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Les Pontchartrain, ministres de Louis XIV

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Charles Frostin

Chapitre II. La mise en place d’un réseau de parentèle

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Géographique :

France

Texte intégral

1Paul Phélypeaux de Pontchartrain n’effectua pas son ascension en solitaire. Dès les années 1590, deux de ses quatre frères apparaissent bien placés. L’aîné, Raymond, seigneur d’Herbault, qui, à la mort de Paul en 1621, lui succédera dans l’office de secrétaire d’État, se hisse au rang de grand officier de finances à partir de 1591, par l’achat d’une charge de trésorier des Parties casuelles, suivi, en 1599, de celle, encore plus importante, de trésorier de l’Épargne. Le cadet, Salomon, seigneur des Landes, qui avait choisi la Chambre des comptes, y figure comme conseiller auditeur en 1592 et conseiller maître en 1594. Les deux plus jeunes, nés après Paul, conquièrent également des situations enviables en peu de temps. Jacob, entré dans les ordres, se fait recevoir, en 1601, conseiller-clerc au parlement de Paris, et pourvoir, en 1614, des abbayes de Bourgmoyen et de L’Esterpe. Quant au benjamin, Jean, seigneur de Villesavin, qui terminera conseiller d’État, après avoir été conseiller maître des Comptes, il sera appelé à jouer un rôle non négligeable à partir de 1610, date où il succéda à Paul dans la charge de secrétaire des commandements de la reine Marie de Médicis que ce dernier exerçait depuis 1600.

  • 1 Paul Phélypeaux était devenu seigneur de Pontchartrain, au mois de mars 1609, par l’acquisition du (...)
  • 2 Le maréchal d’Ancre (Concini) n’avait pas de titre ministériel, tout en dirigeant le gouvernement (...)
  • 3 Au mois de février 1619, en complicité avec le duc d’Épernon, gouverneur d’Aunis et Saintonge, Mar (...)

2Loin d’être une sinécure, en effet, cette charge réclamait zèle et compétence, le secrétaire des commandements ayant à préparer la correspondance, fort abondante, de Marie de Médicis, et, de plus, à diriger, sous l’autorité nominale d’un surintendant, les services administratifs de sa nombreuse et dispendieuse Maison. Mais surtout, elle revêtait une importance particulière en raison du poids politique de Marie, lequel ne se limita pas à la période de sa Régence (1610-1614), se faisant déjà sentir du vivant d’Henri IV, et se prolongeant jusqu’à la fuite à l’étranger de la Reine Mère, au mois de juillet 1631. Aussi, ce poste de confiance, comme d’ailleurs les autres charges de la Maison de la Reine, était-il très convoité, pouvant servir de tremplin aux carrières. Ce fut précisément le cas de Paul Phélypeaux qui, pourvu de la charge de secrétaire des commandements dès le mariage de Marie de Médicis avec Henri IV (décembre 1600), et la conservant pendant près de dix ans, sut en profiter pour gagner la faveur de la Florentine. Cette faveur allait lui valoir sa nomination de secrétaire d’État, à la mort de Fresnes-Forget au mois d’avril 1610, et, en même temps, la transmission de son ancienne charge à Villesavin, son frère. Puis la confiance persistante de Marie fera du nouveau secrétaire d’État un conseiller très écouté sous la Régence, notamment en ce qui concerne les affaires protestantes. Par la suite, la mésentente croissante entre le jeune Louis XIII et la Reine Mère amènera Paul à s’éloigner quelque peu de sa bienfaitrice, tout en s’efforçant de garder ses bonnes grâces par l’entremise de Villesavin, bien placé pour se faire l’avocat de son frère près de l’ancienne Régente. Très hostile au grand favori de Marie, Concino Concini, dont la chute, au mois d’avril 1617, le réjouit hautement, Paul de Pontchartrain1 n’entretenait pas de meilleures dispositions à l’égard de Richelieu qui, plongé dans la disgrâce pour avoir fait partie du « ministère Concini2 », tentait de se rétablir en s’imposant comme le bras droit de Marie de Médicis et comme son indispensable intermédiaire près du gouvernement. Pontchartrain ne sera d’ailleurs pas en mesure de déjouer les manœuvres de l’ambitieux évêque de Luçon, expert dans l’art d’utiliser les services et les charges de la Maison de Marie à ses fins personnelles. Devenu « surintendant des Maison et Finances de la Reine Mère », Richelieu parvenait, au mois de septembre 1619, à évincer Villesavin, qui était son adversaire déclaré, en le faisant remplacer dans la charge de secrétaire des commandements par Claude Bouthillier, l’une de ses « créatures » les plus dévouées. Ces heurts répétés ne semblent cependant pas avoir exposé le secrétaire d’État au ressentiment direct de l’acariâtre Florentine qui, malgré ses folles entreprises, resta toujours un personnage à craindre et à ménager en raison de sa qualité de mère du Roi. Au contraire, ayant su conserver un certain crédit près de son ancienne protectrice, Paul de Pontchartrain pourra rendre d’appréciables services à Louis XIII et au duc de Luynes, son favori, notamment en les tenant au courant des agissements de Marie de Médicis exilée à Blois, début mai 1617, peu après la chute de Concini. De même, deux ans plus tard, à l’issue de « la première guerre de la mère et du fils », il se mettra à nouveau en valeur dans les laborieuses négociations qui aboutirent à un arrangement signé le 12 mai 1619, connu sous le nom de traité d’Angoulême3. Ce fut lui qui rédigea les articles de cette réconciliation éphémère, à laquelle participa également Richelieu, habile interprète des intérêts de la Reine Mère.

3Restituer la carrière ministérielle de Paul de Pontchartrain suppose donc se référer fréquemment à l’influence et à l’action de Marie de Médicis. Paul ne lui fut pas seulement redevable de sa nomination de secrétaire d’État à la fin du règne d’Henri IV et de l’affermissement de sa position sous la Régence. Il dut aussi à l’appui de la Reine Mère de rester en place sous Concini, en 1616-1617, alors que le garde des Sceaux Guillaume du Vair, le président Jeannin, chargé des Finances, et le secrétaire d’État Villeroy s’étaient vus renvoyés. Par la suite, le favori du roi, Charles d’Albert de Luynes, ayant pris en mains – du moins en apparence – la direction des affaires, Marie, passée désormais dans l’opposition, allait encore rendre service à son ancien protégé en l’utilisant comme interlocuteur dans ses démêlés avec son fils, et en lui communiquant ainsi un supplément d’importance au sein du gouvernement. Bref, si, malgré ce régime des favoris, source de précarité pour les postes ministériels livrés à la merci des intrigues de cour, Paul de Pontchartrain parvint, jusqu’à sa mort prématurée en 1621, à effectuer un parcours sans faute, c’est-à-dire sans connaître de disgrâce, ce fut bien, pour une bonne part, grâce au crédit que la reine Marie de Médicis ne cessa de lui conserver à travers les bourrasques politiques d’une période fertile en rebondissements.

  • 4 Joseph Bergin, L’ascension de Richelieu, Paris, Payot, 1994, trad. de l’anglais, p. 306-309.
  • 5 Les maîtres des requêtes de la Reine n’appartenaient pas à sa Maison au sens strict. C’étaient des (...)

4Ce crédit persistant ne peut pleinement se comprendre, si l’on perd de vue que, durant près d’une vingtaine d’années, de 1600 à 1619, le poste « privé » de secrétaire des commandements de Marie de Médicis fut accaparé par les Phélypeaux, d’abord en la personne de Paul de Pontchartrain, puis en celle de Jean de Villesavin, homme intelligent, actif et entreprenant, qui, à partir de 1610, relaie son frère près de Marie. L’historien irlandais Joseph Bergin a récemment mis en valeur l’importance des charges de la Maison de la Reine Mère dans le processus de la réussite de Richelieu qui, de 1619 à 1629, fut le surintendant de la Maison de Marie de Médicis, avec la direction générale de ses affaires, et aussi son grand aumônier, en 1621, et le chef de son Conseil, en 16234. Compte tenu des énormes dettes et des insatiables besoins d’argent de la reine, l’administration de sa Maison constituait, en effet, une véritable entreprise. S’y ajoutait encore le poids d’un personnel au nombre sans cesse croissant avec la multiplication des charges de secrétaires, intendants, contrôleurs et autres. Une croissance peut-être voulue par Richelieu lui-même qui, en tout cas, sut profiter de la situation pour placer ses propres « créatures » et, par là, renforcer son influence. À la vérité, il avait été précédé, sur cette voie, par Pontchartrain et par Villesavin, comme en témoigne l’apparition précoce d’un réseau Phélypeaux parmi les détenteurs des charges de la Maison de la Reine Mère. Ainsi François de Beauharnais et Isaac Fevret, maîtres des requêtes ordinaires de Marie de Médicis5, sont, l’un et l’autre, étroitement alliés aux deux frères. François était le beau-frère de Pontchartrain marié en 1605 à Anne de Beauharnais, tandis qu’Isaac, par son union en 1617 avec Anne Blondeau, s’apparentait à Villesavin, marié en 1609 à Isabelle Blondeau, cousine germaine d’Anne. De même, Jean Lescalopier, chancelier de la Reine Mère, mort en 1620, se rattachait au clan par sa femme Marthe Gobelin, sœur de Claude Gobelin, mariée en 1594 à Raymond Phélypeaux d’Herbault, l’aîné des Phélypeaux. Précisons toutefois que Jean Lescalopier était le protégé et l’ami de Sully qui, beaucoup plus tard, en 1639, arrangera le mariage de Marie Lescalopier, fille de Jean, avec son propre neveu, Louis de Béthune, comte, puis duc, de Charost.

5Pour Paul de Pontchartrain, l’exercice de la charge de secrétaire des commandements ne fut pas seulement l’occasion de gagner la faveur de Marie de Médicis et de placer les membres de sa parentèle. Il lui permit, en même temps, d’évoluer dans un environnement de personnalités en vue, employées, elles aussi, au service « domestique » de Marie, tels Sébastien Zamet, Nicolas Potier de Blancmesnil et Florent d’Argouges, respectivement surintendant, chancelier et trésorier général de la Maison de la Reine. D’origine italienne, arrivé en France avec Catherine de Médicis, Sébastien Zamet s’était imposé, dès les années 1580, comme l’un des plus gros financiers du royaume. Ancien favori d’Henri III, passé à la Ligue après l’assassinat du monarque, puis rallié au Béarnais lors de son abjuration, il deviendra ensuite l’homme de confiance à la fois d’Henri IV et de son épouse, malgré la mésentente du couple royal. Par sa charge de surintendant, avec la direction générale des affaires de la Maison, et par son influence appelée à se prolonger jusqu’à mort en 1614, Zamet représentait donc une relation particulièrement précieuse qu’il convient de prendre en compte dans la réussite de Pontchartrain. Il en allait de même pour Blancmesnil, responsable, comme chancelier, de tout le contentieux juridique lié à l’administration de la Maison. Ce vieux parlementaire, qui s’était distingué par son loyalisme durant la crise dynastique, avait, en effet, derrière lui, le puissant clan des Potier, étant, comme on l’a vu, le frère de Louis Potier de Gesvres, secrétaire d’État depuis 1589, l’oncle d’Antoine Potier de Sceaux, nommé secrétaire d’État survivancier en 1606, et le père de Nicolas Potier d’Ocquerre, secrétaire d’État à partir de 1622. Mais c’est surtout Florent d’Argouges qui doit, ici, retenir l’attention, en raison du développement, au cours du xviie siècle, de liens de parenté et de solidarité entre les d’Argouges et les Phélypeaux. Des liens dont l’origine remontait à l’époque où Florent d’Argouges et Paul de Pontchartrain se côtoyaient régulièrement, occupant l’un et l’autre une charge importante près de Marie de Médicis.

  • 6 Cf. F. Bluche, Les magistrats du parlement de Paris au xviiie siècle (Paris, 1960), Paris, Economi (...)
  • 7 Cf. J. Bergin, op. cit., p. 371.

6Appartenant à une maison chevaleresque dont la filiation remontait à 1223, les d’Argouges faisaient partie de cette catégorie de gentilshommes d’ancienne extraction qui ne dédaignèrent nullement les offices de magistrature. Au xviiie siècle, ils figurent largement en tête du classement des familles parlementaires parisiennes capables d’aligner des preuves de noblesse antérieures au xive siècle, et cela tout en étant bien représentés dans l’épiscopat, les armées du Roi et l’ordre de Malte6. Néanmoins, quelle qu’ait été l’antiquité du nom, la famille d’Argouges devait surtout la solidité de son établissement à un fort utile détour par le monde de la finance, détour qui, dès le début du xviie siècle, lui avait permis de s’introduire dans les allées du pouvoir. Le chef de file, en la circonstance, fut Florent Ier d’Argouges qui était détenteur d’un office de trésorier général des Gabelles. Réputé pour sa rigueur, il avait été choisi, en 1601, par Henri IV, comme trésorier général de la Maison qui venait d’être constituée autour de Marie de Médicis. La fonction consistant à diriger la comptabilité de Marie et à régler ses dépenses au moyen des sommes versées mensuellement par le trésorier de l’Épargne, qui était une sorte de directeur du Trésor royal, d’Argouges allait ainsi se trouver en rapports de travail étroits avec le frère aîné de Paul de Pontchartrain, Raymond Phélypeaux d’Herbault-La Vrillière, détenteur de l’un des deux offices de trésorier de l’Épargne depuis 1599. Mort en 1615, il eut donc affaire, dans l’exercice de sa charge, à trois des frères Phélypeaux : Herbault-La Vrillière, Pontchartrain et Villesavin, ces deux derniers en leur qualité de secrétaire des commandements de Marie de Médicis, le premier, de 1601 à 1610, le second, de 1610 à 1619. Son fils, Florent II, qui avait déjà un pied dans la Maison comme secrétaire ordinaire de la Reine, lui succédait en 1615 comme trésorier général, poste où il se révélera bientôt un agent des plus actifs, notamment en 1620, année de la « seconde guerre de la mère et du fils ». Tandis que d’Angers, où elle était installée, l’ancienne Régente attisait une nouvelle révolte des Grands, on le voit opérer à Paris pour presser le gouvernement de payer les sommes dues à celle-ci depuis 1619 en vertu du traité d’Angoulême, et pour effectuer de nouveaux emprunts. En même temps, Florent II se tenait en contact étroit avec Richelieu, devenu surintendant de la Maison de Marie, sollicitant sans cesse ses instructions, lui servant d’intermédiaire avec les ministres et les hauts responsables des finances, et concourrant finalement, sous son égide, au dénouement de la crise par le traité d’Angers du 10 août 16207. Aussi, compte tenu de ce genre de services rendus, ne s’étonnera-t-on pas de retrouver, après Florent II, mort en 1636, encore un d’Argouges dans la Maison d’une reine de France. Ce fut son propre fils, François (1622-1695), qui, dans les années 1650, exerça la charge d’ » intendant des Maison et Finances » de la Reine Mère Anne d’Autriche, veuve de Louis XIII. Enfin, pour clore la liste, il convient de signaler que le fils de ce François, Florent III (1647-1719), maître des requêtes et intendant de généralité, épousera, en la personne de Louise Duvau, la fille d’un receveur général des Finances de Tours qui fut, de 1661 à 1682, trésorier général de la Maison de la reine Marie-Thérèse d’Autriche, épouse de Louis XIV. Autrement dit, le clan d’Argouges avait réussi à monopoliser pendant près d’un siècle la direction des finances de trois reines de France. Voilà donc un bel exemple de transmission des charges de la Maison de la Reine au sein d’un même groupe familial. Il laisse transparaître la cohésion et la solidarité d’un milieu solidement implanté à la cour par le biais des fonctions « domestiques ».

  • 8 Cf. préface de Jean Meyer, p. 31-32, dans La Bretagne en 1665, d’après le rapport de Colbert de Cr (...)

7La charge de trésorier général de la Maison de la Reine était alors, comme le souligne l’historien Jean Meyer, un « poste-clef dont le pouvoir effectif avait encore été accru par les deux régences successives [de Marie de Médicis et d’Anne d’Autriche] et dont on mesure encore très mal, à l’heure actuelle, les véritables implications8 ». L’occupation de ce « poste-clef » faisait évidemment de son titulaire un personnage à prendre en considération. Aussi, dès le début du siècle, le clan Phélypeaux, qui, de son côté, ne manquait pas de répondant au sein de la Maison de Marie de Médicis avec la charge de secrétaire des commandements détenu d’abord par Pontchartrain, puis par son frère Villesavin, veilla-t-il à ménager le clan d’Argouges représenté par les deux trésoriers généraux successifs de Marie, Florent Ier et son fils Florent II. Des heurts cependant perturbèrent l’entente des deux clans, comme en 1619, lorsque Richelieu, depuis peu surintendant de la Reine Mère, procéda à une révolution de palais, évinçant Villesavin au profit de sa « créature » Claude Bouthillier. À l’inverse de Villesavin, Florent II fut conservé dans sa charge par l’évêque de Luçon, se rangeant désormais résolument à son service. Mais ce n’était que brouille passagère, l’intérêt supérieur des familles prévalant sur toute autre considération. Ainsi, en 1627, la fille unique de Jean Phélypeaux de Villesavin, Anne (1613-1694), épousait le jeune Léon Bouthillier, comte de Chavigny (1608-1652), nommé bientôt, en 1632, secrétaire d’État. Or ce Chavigny, le grand protégé, « le confidentissime » de Richelieu, comme l’appelle Retz dans ses Mémoires, était le fils unique du même Bouthillier qui, huit auparavant, avait chassé son futur beau-père de son poste. Ce mariage, scellant la réconciliation entre l’ancien évêque de Luçon et l’ancien secrétaire des commandements de la Reine Mère, répondait, en fait, au souci du Cardinal-Ministre de tenir compte de l’influente famille Phélypeaux toujours présente au gouvernement avec Raymond d’Herbault qui, en 1621, avait succédé à Paul de Pontchartrain comme secrétaire d’État. De même, la brouille de 1619 et l’attitude de Florent II d’Argouges en la circonstance ne devait pas empêcher les d’Argouges et les Phélypeaux de développer, par la suite, une politique matrimoniale favorisant l’interpénétration de leurs réseaux de parentèle. Le propre fils de Florent II, François d’Argouges, déjà cité, épousait en 1646 Anne-Madeleine de Hodicq, d’une famille d’origine berrichonne, possessionnée en Île de France, à Marly. Cette alliance ramène à Paul de Pontchartrain dont l’une des filles, Claude, était mariée à Pierre de Hodicq, seigneur de Marly, président aux Enquêtes du parlement de Paris, puis conseiller de Grand’ Chambre. Pierre était le frère d’Anne-Madeleine.

  • 9 La sœur de Gilles II, Marie de Maupeou, avait épousé, en 1610, François Fouquet, le père de Nicola (...)

8À la génération suivante, deux nouvelles unions venaient accentuer le rapprochement des d’Argouges et des Phélypeaux. En 1681, la fille de François d’Argouges, Suzanne, se mariait au maître des requêtes Jean de Creil (1644-1709), qui deviendra conseiller d’État (1694), après être passé par les intendances (Moulins, 1684-1686, Orléans, 1686-1694). Les Creil se trouvaient étroitement alliés aux Maupeou depuis le début du siècle, par le mariage de Marguerite de Creil, en 1608, avec René Ier de Maupeou, président de la Cour des aides (mort en 1648), et par celui, vers la même époque, d’Anne de Creil avec le cousin germain de René Ier, Gilles II de Maupeou, conseiller au parlement de Paris9, mort en 1632. Ce sont ces Maupeou qui mènent aux Phélypeaux, le futur chancelier Louis de Pontchartrain, petit-fils de Paul, ayant épousé en 1668 Marie de Maupeou, petite-fille de Pierre II de Maupeou, président des Comptes en 1624, lui-même frère de René Ier de Maupeou. D’autre part, en 1677, quatre ans avant le mariage de Suzanne d’Argouges, le cousin germain de celle-ci, Jean-Pierre d’Argouges de Rânes (1647-1731), alors conseiller au parlement de Paris, puis maître des requêtes (1684) et conseiller d’État (1695), s’était allié à Françoise Le Pelletier, fille du conseiller d’État Claude Le Pelletier (contrôleur général des Finances de 1683 à 1689) et de Marguerite Fleuriau, veuve de Jean de Fourcy, conseiller au Grand Conseil. Cette alliance conduit à nouveau sur la piste des Phélypeaux, Françoise Le Pelletier se trouvant être la demi-sœur de Marie-Marguerite de Fourcy, née de l’union de Marguerite Fleuriau avec Jean de Fourcy : Marie-Marguerite était, en effet, mariée, depuis 1670, au secrétaire d’État Balthazar Phélypeaux de Châteauneuf, fils du secrétaire d’État Louis de La Vrillière et petit-fils du secrétaire d’État Raymond d’Herbault, frère de Paul de Pontchartrain.

9Étendue aux générations postérieures, l’enquête ne fait que mieux ressortir la densité du réseau d’Argouges avec la répétition des alliances au sein d’un même groupe de familles. Ainsi, en 1710, le fils de Jean-Pierre d’Argouges de Rânes et de Françoise Le Pelletier, Jérôme d’Argouges de Fleury (1682-1767), maître de requêtes (1710-1711) et lieutenant civil au Châtelet de Paris (1710-1762), épousait sa cousine Marie-Françoise de Creil de Bournezeau, fille de Jean de Creil et de Suzanne d’Argouges. La même année 1710, le frère de Marie-Françoise, Jean-François de Creil de Bournezeau (1684-1761), conseiller au parlement de Paris (1708), par la suite maître des requêtes (1711), intendant de généralité et conseiller d’État (1742), s’alliait, lui aussi, à une cousine, Marie Claude Turgot de Sousmons, fille de Jacques Étienne Turgot de Sousmons (1670-1722), maître des requêtes (1690) et intendant de généralité (Metz, 1696, Tours, 1701, Moulins, 1709-1716). Ce Turgot, grand-père du futur ministre de Louis XVI, avait, en effet, épousé en 1688 Marie Claude Le Pelletier, fille du conseiller d’État Michel Le Pelletier de Souzy, directeur général des Fortifications de 1691 à 1715, et frère du contrôleur général des Finances Claude Le Pelletier. Marie Claude Le Pelletier, mère de Marie Claude Turgot, était donc la cousine germaine de Françoise Le Pelletier, mariée à Jean-Pierre d’Argouges de Rânes (tableau 3).

  • 10 Cf. Michel Antoine, Le Conseil du Roi sous le règne de Louis XV, Paris Genève, Droz, 1970, 662 p., (...)

10Ce bref aperçu du réseau d’Argouges, avec son faisceau d’alliances, laisse entrevoir ce que fut son évolution au cours du long xviie siècle. Partant, sous les règnes d’Henri IV et de Louis XIII, d’officiers de finance employés au service « privé » de la Reine, elle débouche, dès les années 1670, sur une série de plus en plus impressionnante de maîtres des requêtes, d’intendants et de conseillers d’État, bref au cœur de tout ce qui faisait la haute administration du Royaume. L’un des exemples caractéristiques de ce passage des charges « domestiques » aux grandes charges de l’État est celui de François d’Argouges. Fils et petit-fils de trésoriers de Marie de Médicis, et pourvu lui-même d’un office de finance près d’Anne d’Autriche, François ne tarde pas à s’en évader pour effectuer un brillant parcours de carrière au service du Roi. Conseiller au Grand Conseil en 1644, maître des requêtes en 1655, il est élevé, en 1661, à la première présidence du Parlement de Bretagne, un poste de confiance dans une province destinée à connaître bientôt de graves troubles. Ayant su, malgré les événements, s’accommoder des humeurs du « Sénat » breton réputé particulièrement indocile, il était nommé conseiller d’État, à sa sortie de charge en 1677. Huit ans plus tard, couronnement de sa carrière, Louis XIV lui donnait l’une des deux places, combien enviées, de conseillers d’État au Conseil royal des Finances, appelé communément « le Conseil royal ». Ces deux places, en effet, « excitaient l’ambition de tous les conseillers d’État » par l’honneur d’assister aux séances bihebdomadaires d’un Conseil où le Roi était présent avec le chancelier, le chef du Conseil royal et le contrôleur général des Finances. C’étaient, disait-on, des postes de « petits dieux », leurs titulaires approchant ainsi de très près les ministres, ces « dieux de la terre10 ».

11Le cas de ce « petit dieu » n’illustre pas seulement la montée en puissance de son clan, représenté ainsi dans l’une des plus hautes instances dirigeantes. Il souligne aussi la nécessité de prendre en considération les moyens d’influence et les possibilités d’intervention des d’Argouges, si, pour la même époque, l’on veut rendre compte de l’évolution de la situation chez les Phélypeaux, et cela en raison même de l’interpénétration des réseaux de ces deux grands groupes de familles. Négliger ou, pis, passer sous silence cette interpénétration, source de services réciproques, risquerait de fausser la perspective d’ensemble en rendant peu compréhensibles telle ou telle péripétie, telle ou telle particularité de carrière. L’histoire contrastée au xviie siècle des Phélypeaux de la branche Pontchartrain, où à une longue accumulation de revers de fortune succède un surprenant rétablissement de situation, illustre la nécessité de prendre en considération l’influence du clan d’Argouges. Les faits ont déjà été évoqués au premier chapitre de cet ouvrage. Après la mort de Paul en 1621, son fils Louis Ier, encore enfant, se voit dépossédé par Raymond d’Herbault de la charge paternelle de secrétaire d’État, dont la survivance lui avait pourtant été attribuée. Par la suite, devenu président de la Chambre des comptes de Paris et désigné comme membre de la Chambre de justice chargée de juger le surintendant des Finances Nicolas Fouquet, Louis Ier s’attire le ressentiment du Roi et de Colbert, à l’issue du procès en 1664, pour s’être prononcé en faveur de la peine de bannissement, au lieu de la peine capitale. Sa carrière en est brisée net : il doit se retirer très tôt, en 1671, sans même pouvoir transmettre son office de président des Comptes à son fils Louis II, conseiller aux Requêtes du parlement de Paris depuis 1661. À son tour, celui-ci aura à pâtir de la rancune persistante de Colbert. Elle lui vaudra de rester simple conseiller durant plus d’une quinzaine d’années. Puis ce seront, en 1677, la promotion inespérée de premier président du Parlement de Bretagne, et, dix ans plus tard, en 1687, la nomination au poste d’intendant des Finances, marchepied du Contrôle Général. La route du pouvoir s’ouvrait enfin devant ce petit-fils de secrétaire d’État, bientôt, en 1689-1690, nommé contrôleur général des Finances et secrétaire d’État, avant de devenir, en 1699, chancelier de France.

  • 11 La Bretagne sera la dernière province à avoir – en 1689 – un intendant établi à demeure.
  • 12 Cf. Louis Delavaud, « Un ministre de la Marine, Jérôme Phélypeaux de Pontchartrain… », Bull. Socié (...)
  • 13 Cf. Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 1, p. 650-651.

12Comme on l’a signalé au premier chapitre, les divers articles et notices biographiques concernant Louis II de Pontchartrain ne manquent généralement pas de mentionner la première présidence du Parlement de Bretagne comme point de départ de la nouvelle carrière qui allait le mener aux postes ministériels après un rapide passage par l’intendance des Finances. Ayant à diriger, dans des circonstances délicates, cette cour supérieure exilée de Rennes à Vannes après la révolte du « papier timbré » de 1675, et, de plus, devant, faute d’intendant11, en assumer les fonctions dans une province encore sous le choc de la répression, Pontchartrain sut, en effet, profiter de l’occasion pour se mettre en valeur par la manifestation d’un savoir-faire propre à lui faciliter l’accès aux plus hautes charges de l’État. Son séjour breton, de 1677 à 1687, apparaît donc comme le tremplin de sa grande réussite. Cela dit, il reste à expliquer le caractère insolite de cette promotion de premier président qui fut si déterminante : pourquoi un obscur conseiller aux Requêtes, n’ayant jamais connu le moindre avancement depuis 1661, se trouva-t-il, seize ans plus tard, soudainement propulsé à un poste aussi important, et cela du vivant même de Colbert, toujours fort mal disposé à l’égard des Pontchartrain, en raison du souvenir de l’affaire Fouquet ? Sur ce point, la bibliographie existante ne pèche certes pas par excès de curiosité, se contentant de reprendre quelques indications, souvent confuses et contradictoires, données par les mémorialistes de l’époque. Or, si l’on procède par recoupements, en suivant les parentèles, l’utilisation du réseau d’Argouges apporte précisément des éclaircissements, tant à propos de l’envoi de Pontchartrain en Bretagne que de son entrée à l’intendance des Finances. Tout d’abord l’initiative vint de François d’Argouges, lequel, quittant cette province après seize années de première présidence, choisit de résigner sa charge entre les mains de Louis de Pontchartrain. Les considérations familiales inspirèrent certainement ce choix, François se trouvant allié aux Pontchartrain par sa femme Anne Madeleine de Hodicq, et, plus indirectement, aux Phélypeaux de la branche La Vrillière par son neveu Jean-Pierre d’Argouges de Rânes marié à Françoise Le Pelletier, belle-sœur du secrétaire d’État Balthazar Phélypeaux de Châteauneuf. D’autre part, le mariage de ce neveu ayant été célébré le 31 janvier 1677 et la signature du contrat d’acquisition de la charge de premier président survenant quelques mois après, le 16 juin 1677, le rapprochement des deux dates porte à croire que Châteauneuf, désireux de « débourber » son cousin Pontchartrain, intervint dans la transaction et peut-être même en souffla l’idée à François d’Argouges. Selon un témoignage contemporain, celui du jésuite Léonard de Sainte-Catherine, ce fut, en effet, Châteauneuf qui prévint aussitôt Pontchartrain de la vacance du poste, le poussant à profiter de l’occasion « pour s’avancer » et lui promettant d’obtenir l’agrément du Roi12. De fait, la nomination du nouveau premier président ne fit pas problème, et il n’y eut, semble-t-il, pas d’opposition de la part de Colbert qui, aux dires de Saint-Simon13, aurait cédé aux instances de son cousin Vincent Hotman, intendant de la généralité de Paris, beaucoup mieux disposé envers les Pontchartrain. Relation probable de cause à effet, c’était à un beau-frère de Vincent Hotman que Louis Ier de Pontchartrain avait, en 1671, vendu sa charge de président des Comptes, faute d’avoir pu obtenir la permission de la céder à son fils.

  • 14 Depping, Correspondance administrative sous Louis XIV, Paris, 1850-1855, 4 vol., t. 1, p. 33-132.

13Quel qu’ait été le rôle de Hotman en cette circonstance, Châteauneuf et d’Argouges ne manquaient pas, l’un et l’autre, de répondant pour emporter une affaire qui leur tenait à cœur. Les seules fonctions ministérielles donnaient déjà un certain poids aux démarches du premier. Toujours selon le père Léonard, Pontchartrain, devenu chancelier, aurait avoué « être obligé à M. de Châteauneuf » pour son intervention de 1677. En conséquence, il se serait employé, à la mort de celui-ci en 1700, pour que son fils, Louis Phélypeaux de La Vrillière, lui succédât comme secrétaire d’État. Mais l’influence de Châteauneuf ne doit pas faire oublier celle, peut-être aussi déterminante, quoique plus voilée, de François d’Argouges. Un épais dossier sur le personnel parlementaire, tant parisien que provincial, établi à l’intention de Colbert en 1663, contient une note des plus élogieuses sur l’action du premier président d’Argouges en Bretagne, débutant en ces termes : « Il a été assez longtemps à la Cour pour être connu du Roi14. » La phrase est révélatrice. Par-delà l’allusion aux fonctions d’intendant d’Anne d’Autriche naguère exercées par François, elle souligne avec netteté l’importance de la présence à la Cour, ramenant ainsi à cette perpétuation dans les charges de la Maison de la Reine qui permit aux d’Argouges d’évoluer en milieu aulique durant une bonne partie du siècle. Être « connu du Roi », nouer de belles alliances, disposer de relations étendues, et occuper, soi-même, un poste très élevé, le tout, étroitement entremêlé et à l’effet cumulatif, faisait de François d’Argouges un personnage aux moyens d’influence considérables. On le voit bien à propos du passage de Louis de Pontchartrain, en 1687, de la présidence du parlement breton au poste d’intendant des Finances.

  • 15 C’était la régularisation d’un mariage clandestin remontant à 1674.
  • 16 Cf. Mémoires du baron de Breteuil, Paris, F. Bourin, 1992, 368 p. (éd. Evelyne Lever).

14Les intendants des Finances, au nombre de deux depuis 1660, étaient les indispensables collaborateurs du contrôleur général, placés, chacun, à la tête d’un département précis et jouant un rôle quasi ministériel. Au mois d’avril 1687, s’en ajoutait un troisième avec la nomination de Pontchartrain. Cette nomination en surnombre peut surprendre, d’autant que l’intéressé, un pur parlementaire jusque-là, n’avait jamais appartenu au corps des maîtres des requêtes d’où provenaient généralement les intendants des Finances. Là encore, le rapprochement des dates et la détection des parentèles s’avèrent utiles, montrant que l’ » État-Major », ministre compris, qui coiffait l’administration centrale des Finances, se rattachait alors fortement au groupe familial d’Argouges-Le Pelletier. Au Conseil royal des Finances, François d’Argouges occupait, depuis 1685, l’une des deux places de conseiller d’État. À la tête du Contrôle Général, se trouvait, depuis 1683, Claude Le Pelletier, beau-père d’Argouges de Rânes, et, directement au-dessous de lui, son frère, Michel Le Pelletier de Souzy, détenait, depuis 1684, l’une des deux charges d’intendant des Finances. Quant à la seconde charge, elle était, également depuis 1684, aux mains de François Le Tonnelier, marquis de Breteuil qui, lui, appartenait à une famille alliée aux Phélypeaux de Pontchartrain par les Le Charron, les Beauharnais et les Caumartin. Vers 1570, l’arrière-grand-père, Claude Le Tonnelier de Breteuil, secrétaire du cabinet de Charles IX, avait épousé Marie Le Charron dont la nièce, Madeleine Le Charron, mariée à Jean de Choisy, receveur général des Finances à Caen, mène aux Beauharnais par l’union, en 1618, de sa fille, Marguerite de Choisy, avec Aignan de Beauharnais, contrôleur général de l’Extraordinaire des guerres, frère d’Anne de Beauharnais, la femme de Paul de Pontchartrain. Le grand-père, prénommé aussi Claude, procureur général à la Cour des aides, se mariait en 1607 à une Caumartin. Celle-ci était la cousine de Louis Le Fèvre de Caumartin, maître des requêtes, conseiller d’État, qui épousera en 1622 Madeleine de Choisy, sœur de Marguerite, la femme d’Aignan de Beauharnais. En 1679, nouvelle alliance entre les Breteuil et les Caumartin, Louis Nicolas, baron de Breteuil, frère de François, l’intendant des Finances, se mariait à sa cousine Marie Anne Le Fèvre de Caumartin de Mormans15. Enfin, en 1680, resserrement des liens avec les Pontchartrain, le petit-fils de Louis Le Fèvre de Caumartin et de Madeleine de Choisy, Urbain Louis Le Fèvre de Caumartin, conseiller au parlement de Paris, bientôt maître des requêtes (en 1682), épousait Marie Jeanne Quentin de Richebourg, cousine germaine de Marie de Maupeou, femme de Louis de Pontchartrain. Ce dernier, en quittant la magistrature pour la haute administration financière, ne risquait donc pas de se retrouver en terre inconnue, avec la présence d’un d’Argouges, des deux frères Le Pelletier et d’un Breteuil qui représentaient autant d’éléments favorables, susceptibles d’avoir contribué à sa nomination d’intendant des Finances. À ce propos, il est significatif de constater qu’une fois devenu, en 1689, contrôleur général à la place de Claude Le Pelletier, Louis de Pontchartrain s’empressera de favoriser les Breteuil et les Caumartin, sans pour cela négliger les Le Pelletier. Dès 1690, ayant obtenu du Roi la création de quatre nouvelles charges d’intendants des Finances, en titre d’office, il veillera à ce que François Le Tonnelier de Breteuil, et aussi Michel Le Pelletier de Souzy, soient maintenus dans leur emploi d’intendant, qu’ils n’exerçaient qu’à titre de commission. En même temps, Urbain Louis Le Fèvre de Caumartin sera pourvu, par ses soins, de l’un des quatre nouveaux offices d’intendant des Finances, de même que Joseph Fleuriau d’Armenonville, lequel était le demi-frère de Marguerite Fleuriau, mariée à Claude Le Pelletier, et l’oncle de la femme de Jean-Pierre d’Argouges de Rânes, Françoise Le Pelletier. Précisons qu’Armenonville et Marguerite Fleuriau pouvaient se réclamer autant du clan Pontchartrain que du clan Le Pelletier, car leur grand-mère, du côté paternel, appartenait à la famille financière tourangelle des Bonneau alliée aux Pontchartrain par l’intermédiaire des Beauharnais. Enfin, pour en revenir aux Breteuil, ce sera encore grâce à la protection de Louis de Pontchartrain, bien placé en sa qualité de secrétaire d’État à la Maison du Roi, qu’en 1698 Louis-Nicolas, baron de Breteuil, réussira à obtenir l’importante charge curiale d’ » introducteur des ambassadeurs et des princes étrangers », charge qu’il gardera jusqu’en 171516 (tableaux 4 et 5).

  • 17 Cf. Louis André, Deux mémoires historiques de Claude Le Pelletier, Paris, Alcan, 1906, 170 p., p. (...)

15Toutes ces marques d’une protection active s’inspiraient certainement du souci de s’entourer d’hommes sûrs, plus ou moins proches alliés. Ainsi Caumartin deviendra rapidement le bras droit du nouveau contrôleur général, et presque son alter ego. Mais, compte tenu de la logique du système des réseaux, à base de réciprocité, elles correspondaient aussi à l’obligation tacite de s’acquitter du prix des services rendus, et, s’agissant plus particulièrement des cas de Souzy et d’Armenonville, à la volonté de ménager le clan Le Pelletier-d’Argouges auquel Louis de Pontchartrain devait au moins une bonne part de son ascension. Il ne fait guère de doute, en effet, que Claude Le Pelletier, qui était contrôleur général lors de la nomination de celui-ci comme intendant des Finances, ait été directement à l’origine de cette nomination. De même, ce fut très probablement lui qui, rebuté par le travail harassant de grand argentier, proposa Pontchartrain au Roi pour le remplacer à ce poste. Par la suite, les deux hommes s’étant brouillés, Claude Le Pelletier tint à se désolidariser complètement de celui qui avait été son protégé. En 1707, quatre ans avant de mourir, dans une sorte de testament politique intitulé Mémoire de mes véritables et derniers sentiments de l’Église et de l’État, empreint d’une extrême sévérité envers la gestion financière de Pontchartrain, il se défendra énergiquement d’avoir favorisé l’accession de celui-ci à l’intendance des Finances, puis au Contrôle Général17. Pourtant la plupart des témoignages contemporains, ceux de Saint-Simon, de Gourville, du marquis de Sourches, du père Léonard ou de Mme de Sévigné, s’inscrivent en faux contre une telle présentation des choses. Cette concordance de témoignages, qui plaide en faveur de leur véracité, n’a d’ailleurs rien de surprenant. Il était notoire, en effet, que les Le Pelletier et les Phélypeaux se connaissaient de longue date et entretenaient d’étroites relations. C’est précisément ce que confirme, si on la pousse plus avant, l’enquête sur les parentèles communes aux deux familles. Elle montre qu’aux alliances déjà signalées plus haut, s’en ajoutaient d’autres, non moins dignes d’intérêt, qui venaient renforcer l’interpénétration de leurs réseaux d’influence.

16Chez les Le Pelletier, comme chez les d’Argouges, l’établissement de relations suivies avec les Phélypeaux remonte à l’époque d’Henri IV et paraît devoir s’expliquer en fonction du déroulement de la carrière de Paul de Pontchartrain avant son accession au poste de secrétaire d’État. Celui-ci, on l’a vu, en raison de sa charge de secrétaire des commandements de Marie de Médicis, avait été amené, de 1600 à 1610, à fréquenter régulièrement Florent Ier d’Argouges, lui-même trésorier général de Marie. Mais auparavant, durant plusieurs années, il avait travaillé, côte à côte, avec un Le Pelletier dans les bureaux de la secrétairerie d’État. En effet, à la mort du secrétaire d’État Revol en 1594, Paul, étant passé au service de Villeroy, son successeur, s’y retrouva en compagnie de Louis Le Pelletier, qui deviendra conseiller d’État en 1624 et sera le père de Claude, futur contrôleur général. Les deux hommes, employés en qualité de commis, ne furent pas seulement des collègues de bureau entretenant des rapports professionnels. Une relation particulière les rapprochait, qui était de bénéficier, l’un et l’autre, de la protection de l’influent Villeroy, rentré en grâce près d’Henri IV, après s’être opportunément retiré de la Ligue. D’autre part, sans tarder, le jeu des alliances allait faire naître, entre les Le Pelletier et les Phélypeaux, des liens de parenté qui, pour être indirects, n’en étaient pas moins prometteurs pour l’avenir. La première parentèle qui apparaît découle du mariage en 1594 du frère aîné de Paul, Raymond d’Herbault-La Vrillière, alors trésorier des parties casuelles, avec Claude Gobelin, fille de Balthazar Gobelin, trésorier de l’Épargne. Cette alliance mène aux Le Tellier, Claude Gobelin étant la nièce de Marie Gobelin, femme de Jérôme Le Tellier, mort en 1598. Et les Le Tellier, à leur tour, conduisent aux Le Pelletier par l’intermédiaire des Chauvelin. En 1599, le neveu de Jérôme Le Tellier et de Marie Gobelin, Michel III Le Tellier (1571-1617), conseiller à la Cour des aides, épousait Claude Chauvelin, fille de François Chauvelin, un avocat au parlement de Paris qui avait été intendant de Marie Stuart, femme du roi François II, puis maître des requêtes de Catherine de Médicis. Or ce Chauvelin était le frère de Madeleine Chauvelin, mariée en 1583 à Jean Le Pelletier, avocat au parlement de Paris, et morte en 1588. Louis Le Pelletier, l’ancien commis de Villeroy, étant, lui-même, le fils de Jean et de Madeleine, on comprend qu’à la mort précoce de Michel III Le Tellier, en 1617, à l’âge de 46 ans, il ait été chargé de la tutelle de son fils, âgé de 14 ans, né lui aussi d’une Chauvelin, Michel IV Le Tellier (1603-1685), futur secrétaire d’État à la Guerre (1643-1677), futur chancelier de France (1677-1685), et père de Louvois. Le dévouement et l’intégrité manifestés par Louis Le Pelletier dans l’exercice de cette tutelle, d’autant plus accaparante qu’elle s’étendait également aux six sœurs de Michel IV, allait sceller l’entente des Le Pelletier, Le Tellier et Chauvelin, une entente qui désormais ne devait plus se démentir. Les Fleuriau, les Phélypeaux de La Vrillière, les d’Argouges et les Creil venant ensuite s’agréger à ce clan, il en résultera la formation d’un puissant groupe de pression, bientôt capable, à partir des années 1670, de contrebalancer l’influence du « grand » Colbert et des siens. Aussi, pour les Pontchartrain, ce sera un précieux atout de pouvoir s’appuyer sur ce vaste réseau dans leur entreprise de relèvement, puis de conquête des postes ministériels sous le règne de Louis XIV. Ils touchaient là les dividendes d’une politique matrimoniale qui, progressivement, au fil des générations, avait réussi non seulement à rapprocher leur famille des d’Argouges et autres alliés périphériques, mais aussi à l’introduire dans le clan Le Pelletier-Le Tellier-Chauvelin qui représentait le noyau dur du groupe de pression précité (tableau 6).

  • 18 Auparavant Claude Bazin avait été avocat général au Grand Conseil (1636), puis intendant à Soisson (...)
  • 19 Tallemant des Réaux, Historiettes, Pléiade, t. 2, p. 313.

17Dès la première moitié du xviie siècle, en effet, les premiers liens avec ce clan, résultant de l’union de Raymond d’Herbault et de Claude Gobelin, s’étaient resserrés par deux nouvelles alliances, tout en restant indirects. En 1639, le fils unique de Paul, Louis Ier de Pontchartrain, alors conseiller au parlement de Paris, épousait Marie-Suzanne Talon, fille de Jacques Talon (1581-1648), avocat général au parlement de Paris (1618), puis conseiller d’État (1631), et petite-fille d’Omer Ier Talon, avocat au Parlement (mort en 1618) et de Suzanne Choart de Buzanval, une proche parente des Le Tellier. Le cousin, ou le frère, de cette Suzanne, Philibert Choart de Buzanval, également avocat au Parlement, était marié à Marie Chauvelin, sœur de Claude Chauvelin, l’épouse de Michel III Le Tellier. Rappelons que ces deux sœurs étaient les nièces de Madeleine Chauvelin, femme de Jean Le Pelletier. Pour mieux évaluer l’importance de l’union de 1639 dans le développement des relations entre les Pontchartrain et les Le Tellier par l’intermédiaire des Talon, il convient de préciser que le beau-père de Louis Ier de Pontchartrain, Jacques Talon, conseiller d’État depuis 1631, connaissait bien Michel IV Le Tellier, maître des requêtes depuis 1638, quoique ce dernier fut d’une vingtaine d’années son cadet. Ainsi les deux hommes feront partie du groupe de cinq conseillers d’État et de neuf maîtres des requêtes accompagnant le chancelier Séguier en Normandie, du mois de décembre 1639 au mois de mars 1640, pour instruire le procès de la révolte populaire des « Nu-Pieds » qui avait embrasé cette province au cours de l’été précédent. D’autre part, Le Tellier, une fois secrétaire d’État à la Guerre, se fera le protecteur du neveu de Jacques Talon, Claude Bazin de Bezons (1617-1684), qu’il emploiera successivement comme intendant à l’armée de Catalogne en 1648, à l’armée du Berry en 1651, et à l’armée du Roussillon en 165318. Promu ensuite à la tête d’une grande intendance de province, celle de Languedoc, où il restera pendant vingt ans (1653-1673), Claude Bazin terminera conseiller d’État, la sollicitude de Michel Le Tellier, devenu chancelier, lui valant encore de participer comme rapporteur aux activités de la « Chambre ardente » constituée en 1679 pour enquêter sur l’ » affaire des poisons », et de siéger dans la commission réunie en 1682 pour trancher l’épineux problème de l’application du droit de régale, source de conflit avec Rome. Ce « petit bout d’homme tout rond, joufflu comme un des quatre vents, et aussi bouffi d’orgueil qu’il y en aurait au monde19 », était le fils de Pierre Bazin, trésorier de France à Soissons, et de Suzanne Henriette Talon, sœur de Jacques Talon. Cousin germain de Marie Suzanne Talon, l’épouse de Louis Ier de Pontchartrain, il apparaît comme un trait d’union entre les dynasties Le Tellier, Talon et Phélypeaux, sa grand-mère, Suzanne Choart de Buzanval, femme d’Omer Ier Talon, s’apparentant aux Le Tellier par Philibert Choart, beau-frère de Michel III Le Tellier, et oncle de Michel IV Le Tellier. De plus, son grand-oncle Nicolas Talon (mort en 1618), procureur au parlement de Paris, frère d’Omer Ier Talon, était lui-même allié aux Choart par son mariage, en 1594, avec Anne Sobrillard, fille de Jacques Sobrillard, procureur au parlement, et de Denise Choart de Buzanval, une tante de Suzanne Choart et de Philibert Choart. C’est donc un véritable faisceau d’alliances qui se découvre derrière Claude Bazin de Bezons. L’intérêt présenté par ce personnage au rôle charnière, cousin des Pontchartrain en même temps que parent et protégé des Le Tellier ne s’arrête pas là. On doit encore tenir compte de l’union qu’il avait contractée en 1641 avec une Targer. Cette union ne vient pas seulement, en effet, renforcer l’impression de cohésion que donnent tant d’alliances entremêlées au sein d’un même groupe de familles. Elle ouvre aussi de nouvelles perspectives sur l’accumulation de l’impressionnant capital de relations qui permit au clan Pontchartrain de revenir au premier plan et, par la suite, de se maintenir en place.

  • 20 Françoise était la fille de Denis Doujat, avocat général de la Reine Mère Marie de Médicis, et la (...)

18Fille de Louis Targer, secrétaire du roi, et de Geneviève Goulas, Marie Targer, l’épouse de Claude Bazin, était, par sa mère, parente de Nicolas Goulas, gentilhomme ordinaire de Gaston d’Orléans, auteur de Mémoires sur le règne de Louis XIII, et de Léonard Goulas, secrétaire des commandements du même Gaston. Par les deux sœurs de son père, Jeanne et Péronne Targer, elle était aussi la cousine germaine du poète Antoine Godeau, évêque de Vence, et de Valentin Conrart, secrétaire perpétuel de l’Académie française dès sa fondation, ce qui explique que Bazin soit entré à l’Académie en 1643, deux ans seulement après son mariage, malgré une production littéraire des plus réduites. Mais Marie Targer offre surtout un exemple caractéristique d’entrecroisement d’alliances, en se trouvant apparentée, par le mariage de sa sœur Catherine en 1649 avec Jean Doujat (1620-1710), conseiller au parlement de Paris, à une famille qui conduit, à deux reprises, aux Pontchartrain. Jean Doujat était en effet le cousin germain de Francoise Doujat, mariée en 162620 à Omer II Talon (1595-1652), avocat général au parlement de Paris (1631) et conseiller d’État (1646). Omer II étant le frère de Suzanne Henriette Talon et de Jacques Talon (dont il avait pris la suite comme avocat général), cette Françoise Doujat se trouvait donc être à la fois la tante de Claude Bazin, marié à Marie Targer, et celle de Marie Suzanne Talon, mariée à Louis Ier de Pontchartrain. D’autre part, la sœur du même Jean Doujat, Marie, avait épousé René II de Maupeou (1612-1694), président de la première Chambre des enquêtes du parlement de Paris, cousin germain de Pierre III de Maupeou, président de la cinquième Chambre des enquêtes. Et cette union mène à nouveau aux Phélypeaux, la fille de Pierre III, Marie de Maupeou, se mariant en 1668 à Louis II de Pontchartrain.

  • 21 Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 1, p. 467.
  • 22 Claude Le Blanc a fait l’objet d’une biographie, due à l’historien américain Claude C. Sturgill, C (...)
  • 23 Cf. Lucien Bély, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Paris, Fayard, 906 p., p. 69, 78-8 (...)

19L’alliance Targer-Doujat, avec ses développements, venait donc rapprocher encore les Bazin et les Pontchartrain, par l’intermédiaire des Talon et des Maupeou. Et ce rapprochement allait bientôt prendre tout son prix, les enfants nés de l’union de Claude Bazin et de Marie Targer parvenant rapidement à des postes élevés. L’aîné, Louis (mort en 1700), maître des requêtes en 1674, conseiller d’État en 1697, et qui dirigea de grandes intendances comme celle de Bordeaux (1686-1700), était, selon l’expression de Saint-Simon, « l’un des intendants des plus accrédités du Royaume21 ». Le cadet, Jacques (1646-1733), ayant choisi l’armée, y connaîtra une belle réussite : mestre de camp au régiment de cavalerie de Bezons en 1675, maréchal de camp en 1693, lieutenant général en 1702, il recevra le bâton de maréchal de France en 1709, et sera, de plus, nommé conseiller au Conseil de Régence en 1719. Quant au benjamin, Armand (v. 1654-1721), entré dans les ordres, il accumulera les hautes charges ecclésiastiques (agent général du clergé en 1680, évêque d’Aire en 1693, archevêque de Bordeaux en 1698, archevêque de Rouen en 1719), y ajoutant un rôle politique en sa qualité de membre du Conseil de Conscience sous la Polysynodie (1715-1718), de membre du Conseil de Régence en 1719, et, à nouveau, de membre du Conseil de Conscience en 1721. Enfin, après l’évocation de ces trois frères, s’impose celle de leur neveu, Claude Le Blanc (1669-1728), qui sera membre du Conseil de la Guerre sous la Polysynodie, puis secrétaire d’État à la Guerre à deux reprises, de 1718 à 1723, et de 1726 à sa mort en charge22. Fils de Louis Le Blanc, maître des requêtes (1669), intendant de Rouen (1677-1682), et de Suzanne Henriette Bazin de Bezons (sœur des Bazin précités), ce Claude Le Blanc, nommé maître des requêtes en survivance de son père en 1697, s’était déjà distingué, avant d’accéder aux responsabilités ministérielles, comme intendant d’Auvergne de 1704 à 1708, et surtout comme intendant de Flandre maritime, de 1708 à 1715. Dans ce dernier poste, il se révéla, en particulier, un collaborateur des plus utiles pour son cousin Jérôme de Pont-chartrain, que ses fonctions de secrétaire d’État à la Marine amenaient à correspondre assidûment avec les intendants des dix provinces dites « maritimes » du Royaume. Ainsi, en tissant, à partir d’Ypres, proche de la frontière, alors zone de combats, de multiples réseaux d’espionnage et de contre-espionnage, et en se mêlant même d’intrigues diplomatiques par l’entremise d’agents hollandais23, Le Blanc participera activement à l’entreprise de prospection systématique du renseignement menée, tous azimuts, par l’envahissant Jérôme, prompt à empiéter sur les domaines de ses collègues de la Guerre et des Affaires étrangères. De même, il se fera, dans son secteur flamand, l’auxiliaire efficace de la politique de relance impulsée par Jérôme dès 1712, visant à contourner ou annihiler les clauses restrictives, au point de vue maritime et commercial, imposées par les Anglais dans le cadre des négociations d’Utrecht. Grâce à son obstination, les travaux de démantèlement du port de Dunkerque traîneront indéfiniment en longueur, et c’est sur son initiative que sera creusé à la hâte le canal de Mardick, lequel permettra aux navires français de disposer d’un port de remplacement, dès la fin du mois de février 1715 (tableaux 7 et 8).

  • 24 Saint-Simon, t. 4, p. 892.
  • 25 Bonne Ruzé, fille de Guillaume Ruzé, seigneur de Beaulieu, receveur des finances en Touraine, s’ét (...)
  • 26 De l’union du maréchal d’Effiat et de Marie de Fourcy naquirent deux fils. L’aîné, Martin Coiffier (...)

20Toute cette tribu, riche d’individualités aux carrières brillantes, constituait une parentèle de poids au sein du réseau Phélypeaux. Cousin issu de germains de Louis, l’intendant, de Jacques, le maréchal de France, et d’Armand, l’archevêque, Louis II de Pontchartrain, une fois parvenu au faîte de la réussite, trouvera en eux autant de relais lui permettant d’étendre ses relations et son emprise dans de multiples directions, ce qui, en même temps, concourrait à raffermir sa propre position à la Cour. L’exemple du plus célèbre de ces trois frères, Jacques, maréchal de Bezons, illustre bien l’importance que pouvait revêtir la parentèle Bazin aux yeux du clan Pontchartrain. Il est significatif, en effet, de constater qu’à la veille de la mort de Louis XIV, l’unique démarche que semble avoir effectuée Jérôme de Pontchartrain pour tenter de parer à sa chute prévisible, fut de s’adresser à Bezons, en se réclamant de leur parenté. Très en faveur près de Philippe d’Orléans, le futur Régent, « qui l’avait fourré parmi ses officiers24 », Bezons fit probablement tout ce qu’il put pour sauver son cousin secrétaire d’État. À cette fin, il mobilisa le concours du vieux marquis d’Effiat (1638-1719), un courtisan des plus influents, ancien premier écuyer de Monsieur, et également dans les meilleurs termes avec le duc d’Orléans qui le fera vice-président du Conseil des Finances sous la Polysynodie. Cet Effiat (Antoine Coiffier-Ruzé, marquis d’), qui descendait de Bonne Ruzé, sœur du secrétaire d’État Martin Beaulieu-Ruzé, collègue de Paul de Pont-chartrain25, était, lui-même, apparenté aux Phélypeaux par son aïeule maternelle, née Marie de Fourcy, femme d’Antoine Coiffier-Ruzé d’Effiat (1581-1632), surintendant des Finances en 1626 (mort en charge), maréchal de France en 1631, un très proche collaborateur de Richelieu26. Le frère de la maréchale d’Effiat, Henri Ier de Fourcy, surintendant des Bâtiments du Roi et président des Comptes (mort en 1638) s’était, en effet, marié à Marie de La Grange-Trianon, dont la nièce, Anne de La Grange-Trianon, épousera en 1648 Louis de Buade, comte de Frontenac (1620-1698), le célèbre gouverneur du Canada (1672-1682 et 1689-1698). Cette dernière union conduit directement aux Phélypeaux, le comte de Frontenac étant le fils d’Henri de Buade-Frontenac et d’Anne Phélypeaux d’Herbault, elle-même fille du secrétaire d’État Raymond d’Herbault-La Vrillière.

  • 27 Marie-Madeleine Boucherat était la fille de Jean Boucherat, chancelier de France de 1685 à 1699.
  • 28 Louise Olier, fille de Jacques Olier, intendant de Lyon (1617-1624), puis conseiller d’État (1625) (...)

21Les La Grange-Trianon conduisent encore aux Phélypeaux, cette fois par l’intermédiaire des Bouthillier. Devenu veuf très tôt, le maître des requêtes Charles de La Grange-Trianon (mort en 1654), père de la future comtesse de Frontenac, avait confié l’éducation de sa fille à une cousine germaine, Marie de Bragelonne, fille de Léon Bragelonne, conseiller au Parlement, et d’Éléonore de La Grange-Trianon. Or, Marie de Bragelonne, qui avait épousé en 1606 Claude Bouthillier (1581-1652), l’homme lige de Richelieu, était la mère de Léon Bouthillier, comte de Chavigny (1608-1652), marié en 1627 à Anne Phélypeaux de Villesavin (1613-1694), fille de l’ancien secrétaire des commandements de Marie de Médicis, Jean de Villesavin, frère benjamin de Raymond d’Herbault-La Vrillière et de Paul de Pontchartrain. Enfin, à tous ces liens indirects et déjà anciens qui s’étaient établis entre les Coiffier-Ruzé et les Phélypeaux d’Herbault-La Vrillière, grâce, principalement, à leur parenté commune avec les La Grange-Trianon, s’en ajoutaient d’autres beaucoup plus récents créés par l’intermédiaire des Fourcy. Petite-fille d’Henri Ier de Fourcy et de Marie de La Grange-Trianon, et fille de Jean de Fourcy, conseiller au Grand Conseil, mort en 1655, et de Marguerite Fleuriau (remariée en 1656 à Claude Le Pelletier), Marie-Marguerite de Fourcy, mariée en 1670 au secrétaire d’État Balthazar Phélypeaux de Châteauneuf (petit-fils de Raymond d’Herbault-La Vrillière), était la cousine issue de germains du marquis d’Effiat, le premier écuyer. Autre cousine, également à un même degré, du marquis d’Effiat, Angélique-Marguerite de Fourcy, fille d’Henri II de Fourcy (frère de Jean), président aux Enquêtes (1661), et de Marie-Madeleine Boucherat27, se trouvait, elle aussi, étroitement alliée aux Phélypeaux par son mariage, en 1689, avec Paul de Fieubet (1664-1718), conseiller au parlement de Paris (1689), maître des requêtes (1690), et futur membre du Conseil du Dedans sous la Polysynodie. Par sa mère Elizabeth Blondeau, mariée en 1657 à Anne de Fieubet (1630-1705), conseiller au parlement de Paris (1655), puis maître des requêtes (1663-1690), ce Paul de Fieubet était le petit-neveu de Jean Phélypeaux de Villesavin, marié en 1609 à Isabelle Blondeau, sœur de Gilles Blondeau, ancien trésorier de France à Dijon (1626), devenu président à la Chambre des comptes de Paris, lui-même père d’Elizabeth. Par les Ardier, une famille de grands officiers de finance, il était aussi l’arrière-petit-fils de Suzanne Phélypeaux, femme de Paul Ardier, trésorier de l’Épargne, et sœur de Pontchartrain, d’Herbault et de Villesavin, son grand-père, Gaspard Ier de Fieubet, trésorier de l’Epargne, ayant épousé en 1618 Claude Ardier, fille de Suzanne et de Paul Ardier. De plus, à la génération suivante, son oncle, Gaspard II de Fieubet (1627-1694), fils de Gaspard Ier et frère d’Anne, successivement maître des requêtes (1654), chancelier de la Reine Mère (1660), et conseiller d’État (1683), épousera une cousine germaine, Marie Ardier, fille de Paul Ardier, président des Comptes (1632), et de Louise Olier28. Ce Paul Ardier, qui avait débuté en 1617 comme premier commis de Paul de Pontchartrain, était le frère de Claude Ardier, la femme de Gaspard Ier de Fieubet. Enfin, pour en terminer avec les Ardier, signalons que la sœur benjamine de la même Claude Ardier, Elizabeth Ardier, s’alliera en 1633 au maître des requêtes Claude Gobelin, intendant d’armée, puis conseiller d’État (1662), lui-même apparenté à Claude Gobelin, femme de Raymond d’Herbault-La Vrillière, et à Marie Gobelin, femme de Jérôme Le Tellier, le grand-oncle de Michel IV Le Tellier, secrétaire d’État à la Guerre et chancelier de France. Ainsi l’évocation des Coiffier-Ruzé d’Effiat permet de déboucher en plein cœur du réseau Phélypeaux, avec, toujours, le même constat d’entrelacs presqu’inextricables d’alliances souvent marquées par la consanguinité, comme en témoigne la fréquence des dispenses de consanguinité dans les actes de mariage de ce vaste groupe de familles (tableaux 9, 10, 11, 12 et 13).

  • 29 Saint-Simon, t. 4, p. 891-892.

22Si bien introduits qu’ils fussent près de Philippe d’Orléans, le maréchal de Bezons et le marquis d’Effiat ne purent empêcher la perte de Jérôme de Pont-chartrain, emporté, dès le mois de novembre 1715, par la réaction aristocratique qui marqua les débuts de la Régence, avec la brève expérience de la Polysynodie (voir chap. I, p. 35-36). Du moins leurs efforts conjugués ne furent pas étrangers aux dispositions qui vinrent amortir la chute de ce parangon de la secrétairerie d’État louis-quatorzienne, sa charge passant à son jeune fils Maurepas placé sous la tutelle du cousin La Vrillière. Toutefois, malgré son issue infructueuse, la démarche qu’effectua Jérôme de Pontchartrain près de Bezons et d’Effiat présente un intérêt non négligeable. Saint-Simon a complaisamment décrit une scène, située par lui à la date du 22 août 1715 (huit jours avant la mort du Roi), où, étant entré à l’improviste dans le cabinet de Jérôme, il surprend celui-ci en conciliabule avec Bezons et Effiat, « les trois hommes assis si proches les uns des autres, et leurs têtes ensemble ». Et, parlant de l’objet de « ce petit conseil », qui portait sur l’avenir gravement compromis du secrétaire d’État, le mémorialiste résume, en ces quelques mots, la situation de Jérôme par rapport à son cousin Bezons : « Il s’en fit son patron29. » Avec l’emploi d’une expression aussi forte, et compte tenu des efforts déployés par ce « patron » de circonstance, l’anecdote prend valeur d’exemple. En représentant un ministre, non plus dans son rôle habituel de puissance tutélaire, mais dans celui, inusité, de solliciteur et de protégé, elle montre qu’au sein des réseaux de parentèle, les relations de protection et de recommandation pouvaient s’inverser et que la réciprocité des services rendus n’était pas un vain mot. D’autre part, le spectacle du trio Pontchartrain-Bezons-Effiat réuni en petit comité laisse entrevoir le jeu des solidarités inhérentes à ces réseaux, solidarités qui s’inscrivaient à la fois dans la durée, en entretenant la mémoire des alliances les plus anciennes, et dans l’espace, en mobilisant les cousins les plus éloignés, y compris « les cousins de nos cousins » comme l’étaient les Coiffier-Ruzé d’Effiat. Néanmoins ici, sans pour autant négliger la présence du marquis d’Effiat, c’est surtout celle du maréchal de Bezons – personnage central dans cette intrigue de cour – qui apparaît particulièrement significative. En se faisant, à l’heure du péril, le protecteur de Jérôme de Pontchartrain, Bezons témoignait, par là même, du bon fonctionnement du réseau Phélypeaux. Son attitude obéissait, en effet, aux considérations de parenté, ce qui ramène à l’un des personnages-clefs de ce réseau, environ un demi-siècle auparavant, son propre père, l’intendant d’armée Claude Bazin, cousin germain de la grand-mère de Jérôme, Marie-Suzanne Talon, en même temps que protégé du secrétaire d’État à la Guerre Michel IV Le Tellier.

  • 30 Parmi les intendants d’armée, le plus proche parent de Michel Le Tellier était Gilbert Colbert de (...)
  • 31 Pour la clientèle de Michel Le Tellier et de Louvois, voir notamment A. Corvisier, Louvois, Paris, (...)

23Ce Claude Bazin apparaît comme le produit-type du système de clientèle pratiqué par les Le Tellier. Assemblages de parents et d’amis de parents, les clientèles des ministres de l’époque, qui formaient autant de viviers où ceux-ci puisaient leurs collaborateurs de confiance, présentaient toutes un caractère protéiforme, mais à un degré plus ou moins accentué, selon la nature et la diversité des fonctions ministérielles occupées. Chez les Phélypeaux, par exemple, l’éventail s’ouvrira largement à partir du moment, en 1689-1690, où Louis II de Pontchartrain se trouvera placé à la tête d’un vaste cumul d’attributions, l’administration des Finances, de la Maison du Roi, de la Marine, des Colonies et du Commerce étant progressivement investie par des créatures des Pontchartrain, en attendant d’autres secteurs, comme le parquet du parlement de Paris et la direction de la « Librairie », lorsque Louis deviendra chancelier de France. Par contre, chez les Le Tellier qui, avec Michel IV, Louvois, son fils, et Barbezieux, son petit-fils, monopolisèrent le secrétariat d’État à la Guerre de 1643 à 1701, ce caractère protéiforme fut nettement moins prononcé, l’axe essentiel de leur clientèle restant les commissions d’intendants d’armée et celles d’intendants des provinces frontières et des pays conquis qui, elles aussi, ressortissaient du département de la Guerre. Claude Bazin représentait donc bien l’élément majoritaire de cette clientèle où figuraient nombre d’intendants qui, comme lui, provenaient des branches collatérales de la tribu Le Tellier, tels Louis II Chauvelin et son fils Louis III Chauvelin, Gaspard Dugué de Bagnols et son petit-fils Dreux-Louis Dugué de Bagnols, ou encore Louis Robert, Philibert Baussan, Michel Le Pelletier de Souzy et Pierre Goury. N’ayant que des sœurs, la plupart religieuses (quatre sur six), et, de ce fait, ne pouvant guère puiser dans sa proche famille pour remplir les places30, Michel Le Tellier avait dû, en effet, faire appel au ban et à l’arrière-ban de ses cousins, parfois fort éloignés comme Pierre Goury. Beaucoup d’entre eux, d’ailleurs, resteront très longtemps en poste, grâce à Louvois, soucieux de conserver un personnel d’expérience formé sous son père31. Or précisément, dans la liste de ces collaborateurs-parents, intendants d’armées, intendants des pays frontières et intendants des « pays conquis » (Flandre, Artois, Franche-Comté), deux noms méritent une mention particulière, car, à l’instar de celui de Claude Bazin, ils conduisent à nouveau aux Pontchartrain, renforçant encore l’interpénétration du réseau Phélypeaux et du réseau Le Tellier-Le Pelletier. Il s’agit de Louis II et Louis III Chauvelin.

  • 32 Anne Robert était la tante de Louis Robert (1636-1706), l’un des plus dynamiques intendants d’armé (...)
  • 33 Louis Ier Chauvelin (père de Louis II) et Claude Chauvelin étaient frère et sœur. Leur père Franço (...)

24Fils de Louis Ier Chauvelin, trésorier de France, et d’Anne Robert32, Louis II Chauvelin, né en 1613, successivement conseiller au Grand Conseil (1634), procureur du roi au Châtelet (1638), maître des requêtes (1643), intendant de l’armée du Piémont (1644) et ambassadeur en Savoie, mort en service à l’âge de 32 ans (1645), effectua sa brève et brillante carrière sous l’égide de Michel IV Le Tellier. C’est ce dernier qui, procureur du roi au Châtelet depuis 1631, lui vendit cette charge lourde de responsabilités, le Châtelet étant le principal organe de police de la capitale. Puis, devenu secrétaire d’État à la Guerre en 1643, Le Tellier s’empressera, dès l’année suivante, de faire nommer Chauvelin intendant d’armée. Sa protection, relayée par celle de Louvois, se reportera plus tard sur Louis III Chauvelin (1642-1719), placé d’abord à la tête de l’intendance de Franche-Comté (1675), puis de celle de Picardie (1681), avant de terminer comme conseiller d’État. Mais, ici, l’intérêt présenté par ces deux Chauvelin réside surtout dans les alliances que l’un et l’autre contractèrent avec des familles qui relevaient de la mouvance Phélypeaux. Les Chauvelin, on l’a vu, se rattachaient étroitement aux Le Tellier et aux Le Pelletier. Louis II, par exemple, était, à la fois, le neveu de Michel III Le Tellier et de Claude Chauvelin, parents de Michel IV, et le petit-neveu de Jean Le Pelletier et de Madeleine Chauvelin, grands-parents de Claude Le Pelletier, contrôleur général des Finances33. D’autre part, rappelons que les Le Tellier, eux-mêmes, se trouvaient apparentés aux Phélypeaux depuis la fin du xvie siècle, Raymond Phélypeaux d’Herbaut ayant épousé, en 1594, Claude Gobelin, une nièce de Marie Gobelin, mariée à Jérôme Le Tellier, oncle de Michel III Le Tellier et de Claude Chauvelin. À ce lien ténu et fort indirect, s’en était ajouté, longtemps après, un autre beaucoup plus consistant, avec l’union, en 1639, de Louis Ier de Pontchartrain et de Marie-Suzanne Talon, les Talon, comme il a été dit plus haut, étant alliés aux Le Tellier par les Choart de Buzenval et les Chauvelin. Deux ans plus tard, en 1641, survenait le mariage de Louis II Chauvelin avec Louise Bonneau, que suivait, en 1645, celui de Marie Bonneau, cousine germaine de Louise, avec Jean-Jacques de Beauharnais de Miramion, conseiller au parlement de Paris, fils d’Aignan de Beauharnais, contrôleur général de l’Extraordinaire des guerres, lui-même frère d’Anne de Beauharnais, l’épouse de Paul de Pontchartrain.

  • 34 Daniel Dessert, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984, 824 p., p. 543.

25Ces deux mariages ouvrent sur de larges perspectives. Louise Bonneau, mariée à Chauvelin, était la fille du tourangeau Thomas Bonneau (mort en 1662), fermier général des gabelles de France durant plus d’une vingtaine d’années (1632-1655), l’un des plus gros traitants de son temps, et, selon l’expression de l’historien Daniel Dessert, « l’un des plus beaux représentants de la finance des pays de Loire », car il se trouvait placé « au centre de toute une nébuleuse de familles financières parmi les plus importantes du royaume34 ». Près de Thomas, qui l’avait associé à ses entreprises, opérait son frère Jacques, fermier général des gabelles (mort en 1644). Ce Jacques était le père de Marie Bonneau, mariée à Beauharnais, une « dévote » célèbre, plus connue sous le nom de Madame de Miramion, collaboratrice de Vincent de Paul, et fondatrice de communautés à l’intention de l’enfance délaissée et des « filles repenties ». Étroitement mêlé aussi aux activités de Thomas Bonneau, et sensiblement de même envergure que lui, figurait un autre « publicain » d’origine tourangelle, que l’on retrouve, à ses côtés, dans tous les baux de la ferme générale des gabelles entre 1632 et 1655. C’était Bonaventure Quentin de Richebourg (1581-1659), qui s’apparentait aux Bonneau par les Robin, une famille échevinale de Tours, la mère de Thomas Bonneau, Suzanne Robin, étant la sœur de Catherine Robin, mariée à Charles Quentin de Richebourg, frère de Bonaventure. Enfin ce même Bonaventure conduit aux Pontchartrain, sa fille Catherine, mariée à Pierre III de Maupeou, étant la mère de Marie de Maupeou qui épousera, en 1668, Louis II de Pontchartrain. Avec l’alliance Bonneau, Louis II Chauvelin, ce parent et protégé des Le Tellier, plongeait ainsi en plein milieu ligérien, dans un espace privilégié des Phélypeaux qui y puisaient leurs origines, et où, depuis leur départ de Blois, ils n’avaient cessé d’étendre des ramifications de leur réseau. La sœur benjamine de Paul de Pontchartrain, Marguerite Phélypeaux, par exemple, s’était marié à Daniel de Launay, trésorier de France à Tours (1602), et collaborateur de son beau-frère, qui appartenait à une vieille famille tourangelle anoblie par cette même charge de trésorier en 1393, en la personne de Jacques de Launay. Et surtout, démarche significative, Paul lui-même, le « fondateur », avait choisi, en épousant Anne de Beauharnais, de prendre femme dans une riche famille d’officiers de finance originaire de l’Orléanais, donc très proche géographiquement et professionnellement de celles des Bonneau, Robin et Quentin.

  • 35 Suzanne était l’ainée. La cadette, Marie-Claude Phélypeaux, avait épousé en 1660 Louis-Henri Haber (...)
  • 36 Saint-Simon, t. 1, p. 650.
  • 37 Saint-Simon, t. 1, p. 835.

26À la génération suivante, le mariage, en 1682, de Louis III Chauvelin avec Marguerite Billard, fille d’un avocat au parlement de Paris, venait encore renforcer les liens entre les Chauvelin et les Phélypeaux. Trois ans après, en effet, Marthe Billard, la sœur de Marguerite, épousait un très proche parent des Pontchartrain en la personne de Jérôme III Bignon (1658-1725), conseiller au parlement de Paris, bientôt, en 1689, maître des requêtes. Ce Jérôme III était le fils de Jérôme II Bignon (1626-1697), avocat général au parlement de Paris (1651-1673), conseiller d’État (1678), et de Suzanne Phélypeaux (1641-1690), l’une des deux sœurs de Louis II de Pontchartrain35. De plus, son oncle Thierry Bignon, frère de Jérôme II et premier président du Grand Conseil de 1690 à sa mort en 1697, avait épousé la fille du célèbre avocat général Omer II Talon (1595-1652), Françoise Talon, qui était la cousine germaine de Marie Suzanne Talon, femme de Louis Ier de Pontchartrain. En devenant, par son union avec Marthe Billard, le beau-frère d’un Bignon, Louis III Chauvelin s’apparentait donc à une famille étroitement alliée aux Pontchartrain. Et pour lui, pour son avenir comme pour celui de ses fils, ce nouveau lien s’avérera des plus précieux, Louis II de Pontchartrain, qui n’allait pas tarder à s’imposer comme l’un des ministres les plus influents du règne de Louis XIV, ayant particulièrement à cœur tout ce qui touchait aux Bignon. Commentant la mort de Suzanne Phélypeaux en 1690, Saint-Simon déclare que « son frère l’aimait si tendrement qu’il a toujours traité ses enfants comme les siens, et en a fait deux conseillers d’État, et un autre conseiller d’État d’Église36 ». De fait, l’aîné des trois fils de Suzanne, Jérôme III, maître des requêtes depuis 1689, intendant de Rouen en 1693, puis, en 1694, d’Amiens (où il succède à son beau-frère Chauvelin), sera promu conseiller d’État semestre en 1698, et conseiller d’État ordinaire en 1711. Entre-temps, en 1708, il avait été élu prévôt des marchands de Paris. Le cadet, le très brillant abbé Jean-Paul Bignon (1662-1743), prêtre de l’Oratoire, deviendra conseiller d’État d’Église en 1701. C’était là, aux dires de Saint-Simon, une « distinction inouïe », les places ecclésiastiques au Conseil, au nombre de trois, ayant été, jusqu’alors, « destinées aux évêques les plus distingués ». Or les mœurs de l’abbé Bignon lui avaient « ôté toute espérance de l’épiscopat37 ». Mais Louis de Pontchartrain sut batailler ferme pour emporter la place au profit du préféré de ses neveux, à qui il avait confié, étant secrétaire d’État à la Maison du Roi, la mission de réorganiser les Académies, et dont il fera ensuite l’un de ses principaux collaborateurs à la Chancellerie, comme directeur du « bureau de la Librairie », chargé de réformer la législation sur les livres et le système de la censure royale. Quant au benjamin, Armand Roland Bignon de Blanzy (1666-1724), maître des requêtes depuis 1693, Pontchartrain avait pris soin, au moment d’abandonner le Contrôle Général pour la Chancellerie, de le faire nommer intendant des Finances (21 septembre 1699), office qui conférait temporairement à son titulaire la qualité de conseiller d’État jusqu’à sa sortie de charge. En 1709, Blanzy quittera l’intendance des Finances pour succéder, comme intendant de la généralité de Paris, au frère unique du chancelier Pontchartrain, Jean Phélypeaux, frappé par la maladie. Il cessait, de ce fait, d’être conseiller d’État. Mais l’avisé chancelier, qui était à l’origine de cet arrangement, avait pris toutes dispositions pour que son neveu ne perdit rien au change : nommé, à la date du 17 août 1709, intendant de Paris, Blanzy obtenait, dès le lendemain 18, des lettres d’ » expectative » de conseiller d’État, et, le 12 octobre suivant, des lettres patentes de conseiller d’État semestre.

  • 38 R. Guillard, Histoire du Conseil du Roi depuis le commencement de la Monarchie jusqu’à la fin du r (...)
  • 39 Mémoire anonyme sur les conseillers d’État, s. d. (vers 1782), cité dans M. Antoine, Le Conseil du (...)
  • 40 Cf. M. Antoine, Le Conseil du Roi…, p. 189.
  • 41 Depuis le règlement de 1673, il y avait trente conseillers d’État, dont 18 ordinaires et 12 semest (...)

27En parvenant, tous les trois, à une place de conseiller d’État, les frères Bignon avaient atteint, selon l’expression d’un auteur de l’époque, « le plus haut degré où les magistrats du Royaume puissent prétendre38 ». Cette dignité, définie plus tard comme un « honneur singulier au-dessus de toutes les prérogatives39 », ils la devaient au crédit de Louis de Pontchartrain dont l’effet peut se mesurer encore à travers leurs dates d’entrée au Conseil. Sous Louis XIV et Louis XV, l’âge moyen de recrutement des conseillers d’État, généralement des hommes de grande expérience, paraît se situer autour de la cinquantaine40. Or Jérôme III, Jean-Paul et Armand Bignon furent promus conseillers d’État, le premier à 40 ans, le second à 39 ans, et le troisième à 33 ans, si du moins, pour ce dernier, l’on part de sa nomination, en 1699, d’intendant des Finances accompagnée, à titre provisoire, de celle de conseiller d’État. L’âge précoce d’entrée en fonctions dans les emplois importants reflétant, le plus souvent, l’existence de puissants parrainages, on voit donc que ces trois neveux du chancelier Pontchartrain appartenaient bien à la catégorie, aisément identifiable, des serviteurs de l’État qui bénéficièrent d’une carrière spécialement protégée. Par contre, la carrière de Louis III Chauvelin, beau-frère de Jérôme III Bignon, rentrerait plutôt dans la norme, celui-ci ayant été promu conseiller d’État semestre à l’âge de 49 ans, avec une ancienneté de seize années dans les intendances. La date précise de cette nomination, le 31 juillet 1691, prête cependant à réflexion. Survenant quinze jours après la mort soudaine de Louvois, elle laisse penser que la disparition de ce ministre n’obéra nullement son avenir. Par la suite, d’ailleurs, il continuera à monter, passant, en 1704, du rang de conseiller semestre à celui, supérieur, de conseiller ordinaire41. En réalité, depuis l’époque de ses débuts effectués comme intendant de province frontière sous l’égide des Le Tellier, Chauvelin avait progressivement glissé dans l’orbite des Pontchartrain qui lui offraient désormais d’efficaces protections de rechange.

  • 42 Saint-Simon, t. 4, p. 250-251.
  • 43 Voir la notice consacrée à Grouchy dans D. Dessert, Argent, pouvoir et société…, op. cit.
  • 44 Cf. D. Dessert, op. cit., p. 730, note 59.

28Le mariage, en 1705, de son fils Louis IV Chauvelin (1683-1715) avec Madeleine de Grouchy illustre bien ce changement d’orbite. Le père de Madeleine, Jean-Baptiste de Grouchy de Meneuil, né en 1647 et mort, presque centenaire, en 1743, avait, en effet, appartenu à cette clientèle caractéristique de financiers féaux que Louis de Pontchartrain s’était constituée durant ses dix années (1689-1699) passées à la tête du Contrôle Général, les favorisant systématiquement dans les adjudications publiques et leur procurant de substantiels profits, tout en veillant à ne pas s’oublier lui-même. Sur ce clientélisme, Saint-Simon se montre, à l’ordinaire, d’une extrême discrétion. Pourtant, parlant de Grouchy, qui avait été jadis l’intendant de son père, le duc Claude, il ne peut s’empêcher de mentionner que cet affairiste « s’était enrichi dans les partis sous Pontchartrain contrôleur général42 ». Pour éclairer la brève allusion du mémorialiste, il suffit de rappeler que, de 1690 à 1704 environ, le futur beau-père de Chauvelin s’était intéressé, entre autres activités, à la fourniture de vivres aux armées, un secteur particulièrement juteux en raison de l’état de guerre chronique, mis en coupe réglée par les « publicains » proches du pouvoir, experts dans l’art de spéculer sur la subsistance des troupes43. Aussi ne s’étonnera-t-on pas du montant élevé de la dot de Madeleine de Grouchy – 400 000 livres – et surtout de son mode de payement combien révélateur à une époque où, comme le souligne l’historien Daniel Dessert, « la monarchie faisait flèche de tout bois pour trouver de l’argent frais ». Par deux versements de 200 000 livres, les 5 et 15 avril 1705, Grouchy règle, en effet, la totalité de la dot en louis d’or et en louis d’argent. Cette capacité à mettre en œuvre un beau pactole dans le paiement d’une dot n’était pas, d’ailleurs, le seul fait des « traitants », « partisans » et autres « maltôtiers ». On la retrouve fréquemment, qu’il s’agisse d’achats de terres, d’immeubles ou d’offices, dans l’aristocratie d’épée, de robe et de fonction, au sein de ces microcosmes où évoluaient les dominants de la société française, en même temps gros thésauriseurs et accapareurs d’une part non négligeable du stock monétaire. Autrement dit, « si pénurie de numéraire il y avait dans le royaume, ce n’était certainement pas par raréfaction du métal précieux en temps de guerre44 ».

  • 45 Edmond-Jean-François Barbier, Chronique de la Régence et du règne de Louis XV (1718-1763) ou Journ (...)
  • 46 D. Dessert, « Finances et société au xviie siècle : à propos de la Chambre de Justice de 1661 », A (...)
  • 47 Voir les notices consacrées à Jean-Baptiste et Paul-Étienne Brunet dans D. Dessert, Argent, pouvoi (...)

29Les Chauvelin semblent avoir affectionné les alliances en milieu financier, assorties de dots plus que confortables. En 1718, treize ans après le mariage de Louis IV Chauvelin avec Madeleine de Grouchy, son cadet, Germain-Louis (1685-1762), futur garde des Sceaux et secrétaire d’État aux Affaires étrangères (1727-1737), épousait Anne Cahouet, fille de Claude Cahouet de Beauvais (1668-1738), premier président du Bureau des finances d’Orléans (1692) : une union qui, selon le Journal de Barbier, l’aurait rendu prodigieusement riche, sa femme lui apportant en dot près de deux millions de livres45. Par le choix de leurs épouses, les deux frères suivaient l’exemple de leur grand-père, Louis II Chauvelin, marié à Louise Bonneau, fille du financier Thomas Bonneau, une femme d’affaires qui, devenue veuve, figurera parmi les bailleurs de fonds des fermiers généraux des Gabelles pour le bail de 1656-1659 et 1660-166146. Ils se conformaient aussi à l’exemple, plus récent, d’Armand Roland Bignon de Blanzy qui s’était allié, en 1691, à Françoise Brunet, fille de Jean-Baptiste Brunet de Chailly, fermier général de 1668 à 1689, lui-même frère de Paul-Étienne Brunet de Rancy, l’un des plus riches financiers de son temps, fermier général de 1689 à 1717, et gros « traitant » très actif entre 1692 et 1701, avec la participation à une vingtaine de « traités47 ». Ce dernier exemple apparaît d’autant plus caractéristique qu’il fournit une nouvelle illustration de l’entrelacement des alliances, maintes fois observé, dans les familles du réseau Phélypeaux. La disparition précoce de Françoise Brunet, dès 1692, sans laisser d’enfants, ne distendit pas, pour autant, les liens entre les Bignon et les Brunet. Au contraire, Bignon de Blanzy, remarié en 1697, à Agnès Hébert du Buc, s’empressera de les resserrer, en 1715, par le mariage de sa fille de second lit, Suzanne, âgée de 17 ans, avec le maître des requêtes Gilles Brunet d’Évry (1683-1762), fils de Paul-Étienne Brunet de Rancy. Suzanne Bignon épousait ainsi le cousin germain de la première femme de son père. Enfin, cette même tendance à l’endogamie, mais à plus grande échelle et sur une plus longue durée, peut encore se constater à l’occasion du mariage, en 1724, de Françoise-Madeleine Chauvelin, l’une des filles de Louis IV Chauvelin et de Madeleine de Grouchy, avec Louis-Denis Talon (1701-1744), alors avocat général au parlement de Paris, et petit-fils de l’avocat général Denis Talon (1628-1698). Ce dernier, en effet, était, à la fois, proche parent des Pontchartrain et des Bignon, tout en se rattachant, anciennement et indirectement, aux Chauvelin. Cousin germain de Marie-Suzanne Talon, mariée en 1639 à Louis Ier de Pontchartrain, Denis Talon se trouvait être aussi, par sa sœur Françoise, le beau-frère de Thierry Bignon, président au Grand Conseil. Ce qui ramène à nouveau aux Pontchartrain, le frère de Thierry, Jérôme II Bignon, ayant épousé, en 1656, Suzanne Phélypeaux, sœur de Louis II de Pontchartrain. D’autre part, le même Denis Talon pouvait, par son aïeule Suzanne Choart de Buzanval, femme d’Omer Ier Talon, se réclamer des Chauvelin, Philibert Choart de Buzanval, le frère de Suzanne, s’étant allié à une Chauvelin. Avec cette série d’alliances entrecroisées, on a donc un bel échantillon témoignant de la cohésion du réseau Pontchartrain fondée, en grande partie, sur les pratiques endogamiques.

  • 48 « Survivancier » en 1655, associé en 1661, Louvois (1641-1691), qui entre au Conseil d’En haut dès (...)

30L’union Chauvelin-Talon de 1724 marquait, en quelque sorte, l’aboutissement du mouvement de longue haleine qui, durant près d’un siècle, avait poussé la dynastie Chauvelin à nouer des alliances dans les familles relevant de la parentèle ou de la clientèle des Phélypeaux. Avec la disparition de Louvois et la montée en puissance de Louis de Pontchartrain, l’effet de ce mouvement n’avait pas manqué de se répercuter sur l’orientation des carrières dans les nouvelles générations de cette dynastie ; une orientation déterminée, jusque-là, par l’appartenance au clan Le Tellier, et caractérisée principalement par l’occupation de postes d’intendants dépendant du département de la Guerre. Cousin issu de germains de Louvois, qui était d’un an son aîné, et beau-frère de Jérôme III Bignon, neveu de Pontchartrain, Louis III Chauvelin fut, on l’a vu, un homme de transition, effectuant son parcours professionnel sous deux patronages successifs. En 1675, Michel Le Tellier, encore secrétaire d’État à la Guerre, et son fils et associé Louvois48 lui mettront le pied à l’étrier en le propulsant à la tête de l’intendance de Franche-Comté, avant même qu’il soit nommé – en 1681 – maître des requêtes. De là, en 1683, Chauvelin sera envoyé comme intendant à Amiens pour y rester jusqu’en 1694, date où, relève caractéristique, il sera remplacé dans ce poste par son beau-frère Jérôme Bignon. Entre-temps, en 1691, malgré la mort de Louvois, son premier protecteur, l’influence grandissante de Louis de Pontchartrain lui avait valu d’être promu conseiller d’État semestre (31 juillet) et maître des requêtes honoraire (2 septembre). Enfin le même Pontchartrain, devenu chancelier en 1699, et, à ce titre, « chef-né des Conseils », veillera, cinq ans plus tard, à lui faire délivrer des lettres patentes de conseiller d’État ordinaire, ce qui était le couronnement d’une carrière au Conseil du Roi.

  • 49 Saint-Simon, t. 4, p. 689.
  • 50 Saint-Simon, t. 4, p. 687.
  • 51 Cf. F. Bluche, « Les magistrats des cours parisiennes au xviiie siècle », Rev. hist. de droit fran (...)
  • 52 Ibid.

31Avec les deux fils de ce Chauvelin, Louis IV et Germain-Louis, le patronage de Pontchartrain apparaît encore plus nettement, si l’on se réfère au profil de carrière de l’un et de l’autre durant la dernière décennie du règne de Louis XIV. Nommé maître des requêtes en 1707, à l’âge de 24 ans, alors que l’âge minimum requis était 30 ans accomplis, Louis IV fut reçu, deux ans plus tard, avocat général au parlement de Paris, puis, en 1713, il obtenait – « chose sans exemple au parquet », s’indigne Saint-Simon49 – la charge de grand trésorier de l’Ordre du Saint-Esprit. Un envol si prometteur devait être brisé dès le mois d’août 1715, la petite vérole emportant ce jeune magistrat « plein d’esprit, de savoir, de lumière », qui, toujours selon Saint-Simon, « n’avait de dieu, ni de loi que sa fortune50 ». Sa charge d’avocat général revint incontinent à Germain-Louis, âgé de 29 ans. Ce dernier avait, lui aussi, brûlé les étapes. En 1706, à l’âge de 20 ans, il était devenu conseiller au Grand Conseil et grand rapporteur en chancellerie, devançant largement l’âge moyen d’entrée en charge au Grand Conseil qui se situait à 27 ans51 ; et, peu après, en 1711, il était nommé maître des requêtes, avant l’âge, comme précédemment son frère aîné Louis IV. La jeunesse dans l’occupation de postes enviés étant, sous l’Ancien Régime, « le témoignage d’un luxe ou plus exactement d’un lustre52 », il ne fait guère de doute que les deux frères Chauvelin, au vu de leurs brillants débuts de carrière accélérés par les dispenses d’âge, aient bénéficié de puissantes protections. Des protections aisément explicables par la position stratégique de leur dynastie qui avait déjà acquis un certain degré de considération, pour avoir su s’installer confortablement, par le jeu des alliances, à la rencontre du réseau Le Tellier-Le Pelletier et du réseau Phélypeaux. Parmi ces protections, la plus déterminante paraît avoir été celle de Louis de Pohtchartrain qui, en sa qualité de chancelier, contrôlait de près le parquet du parlement de Paris composé d’un procureur général et de trois avocats généraux, tous quatre « gens du Roi » nommés par commission, et non pas cooptés comme les magistrats des chambres. Certes Pontchartrain n’intervint pas dans la transmission de la charge de Louis IV à Germain-Louis au mois d’août 1715, puisqu’il avait démissionné de son poste, le 2 juillet de l’année précédente. Ce fut sur les instances du père, Louis III, le conseiller d’État, que cette transmission put s’opérer sans encombre. Mais auparavant, comme on vient de le voir, le cursus de Germain-Louis entre 1706 et 1714 montre que le chancelier n’avait pas non plus ménagé les marques de sa sollicitude au cadet des fils Chauvelin. En réalité, toutes ces manifestations d’un patronage très actif, et, en particulier, la nomination de l’aîné, Louis IV, au poste d’avocat général en 1709, s’inscrivaient dans la politique népotiste de Pontchartrain visant à accaparer les charges dans les secteurs qui se trouvaient plus ou moins sous sa coupe. On en trouvera un exemple édifiant dans la composition du parquet de parlement de Paris à la fin du règne de Louis XIV (tableaux 14, 15 et 16).

  • 53 F. Bluche, Les magistrats du parlement de Paris…, op. cit., p. 15.
  • 54 En 1695, Henri Daguesseau devint l’un des deux conseillers d’État siégeant au Conseil royal des Fi (...)

32Il est significatif, en effet, de constater que les quatre « gens du Roi », qui se partageaient alors les tâches principales du ministère public dans la première cour souveraine du Royaume, se trouvaient tous apparentés au chancelier Pontchartrain. Depuis le 9 octobre 1700, la place de procureur général était tenue par Henri François d’Aguesseau (1668-1751), précédemment avocat général (1691-1700) et futur chancelier de France (1717-1750). Pontchartrain, arrivé à la Chancellerie un an auparavant (2 septembre 1699), n’avait pas choisi au hasard le titulaire de ce poste d’une importance comparable à celui de premier président, le procureur général jouissant de la « prérogative fondamentale53 » de correspondre directement avec le chancelier et les ministres, et se trouvant à la tête d’une multitude d’attributions variées, comme la surveillance des « gens du Roi » des juridictions inférieures, l’administration des principaux hôpitaux parisiens, ou encore la garde des archives de la couronne. Ce choix n’était certainement pas étranger au fait que le père d’Henri François, le conseiller d’État Henri Daguesseau (1636-1716), avait été, avant 1700, l’un des grands collaborateurs de Pontchartrain, à la fois comme « chargé des affaires du Commerce et des Manufactures » au Contrôle Général, et comme conseiller au Conseil royal des Finances54. De plus, nommé en 1700 président du Conseil royal du Commerce institué la même année, et conservant cette présidence jusqu’en 1715, il collaborera également, malgré son âge avancé, avec Jérôme de Pontchartrain qui, en tant que secrétaire d’État à la Marine, avait le « commerce extérieur par mer » et les consulats à l’Étranger dans son département. Mais surtout, en se replaçant dans l’optique de l’époque, il faut tenir compte des liens de parenté qui unissaient les Daguesseau et les Pontchartrain. Un premier lien s’était noué dès 1622, le père d’Henri, Antoine Daguesseau, maître des requêtes, s’alliant à Anne Blondeau, belle-sœur de Jean Phélypeaux de Villesavin, marié à Isabelle Blondeau et, rappelons-le, frère de Paul de Pontchartrain. Anne Blondeau étant morte très tôt, Henri Daguesseau, né en 1636, provenait du troisième lit d’Antoine, remarié en 1634 à Anne de Givetz. À son tour, il contractera une union, cette fois durable, dans la parentèle Phélypeaux, en épousant, en 1663, Claire-Eugénie Le Picart de Périgny (morte en 1713). La mère de Claire-Eugénie, Catherine Talon, mariée en 1640 au maître des requêtes Jean-Baptiste Le Picart de Périgny, n’était autre que la sœur de Marie-Suzanne Talon qui avait épousé en 1639 Louis Ier de Pontchartrain. Né en 1668 de l’union d’Henri et de Claire-Eugénie, Henri-François Daguesseau, le procureur général, se trouvait donc être, par sa grand-mère Talon, le proche cousin du chancelier Pontchartrain et de son fils Jérôme, le secrétaire d’État. Notons au passage l’esprit de famille de ce même Daguesseau, marié en 1694 à Anne Lefèvre d’Ormesson, fille du maître des requêtes André Lefèvre d’Ormesson : dès 1701, il s’empressera de faire entrer au parquet, comme substitut, son jeune beau-frère, âgé de 20 ans, Henri François-de-Paule Lefèvre d’Ormesson (1681-1756), futur intendant des Finances (1722) et conseiller d’État au Conseil royal des Finances (1742).

33Véritable guide pratique pour se reconnaître dans un très large secteur du réseau Phélypeaux, la famille Talon ne conduit pas seulement, en ce qui concerne le parquet du Parlement, au procureur général Daguesseau, mais aussi à deux des trois avocats généraux en exercice à la même époque que lui. Il s’agit de Guillaume François Joly de Fleury (1675-1756), nommé en 1705, et de Guillaume Lamoignon de Blancmesnil (1683-1772), nommé en 1707. Le premier passera procureur général en 1717, à la place d’Henri François Daguesseau, promu chancelier de France, et restera au parquet jusqu’au moment de se retirer en 1746. Le second quittera ses fonctions d’avocat général en 1723 pour prendre une charge de président à mortier, et, par la suite, en 1750, deviendra chancelier, succédant à Daguesseau démissionnaire. L’un et l’autre se rattachaient étroitement aux Talon. Joly de Fleury était le fils de Madeleine Talon, mariée en 1664 à Jean-François Joly de Fleury, conseiller au Parlement. De son côté, Lamoignon de Blancmesnil avait pour aïeule une Talon par sa mère Marie-Jeanne Voysin, mariée en 1674 à Chrétien François de Lamoignon (1644-1709), avocat général au Parlement de 1673 à 1698 : Marie-Jeanne était la fille du conseiller d’État Daniel Voysin et de Marie Talon. De plus, Madeleine et Marie Talon étaient, toutes les deux, sœurs du célèbre avocat général Omer II Talon, ce qui les rendait cousines germaines de Marie-Suzanne Talon, la mère du chancelier Pontchartrain, et de Catherine Talon, la belle-mère du conseiller d’État Henri Daguesseau, et la grand-mère du procureur général Henri François Daguesseau. Ce dernier et les deux avocats généraux, Joly de Fleury et Lamoignon de Blancmesnil, étaient donc cousins entre eux, et, en même temps, cousins des Pontchartrain. Reste enfin le troisième avocat général, nommé en 1709, Louis IV Chauvelin, qui, lui aussi, se rattachait, mais lointainement, aux Talon, par les Choart de Buzanval. D’autre part, sans remonter si haut, il se rapprochait quelque peu de cette illustre famille parlementaire en sa qualité de neveu d’un Bignon, Jérôme III, les Bignon étant alliés aux Talon par le mariage de Thierry Bignon, oncle de Jérôme III, avec Françoise Talon. Cette Françoise était précisément la sœur de Madeleine et de Marie Talon, ce qui ferme la boucle, en ramenant à nouveau aux avocats généraux Joly de Fleury et Lamoignon de Blancmesnil, collègues de Chauvelin.

  • 55 Cf. J.-F. Solnon, Les Ormesson, Paris, Fayard, 538 p., p. 191-192.

34Ainsi, en ce début du xviiie siècle, le recrutement du parquet de la première cour souveraine du Royaume, caractérisé par l’omniprésence de la parentèle Pontchartrain et Talon, laisse entrevoir, par-delà le quatuor de « gens du Roi » alors en place, l’existence de tout un groupe de familles alliées entre elles, formant un milieu remarquablement homogène dont la puissance ne devait cesser de se renforcer par la suite. La simple énumération des noms des chanceliers de France successifs, de 1699 à 1774, est, à cet égard, éloquente. Louis de Pontchartrain ouvre donc la liste. À sa démission en 1714, le poste passe à Daniel François Voysin, précédemment secrétaire d’État à la Guerre (1709-1714), cousin germain de Marie-Jeanne Voysin, la mère de Lamoignon de Blancmesnil. Voysin disparaissant en 1717, arrive Henri François Daguesseau, qui laisse sa place de procureur général à son cousin Joly de Fleury. Daguesseau connut plusieurs périodes de disgrâce, durant lesquelles, l’office de chancelier étant inamovible, il fut suppléé par un garde des Sceaux révocable. De 1718 à 1720, les sceaux sont confiés à l’ancien lieutenant général de police de Paris Marc René d’Argenson, apparenté, par les Caumartin, à Louis de Pontchartrain qui avait été son grand protecteur sous le précédent règne. Puis, de 1722 à 1727, seconde période de défaveur, ils passent au conseiller d’État Joseph Fleuriau d’Armenonville, apparenté à la fois aux Pontchartrain et aux Chauvelin par sa grand-mère paternelle Marie Bonneau, sœur des financiers tourangeaux Thomas et Jacques Bonneau, déjà cités. Mais surtout, ce Fleuriau était le frère consanguin de Marguerite Fleuriau qui, après avoir eu d’un premier lit avec Jean de Fourcy, Marie-Marguerite de Fourcy, future femme du secrétaire d’État Balthazar Phélypeaux de Châteauneuf, se remariera avec Claude Le Pelletier, le contrôleur général, proche parent des Chauvelin. En 1727, Daguesseau revenait en grâce, avec, toutefois, la nomination d’un nouveau garde des Sceaux, son cousin, le président à mortier Germain-Louis Chauvelin, que l’on a vu succéder en 1715, comme avocat général, à son frère Louis IV Chauvelin. La chute, en 1737, de Chauvelin, qui était, en même temps, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, permettra à Daguesseau de retrouver la plénitude de ses fonctions jusqu’à sa démission en 1750. Le successeur pressenti fut son propre beau-frère, l’intendant des Finances Henri François-de-Paule Lefèvre d’Ormesson, qu’il avait fait débuter jadis, en 1701, comme substitut au parquet. Précisons que celui-ci était le petit-fils du maître des requêtes Olivier Lefèvre d’Ormesson (1616-1686) et de Marie de Fourcy (morte en 1685), elle-même sœur de Jean de Fourcy, le beau-père du secrétaire d’État Phélypeaux de Châteauneuf. D’Ormesson ayant refusé la chancellerie en raison de son âge et de sa santé55, le choix de Louis XV se reporta sur le cousin de Daguesseau, Guillaume de Lamoignon de Blancmesnil, l’ancien avocat général au parlement de Paris (1707-1723), devenu, par la suite, président à mortier au parlement, puis, à partir de 1746, premier président de la Cour des aides. Lamoignon attendra d’avoir l’âge de 85 ans, en 1768, pour se résigner à la démission. Son successeur fut encore un parent, l’énergique René Nicolas de Maupeou, artisan de la grande réforme parlementaire des dernières années du règne de Louis XV, exilé par le jeune Louis XVI, dès le mois d’août 1774, peu après son avènement. Fils de René Charles de Maupeou, ancien premier président du parlement de Paris devenu vice-chancelier (1763-1768), le nouveau chancelier, lui-même, auparavant, premier président du Parlement, avait pour mère une Lamoignon, Anne-Victoire, fille du conseiller d’État Urbain Guillaume de Lamoignon de Courson (1674-1742). Ce Courson et Lamoignon de Blancmesnil étaient cousins germains. D’autre part, le chancelier Maupeou appartenait à une famille qui, au cours du xviie siècle, s’était pleinement intégrée au réseau Phélypeaux par plusieurs alliances. Son grand-père, par exemple, René III de Maupeou, président aux Enquêtes du Parlement, mort en 1710, était cousin issu de germain de Marie de Maupeou, l’épouse du chancelier Pontchartrain.

35Considéré à un moment précis, c’est-à-dire dans la dernière décennie du règne de Louis XIV, le parquet du parlement de Paris présente ainsi la particularité d’avoir été composé d’hommes promis aux plus hautes fonctions. Mis à part Chauvelin aîné, emporté par la maladie, et Joly de Fleury, qui continuera dans le ministère public, il sortira, en effet, de ce parquet, deux chanceliers, Daguesseau et Lamoignon, et un garde des Sceaux, Chauvelin cadet. S’y ajoute, trait non moins caractéristique, le fait que ces cinq personnages se trouvaient apparentés au chancelier Pontchartrain qui s’était fait le protecteur de leurs débuts. Ce dernier aspect, à vrai dire, se retrouve, plus ou moins prononcé, dans la plupart des secteurs contrôlés par les Pontchartrain, qu’il s’agisse de Louis ou de Jérôme, les deux ministres s’étant toujours montrés attentifs à bien placer leurs « créatures », parents, alliés et clients. Or, par la suite, nombre de ces protégés se retrouveront, eux-mêmes ou leurs descendants, confortablement établis dans le cercle étroit, et de plus en plus fermé, des « serviteurs-dominants » de la monarchie. On en reparlera plus loin. Voyons donc, dans le cas des chanceliers Daguesseau et Lamoignon, comme dans celui des gardes des Sceaux Voyer d’Argenson, Fleuriau d’Armenonville et Chauvelin, autant d’exemples, parmi beaucoup d’autres, de la perpétuation dans les grands emplois, au-delà de la première moitié du xviiie siècle, de toute une parentèle Phélypeaux qui hantait déjà les allées du pouvoir sous le règne de Louis XIV. À ce propos, l’arrivée de Maupeou à la Chancellerie en 1768 prend encore valeur d’exemple illustrant ce phénomène de longue durée, puisque le dernier chancelier de Louis XV se rattachait, lui aussi, au groupe de familles précité qui évoluait jadis dans l’orbite des Pontchartrain (tableau 17).

36Dans ce groupe, on a insisté plus particulièrement sur les Chauvelin en raison de leur double appartenance au clan Le Tellier-Le Pelletier et au clan Phélypeaux, celle-ci permettant d’appréhender, dans sa logique et sa dynamique, le mode de fonctionnement d’un réseau de parentèle à l’époque de Louis XIV. Si le chancelier Pontchartrain protégea les deux jeunes fils Chauvelin, et notamment l’aîné, Louis IV, avocat général dès 1709, ce fut, pour une part, parce que leur père, le conseiller d’État Louis III, était le beau-frère de l’un de ses chers neveux Bignon, et que, par surcroît, Louis IV avait épousé la fille de Grouchy, l’un de ses financiers féaux. Cependant les alliances contractées ne sauraient tout expliquer, le bon fonctionnement des réseaux reposant aussi sur la capacité à se rendre mutuellement service. Ici, en la circonstance, le chancelier s’acquittait, envers Louis III Chauvelin, d’une dette ancienne remontant à l’époque où il n’était encore que premier président du Parlement de Bretagne. Fort de ses relations familières avec les Le Pelletier, Chauvelin avait, en effet, poussé activement Claude, le contrôleur général, à faire nommer, en 1687, Louis de Pontchartrain au poste d’intendant des Finances, un pas décisif pour ce dernier qui se retrouvera, deux ans après, à la tête du Contrôle Général. Cette intervention, certes, ne fut pas la seule, s’ajoutant aux multiples pressions déjà mentionnées. Elle introduit cependant un élément nouveau avec l’entrée en scène de la famille Bignon à laquelle Chauvelin se rattachait aussi, étant le beau-frère d’un Bignon.

  • 56 Mémoires de Jean-Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas, publiés par l’abbé Soulavie, Paris, 1792, (...)
  • 57 Cf. Frédéric Lachèvre, Bibliographie des recueils collectifs de poésie publiés de 1597 à 1700, Par (...)
  • 58 « Avancer » un parent, un protégé, terme couramment employé à l’époque à propos des avancements ob (...)

37Selon les Mémoires de Maurepas56, ce serait Suzanne Phélypeaux (1641-1690), l’épouse du conseiller d’État Jérôme II Bignon, qui aurait soufflé à Claude Le Pelletier l’idée de prendre son frère Louis de Pontchartrain comme intendant des Finances. Bien qu’apocryphes, il ne fait guère de doute que ces Mémoires se font, là, l’écho d’une version familiale restée vivace au xviiie siècle et qui apparaît solidement fondée. Réputée galante et fausse dévote, mais aussi femme de haute culture, poétesse à ses heures57 et, en même temps, sœur très dévouée, Suzanne ne manquait ni d’entregent, ni d’audience pour « avancer58 » Pontchartrain au-delà de la présidence du Parlement de Bretagne, premier stade d’une réussite qui avait tant tardé à se dessiner. Elle disposait surtout, en la personne de Louis Chauvelin, d’un précieux intermédiaire près du contrôleur général Le Pelletier. Rappelons que sa bru Françoise Billard, mariée en 1685 à Jérôme III Bignon, était la sœur de Marguerite Billard qui avait épousé en 1683 le même Chauvelin. Le rapprochement des deux dates suggère qu’à travers le mariage de son fils, Suzanne Phélypeaux visait à un resserrement des liens avec le clan Le Tellier-Le Pelletier, par le truchement de Chauvelin. Celui-ci, en effet, occupait une solide position dans ce clan, aux côtés de Claude Le Pelletier, de onze ans son aîné, les deux hommes jouissant de la confiance particulière du vieux chancelier Michel IV Le Tellier qui avait été, pendant longtemps, leur grand protecteur. Cette confiance allait se manifester, une dernière fois, à l’occasion du testament que le chancelier rédigea peu avant sa mort survenue le 26 octobre 1685, exactement un mois après le mariage de Jérôme III Bignon et de Françoise Billard, célébré le 26 septembre :

  • 59 Cf. Luc Normand-Tellier, Face aux Colbert, les Le Tellier…, Presses de l’université de Québec, 198 (...)
  • 60 Cf. Louis André, Deux mémoires…, op. cit., p. 15-18.

38il prit soin de choisir Louis Chauvelin comme dépositaire du testament, et Claude Le Pelletier comme exécuteur testamentaire59. Ce choix caractéristique laisse entrevoir l’influence que pouvait avoir Chauvelin au sein du groupe familial des Le Tellier et Le Pelletier qui se trouvait alors au zénith, le groupe rival des Colbert s’étant quelque peu affaibli depuis la disparition du « grand » Colbert en 1683. Cependant le concours de Chauvelin, si précieux qu’il ait été, ne doit pas pour autant éclipser l’apport personnel de Suzanne Phélypeaux dans l’avancement de la carrière de son frère. Le rôle qu’elle joua découlait, en fait, de son appartenance à la famille Bignon qui valait la meilleure des recommandations près du contrôleur général Claude Le Pelletier, car les Bignon et les Le Pelletier se connaissaient et s’appréciaient de longue date. Ces relations, empreintes d’estime réciproque, l’ancien contrôleur général, au soir de sa vie, les exaltera dans une courte biographie manuscrite consacrée au beau-père de Suzanne, Jérôme Ier Bignon, intitulée Mémoires pour servir à l’histoire de messire Jérôme Bignon, conseiller d’État ordinaire et premier avocat général au Parlement60. L’entente étroite des familles Bignon et Le Pelletier forme ainsi un arrière-plan communiquant une dimension supplémentaire au jeu d’influences qui permit à la dynastie Pontchartrain de sortir de sa longue période d’effacement.

  • 61 Louis Le Pelletier ( ?-1651), commis de Villeroy et secrétaire ordinaire de la Chambre du Roi (160 (...)
  • 62 Mémoires du cardinal de Retz, Pléiade, p. 698.

39Aux dires de Claude Le Pelletier, une « amitié quasi sans exemple » unissait son père Louis Le Pelletier61 et Jérôme Ier Bignon (1590-1656), « le Caton de son temps », comme l’appelait le cardinal de Retz62. Personnalité dominante, avec son collègue Omer II Talon (1595-1652), du parquet du parlement de Paris à l’époque de Richelieu et de Mazarin, Jérôme Bignon était réputé aussi pour ses travaux d’érudition qui lui valurent d’ajouter à ses fonctions d’avocat général la charge de grand-maître de la Bibliothèque du Roi, poste où brillera plus tard son petit-fils, l’abbé Jean-Paul Bignon. De plus, avant d’entamer sa carrière de magistrat, il s’était distingué très tôt, en publiant, dès 1610, un important traité, au titre suggestif De l’excellence des Rois et du Royaume de France (Paris, chez Jérôme Drouart, VIII524 p.). Cet ouvrage l’apparentait au groupe des juristes théoriciens de la souveraineté, tels André Duchesme, Guy Coquille et Charles Loyseau, qui, au lendemain de l’anarchie des guerres de religion et de la restauration de l’État par Henri IV, préconisaient un dépassement des constitutions coutumières dans un sens favorable au renforcement de l’autorité royale. L’émergence du concept de monarchie absolue, sous-jacente au phénomène d’identification entre le Roi et l’État, ne pouvait que renforcer la conscience de l’indépendance nationale de l’Église de France par rapport à Rome, surtout lorsque l’assassinat d’Henri IV et la politique pro-espagnole de la Régente Marie de Médicis vinrent raviver l’hostilité à l’ultramontanisme momentanément assoupie par la politique du Béarnais.

40C’est dans cette ambiance de réaction gallicane qu’en 1612 Jérôme Bignon produisait un second traité au titre suggestif, La grandeur de nos rois et leur souveraine puissance, pratiquement au même moment où le syndic de la Sorbonne Edmond Richer sortait son De ecclesiastica et politica potestate libellus (éd. latine, 1611, éd. française, 1612) attribuant au roi le droit de décider si l’organisation de l’Église de France était conforme aux règles canoniques. Bignon, comme Richer, suivait là les traces de Pierre Pithou (1539-1596) qui, le premier, dans son traité sur Les libertés de l’Église gallicane (1594), s’était efforcé de préciser les limitations apportées au pouvoir pontifical en territoire français, définissant en 83 points les libertés gallicanes jusque-là jamais clairement dénombrées.

  • 63 Louis Le Pelletier avait épousé en 1626 Marie-Louise L’Eschassier, fille de Jean L’Eschassier, con (...)
  • 64 Sainte-Beuve, Port-Royal, Pléiade, 2 vol., t. 1, p. 340.
  • 65 Ibid., t. 1, p. 678.

41L’évocation de ce célèbre jurisconsulte, qui fut, par ailleurs, l’un des rédacteurs de la Satire Ménippée, permet de jeter quelque lumière sur les affinités dont se nourrissait l’amitié entre Jérôme Bignon et Louis Le Pelletier. Celui-ci, qui avait épousé la petite-fille de Pierre Pithou63, était, en effet, imprégné des idées de l’auteur des Libertés de l’Église gallicane, de même que son proche entourage familial. Ainsi, démarche significative, son fils Claude, le contrôleur général, consacrera une bonne part de ses studieux loisirs à l’édition des œuvres de son bisaïeul maternel et à celles du frère et collaborateur de ce dernier, François Pithou, auteur, entre autres ouvrages, d’un traité intitulé De la grandeur, des droits, prééminences et prérogatives des rois et du royaume de France (1587, in-8°). Une conformité de pensée rapprochait donc les Le Pelletier et les Bignon, quant aux aspects politiques du gallicanisme, et il paraît en avoir été de même sur le plan purement religieux. Le gallicanisme pouvait mener au jansénisme alors à ses débuts. Ce fut le cas de Jérôme Bignon, gagné très tôt à la cause de Port-Royal par la fréquentation assidue de Duvergier d’Hauranne, abbé de Saint-Cyran, qui s’était d’abord avancé sous le couvert des idées gallicanes, avant, selon l’expression de Sainte-Beuve, de démasquer « ce qui lui était propre64 », c’est-à-dire sa collusion avec Cornelius Jansen, dit Jansenius, évêque d’Ypres. Dès 1627, on le voit plaider en faveur des religieuses de Port-Royal. Puis, en 1637-1638, les « petites écoles » de Messieurs de Port-Royal étant à peine formées, il leur confiait l’éducation de ses deux fils, Jérôme II l’aîné (futur époux de Suzanne Phélypeaux) et Thierry le cadet, pour lesquels, à sa demande, Saint-Cyran rédigea une sorte de petit catéchisme intitulé Théologie familière. Et, à la génération suivante, sa petite-fille Christine Briquet, dont le père, Étienne Briquet, était, lui aussi, avocat général, sera également mise à Port-Royal dès sa prime enfance. Elle y deviendra « la plus parfaite élève » de la mère Angélique Arnauld, puis, une fois venu le temps des persécutions, la plus exaltée des nonnes et « la plus vaillante à résister au choc65 ». Ces persécutions, Jérôme Bignon en avait, lui-même, connu les prémices, du vivant de Richelieu. En 1638, le Cardinal-Ministre, excédé par les écrits et les menées de Saint-Cyran, avait fait interner à Vincennes le directeur spirituel de Port-Royal qui ne sera libéré que cinq ans plus tard, après la mort de Richelieu. Dès l’emprisonnement de Saint-Cyran, Bignon multiplia les démarches pour obtenir son élargissement. Cette insistance lui valut de devoir, en 1641, se démettre de sa charge d’avocat général qui passa à son gendre Étienne Briquet. Mais, en la circonstance, l’amitié de Louis Le Pelletier, qui partageait ses sentiments et approuvait sa conduite, n’allait pas lui faire défaut. À la mort de Briquet en 1645, l’influence conjuguée de Le Pelletier et de son ancien pupille Michel Le Tellier, secrétaire d’État, lui permettait non seulement de réintégrer le parquet, mais aussi d’obtenir la survivance de sa charge pour Jérôme II qui exercera les fonctions d’avocat général de 1651 à 1673.

  • 66 Ibid., t. 1, p. 687.
  • 67 Ibid., t. 2, p. 507.
  • 68 Marie de Maupeou était la fille de Pierre de Maupeou et Marie Quentin de Richebourg, et la petite- (...)
  • 69 Lettre de Quesnel à Du Vaucel à Rome, Bruxelles, janvier 1692, citée dans Correspondance de Pasqui (...)

42L’exemple de Jérôme Ier Bignon, avec son attachement à Port-Royal et sa sensibilité à l’influence de Saint-Cyran, propagandiste du premier jansénisme, illustre bien comment ce mouvement parvint à s’implanter en France à l’époque de Richelieu. Ce fut, principalement, en se greffant sur la haute culture d’une élite de robe, et cela quel qu’ait été le nombre des prosélytes de Port-Royal parmi les grands seigneurs et les grandes dames de la cour, à l’engouement souvent passager. « Le vrai fonds solide, le support quotidien, écrit, à ce propos, Sainte-Beuve, nous le touchons ici : les Arnauld, comme noyau et comme souche, les Bignon comme alliance et embranchement dans le monde66. » On saura gré au perspicace historien de Port-Royal d’avoir ainsi mis en valeur, aux côtés de la prestigieuse famille des Arnauld, le rôle des Bignon, un rôle ordinairement plutôt négligé, et qui, pourtant, mériterait d’amples développements. En réalité, derrière Jérôme Ier Bignon, le chef de file, c’est tout un monde aux idées gallicanes et aux tendances volontiers jansénisantes qui se profile. Ses fils, Jérôme II et Thierry, qui termineront, le premier, au Conseil d’État, comme conseiller ordinaire, le second, au Grand Conseil comme premier président, « restèrent exactement fidèles aux principes de leur éducation, reconnaissants jusqu’au bout envers Port-Royal67 ». Et leurs épouses elles-mêmes, Suzanne Phélypeaux et Françoise Talon, ne pouvaient que contribuer à les renforcer dans cette fidélité, compte tenu de l’environnement familial de l’une et de l’autre. Suzanne, très liée, on l’a dit, à son frère Louis II de Pontchartrain, l’était aussi à la femme de celui-ci, Marie de Maupeou, une femme pieuse et charitable, élevée dans le respect de son grand-oncle Nicolas Pavillon68, le vertueux évêque janséniste d’Alet (de 1637 à 1677) qui s’opposa courageusement au roi tant à propos de l’affaire du « Formulaire » (1665) que de celle de la « Régale » (1673). Signalons, au passage, que le couple Pontchartrain prendra sous protection le neveu du prélat, le poète Étienne Pavillon, et le fera entrer à l’Académie française en 1691. À cette occasion, le doyen de l’Académie François Charpentier prononça un discours de réception comportant « un grand éloge de feu M. d’Alet », ce qui provoquait l’ironie désabusée de l’oratorien janséniste Pasquier Quesnel, réfugié à Bruxelles, et écrivant à l’un de ses correspondants : « On a mis dans le Journal des Savants le discours fait à la réception de M. Pavillon à l’Académie, et où M. d’Alet est fort loué. Il est devenu plus louable depuis que Mme de Pontchartrain, sa petite-nièce, est femme d’un ministre d’État, contrôleur des Finances69. »

  • 70 La mère de Suzanne Phélypeaux, Marie-Suzanne Talon (mariée à Louis Ier de Pontchartrain), était la (...)

43Suzanne Phélypeaux ne baignait pas seulement dans un milieu jansénisant par le truchement des alliances, avec son mari Jérôme II Bignon et sa belle-sœur, la comtesse de Pontchartrain, née de Maupeou. Intervenaient aussi ses propres ascendances familiales. Comme son autre belle-sœur, qui était en même temps sa cousine, Françoise Talon, épouse de Thierry Bignon, Suzanne se rattachait, par sa mère, née Talon, à une dynastie d’avocats généraux que leur vigilance gallicane portait à prendre la défense des théologiens jansénistes face au magistère romain. Cette vigilance, le plus célèbre d’entre eux, Omer II Talon – le père de Françoise et le grand-oncle maternel de Suzanne70 – la manifesta, de manière caractéristique, lorsqu’en 1644, Antoine Arnauld reçut de la Reine régente Anne d’Autriche l’ordre d’aller en cour de Rome s’expliquer sur son traité De la fréquente communion paru l’année précédente. Sur les réquisitions d’Omer, le parlement de Paris s’éleva énergiquement contre ce commandement fait à un régnicole.

  • 71 « Relation par Omer Talon, avocat général, de ce qui s’est passé au Palais-Royal et au Parlement a (...)

« Il est extraordinaire et sans exemple, protestaient Messieurs du Parlement, que le Roi envoie ses sujets à Rome pour s’expliquer à Rome de leurs actions, ni de leur doctrine, attendu que l’un des grands et plus communs privilèges de l’Église gallicane consiste en ce que les Français ne sont point obligés de sortir de leur royaume pour être jugés de quelque différend que ce puisse être71. »

  • 72 Bibliotheca Talaena…, catalogue de 412 pages, non daté, BN, Mss Fonds latin 17167.
  • 73 Ce Jacques Talon (1598-1671) était le fils de Nicolas Talon, procureur au Parlement (†1618), frère (...)
  • 74 Louis de La Valette (1593-1639), archevêque de Toulouse, cardinal en 1621, était un homme lige de (...)
  • 75 René Pucelle était le fils de Claude Pucelle (1619-1660), avocat au Parlement, et de Françoise Cat (...)
  • 76 Couramment appelé Les Réflexions morales, l’ouvrage de Quesnel s’intitulait exactement Le Nouveau (...)
  • 77 Les bulles papales n’étaient reconnues en France qu’après avoir été vérifiées, reçues et enregistr (...)
  • 78 Le 15 février 1714, sur « l’exprès commandement du Roi », le parlement de Paris dut enregistrer la (...)
  • 79 Chiffre donné par Barbier pour l’année 1732, Journal…, t. 4, p. 373.

44Quant à son fils Denis Talon (1628-1698), autre gallican résolu, qui lui succéda en 1652 comme avocat général, il passait pour être « tout acquis à la cause de Port-Royal ». À cet égard, l’inventaire après décès de sa bibliothèque, riche de plus de 4 500 ouvrages, ne laisse guère de doute sur ses sentiments. On y trouve, côte à côte, les œuvres de Saint-Cyran, le traité De la fréquente communion, une Apologie de Jansenius et de la doctrine de Saint-Augustin, des écrits d’inspiration janséniste dus à des auteurs oratoriens, sans oublier, présence révélatrice, un choix de titres relevant de la littérature polémique contre les Jésuites72. Ces tendances favorables à « la secte », dont, très probablement, Denis hérita de son père, paraissent avoir été répandues dans la famille Talon. Elles expliqueraient pourquoi le frère d’Omer, Charles Talon, docteur en théologie, curé de Saint-Gervais, nommé évêque de Léon en 1637, n’obtint pas de Rome l’institution canonique, et pourquoi le cousin germain du même Omer, Jacques Talon73, se fit oratorien sur le tard, en 1648, à l’âge de 50 ans, après avoir été substitut du procureur général du parlement de Paris, puis secrétaire du cardinal de La Valette74. Rappelons, en effet, que la congrégation de l’Oratoire était alors un foyer de jansénisme et qu’elle n’en sera « purgée » qu’une trentaine d’années plus tard, sous l’impulsion de l’archevêque de Paris François d’Harlay. En tout cas, l’histoire du jansénisme parlementaire au xviiie siècle laisse entrevoir la perpétuation d’une sorte de tradition politico-religieuse au sein de cette même famille, en la personne du fougueux abbé René Pucelle (1655-1745) qui était petit-fils d’une Talon et cousin issu de germains de l’avocat général Denis Talon75. Conseiller clerc de la Grand’ Chambre depuis 1684, Pucelle fut en 1714-1715, aux côtés du procureur général Daguesseau et de l’avocat général Joly de Fleury, l’un des champions de la résistance du Parlement à la réception de la bulle Unigenitus qui, dénonçant, comme « fausses ou suspectes », 101 propositions extraites des Réflexions morales du père Quesnel, équivalait à une condamnation globale des thèses jansénistes76. La mort du vieux Roi, grand persécuteur de « la secte », vint sonner l’heure de la revanche pour les adversaires de la bulle devenue entretemps « constitution77 », tout en restant à leurs yeux irrecevable, comme étant contraire aux « libertés de l’Église gallicane » et aux « maximes du royaume78 ». Dès le premier mois de la Régence, Daguesseau, Joly de Fleury et Pucelle se voyaient, en effet, promus membres du Conseil de Conscience institué dans le cadre de la Polysynodie et présidé par Noailles, cardinal-archevêque de Paris, autre opposant notoire à la constitution Unigenitus. Pucelle devait d’ailleurs bientôt se démarquer de ses collègues du Conseil par son zèle « anticonstitutionnaire » et par son refus de tout accommodement. Il sera ainsi amené à s’opposer de plus en plus à Daguesseau devenu chancelier en 1717, et à se faire, jusqu’au-delà de 1730, l’animateur infatigable, au sein du Parlement, d’une minorité agissante d’environ soixante personnes « entêtées sur le jansénisme79 ». Cette obstination, source constante d’agitation parlementaire, lui vaudra d’être mis en état d’arrestation en 1732 et finalement d’être relégué dans son abbaye de Saint-Léonard de Corbigny dont il avait été pourvu en 1694.

  • 80 Saint-Simon, t. 5, p. 41.
  • 81 Henri-François Daguesseau était le fils du conseiller d’État Henri Daguesseau et de Claire-Eugénie (...)
  • 82 Guillaume-François Joly de Fleury était le fils de Jean-Francois Joly de Fleury, conseiller au Par (...)

45Le Conseil de Conscience mis en place au mois de septembre 1715, aussitôt après la disparition de Louis XIV, se limitait, en dehors de Noailles son président, à un prélat, Armand Bazin de Bezons, archevêque de Bordeaux, et aux trois parlementaires déjà mentionnés, Daguesseau, Joly de Fleury et Pucelle, tous quatre rompus à la pratique des « affaires temporelles et bénéficiales du clergé ». Mais le Régent les avait choisis également pour apaiser la querelle de l’Unigenitus en donnant des gages aux défenseurs des idées gallicanes quelque peu oubliées par le « feu Roi ». Aussi, comme le dit Saint-Simon, « la composition de ce conseil déplut-elle horriblement aux chefs du parti de la Constitution80 ». Sous le précédent règne, en effet, Daguesseau et Joly de Fleury s’étaient trop fait connaître par leur détermination face au clan ultramontain, et de plus, chez Pucelle, très en flèche, le gallicanisme se doublait d’un jansénisme militant. Quant à Monsieur de Bordeaux, sans être ouvertement « anticonstitutionnaire », il avait toujours pris soin de ménager Noailles et de garder ses distances avec l’élément jésuite avancé qui bataillait ferme pour l’application, sans restriction aucune, de la constitution Unigenitus. Or, liens de parenté caractéristiques qui ne sauraient être négligés, ces quatre membres du Conseil de Conscience étaient tous cousins, chacun d’entre eux comptant une Talon dans sa proche ascendance. L’abbé René Pucelle avait pour aïeule maternelle Suzanne Talon, sœur d’Omer Ier, avocat au Parlement (mort en 1618), lui-même père d’Omer II, le célèbre avocat général. Bezons, l’archevêque, frère du maréchal de France, était le petit-fils d’une autre Suzanne Talon, sœur d’Omer II. Le procureur général Henri-François Daguesseau, futur chancelier, était, lui aussi, petit-fils d’une Talon, Catherine, nièce d’Omer II et sœur de Marie-Suzanne, l’épouse de Louis Ier de Pontchartrain81. Enfin l’avocat général Guillaume-François Joly de Fleury était, par sa mère Madeleine Talon, le petit-fils d’Omer II et le neveu de l’avocat général Denis Talon82 (tableau 18).

46Les attaches communes de ces quatre hommes avec la grande dynastie parlementaire des Talon ne paraissent pas avoir été sans incidence sur leurs prises de position dans l’affaire de l’Unigenitus. Il ne fait guère de doute, en effet, que la famille Talon au sens le plus large, y compris les apparentés, ait formé un milieu résolument acquis au gallicanisme et, au moins dans une certaine mesure, réceptif aux influences jansénistes. Henri-François Daguesseau, notamment, en gardera une forte empreinte. Tôt initié par son père à la pensée de Pierre Pithou et de ses émules, en même temps qu’à l’enseignement des Messieurs de Port-Royal, il témoignera toujours de sa fidélité à cette éducation politico-religieuse, tant dans la vie publique par sa fermeté sur les principes gallicans, que dans la vie privée par sa piété et la rigueur de ses mœurs. À ce propos, Sainte-Beuve a finement analysé le caractère de la formation port-royaliste reçue par le futur chancelier :

  • 83 Sainte-Beuve, Port-Royal, op. cit., t. 2, p. 602.

« Daguesseau, écrit-il, pourrait être considéré, en un certain sens, comme un élève de Port-Royal, non pas un élève direct et formé de la main des maîtres, mais un élève libre et un peu vague des ouvrages et des méthodes de ces Messieurs, l’élève éclectique en quelque sorte, offrant la transition de Port-Royal au xviiie siècle. Et d’ajouter : Il y aurait à faire, dans cette vue, une étude assez délicate sur ce personnage plus gallican que janséniste83. »

  • 84 C’est ainsi qu’en 1728, le chancelier Daguesseau réussit à convaincre le cardinal de Noailles d’en (...)

47En tout cas, lorsqu’en 1714-1715, au plus fort de la bataille de l’Unigenitus, Daguesseau s’imposera comme « l’âme du Parlement » en sa qualité de procureur général, ses ennemis ultramontains ne manqueront pas de le taxer de jansénisme afin de mieux le perdre aux yeux du Roi. Pourtant rien n’indique qu’une sympathie partisane ait inspiré son attitude, ou plus exactement ses attitudes successives dans cet interminable conflit aux rebondissements multiples. Homme de tiers parti, soucieux avant tout de paix civile, il s’emploie dans un premier temps, jus-qu’en 1715, à ménager les jansénistes, évitant de cautionner la politique de répression qui s’abattait alors sur eux sous forme d’interdictions de leurs écrits et d’internements, par lettres de cachet, pour les récalcitrants ; puis, sous la Régence, la position des persécutés d’hier s’étant renversée, il s’efforce désormais d’étouffer les menées subversives des éléments les plus virulents de la « secte » en s’appuyant sur l’élément modéré et en poussant celui-ci à l’acceptation de la « constitution84 » pour couper court à un mouvement contestataire menaçant à la fois Rome et l’État. En conclusion, Daguesseau, malgré ses relations étroites avec nombre de jansénistes notoires, ne fut jamais véritablement des leurs. Tout au plus peut-on le qualifier de « jansénien », c’est-à-dire d’adepte de cette morale port-royaliste si caractéristique du xviie siècle, « le siècle des âmes », profondément marqué par une volonté de purification de la foi et de ses dévotions.

  • 85 Rappelons que les délibérations du Conseil d’En haut ne donnaient lieu à aucun procès-verbal. Les (...)
  • 86 AN, Archives privées, sous-série 207 AP (fonds Maurepas), 257 APl, dossier 4, Minutes du chancelie (...)
  • 87 « Mandement et instruction pastorale pour la publication de la Constitution de N.S.P. le Pape du 8 (...)

48Par cette forme de sensibilité religieuse, comme par son comportement nuancé et parfois ambigu devant le problème du jansénisme, Henri-François Daguesseau apparaît représentatif d’un type de haut magistrat largement répandu dans le groupe de familles parlementaires mentionné plus haut, en particulier chez les Talon, les Bignon, les Phélypeaux et les Le Pelletier. Parmi tous ces cousins et alliés issus d’un milieu remarquablement homogène, le profil de Daguesseau amène précisément à évoquer celui de Louis de Pontchartrain, tant semble avoir été complète la concordance de vues entre ces deux hommes qui occupèrent à peu d’années d’intervalle, et l’un et l’autre avec brio, le poste de chancelier de France. Fils d’une Talon, et « élevé dans le Parlement et dans ses maximes » (Saint-Simon), Pontchartrain, qui siégea au Conseil d’En haut de 1690 à 1714, passera, une fois devenu chancelier (1699), pour en être le membre le plus vigilant « sur les matières de Rome » et le plus opposé aux entreprises du parti jésuite85. De fait, maître de la censure en sa qualité de chancelier, il s’efforcera d’empêcher la propagation en France des livres de religion imprimés à Rome qui véhiculaient, selon sa propre expression « les maximes les plus détestables des docteurs ultramontains86 ». De même, on le verra cautionner et soutenir le travail d’obstruction mené au parquet du Parlement par Daguesseau face aux interventions romaines dans la querelle janséniste, l’un et l’autre jouant alors un rôle essentiel dans la défense des principes gallicans aux côtés de Noailles, le cardinal-archevêque de Paris. Enfin sa démission de la Chancellerie, le 2 juillet 1714, sera elle-même étroitement liée, entre autres raisons, à l’affaire de l’Unigenitus, Pontchartrain ayant pris prétexte, pour se retirer, d’un arrêt du Conseil en préparation (promulgué le 7 juillet suivant) frappant l’évêque de Metz Henri-Charles de Coislin, auteur d’un mandement explosif qui, sous couvert d’accompagner la publication de la bulle papale, en constituait plutôt une réfutation critique87.

  • 88 Cf. Antoine Adam, Histoire de la littérature française au xviie siècle, Paris, 1956, t. 5, p. 72-7 (...)
  • 89 Correspondance de Pasquier Quesnel, op. cit., t. 2, p. 65.
  • 90 Ibid., t. 2, p. 68-70.

49Gallican non moins résolu que Daguesseau, le chancelier Pontchartrain partageait encore avec lui le même souci de ménager les jansénistes et en même temps celui de ne pas trop se compromettre au service de leur cause. Ainsi, il ne fera rien pour empêcher l’expulsion des religieuses de Port-Royal-des-Champs en 1709, puis la destruction des bâtiments de l’abbaye en 1710. Par contre, entre 1707 et 1711, il s’emploiera activement pour que le vieux Boileau, fervent admirateur du « Grand Arnauld », puisse publier son poème théologique d’inspiration augustinienne, L’Équivoque, qui était aussi une œuvre de combat contre le parti jésuite, émaillée de diatribes contre la morale relâchée des casuistes. Finalement, sur l’intervention personnelle de Louis XIV, le Chancelier devra renoncer à accorder le privilège d’impression à ce qui fut la dernière œuvre de Boileau88. Cette attitude amène à poser la question : Louis de Pontchartrain était-il janséniste ? On pourrait le supposer à la lecture de la correspondance du théologien oratorien Pasquier Quesnel, l’auteur des Réflexions morales, qui, depuis la mort d’Antoine Arnauld (1694), faisait figure de chef du parti janséniste. « On ne peut faire meilleur choix » se réjouissait Quesnel à la nouvelle de la nomination de Pontchartrain à la Chancellerie, dans une lettre du 12 septembre 1699, écrite de Bruxelles où il s’était réfugié89. Et le 17 octobre, il commentait ainsi cette nomination : « Oui, voilà un nouveau chancelier. Il est vrai qu’il aime l’Oratoire. Il s’y confesse. Il a une chambre à l’Institution où il allait jadis, les bonnes fêtes90. » Précisons, au passage, que l’ » Institution », sise faubourg d’Enfer, était une annexe de l’Oratoire, lui servant de noviciat, et que Pontchartrain choisit de s’y retirer aussitôt après sa démission en 1714. Dans cette même lettre du 17 octobre, Quesnel n’oubliait pas de mentionner, comme autre motif de sa satisfaction, les bonnes dispositions de l’épouse du nouveau chancelier, Marie de Maupeou. Précisant que celle-ci avait été autrefois sa pénitente et qu’elle gardait encore « beaucoup de considération pour lui », il ajoutait : « Elle aime les amis de la vérité [les jansénistes], comme petite-nièce de feu M. Pavillon, évêque d’Alet, par sa mère, nièce de ce prélat. » Née Quentin de Richebourg et mariée à Pierre III de Maupeou, président aux Enquêtes, la mère de Marie de Maupeou était, en effet, rappelons-le, la fille de Bonaventure Quentin de Richebourg, trésorier de l’Épargne, et de Catherine Pavillon, sœur de M. d’Alet.

  • 91 Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 4, appendice n° 3, « Sur la retraite du chancelier de Pontchart (...)
  • 92 La mère du surintendant Nicolas Fouquet, Marie de Maupeou (mariée à Francis Fouquet, maître des re (...)
  • 93 Azema, Un prélat janséniste, Louis Fouquet, évêque et comte d’Agde (1656-1702).

50Certes, comme on le verra plus loin, le chancelier Pontchartrain était avant tout un politique, veillant, par exemple, en matière de censure des livres de religion, à ce que ne soit publié aucun ouvrage susceptible de raviver les querelles, qu’il s’agisse d’écrits jansénistes, d’écrits quiétistes, de traités ultramontains et même de traités « exagérément » gallicans. Mais le témoignage de Quesnel n’en reste pas moins digne d’intérêt, émanant d’un prêtre qui avait jadis approché la famille Pontchartrain en sa qualité de confesseur de la future chancelière. Tant par l’évocation des liens de Louis de Pontchartrain avec l’Oratoire que par celle du profil spirituel de Marie de Maupeou, il aide à cerner l’environnement de ce couple au point de vue religieux. L’attachement de Pontchartrain à l’Oratoire était bien connu. Saint-Simon notamment en parle, et dans des termes très voisins de ceux de Quesnel. « L’Institution de l’Oratoire, écrit-il, était le lieu où, depuis son retour de Bretagne (en 1687), il se retirait à toutes les bonnes fêtes dans un petit appartement qu’il louait au-dedans91. » Cet attachement se comprend d’autant mieux que chacun des deux époux comptait des Oratoriens dans sa parenté. Marie de Maupeou était cousine des Fouquet92, une famille très liée à l’Oratoire. Frère de l’ancien surintendant des Finances Nicolas Fouquet, l’évêque d’Agde Louis Fouquet (1633-1702), prélat janséniste imprégné de la doctrine de M. d’Alet, se fera le protecteur des établissements oratoriens dans son diocèse93. Son neveu Charles-Armand Fouquet (1657-1734), fils du surintendant, entré à l’Oratoire en 1680, janséniste convaincu, exécuteur testamentaire de Nicole, deviendra en 1705 assistant du général de l’Oratoire, le père Pierre-François d’Arères de La Tour, à qui il aurait dû succéder si son appel de la bulle Unigenitus ne l’avait fait exclure. Ce père de La Tour, quoique taxé de jansénisme à la Cour, était lui-même un familier des Pontchartrain, pour avoir été le confesseur de la jeune épouse de Jérôme de Pontchartrain, Éléonore de La Rochefoucauld-Roye, depuis le mariage de celle-ci en 1697, à l’âge de 16 ans, jusqu’à sa mort précoce, dix ans plus tard, en 1708. Enfin la présence d’un autre oratorien, personnalité d’envergure, ne saurait être négligée. C’était, travaillant aux côtés du chancelier Pontchartrain, son neveu préféré, l’abbé Jean-Paul Bignon, chargé de la direction du « bureau de la Librairie » qui régissait la censure. Tout en menant une vie fort peu austère, l’abbé Bignon saura se montrer fidèle aux amitiés oratoriennes, même les plus compromettantes, comme celle du prédécesseur du père de La Tour au généralat, le père Louis-Abel de Sainte-Marthe, contraint de démissionner en 1696 pour ses positions augustiniennes. En même temps, il ne cessera de protéger les savants et les lettrés qui contribuaient alors au prestige de l’Oratoire, faisant de cet institut le grand rival de la Compagnie de Jésus.

  • 94 En 1691, Armand Bignon de Blanzy (1666-1724), alors avocat général à la Cour des aides (depuis 168 (...)
  • 95 Agnès Hébert du Buc (1670-1757) était la fille du maître des requêtes Pierre André Hébert du Buc ( (...)
  • 96 Marie Brunet était la fille du financier Paul-Étienne Brunet de Rancy († 1717), frère de J.-B. Bru (...)
  • 97 Saint-Simon, Mémoires, éd. Cheruel, t. 9, p. 4-5.
  • 98 Beauvillier siégea au Conseil d’En haut de 1691 à sa mort en 1714. Sa femme, Henriette Colbert, fi (...)
  • 99 Saint-Simon, éd. Cheruel, t. 8, p. 286.
  • 100 Saint-Simon, éd. Pléiade, t. 4, p. 330.

51Cette prédilection de l’oncle et du neveu pour une congrégation fortement marquée par ses sympathies jansénistes n’était pas sans rapport avec l’existence d’une tradition familiale port-royaliste entretenue par les alliances, et cela jusqu’à la fin du siècle. Ainsi, en 1697, l’un des frères de l’abbé Bignon, le maître des requêtes Armand Bignon de Blanzy, déjà veuf de Françoise Brunet, fille de fermier général94, s’alliait, en la personne d’Agnès Hébert du Buc, à une nièce de Simon Arnauld de Pomponne, ministre d’État et secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 1672, disgracié en 1679, et à nouveau ministre d’État de 1691 à sa mort en 169995. Un an avant cette union, en 1696, la fille de Pomponne, Catherine-Félicité Arnaud, avait épousé Jean-Baptiste Colbert de Torcy, fils de Charles Colbert de Croissy, ministre d’État et secrétaire d’État aux Affaires étrangères depuis 1679, en remplacement de Pomponne. Croissy disparaissant cette même année 1696, Torcy lui succédait comme secrétaire d’État, sous la tutelle toutefois de son beau-père Pomponne durant trois ans, pour ensuite diriger seul le département des Affaires étrangères jusqu’à l’établissement de la Polysynodie. De son côté, Armand Bignon de Blanzy, bien protégé par Pontchartrain, fera, comme on l’a déjà dit, une belle carrière administrative, devenant intendant des Finances en 1699, puis intendant de Paris et conseiller d’État en 1709. Notons, au passage, que la cousine germaine de sa première femme, Marie Brunet, épousera en 1711 le frère de Torcy, Louis-François Colbert de Croissy, lieutenant général des armées du roi et ambassadeur en Suède en 171396. Mais c’est l’union de Blanzy et de la nièce de Pomponne qui importe ici. En s’apparentant, par sa femme, aux Arnauld, Blanzy réactualisait, en quelque sorte, les attaches de sa famille avec le parti augustinien, dont les plus anciennes remontaient à son aïeul Jérôme Ier Bignon. Neveu du « grand Arnauld » et de la mère Angélique Arnauld, par surcroît très lié aux Fouquet, Pomponne ne cachera jamais, en effet, ses sentiments jansénistes, ce qui ne fut pas étranger à la disgrâce, en 1679, de ce ministre, par ailleurs trop habitué à une diplomatie de la souplesse pour pouvoir se faire l’exécutant efficace de la nouvelle politique annexionniste alors mise en œuvre par le souverain. Non moins fidèle à ses origines, sa fille, Catherine-Félicité Arnauld, était une fervente janséniste, bonne épouse, respectée de son mari et exerçant sur lui, du moins aux dires de Saint-Simon, « un véritable pouvoir qui du cœur passait à l’esprit97 ». En tout cas, influencé ou non par elle, Torcy, comme ministre, se rangeait généralement aux côtés du chancelier Pontchartrain « sur les matières de Rome », n’hésitant pas, dans ce genre d’affaires, à s’opposer à son cousin le duc de Beauvillier, membre très influent du Conseil d’En haut, résolument acquis à la cause ultramontaine, et non moins résolument hostile aux jansénistes98. Les mêmes convictions gallicanes poussaient à cette entente circonstancielle, sans qu’il faille, pour autant, exclure une éventuelle sympathie partagée à l’égard de la cause janséniste. S’agissant du chancelier, cette sympathie, et peut-être plus, ne fait guère de doute. Incontestablement bien informé sur la question, Saint-Simon, qui qualifie Pontchartrain d’ » ennemi réputé des jésuites, et fort soupçonné de jansénisme99 », revient, à plusieurs reprises, sur ce thème, allant même au-delà de la suspicion dans un passage consacré à sa démission de 1714. Le mémorialiste y parle, en effet, de « l’opinion que le Roi avait prise de longue main du jansénisme du Chancelier », opinion qui, assure-t-il, l’avait « fort changé à son égard100 ».

  • 101 Voir, à ce propos, le remarquable essai de José Cabanis, Saint-Simon, l’admirable, Paris, 1975, 23 (...)

52Un zèle particulier à brider, par le moyen de la censure, la propagation des thèses ultramontaines, zèle contrastant, de manière caractéristique, avec un manque évident d’empressement à cautionner la nouvelle politique d’un souverain naguère champion des libertés gallicanes, ou encore des relations étendues et compromettantes dans le milieu oratorien, accompagnées de protections accordées à diverses personnalités taxées de jansénisme et d’efforts à peine voilés pour freiner la répression anti-janséniste, le tout, envenimé par les intrigues de cour, représente autant d’éléments susceptibles d’expliquer que le Roi se soit progressivement détaché de son chancelier, sans cependant vouloir s’en séparer. Homme d’habitudes, d’un naturel plutôt timide, mal à l’aise avec les têtes nouvelles, Louis XIV répugnait à changer de collaborateurs. Ce fut donc Pontchartrain qui choisit de se démettre. À côté du problème des relations avec Rome, d’autres considérations intervinrent dans ce choix : la disparition de la chancelière survenue cette même année 1714 ; le désir de « mettre un intervalle entre la vie et la mort101 » par une pieuse retraite à l’Oratoire ; et, plus concrètement, l’appréhension d’avoir à sceller les dispositions, contraires aux Lois Fondamentales, que le vieux monarque préparait en vue d’assurer la transmission de la Couronne. Mais, avant tout, le chancelier se sentait de plus en plus tenu à l’écart. Il était « éreinté », selon l’expression de Saint-Simon. Durement ressentie au fil des années, à en croire l’amertume de certains de ses propos, la désaffection royale ne fut certainement pas l’un des moindres motifs de sa démission. Et, à l’origine de cette désaffection, il apparaît bien que ses sympathies jansénistes agissantes pesèrent lourdement, tant s’était aggravée la vieille aversion de Louis XIV pour les « sectateurs » de Jansen qu’il tendait, de plus en plus, à confondre avec les « hérétiques », ennemis de l’Église et de l’État.

53Paradoxalement, ces sympathies jansénistes, qui contribuèrent à mettre un terme à la carrière de Louis de Pontchartrain, avaient, une trentaine d’années plus tôt, facilité le démarrage de cette même carrière. On s’est efforcé, au cours de ce chapitre, de retrouver les parents et alliés qui l’aidèrent à sortir de l’obscurité où l’avait plongé la disgrâce de son père consécutive au procès Fouquet. Pour cela, il n’était pas superflu, compte tenu des mentalités de l’époque, de remonter les générations jusqu’à Paul de Pontchartrain et ses frères. Dans le cadre d’une étude biographique, l’exploitation des ressources d’un tableau généalogique se doit d’être sélective, certains liens de parenté restant en quelque sorte « dormants », d’autres, au contraire, s’avérant assez actifs pour déclencher le mécanisme des solidarités. Traditionnellement, le bon fonctionnement de ce mécanisme reposait sur la réciprocité des services rendus. C’était là l’héritage lointain, considérablement transformé, du système féodal. De manière plus moderne, et dans un nombre croissant de cas avec l’enrichissement des « publicains » et la recherche d’alliances dans ce milieu, le jeu des solidarités tendait à se fixer autour de puissants intérêts financiers à défendre, changeant ainsi d’échelle pour s’intégrer à la collusion générale du monde de l’argent. Toutefois ces deux genres de relations, le plus souvent entremêlés, n’étouffaient pas nécessairement, au sein des réseaux de parentèle, l’éclosion de solidarités fondées sur les affinités, et notamment sur un même type de sensibilité religieuse. En ce xviie siècle, réputé « le siècle des âmes », où le problème de la liberté chrétienne et de la toute-puissance de la grâce divine agitait les consciences au point de devenir une affaire d’État, les affinités spirituelles pouvaient, en effet, être génératrices de rapprochements étroits, d’amitiés fidèles, et, face à l’adversité, de regroupements animés d’un fort esprit d’entraide, comme dans le cas de Port-Royal, exposé à l’hostilité latente du pouvoir en raison de son attachement à l’augustinisme. L’amitié « quasi sans exemple » entre Louis Le Pelletier et Jérôme Ier Bignon aux premiers temps de Port-Royal, source d’une profonde et durable entente entre les deux familles dont bénéficiera plus tard Louis de Pontchartrain, illustre précisément, par ses prolongements, l’importance que devait prendre parfois ce dernier genre de solidarité pour l’avancement des carrières. Il ne constituait pourtant nullement un titre de recommandation près du Roi. Mais la contradiction n’est qu’apparente. Les hommes en place, adhérents de « la secte » – et ils étaient nombreux – savaient généralement se garder de ruiner leur crédit par la manifestation d’opinions et de sentiments de moins en moins admis en haut lieu. Chez eux, le crypto-jansénisme paraît avoir été de règle.

  • 102 Cf. Louis André, Deux mémoires…, op. cit., p. 107-169.
  • 103 Louis André, p. 117.

54Cette amitié unissant le père du futur contrôleur général Claude Le Pelletier et Bignon, le beau-père de Suzanne Phélypeaux, introduit, on l’a vu, de plain-pied dans un environnement qui baignait alors, et baignera encore longtemps, dans l’ambiance de Port-Royal. Les diverses protections, qui permirent à Louis de Pontchartrain de « se débourber », étant issues de ce milieu jansénisant, leur origine commune laisse penser que les solidarités port-royalistes ne furent pas étrangères, du moins indirectement, à l’étonnante ascension, sur le tard, de ce simple conseiller au Parlement. Bien qu’il s’en soit défendu par la suite, Claude Le Pelletier fut très probablement l’artisan principal de cette ascension qui, en une douzaine d’années (1677-1689) hissa Pontchartrain jusqu’au sommet, c’est-à-dire à un poste ministériel. Directement derrière lui, à l’appui, se profile la famille Bignon menée par Jérôme II Bignon, conseiller d’État, bibliothécaire du Roi, et par son épouse Suzanne Phélypeaux, sœur dévouée de Pontchartrain. Resté profondément attaché aux Bignon, Claude Le Pelletier devait être d’autant plus sensible à leur influence qu’ayant reçu sensiblement la même formation qu’eux, il s’en trouvait très proche par ses sentiments à l’égard de Port-Royal et par son opinion sur les divisions de l’Église. Claude, en effet, avait été élevé au contact étroit de Jérôme Ier Bignon qui l’admit, tout jeune (12 ans), dans son « cabinet » – ou cercle savant – fréquenté par l’élite intellectuelle de la société, puis l’accueillit comme un fils après la mort de son père Louis Le Pelletier. Pourtant, dans son Mémoire sur mes véritables et derniers sentiments sur les affaires de l’Église et de l’État, rédigé vers 1706-1707102, le ton parfois très critique du même Claude envers les disciples de Jansen et de Saint-Cyran pourrait laisser planer le doute sur ses sympathies port-royalistes. En fait, voyons là plutôt un discours-type des crypto-jansénistes de l’époque de Louis XIV, tenu précisément au moment où se préparait la destruction de PortRoyal-des-Champs (1709-1710). Si Le Pelletier reconnaît et déplore « la cabale et l’entêtement du parti janséniste », c’est pour mieux stigmatiser l’acharnement de ses adversaires, Jésuites et Sulpiciens en tête, responsables des « persécutions trop violentes » qui s’abattent sur lui. C’est aussi pour souhaiter qu’à l’avenir, le pouvoir choisisse enfin de « battre la mesure au juste », autrement dit de se tenir à un rôle modérateur, en ne se déclarant ni pour les uns, ni pour les autres. On notera en particulier, sous sa plume, cette confidence révélatrice : « Je ne saurais voir assez d’apparence à ruiner entièrement le parti janséniste : et je ne sais même si cela serait bon pour la pureté de la doctrine et les mœurs des fidèles103. »

  • 104 Louis André, p. 29 (introduction aux Deux mémoires).
  • 105 Saint-Simon, Pléiade, t. 1, p. 430.
  • 106 Cf. A. Corvisier, Louvois, op. cit., p. 67-71.
  • 107 Louis André, p. 112.
  • 108 Louis André, p. 111.
  • 109 Cf. F. Bluche, Louis XIV, op. cit., p. 313.

55Ce crypto-jansénisme paraît également avoir habité le secrétaire d’État, puis chancelier Michel IV Le Tellier que Claude Le Pelletier qualifie de « patronus et amicus incomparabilis104 ». Ancien pupille de Louis Le Pelletier, Michel Le Tellier s’était fait en retour le grand protecteur de Claude, le guidant dans sa carrière pour finalement le placer au Contrôle Général à la mort de Colbert. Rapidement, le jeune Le Pelletier avait su gagner l’entière confiance de son mentor, au point de devenir bientôt l’arbitre des affaires de la famille Le Tellier. Il intervenait même dans les « débats particuliers », comme le dit pudiquement Saint-Simon105, entre Michel et son fils Louvois, « débats » en réalité des plus orageux qui, un moment, en 1660, amenèrent le premier à envisager sérieusement de faire révoquer la survivance de secrétaire d’État du second, au profit de Le Pelletier106. Enfin, rappelons que celui-ci sera désigné comme exécuteur du « testament mutuel et commun » laissé par le Chancelier et son épouse. Toutes ces marques de confiance ne donnent que plus de poids au témoignage que Claude Le Pelletier, dans son Mémoire de 1706-1707, apporte sur les options politico-religieuses de Michel Le Tellier, de manière toutefois indirecte. Dès le début de ce mémoire, en effet, il prend soin de se référer à l’expérience et aux enseignements de « Monsieur Le Tellier », les posant « pour fondement » de ce qu’il va dire à propos des affaires de l’Église. Ses vues sur le rôle de modérateur et de médiateur auquel devrait se tenir le pouvoir royal en la matière semblent donc bien reproduire, pour une large part, celles de son « patron et ami ». Selon Le Pelletier d’ailleurs, c’est surtout à Michel Le Tellier que l’Église de France serait redevable de la « paix clémentine » de 1668 qui lui valut de connaître une période de calme relatif d’une trentaine d’années. « J’ai cru voir, écrit-il, dans les suites de cette paix, des effets visibles de la bonne intention de Mr Le Tellier qui en avait été le principal ministre107. » L’expression « principal ministre » peut, à vrai dire, paraître quelque peu exagérée, Le Tellier n’ayant été que l’un des négociateurs, parmi d’autres, de cet accommodement entre Clément IX et Louis XIV qui mit fin provisoirement à la querelle des « Cinq Propositions » née dans les années 1650. Cette querelle, rappelons-le, avait été portée au paroxysme par le refus obstiné des évêques d’Alet, Nicolas Pavillon, d’Angers, Henri Arnauld, de Beauvais, Nicolas Choart de Buzanval, et de Pamiers, Francois de Caulet, de signer le « formulaire » imposant aux clercs la condamnation de ces « Cinq Propositions » tirées de l’Augustinus et présentées comme le résumé des erreurs de Jansen. On notera précisément, à ce sujet, la réaction caractéristique de Claude Le Pelletier déplorant « avec quelle imprudence la chaleur contre le Jansénisme avait engagé l’autorité du Roi et du Pape à vouloir faire le procès aux quatre évêques par une mauvaise procédure, et qui n’eut pu se soutenir dans la suite108 ». Là encore, il se conformait, près de quarante ans plus tard, à l’opinion de Le Tellier qui, en son temps, jugeait l’affaire des quatre prélats protestataires « mal enfournée », aux dires de Saint-Simon. Mieux, Le Tellier n’avait pas alors caché sa sympathie à leur égard, et plus particulièrement envers Nicolas Pavillon, ne craignant pas de faire remarquer au Roi que M. d’Alet était l’un des membres les plus édifiants de son épiscopat109.

  • 110 Cf. A. Corvisier, Louvois, op. cit., p. 50.
  • 111 Correspondance de… Quesnel, op. cit., t. 1, p. 26-27.

56Homme de bon sens et de jugement, d’une « foi catholique viscérale, sans problèmes110 », Michel Le Tellier n’avait guère de goût pour les disputes religieuses, se contentant, en toutes circonstances, de faire prévaloir la volonté du Roi. Cela, cependant, ne l’empêchait pas d’éprouver une certaine inclination pour le jansénisme. Cette inclination, Claude Le Pelletier nous la laisse discrètement entrevoir. Son témoignage est corroboré par celui, plus direct et plus vigoureux, du père Pasquier Quesnel qui était remarquablement informé des dernières nouvelles de la cour par un très actif réseau de correspondants à sa dévotion. Ainsi, dans une lettre du 2 novembre 1680 adressée à l’abbé Nicaise, Quesnel se fait l’écho des propos tenus, « en présence de quantité de conseillers d’État et de maîtres des requêtes », par le chancelier Le Tellier, à l’issue d’une séance du Conseil. Il s’agissait de la nomination de l’évêque de Marseille, Toussaint de Forbin-Janson, un courtisan et un diplomate, à l’évêché de Beauvais, traditionnellement très convoité, la dignité de pair ecclésiastique de France étant conférée, ès qualités, aux titulaires de ce siège. S’indignant que Beauvais n’ait pas été donné à l’évêque de Condom, Jacques de Goyon-Matignon, « parce qu’on ne le croyait pas assez ennemi du jansénisme », le chancelier ajoutait sans ménagements : « Je ne sais où cette folie nous mènera, et j’ai peur qu’à la fin elle nous fera perdre la religion et qu’il ne nous en resterait plus que le masque et l’extérieur, parce qu’on éloignait des bénéfices et des évêchés tous les gens de bien et qui pouvaient conserver les bonnes maximes et la bonne morale. » Et dans la même lettre, au sujet, cette fois, de mesures prises contre Port-Royal, Quesnel rapporte encore que Le Tellier aurait dit à sa table, devant huit ou dix maîtres des requêtes, « que cela était trop violent pour durer longtemps, que l’on voyait bien par là qu’on n’en voulait point à la doctrine, mais aux personnes111 ».

  • 112 Saint-Simon, Pléiade, t. 1, p. 458.
  • 113 Charles-Maurice Le Tellier fit de la marquise de Créquy sa légatrice universelle. Celle-ci, Anne-C (...)
  • 114 On trouvera des précisions sur cette affaire dans Saint-Simon, Pléiade, t. 2, p. 194-195.
  • 115 E. Spanheim, Relation de la Cour de France en 1690, Paris-Lyon, 1900 (éd. Émile Bourgeois), 664 p. (...)
  • 116 Correspondance de… Quesnel, op. cit., t. 2, p. 12, lettre à Du Vaucel, du 14 mars 1698.

57Le témoignage du père Quesnel appelle, certes, des réserves, les libres propos de Le Tellier ayant pu être déformés. Il n’en reste pas moins un fonds de vraisemblance, d’après ce que l’on sait de l’esprit qui prévalait chez les Le Tellier quant aux affaires religieuses. Tout d’abord, Michel, le chancelier, Louvois, le ministre, son fils aîné, et Charles-Maurice Le Tellier, son fils cadet, archevêque-duc de Reims, pair de France, nourrissaient une forte méfiance à l’égard de la Compagnie de Jésus qui s’harmonisait bien avec leurs solides convictions gallicanes, et, en même temps, avec une sympathie plus ou moins marquée, mais commune à eux trois, pour le jansénisme. Charles-Maurice paraît avoir été en pointe, véritable bête noire des Jésuites qui le « haïssaient » parce qu’avec ce haut personnage ecclésiastique, ils se trouvaient confrontés « à un homme qui ne les aimait, ni ne les craignait, ni ne les ménageait112 ». De même, ses sentiments jansénistes ne peuvent faire de doute, quoique ce prélat humaniste, grand collectionneur, possesseur d’une magnifique bibliothèque de 50 000 volumes, et entretenant une liaison notoire avec sa nièce, la marquise de Créquy113, fut tout le contraire d’un modèle d’austérité. Élevé en 1671, à l’âge de 29 ans, au siège prestigieux de Reims, Charles-Maurice se refusa toujours à imposer le « formulaire » dans son diocèse, et ce ne fut qu’après sa mort, en 1710, que les chanoines de l’église cathédrale et les docteurs de l’Université locale se résignèrent à le signer, sous la contrainte d’une lettre de cachet. De plus, il était en « étroite correspondance » avec Quesnel. Aussi la saisie des papiers de ce dernier, lors de son arrestation à Bruxelles en 1703, vaudra-t-elle à Monsieur de Reims de connaître une période de disgrâce, mais vite écourtée grâce à ses talents de courtisan. « L’archevêque savait trop bien la cour », en effet, pour ne pas saisir la première occasion susceptible de le dépêtrer114. Ce vif souci de ne pas se couper de la cour en étant relégué dans son diocèse éclaire son attitude d’ensemble à l’égard du parti janséniste, une attitude qu’Ezechiel Spanheim, représentant de l’Électeur de Brandebourg près de Louis XIV entre 1680 et 1689, résumait déjà en ces termes : « du penchant » pour les jansénistes et « quelques ménagements envers eux, sans oser cependant se rendre ouvertement leur protecteur115 ». Et cette brève analyse de Spanheim, fin observateur de la Cour de France, aide, elle-même, à mieux comprendre le constat désabusé que faisait Quesnel, en 1698, à propos de Charles-Maurice : « Il n’est pas de la race de ceux par qui le salut doit être donné à Israël116. »

  • 117 Saint-Simon, t. 5, p. 811.
  • 118 Cette démission préludait au renvoi de Chamillart, l’année suivante (voir Saint-Simon, t. 2, p. 10 (...)

58Cela dit, l’existence au moins de tendances jansénisantes paraît bien avoir été une caractéristique familiale chez les Le Tellier, comme l’indique encore le cas du fils de Louvois, Camille Le Tellier, dit l’abbé de Louvois (1675-1718). Bibliothécaire du Roi et grand-vicaire, sous son oncle, du diocèse de Reims, l’abbé de Louvois ne pourra, du vivant de Louis XIV, accéder à l’épiscopat, sous la pression des Jésuites qui, écrit Saint-Simon, « l’avaient toujours regardé comme leur ennemi, et donné, par conséquent, pour un dangereux janséniste117 ». Ces tendances jansénisantes étaient, à vrai dire communes à nombre de familles de la robe parisienne, laquelle formait un monde cultivé et dévot, gagné très tôt par le rayonnement de Port-Royal. Dans l’exemple particulier des Le Tellier, elles se trouvèrent renforcées par l’influence, au sein du foyer de Michel, le futur chancelier, de son épouse Elizabeth Turpin (1608-1698), fille de Jean-Jacques Turpin, conseiller d’État, et nièce d’Étienne II d’Aligre, chancelier de France de 1624 à 1635. Femme de tête, en même temps pieuse et charitable, Elizabeth était étroitement liée, par le mariage de sa sœur Marie-Angélique Turpin avec l’intendant François Dugué de Bagnols (mort en 1685), à une famille connue pour sa ferveur janséniste inébranlable. Le père de François, Gaspard Dugué de Bagnols, un ancien intendant retiré près de Chevreuse vers 1650, avait financé, avec le duc de Luynes, la restauration de l’abbaye de Port-Royal-des-Champs. Sa disparition en 1657 inspira au célèbre médecin-épistolier Guy Patin le diagnostic suivant en guise d’oraison funèbre : « Il a tant jeûné et fait tant d’austérités qu’il en est mort ». À l’exemple de Gaspard, François Dugué de Bagnols s’associa ouvertement au mouvement port-royaliste. Ce fut, semble-t-il, lui qui, étant très en confiance près de son beau-frère, Michel Le Tellier, et de sa belle-sœur, Elizabeth Turpin, contribua le plus à l’inclination pro-janséniste de ce couple. Enfin un troisième Dugué de Bagnols, petit-neveu de Gaspard, mérite également d’être cité. Il s’agit de Dreux-Louis Dugué de Bagnols (1645-1709), autre janséniste notoire, marié à sa cousine issue de germain, Anne Dugué de Bagnols, elle-même fille de François Dugué de Bagnols et de Marie Angélique Turpin. Maître des requêtes en 1676, intendant de Flandre en 1684 avec l’armée dans sa commission, conseiller d’État en 1687, et intendant d’armée en 1701 dans les Pays-Bas espagnols, Dreux-Louis, d’abord « porté » par Michel Le Tellier, avait continué d’avancer sous Louvois, puis sous Barbezieux, son fils et successeur au département de la Guerre (1691-1701). Aussi cet habitué des Le Tellier, par surcroît homme « très capable et supérieur à son emploi » (Saint-Simon), se pliera-t-il mal à l’autorité du nouveau titulaire de la Guerre, Michel Chamillart. En 1708, à la suite d’un différend mineur avec son ministre, il démissionnait avec éclat, quoique « le Roi, qui en était content, le voulut retenir118 ».

  • 119 Marie de Rabutin-Chantal était la fille de Celse de Rabutin-Chantal (tué au siège de l’île de Ré e (...)
  • 120 Cf. Depping, Correspondance administrative…, t. 2, p. 45 : « Decolanges [sic] est spirituel, mais (...)
  • 121 Henri de Sévigné était le fils de Charles de Sévigné et Marguerite de Vassé, elle-même fille de La (...)
  • 122 Lettre citée dans F. Bluche, Louis XIV, op. cit., p. 322.
  • 123 Voir la notice très éclairante consacrée par Claude Dulong à Madame de Sévigné dans le Dictionnair (...)

59La carrière de Dreux-Louis Dugué de Bagnols, à la fois intendant de pays frontière et intendant d’armée, apporte une illustration, parmi d’autres, de la stratégie, déjà évoquée, du clan Le Tellier qui, monopolisant la charge de secrétaire d’État à la Guerre durant plus d’un demi-siècle (1645-1701), en profita pour peupler de ses « créatures » les postes mis à la disposition de ce si important département ministériel. Dreux-Louis avait, en effet, succédé, comme intendant de Flandre, à son beau-frère et cousin, François Dugué de Bagnols, contraint de se retirer pour cause de cécité. Le père de ce dernier, également prénommé François, dont on a parlé, oncle de Louvois et beau-père de Dreux-Louis, avait été aussi intendant de pays frontière, à Grenoble, en Dauphiné, de 1662 à 1685. Enfin cet intendant de Dauphiné était, lui-même, le fils de Gaspard, le restaurateur de PortRoyal-des-Champs, que, vers 1645-1650, Michel Le Tellier, alors fraîchement promu secrétaire d’État à la Guerre, s’était empressé d’employer comme intendant d’armée. Les intérêts de carrière et les relations de travail venaient donc s’ajouter aux liens de parenté et aux affinités religieuses pour parfaire l’entente entre les Dugué de Bagnols et les ministres Le Tellier qui se servaient de cette famille comme d’un vivier où ils puisaient leurs collaborateurs de confiance. Du clan Le Tellier se dégage ainsi une forte impression de cohésion, dans laquelle, précisément, la part des affinités religieuses n’est pas à négliger, comme le montre bien, toujours chez les Dugué de Bagnols, l’exemple d’une alliance qui conduit à nouveau dans un milieu de sentiments port-royalistes. Il s’agit de l’union contractée entre Marie-Angélique Dugué de Bagnols (1646-1728), sœur d’Anne, l’épouse de Dreux-Louis, et Philippe-Emmanuel de Coulanges (1633-1716), cousin germain de Marie de Rabutin-Chantal (1626-1696), la célèbre Madame de Sévigné, mariée en 1644 à Henri, marquis de Sévigné, tué en duel en 1651119. Marie de Rabutin-Chantal, orpheline très tôt, ayant eu pour tuteur le père de Philippe-Emmanuel, les deux cousins furent intimes dès l’enfance, et devaient le rester par la suite. Conseiller au parlement de Paris en 1659, puis maître des requêtes en 1672 et démissionnaire dès 1673, mais surtout poète, auteur d’un recueil de chansons publié en 1694, Philippe-Emmanuel de Coulanges sera toujours pour Marie un ami fidèle et un correspondant régulier. Selon un rapport confidentiel sur les membres du Parlement, Madame de Sévigné avait « beaucoup de pouvoir » sur Coulanges qui, rappelons-le, avait sept ans de moins que sa cousine120. Or l’influence de celle-ci poussait dans le sens du jansénisme. Jeune femme, Madame de Sévigné avait été très introduite dans le beau monde de la Fronde des Princes, son mari, Henri de Sévigné, petit-fils d’une Gondi, étant proche parent du Coadjuteur Jean-François-Paul de Gondi, cardinal de Retz121. Elle s’initia, semble-t-il, à la sensibilité augustinienne dans ce milieu où l’on discutait volontiers, et librement, de la religion. Les « Messieurs de Port-Royal » y comptaient, en effet, de nombreuses amitiés qui persisteront, une fois le temps des troubles passé. Ainsi, à partir de 1662, l’ancienne héroïne de la Fronde, la duchesse de Longueville, sœur de Condé, se fera la protectrice – combien compromettante – de Port-Royal. Quant à la marquise de Sévigné, sa « conversion » paraît se situer vers 1674, année où une visite à Port-Royal-des-Champs suscitait son enthousiasme pour cette « Thébaide » où « toute la dévotion du christianisme s’est rangée » et où « les religieuses sont des anges sur terre122 ». Désormais, la marquise, devenue grande lectrice des œuvres de Pascal et de Nicole « qui faisaient ses délices123 », se fera l’infatigable propagandiste de la cause port-royaliste, sans qu’apparemment Louis XIV lui en ait tenu rigueur.

  • 124 Fille du conseiller d’État André Le Fèvre d’Ormesson (1577-1625), Marie L. d’Ormessson (1606-1654) (...)
  • 125 Les familles Daguesseau et de Coulanges étaient d’origine financière. Le fils de Claude de Coulang (...)

60Agrégée, en quelque sorte, au clan Le Tellier par le mariage de son cousin germain, Madame de Sévigné y bénéficia rapidement d’une large audience en gagnant l’amitié de Madame de Coulanges, l’épouse de Philippe-Emmanuel, et de la sœur de celle-ci, Madame Dugué de Bagnols, qui l’entraînèrent à fréquenter assidûment le salon des Louvois. Aussi, compte tenu de sa forte personnalité et de son zèle affiché pour Port-Royal, peut-on penser qu’elle exerça sur ces deux femmes et sur leur entourage une influence propre à renforcer les tendances jansénisantes déjà répandues chez les Le Tellier. Cependant l’intérêt que présente, ici, l’alliance entre un Coulanges et une Dugué de Bagnols, ne se limite pas à ce genre de prolongements touchant au domaine des sensibilités religieuses. Il réside encore dans le fait que la famille de Coulanges rejoignait le réseau Phélypeaux par l’intermédiaire à la fois des Lefèvre d’Ormesson, des Fourcy et des Daguesseau. La mère de Philippe-Emmanuel, née Lefèvre d’Ormesson124, était la sœur du maître des requêtes Olivier Lefèvre d’Ormesson (1616-1686) marié en 1640 à Marie de Fourcy. Cette Marie de Fourcy, sœur de Jean de Fourcy, premier mari de Marguerite Fleuriau (remariée ensuite à Claude Le Pelletier), était, elle-même, la tante de Marie-Marguerite de Fourcy (fille du premier lit de Marguerite Fleuriau), mariée en 1670 au secrétaire d’État survivancier Balthazar Phélypeaux, marquis de Châteauneuf. De plus, la petite-fille d’Olivier Lefèvre d’Ormesson et de Marie de Fourcy, Anne-Françoise Lefèvre d’Ormesson (1678-1735), épousera en 1694 l’avocat général Henri-François Daguesseau, le futur chancelier, neveu à la mode de Bretagne du chancelier Pontchartrain. Enfin Philippe-Emmanuel se rattachait, lui-même, à la famille Daguesseau par sa bisaïeule Madeleine Daguesseau, mariée en 1564 au financier Claude de Coulanges125. L’union de Philippe-Emmanuel de Coulanges avec Marie-Angélique de Bagnols, nièce du chancelier Le Tellier et cousine germaine du ministre Louvois, aboutissait ainsi à créer un lien supplémentaire entre le réseau Le Tellier et le réseau Phélypeaux (tableau 19).

  • 126 Saint-Simon, Pléiade, t. 5, p. 197.
  • 127 Saint-Simon, t. 5, p. 197.
  • 128 Correspondance de Mme de Sévigné, Pléiade, 1972, 3 vol., t. 3, p. 1596. Coulanges séjournait alors (...)
  • 129 Hormis la surintendance des Bâtiments qui, à la mort de Colbert en 1683, était passée entre les ma (...)

61Cette situation à l’intersection de deux réseaux, au contact de nombre de personnages influents, faisait de Philippe-Emmanuel un observateur d’autant mieux informé que, menant « une vie oisive, libre, volontaire, avec la meilleure compagnie de la ville, même de la cour126 », il avait tout le loisir pour se tenir au courant des dernières rumeurs et des dernières intrigues. Aussi le témoignage de ce poète-chansonnier doit-il être pris au sérieux, en dépit de sa réputation d’ » esprit léger, frivole, à qui rien ne coûtait que la contrainte et l’étude127 ». On retiendra notamment l’explication qu’il donne de l’ascension de Louis de Pontchartrain dans une lettre du 12 décembre 1690 adressée de Rome à l’avocat général Chrétien-François de Lamoignon. La nouvelle venait de lui parvenir que la charge de secrétaire d’État de Seignelay, mort le 3 novembre, avait été attribuée à Pontchartrain et que ce dernier, déjà responsable des Finances et peu désireux d’y ajouter la Marine et la Maison du Roi, avait dû finalement, sur les vives instances de Louis XIV, accepter ce surcroît de travail et de responsabilités. Commentant l’attitude du nouveau secrétaire d’État qui, en la circonstance, lui paraissait « non pas revêtu de charges, mais accablé », Coulanges concluait de manière lapidaire : « Pour moi, je ne reviens pas de l’étonnement où je suis ; voilà ce que c’est que d’avoir été élevé par M. Le Pelletier et de se l’être rendu favorable128. » À l’en croire donc, Pontchartrain serait redevable à Claude Le Pelletier de la surprenante réussite qui, en une dizaine d’années, lui avait permis de brûler les étapes pour se trouver en 1690 à la tête d’un cumul d’attributions pratiquement aussi étendu que, naguère, celui de Colbert129.

62De solides arguments rendent cette version très vraisemblable. Le Pelletier jouissait de l’estime et même de l’amitié du Roi, au point, après son départ du Contrôle Général, de se voir conserver comme ministre d’État, sans département précis et sans autre fonction que celle d’assister aux séances du Conseil d’En haut.

  • 130 Saint-Simon, Pléiade, t. 1, p. 362.

63De plus, nouvelle marque de la faveur royale intacte, la surintendance des Postes lui sera confiée à la mort de Louvois en 1691. D’autre part, Le Pelletier appartenait au noyau central du clan Le Tellier, constitué en une sorte de trinité où il figurait aux côtés de Michel, le chancelier, et de Louvois, jouant au besoin le rôle d’arbitre dans les conflits entre le père et le fils. Rappelons enfin que l’ascension de Pontchartrain se situe dans les années 1680, période où précisément la puissance des Le Tellier était à son apogée. Par la concordance de ces divers éléments, Claude Le Pelletier se trouvait largement en mesure de relancer la carrière d’un homme qu’il connaissait de longue date et qui surtout présentait, entre autres titres de recommandation, celui, combien important à ses yeux, d’être le frère de Suzanne Phélypeaux, belle-fille du très vénéré Jérôme Ier Bignon. En tout cas, sinon pour la promotion de Pontchartrain à la tête du Parlement de Bretagne, du moins pour ses nominations successives d’intendant des Finances, de contrôleur général et même de secrétaire d’État, l’intervention déterminante de Le Pelletier ne paraît guère douteuse, malgré les dénégations tardives de celui-ci. Cette protection, elle-même, ne saurait pleinement s’expliquer sans tenir compte de tout un environnement favorable que nous avons essayé de restituer au cours de ce chapitre. Né en 1643, Louis de Pontchartrain, qui était de douze ans le cadet de Claude Le Pelletier, avait fréquenté très tôt son futur protecteur, au moins dès 1656, année du mariage de Suzanne (née en 1641) avec Jérôme II Bignon, fils aîné de Jérôme Ier. L’alliance Bignon n’était pas le seul facteur de rapprochement entre Pontchartrain et Le Pelletier, les deux hommes provenant du même cercle de grandes familles robines parisiennes, plus ou moins apparentées, plus ou moins marquées par l’empreinte janséniste. L’appartenance à ce même milieu de sensibilité augustinienne entretenait, en effet, une sorte de complicité diffuse, propice à l’éclosion d’amitiés véritables qui venaient s’ajouter aux liens de parenté et aux intérêts réciproques pour renforcer les solidarités entre les familles. Cela avait été le cas avec « l’amitié quasi sans exemple » de Louis Le Pelletier (père de Claude) et de Jérôme Ier Bignon, source d’une parfaite entente entre les Le Pelletier et les Bignon. Ce sera encore le cas de l’étroite union entre les Bignon et les Phélypeaux qui reposait non seulement sur le mariage de Suzanne Phélypeaux, mais aussi sur la vive amitié qui liait Louis de Pontchartrain à son beau-frère l’avocat général Jérôme II Bignon, un pur produit des « petites écoles » de Port-Royal, mort en 1697, à l’âge de 80 ans, laissant derrière lui le souvenir d’ » un magistrat de l’ancienne roche pour le savoir, l’intégrité, la vertu, la modestie130 ». Les relations entre Claude Le Pelletier et Louis de Pontchartrain s’inscrivaient donc sur un fond de solidarités et d’amitiés où l’attachement à Port-Royal jouait un rôle mobilisateur non négligeable.

  • 131 Cf. J.-L. Bourgeon, « Balthazar Phélypeaux, marquis de Châteauneuf… », R. Mousnier (dir.), Le Cons (...)
  • 132 Louis de Pontchartrain se présentera, le 27 août 1677, muni de ses lettres de provision, au Parlem (...)
  • 133 Claude Le Pelletier avait été nommé conseiller d’État en 1673. Reçu conseiller au parlement de Par (...)

64Cette part faite à l’environnement et aux affinités ne doit cependant pas masquer l’essentiel, à savoir qu’au xviie siècle, et plus généralement sous l’Ancien Régime, les réseaux de parentèle et de clientèle fournissent le ressort majeur de la plupart des réussites individuelles. Celle de Louis de Pontchartrain en est une illustration. Des liens indirects, mais multiples, existaient, on l’a vu, entre les réseaux Phélypeaux et Le Tellier qui se rejoignaient dans leur base traditionnelle composée de familles de robe, tels les Talon, les Chauvelin, les Fleuriau, les Lamoignon, où se retrouvent des alliances communes aux deux clans. Cette imbrication donne un éclairage particulier à l’évolution si rapide de la seconde carrière de Pont-chartrain. Au départ, se situe sa nomination en Bretagne due, très probablement, à l’action conjuguée de son cousin, le secrétaire d’État Balthazar Phélypeaux de Châteauneuf, et de son prédécesseur à la tête du parlement breton, François d’Argouges, lointainement apparenté aux Phélypeaux. Or les deux hommes étaient liés au groupe Le Pelletier-Le Tellier, Châteauneuf s’étant marié, en 1670, à la belle-fille de Claude Le Pelletier, Marie-Marguerite de Fourcy, tandis que le neveu de François d’Argouges, Jean-Pierre d’Argouges de Rânes, épousait, en 1677, la fille du même Claude, Françoise Le Pelletier. Présence caractéristique au mariage de Châteauneuf et de Marie-Marguerite de Fourcy célébré le 21 décembre 1670 en l’église Saint-Gervais, c’est Charles-Maurice Le Tellier, alors coadjuteur de l’archevêque de Reims Antoine Barberini, qui donne la bénédiction nuptiale. De même, la veille, jour du contrat passé entre les époux, on note la présence de Michel Le Tellier, père de Charles-Maurice, parmi les signataires de cet acte131. S’ensuit-il que près de sept ans plus tard, le clan Le Pelletier-Le Tellier ait aidé Châteauneuf et d’Argouges à sortir Pontchartrain de l’impasse où le maintenait la rancune toujours vivace de Colbert ? La concordance entre l’alliance d’un d’Argouges avec une Le Pelletier et la nomination en Bretagne de Pontchartrain, l’une et l’autre survenues à quelques mois d’intervalle au cours de la même année 1677, inclinerait à répondre par l’affirmative. Le 31 janvier 1677, Jean-Pierre d’Argouges de Rânes épousait Françoise Le Pelletier ; le 16 juin suivant, François d’Argouges passait contrat avec Louis de Pontchartrain pour la transmission de sa charge de premier président, et, le 18, Pontchartrain prêtait serment entre les mains du Roi132. François d’Argouges aspirant déjà depuis longtemps à quitter la Bretagne, ce rapprochement de dates laisse penser que Claude Le Pelletier, désireux de satisfaire l’oncle de son gendre, sut activer les démarches pour emporter l’agrément du Roi à cet arrangement qui allait permettre à Pontchartrain d’entamer une nouvelle carrière. Le Pelletier, certes, n’était alors que conseiller d’État133, mais il avait derrière lui son clan dont la puissance se manifestait avec éclat, Michel Le Tellier devenant chancelier au mois d’octobre 1677, tandis que Louvois conduisait, de main ferme, la guerre de Hollande vers la conclusion victorieuse des traités de Nimègue en 1678-1679.

  • 134 Saint-Simon, Pléiade, t. 1, p. 430.
  • 135 E. Spanheim, Relation…, op. cit., p. 328.
  • 136 Saint-Simon, t. 1, p. 651.
  • 137 L’abbé Louis Le Gendre avait été le protégé et le secrétaire de François de Harlay-Champvallon, ar (...)
  • 138 Saint-Simon, t. 1, p. 652.

65À cette époque faste, Louis de Pontchartrain paraît jouer la carte des Le Tellier et se situer dans leur mouvance. Là, semble-t-il, réside principalement le secret du brillant parcours qui le mènera aux responsabilités ministérielles. Louvois et Le Pelletier qui, depuis la mort du chancelier Le Tellier en 1685, présidaient aux destinées du clan, lui étaient résolument acquis, et la protection du second valait au moins celle du premier : Le Pelletier, homme « fort sage, fort modéré, fort doux et obligeant134 », possédait, en effet, des talents de courtisan dont était bien dépourvu le bouillant ministre de la Guerre, trop connu pour « ses manières hautaines, brusques et emportées135 ». Ce fut Le Pelletier, devenu contrôleur général, qui tira Pontchartrain de Bretagne en 1687 « pour le faire intendant des Finances, qu’il fit toutes sous lui », selon l’expression de Saint-Simon136. Autrement dit, le nouvel intendant dirigea, en fait, l’administration des Finances, sous l’autorité nominale de Le Pelletier. Deux ans plus tard, Pontchartrain remplaçait au Contrôle Général son protecteur qui, fatigué d’un si « pénible emploi », l’avait proposé au Roi comme successeur. À en croire l’abbé Le Gendre, un contemporain, cette promotion au poste de contrôleur général serait due surtout aux prières instantes de Louvois137. Le témoignage de Le Gendre est indirectement conforté par celui de Saint-Simon qui affirme, en substance, qu’en 1690, Pontchartrain, obligé de prendre la succession de Seignelay, voulut être déchargé des Finances et que Louvois s’y opposa énergiquement. Et le mémorialiste d’expliquer « Il [Pontchartrain] ne faisait que d’y entrer en chef [aux Finances] ; la guerre [de la ligue d’Augsbourg] aussi ne faisait que commencer. En homme d’esprit, il avait bien pris avec M. de Louvois qui n’en voulait point d’autre aux finances138. » Le propos, à l’évidence, ne s’applique pas seulement à la brève période séparant la nomination du nouveau contrôleur général (20 septembre 1689) de la mort de Seignelay (3 novembre 1690), mais aussi aux deux années précédentes (1687-1689), au cours desquelles Louvois avait pu apprécier, en raison des besoins exigeants de son département, l’efficacité du travail de Pontchartrain comme intendant des Finances. Il se peut donc qu’en 1689, ce fut plutôt Louvois, que Le Pelletier, qui s’employa à pousser Pontchartrain à la tête du Contrôle Général.

  • 139 Jules-Armand Colbert, marquis de Blainville (1663-1704), nommé surintendant des Bâtiments en survi (...)
  • 140 Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau, Journal de la Cour de Louis XIV, Paris, 1854 (éd. Soul (...)

66Malgré ces divergences mineures d’interprétation sur le rôle respectif de Le Pelletier et de Louvois, la conclusion s’impose que Louis de Pontchartrain, durant la période de son ascension, fut en quelque sorte porté par les Le Tellier, et cela parce qu’il leur apparaissait comme un homme à eux. Sa réussite individuelle s’inscrit dans la lancée de l’impressionnante réussite collective de la dynastie Le Tellier qui, au cours des années 1680, semble devoir l’emporter, de manière définitive, sur la dynastie Colbert, sa grande rivale. Dès la mort de Jean-Baptiste Colbert en 1683, les Le Tellier se taillent une part substantielle dans son vaste cumul d’attributions : tandis que le Contrôle Général échoit à Le Pelletier, Louvois reçoit ce véritable ministère des Beaux-Arts et de la Culture que constituait la surintendance des Bâtiments, opération faite au détriment de Blainville, fils de Colbert, pourtant pourvu de la survivance de cette charge depuis 1674139. La disparition en 1685 du chef de file, le chancelier Le Tellier, ne fragilise pas les positions conquises, ni ne réduit l’influence du clan. Quatre ans plus tard, en 1689, lorsque Le Pelletier, s’avérant incapable de faire face à l’effort de guerre, se retire du Contrôle Général, c’est un protégé, Pontchartrain, qui assure la relève. Et l’année suivante, ce sera encore ce même protégé qui comblera le vide créé par la disparition de Seignelay, le plus brillant des fils de Colbert, en prenant son département de la Marine et de la Maison du Roi. Pontchartrain apparaît ainsi comme un pion avancé par le clan Le Tellier pour mieux asseoir sa présence au sein du gouvernement. L’évolution de la composition du Conseil d’En haut entre 1688 et 1690 est, à cet égard, très parlante. En 1688, sur les trois membres qui composent alors le Conseil, il n’y a qu’un Colbert, le marquis de Croissy (frère de Jean-Baptiste), ministre et secrétaire d’État aux Affaires étrangères, contre deux représentants du clan Le Tellier, Louvois et Le Pelletier. L’année suivante, Seignelay, nommé ministre d’État, le 4 octobre 1689, entre au Conseil, rétablissant l’équilibre : d’un côté, Seignelay et Croissy ; de l’autre, Louvois et toujours Le Pelletier, ce dernier, bien qu’ayant cessé d’être contrôleur général (le 20 septembre précédent), restant ministre d’État (jusqu’en 1697). Quant au nouveau contrôleur général, Pont-chartrain, malgré ses importantes fonctions, il ne figure pas alors au Conseil, n’étant pas encore ministre d’État. Ce sera chose faite un an plus tard, trois jours après la mort de Seignelay. « Le lundi 6 novembre 1690, au sortir du Conseil des dépêches, précise le Journal de Dangeau, Sa Majesté donna à M. de Pontchartrain la place de ministre et la charge de secrétaire d’État qu’avait M. de Seignelay140. »

67Avec ce remplacement, l’équilibre au Conseil d’En haut se trouvait complètement rompu, le clan Colbert ne disposant plus que d’un seul représentant en la personne de Croissy, face à trois représentants du clan rival, Louvois, Le Pelletier et Pontchartrain. De plus, Louvois et Pontchartrain accaparaient désormais, à eux deux, la majeure partie des départements ministériels (Guerre, surintendance des Bâtiments et surintendance des Postes pour le premier, Finances, Marine et Maison du Roi pour le second, sans parler de multiples attributions annexes), tandis que Croissy restait cantonné dans son département des Affaires étrangères qu’il dirigeait depuis une dizaine d’années. Avec l’appoint de Pontchartrain qui leur était lié, l’avenir politique des Le Tellier semblait donc bien assuré, lorsque la mort subite de Louvois, le 16 juillet 1691, vint tout remettre en question, déclenchant le retour progressif des Colbert au Conseil d’En haut. Sorte de revanche posthume du grand Colbert, son gendre, le duc de Beauvillier, était élevé, dès le mois d’août 1691, au rang de ministre d’État. Son entrée au Conseil s’accompagnait de celle de Pomponne, redevenu ministre d’État, ce même mois d’août, après une longue période de disgrâce remontant à l’année 1679. Or Pomponne allait bientôt s’allier au clan Colbert par le mariage, le 13 août 1696, de sa fille Catherine-Félicité avec Jean-Baptiste Colbert de Torcy qui venait de succéder, comme secrétaire d’État aux Affaires étrangères, à son père, Croissy, mort le 27 juillet 1696. Puis, trois ans plus tard, Torcy, lui-même, prenait rang au Conseil, ayant été nommé ministre d’État au mois de juillet 1699. Enfin, au début de l’année 1708, ce sera le tour d’un autre neveu du grand Colbert, Nicolas Desmarets, successeur de Chamillart au Contrôle Général au mois de février, et, en même temps, promu ministre d’État. Par contre, le marquis de Barbezieux, fils et successeur de Louvois à la Guerre, restera toujours simple secrétaire d’État, sans entrer au Conseil. Sa mort, le 5 janvier 1701, à l’âge de 33 ans, marquera, en l’absence de survivancier à son office, la fin de l’existence politique de la dynastie Le Tellier, commencée dans les années 1640 et couvrant à peine trois générations. Du moins, la proche descendance de Louvois, évincée du gouvernement, aura-t-elle la consolation de s’ancrer, par ses alliances, dans la noblesse de Cour, c’est-à-dire dans la haute noblesse, titrée et fortunée.

  • 141 F. Bluche, Louis XIV, op. cit., p. 732.
  • 142 Jean Bérenger, « Charles Colbert, marquis de Croissy », R. Mousnier (dir.), Le Conseil du Roi…, op (...)

68Pendant longtemps, l’attention de l’historiographie s’est fixée sur les ministres des trente premières années du règne personnel de Louis XIV (1661-1691), au détriment des ministres de la période 1691-1715, volontiers considérée comme des épigones sans envergure. « Au temps des vizirs succéderait l’âge des simples commis », selon l’expression de l’historien François Bluche qui s’élève contre ce genre de présentation infirmé par les travaux de l’historiographie récente141. Ces travaux ont permis notamment de mettre en relief le rôle de Louis de Pontchartrain et de son fils Jérôme, sans, pour autant, dissiper un certain flou concernant la position exacte des Phélypeaux par rapport aux Colbert et aux Le Tellier. Les relations difficiles entre ces deux dernières familles ministérielles sont trop connues pour prêter à équivoque : elles se placent sous le signe d’un antagonisme constant, avivé par les rivalités personnelles, par la concurrence dans l’investissement des hauts emplois de l’État, et même par la différence des « programmes » politiques (préférences maritimes et coloniales de Colbert, préférences continentales de Louvois). Par contre, l’embarras prévaut, lorsqu’il s’agit de définir la place et l’attitude de la famille Phélypeaux dans cette âpre compétition au sommet : le plus souvent, on se contente de la classer comme une sorte de famille intermédiaire, voire de moindre importance, inclinant plutôt vers la neutralité. Ainsi Louis de Pontchartrain, une fois devenu contrôleur général et ministre d’État, se serait tenu à l’écart des deux clans rivaux et aurait représenté l’accession d’un troisième clan, distinct, au sein du Conseil. C’est, semble-t-il, ce point de vue qu’adopte l’historien Jean Bérenger, à propos du renversement de majorité au Conseil provoqué, en 1691, par la disparition de Louvois. Analysant la nouvelle composition du Conseil, J. Bérenger dénombre, en effet, trois Colbert (Croissy, Beauvillier, Pomponne), contre un Le Tellier (Claude Le Pelletier), et, précise-t-il, « un neutre, Pontchartrain142 ».

  • 143 Anne du Blé d’Huxelles, mariée en 1646 à Henri de Beringhen, premier écuyer de la Petite Écurie, é (...)

69Cette répartition, où Pontchartrain se retrouve isolé, étant compté comme « un neutre » au lieu de figurer aux côtés de Le Pelletier, ne peut que susciter des réserves. Ce ministre d’État, promu en 1690, se distinguait alors fort mal du clan Le Tellier auquel il se rattachait par de multiples liens de parenté, d’amitié et d’intérêt, le tout lui ayant valu de bénéficier, à l’âge mûr, d’une seconde carrière exceptionnellement protégée. Il existait bien, avec la branche La Vrillière, une dynastie Phélypeaux alignant déjà trois générations de secrétaires d’État depuis qu’en 1621 Raymond, seigneur d’Herbault et de La Vrillière, avait capté la charge laissée par son frère cadet Paul de Pontchartrain et normalement destinée au jeune fils et survivancier de celui-ci, Louis Ier de Pontchartrain. Mais le souvenir cuisant du « vol » de cette charge ayant éloigné les Pontchartrain de leurs cousins, la dynastie La Vrillière évoluait à part, sans toutefois, à l’occasion, oublier l’esprit de famille, comme le prouve l’intervention de Châteauneuf, petit-fils de Raymond, en faveur de Louis II de Pontchartrain, pour la présidence du Parlement de Bretagne. D’autre part, Châteauneuf, lui-même, paraît également avoir été très proche du clan Le Tellier. Secrétaire d’État aux affaires de la R.P.R. de 1678 à 1700, il avait été amené, pour les besoins de son département, à travailler au contact étroit du chancelier Michel Le Tellier, devenant, en même temps, son exécutant docile, comme lors de la préparation de l’édit de Fontainebleau, du mois d’octobre 1685, qui portait révocation de l’édit de Nantes. Si, au titre de responsable des affaires protestantes, Châteauneuf tient la plume, c’est le chancelier, très zélé catholique, qui a rédigé et communiqué au Roi le texte de cet édit si lourd de conséquences. Collaborant donc sans heurt avec le chef de file des Le Tellier, au point de s’effacer devant lui, ce secrétaire d’État Phélypeaux, « bon homme, et servant bien ses amis » (Saint-Simon), se trouvait, de plus, au mieux avec le contrôleur général Claude Le Pelletier dont il avait épousé (en 1670) la belle-fille, Marie-Marguerite de Fourcy. Ayant adopté Marie-Marguerite et la traitant comme sa propre fille, Le Pelletier considérait, en effet, Châteauneuf comme « son gendre par adoption ». Enfin, pour clore la longue liste des alliances indirectes entre les Le Tellier et les Phélypeaux, il convient de signaler qu’en 1677, Marie-Madeleine-Elizabeth Fare d’Aumont, petite-fille du chancelier Le Tellier et nièce de Louvois, s’était mariée à un jeune courtisan des plus influents, le premier écuyer de la Petite Écurie Jacques-Louis de Beringhen (1651-1723), qui se rattachait à la branche des La Vrillière par sa mère, Anne du Blé d’Huxelles, petite-fille du secrétaire d’État Raymond Phélypeaux d’Herbault et cousine germaine de Châteauneuf143. Ajoutons que l’épouse de Beringhen avait pour sœur Anne-Charlotte Fare d’Aumont, mariée au marquis de Créquy et connue pour être la maîtresse de son oncle l’archevêque de Reims Charles-Maurice Le Tellier qui en fera sa légatrice universelle. La boucle étant ainsi fermée, on voit combien le secrétaire d’État Balthazar Phélypeaux de Châteauneuf disposait d’accointances tant chez les Le Pelletier que chez les Le Tellier, et combien, en même temps, il se trouvait armé pour pousser au rétablissement de la branche Pontchartrain qu’un demi-siècle plus tôt, son propre aïeul, Raymond d’Herbault, s’était employé à écarter du pouvoir (tableau 20).

70Le tour d’horizon effectué au cours du présent chapitre révèle, à travers l’enchevêtrement des alliances au sein d’un vaste groupe de familles bien typées, l’existence d’une profonde interpénétration des réseaux Le Tellier et Phélypeaux. Les effets bénéfiques de cette interpénétration ne manquent pas de transparaître dès que l’on cherche à expliquer les promotions successives qui scandent la progression de Louis de Pontchartrain durant la période 1677-1690. Aussi peut-on dire, sans trop s’avancer, que la nomination ministérielle de ce Phélypeaux signifie moins l’accession au Conseil du représentant d’un troisième clan que celle d’un représentant supplémentaire du clan Le Tellier. C’est seulement après la mort de Louvois que Louis de Pontchartrain représente, stricto sensu, un clan autonome. La dynastie Le Tellier n’allait pas tarder, en effet, à disparaître de la scène politique, tandis que la dynastie ministérielle des Pontchartrain, interrompue dès la première génération, avec la mort de Paul le « fondateur » en 1621, se reconstituait en 1693, Louis obtenant, le 19 décembre de cette année-là, la survivance de sa charge de secrétaire d’État en faveur de son fils Jérôme, âgé de 19 ans.

71Si déterminant qu’ait été au tournant de la carrière de Louis de Pontchartrain l’appui du clan Le Pelletier-Le Tellier, il ne constitue cependant qu’un aspect du jeu d’influences déployé par ce chef de file non seulement pour se hisser au pouvoir, mais aussi pour s’y maintenir et assurer, en même temps, la continuité de sa dynastie. Ce furent, par exemple, ses complicités dans le milieu courtisan qui l’aidèrent à déjouer nombre d’intrigues montées contre le trop peu accommodant Jérôme, confortant ainsi la position de ce secrétaire d’État, du moins tant que vécut Louis XIV. On le verra même, lors de la disgrâce de son fils au début de la Régence, et bien qu’étant retiré des affaires depuis plus d’un an, retrouver assez de crédit pour obtenir de Philippe d’Orléans que l’avenir politique de son petit-fils Maurepas soit sauvegardé. En raison de son ampleur, de sa durée et de ses prolongements, la réussite de Louis de Pontchartrain ne saurait donc se satisfaire de l’explication ponctuelle de l’envol des années 1680 favorisé par les Le Tellier. Par-delà, s’impose la reconstitution d’un vaste panorama de relations multiformes découvrant les moyens qui firent de Pontchartrain un véritable spécialiste des performances. Rappelons, à ce propos, qu’il partage avec Jean-Baptiste Colbert le record du maximum d’attributions cumulées par un ministre à l’époque de Louis XIV, et avec Michel Le Tellier le record de longévité comme ministre d’État sous le même règne : Pontchartrain siège au Conseil d’En haut pendant vingt-quatre ans (1690-1714), ainsi que Le Tellier (1661-1685) ; suivent, dans l’ordre de durée, Beauvillier, vingt-trois ans (1691-1714), Colbert, vingt-deux ans (1661-1683), Louvois, dix-neuf ans (1672-1691), et Croissy, dix-sept ans (1679-1696). Mais surtout, Pontchartrain sera toujours le seul Phélypeaux à figurer au Conseil, alors que Colbert et Le Tellier y siégeaient escortés de plusieurs parents. Mieux, à partir de 1708, on trouve au Conseil, face à ce Phélypeaux isolé, trois Colbertides, Beauvillier, Torcy et Desmarets, sans compter un quatrième, beau-frère de Beauvillier, le duc de Chevreuse, conseiller officieux, très écouté, du monarque, et sorte de ministre d’État clandestin. Et pourtant cet isolement n’empêchera pas Pontchartrain, par surcroît résolument hostile à l’influent Beauvillier, de se maintenir au Conseil contre vents et marées, jusqu’à ce qu’en 1714, de son plein gré, il décide de présenter au Roi sa démission de chancelier.

72En réalité, l’étendue des relations de Louis de Pontchartrain et ses capacités incontestables d’homme de gouvernement ne doivent pas faire oublier qu’il était d’abord un Phélypeaux, appartenant à une famille particulièrement chère aux rois Bourbons pour avoir su jouer la carte risquée du Béarnais en pleine tourmente politico-religieuse, et pour avoir déjà fourni à ses deux premiers successeurs plusieurs secrétaires d’État fidèles et dévoués. Aussi la réussite de ce Phélypeaux s’intègre-t-elle, dans une certaine mesure, à celle de ses cousins La Vrillière, et donc à la grande réussite collective, les deux branches confondues, de la dynastie ministérielle des Phélypeaux, caractérisée par une performance unique dans l’histoire de la monarchie : c’est, du règne d’Henri IV à celui de Louis XVI, la présence ininterrompue des Phélypeaux au sein du gouvernement, ce qui leur permet d’éclipser complètement les Le Tellier et les Colbert, du moins sur le plan dynastique. Cette étonnante continuité aurait probablement été impossible si les La Vrillière et les Pontchartrain n’avaient fait preuve du minimum indispensable de solidarité. Sous Louis XIV et sous la Régence, on perçoit, en effet, dans les grandes occasions, les manifestations d’un certain esprit de famille. En 1677, Châteauneuf contribue à « débourber » Pontchartrain en poussant à sa nomination de premier président du Parlement de Bretagne. Puis, en 1700, Châteauneuf disparaissant sans avoir jamais pu obtenir la survivance de sa charge en faveur de son fils Louis de La Vrillière, c’est Pontchartrain, devenu chancelier, qui s’emploie avec succès pour que La Vrillière soit quand même nommé secrétaire d’État à la place de son père. Ce service rendu ne sera pas oublié. Après la mort du Roi, Louis de La Vrillière intervient, aux côtés de l’ancien chancelier, pour mettre au point et faire agréer par le Régent l’arrangement permettant au jeune Maurepas d’échapper au naufrage de son père. En application de cet arrangement, Jérôme de Pontchartrain se trouva contraint, le 7 novembre 1715, de donner sa démission, sa charge vacante passant aussitôt à Maurepas qui, étant âgé seulement de 14 ans, fut placé sous la tutelle de La Vrillière chargé provisoirement d’assurer les fonctions du nouveau secrétaire d’État. Enfin, moins de trois ans plus tard, le 17 mars 1718, La Vrillière mariait sa fille Marie-Jeanne à Maurepas qui, le 30 mars suivant, entrait en exercice comme secrétaire d’État, avec dispense d’âge. Cette alliance et cette titularisation, heureuse conclusion de l’arrangement du mois de novembre 1715, venait sceller la réconciliation des deux branches de la famille Phélypeaux.

  • 144 Saint-Simon, Pléiade, t. 1, p. 740-741.

73Tout cela amène à relativiser les effets de la brouille née des circonstances du passage de la charge de Paul de Pontchartrain entre les mains des La Vrillière. Certes, sur le tard, le chancelier Pontchartrain gardait encore une rancœur non dissimulée de l’injustice causée à son père Louis Ier, réduit à une carrière parlementaire sans éclat, après avoir été dépossédé de cette charge qui normalement lui revenait à titre de survivancier. Saint-Simon s’en fait l’écho, lorsqu’il écrit : « J’ai ouï plus d’une fois le Chancelier reprocher à La Vrillière le vol de la charge de son père par son bisaïeul, et fort médiocrement en plaisanterie144. » Mais ce ressentiment, fort compréhensible de la part d’un fils attaché à la mémoire de son père, et qui, de plus, avait eu à subir le contrecoup de ses déboires, ne semble pas s’être propagé en dehors d’un cercle familial restreint. En tout cas, si une certaine froideur a persisté longtemps au niveau des chefs de file, rien n’indique qu’elle ait perturbé le fonctionnement du réseau Phélypeaux au point d’y provoquer une scission, avec deux clientèles antagonistes se réclamant, l’une, des La Vrillière, l’autre, des Pontchartrain. Au contraire, les parents, alliés et clients se mêlent souvent, sans distinction de branche, dans l’investissement des emplois dépendant des départements respectifs des ministres Phélypeaux. Évidemment, à partir des années 1690, Louis de Pontchartrain et bientôt Jérôme, devenus, tous deux, gros pourvoyeurs d’emplois en raison de leur poids politique et de l’importance de leurs attributions, n’allaient pas manquer d’étendre leur emprise sur un nombre croissant de familles quémandeuses, avides de places et d’avancements. Par comparaison, le secrétaire d’État Louis de La Vrillière faisait pâle figure, avec son modeste département, hérité de Châteauneuf, se limitant aux affaires de la R.P.R. et à l’administration d’un certain nombre de généralités. Néanmoins, l’apport particulier de sa branche à la puissance de l’ensemble du réseau Phélypeaux ne doit pas être sous-estimé. Tandis que la politique matrimoniale des Pontchartrain s’était orientée, de préférence, vers les alliances dans les grandes familles robines, celle des La Vrillière s’en distinguait par des alliances flatteuses dans le milieu de la Cour et dans celui des maréchaux de France. Elle introduisait ainsi dans le réseau une diversité propre à renforcer les moyens d’action de ceux qui le manipulaient. Rappelons, à ce propos, le cas déjà évoqué, du premier écuyer Jacques-Louis de Beringhen, dit « Monsieur le Premier », cousin germain de Nicolas du Blé, marquis d’Huxelles (1652-1732), maréchal de France en 1703, et président du Conseil des Affaires étrangères sous la Polysynodie. Arrière-petit-fils, par sa mère, du secrétaire d’État Raymond d’Herbault qui avait spolié son jeune neveu Louis Ier de Pontchartrain, Beringhen n’en mettra pas moins son influence de grand courtisan au service de Louis II de Pontchartrain.

74Ce dernier exemple, ajouté à tant d’autres, laisse entrevoir que la réussite du chancelier Pontchartrain entraînant derrière lui son fils et son petit-fils fut bâtie, pour une bonne part, sur une forte mobilisation des ressources du réseau Phélypeaux pris au sens le plus large du terme. C’est donc dans un vaste environnement, avec une attention privilégiée aux politiques matrimoniales, qu’il convient de replacer l’histoire de Louis et Jérôme de Pontchartrain, ministres de Louis XIV. De la restitution de cet environnement, surgit, en effet, le petit groupe caractéristique de leurs proches collaborateurs, formé en majorité de parents, avec, sous eux, nombre d’exécutants de rangs divers, également parents ou apparentés, tous hommes dont le zèle, la compétence et aussi les défaillances éventuelles conditionnèrent étroitement l’efficacité de l’action de ces deux ministres.

Notes

1 Paul Phélypeaux était devenu seigneur de Pontchartrain, au mois de mars 1609, par l’acquisition du château et de la terre de Pontchartrain, près de Montfort-L’Amaury, département actuel des Yvelines. Nous désignerons désormais Paul sous ce nom.

2 Le maréchal d’Ancre (Concini) n’avait pas de titre ministériel, tout en dirigeant le gouvernement par l’intermédiaire d’un trio – Claude Barbin, Claude Mangot, Richelieu – qu’il avait fait entrer au Conseil : d’où l’expression de « ministère Concini ».

3 Au mois de février 1619, en complicité avec le duc d’Épernon, gouverneur d’Aunis et Saintonge, Marie de Médicis s’évada de Blois pour se réfugier à Angoulême et appeler les Grands à la révolte, au nom de l’autorité de l’État usurpée par le favori Albert de Luynes. Ce fut « la première guerre de la mère et du fils ». La marche d’une petite armée royale la contraignit à signer le traité d’Angoulême lui accordant le gouvernement d’Angers. Ce compromis ne dura pas. Un an plus tard, c’était « la seconde guerre de la mère et du fils ».

4 Joseph Bergin, L’ascension de Richelieu, Paris, Payot, 1994, trad. de l’anglais, p. 306-309.

5 Les maîtres des requêtes de la Reine n’appartenaient pas à sa Maison au sens strict. C’étaient des personnalités extérieures à qui l’on demandait une consultation ou une aide occasionnelle, les grosses affaires s’accompagnant de fortes gratifications. Ces charges étaient surtout recherchées pour les précieuses introductions qu’elles pouvaient procurer.

6 Cf. F. Bluche, Les magistrats du parlement de Paris au xviiie siècle (Paris, 1960), Paris, Economica, 1986 (seconde édition), 482 p., p. 42, 46 et passim.

7 Cf. J. Bergin, op. cit., p. 371.

8 Cf. préface de Jean Meyer, p. 31-32, dans La Bretagne en 1665, d’après le rapport de Colbert de Croissy.

9 La sœur de Gilles II, Marie de Maupeou, avait épousé, en 1610, François Fouquet, le père de Nicolas, le surintendant des Finances. Gilles II et Marie étaient les enfants de Gilles Ier de Maupeou d’Ableiges, l’un des principaux collaborateurs de Sully aux Finances.

10 Cf. Michel Antoine, Le Conseil du Roi sous le règne de Louis XV, Paris Genève, Droz, 1970, 662 p., p. 132.

11 La Bretagne sera la dernière province à avoir – en 1689 – un intendant établi à demeure.

12 Cf. Louis Delavaud, « Un ministre de la Marine, Jérôme Phélypeaux de Pontchartrain… », Bull. Société de géographie de Rochefort, t. XXXII, année 1910, n° 1, p. 20-38, 31-32, note 3.

13 Cf. Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 1, p. 650-651.

14 Depping, Correspondance administrative sous Louis XIV, Paris, 1850-1855, 4 vol., t. 1, p. 33-132.

15 C’était la régularisation d’un mariage clandestin remontant à 1674.

16 Cf. Mémoires du baron de Breteuil, Paris, F. Bourin, 1992, 368 p. (éd. Evelyne Lever).

17 Cf. Louis André, Deux mémoires historiques de Claude Le Pelletier, Paris, Alcan, 1906, 170 p., p. 107-169. Voir notamment p. 149 et 151.

18 Auparavant Claude Bazin avait été avocat général au Grand Conseil (1636), puis intendant à Soissons (1640), où ses manières autoritaires le firent appeler « le roi de Soissons ».

19 Tallemant des Réaux, Historiettes, Pléiade, t. 2, p. 313.

20 Françoise était la fille de Denis Doujat, avocat général de la Reine Mère Marie de Médicis, et la petite-fille de Jean Doujat, avocat général et maître des requêtes de Catherine de Médicis. Son cousin germain Jean était le fils de Jean Doujat, également conseiller au parlement de Paris, et frère de Denis. Les Doujat, famille d’origine berrichonne, entrent au parlement de Paris au début du xvie siècle.

21 Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 1, p. 467.

22 Claude Le Blanc a fait l’objet d’une biographie, due à l’historien américain Claude C. Sturgill, Claude Le Blanc, Civil servant of the King, Gainesville, The University Press of Florida, 1975.

23 Cf. Lucien Bély, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Paris, Fayard, 906 p., p. 69, 78-82, 135, 219-221, 451.

24 Saint-Simon, t. 4, p. 892.

25 Bonne Ruzé, fille de Guillaume Ruzé, seigneur de Beaulieu, receveur des finances en Touraine, s’était mariée en 1545 à Gilbert Coiffier, seigneur d’Effiat, trésorier de France. Elle était la trisaieule du marquis d’Effiat.

26 De l’union du maréchal d’Effiat et de Marie de Fourcy naquirent deux fils. L’aîné, Martin Coiffier-Ruzé d’Effiat (1612-1644), lieutenant de roi en Basse Auvergne, marié en 1637 à Isabelle d’Escoubleau de Sourdis, est le père du marquis d’Effiat. Le cadet, Henri Coiffier-Ruzé, marquis de Cinq-Mars (1620-1642), grand écuyer de France, favori de Louis XIII, est le célèbre conspirateur que Richelieu fit juger et décapiter à Lyon en 1642, avec son complice, le conseiller d’État François-Auguste de Thou.

27 Marie-Madeleine Boucherat était la fille de Jean Boucherat, chancelier de France de 1685 à 1699.

28 Louise Olier, fille de Jacques Olier, intendant de Lyon (1617-1624), puis conseiller d’État (1625), était la sœur de « Monsieur Olier » (Jean-Jacques Olier, 1608-1657), le fondateur du séminaire de Vaugirard (1641), berceau de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice fondée en 1664.

29 Saint-Simon, t. 4, p. 891-892.

30 Parmi les intendants d’armée, le plus proche parent de Michel Le Tellier était Gilbert Colbert de Saint-Pouange (1642-1706), fils de Jean Colbert de Saint-Pouange (1602-1663) et de Claude Le Tellier (sœur de Michel). Ce Jean Colbert avait été employé, dès 1643, par Michel Le Tellier comme premier commis dans ses bureaux. À sa mort, il fut remplacé par Gilbert qui deviendra un collaborateur intime de Louvois.

31 Pour la clientèle de Michel Le Tellier et de Louvois, voir notamment A. Corvisier, Louvois, Paris, Fayard, 1983, p. 130-138, 180-181.

32 Anne Robert était la tante de Louis Robert (1636-1706), l’un des plus dynamiques intendants d’armée entre 1660 et 1678, qui terminera président à la Chambre des comptes de Paris.

33 Louis Ier Chauvelin (père de Louis II) et Claude Chauvelin étaient frère et sœur. Leur père François Chauvelin était, lui-même, le frère de Madeleine Chauvelin.

34 Daniel Dessert, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984, 824 p., p. 543.

35 Suzanne était l’ainée. La cadette, Marie-Claude Phélypeaux, avait épousé en 1660 Louis-Henri Habert de Montmor, fils d’Henri-Louis Habert de Montmort, l’un des premiers membres de l’Académie française.

36 Saint-Simon, t. 1, p. 650.

37 Saint-Simon, t. 1, p. 835.

38 R. Guillard, Histoire du Conseil du Roi depuis le commencement de la Monarchie jusqu’à la fin du règne de Louis le Grand, Paris, 1718, p. 108, cité dans M. Antoine, Le Conseil du Roi…, op. cit., p. 189.

39 Mémoire anonyme sur les conseillers d’État, s. d. (vers 1782), cité dans M. Antoine, Le Conseil du Roi…, p. 189.

40 Cf. M. Antoine, Le Conseil du Roi…, p. 189.

41 Depuis le règlement de 1673, il y avait trente conseillers d’État, dont 18 ordinaires et 12 semestres, les ordinaires touchant, pour le même travail, des gages plus élevés.

42 Saint-Simon, t. 4, p. 250-251.

43 Voir la notice consacrée à Grouchy dans D. Dessert, Argent, pouvoir et société…, op. cit.

44 Cf. D. Dessert, op. cit., p. 730, note 59.

45 Edmond-Jean-François Barbier, Chronique de la Régence et du règne de Louis XV (1718-1763) ou Journal de Barbier, Paris, 1847-1856, 8 vol., t. 3, p. 67 et 78.

46 D. Dessert, « Finances et société au xviie siècle : à propos de la Chambre de Justice de 1661 », Annales ESC, juillet-août 1974, p. 847-881, annexe 2 bis.

47 Voir les notices consacrées à Jean-Baptiste et Paul-Étienne Brunet dans D. Dessert, Argent, pouvoir…, p. 549-550.

48 « Survivancier » en 1655, associé en 1661, Louvois (1641-1691), qui entre au Conseil d’En haut dès 1672, devient seul secrétaire d’État à la Guerre en 1677, son père étant nommé chancelier de France.

49 Saint-Simon, t. 4, p. 689.

50 Saint-Simon, t. 4, p. 687.

51 Cf. F. Bluche, « Les magistrats des cours parisiennes au xviiie siècle », Rev. hist. de droit français et étranger, 1974, n° 1, p. 87-106, p. 93.

52 Ibid.

53 F. Bluche, Les magistrats du parlement de Paris…, op. cit., p. 15.

54 En 1695, Henri Daguesseau devint l’un des deux conseillers d’État siégeant au Conseil royal des Finances. Il y restera jusqu’en 1715.

55 Cf. J.-F. Solnon, Les Ormesson, Paris, Fayard, 538 p., p. 191-192.

56 Mémoires de Jean-Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas, publiés par l’abbé Soulavie, Paris, 1792, 4 vol.

57 Cf. Frédéric Lachèvre, Bibliographie des recueils collectifs de poésie publiés de 1597 à 1700, Paris, 1902, t. 2, p. 153. Voir aussi Journal et mémoires de Mathieu Marais… sur la Régence et le règne de Louis XV, Paris, 1863-1868, 4 vol., t. 2, p. 342.

58 « Avancer » un parent, un protégé, terme couramment employé à l’époque à propos des avancements obtenus par recommandation.

59 Cf. Luc Normand-Tellier, Face aux Colbert, les Le Tellier…, Presses de l’université de Québec, 1987, 806 p., p. 360-361.

60 Cf. Louis André, Deux mémoires…, op. cit., p. 15-18.

61 Louis Le Pelletier ( ?-1651), commis de Villeroy et secrétaire ordinaire de la Chambre du Roi (1605), devint conseiller d’État en 1624.

62 Mémoires du cardinal de Retz, Pléiade, p. 698.

63 Louis Le Pelletier avait épousé en 1626 Marie-Louise L’Eschassier, fille de Jean L’Eschassier, conseiller au Châtelet, et de Marie Pithou, elle-même fille de Pierre Pithou.

64 Sainte-Beuve, Port-Royal, Pléiade, 2 vol., t. 1, p. 340.

65 Ibid., t. 1, p. 678.

66 Ibid., t. 1, p. 687.

67 Ibid., t. 2, p. 507.

68 Marie de Maupeou était la fille de Pierre de Maupeou et Marie Quentin de Richebourg, et la petite-fille de Bonaventure Quentin de Richebourg et de Catherine Pavillon, sœur de l’évêque d’Alet.

69 Lettre de Quesnel à Du Vaucel à Rome, Bruxelles, janvier 1692, citée dans Correspondance de Pasquier Quesnel, prêtre de l’Oratoire…, publiée par Mme A. Le Roy, Paris, Perrin, 1900, 2 vol., t. 1, p. 175 et 179.

70 La mère de Suzanne Phélypeaux, Marie-Suzanne Talon (mariée à Louis Ier de Pontchartrain), était la fille de Jacques Talon (1581 ?-1648), avocat général de 1618 à 1631, frère d’Omer II Talon (1595-1652) qui lui succéda dans cette charge. Marie-Suzanne Talon et Françoise Talon (fille d’Omer II) étaient donc cousines germaines.

71 « Relation par Omer Talon, avocat général, de ce qui s’est passé au Palais-Royal et au Parlement au sujet du livre De la fréquente communion », BN, Mss Fonds français, 20155, f° 168-173.

72 Bibliotheca Talaena…, catalogue de 412 pages, non daté, BN, Mss Fonds latin 17167.

73 Ce Jacques Talon (1598-1671) était le fils de Nicolas Talon, procureur au Parlement (†1618), frère cadet d’Omer Ier, avocat au Parlement (père d’Omer II).

74 Louis de La Valette (1593-1639), archevêque de Toulouse, cardinal en 1621, était un homme lige de Richelieu, et, à ce titre, surnommé « le cardinal-valet ».

75 René Pucelle était le fils de Claude Pucelle (1619-1660), avocat au Parlement, et de Françoise Catinat, fille de Pierre Catinat, conseiller au Parlement, et sœur du maréchal de France Nicolas Catinat (1637-1712). L’avocat Claude Pucelle était lui-même le fils de Guillaume Pucelle, procureur au Parlement, et de Suzanne Talon, sœur d’Omer Ier.

76 Couramment appelé Les Réflexions morales, l’ouvrage de Quesnel s’intitulait exactement Le Nouveau Testament en français avec des Reflexions morales sur chaque verset. Objet d’éditions rapprochées (1692, 1693, 1696, 1699), il développait les thèses jansénistes, se substituant, en fait, à l’encombrant Augustinus comme ouvrage de référence.

77 Les bulles papales n’étaient reconnues en France qu’après avoir été vérifiées, reçues et enregistrées par les parlements du royaume. Elles devenaient alors des « constitutions ».

78 Le 15 février 1714, sur « l’exprès commandement du Roi », le parlement de Paris dut enregistrer la bulle Unigenitus, mais Daguesseau fit ajouter des restrictions qui fondaient légalement les évêques à ne pas recevoir la constitution Unigenitus dans leur diocèse. Après la mort de Louis XIV, la Sorbonne déclarera la bulle Unigenitus « enregistrée, mais non acceptée ».

79 Chiffre donné par Barbier pour l’année 1732, Journal…, t. 4, p. 373.

80 Saint-Simon, t. 5, p. 41.

81 Henri-François Daguesseau était le fils du conseiller d’État Henri Daguesseau et de Claire-Eugénie Le Picart de Périgny, fille du maître des requêtes J.-B. Le Picart de Périgny et de Catherine Talon – Catherine et Marie-Suzanne Talon étaient les filles de l’avocat général Jacques Talon, frère d’Omer II.

82 Guillaume-François Joly de Fleury était le fils de Jean-Francois Joly de Fleury, conseiller au Parlement, et de Madeleine Talon, elle-même fille d’Omer II et sœur de Denis Talon.

83 Sainte-Beuve, Port-Royal, op. cit., t. 2, p. 602.

84 C’est ainsi qu’en 1728, le chancelier Daguesseau réussit à convaincre le cardinal de Noailles d’envoyer à Rome son acceptation pure et simple de la bulle Unigenitus (cf. Georges Frêche, Un chancelier gallican : Daguesseau…, Paris, PUF, 1969, 94 p., p. 42).

85 Rappelons que les délibérations du Conseil d’En haut ne donnaient lieu à aucun procès-verbal. Les interventions de ses membres ne peuvent donc être connues avec précision. Saint-Simon s’avance bien souvent à ce sujet.

86 AN, Archives privées, sous-série 207 AP (fonds Maurepas), 257 APl, dossier 4, Minutes du chancelier Pontchartrain, lettre au cardinal de La Tremouille à Rome, 1708.

87 « Mandement et instruction pastorale pour la publication de la Constitution de N.S.P. le Pape du 8 septembre 1713 », du 20 juin 1714. Sur le sens de la démission de Louis de Pontchartrain, voir F. Bluche, Louis XIV, op. cit., p. 868-871.

88 Cf. Antoine Adam, Histoire de la littérature française au xviie siècle, Paris, 1956, t. 5, p. 72-75.

89 Correspondance de Pasquier Quesnel, op. cit., t. 2, p. 65.

90 Ibid., t. 2, p. 68-70.

91 Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 4, appendice n° 3, « Sur la retraite du chancelier de Pontchartrain » (addition de Saint-Simon au Journal de Dangeau), p. 1102-1103.

92 La mère du surintendant Nicolas Fouquet, Marie de Maupeou (mariée à Francis Fouquet, maître des requêtes, puis conseiller d’État) était la sœur de Pierre II de Maupeou, président des Comptes, grand-père de Marie de Maupeou, l’épouse de Louis de Pontchartrain.

93 Azema, Un prélat janséniste, Louis Fouquet, évêque et comte d’Agde (1656-1702).

94 En 1691, Armand Bignon de Blanzy (1666-1724), alors avocat général à la Cour des aides (depuis 1689), avait épousé Françoise Brunet, fille de Jean-Baptiste Brunet de Chailly (1623-1703), fermier général (1668-1689), puis garde du Trésor royal (1689-1693). Françoise mourut dès 1692. Blanzy devint maître des requêtes l’année suivante.

95 Agnès Hébert du Buc (1670-1757) était la fille du maître des requêtes Pierre André Hébert du Buc (1637-1707) et de Françoise Lavocat, elle-même sœur de Catherine Lavocat, l’épouse de Pomponne.

96 Marie Brunet était la fille du financier Paul-Étienne Brunet de Rancy († 1717), frère de J.-B. Brunet de Chailly, le père de Françoise, première épouse de Blanzy.

97 Saint-Simon, Mémoires, éd. Cheruel, t. 9, p. 4-5.

98 Beauvillier siégea au Conseil d’En haut de 1691 à sa mort en 1714. Sa femme, Henriette Colbert, fille du grand Colbert, était la cousine germaine de Torcy.

99 Saint-Simon, éd. Cheruel, t. 8, p. 286.

100 Saint-Simon, éd. Pléiade, t. 4, p. 330.

101 Voir, à ce propos, le remarquable essai de José Cabanis, Saint-Simon, l’admirable, Paris, 1975, 230 p.

102 Cf. Louis André, Deux mémoires…, op. cit., p. 107-169.

103 Louis André, p. 117.

104 Louis André, p. 29 (introduction aux Deux mémoires).

105 Saint-Simon, Pléiade, t. 1, p. 430.

106 Cf. A. Corvisier, Louvois, op. cit., p. 67-71.

107 Louis André, p. 112.

108 Louis André, p. 111.

109 Cf. F. Bluche, Louis XIV, op. cit., p. 313.

110 Cf. A. Corvisier, Louvois, op. cit., p. 50.

111 Correspondance de… Quesnel, op. cit., t. 1, p. 26-27.

112 Saint-Simon, Pléiade, t. 1, p. 458.

113 Charles-Maurice Le Tellier fit de la marquise de Créquy sa légatrice universelle. Celle-ci, Anne-Charlotte-Fare d’Aumont (1665-1724), mariée en 1683 à François-Joseph, marquis de Créquy, était la fille de LouisMarie-Victor, duc d’Aumont (1632-1704) et de Madeleine-Fare Le Tellier, sœur de Louvois et de Charles-Maurice. Avant sa liaison avec cette nièce, l’archevêque de Reims entretenait, selon Spanheim, « un commerce peu honnête » avec Françoise de La Mothe-Houdancourt qui avait épousé, en 1669, le même duc d’Aumont, veuf, l’année précédente, de Madeleine-Fare Le Tellier. La réputation amoureuse de Charles-Maurice semble avoir été bien établie, à en croire une chanson qui courut lorsqu’en 1690 Louvois reçut la direction des Haras du royaume : « Louvois n’aura pas d’embarras à faire valoir ses haras s’il prend pour étalon son frère ».

114 On trouvera des précisions sur cette affaire dans Saint-Simon, Pléiade, t. 2, p. 194-195.

115 E. Spanheim, Relation de la Cour de France en 1690, Paris-Lyon, 1900 (éd. Émile Bourgeois), 664 p., p. 443.

116 Correspondance de… Quesnel, op. cit., t. 2, p. 12, lettre à Du Vaucel, du 14 mars 1698.

117 Saint-Simon, t. 5, p. 811.

118 Cette démission préludait au renvoi de Chamillart, l’année suivante (voir Saint-Simon, t. 2, p. 1044-1048).

119 Marie de Rabutin-Chantal était la fille de Celse de Rabutin-Chantal (tué au siège de l’île de Ré en 1627) et de Marie de Coulanges, elle-même sœur du trésorier de France Philippe de Coulanges, père de Philippe-Emmanuel.

120 Cf. Depping, Correspondance administrative…, t. 2, p. 45 : « Decolanges [sic] est spirituel, mais jeune, de nulle application et de nulle capacité… Mme de Savigny [sic], sa tante [sic], a beaucoup de pouvoir sur lui. »

121 Henri de Sévigné était le fils de Charles de Sévigné et Marguerite de Vassé, elle-même fille de Lancelot de Vassé et de Françoise de Gondi, sœur d’Emmanuel de Gondi, père du cardinal de Retz. La mère d’Henri de Sévigné était donc la cousine germaine du cardinal de Retz.

122 Lettre citée dans F. Bluche, Louis XIV, op. cit., p. 322.

123 Voir la notice très éclairante consacrée par Claude Dulong à Madame de Sévigné dans le Dictionnaire des auteurs (coll. « Bouquins », Robert Laffont, t. 4, 1990, p. 294-298).

124 Fille du conseiller d’État André Le Fèvre d’Ormesson (1577-1625), Marie L. d’Ormessson (1606-1654) avait épousé en 1626 Philippe II de Coulanges (1595-1659), frère de Marie de Coulanges, mariée en 1624 à Celse de Rabutin-Chantal et mère de Madame de Sévigné.

125 Les familles Daguesseau et de Coulanges étaient d’origine financière. Le fils de Claude de Coulanges et de Madeleine Daguesseau, le fermier général des gabelles Philippe Ier de Coulanges (1572-1636), père de Philippe II, fut un gros financier, proche de Sully.

126 Saint-Simon, Pléiade, t. 5, p. 197.

127 Saint-Simon, t. 5, p. 197.

128 Correspondance de Mme de Sévigné, Pléiade, 1972, 3 vol., t. 3, p. 1596. Coulanges séjournait alors à Rome où il accompagnait le duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne, nommé ambassadeur près du Pape en 1689.

129 Hormis la surintendance des Bâtiments qui, à la mort de Colbert en 1683, était passée entre les mains de Louvois.

130 Saint-Simon, Pléiade, t. 1, p. 362.

131 Cf. J.-L. Bourgeon, « Balthazar Phélypeaux, marquis de Châteauneuf… », R. Mousnier (dir.), Le Conseil du Roi, op. cit., p. 145-146.

132 Louis de Pontchartrain se présentera, le 27 août 1677, muni de ses lettres de provision, au Parlement de Bretagne siégeant à Vannes. Il y sera reçu comme premier président à l’audience du lendemain.

133 Claude Le Pelletier avait été nommé conseiller d’État en 1673. Reçu conseiller au parlement de Paris en 1654, puis président au même parlement en 1662, il fut aussi prévôt des Marchands de Paris de 1668 à 1676.

134 Saint-Simon, Pléiade, t. 1, p. 430.

135 E. Spanheim, Relation…, op. cit., p. 328.

136 Saint-Simon, t. 1, p. 651.

137 L’abbé Louis Le Gendre avait été le protégé et le secrétaire de François de Harlay-Champvallon, archevêque de Paris de 1671 à 1695. Auteur de plusieurs ouvrages historiques, il a laissé des Mémoires qui ne seront publiées qu’au xixe siècle (éd. Roux, 1863).

138 Saint-Simon, t. 1, p. 652.

139 Jules-Armand Colbert, marquis de Blainville (1663-1704), nommé surintendant des Bâtiments en survivance le 28 mars 1674, dut démissionner le jour même de la mort de son père, le 6 septembre 1683. Il fut aussi grand-maître des cérémonies de 1685 à 1701. Mais surtout, Blainville se distingua par ses services militaires durant la guerre de la ligue d’Augsbourg et durant celle de la Succession d’Espagne. Nommé lieutenant général en 1703, il mourut de ses blessures reçues à la bataille de Hochstadt, en 1704. Il avait épousé en 1682 Gabrielle de Rochechouart de Tonnay-Charente, fille de Jean-Claude de Rochechouar et de Marie Phélypeaux de La Vrillière, sœur du secrétaire d’État Balthazar Phélypeaux de Châteauneuf.

140 Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau, Journal de la Cour de Louis XIV, Paris, 1854 (éd. Soulié), t. 3, p. 245.

141 F. Bluche, Louis XIV, op. cit., p. 732.

142 Jean Bérenger, « Charles Colbert, marquis de Croissy », R. Mousnier (dir.), Le Conseil du Roi…, op. cit., p. 153-154, p. 164.

143 Anne du Blé d’Huxelles, mariée en 1646 à Henri de Beringhen, premier écuyer de la Petite Écurie, était la fille de Jacques du Blé, baron d’Huxelles, et de Claude Phélypeaux, elle-même fille du secrétaire d’État Raymond d’Herbault et sœur du secrétaire d’État Louis de La Vrillière, père du secrétaire d’État Châteauneuf. Lors de son mariage en 1677 avec Mlle d’Aumont, Jacques-Louis de Beringhen ne possédait sa charge de premier écuyer qu’à titre de survivancier de son père Henri. Il en deviendra titulaire à la mort de celui-ci en 1692. Précisons que Jacques-Louis de Beringhen (1651-1723) était, par sa mère Anne d’Huxelles, le cousin germain de Nicolas du Blé, marquis d’Huxelles (1652-1730), maréchal de France en 1703 et président du Conseil des Affaires étrangères sous la Polysynodie.

144 Saint-Simon, Pléiade, t. 1, p. 740-741.

© Presses universitaires de Rennes, 2006

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