des financiers au début du XVIIe siècle…, op. cit., p. 416.

14 C’était un remariage. Veuve en 1690 de Louis Fauste de Brichanteau, marquis de Nangis, Marie-Henriette d’Aloigny « devint grosse de Blanzac, qu’on fit revenir de l’armée pour l’épouser, et elle accoucha de Mme de Tonnerre la nuit même qu’elle fut mariée » (Saint-Simon, t. 1, p. 317). « Mme de Tonnerre s’appelait Geneviève-Armande de La Rochefoucauld-Roye. Elle épousera Philippe-Aymard de Clermont, comte de Tonnerre. Son père, Charles de La Rochefoucauld-Roye, comte de Blanzac, terminera lieutenant général des armées du Roi » († 1732).

15 Saint-Simon, t. 2, p. 156.

16 Ibid.

17 Ce gouverneur non résident était le comte de Toulouse, âgé de 17 ans. Nommé le 19 mars 1695, il succédait au duc de Chaulnes, un vieil ennemi de Louis de Pontchartrain.

18 « M. le comte d’Estrées [Victor-Marie] a soupé et couché ici ; il est parti ce matin pour Paris. Je l’ai trouvé fort joli, fort vif. Son esprit est tout noble, et si fort tourné sur les sciences et sur ce qui s’appelle les belles-lettres que, s’il n’avait une fort bonne réputation et sur mer et sur terre…, je croirais qu’il serait du nombre de ceux que le bel esprit empêche de faire leur fortune… C’est un plaisir d’entendre ce comte causer avec mon fils, et sur les poètes anciens et modernes et sur l’histoire, la philosophie, la morale. Il sait tout, il n’est neuf sur rien ; cela est joli » (lettre de Mme de Sévigné à Mme de Grignan, 20 novembre 1689, aux Rochers, Correspondances…, t. 3, p. 759).

19 Mme de Grignan était tombée gravement malade au début de l’année 1695, peu après le mariage (2 janvier) de son fils Louis-Provence avec Mlle de Saint-Amans.

20 Lettre citée en annexe de la Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, p. 1688.

21 Capitaine des chevau-légers d’Anne d’Autriche en 1656, François Adhémar de Monteil, comte de Grignan (1632-1714), avait été lieutenant général en Languedoc de 1663 à 1669, avant d’exercer cette charge en Provence, jusqu’à sa mort en 1714. Fait chevalier de l’ordre du Saint-Esprit en 1688, et, chargé, la même année, d’occuper Avignon et le comtat confisqués au pape, Grignan se distinguera en 1707 en défendant victorieusement Toulon assiégé par l’armée du duc de Savoie.

22 Née le 5 février 1626, Marie de Rabutin-Chantal, mariée en 1644 à Henri de Sévigné, deviendra veuve dès l’âge de 25 ans, Sévigné succombant, le 6 février 1651, aux blessures reçues, l’avant-veille, au cours d’un duel.

23 Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, p. 952-953.

24 Cf. Jean Marteilhe. Mémoire d’un galérien du Roi-Soleil, éd. André Zysberg, Paris, Mercure de France, 1982, 364 p., p. 174-176, et p. 345, note 66.

25 Avant son intendance au Havre, Montmor était conseiller au Châtelet de Paris (depuis 1675). En 1700, il épousera Gabrielle Nicole de La Reynie, fille de Gabriel Nicolas de La Reynie, lieutenant général de police de Paris de 1669 à 1697.

26 Voir, à ce propos, le Journal du maître des requêtes Olivier Lefèvre d’Ormesson : « M. de Montmor [l’académicien] m’a dit plusieurs fois que le sieur Colbert, payeur, avait fait deux fois banqueroute, et que son père (Montmor le riche) lui avait aidé deux fois à se relever » (Journal…, Paris, éd. Cheruel, 1860-1861, 2 vol. in-4°, t. 2 p. 487). Apparenté aux Coulanges et aux Phélypeaux, Olivier d’Ormesson (1616-1686) connaissait bien les Montmor.

27 Tallemant des Réaux, Historiettes, t. 1, p. 167.

28 D. Dessert, Argent, pouvoir et société…, p. 351.

29 Saint-Simon, t. 4, p. 315-316.

30 Cette présidence du Conseil de Marine ne s’explique pas seulement par ses brillants états de service comme lieutenant général des armées navales. Marié en 1698 à Lucie Félicité de Noailles, Victor-Marie d’Estrées était le beau-frère d’Adrien-Maurice, duc de Noailles, le très influent président du Conseil de Finance de 1715 à 1718.

31 Jean-François Le Haguais (1640-1723), ancien premier avocat général à la Cour des aides, était un ami d’enfance de Louis de Pontchartrain. Il sera un très actif collaborateur de Jérôme de Pontchartrain pour les affaires commerciales et coloniales. On reviendra sur cet intéressant personnage qui fut aussi un ami intime de Fontenelle.

32 Saint-Simon, t. 2, p. 156-157.

33 Le duc d’Antin (1665-1736), fils du marquis et de la marquise de Montespan, était président du Conseil de Dedans (sept. 1715), surintendant des Bâtiments du Roi (oct. 1716) et conseiller au Conseil de Régence (1718).

34 Henri-Jacques Nompar de Caumont, duc de La Force (1675-1726), vice-président du Conseil de Finance sous la Polysynodie.

35 Lettres de la princesse Palatine, Paris, Club français du livre, 1948, t. 2, p. 217.

36 Il s’agit du maître des requêtes Henri-Louis Habert de Montmor, déjà mentionné, qui occupa le 35e fauteuil, et de ses cousins germains Philippe Habert, commissaire de l’Artillerie, au 11e fauteuil, et Germain Habert, abbé de Cerisy, au 12e fauteuil.

37 Par un édit d’avril 1664, les trésoriers de l’Épargne, au nombre de trois, avaient été remplacés par deux commissaires généraux, dits Gardes du Trésor, dont les commissions furent ensuite érigées en offices.

38 Cf. D. Dessert, Argent…, p. 489-500, annexe n° 6, liste des taxés en 1665, en 1700 et en 1716.

39 Jean de Choisy, financier très lié à Éléonora Galigaï, et, à ce titre, fortement inquiété lors de la chute de Concini en 1617, était l’aïeul du célèbre abbé François-Timoléon de Choisy (1644-1724), auteur, entre autres écrits, du Journal de voyage de Siam fait en 1685 et 1686, et de Mémoires pour servir à l’histoire du règne de Louis XIV publiés en 1726.

40 Pour Pierre Le Charron, voir F. Bayard, Le monde des financiers au xviie siècle, op. cit., p. 231, 398, 409, 443, 446.

41 Cf. D. Dessert, Argent…, p. 699, notice sur les Turmenyes.

42 Thomas Bonneau avait épousé Anne Pallu, sœur d’Étienne Pallu, jurisconsulte et maire de Tours, lui-même père de Bertrand Pallu.

43 Fille de Claude Robin, commissaire des guerres et échevin de Tours, Suzanne Robin avait épousé Thomas Bonneau, également échevin de Tours.

44 Saint-Simon, t. 2, p. 460.

45 AN, Col., série B, correspondance « Départ », B. rec. 22, f° 172 v°, le 23 mars 1701, arrêt du Conseil chargeant MM. Daguesseau, Amelot, d’Angervilliers et Deshaguais (sic) d’examiner les titres des titulaires de concessions en Acadie.

46 La Chambre aux deniers était un bureau où se réglaient et se payaient les dépenses de bouche de la Maison du Roi.

47 Cf. D. Dessert, Argent…, p. 54-55.

48 Ibid., p. 55, 103. Pour limiter les dégâts, Gabrielle Choart avait pris la précaution de demander la séparation de biens d’avec son mari, bien avant la mort de celui-ci.

49 Claude-Madeleine Habert de Montmor était née de l’union d’Henri-Louis Habert de Montmor (l’académicien) et de Marie-Henriette de Buade-Frontenac, elle-même fille d’Henri de Buade-Frontenac et d’Anne Phélypeaux. Cette Anne Phélypeaux était la fille aînée de Raymond d’Herbault-La Vrillière, marié en 1594 à Claude Gobelin.

50 Avant son mariage, Saint-Amans exerçait déjà cette charge de receveur, par commission, pour le compte de Delrieu.

51 D. Dessert, Argent…, annexe n° 6, liste des taxés…, p. 498-499.

52 Correspondance de Mme de Sévigné…, t. 3, p. 1073-1074, lettre écrite du château de Grignan, décembre 1694.

53 Le comte de Grignan assuma pleinement les responsabilités du gouvernement de 1669 à 1714, en raison de la non-résidence du gouverneur en titre, Louis-Joseph, duc de Vendôme.

54 Correspondance de Mme de Sévigné…, t. 3, notes et choix de variantes, p. 1500.

55 Ibid., t. 3, p. 1544.

56 Ibid., t. 3, p. 1543.

57 Ibid., t. 3, p. 1544.

58 Ibid., t. 3, p. 823.

59 Saint-Simon, t. 1, p. 679.

60 Ibid.

61 Correspondance de Mme de Sévigné…, t. 3, p. 864.

62 À la fin du xvie siècle, Éléonore de La Grange-Trianon avait épousé Léon de Bragelonne, conseiller au parlement de Paris. Leur fille Marie Bragelonne, mariée en 1606 à Claude Bouthillier, futur secrétaire d’État sous le ministériat de Richelieu, était la mère du secrétaire d’État Léon Bouthillier, comte de Chavigny, marié en 1627 à Anne Phélypeaux, fille de Jean Phélypeaux de Villesavin (frère de Paul de Pontchartrain). D’autre part, une nièce d’Éléonore, Marie de La Grange-Trianon, sera, par son mariage avec Henri de Fourcy, surintendant des Bâtiments du Roi, l’aïeule de Marie-Marguerite de Fourcy, mariée en 1670 au secrétaire d’État Balthazar Phélypeaux de Châteauneuf. Enfin cette même Marie de La Grange-Trianon était la tante d’Anne de la Grange-Trianon mariée en 1648 à Louis de Buade, comte de Frontenac (1620-1698). Rappelons que le comte de Frontenac, gouverneur du Canada de 1672 à 1682 et de 1689 à 1698, était le fils d’Anne Phélypeaux (elle-même fille du secrétaire d’État Raymond d’Herbault-La Vrillière), mariée en 1613 à Henri de Buade-Frontenac.

63 AN, Col., B 14, f° 384, le 13 avril 1692, lettre de Louis de Pontchartrain à Hubert Champy Desclouzeaux, intendant de la Marine à Brest, au sujet du chevalier de Bragelonne exilé à Saint-Domingue ; f° 503, le 1er juillet 1693, Louis de Pontchartrain à M. de Bragelonne au sujet d’un de ses parents malade à Saint-Domingue et privé de ressources ; B 18, f° 543, le 30 sept. 1697, Ordre du Roi nommant le sr de Bragelonne, capitaine d’infanterie de marine à Saint-Domingue.

64 AN, Col., B 28, f° 168, le 12 mai 1706, Jérôme de Pontchartrain à Nicolas-François Arnoul de Vaucresson, intendant des Îles d’Amérique, au sujet du sr de Bragelonne et de son éventuelle nomination comme colonel de milice en Guadeloupe à la place du feu sr Houel de Varennes.

65 AN, Col., B 32, f° 331, le 10 mai 1710, Jérôme de Pontchartrain au sr de Bragelonne pour lui annoncer sa nomination de lieutenant ; B 33, f° 383, le 7 juillet 1711, Jérôme de Pontchartrain au sr de Bragelonne au sujet de ses bons services.

66 Lettre de Mme de Sévigné à Jean d’Hérigoyen, son homme d’affaires, Paris, le 23 avril 1687, Correspondance…, t. 3, p. 290.

67 Jean Quentin de Richebourg était le frère de Marie Quentin de Richebourg, femme de Pierre III de Maupeou, président aux Enquêtes, et mère de Marie de Maupeou qui épousa en 1668 Louis de Pontchartrain.

68 Journal de la Cour de Louis XIV de Dangeau, Paris, 1854-1860, 19 vol. in-8°, t. 4.

69 Correspondance de Mme de Sévigné…, t. 3, p. 234.

70 Ibid., t. 3, p. 282.

71 Ibid., t. 3, p. 290.

72 Ibid., t. 3, p. 1235-1236, note 3.

73 Le 9 avril 1687, Pontchartrain prit congé du Parlement de Bretagne « pour aller en Cour, par ordre du Roi ». Le 2 mai suivant, le Parlement décide l’envoi d’une délégation pour « le congratuler de sa promotion à l’état d’intendant des Finances de France » (AD d’Ille-et-Vilaine, 1 Bd, Registres secrets du Parlement de Bretagne, t. 7, p. 984, 986, 987). Pontchartrain fut nommé intendant des Finances le 25 avril 1687.

74 Par sa mère, née Ardier, Gaspard de Fieubet (1626-1694) était le petit-fils de Suzanne Phélypeaux (sœur de Paul de Pontchartrain), mariée à Paul Ardier, trésorier de l’Épargne.

75 Mémoires secrets et inédits de la Cour de France sur la fin du règne de louis XIV, du marquis de Sourches, grand prévôt de France, Paris, 1882-1893, 13 vol. Ces Mémoires commencent au 25 septembre 1681 et s’arrêtent au 31 décembre 1712.

76 Correspondance de Mme de Sévigné…, t. 3, p. 565.

77 Ibid., t. 3, p. 864. « M. et Mme de Richebourg » : le maître des requêtes Jean Quentin de Richebourg et sa femme Anne-Marguerite Balthazar, beaux-parents de La Seilleraye.

78 Ce fut probablement Jean Quentin de Richebourg qui avança à son gendre La Seilleraye l’argent nécessaire pour acquérir cet office.

79 Saint-Simon, t. 1, p. 679.

80 Ibid.

81 Saint-Simon, t. 4, appendice n° 3, p. 1102-1103, Addition de Saint-Simon au Journal de Dangeau, sur la retraite du chancelier Pontchartrain.

82 Pour la « conversion » de Mme de Coulanges, voir Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, p. 493, 803, 897, 898.

83 Voir plus haut, chap. II.

84 Cf. D. Dessert, Argent…, p. 602, notice Harouys.

85 Dans leur travail, les officiers des États (procureur général syndic, trésorier général et greffier) étaient aidés par des commissions nommées au début de chaque tenue et composées de membres des trois ordres. Trevaly fut notamment membre d’une commission de 12 membres chargés en 1697 d’examiner les comptes des étapes et ceux des ponts et chaussées (cf. J. Bérenger et J. Meyer…, La Bretagne…, op. cit., p. 38. Pour Becdelièvre de La Brunelaye, voir p. 103 et 168, note 102).

86 Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, p. 290, lettre du 23 avril 1687 (de Paris) à Jean d’Herigoyen ; p. 664, lettre du 9 août 1689 (d’Auray) à Mme de Grignan.

87 En 1663, Henri Daguesseau avait épousé Claire-Eugénie Le Picart de Périgny, fille de J.-B. Le Picart de Périgny, maître des requêtes, et de Catherine Talon, elle-même sœur de Marie-Suzanne Talon, l’épouse de Louis Ier de Pontchartrain.

88 Saint-Simon, éd. Chéruel, t. 4, p. 340, 345 ; t. 7, p. 87-92 ; t. 12, p. 54, 55, 191, 258.

89 Cf. Lucien Bély, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, op. cit., p. 139, 151, 201, 211, 212.

90 Saint-Simon, Pléiade, t. 5, p. 398.

91 Chap. II, p. 116-118 et tableau 19.

92 Philippe II de Coulanges, fils du financier Philippe Ier, était le frère de Marie de Coulanges mariée à Celse-Bénigne de Rabutin, baron de Chantal et mère de Mme de Sévigné.

93 Journal d’Olivier d’Ormesson, et extraits des Mémoires d’André Lefèvre d’Ormesson, éd. Cheruel, Paris, 1860-1861, 2 vol. in-4°, collection de documents inédits sur l’Histoire de France.

94 Anne-Françoise Lefèvre d’Ormesson (1678-1735) était la fille d’André Lefèvre d’Amboille (1644-1684), intendant de Lyon, et d’Éléonore Le Maistre de Bellejamme. Amboille était, lui-même, le fils aîné d’Olivier d’Ormesson et de Marie de Fourcy.

95 La mère de Michel-Charles Amelot, Catherine Le Pelletier de La Houssaye (mariée au conseiller d’État Michel-Jean Amelot), était la fille de Nicolas Le Pelletier de La Houssaye, maître des requêtes (†1674), et de Catherine Le Picart de Périgny, elle-même sœur de Claire-Eugénie mariée à Henri Daguesseau. D’autre part, ces deux sœurs étaient cousines germaines de Louis II de Pontchartrain par leur mère Catherine Talon mariée au maître des requêtes J.-B. Le Picart de Périgny. Catherine était, en effet, la sœur de Marie-Suzanne Talon, femme de Louis Ier de Pontchartrain.

96 Cf. André Lespagnol, Messieurs de Saint-Malo, op. cit., p. 729, Tableau des dots et avancements successifs reçus par les enfants Danycan. Voir aussi p. 766-770.

97 En raison de l’âge et de la santé de son oncle Henri Daguesseau, Amelot dirigea l’instruction des affaires au Conseil de Commerce de 1700 à 1715, sauf durant la période 1705-1709 où il fut ambassadeur à Madrid.

98 Denis-Jean-Michel Amelot de Chaillou (1666-1746), conseiller au parlement de Paris en 1687, maître des requêtes en 1690, avait épousé Philiberte de Barrillon d’Amoncourt. La mère de cette Philiberte, Marie-Madeleine Mangot, mariée au conseiller d’État Jean-Paul de Barrillon d’Amoncourt (1628-1691), était la fille du maître des requêtes Anne Mangot et de Marie Phélypeaux (†1670), elle-même fille aînée de Paul de Pontchartrain.

99 Charles Bonaventure Rossignol (1649-1705) était le fils d’Antoine Rossignol, maître des Comptes, et de Catherine Quentin de Richebourg, sœur de Jean Quentin de R., le père de Mme d’Harouys, et également sœur de Marie Quentin de R. (mariée à Pierre de Maupeou), la mère de la chancelière Pontchartrain. Antoine Rossignol est resté célèbre pour sa science du déchiffrage qu’il mit au service de Louvois. Grâce à lui, la France acquit « une réelle supériorité dans le décryptage des codes ennemis et l’emploi de codes particulièrement hermétiques » (A. Corvisier, Louvois, op. cit., p. 204). Saint-Simon précise, à propos d’Antoine Rossignol, « le plus habile déchiffreur de l’Europe », qu’ » il instruisit son fils dans cette science », et que celui-ci « y devint habile, mais non pas au point de son père » (Saint-Simon, t. 2, p. 516).

100 Charles d’Albert d’Ailly, duc de Chaulnes (1625-1698), était le neveu du connétable de Luynes et l’oncle du duc de Chevreuse.

101 Saint-Simon, t. 1, p. 350.

102 Extrait des Mémoires du marquis de Sourches, à la date du 22 juin 1685, cité par R. Duchêne dans son édition de la Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, p. 1251.

103 Saint-Simon, t. 1, p. 651.

104 Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, Notes, p. 1251.

105 Saint-Simon, t. 1, p. 350.

106 Cf. Armand Rébillon, Les États de Bretagne de 1661 à 1789, Paris, 1932, in-8°, 518 p., p. 49, note 14. Le traité de l’abbé de Pontbriand embrasse la période 1569-1754. Henri du Breuil de Pontbriand, abbé commendataire de Lanvau (diocèse de Vannes), mort à Rennes en 1767, est surtout connu comme grammairien (cf. Dictionnaire des Lettres françaises [dir. Mgr Grente], Le xviiie siècle, nouvelle édition [François Moureau], Paris, Fayard, 1995, p. 1053-1054).

107 Saint-Simon, t. 1, p. 546.

108 Dans une lettre datée du 18 février 1689, jour même de son installation à Rennes, Pomereu demande au contrôleur général Claude Le Pelletier de lui conserver « pendant son absence du Conseil les places qui lui ont été accordées dans les commissions et bureaux des Finances ». Il espère que ces places « ne seront pas remplies par d’autres de ses confrères pour qu’il en soit privé à son retour » (Henri Fréville, L’intendance de Bretagne, 1689-1790, Rennes, 1953, 3 vol., 1320 p., t. 1, p. 48).

109 Cf. D. Dessert, Fouquet, Paris, Fayard, 1987, p. 89. Veuf en 1633 de Marie Baron, épousée en 1622, dont il eut Auguste-Robert, François de Pomereu s’était remarié à Denise de Bordeaux, fille de Guillaume de Bordeaux, intendant des Finances de 1649 à 1660, crétature de Mazarin. Selon Tallemant des Réaux (Historiettes, t. 2, p. 1238, 1276), Auguste-Robert aurait été l’amoureux transi de sa belle-mère, ce qui le fit surnommer « Hippolyte ».

110 Cf. H. Fréville, L’intendance de Bretagne…, op. cit., t. 1, p. 53.

111 Saint-Simon, t. 2, p. 105.

112 Louis Bazin de Bezons (†1700), intendant à Limoges, puis à Bordeaux (1686-1700), était le frère du maréchal de Bezons.

113 113. Cf. H. Fréville, L’intendance de Bretagne…, t. 1, p. 56.

114 114. Cf. Dictionnaire du Grand Siècle (dir. F. Bluche), op. cit., article « Bretagne » (Jean Meyer), p. 237-238.

115 115. Saint-Simon, t. 1, p. 364.

116 Pomereu déclarait à Mme de Sévigné « avoir une grande indifférence pour l’absence, pour la sottise, pour la paresse de M. de Molac, si on eût pu mettre au-dessous de galant homme un joli lieutenant de roi » (Lettre de Mme de Sévigné à Mme de Grignan, le 24 mai 1690, Correspondance…, t. 3, p. 879).

117 Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, Notes, p. 1561.

118 Cf. Roger Duchêne, Mme de Sévigné ou la chance d’être femme, Paris, Fayard, 1996 (nouvelle édition), p. 425-426. Charles de Sévigné acheta sa lieutenance de Roi le 16 avril 1693, et prêta serment le 19 septembre suivant.

119 Lettre de Charles de Sévigné à Mme de Grignan, du 27 septembre 1696, reproduite par R. Duchêne en appendice de son édition de la Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, p. 1694-1697. Suit un « Mémoire des dettes qui sont dans la maison » dressé par Charles, avec la liste de ses créanciers pour l’achat de sa lieutenance de Roi (1697-1698).

120 Saint-Simon, t. 1, p. 767.

121 Selon Saint-Simon, la province de Bretagne l’emporta dans cette affaire, parce que « le Roi ne fut pas fâché de la favoriser pour y faire aimer et accréditer M. le comte de Toulouse » (t. 1, p. 767). Le comte de Toulouse avait succédé, en 1695, au duc de Chaulnes comme gouverneur de la province.

122 « M. le marquis de Sévigné, lieutenant du Roi au Comté de Nantes, d’une Maison distinguée dans la Province… », écrit l’intendant Béchameil de Nointel dans son Mémoire de 1698 sur la Bretagne (J. Bérenger et J. Meyer…, La Bretagne de la fin du xviiie siècle…, op. cit., p. 122).

123 Fille d’un conseiller à la Chambre des comptes de Dijon, Jeanne-Françoise Fremyot (1572-1641), canonisée en 1767, avait épousé en 1592 Christophe de Rabutin-Chantal. Leur fils Celse-Bénigne de Rabutin-Chantal, marié à Marie de Coulanges, fut le père de Mme de Sévigné.

124 Selon la Chorographie et Histoire de Provence d’Honoré Buche (1664), qui fait état d’un Lambert Adhémar vivant en 685, duc de Gênes, vicomte de Marseille et baron de Monteil (R. Duchêne, Mme de Sévigné…, op. cit., p. 206).

125 Armand du Cambout, duc de Coislin (1635-1703), lieutenant général des armées du Roi, s’était retiré du service dès 1675, à la suite de démêlés avec Louvois. Il était le petit-fils du chancelier Séguier, par sa mère, Marie Séguier, qui avait épousé César du Cambout (1613-1641), marquis de Coislin, lieutenant général.

126 Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, Notes, p. 1210 et 1216.

127 Françoise de Bréhan avait épousé en 1664 Paul Hay, baron de Tisé et de Nétumières, qui était le frère de Renée Hay de Nétumières, mariée en 1663 à Claude de Cornulier.

128 Ce Nicolas Le Febvre mourut, en 1707, doyen des conseillers du Parlement de Bretagne.

129 Il s’agit d’Antoine Ferrand (1603-1689), avocat du Roi au bureau des Finances de Paris en 1629, puis, en 1638, lieutenant particulier au Châtelet.

130 Cf. R. Mousnier, Le Conseil du Roi…, op. cit., p. 62.

131 Le chancelier Daguesseau a décrit, en termes restés célèbres, l’état de maître des requêtes : « Les maîtres des requêtes ressemblent aux désirs du cœur humain. Ils aspirent à n’être plus : c’est un état que l’on n’embrasse que pour le quitter, un corps où l’on n’entre que pour en sortir ; et quiconque y vieillit se sent tous les jours dépérir et tomber dans l’oubli » (cf. Michel Antoine, Le Conseil du Roi…, op. cit., p. 227).

132 En 1673, Nicolas Desmarets, alors conseiller au parlement de Paris, avait épousé Madeleine Béchameil, sœur de Louis Béchameil de Nointel, le futur intendant de Bretagne.

133 Pour les démêlés entre La Faluère et Nointel, voir H. Fréville, L’intendance de Bretagne…, op. cit., p. 99-106.

134 Saint-Simon, t. 2, p. 156 et 159.

135 Cette Gondi, bisaïeule de Châteaurenault, était la fille d’Antoine Gondi, marchand-banquier florentin établi à Lyon, marié à Catherine de Pierrevive. La jeune Catherine de Médicis, épouse du duc d’Orléans, futur Henri II, remarqua Catherine de Pierrevive lors de son passage à Lyon, après son mariage. Elle la prit à son service, en fit sa confidente et la gouvernante de ses enfants, ce qui assura la fortune des Gondi en France (cf. Saint-Simon, t. 2, p. 421-422).

136 Pour cette tâche, le grand-maréchal disposait, sous ses ordres, de 12 maréchaux des logis.

137 Saint-Simon, t. 1, p. 283.

138 « Faciende » : mot emprunté à l’espagnol.

139 Saint-Simon, t. 2, p. 159.

140 Saint-Simon, t. 1, p. 271-272.

141 « Mémoire de mes véritables et derniers sentiments sur les affaires de l’Église et de l’État », in Louis André, Deux mémoires historiques de Claude Le Pelletier, op. cit., p. 149.

142 Membre du Conseil de Marine sous la Polysynodie, Coëtlogon deviendra vice-amiral en 1716, succédant à Châteaurenault, mort cette même année. Il recevra le bâton de maréchal en 1730, six jours avant sa mort.

143 Pour Ruellan du Rocher-Portail, natif d’Antrain, près de Saint-Malo, voir Tallemant des Réaux, Historiettes, t. 1, p. 154-156, et Françoise Bayard, Le monde des financiers au xviie siècle, op. cit., p. 121, 125, 439.

144 Le frère de Gilles Maupeou d’Ableiges, Pierre Ier de Maupeou de Noisy, contrôleur des guerres, était le trisaïeul de la chancelière Pontchartrain.

145 Claude de Goulaines, comtesse de Crozon et baronne du Poulmic, fille du marquis de Goulaines et de Barbe de Ruellan, avait épousé Jean du Han, conseiller au Parlement de Bretagne. De cette union était née Anne-Marie du Han qui épousera René de La Porte et sera la mère d’Anne-Renée de La Porte, comtesse de Crozon, mariée en 1684 au futur maréchal de Châteaurenault.

146 Henri de Gondi était le cousin et le filleul de François Rousselet, et l’oncle de Jean-François-Paul de Gondi, deuxième cardinal de Retz.

147 Cf. Philippe de Villette-Mursay, Mes campagnes de mer sous Louis XIV, Paris, Tallandier, 1991, 464 p., troisième partie : Dictionnaire des personnages et des batailles, établi par Michel Vergé-Franceschi, article Châteaurenault, p. 275-278.

148 AN, Archives privées, 257 AP, Fonds Maurepas, 257 AP 1, dossier 4, minutes autographes des lettres du chancelier Pontchartrain (vers 1709-1713), minute non datée.

149 Cf. R. Mousnier, Les institutions de la France sous la monarchie absolue, Paris, 1976, t. 1, p. 47-84. Voir aussi G. Cabourdin et G. Viard, Lexique historique de la France d’Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 1978, articles « famille » et « lignage » ; Dictionnaire du Grand Siècle, op. cit., article « Maison ».

150 AN, Archives privées, 257 AP 2, dossier 4, lettres adressées à Jérôme de Pontchartrain.

151 Coëtlogon était resté célibataire. Selon Saint-Simon (t. 5, p. 397), son neveu Charles-Élisabeth de Coëtlogon, « touché de la privation pour sa famille de l’illustration que son oncle avait si bien méritée, fit tant que le comte de Toulouse obtint du cardinal de Fleury, premier ministre alors, le bâton de maréchal de France pour Coëtlogon qui se mourait… ».

152 Saint-Simon, t. 4, p. 119.

153 Colonel dès 1694, à l’âge de 16 ans, Adrien-Maurice escalada ensuite tous les grades d’officier général « en neveu favori de Mme de Maintenon ». Brigadier en 1702, maréchal de camp en 1704, lieutenant général en 1706, il devint, de plus, l’année suivante, sur démission de son père, capitaine de l’une des quatre compagnies de gardes du corps. C’était une faveur exceptionnelle, car, pour la charge de capitaine des gardes du corps, « le Roi n’y voulait que des maréchaux de France » (Saint-Simon, t. 2, p. 751).

154 Cette maison militaire était, pour Richelieu, un moyen de prestige et d’influence politique, ce qui n’allait pas sans susciter l’irritation de Louis XIII.

155 Par testament du mois de mai 1642, le cardinal de Richelieu avait institué légataire universel son petit-neveu Armand-Jean de Vignerot. Selon ce testament, Vignerot deviendrait duc de Richelieu, mais abandonnerait son nom de famille pour porter le nom et les armes des Du Plessis de Richelieu.

156 Marie-Françoise de Guémadeuc était la fille de Thomas de Guémadeuc et de Jeanne de Ruellan, sœur de Gillette de Ruellan.

157 Saint-Simon, t. 4, p. 260.

158 Lors de la session des États de Bretagne de 1616, le baron de Guémadeuc avait provoqué et tué en duel le baron de Nevet. Louis XIII somma Guémadeuc de venir s’expliquer à Paris et envoya un exempt de ses gardes du corps, à la tête d’archers, occuper le château de Fougères. Guémadeuc riposta en forçant l’entrée du château et en chassant l’exempt et les archers. Puis, effrayé par l’approche d’une armée royale, il vint se constituer prisonnier. Interné à la Conciergerie, ce gentilhomme breton comparaîtra devant la chambre de Vacation du parlement de Paris et sera décapité le 27 septembre 1617.

159 Il y eut de nombreuses interventions près de Louis XIII pour le supplier de faire grâce au condamné, dont celle de Mme de Guémadeuc (Jeanne de Ruellan) qui vint se jeter à ses pieds. Le Roi resta inflexible, acceptant toutefois de lever la sentence de confiscation des biens de Guémadeuc.

160 Tallement des Réaux, Historiettes, t. 1, p. 839, note 2.

161 Ibid., t. 1, p. 154-156.

162 Pour Gilles de Maupeou d’Ableiges, voir B. Barbiche, Sully, Paris, A. Michel, 1978, 250 p., p. 55 et 58. D. Dessert, Fouquet, Paris, Fayard, 1987, 404 p., p. 32-36, 43, 47, 61, 77, 93.

163 Les Économies royales de Sully, Paris, Klincksieck, 1988, éd. D. Buisseret et B. Barbiche, t. 2, 410 p., p. 276, note 1.

164 Gilles de Maupeou avait épousé en 1581 Marie Morely, fille d’un conseiller en la justice du Trésor, secrétaire du Roi.

165 Christophe Fouquet sera nommé conseiller d’État ordinaire en 1618.

166 François Fouquet, marié à Marie de Maupeou, et père du surintendant Nicolas Fouquet, était le fils de François Fouquet, conseiller au parlement de Paris, mort en 1590, lui-même frère de Christophe Fouquet.

167 Cf. D. Dessert, Fouquet, op. cit., p. 27-29.

168 Cf. F. Lebrun, « Les intendants de Tours et d’Orléans », Annales de Bretagne, t. LXXVIII, n° 2, juin 1971, p. 1971, p. 288-305, p. 302-303. Marie Le Boulanger était la fille de Jean Le Boulanger de Hacqueville, maître en la Chambre des comptes de Paris.

169 Le frère cadet était Louis-Balthazar Phélypeaux, évêque de Riez en 1713.

170 Roland Barrin de La Galissonnière est le père de Roland-Michel de La Galissonnière (1693-1756), capitaine de vaisseau en 1738, commandant général du Canada de 1747 à 1749, chef d’escadre en 1750, et chef maritime de l’expédition qui reprit Minorque aux Anglais en 1756.

171 La terre de Brissac, toute proche d’Angers, avait été érigée en duché-pairie en 1620, pour Charles de Cossé-Brissac, maréchal de France, le père de François. En Bretagne, les Cossé-Brissac possédaient, entre autres terres, la baronnie de Château-Giron, à la sortie de Rennes.

172 Pour les autres enfants, des garçons, deux embrasseront l’état ecclésiastique, et le troisième, chevalier de Malte, restera célibataire.

173 Cf. J.-P. Charmeil, Les trésoriers de France à l’époque de la Fronde…, op. cit., p. 459, 465, 466. L’anoblissement remonte à 1569.

174 À la mort de Thierry Bignon en 1697, son gendre Verthamon lui succéda comme premier président du Grand Conseil.

175 Guillaume de Cominges, comte de Guitaut, et Mme de Sévigné nourrissaient, l’un pour l’autre, une vive amitié et entretenaient une correspondance assidue. À la mort de son mari en 1685, Mme de Guitaut prit le relais, mais le ton des lettres devint moins chaleureux.

176 Ces deux Caumartin étaient les petit-fils de Louis Lefèvre de Caumartin, président au Grand Conseil, garde des Sceaux en 1622, mort en 1623.

177 Fille d’Henri de Fourcy et de Marie de La Grange-Trianon, Mme d’Ormesson était la cousine d’Anne de La Grange-Trianon, mariée en 1648 au comte de Frontenac, petit-fils, par sa mère, du secrétaire d’État Raymond d’Herbault-La Vrillière. Cette Mme d’Ormesson était aussi la tante de Marie-Marguerite de Fourcy qui épousera, en 1670, le secrétaire d’État Balthazar Phélypeaux de Châteauneuf.

178 Notamment son fils Claude-René, reçu conseiller en 1687, puis président à mortier en 1695, et son frère Nicolas qui meurt doyen des conseillers du Parlement de Bretagne en 1707.

179 Pour le personnage du comte de Plélo, son mariage avec une Phélypeaux et celui de sa fille avec le duc d’Aiguillon, voir Ch. Frostin, « Le comte de Plélo (1699-1734), gentilhomme breton au siècle des Lumières », Annales de Bretagne, 1999, t. 106, n° 2, p. 33-49.

180 Saint-Simon, éd. Cheruel, t. 17, p. 48-49.

181 AN, Archives privées, 257 AP 2, Papiers concernant Jérôme de Pontchartrain, dossier 1, correspondance passive de Jérôme (1691-1701), lettre autographe de Louis à Jérôme.

182 Cf. Luc Boisnard, Les Phélypeaux…, op. cit., p. 48-49.

183 Ce lien de parenté, d’ordre spirituel, n’était pas fictif. Rappelons que l’Église assimilait au péché d’inceste les relations sexuelles entre parrain et filleule, marraine et filleul, et même entre confesseur et pénitente.

184 Correspondance de Mme de Sévigné, t. 3, p. 707-708.

185 Pierre Cardin Le Bret cumulera les fonctions d’intendant de Provence et de premier président du parlement d’Aix de 1690 à 1704. Son fils Cardin Le Bret lui succède comme intendant en 1704, puis comme premier président en 1710, cumulant alors ces deux fonctions.

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