Les Pontchartrain, ministres de Louis XIV
|Chapitre I. L’ascension d’une grande famille ministérielle, les Phélypeaux
Entrées d'index
Géographique :
FranceTexte intégral
1Au mois de septembre 1689, à l’issue de la première année de la longue et ruineuse guerre de la ligue d’Augsbourg, dite encore « guerre de Neuf Ans », le Contrôle général des Finances passait des mains de Claude Le Pelletier, « parfaitement honnête homme, mais mou » (Robert Challe), entre celles, beaucoup plus expertes, de Louis Phélypeaux de Pontchartrain, quadragénaire réputé « infatigable », précédemment intendant des Finances. L’année suivante, le 8 novembre 1690, le nouveau contrôleur général ajoutait à ses fonctions de grand argentier du Royaume la charge de secrétaire d’État laissée, à sa mort, par Seignelay, fils de Colbert. Ce secrétariat d’État couvrait, en fait, deux vastes départements ministériels, le département de la Marine, qui englobait les Colonies, le Commerce extérieur et les consulats à l’Étranger, et le département de la Maison du Roi, non moins lourdement chargé, avec, entre autres responsabilités, celle, particulièrement délicate, du maintien de l’ordre public dans la ville de Paris.
2En quelque sorte trois fois ministre, ministre des Finances, ministre de la Mer et ministre de Paris, Louis de Pontchartrain élargissait encore son champ d’action, au mois de juillet 1691, à la mort de Louvois, avec la dislocation de la « Surintendance des Bâtiments, Arts et Manufactures » que détenait ce ministre, à côté du secrétariat d’État à la Guerre, de la Surintendance des Postes et de la direction des Haras. Préfiguration de notre ministère actuel de la Culture, ce service multiforme structuré par Colbert, puis capté à sa mort en 1683 par Louvois, se trouva réparti entre le Contrôle Général qui recevait les Manufactures et le département de la Maison du Roi auquel était attribué le « soin » des Académies et des autres institutions scientifiques, culturelles et de prestige. Seuls les Bâtiments royaux restèrent à part, sous la direction de Colbert de Villacerf qui gardait le titre de surintendant vidé d’une bonne part de sa substance. En plus des Manufactures, Pontchartrain recevait ainsi la haute main sur des établissements riches d’avenir, comme la Bibliothèque du Roi (ancêtre de la Bibliothèque nationale), l’Imprimerie du Louvre (ancêtre de l’Imprimerie nationale), le Jardin du Roi (ancêtre du Muséum d’histoire naturelle), ou encore la jeune Académie des sciences, flanquée de l’Observatoire, déjà de réputation internationale. Les fonds de tous ces établissements étaient, en effet, désormais réglés sous sa signature en qualité de secrétaire d’État à la Maison du Roi, de même que, innovation louis-quatorzienne, les pensions et gratifications accordées aux gens de lettres et hommes de sciences. Enfin, pour être complet, il convient de préciser que le même Pontchartrain recevait également, de l’héritage de Louvois, la direction des Haras.
3En 1691, Louis de Pontchartrain se voyait donc placé à la tête d’un cumul d’attributions pratiquement aussi étendu que, naguère, celui de Jean-Baptiste Colbert où les Finances voisinaient déjà avec la Marine, la Maison du Roi et les Bâtiments, Arts et Manufactures. Comme Colbert aussi, il allait pratiquer – aspect caractéristique de l’Ancien Régime sur lequel on reviendra longuement – l’art de gouverner en famille, plaçant les siens aux postes de commande pour faire face à la diversité des tâches engendrées par un tel cumul. Solidement épaulé au Contrôle Général par un état-major « technicien » d’intendants des Finances où dominait son cousin et ami intime Urbain-Louis Lefèvre de Caumartin, Pontchartrain disposait, d’autre part, dans la conduite du double département de la Marine et de la Maison du Roi, d’un véritable alter ego en la personne de son propre fils, Jérôme Phélypeaux, qui, entré tôt dans les bureaux en 1693, à l’âge de 19 ans, comme secrétaire d’État « survivancier », s’était rapidement imposé par son aptitude au travail ministériel. Aussi, lorsqu’au mois de septembre 1699, à la mort de Boucherat, Louis sera nommé chancelier de France, sa charge de secrétaire d’État titulaire reviendra-t-elle sans difficultés à Jérôme, tandis que le Contrôle Général passait à Chamillart. La dernière phase du long gouvernement de Louis XIV allait ainsi se dérouler avec la participation de deux ministres Pontchartrain, une participation qui fut tout le contraire de celle de simples comparses, comme le montre l’activité déployée par le père et par le fils confrontés, chacun dans leur domaine respectif, aux graves problèmes de cette fin de règne singulièrement tourmentée. Précisons toutefois que, stricto sensu, l’appellation de « ministre » ou « ministre d’État » étant réservée aux membres du Conseil d’En haut, où se traitaient les affaires de politique générale, seul Louis de Pontchartrain, qui y siégeait depuis 1689, avait droit à ce titre, à l’inverse de Jérôme qui n’y fut jamais appelé par le souverain.
4Homme à forte personnalité qui, en désaccord croissant avec la politique royale, n’hésitera pas à se démettre en 1714, le chancelier Pontchartrain tranche sur ses quatre prédécesseurs depuis le début du règne, Séguier, d’Aligre, Le Tellier et Boucherat, vieillards de moindre activité, responsables d’un effacement prolongé de la Chancellerie. Exigeant sur le scellement des actes royaux, en qualité de garde des Sceaux, attentif à régulariser l’activité, jusque-là anarchique, du Conseil des Parties, en tant que « chef né des Conseils », vigilant à contrôler la « manutention » de la justice, comme ministre de tutelle de la magistrature, il saura, de plus, accroître l’importance de l’office de chancelier de France par des innovations comme la création d’une direction de la « Librairie » confiée à son brillant neveu, l’abbé Jean-Paul Bignon, artisan d’une refonte complète du système de la censure qui marquera profondément les conditions de la vie intellectuelle au Siècle des Lumières. Grâce à ce dynamisme, s’amorçait alors un net redressement de la Chancellerie qui devait se poursuivre, sous Louis XV, avec des hommes d’envergure comme le chancelier Daguesseau et le chancelier Maupeou.
5Quant à Jérôme de Pontchartrain, à la différence de son père, il restera jus-qu’au bout près de Louis XIV, pour disparaître définitivement de la scène politique aussitôt après la mort du vieux Roi, balayé par la réaction anti-louis quatorzienne de la Régence. « Parfait » secrétaire d’État, rompu au métier, connaissant à fond le « détail » de la Marine, comme celui de la Maison du Roi, mais en même temps singulièrement envahissant, avec des empiètements constants sur les départements de ses collègues, ce « fagot d’épines », selon l’expression du maréchal de Tessé, ne se bornait pas à son travail ministériel pourtant très lourd, notamment avec l’effort maritime à soutenir durant la guerre de Succession d’Espagne. On le verra ainsi intervenir à maintes reprises dans le domaine des Affaires étrangères, sa cible préférée, par le truchement de ses propres réseaux d’agents à l’étranger qui venaient doubler le réseau diplomatique officiel. Et encore, à l’extrême fin du règne, plus envahissant que jamais dans ce même domaine, il s’efforcera de peser de tout son poids pour la relance d’une vigoureuse politique d’expansion maritime et commerciale visant à effacer la sévère reculade infligée en 1713 par le traité d’Utrecht. Cette politique sera vite abandonnée par la Régence, au nom de l’entente avec l’Angleterre. Du moins l’ancien secrétaire d’État verra-t-il, maigre consolation, la dynastie ministérielle des Pontchartrain se perpétuer en la personne de son jeune fils, Maurepas, qui, rescapé du « naufrage » de 1715, hérita de sa charge, dans des conditions d’ailleurs très particulières, comme on l’expliquera plus loin. Éliminé politiquement en pleine force de l’âge, à 41 ans, Jérôme survivra plus d’une trentaine d’années à sa disgrâce, sans jamais reparaître dans le monde, s’occupant minutieusement de la gestion de son comté de Pontchartrain comme autrefois de ses bureaux et s’adonnant à la passion des innovations agronomiques. Il mourra en 1747, à l’âge de 73 ans, « riche à millions et aussi avare que riche ». Son père l’avait précédé dans la tombe vingt ans plus tôt, à l’âge de 84 ans, non sans avoir pris le soin de « mettre un intervalle entre la vie et la mort » (Saint-Simon) par une longue et pieuse retraite à l’Institution de l’Oratoire de Paris où il s’était installé, dès sa démission en 1714.
6Tels quels, le père et le fils, qui, au demeurant, ne se ressemblaient guère et s’entendaient encore moins, nous ont paru devoir faire l’objet d’une biographie commune. Saint-Simon s’est fait l’écho complaisant de leur mésentente qui ne tenait pas seulement à la différence des générations ou à la vivacité de tempéraments peu portés à la conciliation. Ayant servi une trentaine d’années dans les cours souveraines, comme conseiller au parlement de Paris (1661-1677), puis comme premier président au Parlement de Bretagne (1677-1687), avant de passer à l’intendance des Finances, marchepied du Contrôle Général, Louis de Pontchartrain se trouvait, en effet, par sa culture juridique et son expérience parlementaire, à l’opposé de son fils, « né dans le ministère », de formation purement bureaucratique, imbu de « l’esprit d’administration » et enclin à ce qu’on appellera plus tard, sous Louis XV, le « despotisme ministériel ». Mais cette mésentente ne doit pas masquer une remarquable continuité dans l’action successive des deux Pontchartrain à la tête du département de la Marine, au point que la politique suivie par Jérôme entre 1699 et 1715 ne saurait être comprise sans se référer à celle menée par son père entre 1690 et 1699. La référence s’impose d’autant plus que l’un et l’autre eurent à faire face au problème de la guerre, guerre de la ligue d’Augsbourg (1688-1697) sous le ministère de Louis de Pontchartrain, guerre de la Succession d’Espagne (1701-1713) sous celui de son fils, avec, en réalité, la même finalité pour ces deux conflits qui n’en forment qu’un seul, si on envisage les motivations économiques par-delà les questions d’ordre dynastique et les contestations territoriales. Au départ, en 1688-1689, se situe, en effet, la conclusion de l’alliance anglo-hollandaise contre Louis XIV qui signifiait le début d’une lutte sans merci contre le commerce français, lutte brièvement interrompue par la paix de Ryswick (1697-1701), puis menée jusqu’à son terme en 1713, au profit des intérêts anglais avec la paix d’Utrecht.
- 1 Cf. Charles Frostin, « Les Pontchartrain et la pénétration commerciale française en Amérique espag (...)
7La continuité s’observe d’abord dans les efforts pour prendre le contrôle du marché hispano-américain, avide de produits manufacturés et surtout gorgé d’argent avec la production des mines du Potosi ; un marché qui constituait l’un des enjeux majeurs de ces guerres « mercantilistes », à une époque où la question du stock monétaire métallique revêtait une importance cruciale pour les gouvernements. Aussi, dès les années 1690, Louis de Pontchartrain avait-il élaboré et mis en œuvre une stratégie de pénétration commerciale de l’Amérique espagnole visant à capter, à sa source, le flux de métal blanc indispensable au bon fonctionnement d’un État en proie à de lancinants problèmes de trésorerie. Cette stratégie, utilisant une remarquable diversité de voies et de moyens, devait être tenacement poursuivie par Jérôme de Pontchartrain qui saura la moduler en fonction de l’évolution des rapports franco-espagnols, l’Espagne, ennemie de la France avant Ryswick, devenant son alliée à partir de 1700 avec l’accession du petit-fils de Louis XIV au trône de Madrid1.
8La même cohérence et la même continuité se manifestent en matière de stratégie navale, à partir de la nouvelle option adoptée, après le désastre de La Hougue de 1692, sous l’impulsion de Louis de Pontchartrain qui, là, raisonna probablement moins en ministre de la Marine qu’en ministre des Finances alarmé par les lourdes dépenses de la guerre de la ligue d’Augsbourg. À la grande guerre d’escadre au coût jugé par lui exorbitant par rapport à son rendement, allait désormais se substituer une guerre de course systématique où les armateurs corsaires bénéficiaient d’une aide étatique importante, notamment sous forme de prêts de vaisseaux du Roi. Loin de revenir sur ce choix, Jérôme de Pontchartrain s’efforcera au contraire de l’amplifier en poussant à la multiplication, sur les théâtres les plus lointains, d’ambitieuses opérations de « course mixte » associant les capitaines de bâtiments corsaires et les officiers de la Marine royale, telle la célèbre expédition de René Duguay-Trouin en 1711 qui aboutit à la prise de Rio de Janeiro, port de départ de l’or brésilien du Minas Geraes.
- 2 André Lespagnol, Messieurs de Saint-Malo. Une élite négociante au temps de Louis XIV, Saint-Malo, (...)
- 3 Cf. Ch. Frostin, Les révoltes blanches à Saint-Domingue aux xviie et xviiie siècles (Haïti avant 1 (...)
- 4 Cf. A. Lespagnol, Messieurs de Saint-Malo…, p. 638.
9Longtemps sous-estimée par les historiens, considérée seulement comme un moyen de reconversion de l’armement maritime en temps de guerre et une forme de spéculation marchande parmi d’autres, la course a vu, depuis peu, son importance nettement réévaluée, grâce aux résultats convergents de recherches qui lui ont restitué toute sa dimension guerrière et stratégique dans ce grand affrontement des puissances de l’Europe de l’Ouest pour l’hégémonie maritime et commerciale. Comme le montre bien André Lespagnol, son dernier historien en date, le bilan de cette activité, du côté français, pour la période 1692-1713, s’avère des plus positifs2. Non contents d’infliger des pertes sévères au commerce ennemi, les corsaires des ports du Royaume, principalement Saint-Malo et Dunkerque, parvinrent, en effet, à neutraliser la supériorité – évidente depuis l’affaire de La Hougue – des escadres anglo-hollandaises et à libérer ainsi des espaces suffisants pour permettre aux armateurs nantais et bordelais de développer le fameux commerce des « Isles » (les Antilles), moteur essentiel de la grande croissance commerciale de la France atlantique au xviiie siècle. Par exemple, la Partie française de Saint-Domingue (actuelle Haïti) réussit en pleine guerre de Succession d’Espagne le décollage qui la fera devenir, sans tarder l’ » Isle à sucre » par excellence, surclassant toutes les autres3. De même, la supériorité navale ennemie ne fut jamais telle qu’elle se trouva en mesure d’interdire aux armateurs malouins le commerce de la « mer du Sud », c’est-à-dire le long des côtes chilo-péruviennes atteintes par la route du cap Horn. Sauf cas de naufrage, tous les navires, qui revenaient de la « mer du Sud » chargés du métal-argent obtenu contre la vente de leurs cargaisons de produits textiles, parvinrent à regagner les ports français, permettant à leurs armateurs de réaliser parfois des taux de profit au-delà de 100 %, seuil symbolique des grandes réussites commerciales4.
10Du dynamisme de l’armement dans les ports à la soudaine croissance de l’économie antillaise et au succès spectaculaire de la percée en « mer du Sud », l’ampleur des résultats obtenus laisse entrevoir l’efficacité de l’action menée par les Pontchartrain, en tant que ministres de la Marine, durant cette période longue d’un quart de siècle où la guerre maritime devint l’horizon normal pour une génération entière de négociants et l’une des conditions d’exercice du commerce international. Certes, on n’ira pas jusqu’à leur attribuer le mérite du puissant démarrage du capitalisme marchand français qui se situe précisément au tournant des xviie et xviiie siècles, en dépit d’une conjoncture perturbée par les conflits et en contraste frappant avec la détresse de l’économie agricole du Royaume. Ce démarrage s’insère, lui-même, dans une reprise générale de l’économie mondiale dont les signes annonciateurs se multipliaient depuis 1680 environ, après une longue période de récession. D’autre part, il y eut l’impulsion décisive donnée par les bourgeoisies portuaires, avec, en « fer de lance », le négoce de Saint-Malo, pionnier, à l’échelon national, d’une véritable mondialisation des trafics, de Terre-Neuve à la Méditerranée, de Cadix à Callao, de Moka à Canton. Du moins nos deux ministres surent-ils ne pas étouffer l’initiative négociante sous les contraintes étatiques, s’employant souvent, au contraire, à l’encourager, voire même, parfois, à l’orienter judicieusement ; et on n’oubliera pas aussi d’inscrire à leur crédit la création, en 1700, du Conseil royal du Commerce où les députés des principales places de commerce pouvaient directement se faire entendre du pouvoir central.
11Contemporains donc de l’entrée en force du grand commerce français sur la scène mondiale, à laquelle ils furent quelque peu associés, les Pontchartrain offrent, par là même, un cas intéressant qui touche au problème toujours complexe de l’évaluation du poids réel de la décision du pouvoir politique en matière économique. En ce domaine, leur exemple vaut d’être comparé – et sans avoir à en souffrir – avec celui du plus illustre de leurs prédécesseurs à la Marine, le « grand » Colbert lui-même, dont le volontarisme, parfois teinté de maladresse, ne parvint pas à dynamiser le capitalisme marchand du Royaume, malgré (ou à cause de ?) la mise en place d’un imposant appareil de Compagnies « privilégiées » de navigation et de commerce, d’inspiration étatique.
- 5 François Bluche, Louis XIV, Paris, Fayard, 1986, 1040 p.
12L’évocation du nom de Jean-Baptiste Colbert ramène à une autre comparaison esquissée plus haut, qui concerne le fonctionnement de la machine gouvernementale. En sa double qualité de contrôleur général des Finances et de secrétaire d’État, Louis de Pontchartrain fut le seul des ministres du long règne de Louis XIV à disposer d’un cumul d’attributions aussi démesuré que celui qu’avait réuni, en son temps, l’insatiable Jean-Baptiste et comportant sensiblement les mêmes responsabilités avec les trois départements des Finances, de la Marine-Commerce-Colonies et de la Maison du Roi-Paris. Cette particularité, non négligeable, se trouve rarement mentionnée, l’attention des historiens ayant été pendant longtemps accaparée par les ministres de la première partie du règne, notamment par le face-à-face Colbert-Louvois, tandis que les ministres de la seconde période du règne se voyaient relégués dans l’ombre, considérés volontiers comme des personnages de moindre envergure, des « commis », simples exécutants de la volonté royale. L’historiographie récente, il est vrai, a remis l’éclairage sur cette génération ministérielle mal connue et méconnue. François Bluche n’a pas manqué de le souligner vigoureusement dans son brillant essai biographique sur Louis XIV5. Toutefois ces nouveaux apports, surtout sous forme d’articles, ne sont encore ni assez nombreux pour combler les vides laissés par l’ancienne historiographie, ni même d’une notoriété suffisante pour dissiper les multiples erreurs et inexactitudes véhiculées, de longue date, par la littérature historique.
- 6 Claude Quétel, De par le Roy. Essai sur les lettres de cachet, Toulouse, Privat, 1981, 242 p., p. (...)
13À propos des Pontchartrain en particulier, l’utilisation hâtive de la vieille sélection d’archives publiée au xixe siècle par Depping (Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, Paris, 1850-1855, 4 vol.), paraît avoir été à l’origine d’une méprise, encore répandue, consistant à porter au compte du père ce qui revint au fils. Depping, en effet, n’y précise pas le changement d’appellation survenu dans l’année 1699, où Louis de Pontchartrain, dorénavant nommé simplement « le Chancelier », comme tous ses prédécesseurs dans cet office, abandonne le titre de comte de Pontchartrain à Jérôme devenu, à sa suite, secrétaire d’État et jusque-là appelé marquis de Phélypeaux (1693), puis comte de Maurepas (1697). D’où la confusion persistante entre le comte de Pontchartrain d’avant 1699 et celui d’après 1699, avec de grossières confusions sur la répartition des responsabilités ministérielles. Ainsi, des correspondances postérieures à 1699, se rapportant à la « police » de la capitale, seront présentées comme émanant du père, pourtant passé à la Chancellerie, alors qu’elles étaient dues au fils, responsable de la ville de Paris, en tant que secrétaire d’État à la Maison du Roi. Ce genre de confusion portera également à faire du chancelier Pontchartrain le destinataire des rapports que le lieutenant général de police de Paris, Marc-René d’Argenson, adressait à Jérôme de Pontchartrain, son supérieur hiérarchique direct. Parfois même – cas extrême de confusion – le destinataire de ces rapports devient le « contrôleur général, Jérôme de Pontchartrain [sic] qui a Paris dans son département », comme n’hésite pas à l’écrire l’auteur d’un ouvrage paru en 19816. D’autre part, sans pousser aussi loin la désinvolture, nombre d’auteurs auront tendance à exagérer les pouvoirs, déjà fort étendus, du très actif d’Argenson, au point de le considérer comme un quasi-ministre : c’est oublier que ce grand commis, à la fois magistrat et policier, promis à un bel avenir politique sous la Régence, avait, en la personne de Jérôme, un ministre de tutelle qui ne se contentait pas d’une autorité nominale, se comportant plutôt en « vizir » ombrageux et tatillon, comme l’atteste l’abondante correspondance administrative échangée entre les deux hommes.
- 7 Luc Boisnard, Les Phélypeaux. Une famille de ministres sous l’Ancien Régime. Essai de généalogie c (...)
14Cette présentation erronée de la hiérarchie des responsabilités dans la surveillance de la capitale du royaume ne fait, en réalité, que traduire le peu d’intérêt suscité, pendant longtemps, par le département de la Maison du Roi, jugé a priori comme un médiocre département limité aux affaires de Cour. Ce qui explique, par voie de conséquence, le peu d’attention accordé à ses titulaires successifs, classés négligemment comme personnages secondaires dans l’organigramme ministériel louis-quatorzien, sans même prendre le soin de les identifier exactement. Ainsi, encore en 1986, dans une étude pourtant consacrée à la famille ministérielle des Phélypeaux, peut-on lire que Jérôme de Pontchartrain abandonna la Maison du Roi, « dès 1700 » (sic) à son cousin, Louis Phélypeaux de La Vrillière (secrétaire d’État aux affaires de la « Religion Prétendue Réformée »), pour consacrer « tout son talent d’administrateur au seul département de la Marine7 ». La persistance de telles bévues n’est probablement pas sans rapport avec la pauvreté de la bibliographie concernant la Maison du Roi. Le premier travail sur la question, à base d’archives, dû à à René-Marie Rampelberg, remonte seulement à 1976. Encore traite-t-il du ministère de la Maison du Roi à la veille de la Révolution, montrant que ce département, aux attributions de plus en plus étendues, fut à l’origine du ministère de l’Intérieur crée en 1791 par décret de l’Assemblée
- 8 R.-M. Rampelberg, Aux origines du ministère de l’Intérieur. Le ministre de la Maison du Roi, 1783- (...)
15Constituante. D’autre part, cette étude, quoique très novatrice, comporte des vues rétrospectives contestables, Rampelberg opposant à l’importance prise par le secrétaire d’État à la Maison du Roi sous le règne de Louis XVI, l’ » ancienne modestie de sa charge » sous celui de Louis XIV et même sous Louis XV8. Or cette importance apparaît nettement acquise dès les années 1700, sous l’impulsion précisément de Jérôme de Pontchartrain qui, à partir de sa fonction de « ministre de Paris », s’acquittait déjà d’une tâche diffuse de surveillance générale pour pallier empiriquement l’absence d’un organe central chargé d’assurer le maintien de la sécurité à l’échelle du Royaume. La multitude d’enquêtes activées par ses soins et l’abondance de « lettres de cachet » privatives de liberté expédiées sur son initiative constituent, à cet égard, les manifestations non équivoques d’une emprise tentaculaire, qui débordait même les frontières, dans les affaires d’espionnage ou de subversion mettant en cause des sujets étrangers ou des « religionnaires » fugitifs. Cet aspect particulier du rôle du secrétaire d’État à la Maison du Roi fera l’objet de développements ultérieurs. En attendant, et toujours à ce propos, il convient de relever encore une erreur qui consiste à attribuer au chancelier Pontchartrain la responsabilité de lettres de cachet contresignées « Pontchartrain ». Cette dernière confusion entre Louis et Jérôme témoigne, pour le moins, d’un manque d’attention en matière d’histoire institutionnelle, les lettres de cachet ne relevant pas de la compétence du chancelier de France, mais de celle de chacun des quatre secrétaires d’État, dans le ressort de son propre département. Leur auteur, ici, est évidemment Jérôme de Pontchartrain qui contresigne en sa qualité de secrétaire d’État.
16De manière générale, d’ailleurs, Jérôme reste, et de beaucoup, le moins connu des deux ministres Pontchartrain. Du père, on retient communément le contrôleur général, homme d’expédients pour financer la guerre de la ligue d’Augsbourg et « inventeur » du nouvel impôt de la Capitation en 1695, ou encore le ministre de la Marine qui substitua la guerre de course à la guerre d’escadre. Par contre, le fils, qui fut pourtant l’un des principaux exécutants et, en certains secteurs, l’un des inspirateurs de la politique louis-quartozienne à la fin du règne, semble voué à une sorte de tradition d’oubli. C’est du moins ce que suggère le mode de présentation de la dynastie ministérielle des Pontchartrain-Maurepas habituellement adopté par les dictionnaires de culture générale, ces fidèles « enregistreurs » de la plus ou moins grande renommée des personnages historiques : tandis que le chancelier Pontchartrain et surtout son petit-fils, Jean-Frédéric Phélypeaux de Maurepas, ministre sous Louis XV et Louis XVI, ont droit à une véritable notice, le nom de Jérôme de Pontchartrain se trouve soit omis, soit simplement mentionné, et, en tous cas, disparaît dans les versions abrégées de ces dictionnaires.
- 9 Simone Balayé, « La bibliothèque du Roi, première bibliothèque du monde, 1664-1789 », Claude Jolly (...)
17Cet usage cavalier de sauter directement de l’aïeul au petit-fils, en négligeant le père, se retrouve également dans des ouvrages spécialisés de date récente. Il peut aller jusqu’à faire de Maurepas, le « fils et successeur » de Louis de Pontchartrain9.
- 10 Jean-Louis Bourgeon, « Balthazar Phélypeaux, marquis de Châteauneuf, secrétaire d’État de Louis XI (...)
- 11 Mémoires et Journal inédit du marquis d’Argenson, Paris, éd. Jeannet, 1857-1858, 5 vol., t. 2, p. (...)
- 12 Saint-Simon, Mémoires, La Pléiade, t. 5, p. 945.
18Mais on retiendra surtout, ici, cette comparaison, très significative, entre la branche aînée (les La Vrillière) et la branche cadette (les Pontchartrain) de la famille Phélypeaux, dressée dans une étude consacrée au secrétaire d’État Châteauneuf, père et prédécesseur de La Vrillière : « La branche cadette fournit les individualités les plus marquantes. Paul, l’homme nouveau, parvenu secrétaire d’État ; Louis II, comte de Pontchartrain, successivement contrôleur général, secrétaire d’État, chancelier ; Maurepas, le grand ministre de la Marine de Louis XV10. » Certes, entre Paul, tige de la branche Pontchartrain, secrétaire d’État de 1610 à 1621 et son petit-fils le chancelier, le nom du père de ce dernier, Louis Ier, obscur président de la Chambre des comptes, ne mérite guère de figurer. Mais pourquoi éliminer Jérôme de la sélection ? Maurepas fut-il si « grand ministre de la Marine » au point d’éclipser son père ? Le marquis d’Argenson ne le croyait pas, qui, bien renseigné, écrivait dans son journal personnel : « Rien n’est plus vrai… que le premier (Jérôme) a fait autant de grandes choses que le second [Maurepas] a contribué à affaiblir la Marine11. » Apparenté aux Pontchartrain, le marquis d’Argenson connaissait, en effet, fort bien Jérôme de Pontchartrain, sous qui avait travaillé son père, l’ancien lieutenant général de police et encore mieux Maurepas, dont il fut le collègue au gouvernement entre 1744 et 1747, comme secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Aussi son jugement à l’emporte-pièce sur les deux hommes, porté à l’époque de Louis XV, ne rend-il que plus insolite l’obscurité dans laquelle devait sombrer le dernier ministre de la Marine de Louis XIV. Pour l’expliquer, faut-il remonter aux circonstances de la disgrâce de 1715 qui s’accompagna, pour Jérôme, d’un effacement complet, sans avoir même droit de regard sur la formation de son fils adolescent, Maurepas, héritier de son office de secrétaire d’État, mais habitant désormais chez le cousin La Vrillière, chargé de l’initier au travail ministériel ? Un passage des Mémoires de Saint-Simon, ennemi juré de Jérôme de Pontchartrain, pourrait le laisser croire. Parlant en termes flatteurs des débuts de la carrière du jeune Maurepas, après son apprentissage aux côtés de La Vrillière, le mémorialiste glisse cette phrase perfide : « Il a bien dépassé son maître [La Vrillière] et bien profité des leçons de son grand-père [le chancelier] duquel il tient beaucoup12. » L’omission par rapport au père est ici ostensible, véritable constat d’absence soulignant que la réussite du fils ne lui devait rien. Elle porterait donc à chercher chez Saint-Simon, lui-même, l’origine de l’habitude prise, pour ces trois générations ministérielles, d’occulter la génération intermédiaire en allant directement du chancelier à son petit-fils. Mais, par ailleurs, dans ses Mémoires, le duc revient si souvent sur Jérôme de Pontchartrain, le dépeignant toujours sous les couleurs les plus sombres, que celui-ci, loin d’être relégué dans l’ombre, devient, au contraire, un personnage de tout premier plan, en raison même de l’insigne malfaisance qu’il lui prête.
- 13 Voir, à ce propos, un exemple caractéristique dans Ch. Frostin, « Un recoupement du témoignage de (...)
19En réalité, Saint-Simon pourrait figurer comme le premier historien, en date, des ministres Pontchartrain, tant apparaît abondante la moisson de renseignements qu’il a récoltée, concernant aussi bien Louis que Jérôme. Certes, la qualification d’ » historien » n’est pas à prendre, ici, au sens rigoureux du terme, son témoignage, rarement pris en défaut sur l’exactitude des événements relatés, appelant souvent de fortes réserves quant à l’interprétation, très personnelle, donnée de ces événements13. Il n’en reste pas moins qu’une utilisation attentive du matériau fourni par Saint-Simon eût permis, non seulement d’éviter une bonne part des confusions et erreurs évoquées plus haut, mais aussi d’ouvrir des voies de recherches d’autant plus accessibles que les Pontchartrain, tous deux gros travailleurs, ont laissé une masse imposante de correspondances administratives et papiers divers. Au lieu de cela, l’usage a prévalu d’une lecture « en diagonale » des Mémoires, se bornant à y glaner quelques phrases particulièrement percutantes qui passent ensuite d’ouvrage en ouvrage, isolées de leur contexte et sans référence critique. Cette lecture rapide des passages relatifs aux Pontchartrain, pourtant riches en aperçus sur l’activité ministérielle entre 1689 et 1715, est à lier, plus généralement, à un manque d’attention caractéristique, de la part des « utilisateurs » de Saint-Simon, pour la multitude d’informations de même genre éparses à travers son œuvre. Cette négligence marquée à l’égard de tout un aspect du témoignage du mémorialiste, ne fait, en effet, que refléter l’une des lacunes persistantes de l’historiographie française, traditionnellement peu tournée vers les études d’histoire administrative.
- 14 Cf. Ch. Frostin, « L’organisation ministérielle sous Louis XIV : cumuls d’attributions et situatio (...)
- 15 Denis Richet, La France moderne : l’esprit des institutions, Paris, Flammarion, 1973, 188 p., p. 7 (...)
20S’agissant de l’ancienne France, ce désintérêt apparaît d’autant plus dommageable que la méconnaissance de l’histoire administrative proprement dite expose à de fréquentes confusions en matière d’histoire institutionnelle. Sous le règne de Louis XIV, derrière la façade d’une monarchie évoluant vers un absolutisme et un centralisme renforcés, se cache l’imprécision de jadis dans l’organisation du pouvoir central, avec des départements ministériels toujours mal définis et d’incessants conflits d’attributions qui faisaient grincer les rouages d’une machine gouvernementale plutôt cahotante, tournant vaille que vaille, soumise à l’improvisation du moment et sauvée par l’indéniable pragmatisme de la royauté14. Pour compliquer le tout, s’ajoute le caractère très personnalisé des grands services de l’État, où chaque fonction faisait tellement corps avec son titulaire qu’elle pouvait considérablement varier d’importance selon la plus ou moins grande envergure de ce titulaire. Comme l’écrit Denis Richet, « l’homme créait sa fonction dans des proportions aujourd’hui impensables15 ». Le propos s’avère particulièrement juste, appliqué au cas spectaculaire de ces « décideurs » ambitieux, du type Colbert, prompts à profiter de la faiblesse des structures ministérielles et de l’enchevêtrement des compétences pour étendre démesurément leurs attributions et se tailler de vastes départements ministériels.
21Autrement dit, compte tenu de la personnalisation de la fonction, compte tenu aussi du cadre d’institutions assez floues dans lequel évoluaient les « grands commis » de Louis XIV, une double nécessité s’impose pour le chercheur soucieux de restituer avec un minimum d’exactitude le fonctionnement d’un ministère déterminé et d’en évaluer l’importance au sein du gouvernement. C’est à la fois de posséder de solides éléments biographiques tant sur le ministre que sur ses proches collaborateurs et ses agents d’influence ; et, seconde condition non moins impérative, de bien connaître les correspondances administratives du même ministre, ainsi que celles de ses « premiers commis » placés à la tête des divers « bureaux » composant le département.
- 16 AN, série Archives privées, sous-série 257 AP, Archives et Collection Maurepas, 257 API, dossier 4
- 17 Cf. Ch. Frostin, « “Pouvoir ministériel”, “voies ordinaires de la justice” et “voies de l’autorité (...)
22Fourmillant d’indications en grande partie introuvables ailleurs, ces correspondances, qu’elles soient actives ou passives, constituent, en fait, la seule source sûre qui permette de circonscrire l’étendue du « détail » imparti à chaque membre du gouvernement, au gré du Roi et surtout des luttes d’influence ouvertes autour de la succession d’un ministre mort en charge ou disgracié. Le « détail », terme technique propre aux bureaux de Versailles, recouvrait, en effet, un ensemble d’attributions étonnamment divers, mouvant et donc complexe, dont aucun manuel d’Histoire des Institutions ne saurait rendre compte, sinon sous forme d’énumérations sommaires empruntées à l’Almanach royal. À cet égard, précisément, les milliers de correspondances laissées par les deux ministres Pontchartrain renferment une profusion d’informations tant sur chaque « détail » des départements qu’ils eurent, l’un et l’autre, à gérer successivement, comme secrétaires d’État à la Marine et à la Maison du Roi, que sur l’esprit et les méthodes qu’ils apportèrent dans leur gestion respective. Formant une sorte de corpus pour l’étude du gouvernement de Louis XIV dans les vingt-cinq dernières années du règne, cette masse documentaire permet également de cerner de près, en la personne de Louis de Pontchartrain, l’activité d’un contrôleur général des Finances et surtout celle d’un chancelier de France, la Chancellerie étant, de manière générale, beaucoup moins connue que le Contrôle Général, en raison de la disparition d’une bonne part de ses archives. Comblant, dans une certaine mesure, le vide ainsi créé, les minutes des lettres du chancelier Pontchartrain, conservées dans le fond privé de la collection Maurepas aux Archives nationales16 fournissent, en effet, de précieux renseignements sur les aspects les plus concrets du travail courant de ce grand officier de la couronne et aussi sur les limites de ses pouvoirs, notamment à l’occasion de ses heurts répétés avec un fils peu accommodant, enclin, dans l’exercice de sa charge de secrétaire d’État, à faire prévaloir les « voies de l’autorité » sur les « voies de la justice ordinaire17 ».
- 18 Cf. Ch. Frostin, « L’organisation ministérielle sous Louis XIV… », p. 202.
23L’intérêt de ce « corpus » ne se borne pas à la mise en relief d’un mode de gouvernement louis-quartozien encore si marqué par les habitudes du passé qu’il serait prématuré de parler, à son sujet, de « monarchie administrative » et de « bureaucratie18 ». Son exploitation laisse aussi entrevoir tout un panorama de relations – parents, amis, clients – qui va en s’élargissant au fur et à mesure du dépouillement des innombrables lettres de recommandations expédiées ou reçues par les ministres Pontchartrain. Cet aspect est révélateur au plus haut point, car il permet de toucher à l’un des caractères profonds du régime, qui conditionne, lui même, le fonctionnement de la machine gouvernementale et dont l’évocation s’impose, sous peine de rendre l’histoire politique du règne incompréhensible.
- 19 Cf. D. Richet, op. cit., p. 80.
24Dans l’État monarchique du xviie siècle, comme au siècle précédent, les personnalités de la classe politique étaient, en effet, « moins des individualités que des membres de familles, de lignages, enserrés par des liens de clientèle et de fidélité19 ». Tissés au fil des générations et unissant parents proches, cousins éloignés et clients obscurs, ces liens avaient engendré la formation de vastes réseaux de solidarité et d’influence, qui, joints à une stratégie d’alliances matrimoniales judicieusement choisies, expliquaient, pour une bonne part, l’ascension réussie des familles composant le « Tout-État », de même que leur maintien et leur consolidation dans les situations acquises.
25En vertu de ce système, qui assurait l’avenir d’un groupe restreint de familles vivant du service de l’État et s’enrichissant grâce à lui, l’homme investi par le Roi d’une haute responsabilité se devait donc de placer les siens aux postes de commande et de faciliter l’accès des emplois aux candidats qui se recommandaient de sa parentèle ou de sa clientèle. Louis de Pontchartrain et son fils ne manquèrent pas de s’y conformer, pratiquant, sans retenue aucune, l’art de gouverner et d’administrer en famille. Intendants des Finances, intendants du Commerce, intendants de provinces et de généralités, intendants et commissaires ordonnateurs dans les ports, gouverneurs et intendants des Colonies, officiers d’épée et officiers de plume de la Marine royale, la liste est longue des postes occupés par leurs parents et alliés, reflétant bien l’importance et la diversité de leurs attributions ministérielles. Si on y ajoute, dans le secteur particulier des marchés passés avec l’État, les « munitionnaires » et « partisans » spécialement favorisés par Louis durant son passage au Contrôle Général et dont certains étaient fermiers de ses propres domaines, ou encore, s’agissant de la justice, la carrière protégée par le même Louis, devenu chancelier, de magistrats qui lui étaient apparentés et enfin, dans le domaine des Académies, l’élection assurée de candidats activement soutenus par le secrétaire d’État à la Maison du Roi, en la personne, d’abord, de Louis, puis de Jérôme, son successeur à la tête de ce département, c’est finalement tout un monde composite d’administrateurs, de marins, de financiers, de robins, de gens de lettres et d’hommes de sciences qui gravitait dans l’orbite des ministres Pontchartrain.
26L’efficacité de ce réseau était d’autant plus grande qu’il allait des plus hauts aux plus bas échelons de la hiérarchie. Au sommet, se situent les proches collaborateurs de nos deux ministres, qui sont presque tous des parents ou alliés, tels Caumartin, cheville ouvrière du Contrôle Général, d’Argenson, lieutenant général de police, Daguesseau père, président du Conseil de Commerce, Amelot de Gournay, animateur de ce même conseil et l’abbé Bignon, directeur de la « Librairie ». Au-dessous de ces « collaborateurs-parents », viennent d’autres membres de la parentèle particulièrement bien placés, en raison de leurs fonctions dans la capitale. Ils tiennent, par exemple, le parquet du parlement de Paris, avec Daguesseau fils (le futur chancelier), flanqué de ses trois cousins avocats généraux, Joly de Fleury, Lamoignon de Blancmesnil et Chauvelin, la prévôté des marchands de Paris, avec Jérôme Bignon, et l’intendance de la généralité de Paris, avec Jean Phélypeaux, frère de Louis de Pontchartrain, auquel succède, à sa mort, Armand Bignon de Blanzy, précédemment intendant des Finances, neveu de Louis de Pontchartrain et frère de Jérôme Bignon et de l’abbé Bignon. Mais l’axe essentiel de la parentèle reste l’occupation de postes de choix relevant du département de la Marine et des Colonies. Aux côtés de cousins des diverses branches de la famille Phélypeaux, comme Raymond-Balthazar Phélypeaux du Verger, gouverneur général des Isles d’Amérique, ou Antoine-François Phélypeaux d’Herbault, intendant des armées navales, on y trouve d’autres cousins de familles se rattachant à la branche Pontchartrain proprement dite : le chevalier de Maupeou, cousin de la femme de Louis de Pontchartrain (née Maupeou), gouverneur de l’île de la Grenade ; François de Beauharnais, cousin issu de germain des Pontchartrain, intendant de la Marine à Rochefort et, en même temps, intendant de généralité à La Rochelle ; Jacques Raudot, intendant du Canada, cousin, par sa mère, née Talon, de Louis de Pontchartrain, dont la mère était une Talon ; son fils et son adjoint au Canada, Antoine-Denis Raudot, nommé ensuite inspecteur général des classes du Royaume, puis choisi par Jérôme de Pontchartrain comme premier commis de la Maison du Roi ; Michel Bégon, surintendant des approvisionnements à Rochefort, puis intendant du Canada, qui, apparenté aux Colbert, rentre dans la parentèle Pontchartrain par son mariage avec la sœur de François de Beauharnais. Enfin, il convient de citer, à part, un personnage de tout premier plan, inspirateur de la politique de pénétration commerciale de l’Amérique espagnole, Jean-Baptiste Ducasse, gouverneur de Saint-Domingue, puis lieutenant général des armées navales, dont le gendre, Louis de La Rochefoucauld-Roye, était beau-frère de Jérôme de Pontchartrain.
27Hors du département de la Marine et quoiqu’à un moindre degré, les commissions d’intendants de provinces et de généralités constituent aussi l’une des lignes de force du réseau. Entre 1695 et 1715, par exemple, sur les quatre intendants qui se succèdent à la tête de la généralité de Poitiers, trois sont des proches cousins de l’épouse de Louis de Pontchartrain : Maupeou d’Ableiges, Doujat et Quentin de Richebourg. La généralité de Poitiers, il est vrai, faisait partie du ressort territorial du secrétaire d’État à la Maison du Roi. Mais une proportion semblable se retrouve pour les dix intendances des provinces dites « maritimes » en raison de leur accès à la mer. À la fin du règne, en effet, huit de ces intendances sont tenues par des membres de la parentèle, dont, notamment, l’énergique Claude Le Blanc, cousin issu de germain de l’intendant Doujat, que l’on vient de citer. Intendant de Flandre Maritime de 1708 à 1715, avant de devenir, sous la Régence, secrétaire d’État à la Guerre, Le Blanc se trouvait amené, de par la nature et l’importance stratégique de son poste, à entretenir des relations étroites de travail avec Jérôme de Pontchartrain, secrétaire d’État à la Marine, dont il était aussi le cousin (éloigné) par sa mère, née Bazin de Bezons. Ces relations, qui seront à nouveau évoquées plus loin, n’allaient pas sans heurt, surtout à propos d’affaires d’espionnage et de négociations secrètes suscitant de vives réactions de la part de Jérôme, irrité de s’en voir tenu à l’écart par Le Blanc. Du moins les deux hommes partageaient-ils le même point de vue quant à l’attitude à observer face à l’Angleterre au lendemain de la guerre de Succession d’Espagne. L’action de Le Blanc, qui fut à l’origine de la construction d’un canal et d’un port à Mardyck pour compenser le démantèlement de Dunkerque imposé par les clauses d’Utrecht, s’inscrit bien, en effet, dans le cadre de la politique générale de relance maritime et commerciale impulsée par Jérôme de Pontchartrain durant les deux dernières années du règne.
28L’énumération des postes clés et des postes de commande occupés par les parents ou alliés des ministres Pontchartrain ne saurait cependant suffire à rendre compte de l’importance de leur réseau qui doit s’évaluer aussi d’après le nombre de protégés évoluant dans l’ombre de chacun de ces grands agents d’exécution. Ce dernier phénomène s’observe tout particulièrement dans la Marine, en raison même de l’ampleur du débouché offert par ce département, avec la multiplicité des emplois et des grades, y compris les emplois aux Colonies et dans les consulats à l’Étranger. Ainsi, François de Beauharnais, l’intendant de Rochefort-La Rochelle, protège la carrière de ses frères plus jeunes, Jean-François, Charles, Claude et Guillaume, tous quatre officiers de la Marine du Roi. Sont également officiers de marine, Henri Phélypeaux, frère benjamin de d’Herbault, l’intendant des armées navales, et son cousin Nicolas-François Hennequin ; Raudot de Chalus, fils d’Antoine-Denis Raudot, ou encore le chevalier Bégon, frère benjamin de Michel Bégon, l’intendant du Canada. À ces noms, s’ajoutent aussi ceux de lointains cousins des Pontchartrain, les Bidé de Maurville, Bigot de La Motte, Bigot de Morogues, Le Roy de La Potherie et autres apparentés que l’on retrouve employés tant aux colonies que dans les ports métropolitains, servant, en même temps, d’informateurs pour les bureaux du ministre. Ces quelques exemples permettent déjà d’entrevoir que le département de la Marine a été l’un des principaux champs de convoitises de toute une clientèle familiale à la recherche d’emplois, même les plus modestes, les plus éloignés ou les plus risqués, du moins lorsqu’il s’agissait de placer des jeunes gens démunis ou particulièrement encombrants.
29Quoique d’un débouché plus restreint que l’administration et le service de l’État en général, d’autres champs de convoitises se présentaient encore, telle l’Église, avec ses hautes charges où, conformément à l’usage du temps, les familles les plus en vue de la parentèle s’efforçaient de placer leurs cadets. Deux cas illustrent cette pratique, pris précisément parmi les exemples énumérés ci-dessus à propos des grands emplois du département de la Marine : le cas du frère cadet du gouverneur général des Isles, Phélypeaux du Verger, Jacques-Antoine, abbé de Bourgmoyen, nommé évêque de Lodève en 1690 ; et celui du frère, également cadet, de l’intendant des armées navales Phélypeaux d’Herbault, Louis-Balthazar, abbé du Thoronet, agent général du clergé en 1701, puis évêque de Riez en 1713. Toutes les familles ministérielles de l’époque comportaient ainsi un nombre respectable de prélats et d’abbés, aux côtés de grands administrateurs, de militaires de haut rang ou de magistrats de cour souveraine. Mais toutes aussi présentaient un point commun qui était d’étendre leurs réseaux de protection et de solidarité bien au-delà de ce beau monde de proches parents confortablement pourvus et au-delà même d’un monde moins reluisant de parents peu fortunés gratifiés d’un emploi subalterne à la faveur de quelque lointain cousinage, pour atteindre et englober jusqu’à la catégorie obscure des employés et serviteurs domestiques, voire jusqu’à de simples relations de voisinage.
30Sur ces ramifications des réseaux poussées hors parentèle et liant, aux extrémités opposées, de très humbles sujets à de tout puissants personnages, les minutes des lettres de recommandation du chancelier Pontchartrain, conservées dans les archives privées de la collection Maurepas (AN, AP, 257 AP), apportent un témoignage des plus suggestifs, en raison, tout particulièrement, des formules employées pour la recommandation. « C’est un homme que je regarde comme à moi », écrit le chancelier au président d’Aligre, du parlement de Paris, pour lui « recommander avec instances les intérêts » d’un protégé dont il joint le placet. Du même style, au procureur général du parlement de Paris, à propos d’un justiciable qu’il faut « tirer d’une fâcheuse affaire » : « [Il] a été pendant vingt ans à moi en qualité de commis ou secrétaire. » Autre lettre au président Aligre en faveur d’un nommé Hatry : « Il y a plus de soixante ans que ces Hatry là sont de père en fils dans les fermes de Pontchartrain et le frère de celui-ci y est encore actuellement. » Non moins significatifs apparaissent ces courts billets du chancelier à l’intention de son secrétariat : « Écrire à M. le Lieutenant particulier que je ne puis me dispenser de lui recommander fortement cette affaire… parce qu’elle regarde plusieurs pauvres créanciers de Pontchartrain auxquels je m’intéresse par raison et par charité. » À un commissaire aux saisies réelles : « Écrire à M. Monerat que Hanot étant un des officiers de mon bailliage de Pontchartrain, je ne puis lui refuser de lui mander qu’il me fera plaisir s’il peut le payer suivant cette sentence. » Ou encore, avec la mention « Écrire de ma part à M. Le Roy, procureur au Châtelet », ce brouillon de lettre où, pour une recommandation en faveur de la vieille gouvernante des enfants de Jérôme de Pontchartrain, se retrouve, à l’appui, l’argument décisif : « Mgr le Chancelier affectionne fort cette famille (de la gouvernante) qui est toute à son service depuis longtemps. » En plus de l’appartenance au service domestique, les relations de voisinage peuvent aussi être un titre de recommandation, tel ce billet du chancelier à son cousin René de Maupeou, président au parlement de Paris : « Je ne puis refuser à un de mes plus proches voisins à la campagne, gentilhomme de mérite et ami de longue main, de vous recommander son affaire… » Et du même à l’intendant Quentin de Richebourg, également son cousin : « Je ne puis refuser à Mme d’Hesbouville de vous écrire en sa faveur. J’ai des relations d’affaires de campagne qui m’engagent à lui faire plaisir… » Ici, il s’agit d’obtenir de Richebourg une diminution de capitation pour cette dame. Rappelons, et c’est le piquant de l’affaire, que l’impôt de la capitation avait été établi par Pontchartrain lui-même, à l’époque où il était contrôleur général.
31Ces quelques exemples de recommandation, se rapportant au proche horizon des domaines du comté de Pontchartrain, permettent d’appréhender en profondeur le système des clientèles propre à l’ancienne France, avec ses racines qui plongeaient dans le terroir. Ce système, dont on peut situer l’apogée au xviie siècle, n’allait évidemment pas sans présenter bien des aspects équivoques qui ne se limitaient pas à la pratique d’un népotisme alors communément admis. Là encore, les minutes du chancelier Pontchartrain sont éloquentes, tel ce passage d’une lettre écrite à son cousin Beauharnais, l’intendant de La Rochelle-Rochefort : « Cette recommandation est en faveur de M. du Tronchet, fermier général et receveur général des Finances de La Rochelle… qui m’est connu du temps où j’étais financier… » Il ne fait guère de doute, en effet, que, durant son passage au Contrôle Général, Louis de Pontchartrain ait eu un comportement de « parrain », assurant la domination et la fortune de toute une clientèle de « publicains » féaux qui, en contrepartie, lui servaient de prête-noms pour participer, lui-même, en sous-main, à des manœuvres spéculatives commerciales et financières. De ces agissements, Saint-Simon, à l’ordinaire si bien informé sur les Pontchartrain, ne souffle mot et pourtant ils étaient d’une notoriété suffisante pour que l’ancien contrôleur général se trouva, un moment, en danger d’être englobé dans les poursuites de la Chambre de justice créée en 1716 et chargée d’une recherche générale des prévarications commises entre 1689 et 1715 par les officiers comptables, les fermiers généraux, les traitants, les munitionnaires et les agioteurs.
32Si peu édifiant que soit ce côté « parrain » du personnage, qui, d’ailleurs, était encore plus accentué chez un Colbert ou chez un Mazarin, force est de convenir que Louis de Pontchartrain sut trouver, parmi ses nombreux parents et alliés, les hommes compétents dont le concours lui était indispensable pour mener de front le travail d’un ministre des Finances et celui d’un ministre de la Marine. La tâche de Jérôme, son successeur à la tête de ce dernier département – lourdement chargé comme on l’a vu – allait s’en trouver facilitée. De même, s’inscrit au crédit de Pontchartrain père le mérite d’avoir sorti de l’obscurité des hommes de talent, qui s’affirmeront comme des personnalités de premier plan. L’exemple le plus probant est celui de Marc-René d’Argenson qui, après avoir longtemps végété « dans le chétif exercice de la charge de lieutenant général d’Angoulême » (Saint-Simon), eut la chance de passer sous son patronat, grâce à la recommandation de Caumartin, dont il épousa la demi-sœur. Le résultat en fut une rapide ascension ponctuée par un office de maître des requêtes, puis par la commission de lieutenant général de police de Paris et le titre de conseiller d’État ; et cette réussite ne devait pas être remise en cause par le changement de règne, l’ancien magistrat du présidial d’Angoulême donnant, au contraire, sa pleine mesure sous la Régence comme garde des Sceaux, placé en même temps à la tête de la « direction et de l’administration principale des Finances » (1718-1720).
33Le cas de d’Argenson n’est pas isolé. Nombre de protégés de Pontchartrain, propulsés par lui dans la haute administration, poursuivirent également, après 1715, une belle carrière qui leur permit d’assurer l’avenir de fils, neveux ou cousins, dont certains accéderont à des postes ministériels. Malgré le retrait de ses deux chefs de file, avec la démission volontaire de Louis en 1714 et celle, forcée, de Jérôme en 1715, la parentèle Pontchartrain parvint donc à se maintenir aux affaires, ce qui ne pouvait manquer de conforter la position du jeune Maurepas, la bienveillance des anciens collaborateurs de son grand-père venant s’ajouter, pour lui, à la protection de son « tuteur » La Vrillière. Mieux encore, avec le mariage de Maurepas, s’unissant en 1718 à la fille de La Vrillière, s’opérait le rapprochement entre les deux grandes branches, jadis sourdement rivales, de la famille Phélypeaux, un rapprochement suivi, lui-même, d’une interpénétration, plus ou moins prononcée, de leurs réseaux respectifs d’influence. Cette solidarité élargie explique, pour une part, la remarquable perpétuation au pouvoir, durant le xviiie siècle, des Phélypeaux et de leurs parents ou alliés les plus en vue. La composition de l’équipe ministérielle entourant le cardinal de Fleury, Premier ministre de facto de 1726 à 1743, est, à cet égard, particulièrement éloquente. Aux côtés des Phélypeaux de la nouvelle génération, Maurepas à la Marine et Saint-Florentin (fils de La Vrillière), aux affaires protestantes, figurent, en effet, sept ministres ou secrétaires d’État qui se rattachent à la branche Pontchartrain par un degré de parenté plus ou moins proche : à la Chancellerie, Daguesseau ; à la Guerre, successivement Le Blanc, Bauyn d’Angervilliers, son cousin, et Breteuil, cousin des Caumartin ; aux Affaires étrangères, Chauvelin, apparenté par les Talon et les Bignon, puis Amelot de Chaillou, cousin d’Amelot de Gournay et fils d’une Barrillon d’Amoncourt, elle-même arrière-petite-fille de Paul de Pontchartrain « le fondateur », premier secrétaire d’État de la famille (1610-1621).
34Cette présence en force de membres issus de la parentèle Pontchartrain proprement dite, ramène, pour la plupart d’entre eux, au recrutement initial, par Louis de Pontchartrain, de proches collaborateurs, promus ensuite, eux ou leurs descendants, à des postes ministériels. Elle montre donc que ce Pontchartrain avait provoqué un certain renouvellement de la classe politique du régime en y suscitant l’introduction de familles nouvelles, ou du moins de familles qui n’apparaissaient pas dans l’appareil d’État avant les années 1690. Sur ce plan de l’occupation des postes ministériels à l’époque de Louis XV, la parentèle qui se rattache à la branche La Vrillière fait pâle figure. À peine peut-on citer Fleuriau d’Armenonville, garde des Sceaux de 1722 à 1727 et Fleuriau de Morville, son fils, secrétaire d’État aux Affaires étrangères de 1723 à 1727 : Armenonville avait, en effet, une demi-sœur, de vingt-trois ans plus âgée que lui, qui se trouvait être la grand-mère de secrétaire d’État La Vrillière, mort en charge en 1725. Cette faible représentation tient, en partie, à la politique matrimoniale des La Vrillière, tournée, de longue date, vers la recherche des appuis de Cour, avec des alliances dans les familles anciennes, militaires et titrées, alors que les Pontchartrain avaient privilégié les alliances dans le milieu robin, de noblesse relativement récente, où se recrutait le corps ambitieux des maîtres des requêtes, point de départ des belles carrières politico-administratives. Elle tient aussi à la personnalité effacée des chefs de file – Châteauneuf, La Vrillière, Saint-Florentin – et à la moindre importance du secrétariat d’État qu’ils se transmettaient de père en fils, limité aux affaires protestantes et aux provinces de son ressort territorial. Balthazar Phélypeaux de Châteauneuf, en charge de 1669 à 1700, était « la cinquième roue du chariot » selon Saint-Simon et le même Saint-Simon qualifie le fils, Louis Phélypeaux de La Vrillière, en charge de 1700 à 1725, d’ » homme sans état et sans consistance ». Quant au petit-fils, Louis Phélypeaux de Saint-Florentin, en charge de 1725 à 1775, il n’a guère laissé de souvenir, quoique nommé ministre d’État en 1751 et fait duc de La Vrillière en 1770, sinon celui d’avoir été amplement brocardé en son temps, passant pour être à la fois « grand imbécile et grand fripon », à en croire une épitaphe satirique rédigée à l’occasion de sa mort. En fait, ces trois La Vrillière semblent avoir été des ministres courtisans, au demeurant appliqués à leur « détail » et n’ambitionnant probablement pas de déborder les modestes attributions de leur département. L’eussent-ils voulu, qu’ils n’auraient pas disposé, faute d’une clientèle appropriée, des relais nécessaires pour se faire reconnaître du monde de l’administration et s’affirmer ainsi au sein du gouvernement.
35Tant par l’importance de ses responsabilités assumées que par l’emprise de ses réseaux sur les rouages de l’État, la dynastie ministérielle des Pontchartrain l’emporte donc, et de loin, sur celle des La Vrillière qui formait pourtant la branche aînée de la famille Phélypeaux. Rapport de cause à effet, cette différence d’envergure s’observe également chez les individualités composant les deux dynasties. Certes, sur le chiffre impressionnant de dix ministres et secrétaires d’État Phélypeaux qui servirent la monarchie Bourbon, six sont des La Vrillière : ils se succèdent sans interruption, de 1621 à 1775, donnant ainsi l’apparence de la fortune la plus continue, sanctionnée sur le tard par une promotion aristocratique, avec le titre ducal conféré à Saint-Florentin. À l’inverse, en effet, il n’y a rien de lisse dans le profil de carrière que présentent les quatre ministres Pontchartrain : Paul, l’homme nouveau, issu de la bourgeoisie officière provinciale, qui, à la faveur des bouleversements politiques de la fin du xvie siècle, sera le premier Phélypeaux à parvenir secrétaire d’État, charge qu’il exerce de 1610 jusqu’à sa mort en 1621 ; puis, après une éclipse de près de soixante-dix ans, son petit-fils Louis, l’homme du rétablissement, avec, dans son sillage, Jérôme, l’arrière-petit-fils, les carrières de l’un et de l’autre s’achevant avant terme, brisées par la démission volontaire du premier en 1714 et par la démission contrainte du second en 1715 ; enfin, dernier rejeton de la branche Pontchartrain, Maurepas, secrétaire d’État en exercice à partir de 1718, ministre d’État en 1738, disgracié par Louis XV en 1749, rappelé par Louis XVI à son avènement en 1774 et mort en charge en 1781.
36Mais, comme précisément le laissent entrevoir ces multiples avatars, les quatre Pontchartrain apparaissent, parmi tous les ministres Phélypeaux, comme les individualités les plus marquantes, par leur capacité à profiter des situations nouvelles ou à redresser des situations compromises, par leur propension aussi à prendre des risques, voire à commettre des imprudences, au point de mettre en jeu leur position. Ainsi, Paul, fils d’un modeste conseiller au présidial de Blois, parvint à se propulser hors de l’horizon ligérien grâce aux circonstances exceptionnelles de l’automne 1588 où Henri III, laissant Paris aux mains de la Ligue triomphante, vint à Blois tenir les États généraux. Âgé alors de dix-neuf ans et à l’heure où les défections se multipliaient autour du dernier Valois, ce jeune Blésois sut tirer parti de la situation en se faisant recruter sur place par le secrétaire d’État Revol. De là, pris dans la filière des bureaux et passé au service d’Henri de Navarre, après l’assassinat d’Henri III, il réussissait, en une douzaine d’années, à se hisser lui-même au rang de secrétaire d’État. Cette belle réussite ne devait pas profiter à son fils et survivancier, Louis Ier, qui était encore enfant à sa mort, le frère aîné de Paul, Raymond, seigneur d’Herbault et de La Vrillière, s’empressant alors de capter son office de secrétaire d’État au profit de la branche La Vrillière. Quant à Louis Ier, ainsi dépossédé de sa survivance, il n’ira jamais plus haut que président à la Chambre des comptes de Paris, pour s’être aliéné Colbert par sa courageuse attitude lors du procès de Nicolas Fouquet. Membre de la Chambre de justice chargée de juger l’ancien surintendant, il avait, en effet, osé opiner pour une simple peine de bannissement, au lieu de la peine de mort réclamé en haut lieu.
37À la suite de son père, Louis II de Pontchartrain aura à pâtir de la rancune persistante du tout-puissant ministre. Elle lui vaudra de végéter pendant seize ans comme conseiller au parlement de Paris sans même pouvoir reprendre la charge paternelle de président aux Comptes. Finalement, ce seront deux postes difficiles, la première présidence du Parlement de Bretagne en 1677 au lendemain de la grande révolte du « papier timbré » de 1675, puis l’intendance des Finances en 1687, qui lui permettront de « se débourber » et de retrouver, pour lui et sa lignée, la route du pouvoir. Parvenu au faîte de la réussite avec sa nomination comme chancelier de France, il n’en gardera pas moins un franc-parler et une indépendance d’esprit qui semblent avoir été un des traits de caractère communs aux Pontchartrain. Saint-Simon parle de ses « escarmouches continuelles », en plein Conseil, avec le duc de Beauvillier auquel il n’hésitait pas « à porter des bottes indécentes et parfois scandaleuses ». Mais surtout, on retiendra cette manifestation d’opposition, à peine voilée sous le pieux prétexte de se retirer à l’Oratoire, que constitue sa démission en 1714 malgré les instances de Louis XIV, une démission qui, en réalité, traduisait le désaccord profond du chancelier tant à propos de la réception de la Bulle Unigenitus, contraire aux libertés gallicanes, qu’à propos de la préparation de l’Édit appelant les bâtards royaux à la succession de la Couronne, au mépris des Lois fondamentales.
- 20 Cf. Michel Antoine, Le Conseil du Roi sous le règne de Louis XV, Paris-Genève, Droz, 1970, 666 p., (...)
38De prime abord, Jérôme de Pontchartrain et son fils, Jean Frédéric de Maurepas, à qui leur naissance ouvrit très tôt – à l’âge de 19 ans et à l’âge de 14 ans –, les voies de la secrétairerie d’État, se rapprocheraient plutôt du profil La Vrillière. Mais l’un et l’autre, durant leur carrière respective, devaient manifester un tempérament et connaître des traverses qui les ramènent bien au profil Pontchartrain. Non content de s’opposer, et parfois hargneusement, à son propre père, Jérôme ne cessera d’accumuler autour de lui les rancœurs par une gestion ministérielle qui ne pêchait certes pas par un excès de ménagements. Formé, comme survivancier, sous l’œil du monarque, puis travaillant à son contact étroit pour les affaires de la Maison du Roi, « organe purement personnel à Sa Majesté20 », cet homme redouté, au pouvoir occulte difficilement mesurable, apparaît comme le secrétaire d’État louis-quartorzien type, habitué à parler impérieusement « au nom du Maître », exigeant une prompte exécution des ordres royaux et maniant volontiers la lettre de cachet. Courage ou inconscience, Jérôme de Pontchartrain restera tel quel, jusqu’aux derniers jours du long règne, continuant à ne ménager personne et, semble-t-il, ne cherchant aucunement à préparer l’après-Louis XIV. Aussi tombera-t-il, dès le mois de novembre 1715, victime toute désignée d’une réaction aristocratique qui, à travers la chute de « cet ex-bacha si rude et si superbe », entendait prendre sa revanche contre plus d’un demi-siècle d’omnipotence de l’administration louis-quatorzienne et recouvrer les responsabilités politiques jadis imparties à la haute noblesse. Toutefois, dans l’atmosphère trouble où baignait alors une régence contestée, en proie aux intrigues et bientôt aux conspirations, il eût été risqué de ne pas amortir par d’insignes ménagements envers l’influente famille Phélypeaux le coup qui l’atteignait en la personne de l’un de ses membres les plus hauts placés. Ce fut probablement ce genre de considération qui emporta le consentement de Philippe d’Orléans moyennant la « démission pure et simple » de Jérôme, à l’arrangement permettant à son fils Maurepas de recueillir sa charge de secrétaire d’État, sous la tutelle du cousin La Vrillière.
39L’alerte de 1715 avait été chaude pour les Pontchartrain et comportait de leçons de prudence. Son souvenir n’empêchera cependant pas le même Maurepas, leur dernier chef de file, de se compromettre lui aussi. Trente-quatre ans plus tard, en 1749, celui-ci connaissait, à son tour, la disgrâce, alors qu’il semblait au faîte de la réussite, étant parvenu, peu à peu, à récupérer les diverses attributions de son père et, mieux que son père, à se faire nommer (en 1738) ministre d’État. Au bilan d’une gestion qui n’était pas sans reproches, eu égard au délabrement de la Marine dans les années 1740, s’ajoutèrent, pour précipiter sa perte, des raisons d’ordre personnel, avec les débordements d’un esprit trop caustique ne résistant pas, en petit comité, au plaisir d’un bon mot, voire de plaisanteries, aux dépens de personnes accréditées, sans même ménager le très proche entourage du Roi. En cela, Maurepas tenait bien de son aïeul, le chancelier Pontchartrain que Saint-Simon, pourtant d’ordinaire bienveillant à son égard, décrit comme un homme « fort capable de mordre ou de nuire » et se complaisant à « mettre les rieurs de son côté ». Le malheur, pour l’imprudent ministre, fut de se croire assez puissant pour s’attaquer à Mme de Pompadour, la maîtresse royale, à qui il ne pardonnait ni ses ingérences, ni ses origines bourgeoises (elle était née Poisson), oubliant sur ce point que lui-même descendait de modestes bourgeois de Blois. Soupçonné d’être l’auteur de « poissonnades » – sous forme d’épigrammes ou de chansons – outrageantes envers la marquise et, en tous cas, laissant ce genre de littérature se propager impunément à travers la capitale, il avait déjà fait l’objet de mises en garde de la part de Louis XV, sans pour autant chercher à s’amender. La sanction tombait, brutale et entière, le 23 avril 1749, notifiée par un sec billet du Roi : Maurepas était destitué de toutes ses charges, avec ordre de s’exiler à Bourges et non pas au château de Pontchartrain, jugé trop près de Paris. Une longue traversée du désert commençait ainsi pour l’ex-ministre qui, du vivant de Louis XV, ne pourra plus reparaître à Versailles.
- 21 Cf. Ch. Frostin, Les révoltes blanches…, p. 179-180.
- 22 Cf. Ch. Frostin, « Du peuplement pénal de l’Amérique française aux xviie et xviiie siècles : hésit (...)
40Apparaissant, au moins en partie, comme le fruit d’une cabale de cour, le renvoi de Maurepas semble emprunt d’une signification politique mineure, surtout si on le compare à celui de son père, en 1715, qui s’inscrit dans la conjoncture d’un changement de règne marquée par une volonté de rupture. La chute de Jérôme de Pontchartrain fut, en effet, voulue par les tenants de la Polysynodie, c’est-à-dire d’une organisation collégiale du gouvernement, décidés à annihiler les progrès du pouvoir ministériel accomplis sous Louis XIV et à réduire à un rôle subalterne la secrétairerie d’État qui, depuis son institution au xvie siècle, avait été le moteur essentiel de la marche accélérée de la vieille monarchie sur la voie administrative. Le phénomène de rupture ne se limita pas à un changement de mode de gouvernement, qui, d’ailleurs, fut éphémère, le Régent s’empressant, dès 1718, de mettre fin à la décevante expérience de la Polysynodie. La rupture s’observe aussi dans l’esprit même du gouvernement, devenu profondément différent en un très court laps de temps, malgré un retour rapide et comme inéluctable, aux méthodes éprouvées du « feu Roi ». Deux exemples le montrent, tirés très précisément de l’administration des Pontchartrain et se rapportant, l’un au « Privilège de la Terre de France », l’autre, à la « peine de l’Amérique ». Tant qu’ils furent aux affaires, Louis et Jérôme de Pontchartrain se montrèrent toujours intransigeants, en dépit des récriminations des planteurs des « Isles », sur le respect du « Privilège de la Terre de France » pour les nègres esclaves des Antilles accompagnant leurs maîtres en métropole : aussitôt débarqué sur le sol métropolitain, l’esclave devenait homme libre, la France étant « terre de liberté » où l’esclavage ne saurait exister, et, en conséquence, nul ne pouvait ensuite le contraindre à repartir vers le « lieu de l’esclavage », c’est-à-dire aux Antilles. Or, un an après la mort de Louis XIV, le Conseil de Régence promulguait l’édit du mois d’octobre 1716 stipulant que désormais les esclaves introduits en France resteront esclaves et qu’ils deviendront propriété des héritiers de leurs maîtres en cas de décès de ces derniers21. De même, jamais le chancelier Pontchartrain n’autorisera les tribunaux à prononcer la « peine de l’Amérique », c’est-à-dire du bannissement au Canada, aux Antilles ou en Louisiane, malgré les pressions de milieux influents qui voyaient dans la déportation un moyen expéditif pour débarrasser le Royaume de ses éléments encombrants ou dangereux. Et, de son côté, Jérôme, sur ce point en complète harmonie avec son père, ne cessera de rappeler aux intendants et autres administrateurs qu’il n’était pas permis de laisser « prendre les gens par force » et que seuls étaient autorisés les « engagements de gré à gré » pour l’Amérique. Là encore, tout sera remis en cause par la Régence qui, autorisant, à partir de 1718-1719, les juges à condamner à la déportation outre-mer, se lancera dans une entreprise, sans précédent, de peuplement pénal des colonies, notamment de la Louisiane, par la « transportation » systématique des « vagabonds, mendiants et gens sans aveu22 ».
41Cette entreprise, précipitamment interrompue, dès 1720, devant la colère populaire suscitée par les grandes rafles à destination du « Mississipi », procédait du même état d’esprit que celui qui avait inspiré, peu auparavant, l’édit d’octobre 1716 ôtant désormais aux nègres esclaves introduits en métropole le bénéfice du « Privilège de la Terre de France ». La violation flagrante du droit du sol, que constituait cet édit privatif de liberté à l’encontre d’une catégorie d’individus à la fois très particulière et très restreinte, préfigurait bien, en effet, la violation générale des libertés qui, deux ans plus tard, allait frapper toute une masse de régnicoles, impitoyablement traqués, enfermés, puis embarqués de force. Comparée à un certain respect des principes manifesté, sur ces deux points précis, du vivant de Louis XIV, cette nouvelle politique, apparemment peu soucieuse de s’encombrer de considérations humanitaires, suggère l’existence d’une sorte de « rupture idéologique » entre l’avant 1715 et l’après 1715. C’est là, peut-être, le sens profond de la chute de Jérôme de Pontchartrain, car on voit mal comment ce secrétaire d’État, restant à son poste, aurait pu se prêter à des pratiques qu’à l’exemple de son père, et durant plus de quinze ans, il n’avait cessé de proscrire.
42Rien de tel, évidemment, n’entoure la chute de Maurepas qu’un excès d’assurance engendré par la longue habitude du pouvoir conduisit à des imprudences fatales. Néanmoins, compte tenu de la « personnalisation » toujours vivace au sein d’un appareil gouvernemental qui restait étroitement lié aux destinées particulières de quelques grandes familles, la disgrâce du fils de Jérôme de Pontchartrain, en 1749, ne pouvait manquer de dépasser la portée d’une simple mésaventure individuelle pour se répercuter sur l’évolution de l’organigramme ministériel. S’ensuivit, en effet, le partage de sa charge entre son cousin et beau-frère Saint-Florentin, pourvu du département de la Maison du Roi, le comte d’Argenson, déjà secrétaire d’État à la Guerre, qui ajoutait à ce département la responsabilité de la ville de Paris, et le conseiller d’État Rouillé, nommé secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies. Cet important remaniement d’attributions marquait ainsi la fin d’une grande tradition administrative inaugurée par Colbert, continuée par son fils Seignelay et perpétuée à travers trois générations de Pontchartrain, par-delà l’épisode de la Polysynodie, celle de la réunion des départements de la Maison du Roi et de la ville de Paris au secrétariat d’État à la Marine.
- 23 Michel Mourre, Dictionnaire encyclopédique d’Histoire, Paris, Bordas, 1986, (1re éd. 1978).
43Le démantèlement de l’ancienne charge des Pontchartrain ne signifiait cependant pas la mort politique de son dernier titulaire. Au mois de mai 1774, à l’avènement de Louis XVI, l’inusable Maurepas, après vingt-cinq ans de pénitence, revenait au pouvoir, encore plus puissant qu’autrefois, sorte de Premier ministre sans le titre, et, jusqu’à sa mort en 1781, conseiller très écouté du jeune souverain. Ce rebondissement spectaculaire d’un ancien ministre de Louis XV, exilé de Versailles depuis un quart de siècle, et propulsé, à l’âge de 73 ans, à la tête du gouvernement, mériterait, semble-t-il, quelques explications qui ne soient pas seulement ponctuelles, liées au changement de règne. Il n’en a pourtant guère suscité, étant le plus souvent présenté comme le simple effet de la volonté du nouveau monarque qui, selon l’expression d’un dictionnaire historique récent, « eut la curieuse idée d’appeler auprès de lui ce vieillard frivole et sans grandes vues politiques23 ». En quoi était-ce « une curieuse idée » et comment vint-elle à l’esprit du Roi ? Autrement dit, ce genre de présentation n’apporte aucun éclaircissement, sauf à considérer la volonté, ou le caprice, du Prince comme une raison suffisante en elle-même.
44Ce manque de perspective autour du rappel de Maurepas se retrouve également, en remontant au siècle précédent, à propos du retour en force des Pont-chartrain sous Louis XIV, après leur longue éclipse depuis la mort, en 1621, de Paul, le « fondateur ». Certes, les notices biographiques et articles consacrés à Louis de Pontchartrain, l’artisan de ce rétablissement, n’oublient jamais de mentionner l’occasion inespérée qui constitua le point de départ de la réussite du futur contrôleur général des Finances et chancelier de France. Ce fut sa nomination, en 1677, à la tête du parlement de Rennes, exilé à Vannes à la suite de la révolte du « papier timbré ». Une promotion qui allait lui permettre de se mettre amplement en valeur, avant de passer à l’intendance des Finances, prélude à sa brillante carrière ministérielle. En tant que premier président du parlement breton, Louis avait eu, en effet, à assumer des responsabilités d’autant plus lourdes qu’il faisait en même temps fonction d’intendant dans une province indocile, encore sous le choc d’une sédition durement réprimée. Mais le fait d’en bien situer le point de départ ne résout pas pour autant le problème que pose ce rétablissement. Il reste, élément essentiel, à expliquer pourquoi, du vivant même de Colbert, fort mal disposé envers les Pontchartrain depuis l’affaire Fouquet, Louis de Pontchartrain se trouva soudainement envoyé en Bretagne, pourvu d’un emploi aussi important et aussi délicat, alors qu’il n’était, à l’époque, qu’un obscur conseiller aux requêtes, privé d’avancement depuis une quinzaine d’années.
- 24 Journal du marquis d’Argenson, Paris, 1898, édition Brette, p. 59-60.
45En réalité, ces rebondissements propres à l’histoire de la branche Pontchartrain auxquels il convient d’ajouter le subtil amortissement de la chute de Jérôme en 1715, ne peuvent se comprendre sans se référer à une sorte de constance, qui se profile à l’arrière-plan de la scène politique, s’énonçant ainsi : les Pontchartrain ne sont jamais seuls. Derrière eux, se tient en réserve tout un monde solidaire de protecteurs et d’obligés prêts, un jour ou l’autre, à intervenir au service de la famille menacée à travers ses représentants hauts placés. Ces interventions ne vont pas sans présenter parfois des aspects contradictoires en raison d’animosités personnelles. Ainsi, en 1715, Saint-Simon, pourtant l’un des artisans de la perte de Jérôme de Pontchartrain, s’emploie en même temps, et avec succès, pour que le jeune fils du secrétaire d’État disgracié recueille la charge paternelle. Il le fait par considération pour le chancelier Pontchartrain et les siens. L’épouse de Saint-Simon, Gabrielle de Lorge, était d’ailleurs la cousine de la première femme de Jérôme, Éléonore de La Rochefoulcauld-Roye, mère de Maurepas, morte en 1708. Par contre, la solidarité avec les Pontchartrain se manifestera avec éclat lorsqu’à la différence du revêche Jérôme, leur représentant en danger réunit autour de lui tous les suffrages. Commentant dans son Journal le renvoi de l’aimable Maurepas en 1749, le marquis d’Argenson montre bien cette solidarité à l’œuvre, même si, en l’occurrence, elle soit restée vaine. « Il n’y a pas d’exemple, affirme-t-il, qu’un ministre se fût fait un aussi grand parti à la Cour que celui-ci ; il y tenait par les liens les plus forts… et le roi a été obligé de se cacher de tout le monde pour le coup qu’il a fait24. » D’Argenson ne dévoile là que le sommet émergé de l’ » iceberg », ce qui fait spectacle – le monde aulique – et qui masque une cascade d’innombrables relations entretenues, depuis plus d’un siècle et demi, par les alliances matrimoniales et les services rendus. Aussi le « grand parti à la Cour » du dernier des ministres Pontchartrain, sans exemple auparavant selon l’auteur du Journal, ne constituait-t-il que l’une des composantes du meilleur de l’héritage laissé par ses prédécesseurs, c’est-à-dire leur impressionnant réseau de parentèle et de clientèle, probablement, toutes branches Phélypeaux confondues, le plus étendu et le plus diversifié qui ait existé sous la monarchie Bourbon. C’est pourquoi l’expression « le bonheur de s’appeler Phélypeaux » pourrait faire le sous-titre de cet ouvrage.
46L’artisan le plus dynamique de l’extension de ce réseau paraît avoir été Louis de Pontchartrain qui sut profiter de ses vastes attributions de contrôleur général et de secrétaire d’État, puis de sa position de chancelier de France pour s’entourer de « fidèles » et les établir solidement. Cependant, dans l’histoire de ces réseaux, si caractéristiques de l’ancienne France et si peu conformes à nos habitudes démocratiques, tout ne tenait pas à l’action d’un puissant ministre et à l’importance des fonctions occupées. Entrait aussi en ligne de compte l’ancienneté d’implantation qui avait permis, au fil du temps, de multiplier et affermir les solidarités, servant ainsi de tremplin pour les ambitieux aspirant à se rapprocher du pouvoir. Selon ce système, l’homme parvenu à un poste ministériel, que l’on voit cultiver avec soin sa clientèle, ne faisait, en réalité, que développer et renouveler celle que lui avaient transmise les générations précédentes, et sans laquelle il aurait eu peu de chance de s’élever aussi haut. L’histoire particulière du réseau Phélypeaux illustre bien cette continuité et cette dépendance. De manière significative, elle apparaît placée sous le signe permanent de l’expansion, malgré les vicissitudes des carrières individuelles. Ébauché à la fin du xvie siècle, déjà largement ramifié au seuil des années 1620 sous l’impulsion de Paul de Pontchartrain et de son frère Raymond d’Herbault-La Vrillière, les deux premiers secrétaires d’État Phélypeaux, ce réseau continue, en effet, à se renforcer en plein xviie siècle, non seulement autour des La Vrillère, confortablement installés au pouvoir, mais aussi du côté des Pontchartrain qui pourtant se trouvent, alors, politiquement au plus bas. Écartée des grands emplois, cette branche n’en pratique pas moins une stratégie matrimoniale qui s’avérera payante. Marié lui même à une Talon, mariant sa fille aînée à un Bignon et son fils aîné à une Maupeou, Louis Ier de Pontchartrain, le président des Comptes, « victime » de Colbert, compense en quelque sorte ses déboires politiques par ces alliances qui font baigner les siens dans l’aura de la magistrature d’ » ancienne roche » du parlement de Paris. S’y ajoutent d’étroits apparentements avec les familles financières, notamment par l’intermédiaire des Beauharnais et des Maupeou. Or, qui touche au milieu financier, touche à tous les milieux de la bonne société, jusqu’à la Cour elle-même. L’ensemble donnait ainsi aux Pont-chartrain des facilités de relations prêtes à jouer pour peu qu’une occasion favorable se présentât. Voyons là l’explication, au moins partielle, de la promotion surprenante, en 1677, de Louis II de Pontchartrain à la tête du Parlement de Bretagne, point de départ du rétablissement de sa branche, avec, bientôt, les carrières ministérielles retrouvées en la personne de ce même Louis et en celle de son jeune fils Jérôme.
47Pour comprendre cette réintégration des Pontchartrain au sein de la classe politique dans le dernier tiers du xviie siècle, il convient donc, d’abord, de restituer l’évolution générale du réseau Phélypeaux, de l’époque de Paul, le « fondateur », à celle de son petit-fils, Louis, l’homme du rétablissement. L’étude du réseau ne s’impose pas seulement à ce titre, puisqu’il servit ensuite de vivier où les deux ministres Pontchartrain de Louis XIV puisèrent, de préférence, leurs proches collaborateurs et leurs principaux agents d’exécution. Ce recrutement préférentiel obéissait lui-même à la logique d’un système régi par une profonde solidarité familiale qui ne négligeait pas les liens les plus anciens ou les plus éloignés et qui transcendait la vieille rivalité entre les La Vrillière et les Pontchartrain. Une véritable mémoire Phélypeaux s’est ainsi forgée au fil du temps. Elle explique, mieux que toute autre considération, ce cas unique que constitue l’étonnante perpétuation des Phélypeaux au pouvoir sous les rois Bourbon, d’Henri IV à Louis XVI. Nulle autre dynastie ministérielle ne peut, en effet, se prévaloir de la performance d’avoir fourni à la monarchie durant 170 ans, de 1610 à 1781, un total de dix ministres et secrétaires d’État.
48Parmi ces dix Phélypeaux, et malgré la longévité ministérielle d’un Maurepas ou d’un Saint-Florentin, Louis et Jérôme de Pontchartrain font figure d’hommes de gouvernement d’envergure supérieure, eu égard à leur personnalité très affirmée, à l’efficacité au moins relative de leur action et à l’étendue des responsabilités assumées en une période particulièrement critique. Ils présentent ainsi deux caractéristiques dominantes qui s’avèrent d’un intérêt historique majeur. Ce sont, d’une part, l’appartenance à la plus grande famille ministérielle que l’Ancien Régime ait connue, et, de l’autre, l’importance et la diversité des fonctions exercées, où on retrouve le Contrôle Général, la secrétairerie d’État et la Chancellerie. Ce double aspect indique, en même temps, la démarche qui voudrait inspirer cet ouvrage. Elle se propose d’éviter le plus possible de considérer isolément la personne et l’action de l’un ou l’autre de nos deux ministres, ou encore de les cantonner artificiellement au seul plan gouvernemental, mais, au contraire, d’essayer de prendre la juste mesure, à un plan moins apparent, du monde multiforme de parents et de clients qui gravitait autour d’eux, les soutenant, les servant et, à l’occasion, faisant pression sur eux. Cette démarche s’impose en raison même de l’existence, dans l’ancienne France, de tous ces réseaux parallèles qui, selon l’expression de Denis Richet, « assuraient mieux que les institutions officielles la continuité de l’État ». Autrement dit, l’histoire politique des deux ministres Pontchartrain de Louis XIV est inséparable de l’histoire sociale du réseau Phélypeaux.
49Sous l’Ancien Régime, on ne part pas de rien. Aussi la notion d’ » homme nouveau » s’avère-t-elle des plus relatives, les personnages réputés tels appartenant le plus souvent à des familles déjà assez influentes pour leur permettre de s’élever. Ce fut, par exemple, le cas de Jean-Baptiste Colbert qui se trouva précédé et porté par toute une tribu solidement introduite, par les charges et les alliances, dans le monde de la finance. Dans un ouvrage au titre évocateur, Les Colbert avant Colbert (Paris, 1973), Jean-Louis Bourgeon l’a clairement démontré, concluant que, bien avant que Colbert ait fait la fortune de sa famille, c’est plutôt sa famille qui a permis la sienne. À première vue, cette sorte de règle ne semble pas devoir s’appliquer au cas particulier, plus d’un demi-siècle auparavant, de Paul Phélypeaux, le premier seigneur de Pontchartrain et le premier secrétaire d’État en date de la famille. Au point de départ de la réussite de ce fils d’un simple conseiller au présidial de Blois, on aperçoit surtout la chance, avec l’arrivée, le 1er septembre 1588, d’Henri III, désemparé, venu se réfugier dans la petite cité pour échapper à l’empire de la Ligue et pour y tenir les États Généraux, loin de la pression parisienne. Ce fut, en effet, cette situation critique qui permit à Paul Phélipeaux, âgé de 19 ans, de se faire recruter sur place, à la mi-septembre, dans les bureaux du secrétaire d’État Louis Revol, le monarque se trouvant d’autant plus avide de dévouements nouveaux que le loyalisme vacillait autour de lui. Cependant les circonstances, si exceptionnelles fussent-elles, ne sauraient tout expliquer. Encore fallait-il pouvoir en profiter. Sur ce point précisément, l’évocation du passé blésois des Phélypeaux et de leurs alliances apporte un certain éclairage. Elle laisse entrevoir l’existence de solidarités ligériennes confluentes qui jouèrent aussi en faveur de Paul, lors-qu’il se présente à Révol. Et ces solidarités, elles-mêmes, montrent que, pour le jeune Blésois, la chance ne tint pas seulement à des événements propices. Elle fut encore d’ordre social et d’ordre géographique, en raison de l’appartenance de sa famille à la bourgeoisie urbaine des pays de Loire, un milieu et une région qui, tous les deux, constituaient alors un terrain particulièrement favorable aux grandes réussites.
- 25 Cf. Denis Richet, « La formation des grands serviteurs de l’État fin xvie-début xviie siècles », L (...)
- 26 Cf. Daniel Dessert, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984, 824 p., p. 89
50Balisant une aire devenue le centre de gravité de la monarchie itinérante des Valois, et, de plus, bénéficiant de la relative proximité de Paris, les villes du Val de Loire, notamment Tours, Blois et Orléans, servaient, en effet, de viviers où les souverains de la Renaissance avaient l’habitude de puiser bon nombre de leurs serviteurs, et non des moindres. Cette pratique remontait au xve siècle, les bourgeoisies de ces cités et d’autres situées plus en amont ayant puissamment aidé le « petit roi de Bourges » à reconquérir son royaume, et s’étant ensuite fait payer grassement leur dévouement à la cause de la légitimité. À cet égard, la situation, au xvie siècle, de la grande robe parisienne, caractérisée par sa forte proportion de familles issues d’un ensemble régional allant de la Touraine au Massif central, traduit bien la reconnaissance par le pouvoir royal des services rendus sous le règne de Charles VII25. La poussée ligérienne ne se limita pas aux cours souveraines de la capitale. Elle s’observe aussi à travers le fonctionnement de l’appareil fisco-financier de l’État, reflétant, en même temps, l’importance que prenaient les pays de Loire dans la « géographie financière » du Royaume et qui ira croissante jusqu’au milieu du xviie siècle. Pourvues de cités économiquement actives, où s’était enracinée une solide pratique des maniements de l’argent « au contact des réalités marchandes et des nécessités du pouvoir26 », l’Anjou, la Touraine et l’Orléanais formaient, en effet une entité régionale qui n’allait pas tarder à devenir particulièrement féconde en familles financières. C’est ainsi que, dès la fin du xve-début xvie siècle, un puissant « syndicat » de familles ligériennes, toutes alliées entre elles, les Hurault, issus de Blois, les Briçonnet, les de Beaune et les Ruzé, issus de Tours, réussit à percer sur le plan national en accaparant une bonne part des grands offices de finance.
- 27 Cf. Yves Durand, « Philippe Hurault de Cheverny, chancelier de France (1528-1599) », R. Mousnier ( (...)
51Parmi ces financiers, le plus connu, à cause de sa fin tragique, reste Jacques de Beaune, baron de Semblançay, qui, général des Finances et beau-père d’un Raoul Hurault, lui-même général des Finances, sera condamné à mort pour malversations et pendu au gibet de Montfaucon en 1527. Mais, ici, ce sont les Hurault qui retiennent l’attention en raison de leur origine blésoise et d’une lointaine parenté avec les Phélypeaux par un mariage remontant à la fin du xive siècle. Ces Hurault commencent à s’élever par de modestes offices dans le Blésois au service des ducs d’Orléans, en même temps comtes de Blois, et prennent progressivement de l’importance, au cours du xve siècle, sous la protection de cette maison princière. Tout à la fin du siècle, leur promotion sera accélérée par l’accession au trône, en 1498, du duc Louis d’Orléans sous le nom de Louis XII. Maître des Eaux et Forêts du comté de Blois depuis 1478, Jacques Hurault, qui avait été trésorier du futur roi de 1483 à 1498, passe désormais au rang des grands officiers de finance avec les charges de trésorier de France en 1499, puis de général des Finances d’Outreseine à partir de 1501. Son fils aîné, Raoul Hurault, nommé général des Finances de Bourgogne en 1515, et que l’on voit prêter de grosses sommes à François Ier en 1516, continue l’ascension par son mariage avec Marie de Beaune, fille de Semblançay, le principal des généraux de finance, celui qui avait « la grande charge », la charge de Languedoïl27. La chute de Semblançay en 1527 ne pouvait manquer de porter un coup sévère au crédit de Hurault. Après une période de repli, la situation sera rétablie par le dernier des cinq fils de Raoul Hurault et de Marie de Beaune, Philippe Hurault de Cheverny. Embrassant la magistrature et se mariant dans l’influente famille parlementaire des de Thou (encore une famille d’origine ligérienne !), Cheverny parviendra à la première dignité de la robe, à l’issue d’une brillante carrière au Conseil du Roi. Nommé chancelier de France en 1581 par Henri III qui le disgraciera au mois de septembre 1588, puis rappelé par Henri IV en 1590, le petit-fils du pendu de Montfaucon terminera une vie comblée d’honneurs en 1599, à l’âge de 71 ans.
- 28 « Brief discours de l’Antiquité et heureuse prospérité de la maison et famille des Hurault… » (cit (...)
52L’ascension des Hurault, à la charnière des xve-xvie siècles, offre un exemple caractéristique de réussite par passage du cadre provincial au cadre national. Cette réussite ne fut pas un cas isolé. Au même moment, plusieurs autres familles blésoises s’évadent également des horizons locaux pour s’introduire à la Cour, et, parmi elles, les Cottereau qui, comme les Hurault, étaient apparentés aux Phélypeaux, mais par une alliance beaucoup plus récente, datant de 1488. Il s’agit bien là d’un phénomène collectif spécifiquement blésois qui s’insère dans la montée générale de l’élément ligérien amorcé depuis l’époque de Charles VII. Et ce phénomène apparaît étroitement lié à une circonstance historique précise. Il fut, en effet, sinon déclenché, du moins considérablement amplifié par l’avènement de Louis XII, l’ancien duc d’Orléans entraînant dans son sillage les familles officières les plus en vue du comté pour s’être déjà distinguées à son service ou à celui de ses prédécesseurs. Comme le résume un vieux texte exaltant l’ » Antiquité » de la maison des Hurault, ces familles se virent « grandement accrues et augmentées en biens, honneurs, offices et dignités sous la faveur de cette maison d’Orléans et sous le règne de Louis douzième et François Premier, Rois de France et comtes de Blois28 ».
53Les effets de cette promotion blésoise, que venait renforcer le jeu des alliances et des solidarités, peuvent s’observer, de manière précise, dans un milieu particulier, évoluant dans l’ombre du souverain, celui des « secrétaires signant en finances » dont l’office se trouvait alors en pleine mutation juridique et sociale. Issus des notaires-secrétaires du roi au rôle subalterne de greffiers et d’agents de transmission des ordres royaux, ces secrétaires, spécialisés dans l’expédition des lettres comportant des engagements financiers, deviennent au xvie siècle de véritables agents de décision avec l’habitude prise par François Ier de confier à quatre d’entre eux, appelés « secrétaires des commandements et finances du roi », l’expédition des affaires courantes. Enfin sous Henri II, le titre de « secrétaire d’État », reconnu, vers 1560, à ces quatre « secrétaires des commandements » consacrait la mutation de leur office qui les hissait ainsi au rang de chefs de départements ministériels. Or, l’initiateur de cette transformation, le pionnier en quelque sorte de la secrétairerie d’État, provient de Blois et, comme les Hurault et les Cottereau, appartient à ce groupe de familles officières du comté qui suivirent le sillage royal de la maison d’Orléans. C’est Florimond Robertet, secrétaire des Finances et trésorier de France, l’un des personnages les plus influents de l’entourage de Louis XII et ensuite de François Ier, jusqu’à sa mort en 1527. Florimond entraîne derrière lui des familles alliées, tels les Morvillier auxquels il se rattache par sa femme Michèle Gaillard, cousine germaine de Marie Gaillard, épouse d’Étienne de Morvillier, procureur du roi au comté de Blois. Aussi, le fils d’Étienne, Jean de Morvillier (1506-1577), qui avait embrassé l’état ecclésiastique, accomplira-t-il un beau parcours : après avoir été conseiller au Grand Conseil, maître des requêtes, ambassadeur à Venise, puis avoir obtenu l’évêché d’Orléans vers 1550, il sera nommé garde des Sceaux à la suite de la disgrâce, en 1566, du chancelier Michel de L’Hospital.
- 29 Cf. Vittor Yvo-Comparato, « Guillaume Bochetel, secrétaire d’État ( ?-1558) », R. Mousnier, op. ci (...)
54Là encore, avec ces Morvillier, on retrouve la trace des Phélypeaux en remontant les généalogies qui révèlent une alliance Phélypeaux-Morvillier dans la seconde moitié du xive siècle. D’autre part, le nom de Morvillier mène directement au cœur de la corporation familiale Robertet-Bochetel-L’Aubespine-Neufville de Villeroy qui dominera les quatre offices de secrétaires d’État jusque dans les années 1580. Vers 1520, Florimond Robertet fait le mariage de Marie de Morvillier, sœur de Jean de Morvillier, avec Guillaume Bochetel, son collaborateur et protégé, originaire de Bourges. Bochetel deviendra secrétaire des Finances à partir de 1532, en vertu d’une commission qui faisait de lui un secrétaire d’État de facto avant l’apparition de ce titre29. Puis, en 1543, la fille aînée de Guillaume Bochetel et de Marie de Morvillier, Jeanne Bochetel, épousait un ancien clerc de son père, également originaire de Bourges, Claude de L’Aubespine qui sera le premier, parmi les quatre secrétaires « des commandements et des finances », à prendre officiellement le titre de secrétaire d’État, en 1559, à l’occasion du traité de Cateau-Cambrésis où il signe pour le roi. Enfin, en 1561, Claude de L’Aubespine marie sa fille Madeleine à Nicolas de Neufville de Villeroy, fils et petit-fils de secrétaires des Finances, un homme qui battra les records de longévité ministérielle, malgré les circonstances troublées, en étant successivement secrétaire d’État sous Charles IX, Henri III, Henri IV, la régence de Marie de Médicis et les débuts du règne personnel de Louis XIII.
55Quoiqu’issu d’une famille depuis longtemps parisianisée, ce Villeroy se rattachait, par son aïeule maternelle, à la grande famille tourangelle des Briçonnet qu’illustrèrent les deux cardinaux Briçonnet, le premier, ministre de Charles VIII, le second, disciple de Lefèvre d’Étaples et animateur du « Cénacle de Meaux ». Mais surtout les Briçonnet formaient une puissante famille financière alliée aux de Beaune de Semblançay et, par eux, au groupe blésois des Hurault et des Cottereau. Guillaume Briçonnet, général des Finances sous Louis XII et sous François Ier, était marié à la sœur de Semblançay, Raoulette de Beaune ; Raoul Hurault, général des Finances à partir de 1515, avait, lui, comme on l’a dit, épousé la fille de Semblançay, Marie de Beaune ; et Jean Cottereau, également général des Finances, avait marié l’une de ses filles au fils de Semblançay, Guillaume de Beaune. Or, ce Jean Cottereau était lui-même apparenté aux Phélypeaux par sa sœur Perrette Cottereau mariée en 1488 à Guillaume Phélypeaux, « marchand bourgeois » de Blois, trisaïeul de Paul Phélypeaux de Pontchartrain. Ainsi, à travers le jeu des alliances et grâce au fil conducteur de la finance des pays de Loire, l’évocation du célèbre secrétaire d’État qui servit quatre rois aboutit à celle du fondateur de la dynastie ministérielle des Phélypeaux. Si indirectes et éloignées qu’apparaissent ces alliances, le rapprochement n’en est pas pour autant superflu, car des liens beaucoup plus étroits s’établissent entre les deux hommes, sur le plan des carrières, dès les premières années du règne d’Henri IV. Petit-neveu, par sa femme née L’Aubespine, du garde des Sceaux Jean de Morvillier qui fut son éducateur politique à l’époque de ses débuts, Nicolas de Neufville de Villeroy se fera plus tard, à son tour, le mentor et le protecteur, dans les bureaux de la secrétairerie d’État, du jeune Paul Phélypeaux qui comptait, de son côté, une Morvillier parmi ses ascendants maternels. De plus, Paul cousinait, lui même, avec la femme de Villeroy par le mariage de son frère aîné Raymond Phélypeaux avec une Gobelin, les Gobelin étant alliés aux L’Aubespine, comme on le verra plus loin. Il s’ensuivra un resserrement progressif des relations entre les familles Villeroy et Phélypeaux qui se manifestera avec éclat en 1623, peu après la mort de Nicolas (1617) et celle de Paul (1621), lorsque le petit-fils du premier, Charles de Neufville, comte de Bury, lieutenant général en Lyonnais, Forez et Beaujolais, épousera la nièce du second, Marie Phélypeaux.
56Toutes ces relations de parentèle Phélypeaux durant leur période blésoise, y compris celles, très lointaines, remontant à des unions fort anciennes, ne sauraient être négligées, car elles ne furent pas étrangères à la réussite de Paul Phélypeaux. Comme l’ascension de nombre de ses compatriotes des générations précédentes, celle du premier Pontchartrain doit, en effet, être replacée dans le cadre du vaste panorama des solidarités ligériennes en expansion constante depuis l’époque de Charles VII. Les Tourangeaux, les Blésois, les Orléanais et les Angevins qui, très tôt, aux xive et xve siècles, accèdent aux grandes charges, n’oublieront pas, eux-mêmes et leurs descendants, les parents, clients et amis restés au pays natal. Le père de Paul, Louis Phélypeaux, mort avant 1586, faisait partie de cette dernière catégorie cantonnée dans des charges locales, mais qui pouvait se prévaloir de cousinages flatteurs et, à l’occasion, utiles. Sans vouloir minimiser la part de la valeur personnelle et celle de la chance offerte par la conjoncture des années 1580-1590, il ne fait guère de doute que le futur secrétaire d’État bénéficia de relations et de recommandations pour pouvoir mettre le pied à l’étrier et ensuite gravir les échelons. Son union en 1605 avec Anne de Beauharnais, d’une famille d’officiers de finance de l’Orléanais, ne fait que donner, rétrospectivement, plus de poids à cette affirmation. Elle atteste la persistance des solidarités ligériennes à un moment où Paul s’était déjà considérablement élevé, se trouvant pourvu, depuis 1601, de l’importante charge de « secrétaire des commandements » de la reine Marie de Médicis. Toutefois, le sens des rapports de solidarité s’était inversé. De la position de protégés, les Phélypeaux étaient passés à celle, plus confortable, de protecteurs, grâce à l’entregent de son chef de file. Bien avant 1610, année de sa nomination comme secrétaire d’État, Paul Phélypeaux avait, dès les années 1590, réussi la « percée », une « percée » qui allait s’accompagner d’un « décollage » collectif, ses quatre frères accédant sans tarder à des charges importantes.
57Ce « décollage » apparaît bien tardif, comparé à celui des Robertet, des Morvillier, des Hurault ou des Cotterau qui le précède d’environ un siècle. En réalité, à l’époque de la grande poussée blésoise de la fin du xve siècle, les Phélypeaux, toujours qualifiés de « marchands bourgeois », n’étaient pas encore assez considérés localement pour être en mesure de participer à l’ascension des familles influentes du comté propulsées près du trône par la faveur de Louis d’Orléans devenu roi. Pourtant, le Grand dictionnaire historique de Louis Moreri (édition de 1725) présente la famille Phélypeaux comme une « maison célèbre et illustre dès le commencement du xiiie siècle » et les Dossiers bleus (520, f° 26 et suivants) du cabinet des Titres (Bibliothèque nationale) la font remonter à un certain Jean Phélipes, chevalier et seigneur en Bretagne vers 1080. Cette revendication d’une extraction noble ancienne était, à l’époque, chose courante de la part de puissantes familles soucieuses d’effacer définitivement le souvenir de quelque lointaine « épicerie » ou « marchandise » au moyen de généalogies de fantaisie et de complaisance. Le cabinet des Titres, ce « tombeau des vanités et des ridicules » selon l’expression de l’historien Pierre Goubert, offre, à cet égard, de nombreux autres exemples caractéristiques, tel, avec un soi-disant baron de Castelhill venu s’établir à Reims au xiiie siècle, le mythe de l’ancêtre écossais des Colbert auquel n’a rien à envier le mythe de l’ancêtre breton des Phélypeaux avec leur chevalier Phélipes du xie siècle. Car, en fait de lignée chevaleresque, ce sont plutôt de bons bourgeois que l’on aperçoit parmi les ancêtres blésois des comtes de Pontchartrain et des marquis de La Vrillière.
- 30 Pour le sens du terme « marchand » au xvie siècle, voir notamment J.-L. Bourgeon, Les Colbert avan (...)
58L’histoire des origines de la famille Phélypeaux reste confuse, les premiers points de repère sûrs ne se situant qu’à partir de la fin du xve siècle, avec les trois générations qui précèdent le « décollage ». En 1488, lors de son mariage avec Perrette Cottereau, Guillaume Phélypeaux (mort avant 1526), le trisaïeul de Paul, est qualifié de « marchand bourgeois de Blois ». « Marchand bourgeois » ou « marchand » tout court, sans mention de spécialité et sans autre précision que celle de la ville de résidence, l’expression, fréquente à l’époque, prenait généralement « la valeur d’une véritable appellation honorifique », comme le souligne Jean-Louis Bourgeon à propos des ancêtres de Colbert30. Avec son imprécision apparente, elle était, en effet, réservée aux marchands d’une certaine envergure, importateurs et grossistes qui trafiquaient de toutes sortes de marchandises. Autrement dit, l’enrichissement allant de pair avec la diversification du commerce, le marchand non spécialisé se situait en haut de la hiérarchie de la profession, à l’inverse du marchand spécialisé – « marchand drapier », « marchand pelletier », « marchand épicier », etc. – qui, prisonnier de sa spécialité, se trouvait réduit à l’écoulement d’une gamme limitée de produits.
59La plupart de ces marchands non spécialisés étaient des « merciers grossiers », les merciers, dans nombre de villes, étant seuls autorisés, par leurs statuts, à pratiquer en gros le commerce de tous les autres corps de marchands. La fonction économique de ces « merciers grossiers » ne saurait être négligée, d’autant qu’ils étaient toujours un peu banquiers, grâce à leur familiarité avec le marché des changes découlant du métier d’importateur. Leur présence allait d’ailleurs s’affirmer vigoureusement au cours du xvie siècle, l’évolution du commerce international, jadis monopolisé par quelques grandes firmes et maintenant accessible à des trafiquants au capital médiocre, provoquant, un peu partout, la multiplication du nombre des importateurs-grossistes.
60Tous ces « marchands », même si, individuellement, leur chiffre d’affaires n’était pas nécessairement très élevé, constituaient une force d’un dynamisme incontestable sur le plan économique. Aussi n’est-il pas étonnant de constater chez les descendants de certains d’entre eux l’éclosion de belles réussites sur le plan social et sur le plan politique. À titre d’exemple, rappelons les origines des deux plus célèbres familles ministérielles sous Louis XIV, les Colbert et les Le Tellier. Jean-Baptiste Colbert – le « grand Colbert » – était issu, non pas de « marchands drapiers de Reims », comme il a été dit trop souvent, mais de « marchands » (tout court) demeurant à Reims, c’est-à-dire de « merciers grossiers ». Le chancelier Michel Le Tellier, père de Louvois, provenait également de ce milieu, avec son ancêtre Pierre Le Tellier, « marchand bourgeois de Paris », vivant en 1535. Il en allait donc de même pour la troisième grande famille ministérielle louis-quatorzienne, les Phélypeaux, car, si le chancelier Louis de Pontchartrain pouvait se réclamer d’un aïeul secrétaire d’État en la personne de Paul, « le fondateur », il ne descendait pas moins de « merciers grossiers », en celle de Guillaume Phélypeaux, mort au début du xvie siècle.
61Les stratégies matrimoniales pesèrent lourd dans la préparation de telles réussites, comme le montre précisément le mariage de Guillaume, en 1488, avec Perrette Cottereau, fille d’un « marchand boucher » de Blois, toutefois déjà intégré à la bourgeoisie officière locale par l’achat d’une charge de « maître des eaux mortes du comté de Blois ». À première vue, l’alliance ne paraît guère flatteuse pour les Phélypeaux qui étaient des « marchands » solidement établis dans la cité depuis près d’un siècle. Et pourtant elle s’avérera des plus intéressantes, la famille Cottereau se trouvant alors en pleine ascension, bientôt anoblie grâce à la brillante carrière du frère de Perrette, Jean Cottereau, général des Finances sous François Ier, ce qui permettra aux Phélypeaux d’écarteler leurs « armes » avec celles des Cottereau. Mais surtout, ce mariage allait leur valoir de s’apparenter, sans trop attendre, au puissant trio financier ligérien, de Beaune de Semblançay – Hurault de Cheverny – Briçonnet. En effet, comme on l’a dit plus haut, la fille aînée de Jean Cottereau, le général des Finances, deviendra, par son union avec le fils de Semblançay, la belle-sœur de Raoul Hurault, également général des Finances, lui même gendre de Semblançay, et la nièce par alliance de Guillaume Briçonnet, autre général des Finances, beau-frère du même Semblançay. De plus, les Phélypeaux pourront se prévaloir d’un cousinage particulièrement flatteur par le mariage de la seconde fille de Jean Cottereau avec Jacques d’Angennes, seigneur de Rambouillet, de famille aristocratique.
62Les effets de l’alliance Phélypeaux-Cottereau se firent sentir dès la génération suivante. Raymond Phélypeaux (mort en 1533), fils de Guillaume et de Perrette, abandonne la « marchandise » pour les offices de finance. Après des études de droit, il est, en 1517, « commis par le Roi à tenir le compte à faire le paiement des édifices et réparations du château de Blois » ; puis, en 1525, grenetier au grenier à sel de Blois ; enfin, il termine sa carrière dans une charge d’élu en l’Élection de Blois (les « élections » étant des circonscriptions financières soumises à la juridiction des « élus »). Bien que devenu officier du roi, ce fils de marchand s’était marié dans son milieu d’origine en épousant, en 1521, Robine de Lutz, fille d’un marchand bourgeois de Blois. Mais, soucieux d’une plus grande considération sociale, il sera aussi le premier Phélypeaux à posséder une seigneurie. En 1525, il acquiert en partie la terre de La Vrillière, en Blésois, fief noble, entraînant foi et hommage, situé dans la commune actuelle de Saint-Lubin-en Vergonnois d’où était probablement originaire la famille de sa femme : le grand-père de Robine, Jean de Lutz, orfèvre de son état, est dit « sieur de Saint-Lubin ».
- 31 Ce contrat du 22 août 1557 (cité par Eugène Jarry, « Les origines de la famille Phélypeaux », Bul. (...)
63À la fois officier de finance et « seigneur », Raymond fait figure de précurseur. Il ouvrait la voie dans laquelle son fils Louis (mort avant 1586) allait progresser de manière sensible. Licencié en droit et héritier de la charge paternelle d’ » élu », Louis Phélypeaux franchit un échelon supérieur par l’achat, en 1553, de la charge, plus considérable, de conseiller au siège présidial de Blois. Les présidiaux, tribunaux interposés entre les juridictions de bailliage et les parlements, venaient d’être institués par un édit de 1552. Peu après, en 1557, le nouveau magistrat, fort du prestige de la « robe », s’alliait, dans une famille de l’Orléanais, à Radegonde Garrault, fille confortablement dotée (3600 livres tournois) de Jean Garrault, seigneur de la Quanté, « receveur général des deniers appartenant à la communauté des marchands fréquentant la rivière de Loire ». Le contrat de mariage, passé devant notaire à Orléans le 22 août 1557, est révélateur quant au choix des qualifications. Tandis que le père de la future se contente de l’appellation d’ » honorable homme », le futur, lui, est pompeusement qualifié de « noble homme Me Loys de Philipeaulx… fils de défunt noble homme Me Raymond de Philipeaulx31 ». Rien, évidemment, n’autorisait Louis Phélypeaux à se donner ainsi du « noble homme » et à prendre la particule, puisque ni la possession de fiefs nobles comme la terre de La Vrillière, ni la charge d’ » élu », ni celle de conseiller au présidial n’étaient anoblissantes. Mais ce jaillissement de prétentions nobiliaires traduisait la réussite sociale d’une famille qui, en un siècle à peine, était passée de la « marchandise » aux offices de finance et, de là, à la magistrature.
64Pour couronner cette ascension régulière et rapide, les très complaisants Dossiers bleus feront de Louis un conseiller d’État à la fin de sa carrière. En fait, il mourut, à Blois, toujours simple conseiller au présidial. Son action n’en avait pas moins été décisive. Premier des Phélypeaux à détenir un office de judicature, il avait installé, de plain-pied, sa famille dans la bonne société ligérienne, comme le montre, dès 1586, le mariage de sa fille aînée Jacqueline avec Isaac Robert, seigneur de Beauregard (près de Montargis), issu d’une famille d’Orléans anoblie en 1481 et qui sera conseiller au présidial de Blois après son beau-père. D’autre part, l’acquisition de nouvelles terres, venant s’ajouter à celles léguées par son père Raymond, l’officier de finance, lui avait permis de devenir « seigneur de La Cave et de La Vrillière », alors que Raymond n’était que « seigneur en partie de La Vrillière ». Enfin, signe encore de la réussite comme les prétentions nobiliaires affichées dans le contrat du 22 août 1557, le couple Louis Phélypeaux-Radegonde Garrault représente la génération de l’explosion démographique, avec huit enfants vivants, dont cinq fils. Aussi, lorsque, propulsé par les événements, le troisième de ces cinq garçons, Paul Phélypeaux, accomplira un parcours exceptionnel qui devait le hisser au rang de secrétaire d’État, la percée deviendra-t-elle massive au lieu de se limiter à un seul individu comme pour les générations précédentes. Sautant, en effet, dans le sillage de Paul, ses quatre frères se parisianisent et accèdent sans tarder à des charges importantes : Raymond, l’aîné, sera trésorier de l’Épargne avant de terminer, lui-même, secrétaire d’État. Salomon et Jean appartiendront à la Chambre des comptes de Paris ; Jacob, abbé de Bourgmoyen et de l’Esterp, entrera au parlement de Paris comme conseiller-clerc. Il s’agit donc bien là d’un décollage collectif, d’un véritable « take off » déclenché par la crise politique de l’année 1588. Une crise d’une extrême gravité et, par là même, génératrice de mobilité sociale, la monarchie aux abois, trahie par les hommes en place, offrant alors des chances inespérées de promotion à cette bourgeoisie officière provinciale, certes instruite, ambitieuse et grimpante, mais qui, en période normale, n’aurait pu se rapprocher du trône.
65À partir des années 1480 et durant tout le xvie siècle, les Phélypeaux connurent donc une ascension continue, caractérisée d’abord par une remarquable régularité durant trois générations, puis, dans un second temps, par une brusque accélération lorsqu’en 1588, la chance se porta au-devant d’eux avec la venue du roi à Blois pour la tenue des États généraux. La première période de cette ascension, la plus longue, apparaît ainsi comme la phase préparatoire à la grande réussite de Paul, le futur secrétaire d’État, et de ses frères. Grâce aux patients efforts de Guillaume, le marchand-bourgeois, de Raymond, l’officier de finance, et de Louis, le conseiller au présidial, cette nouvelle génération Phélypeaux disposait, en effet, du minimum d’atouts indispensable pour être en mesure de tirer parti d’événements favorables. Ce minimum, dont, au départ, même un homme « nouveau » ne pouvait se passer, on le résumera en quatre points dans le cas des Phélypeaux : l’appartenance à une famille de notables, avec la considération qui en découle ; l’instruction, accompagnée d’un bagage juridique ; un éventail de relations dépassant, grâce au jeu des alliances, les limites du comté ; enfin, très probablement, des moyens financiers liés à un solide enrichissement réalisé, transmis et grossi de génération en génération, sous l’effet cumulatif de l’activité commerciale initiale, des offices acquis, des terres grignotées et des mariages assortis de bonnes dots. Il convient, à ce propos, de rappeler que la possession d’une certaine fortune était la condition préalable à toute réussite politique d’envergure, la monarchie ne sélectionnant ses grands serviteurs que parmi les individus capables de s’élever dans la hiérarchie des offices par l’achat de charges de plus en plus coûteuses. À la mort, en 1585 ou 1586, de Louis, le magistrat blésois, les Phélypeaux se trouvaient ainsi à même de dépasser le stade provincial de leur ascension, pour peu que l’occasion s’en présentât. Les événements tragiques de l’année 1588 allaient la leur fournir, et l’entregent du jeune Paul fera le reste.
- 32 Les Hommes illustres de l’Orléanais, Orléans, 1852, t. 2, p. 397, cité dans J.-L. Bourgeon, « Balt (...)
66C’est au mois de septembre 1588 que Paul Phélypeaux entra dans les bureaux de la secrétairerie d’État provisoirement installée à Blois aux côtés du Roi. Rien ne permet de préciser les conditions dans lesquelles s’opéra son recrutement, les rares textes, à ce sujet, se contentant de répéter que Paul, qui terminait alors ses études, « fut présenté au ministre Revol, qu’il lui plut et que le ministre promit de le former aux affaires32 ». Sous quel patronage se fit la présentation ? Ce fils de notable ne manquait pas de protecteurs pour qu’au moins l’un d’entre eux intervint en sa faveur. Le ou les personnages influents en question n’étant pas identifiables, il faudrait, en guise de réponse, pouvoir prendre la mesure exacte des relations des Phélypeaux de l’époque en détectant notamment toutes les familles qui leur étaient alliées et qui se trouvaient déjà haut placées. Ce travail de reconstitution d’un réseau impose de pousser l’étude généalogique jusqu’aux unions les plus anciennes, génératrices de solidarités jamais complètement oubliées et toujours susceptibles d’être mises à contribution. Malheureusement, dans le cas des Phélypeaux, l’incertitude et la confusion prédominent en amont de 1488, date du mariage de Guillaume Phélypeaux et de Perrette Cottereau. En remontant au xiiie siècle, on trouve des Le Picard, « dits Phélypeaux » dont les modalités d’ascension furent probablement celles des générations qui donnèrent naissance à tant de grandes familles robines des xvie et xviie siècles : générations d’abord de besogneux se hissant lentement sur une multitude d’investissements dans les lopins de terre, le commerce, les petits offices municipaux, etc., sans oublier les mariages destinés à faire avancer les enfants.
- 33 Cf. L. Boisnard, op. cit., p. 153-160, Preuves de M. de La Vrillière.
67Le premier de ces mariages prometteurs apparaît au xive siècle, lorsqu’un Philippe Le Picard, dit Phélippeaux, épouse Jeanne Hurault, de la famille qui donnera, au xvie siècle, les Hurault, généraux des Finances, puis le chancelier Hurault de Cheverny. Un degré semble alors franchi par ce Le Picard qualifié de « bourgeois de Blois » et devenu propriétaire d’un bien foncier proche de la ville, apporté par sa femme. C’est aussi à partir de lui qu’en raison sans doute d’une certaine notoriété, le surnom des Phélypeaux commence à se substituer à celui des Le Picard. À la génération suivante se situe le mariage d’un Jean Phélypeaux avec Jeanne de Morvillier, les Morvillier étant alliés aux Hurault et promis comme eux à un bel avenir, notamment en la personne de Jean de Morvillier, garde des Sceaux sous Charles IX. De cette union est issu Philippe (ou Jean ?) Phélypeaux, marié à Marguerite Thierry, fille de Jean Thierry (mort en 1415), qui aurait été « capitaine de la ville de Blois ». Après vient Jean Phélypeaux, marié en 1450 à une Catherine Artault qui pourrait appartenir à une famille de l’Orléanais, les Artault de Neschères. C’est le père de Guillaume Phélypeaux, l’époux de Perrette Cottereau. À en croire les « Preuves de noblesse » présentées en 1643 par le neveu de Paul de Pontchartrain, Louis de La Vrillière, qui fut secrétaire d’État pendant cinquante ans, de 1629 à 1678, tous ces Phélypeaux étaient nobles et faisaient même partie des grands officiers du comté. En remontant à partir de Guillaume, qualifié d’ » escuyer, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi », on y trouve, en effet, énumérés, son père Jean, « bailli et gouverneur de Blois », son aïeul Philippe, « escuyer » (sans autre mention), et son bisaïeul Jean (l’époux de Jeanne de Morvillier), « Conseiller du Roi et Lieutenant général d’Orléans ». Cette succession de titres ronflants, due à la complaisance du greffier signataire, permettait, en conclusion, aux deux commissaires chargés de la vérification des preuves, les ducs de Montbazon et de Lesdiguières, pairs de France, de certifier que Louis de La Vrillière était « gentilhomme de nom et d’armes de huit générations la sienne comprise33 ».
68En fait, durant le xve siècle, les Phélypeaux paraissent avoir marqué le pas. Lorsqu’en 1488, Guillaume Phélypeaux, marchand bourgeois de Blois, épousait Perrette Cottereau, il était, en effet, toujours sensiblement au même point de l’échelle sociale qu’au siècle précédent son ancêtre Le Picard, marié à une Hurault et déjà bourgeois de la ville. Si, d’ailleurs, les Phélypeaux avaient été tels que le prétendent les « Preuves » de Louis de La Vrillière, leur famille aurait dû normalement, à la fin du xve siècle, participer à la montée parisienne de ces autres familles blésoises que l’avènement de Louis XII favorisa considérablement, précisément parce qu’elles s’étaient d’abord distinguées, sur place, au service des ducs d’Orléans, comtes de Blois. Or il faudra attendre le dernier tiers du siècle suivant, le temps de trois générations supplémentaires marqué par l’abandon de la « marchandise » et par une solide implantation dans la bourgeoisie officière locale, pour que la famille Phélypeaux soit véritablement en mesure de profiter d’une nouvelle occasion. Encore cette occasion se présentera-t-elle sous la forme d’une conjoncture exceptionnelle sans laquelle le « décollage » n’eut guère été possible.
69Le passé blésois des Phélypeaux peut donc se résumer en trois temps : une lente progression, suivie d’un long piétinement, puis, à partir du début du xvie siècle, une ascension rapide, sans toutefois dépasser l’honnête niveau d’une réussite provinciale. Deux alliances principales scandent ce mouvement : l’alliance Hurault qui, au terme de la première période, semble assurer la position de Philippe Picard « dit Phélippeaux », bourgeois de Blois et propriétaire foncier ; l’alliance Cottereau qui, au terme de la seconde période, marque le réveil des ambitions assoupies, le fils de Perrette Cottereau et de Guillaume Phélypeaux, Raymond, muni d’un certain bagage juridique, s’évadant du commerce pour choisir la voie des offices. Même si les renseignements manquent sur les alliances Thierry et Artault, ces quelques données laissent déjà entrevoir ce qui deviendra l’un des grands atouts des Pontchartrain et des La Vrillière au xviie siècle : une stratégie matrimoniale misant sur le rôle des femmes et des parentés matrilinéaires pour accroître la puissance de leur double dynastie. Ici, chez les Phélypeaux d’avant la grande réussite, cette stratégie avait des objectifs beaucoup plus limités, visant surtout à améliorer ou maintenir les positions conquises au fil des générations. Mais, à longue échéance, ses résultats dépasseront, et de loin, les avantages ponctuels du moment. Leurs unions, contractées dans des familles appelées ensuite à prendre leur essor bien avant eux, avaient, en effet, permis l’accumulation d’un capital de relations et de protections dont allait hériter la dernière génération des Phélypeaux blésois, celle du « décollage » collectif réussi à la fin du xvie-début xviie siècles dans le sillage de Paul Phélypeaux de Pontchartrain, le « fondateur » (tableaux 1 et 2).
70Ce précieux capital de relations, Paul Phélypeaux ne manqua certainement pas de l’exploiter lorsqu’à Blois, au mois de septembre 1588, il parvint à se faire présenter au secrétaire d’État Revol qui accepta de le prendre à son service. Si l’origine des recommandations qui assurèrent le succès de sa démarche ne peut donc être précisée, les éléments, par contre, ne manquent pas pour comprendre la marche ascendante de sa carrière, depuis son entrée dans les bureaux de la secrétairerie d’État jusqu’à son accession à un poste ministériel au mois d’avril 1610. Les circonstances qui entourent et éclairent le recrutement de ce jeune provincial de 19 ans, frais émoulu de la Faculté de droit d’Orléans, sont connues. Elles relèvent de l’histoire générale. Le 13 mai 1588, au lendemain de la « Journée des Barricades », Henri III s’enfuit de Paris pour se réfugier à Chartres. Apparemment dépassé par les événements, il tente de calmer la Ligue par l’édit d’Union excluant tout prince protestant de la succession à la Couronne, par la nomination d’Henri de Guise comme lieutenant général du Royaume et par la convocation des États Généraux à Blois. Mais bientôt la nouvelle du désastre de l’ » Invincible Armada » (fin juillet), qui affaiblissait l’Espagne, puissant soutien du parti ligueur, l’encourageait à préparer secrètement sa revanche. Le 8 septembre, arrivé depuis une semaine à Blois, le roi renvoyait soudainement, sans explication, l’ensemble de ses ministres, le chancelier Hurault de Cheverny, le conseiller d’État Pomponne de Bellièvre, chargé des Finances, et les trois secrétaires d’État, Nicolas de Neufville de Villeroy, Pierre Brulart et Claude Pinart (le quatrième poste de secrétaire d’État se trouvait alors vacant). Villeroy, Brulart et Pinart étant apparentés aux Robertet, aux Bochatel et aux L’Aubespine, cette disgrâce collective mettait ainsi un terme au pouvoir de la corporation familiale qui dominait les quatre offices de secrétaire d’État depuis une quarantaine d’années.
- 34 Pierre de L’Estoile, Mémoires-Journaux, t. 3 : Journal d’Henri III, Paris, 1876, p. 185-186.
- 35 Pierre de L’Estoile (1546-1611), grand-audiencier à la Chancellerie, était le fils de Louis de L’E (...)
71Par ce coup, « dont tout le monde demeura fort ébahi34 », Henri III entendait se débarrasser d’hommes à la fois trop importants et peu sûrs, plus ou moins favorables aux Guise. Le choix de la relève – Montholon, Beaulieu-Ruzé, Revol, et, au mois de février suivant, Potier et Forget – reflète la volonté du souverain d’avoir désormais les mains libres en s’entourant de « fidèles » qui présentaient l’avantage de n’avoir pas, jusque-là, exercé de hautes fonctions au sein de l’appareil d’État. Issu d’une famille robine originaire d’Autun, François de Montholon, promu garde des Sceaux, était auparavant « simple avocat du Parlement de Paris, mais des plus anciens, des plus doctes, des plus hommes de bien, et des plus entiers et zélés catholiques du Palais », comme l’assure son neveu, le célèbre mémorialiste Pierre de L’Estoile35. La nomination de ce « zélé catholique » répondait probablement au souci d’endormir la méfiance des Guise. Précisons qu’aussitôt après l’assassinat d’Henri III, au mois d’août 1589, Montholon s’empressera de rendre les sceaux, sa conscience lui interdisant de servir un roi huguenot.
- 36 Élu roi de Pologne au mois de mai 1573, Henri, duc d’Anjou, arriva dans ce pays au mois de janvier (...)
- 37 Cette garde des « Quarante-Cinq », que Henri III s’était constituée pour sa sécurité personnelle, (...)
72Les quatre nouveaux secrétaires d’État n’éprouvèrent pas pareil scrupule. Servant sans défaillances le dernier Valois, et cela au plus fort des troubles de sa fin de règne, ils s’attacheront ensuite, avec non moins de détermination, aux destinées du premier roi Bourbon. Martin Ruzé de Beaulieu, dit Ruzé-Beaulieu, fils d’un receveur des tailles de Touraine, était le frère du confesseur d’Henri III, Guillaume Ruzé, évêque d’Angers. Il se trouvait étroitement lié au roi, non seulement à ce titre, mais surtout pour avoir été le « secrétaire de ses commandements » alors que ce prince était duc d’Anjou, et pour l’avoir suivi en Pologne après son élection au trône de Cracovie en 157336. Aussi le voit-on associé aux décisions les plus graves, comme celle qui aboutira à la « tuerie de Blois », au mois de décembre 1588 : le matin du 23, il est présent au château de Blois, participant avec son collègue Revol à la mise en scène soigneusement étudiée qui préluda à l’assassinat du duc de Guise par la garde prétorienne des « Quarante-Cinq37 », meurtre suivi, le lendemain 24, de celui de son frère, le cardinal de Lorraine. Quelques mois plus tard, Beaulieu-Ruzé s’acquitte avec succès de la mission délicate de remettre les clefs de la ville de Saumur à un gouverneur huguenot, Duplessis-Mornay, en exécution des clauses du traité de Tours du 3 avril 1589 qui suspendait les hostilités entre le roi de France et Henri de Navarre. Enfin, reconduit comme secrétaire d’État par Henri IV, on le retrouve, le 20 mars 1594, à Senlis, en tête-à-tête avec le Béarnais, lui inspirant les termes du fameux tract qui sera distribué lors de l’entrée des troupes royales dans la capitale à l’aube du 22 mars, tract, contresigné « Ruzé », promettant aux « bourgeois et habitants de la bonne ville de Paris » une amnistie totale, avec conservation de « leurs biens, privilèges, états, dignités, offices et bénéfices ».
- 38 Le vendredi 23 décembre 1588, au petit matin, Henri de Guise se présentait au château de Blois pou (...)
73Originaire du Dauphiné et « connu pour son seul mérite » (Moreri), Louis Revol, le premier protecteur de Paul Phélypeaux, avait l’expérience des bureaux pour avoir débuté comme clerc à la secrétairerie d’État sous le règne de Charles IX. Puis, gravissant les échelons, il s’était distingué en 1586 comme intendant à l’armée de Provence sous l’autorité du duc d’Épernon, le grand favori, « l’archimignon » d’Henri III, ce qui dût faciliter, deux ans plus tard, son accession à la charge de secrétaire d’État. « Homme de peu de monstre, mais grand d’esprit et d’entendement » (Pierre de L’Estoile), Revol avait, comme Beaulieu-Ruzé, « beaucoup de part à la confidence du roi », et, comme lui, fut l’un des acteurs du drame de Blois, se chargeant d’attirer Guise dans les appartements royaux où l’attendaient les « Quarante-Cinq38 ». Après la mort d’Henri III, Louis Revol, maintenu dans sa charge, sut également gagner la confiance du nouveau souverain qui ne lui ménagea pas ses faveurs. Dès 159I, Henri IV faisait attribuer l’évêché de Dol à son fils Ennemond Revol, un laïc, conseiller au Grand Conseil. Le pape refusa d’envoyer ses « bulles », ce qui n’empêcha pas Ennemond de toucher les revenus de cet évêché, en attendant de le transmettre, en 1604, à son cousin Antoine Revol.
74Le procédé était courant de la part du Béarnais qui, toujours impécunieux, n’hésitait pas, pour récompenser ses « fidèles », à leur distribuer, comme de simples pensions, les revenus attachés aux grands « bénéfices » ecclésiastiques, évêchés et abbayes « en commende ». On voit, par là, que Revol, dont les gages de secrétaire d’État étaient médiocres (4000 écus environ), appartenait bien à ce cercle nécessairement restreint de hauts serviteurs ainsi gratifiés. Il le devait, entre autres raisons, à son influence grandissante, notamment à propos de l’épineux problème de l’abjuration qui divisait l’entourage composite du souverain huguenot. Chaud partisan de l’abjuration, et ne cessant de « parler très fortement au roi » dans ce sens, Revol verra ses efforts couronnés de succès, au mois de mai 1593, lors des conférences de Suresnes où une délégation royale de neuf membres, dont il faisait partie, rencontra les députés des États généraux de la Ligue : le 16 du même mois, Henri IV déclarait ouvertement son intention de renoncer à la religion réformée. L’année suivante, le 17 septembre, disparaissait ce secrétaire d’État qui avait reporté sa fidélité au dernier Valois sur son légitime successeur. « Le Roi, rapporte Pierre de L’Estoile, le regretta et dit tout haut qu’il avait fait perte en lui d’un bon serviteur et d’un très homme de bien, faisant Sa Majesté peu d’état des trois autres [desquels il dit en riant que l’un était un présomptueux, l’autre un fol, et l’autre un larron]. » Les « trois autres » en question étaient les secrétaires d’État Beaulieu-Ruzé, Potier et Forget. À qui, respectivement, s’appliquaient ces qualificatifs peu flatteurs ? Son propos, en tout cas, semble indiquer que Revol jouissait d’une audience particulière près du Béarnais, parmi l’équipe ministérielle que celui-ci avait héritée de son prédécesseur. Ce même propos n’est pas indifférent, non plus, s’agissant de Paul Phelypeaux qui avait effectué ses débuts sous la direction d’un homme estimé du Roi, dont le souvenir et la référence ne pouvaient que favoriser sa carrière ultérieure.
75Alors que les promotions de Beaulieu-Ruzé et de Revol sont directement issues de la « révolution ministérielle » du 8 septembre 1588, celles de Potier et de Forget n’interviennent qu’au mois de février 1589. Ces quatre secrétaires d’État n’en présentent pas moins un profil commun, reflétant la même préoccupation d’Henri III de s’entourer d’hommes liges, peu connus, sinon de lui-même, et aussi la même continuité au service du pouvoir royal, par-delà le changement de dynastie. Fils d’un conseiller au parlement de Paris, Louis Potier de Gesvres, successivement secrétaire des Finances, puis, en 1578, secrétaire du Conseil, avait débuté très tôt, sous Charles IX, comme clerc du secrétaire d’État Nicolas de Neufville de Villeroy. Ses propres lettres de provision de secrétaire d’État sont datées du 22 février 1589 (comme celles de Forget), mais, dès le déclenchement de la crise, au printemps de l’année précédente, il apparaît comme l’un des « fidèles » du souverain Valois qui, au lendemain de la « Journée des Barrricades », l’envoie courir à Meaux et à Senlis pour enrayer les défections, puis, un peu plus tard, en Poitou pour surveiller de près le duc de Nevers placé à la tête d’une armée. Confident des « desseins les plus secrets du roi », Potier fait partie du petit cercle d’initiés où se trame le coup de Blois, et c’est à lui que sont remis les papiers trouvés chez le duc de Guise après son « exécution ». Devenu secrétaire d’État, il est chargé, au mois de mars 1589, de travailler au rapprochement avec le parti du roi de Navarre. Un travail mené secrètement, pour ne pas heurter l’opinion catholique, et qui aboutira, le 3 avril suivant, à la signature du traité de Tours stipulant une trêve d’un an, bien vite transformée en une véritable alliance offensive d’Henri III et d’Henri de Navarre contre la Ligue.
76Sous le règne du premier Bourbon, Louis Potier restera l’homme des missions de confiance, employé notamment dans les difficiles tractations autour de la soumission – coûteuse et tardive, en 1598 – du duc de Mercœur, gouverneur de Bretagne, l’un des derniers tenants de la Ligue. Puis, en 1602,1e roi le choisissait pour informer sur la conspiration du maréchal de Biron. Quatre ans plus tard, il obtenait, insigne faveur, la survivance de sa charge de secrétaire d’État pour l’un de ses fils, Antoine Potier de Sceaux. Sa carrière devait se prolonger sous Louis XIII, bien au-delà de la Régence de Marie de Médicis, en raison de la mort d’Antoine en 1621 qui l’amenait à reprendre, un temps, ses fonctions ministérielles avant de s’en démettre en faveur de son neveu, Nicolas Potier d’Ocquerre. Fait significatif, le père de ce dernier, Nicolas Potier de Blancmesnil, président à mortier du parlement de Paris, avait été, au mois de novembre 1589, malmené par les Ligueurs, maîtres de la capitale, qui l’emprisonnèrent au Louvre « comme suspect et attaché au Béarnais ». Une fois sa libération obtenue, Henri IV l’enverra présider la chambre du Parlement loyaliste établie à Châlons. L’attitude du président Blancmesnil, à une époque où nombre de parlementaires parisiens se cantonnèrent dans un attentisme prudent, s’était ainsi ajoutée pour conforter la position et la réputation de fidélité de son frère Louis Potier de Gesvres, le secrétaire d’État. Aussi les marques de la reconnaissance royale ne manquèrent-elles pas à la famille Potier, du vivant d’Henri IV et encore bien au-delà après lui, les rois Bourbons entretenant une mémoire singulière des services rendus jadis, lors du difficile avènement de leur dynastie.
77Sans oublier la transmission consentie à Louis Potier de sa charge de secrétaire d’État en faveur d’un fils, puis d’un neveu, cette reconnaissance royale se traduisit, en effet, par l’octroi d’une belle série de hautes dignités nobiliaires, ecclésiastiques et militaires. Deux des fils du président Blancmesnil seront évêques-comtes de Beauvais et pairs ecclésiastiques de France, le plus jeune, Augustin, succédant sur ce siège épiscopal à son frère René (mort en 1616) et terminant sa vie en 1650 comme Grand Aumônier de la reine Anne d’Autriche. De son côté, le fils aîné de Louis, René Potier de Gesvres (1579-1670), qui avait choisi la carrière des armes et épousé en 1607 Marie de Luxembourg, fille du duc de Piney, verra sa terre de Tresmes érigée en comté (1608), puis en duché-pairie (1648) sous le nom de Gesvres. Premier duc de Gesvres et pair de France, ce René, qui avait perdu à la guerre deux de ses trois fils, transmettra son titre au benjamin Léon (1620-1704), « le gros duc de Gesvres », comme l’appelle Saint-Simon, un personnage pittoresque successivement capitaine des gardes du corps (1646), premier gentilhomme de la Chambre du Roi (1669) et gouverneur de Paris (1687), père lui-même de Bernard-François, troisième duc de Gesvres, également gouverneur de Paris, et de Léon, cardinal de Gesvres, archevêque de Bourges (1694-1729) et membre du Conseil de Conscience (1721-1729). Ainsi, en moins d’un siècle, la famille robine des Potier, après avoir semblé, un court temps, devoir se constituer en dynastie ministérielle, s’était soudainement transformée en une véritable « maison » aristocratique. Pareille mutation restera hors de portée pour la famille ministérielle des Phélypeaux, du moins pendant très longtemps, jusqu’en 1770, date où Saint-Florentin, à la fois cousin et beau-frère de Maurepas, deviendra le premier Phélypeaux à accéder au titre ducal sous le nom de duc de La Vrillière.
78L’une des raisons d’un tel décalage chronologique est à chercher au point de départ respectif des carrières de secrétaire d’État de Louis Potier et de Paul de Pontchartrain. Un intervalle d’une vingtaine d’années seulement sépare la nomination de Pontchartrain, en 1610, de celle de Potier, en 1589. Et pourtant, ni le premier secrétaire d’État des Phélypeaux, ni son frère Raymond, qui lui succède en 1621, ne pourront envisager pour leur famille la promotion aristocratique que connurent les Potier dès le début du xviie siècle. En réalité, ils arrivaient trop tard. À la faveur des convulsions du xvie siècle finissant, une porte s’était entrouverte pour cette jeune noblesse de fonction que constituaient les familles secrétariales d’État, familles anoblies par les offices, rêvant de fusionner avec la vieille noblesse de souche, ou plus exactement – on était réaliste – avec la grande noblesse de cour bien pourvue financièrement. Louis Potier sut en profiter, mariant son fils aîné chez les Luxembourg, c’est-à-dire tout au sommet, dans la « noblesse titrée », celle des princes et des ducs. De même, Nicolas de Neufville de Villeroy, principal artisan du ralliement à Henri IV de la fraction modérée de la Ligue, redevenu secrétaire d’État en 1594, dont la descendance immédiate s’évade des fonctions ministérielles pour s’intégrer pleinement à la « caste » nobiliaire ; son fils, Charles, marquis d’Alincour (1566-1642), marié à la fille de François de Mandelot, gouverneur de Lyon, et lui-même gouverneur de Lyon, sera grand maréchal des logis de la Maison du Roi ; son petit-fils, Nicolas (1597-1685), marié en 1617 à la fille de Charles de Créquy, maréchal de France, duc et pair, deviendra le premier maréchal-duc de Villeroy, que suit un second maréchal-duc de Villeroy, François, l’arrière-petitfils (1644-1730), marié en 1662 à la fille du duc de Brissac.
79Cette porte ainsi entrouverte à des promotions aristocratiques extrêmement rapides ne devait pas le rester longtemps, se refermant avec le dénouement de la crise dynastique, donc beaucoup trop tôt pour les Phélyneaux. Certes, Paul Phélypeaux sut tirer parti des événements, dès 1588, pour dépasser l’horizon provincial de son père en s’infiltrant à la cour. Mais il ne pouvait évidemment profiter au maximum, comme un Potier ou un Villeroy, de la profonde déstabilisation politique qui, après l’assassinat d’Henri III, prévalut entre 1589 et 1594, période durant laquelle la majorité de la population catholique se refusa à admettre comme souverain légitime un roi « hérétique », Henri de Navarre, pourtant clairement désigné par les « lois fondamentales » réglant l’ordre de succession à la Couronne. Pour cela, il eût fallu à Paul se trouver, précisément à ces moments d’incertitude, investi de responsabilités ministérielles, capable, par là, de rendre au monarque contesté d’éminents services dont la détresse de l’heure décuplait encore le prix. Or le jeune Blésois n’occupait alors qu’un emploi subalterne, sous la férule de Louis Revol. Et lorsqu’à son tour, à la fin du règne d’Henri IV, il accédera au rang de secrétaire d’État, le réaffermissement prononcé du pouvoir royal avait déjà déclenché une « normalisation » que ni l’assassinat du Béarnais, ni les troubles de la minorité de Louis XIII ne remettront fondamentalement en cause. Le temps de l’exceptionnel était révolu.
- 39 Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 1, p. 742.
80Une comparaison entre deux alliances, à près d’un siècle d’intervalle, l’indique bien. En 1607, Louis Potier, premier secrétaire d’État de sa famille, et dont le père était un simple conseiller au Parlement, se permet de marier son fils à la fille du duc de Piney-Luxembourg sans provoquer le moindre éclat. Par contre, en 1700, les fiançailles de Louis Phélypeaux de La Vrillière avec Françoise de Mailly, d’une famille de noblesse ancienne, tournent au scandale, ou plutôt à la farce. La très jeune fiancée, âgée de 12 ans, se met à pleurer, criant « qu’on lui donnât un homme pauvre, si l’on voulait, pourvu qu’il fût gentilhomme, et non pas un petit bourgeois pour faire sa fortune39 ». Le piquant de la scène, dont la cour s’empressa de faire des gorges chaudes, vient de ce que le « petit bourgeois » en question se trouvait être fils, petit-fils, arrière-petit-fils de secrétaires d’État et secrétaire d’État lui-même, tandis que la future n’était que la fille d’un maréchal de camp, Louis de Mailly, mort l’année précédente, en laissant sa veuve « sans bien et chargée d’une troupe d’enfants ». La petite Mailly répétant ce qu’elle entendait dans son milieu, l’anecdote est révélatrice de l’évolution des mentalités nobiliaires, bien éloignées, à l’aube du xviiie siècle, de celles de l’époque des deux Henri où il fallait faire flèche de tout bois et ou l’on n’était regardant ni sur l’origine des dévouements, ni sur les moyens de les récompenser. Par l’esprit de rejet qui s’en dégage, elle laisse deviner une osmose difficile et tardive entre la noblesse de cour et la noblesse de fonction, l’appartenance à une dynastie ministérielle, si imposante fut-elle, ne suffisant plus à effacer le souvenir de lointaines origines bourgeoises et n’épargnant pas nécessairement les rebuffades. De ces rebuffades, Saint-Simon, dans ses Mémoires, s’est complu à rapporter et à détailler maints exemples, dont celui des fiançailles de La Vrillière. De manière générale, les Pontchartrain sauront les éviter, pratiquant, tout au long du xviie siècle, une politique matrimoniale, à la fois prudente et efficace, orientée de préférence vers les alliances dans les familles robines, mais de grande robe, très influentes, comme on le verra plus loin, par l’importance des charges occupées et par l’étendue de leurs réseaux de relations.
- 40 Comme Beaulieu-Ruzé, Desportes (né en 1546) avait accompagné le futur Henri III en Pologne. Revenu (...)
- 41 L’un de ces libelles est cité par Antoine Adam dans son édition des Historiettes de Tallemant des (...)
81Une fois refermée cette parenthèse à propos de la promotion aristocratique des Potier et des développements qu’elle suggère, il reste, pour compléter le tableau de l’équipe ministérielle léguée par Henri III au Béarnais, à évoquer la figure de Forget, le quatrième secrétaire d’État, nommé au mois de février 1589, mort au mois d’avril 1610, et dont le successeur dans la charge fut Paul de Pontchartrain. Né en 1544, Pierre Forget de Fresne, dit encore Fresne-Forget, était le fils de Pierre Forget, « conseiller et secrétaire de François Ier et Henri II » (Moreri) marié à Françoise de Fortia, d’une famille d’officiers de finance. Les Forget étaient originaires de Tours. Quant aux Fortia, ils auraient été d’ascendance juive, à en croire notamment le poète de cour Philippe Desportes, un protégé du duc d’Anjou, futur Henri III40, auteur en 1568 d’une pièce de vers extrêmement violente contre François de Fortia, trésorier des parties casuelles à l’époque de Charles IX. Aussi, plus tard, sous Henri IV, Fresne-Forget, dont l’intégrité était douteuse, se verra-t-il réputé juif, brocardé pour son « nez tortu », son « nez punais », dans des libelles dénonçant ses malversations et son enrichissement41.
- 42 Il y avait cinq Chambres des enquêtes au parlement de Paris, avec, à la tête de chaque chambre, de (...)
- 43 À la mort du président d’Espeisses. – Les présidents à mortier (distingués par le mortier, toque d (...)
82Mis à part cet aspect particulier, le profil de Fresne-Forget rejoint celui de ses trois collègues secrétaires d’État par une solide expérience acquise au fil des emplois, successivement de receveur de l’Écurie du Roi, de trésorier des parties casuelles, d’audiencier à la Grande Chancellerie, puis, à partir de 1577, de secrétaire des Finances et secrétaire du Conseil. Cette similitude de profil se retrouve aussi sur le chapitre de la fidélité, une fidélité en quelque sorte renforcée et cautionnée, comme dans le cas de Louis Potier, par l’attitude d’un frère, parlementaire parisien, qui sut faire le bon choix. Lors des événements de 1589, en effet, l’aîné de Pierre Forget de Fresne, Jean Forget (1539-1611), président aux Enquêtes42 depuis 1574, fit partie de la minorité loyaliste du parlement de Paris, refusa de servir la Ligue et répondit à l’appel d’Henri III, du mois de février, ordonnant à ses magistrats de venir désormais siéger à Tours. Il en sera récompensé, dès l’année suivante, par Henri IV qui le fera pourvoir de la première charge vacante de président à mortier43. Par la suite, le roi l’établira chef du conseil de César de Vendôme et de sa sœur Henriette, enfants légitimés de ses amours avec Gabrielle d’Estrées. Cette marque de confiance est aisément explicable, Fresnes-Forget étant, de son côté, chargé de la surintendance de la maison de César et Henriette, et se trouvant au mieux avec Gabrielle, dont il épousera la cousine germaine, Anne de BeauvillierSaint-Aignan.
- 44 Gabrielle d’Estrées était mariée au marquis de Liancourt, mariage déclaré nul par l’official d’Ami (...)
- 45 Les Œconomies royales de Sully, éd. D. Buisseret et B. Barbiche, Paris, Klincksieck, 1988, t. 2, p (...)
- 46 Ibid., p. 6.
- 47 Un « traitant », ou « partisan », est un financier qui passe un traité avec l’État, selon lequel, (...)
83Dans ses Œconomies royales, Sully note, sans bienveillance, que Fresnes était en faveur près d’Henri IV « à cause de Mme de Liancourt », c’est-à-dire de Gabrielle d’Estrées44, « encore que, ajoute-t-il, son esprit aigre et contredisant ne fut pas fort agréable au Roi45 ». Si « aigre et contredisant » qu’il ait été, Pierre Forget ne devait cependant pas l’essentiel de sa faveur à la protection de la favorite qui, d’ailleurs, disparut dès 1599. Ses capacités étaient réelles, déjà remarquées par Henri III qui, en 1589, lui avait confié l’importante mission de se rendre en Espagne, près de Philippe II, pour protester contre les secours donnés à la Ligue. Sous Henri IV, il apparaît comme un spécialiste des questions financières, étant le seul des quatre secrétaires d’État appelé à siéger au « Conseil de direction des affaires et des finances » institué, au mois de mai 1595, pour « tenir le gros des affaires en réputation et en ordre dans le royaume, et surtout celles des finances, qui sont le grand ressort de toutes bonnes opérations46 ». Cette compétence reconnue, qui lui offrait l’occasion de se mêler, en sous-main, aux juteuses opérations du monde des « traitants47 », ne fut certainement pas étrangère à un enrichissement rapide marqué par l’achat, en 1607, du château de Rambouillet. Selon Pierre de L’Estoile, il mourut « riche de 300 000 écus », alors qu’ » étant excessif en tout », son train de vie somptueux et sa « grande dépense » n’auraient pas dû lui permettre d’en laisser la moitié. « Mais quoi ! conclut philosophiquement le mémorialiste, des gens de son métier, on n’en voit guère mourir de pauvres. »
84Cela dit, et même si le qualificatif de « larron » décoché par le Béarnais à l’occasion de la mort de Revol, s’adressait très probablement à lui, Pierre Forget de Fresnes n’en restait pas moins, aux yeux du souverain, un « fidèle », homme sûr et capable, qui ajoutait à sa charge de secrétaire d’État celle d’intendant général des Bâtiments du Roi. De plus, aimant les lettres, les encourageant, et pratiquant, lui-même, la poésie, il était à même de comprendre l’importance de l’écrit dans la lutte pour soustraire l’opinion publique à l’emprise de la Ligue. On lui attribue la publication en 1593, un an avant celle de la Satire Ménippée, de La Fleur de Lys, réfutation des positions du duc de Mayenne, chef du contre-gouvernement ligueur dressé face à l’autorité royale. Mais surtout, une fois la guerre civile terminée, Forget sut se rendre indispensable dans le règlement des affaires protestantes, à commencer par l’édit de Nantes, du mois d’avril 1598, dont les 95 articles (complétés au mois de mai par 53 articles secrets) furent en grande partie rédigés par ses soins. Sur cette lancée, il allait faire de son secrétariat d’État un département ministériel consacré principalement aux affaires de la « R.P.R. » (Religion Prétendue Réformée). C’est de ce département qu’héritera Paul de Pontchartrain à la mort de Forget, au mois d’avril 1610. Puis, Pontchartrain disparaissant en 1621 et sa charge passant aux mains de son frère Raymond Phélypeaux d’Herbault – La Vrillière, il s’ensuivra une longue série de La Vrillière, secrétaires d’État à la
85« R.P.R. », bientôt personnages ministériels de seconde zone en raison de la révocation de l’édit de Nantes (1685) qui viendra vider leur département d’une bonne part de sa substance. Rappelons, toutefois, à propos des affaires de la R.P.R. – comme à propos des Affaires étrangères, de la Guerre, de la Marine et de la Maison du Roi, autres attributions réparties par le souverain entre ses secrétaires d’État – que la spécialisation de ces départements ministériels restera toujours incomplète, les quatre secrétaires d’État devant, en outre, se partager géographiquement l’administration du Royaume et fonctionnant comme autant de ministres de l’Intérieur.
86Ce développement sur l’équipe mise en place par Henri III en 1588-1589 et conservée par son successeur s’imposait en préalable pour restituer l’ambiance de la secrétairerie d’État lorsque le jeune Paul Phélypeaux y entra et dans laquelle il baigna durant sa formation administrative sous la tutelle de Louis Revol. La fidélité, assortie, bien entendu, des compétences indispensables, semble devoir caractériser cette ambiance, à condition de prendre le terme « fidélité » au sens fort, où l’obéissance due au souverain s’accompagne de liens personnels entre maître et serviteur. À une époque d’anarchie et de violence, où le roi, lui-même, ne se trouvait pas à l’abri d’un mauvais coup, la fidélité d’homme à homme s’avérait, en effet, la seule valeur solide à utiliser tant pour protéger la personne royale que pour contrecarrer les entreprises des Grands, appuyés, de leur côté, par des clientèles entièrement à leur dévotion. Dans ce contexte d’insécurité, les « fidèles » d’Henri III, et bientôt d’Henri IV, étaient des « hommes du Roi », c’est-à-dire des inconditionnels qui s’étaient donnés au roi, qui lui « appartenaient », comme d’autres « appartenaient » au duc de Guise, ou à tel ou tel autre prince. La meilleure arme du dernier roi Valois – qui lui permit de prolonger, jusqu’à l’attentat de Jacques Clément, une existence sans cesse menacée – fut précisément de savoir s’entourer d’hommes d’une fidélité à toute épreuve. Sa garde rapprochée, les fameux « Quarante-Cinq », offre, à cet égard, un exemple haut en couleurs. Mais, pour n’être pas d’épée comme ces gentilshommes gascons, les Beaulieu-Ruzé, Revol et Potier n’en étaient pas moins des serviteurs de la même trempe, participant avec eux au guet-apens de Blois dans un judicieux partage des rôles où figure aussi un personnage au nom combien évocateur, François du Plessis de Richelieu, le père du futur Premier ministre de Louis XIII.
87Autre « fidèle », très tôt lié à Henri III qui l’avait nommé, en 1578, « prévôt de l’Hôtel et grand prévôt de France », avec haute autorité de police et justice sur la cour et la Maison du Roi, François du Plessis de Richelieu s’était vite taillé une réputation d’homme de main du Valois et d’exécuteur impitoyable de ses ordres, réputation qu’il confirmera lors du drame de Blois. Le 23 décembre, aussitôt Henri de Guise « exécuté », c’est lui qui se précipite, l’épée nue, avec quelques soldats, à l’hôtel de ville de Blois, pour arrêter en pleine séance les principaux députés ligueurs siégeant aux États généraux. Et le lendemain 24, dès la mise à mort du cardinal de Lorraine, c’est encore lui qui se charge de faire brûler les cadavres des deux Guise et de disperser leurs cendres dans les eaux de la Loire. Après la disparition d’Henri III, on le retrouve à Arques, à Ivry, combattant aux côtés du Béarnais qui le fait premier capitaine de ses gardes. Sa mort soudaine en 1590, à l’âge de 42 ans, criblé de dettes, n’empêchera pas son fils aîné, Henri, de faire carrière à la Cour, successivement page de la Chambre, puis gentilhomme ordinaire du Roi, et son benjamin, Armand-Jean, le futur Cardinal-Ministre, de devenir en 1606 évêque de Luçon, à l’âge de 20 ans, contre toutes les règles canoniques. C’était là l’effet de la faveur royale, les services rendus à la Couronne aux moments décisifs de la crise dynastique ne s’oubliant pas. Et la « tuerie de Blois » fut bien l’un de ces moments décisifs, puisque l’élimination du trop populaire chef de la Ligue venait, par-delà le répit ainsi accordé au dernier Valois, dégager les voies de l’avenir pour Henri de Navarre. De plus, elle constitua pour la monarchie un test particulièrement probant des fidélités, Henri III, non content de se débarrasser du duc de Guise, n’ayant pas hésité à ordonner aux siens l’assassinat d’un prince de l’Église en la personne du cardinal de Lorraine, cela au grand scandale de la Cour de Rome et de l’opinion catholique. Le souvenir de cette sorte d’épreuve sanglante apparaît donc comme partie intégrante du capital moral qu’à défaut de biens matériels, François du Plessis légua à ses enfants. L’ancien grand prévôt leur laissait, en effet, pour prix de ses loyaux services à la cause conjointe du dernier Valois et du premier Bourbon, un héritage invisible de protections et de relations haut placées d’où sortira notamment la nomination d’Armand-Jean à l’évêché de Luçon. Un évêché qui, pour ce jeune et ambitieux prélat, allait devenir un tremplin politique. En ce sens, pour rendre pleinement compte de la réussite du cardinal de Richelieu, il faudrait remonter jusqu’à l’époque de sa prime enfance, avec ces tragiques événements des 23 et 24 décembre 1589 auxquels son père se trouva associé.
88Tôt dans sa carrière mouvementée, dès 1612, Luçon – ainsi était alors appelé Richelieu – avait eu affaire à Paul de Pontchartrain qui, en tant que secrétaire d’État chargé des affaires de la R.P.R., l’utilisa d’abord comme informateur à propos de l’attitude des protestants de son diocèse poitevin. Par la suite, leurs relations se poursuivront à des titres divers, relations jamais confiantes et parfois franchement mauvaises, Pontchartrain tenant Luçon pour un brouillon et un intrigant. Néanmoins, ces deux hommes fort différents présentent au moins un point commun : celui d’avoir bénéficié de la protection de la reine Marie de Médicis et d’avoir su utiliser les charges domestiques de sa Maison pour asseoir leurs positions respectives. On reviendra plus loin sur cet aspect particulièrement important, compte tenu du rôle de premier plan joué par Marie de Médicis. D’autre part, malgré la différence d’âge d’une quinzaine d’années (Pontchartrain était né en 1569 et Richelieu en 1585), les carrières de l’un et de l’autre procédaient du même renouvellement de la classe politique déclenché par Henri III, celle de Richelieu, toutefois, en procédant indirectement, par l’intermédiaire de son père, qui lui ouvrit la voie. Sans cette nouvelle donne qui vint bousculer quelque peu les hiérarchies sociales, on voit mal, en effet, comment François du Plessis, homme d’épée certes, mais de petite noblesse provinciale, aurait pu devenir, à l’âge de 30 ans, en 1578, grand prévôt de France, c’est-à-dire l’un des premiers officiers de la Couronne, et, par là, assurer l’élévation de sa famille qu’à la génération suivante la réussite d’Armand-Jean allait parachever. À plus forte raison, la question se pose, à propos de Paul Phélypeaux, d’origine robine très modeste, qui dut aux circonstances exceptionnelles du mois de septembre 1588 de faire carrière. Encore s’agissait-il au départ d’un simple emploi de clerc à la secrétairerie d’État.
- 48 Cf. Emmanuel Le Roy Ladurie, L’État royal, 1460-1610, Paris, Hachette, 1987, p. 235, 239.
89En réalité, par la différence même des origines sociales, l’ascension des Richelieu et celle des Phélypeaux témoignent bien des effets, à plus ou moins long terme, de la politique que, dès son avènement, le dernier Valois avait commencé à faire prévaloir dans le choix de ses favoris et de ses collaborateurs, et qu’il confortera ensuite sous la pression des événements de la fin du règne. Placé à la tête d’un État où les Grands, profitant des luttes religieuses, prétendaient faire la loi et jouer aux vice-rois, Henri III fut, en effet, amené à gouverner sans eux et souvent contre eux. Il le fit en s’entourant des « Mignons », jeunes gentilshommes provinciaux de niveau modeste, courageux et dynamiques, appelés non seulement à assurer la sécurité de sa personne (la garde des « Quarante-Cinq »), mais aussi à servir loin de la Cour, dans des missions pressantes comme la conduite d’opérations militaires ou la reprise en mains de régions et de villes au loyalisme vacillant. Comblés à la fois de responsabilités, de faveurs et de dignités, à l’exemple d’un Jean-Louis de Nogaret, promu duc d’Épernon, tous ces favoris issus de la « noblesse seconde » constituaient, avec l’ensemble de leurs parents, amis et relations, une précieuse clientèle pour le roi, lui servant de rempart face aux entreprises des diverses factions. Ce n’était pas là le seul atout d’un monarque contesté de toutes parts, car, au dévouement de ses « mignons de rapière » venait s’ajouter celui, non moins actif, des « mignons de plume48 ». Avant son avènement, jeune prince guerrier, déjà auréolé de gloire militaire, Henri III s’était ensuite vite transformé en homme de cabinet et de dossiers, assidu aux séances du Conseil, surveillant de près l’activité de ses bureaux, et n’hésitant pas à écrire lui-même les dépêches. Ce roi paperassier, qui, même en pleine tourmente, n’oubliait pas les tâches administratives, appréciait naturellement la compétence des hommes de robe, leur confiant les postes ministériels et accroissant considérablement – dès 1574 – leur part dans la composition du Conseil. Néanmoins, parmi ces gens de plume, les plus intimes, les plus proches de lui, étaient nécessairement les détenteurs des fonctions les plus importantes, comme le bureaucrate Villeroy, fort d’une longue expérience ministérielle, ou comme Bellièvre et Cheverny qui, l’un et l’autre, pouvaient se targuer d’avoir appartenu à la robe des cours souveraines. On a vu le peu de cas qu’au mois de septembre 1588 Henri III fit de ces trois hauts serviteurs, les remplaçant à l’improviste par des gens « de moindre étoffe et qualité », comme s’en plaignait amèrement Villeroy. Les véritables « mignons de plume » se trouvaient plutôt dans cette dernière catégorie, et, plus précisément, dans le petit groupe de secrétaires particuliers avec qui le roi aimait travailler de longues heures, leur faisant consigner ses idées et projets sur la réorganisation du royaume.
- 49 Arrigo Caterino Davila, Historia delle guerre civili di Francia, 1559-1598, Venise, 1630, in-4°, 1 (...)
90Partageant l’impopularité du dernier Valois, cet entourage de favoris, gentilshommes et robins confondus, se trouvait généralement décrié et tourné en dérision. Un contemporain, l’historien italien Davila, qui les connut dans sa jeunesse pour avoir vécu à la cour de France comme page de Catherine de Médicis, leur reconnaissait pourtant des qualités, entre autres celles d’avoir « l’esprit habile et le naturel raffiné49 ». En réalité, tous ces gens sans titre, ainsi portés au pinacle par la faveur royale, étaient jalousés et haïs en raison même d’une élévation jugée scandaleuse par ceux dont ils avaient pris la place, au mépris du respect des rangs, ordres et dignités. C’est ce que n’avait pas manqué de souligner Henri III, répliquant vertement aux critiques de « Messieurs du Parlement de Paris » sur sa manière de gouverner : « Vous me reprochez ceux que j’ai choisis pour gouverner. Si j’en avais choisi d’autres, vous les haïriez également. Je ne les honore que parce qu’ils m’ont paru se distinguer par leurs mérites, et je ne me suis jamais arrêté à la bassesse de leur naissance. » En privilégiant ainsi la seule considération des « mérites », à l’exclusion des autres, même celle de la naissance, le roi indiquait clairement qu’il n’entendait faire appel qu’à des hommes ayant « mérité » sa confiance par leurs preuves de dévouement et par la qualité de leur travail. Le critère de fidélité, particulièrement rigoureux à une époque de guerre civile latente ou ouverte s’accompagnait étroitement, en effet, d’un critère de compétence non moins exigeant lui aussi, si l’on considère que le règne d’Henri III fut une période d’intense activité législative et réglementaire allant de l’aménagement de la taille à la réorganisation de la secrétairerie d’État. Certes, en temps de crise, tout régime dépassé par les événements aura tendance à multiplier les textes réformateurs ou répressifs pour tenter d’affirmer une autorité contestée ou pour masquer son impuissance. Mais il y avait en plus, chez Henri III, remarqués par nombre d’observateurs, la passion des écritures et le goût des questions administratives. Ainsi, entre autres exemples, on le voit au mois de janvier 1589, à l’issue des États généraux de Blois, siéger cinq heures d’affilée au Conseil pour examiner les vœux des députés et préparer un train d’ordonnances leur accordant partiellement satisfaction, du moins en matière financière. Et tout cela, alors qu’à Paris, sous le choc de l’assassinat des Guise, s’organisait rapidement un contre-gouvernement dans le cadre d’un soulèvement général de la Ligue. C’était donc une image fort différente de celle des souverains guerriers du Moyen Âge et encore de la Renaissance (avec un François Ier ou un Henri II), qu’offrait le dernier Valois à ses contemporains, suscitant en même temps leur étonnement et leur incompréhension.
91Recruté au mois de septembre 1588, Paul Phélypeaux eut à servir moins d’une année sous ce « roi paperassier », mort le 2 août 1589, précurseur, à sa manière, des souverains de l’époque moderne qui imprimèrent à la monarchie un caractère de plus en plus administratif. Comme l’ensemble de la cour et du personnel des bureaux, et selon les dernières volontés du Valois agonisant, Paul se rallia ensuite au Béarnais qui, lui, n’avait rien d’un homme de dossiers et d’écritures, tout en gardant à l’égard de ses collaborateurs les mêmes exigences que son prédécesseur. La fidélité, la compétence et la puissance de travail restèrent, en effet, les seules qualités qui comptaient vraiment aux yeux du nouveau monarque. D’autre part, la secrétairerie d’État allait, pour l’essentiel, continuer à s’organiser selon les dispositions d’un règlement du 1er janvier 1588 fixé par Henri III, soucieux de contrôler de très près le fonctionnement de cet indispensable rouage de la machine gouvernementale. En vertu de ce règlement, les quatre secrétaires d’État prêteraient désormais serment au roi (et non plus au chancelier comme auparavant). Quoiqu’officiers, ils recevraient leur charge par lettres de commission, devenant ainsi aisément congédiables. Interdiction leur était faite d’ouvrir, hors de la présence du roi, les « paquets » contenant les dépêches, interdiction aussi d’écrire des lettres en leur propre nom ou d’en recevoir, leur travail devant se limiter à enregistrer les réponses du roi, à les faire rédiger dans leurs bureaux et à en assurer l’expédition. Enfin il était prévu, à la disposition de chaque secrétaire d’État, un personnel composé d’un commis et de six clercs.
92Pris à un moment où Henri III se défiait de ses secrétaires d’État et de leurs initiatives, ce règlement, trop restrictif pour être applicable, était appelé à s’assouplir, d’autant que, quelques mois plus tard, la « révolution ministérielle » du 8 septembre 1588 amenait au gouvernement des hommes nouveaux, d’une loyauté à toute épreuve. Aussi, dès le règne suivant, voit-on les secrétaires d’État – du moins les plus influents d’entre eux – assumer des responsabilités bien au-delà du rôle à demi subalterne qui, en principe, leur était imparti. Mieux, Henri IV, soucieux de s’entourer de collaborateurs bien connus de lui et bien dressés, allait encourager la pratique des « survivances » permettant à un secrétaire d’État de transmettre sa charge à l’un de ses proches, après l’avoir formé dans ses bureaux aux affaires courantes. En 1606, par exemple, Louis Potier se faisait adjoindre comme secrétaire d’État survivancier son fils Antoine Potier de Sceaux, tandis que le vétéran Villeroy – revenu au gouvernement depuis 1594 – obtenait la même faveur pour Pierre Brulart de Puysieux, marié à sa petite-fille Madeleine de Neufville-Villeroy. Ce Puysieux était le fils de Noël Brulart de Sillery, garde des Sceaux en 1604, chancelier en 1607, lui-même cousin de l’ancien secrétaire d’État Pierre Brulart renvoyé lors de la « révolution ministérielle » du 8 septembre 1588. On semblait ainsi revenir à une sorte de corporation familiale, comme aux premiers temps de la secrétairerie d’État. En fait, le caractère confus de cette évolution, avec ses retours en arrière, était lié au profil encore incertain d’une fonction qui continuait d’osciller entre les attributions d’un simple agent d’exécution et celles, beaucoup plus vastes, d’un véritable chef de département ministériel, le tout au gré des exigences du moment, de la volonté du souverain et aussi de la personnalité du titulaire de l’office. Mais, par-delà ces fluctuations, ne devait jamais être remis en cause l’esprit qui, sous Henri III, avait présidé à la réorganisation et à la reprise en mains de la secrétairerie d’État. Au contraire, ne cessant de se renforcer sous les règnes suivants, cet esprit se révélera l’un des ferments les plus actifs de l’État monarchique entraîné vers des voies nouvelles, celles qui menaient à l’absolutisme. De la réglementation de 1588, et, plus encore, de la relève ministérielle de 1588-1589 effectuée en pleine crise et exclusivement composée d’hommes liges, procède, en effet, l’élaboration d’un nouveau modèle de secrétaire d’État qui trouvera sa meilleure expression dans la seconde moitié du xviie siècle, après 1661, sous la férule de Louis XIV. De ce modèle achevé, l’arrière-petit-fils de Paul Phélypeaux, Jérôme de Pontchartrain, offre précisément un exemple caractéristique, « parfait » secrétaire d’État louis-quatorzien, habitué à parler impérieusement au nom du maître, écrivant toujours au nom du roi et jamais en son propre nom (le « je » est proscrit), ce qui le rend d’autant plus exigeant sur la prompte exécution des ordres transmis : bref l’homme chargé de briser tout ce qui risquait de s’opposer à la volonté du souverain. En 1588, Paul le « fondateur », entrait donc dans les bureaux de la secrétairerie d’État à un moment décisif de l’histoire de cette institution gouvernementale, et il allait, le premier, être formé dans le moule qui, après lui, façonnera les nombreux secrétaires d’État de la famille Phélypeaux.
93Ses débuts ne durent pas le dépayser, s’effectuant d’abord à Blois même où Henri III, arrivé depuis le 1er septembre 1588, résida tout le temps de la tenue des États généraux et un peu au-delà, puis, à partir du 2 mars 1589, à Tours, ville choisie par le roi comme siège de son gouvernement, dans l’attente de jours meilleurs. L’épisode du « royaume de Tours » reste généralement moins connu que celui du « royaume de Bourges » sous Charles VII. Pourtant, en ce mois de mars 1589, quinzième année de son règne, le dernier Valois semblait encore plus infortuné que le « petit roi de Bourges » en 1428. La plupart des grandes villes étant passées à la Ligue, sans compter les places et régions tenues par les Huguenots, son autorité réelle se limitait à un étroit secteur Blois-Tours-Beaugency, mal couvert par des troupes aux effectifs insuffisants. Or, en ces heures quasi désespérées, la ville de Tours, où s’était réfugié le roi entouré seulement de ses ministres et d’une cour clairsemée, s’affirma comme l’ultime bastion de la fidélité et de la légitimité. Ce fut à Tours que vinrent siéger les magistrats loyalistes du parlement de Paris et des autres cours souveraines de la capitale, répondant à l’appel du roi de le rejoindre dans la cité ligérienne pour y exercer désormais leur charge. Même si ces magistrats ne constituaient qu’une minorité, la plupart des grands robins parisiens préférant l’attentisme, ils n’en apportaient pas moins à la monarchie en péril la précieuse caution du droit et de la justice, avec la présence, parmi eux, de personnalités en vue, comme le premier président du Parlement Achille de Harlay. D’autre part, tournant décisif de la crise dynastique, ce fut également à Tours que s’opéra, en deux temps, la réconciliation entre Henri III et Henri de Navarre, amorcée par la trêve signée au traité de Tours du 3 avril 1589, et transformée en véritable alliance après « l’embrassade de Plessis-les-Tours » (banlieue de Tours) du 30 avril suivant. Enfin, les forces royales et les forces navarristes pouvant dès lors se réunir, ce fut toujours à Tours, le 1er juin, que les deux Henri décidèrent la marche victorieuse qui, en moins de deux mois, les mènera aux abords de Paris. Le 30 juillet, Henri III s’installait à Saint-Cloud, tandis que Navarre, en avant-garde, campait à Meudon. L’assaut de la capitale était fixé au 2 août, lorsque l’assassinat du roi, le 1er août, vint tout remettre en cause, provoquant aussitôt la multiplication des désertions dans l’armée royale et contraignant Navarre à lever le siège, dès le 6 août.
94Privé soudainement de la caution catholique du dernier souverain de la branche Valois, l’aîné de la branche Bourbon redevenait, aux yeux de beaucoup, un prince « hérétique » parmi tant d’autres, incapable d’accéder au trône, en dépit d’une légitimité incontestable selon les lois fondamentales. Quatre ans de guerre civile s’écouleront encore avant de le voir sauter le pas de l’abjuration, au mois de juillet 1593, décision qui devait hâter la soumission de Paris obtenue au mois de mars de l’année suivante. Durant tout ce temps consacré à une impossible reconquête du royaume par les armes, la ville de Tours garda le rôle qui avait été le sien au cours des derniers mois du règne d’Henri III. Ne pouvant tenir la région de la Seine, trop hostile, et les pays du Sud-Ouest huguenot étant trop excentrés, le Béarnais choisit, en effet, pour rester à portée de Paris, d’installer sa base de sécurité dans les pays de la Loire, base élargie, dès le mois de décembre 1589, par la prise de Laval et du Mans. Bien placée au centre de ce dispositif, Tours allait continuer de faire figure de capitale politique, en raison de la présence dans ses murs du Conseil du Roi et de la fraction loyaliste du parlement de Paris, en raison aussi de sa réputation de fidélité, confortée sans tarder par l’accueil chaleureux fait par la cité au nouveau roi qui vint y séjourner une semaine, fin novembre 1589, entre deux campagnes militaires. Cet attachement à la cause de la légitimité s’était d’ailleurs déjà manifesté au grand jour lorsque, le 14 août 1589, le parlement tourangeau – ou plus exactement le « Parlement de Paris séant à Tours » – avait enregistré la Déclaration de Saint-Cloud du 4 août 1589 par laquelle Henri de Navarre se faisait reconnaître comme roi de France, promettant notamment de maintenir la religion catholique, de réserver les emplois publics vacants à ses sujets catholiques, et de n’autoriser le culte public protestant que dans les places octroyées aux huguenots. Sur cette lancée, le même parlement s’empressait de casser et annuler les arrêts du parlement ligueur de Paris, du parlement de Toulouse et de celui de Rouen ordonnant de reconnaître pour roi, sous le nom de Charles X, le vieux cardinal de Bourbon (oncle de Navarre). Par la suite, son zèle ne se démentira pas, le poussant, par exemple, à faire brûler par la main du bourreau la bulle d’excommunication lancée par le pape contre Henri IV, puis, en 1591, à enregistrer, sans sourciller, un nouveau statut de tolérance qui remettait en vigueur les édits antérieurs de tolérance les plus favorables aux protestants. Bref, le Béarnais trouva près des parlementaires tourangeaux un appui constant, au prix inestimable, particulièrement au tout début de son règne, en ce moment décisif où il s’agissait de faire avaliser ses premières décisions de roi de France.
95Le rôle politique de Tours ne se borna pas à être le siège du seul parlement résolument fidèle du royaume et le lieu de résidence du Conseil royal qui représentait alors – bien modestement – la permanence du pouvoir administratif. Non moins importante fut sa participation à la reconquête de l’opinion publique durant la continuation de la guerre civile. Grâce à la venue d’un petit groupe de libraires parisiens qui, comme les magistrats loyalistes, avaient fui la capitale, la cité ligérienne était, en effet, devenue le principal centre de la propagande royaliste, imprimée ou gravée, diffusée à travers la France. Le plus actif et le plus efficace de ces libraires fut probablement Jamet Mettayer, éditeur d’une abondante littérature pamphlétaire à l’ironie mordante, tournant en dérision le parti ligueur. Ainsi, c’est de son officine tourangelle que sortit la première édition de la célèbre Satyre Ménippée, œuvre collective composée en 1593 pour ridiculiser les États généraux de la Ligue réunis à Paris le 10 février de la même année par le duc de Mayenne. Et, au mois de mars 1594, c’est encore Jamet Mettayer qui, ayant transporté ses presses à Saint-Denis, imprimera le fameux tract, porteur d’une amnistie totale, concocté entre le roi et son secrétaire d’État Beaulieu-Ruzé, le 20 mars, puis distribué à la population parisienne dès l’aube du 22 mars, au moment où les troupes royales commençaient à s’infiltrer dans la capitale. Cette mémorable journée du 22 mars, qui vit la soumission de Paris, devait, sans tarder, être fixée par l’image, Henri IV ayant commandé à la firme Jean Leclerc l’exécution de trois grands placards, accompagnés de légendes, pour commémorer l’événement. Or la firme Leclerc s’était, comme l’imprimerie Mettayer, réfugiée à Tours, avant de revenir à Paris dans les fourgons du Béarnais. Indirectement, la commande royale à Jean Leclerc, qui était une manière de récompenser sa fidélité, fournit ainsi une nouvelle occasion d’entrevoir l’importance du rôle joué par la cité ligérienne comme centre de propagande avant le rétablissement de la paix civile.
96De tels services rendus à la Couronne n’eussent guère été possibles sans le soutien des bourgeoisies urbaines de la région dont la fidélité rarement démentie assura, mieux que des troupes, la protection de ce sanctuaire de la légitimité que représentait le « royaume de Tours ». Cette fidélité, gage de sécurité, avait valu son pesant d’or aux moments critiques de l’année 1589 où le roi Valois se trouvait mis hors la loi par nombre de ses sujets, et où Navarre, son légitime héritier, était réputé, par les mêmes Français, incapable de régner à jamais. Rappelons, à ce propos, l’ambiance de la Cour, lors du départ de Blois et de l’installation à Tours, début mars. À peine quinze jours auparavant, c’était à Blois le désarroi dans l’incertitude sur la conduite à adopter, comme l’écrivait à Rome, le 20 février, le légat Morosini : « Les décisions de cette Cour sont sujettes à tant de changements, de variations et d’instabilité, que faire part d’une chose fondée est impossible, parce qu’elle peut prendre une autre face. » Et, une fois le gouvernement – ou plutôt un embryon de gouvernement – établi à Tours, l’angoisse n’était pas pour autant dissipée, le roi, pratiquement sans armée, restant pendant de longues semaines à la merci d’un coup de main ennemi, pour peu que la Ligue disposât de complicités dans la cité. D’ailleurs, même après la réconciliation avec Navarre, fin avril, le danger n’était pas encore écarté, puisque, le 8 mai, Henri III tombait, à Saint-Symphorien, faubourg de Tours, dans une embuscade des troupes ligueuses dont il ne fut dégagé, in extremis, que sur l’intervention de renforts huguenots.
97Ces heures difficiles, Paul Phélypeaux les vécut dans l’ombre des ministres et autres serviteurs de haut rang qui formaient le dernier carré des « fidèles », serrés autour d’un monarque délaissé dont la cause semblait perdue. Pour la carrière ultérieure de Paul, cet obscur dévouement ne sera pas un moindre titre de recommandation. De plus, enfant du pays, fils de magistrat blésois, il bénéficia, tout en travaillant à la secrétairerie d’État, de l’avantage d’évoluer, durant plusieurs années, dans son univers ligérien familier où, compte tenu des circonstances, ses relations familiales étendues ne pouvaient manquer d’être appréciées et utilisées. Aussi, malgré sa jeunesse, s’éleva-t-il rapidement dans la hiérarchie des bureaux, achetant, au mois de janvier 1592, une charge de conseiller-secrétaire du roi, puis devenant, au mois de mars de l’année suivante, secrétaire ordinaire de la Chambre du Roi avec commission de signer en finances. La mort, le 17 septembre 1594, du secrétaire d’État Louis Revol, son premier protecteur, guide de ses débuts, ne remettra pas en cause une carrière si bien commencée. Au contraire, celle-ci allait se consolider et s’accélérer sous le successeur de Revol, Nicolas de Neufville-Villeroy, ce puissant personnage prenant désormais Paul Phélypeaux sous sa protection. Une protection qui, très probablement, n’était pas sans rapport avec un mariage contracté deux mois avant la disparition de Revol. Le 13 juillet 1594, en effet, le frère aîné de Paul, Raymond Phélypeaux d’Herbault, trésorier des parties casuelles, avait épousé, en la personne de Claude Gobelin, une cousine de la femme de Villeroy, Madeleine de L’Aubespine. C’était le grand essor de la famille Phélypeaux qui commençait.
Notes
1 Cf. Charles Frostin, « Les Pontchartrain et la pénétration commerciale française en Amérique espagnole (1690-1715) », Revue historique, n° 498, avril-juin 1971, p. 307-336.
2 André Lespagnol, Messieurs de Saint-Malo. Une élite négociante au temps de Louis XIV, Saint-Malo, Éditions l’Ancre de Marine, 1990, 868 p., p. 377-402.
3 Cf. Ch. Frostin, Les révoltes blanches à Saint-Domingue aux xviie et xviiie siècles (Haïti avant 1789), Paris, L’École, 1975, 410 p., p. 137-139.
4 Cf. A. Lespagnol, Messieurs de Saint-Malo…, p. 638.
5 François Bluche, Louis XIV, Paris, Fayard, 1986, 1040 p.
6 Claude Quétel, De par le Roy. Essai sur les lettres de cachet, Toulouse, Privat, 1981, 242 p., p. 90.
7 Luc Boisnard, Les Phélypeaux. Une famille de ministres sous l’Ancien Régime. Essai de généalogie critique, Paris, Sedopolis, 1986, 204 p., p. 64.
8 R.-M. Rampelberg, Aux origines du ministère de l’Intérieur. Le ministre de la Maison du Roi, 1783-1788. Baron de Breteuil, Paris, Economica, 1976, 342 p., p. 14 et 16.
9 Simone Balayé, « La bibliothèque du Roi, première bibliothèque du monde, 1664-1789 », Claude Jolly (dir.), Les Bibliothèques sous l’Ancien Régime (1530-1789), Paris, Promodis, 1988, 548 p., p. 214.
10 Jean-Louis Bourgeon, « Balthazar Phélypeaux, marquis de Châteauneuf, secrétaire d’État de Louis XIV (1638-1700) », R. Mousnier (dir.), Le Conseil du Roi de Louis XII à la révolution, Paris, PUF, 1970, 378 p., p. 134-135.
11 Mémoires et Journal inédit du marquis d’Argenson, Paris, éd. Jeannet, 1857-1858, 5 vol., t. 2, p. 350.
12 Saint-Simon, Mémoires, La Pléiade, t. 5, p. 945.
13 Voir, à ce propos, un exemple caractéristique dans Ch. Frostin, « Un recoupement du témoignage de Saint-Simon : la mort de la comtesse de Pontchartrain (1708) », Cahiers Saint-Simon, n° 10, 1982, p. 11-24.
14 Cf. Ch. Frostin, « L’organisation ministérielle sous Louis XIV : cumuls d’attributions et situations conflictuelles (1690-1715) », Revue historique de droit français et étranger, 1980, vol. 58, p. 201-226.
15 Denis Richet, La France moderne : l’esprit des institutions, Paris, Flammarion, 1973, 188 p., p. 79.
16 AN, série Archives privées, sous-série 257 AP, Archives et Collection Maurepas, 257 API, dossier 4.
17 Cf. Ch. Frostin, « “Pouvoir ministériel”, “voies ordinaires de la justice” et “voies de l’autorité” sous Louis XIV : le chancelier Louis de Pontchartrain et le secrétaire d’État Jérôme de Pontchartrain (1699-1715) », Cahiers d’histoire, 1982, n° 1, p. 9-34.
18 Cf. Ch. Frostin, « L’organisation ministérielle sous Louis XIV… », p. 202.
19 Cf. D. Richet, op. cit., p. 80.
20 Cf. Michel Antoine, Le Conseil du Roi sous le règne de Louis XV, Paris-Genève, Droz, 1970, 666 p., p. 509.
21 Cf. Ch. Frostin, Les révoltes blanches…, p. 179-180.
22 Cf. Ch. Frostin, « Du peuplement pénal de l’Amérique française aux xviie et xviiie siècles : hésitations et contradictions du pouvoir royal en matière de déportation », Annales de Bretagne, 1978, t. 85, n° 1, p. 67-89.
23 Michel Mourre, Dictionnaire encyclopédique d’Histoire, Paris, Bordas, 1986, (1re éd. 1978).
24 Journal du marquis d’Argenson, Paris, 1898, édition Brette, p. 59-60.
25 Cf. Denis Richet, « La formation des grands serviteurs de l’État fin xvie-début xviie siècles », L’Arc, 1976, n° 65, p. 54-61.
26 Cf. Daniel Dessert, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984, 824 p., p. 89.
27 Cf. Yves Durand, « Philippe Hurault de Cheverny, chancelier de France (1528-1599) », R. Mousnier (dir.), Le Conseil du Roi de Louis XII à la Révolution, Paris, PUF, 1970, 378 p., p. 70.
28 « Brief discours de l’Antiquité et heureuse prospérité de la maison et famille des Hurault… » (cité dans Y. Durand, ibid., p. 69).
29 Cf. Vittor Yvo-Comparato, « Guillaume Bochetel, secrétaire d’État ( ?-1558) », R. Mousnier, op. cit., p. 117.
30 Pour le sens du terme « marchand » au xvie siècle, voir notamment J.-L. Bourgeon, Les Colbert avant Colbert. Destin d’une famille marchande, Paris, PUF, 1973, 272 p., p. 68.
31 Ce contrat du 22 août 1557 (cité par Eugène Jarry, « Les origines de la famille Phélypeaux », Bul. de la Soc. archéologique et historique de l’Orléanais, t. XVIII, 1917) est le premier document précis qui renseigne sur les Phélypeaux de la période blésoise. Voir aussi les mises au point sur la généalogie de ces Phélypeaux données par J.-L. Bourgeon, « Balthazar Phélypeaux, marquis de Châteauneuf, secrétaire d’État de Louis XIV (1638-1700) », R. Mousnier, op. cit., p. 131-133, et par Luc Boisnard, Les Phélypeaux. Une famille de ministres sous l’Ancien Régime. Essai de généalogie critique, Paris, Sedopols, 1986, 208 p.
32 Les Hommes illustres de l’Orléanais, Orléans, 1852, t. 2, p. 397, cité dans J.-L. Bourgeon, « Balthazar Phélypeaux… », in R. Mousnier, op. cit., p. 133.
33 Cf. L. Boisnard, op. cit., p. 153-160, Preuves de M. de La Vrillière.
34 Pierre de L’Estoile, Mémoires-Journaux, t. 3 : Journal d’Henri III, Paris, 1876, p. 185-186.
35 Pierre de L’Estoile (1546-1611), grand-audiencier à la Chancellerie, était le fils de Louis de L’Estoile, président à la Cour des aides de Paris, et de Marguerite de Montholon, sœur de François. Le père de François de Montholon, également prénommé François, avait été avocat général au parlement de Paris (1533), puis garde des Sceaux de 1542 à 1543 (mort en charge).
36 Élu roi de Pologne au mois de mai 1573, Henri, duc d’Anjou, arriva dans ce pays au mois de janvier 1574, pour en repartir précipitamment et clandestinement, dès le mois de juin suivant, à la nouvelle de la mort de son frère Charles IX.
37 Cette garde des « Quarante-Cinq », que Henri III s’était constituée pour sa sécurité personnelle, était composée de gentilshommes gascons, de moyenne noblesse, allergiques à la Ligue parisienne en raison de leur origine méridionale, et plutôt hostiles à la grande aristocratie, dont faisaient partie les Guise.
38 Le vendredi 23 décembre 1588, au petit matin, Henri de Guise se présentait au château de Blois pour une séance du Conseil à laquelle il avait été convoqué la veille. La séance est ouverte vers huit heures par Beaulieu-Ruzé qui commence à donner lecture des affaires inscrites à l’ordre du jour. Revol entre alors dans la salle du Conseil pour annoncer à Guise que le Roi le mandait dans son « cabinet vieux ». Le duc se lève aussitôt et se rend dans les appartements royaux, tandis que Revol s’esquive. Quelques minutes plus tard, Henri de Guise était mis à mort par les « Quarante-Cinq » dans l’étroit couloir menant au « cabinet vieux ».
39 Saint-Simon, Mémoires, Pléiade, t. 1, p. 742.
40 Comme Beaulieu-Ruzé, Desportes (né en 1546) avait accompagné le futur Henri III en Pologne. Revenu avec lui en France, il se verra comblé de faveurs, nommé lecteur du roi et gratifié de deux abbayes. Cela ne l’empêchera pas de passer à la Ligue lors de la crise de 1588. Rallié, comme tant d’autres, à Henri IV en 1594, Desportes sut rentrer en grâce et allait devenir précepteur du Dauphin, le futur Louis XIII, lorsqu’il mourut, le 5 octobre 1606.
41 L’un de ces libelles est cité par Antoine Adam dans son édition des Historiettes de Tallemant des Réaux, La Pléiade, 1960, t. 1, p. 875.
42 Il y avait cinq Chambres des enquêtes au parlement de Paris, avec, à la tête de chaque chambre, deux présidents.
43 À la mort du président d’Espeisses. – Les présidents à mortier (distingués par le mortier, toque de velours), au nombre de neuf, siégeaient à la Grand Chambre. Ils avaient droit au titre de présidents du Parlement, alors que les présidents aux Enquêtes ne prenaient le titre que de présidents au Parlement.
44 Gabrielle d’Estrées était mariée au marquis de Liancourt, mariage déclaré nul par l’official d’Amiens, le 7 janvier 1595.
45 Les Œconomies royales de Sully, éd. D. Buisseret et B. Barbiche, Paris, Klincksieck, 1988, t. 2, p. 7.
46 Ibid., p. 6.
47 Un « traitant », ou « partisan », est un financier qui passe un traité avec l’État, selon lequel, moyennant versement d’une somme fixe, il obtient le droit de lever un impôt ou de vendre un office à son profit. Les Historiettes de Tallemant des Réaux (Pléiade, t. 2, p. 530-531) donnent un exemple caractéristique des accointances du secrétaire d’État, à propos de la vente d’un office de trésorier de l’Épargne nouvellement créé où se trouvent associés Fresnes-Forget, Gabrielle d’Estrées, le financier Pierre Puget et le beau-frère de ce dernier, Nicolas Plassin, également financier.
48 Cf. Emmanuel Le Roy Ladurie, L’État royal, 1460-1610, Paris, Hachette, 1987, p. 235, 239.
49 Arrigo Caterino Davila, Historia delle guerre civili di Francia, 1559-1598, Venise, 1630, in-4°, 1056 p. Davila fut page de Catherine de Médicis de 1582 à 1589. Il s’enrôla ensuite sous la bannière du duc de Montpensier. Revenu en Italie en 1605, il se distingua au service de Venise comme gouverneur de Candie, puis de Dalmatie, et comme chef militaire. Son Histoire des guerres civiles connut un gros succès et fut traduite en français, en espagnol et en latin.
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.