1L’écho médiatique du sport ne cesse de s’amplifier à partir de la fin du XIX^e siècle et la presse spécialisée ou généraliste, nationale ou régionale, façonne dès lors les représentations du sport1. Dès son origine, elle s’empare du fait sportif et développe une information spécifique mettant en avant des pratiques comme la vélocipédie et les courses hippiques. Très rapidement, des perspectives économiques se lèvent et, à l’image du Petit Journal qui crée la course Paris-Brest en 1891 ou de L’Auto qui invente le Tour de France cycliste en 1903, certains journaux organisent des épreuves de masse pour élargir, séduire et fidéliser leurs lectorats. Ils tentent ainsi de populariser le sport en assurant une large diffusion médiatique aux évènements sportifs (en accentuant notamment le caractère épique des récits) et en retirant des bénéfices en termes d’image et de diffusion2.

2Dans quelle mesure et sous quelles formes retrouve-t-on une telle poussée de l’information sportive dans la presse quotidienne régionale (PQR) ? C’est le projet de cet ouvrage qui entend sonder la PQR pour quantifier et discuter l’information sportive qu’elle offre à ses lecteurs, puis livrer un ensemble de données permettant d’établir des comparaisons. En ces pages, nous apporterons une contribution sur la presse champenoise en nous immergeant dans L’Indépendant Rémois.

3Pour établir des synthèses chiffrées et faciliter la comparaison des différents journaux analysés dans cet ouvrage, nous recourrons une approche quantitative fondée sur le recueil et le dénombrement des informations spécialisées sur les sept derniers jours de chaque mois, sur cinq années : 1873, 1883, 1993, 1903 et 1913.

4Nous nous sommes affrontés à la question du choix du quotidien en fonction de la disponibilité des sources. En 1874 dans la Marne, il existe en effet trois quotidiens parmi douze titres3 affichant ensemble un tirage moyen de 14 000 numéros. Si la presse cléricale ou conservatrice marnaise, avec cinq titres en 1914, est importante, les journaux républicains ou radicaux dominent en raison d’une plus large diffusion. Fort de ses 7 000 exemplaires quotidiens, L’Indépendant Rémois a ainsi le plus important tirage local. Ajoutons – dimension pratique – que la bibliothèque municipale Carnegie en possède une collection quasi complète ; aussi avons-nous pu explorer de manière quasi exhaustive les cinq années considérées, soit 408 numéros4.

5La rigueur scientifique d’une étude d’histoire culturelle des médias nous impose de situer ce quotidien dans le paysage la presse rémoise et sur l’échiquier politique départemental. Si les sources manquent pour exploiter et analyser le contenu de l’information sportive délivrée par le Courrier de la Champagne, le journal de la droite catholique, ou par le quotidien radical L’Éclaireur de l’Est, celle délivrée par L’Indépendant Rémois peut être décryptée à la lumière du contexte local et du débat d’idées qui s’y déroule. Un seul exemple : « Est-ce qu’on peut être républicain sans être garibaldien ? » proclame la droite catholique dans un pamphlet adressé à L’Indépendant Rémois en 18715. Dès lors il parait utile de comprendre comment ce journal de sensibilité républicaine s’empare du fait sportif à travers la défense de ses valeurs politiques. Notre projet est donc d’analyser comment L’Indépendant Rémois organise et distribue l’information sportive, pour comprendre ses finalités et sa ligne éditoriale. Classé dans le camp républicain sans être radical, le journal est-il sensible aux nuances du solidarisme ? Quel rôle fait-il jouer à l’information sportive ? Quel statut a-t-elle en son sein ?

6En prenant pour espace la Marne et la ville de Reims, cette étude entend démontrer que dès la fin du XIX^e siècle, la presse quotidienne régionale ne se borne pas à médiatiser les passions sportives ; elle s’empare du spectacle ou de l’évènement sportifs, de la vie associative et de l’éducation physique pour délivrer un message idéologique, prophylactique ou éducatif6. L’analyse de l’information sportive permet ainsi d’appréhender comment, sur cette terre radicale où la puissance cléricale est importante, il s’empare du fait sportif pour concilier les valeurs républicaines qu’il défend avec les principes du radicalisme qui irriguent la société civile locale. Nous effectuerons cette démonstration en trois temps, par un rappel du contexte politique et social local, puis par une analyse quantitative de l’information sportive, enfin par l’étude des thèmes promus par les rédacteurs au fil des ans.

Contexte local, politique et social

7De la fin du XIX^e siècle à la Grande Guerre, le département de la Marne est marqué du sceau républicain et radical. Lors des législatives de 1871, cinq des huit députés marnais – dont Jules Simon – sont républicains7. Puis, entre 1880 et 1914, comme l’a montré Maurice Crubbelier, le radicalisme conquiert le département8.

8Toutefois les droites et les gauches se rejoignent autour de certains enjeux sociaux. À partir de 1873, à Reims comme en Champagne, dans une région dévastée par la guerre puis placée pendant trois ans sous l’autorité d’un gouverneur général prussien, la nécessité d’une action sanitaire et le sentiment anti-allemand constituent de véritables points de convergence entre conservateurs et républicains qui, par ailleurs, se livrent à une farouche opposition9. Auparavant, pendant les années d’occupation, le sentiment germanophobe est beaucoup plus nuancé, notamment pour des raisons pragmatiques en lien avec la défense de l’économie et de l’industrie locale10. Il est vrai que dans la ville des sacres la bourgeoisie champenoise est divisée. À l’image de Dauphinot, patron du textile, l’industrie lainière est républicaine tandis que celle du champagne est royaliste. Roederer par exemple soutient Mac-Mahon11. De plus, à côté de ces grands bourgeois se développe une moyenne bourgeoisie dans les rangs de laquelle on compte de nombreux médecins férus de science, des entrepreneurs, et des commerçants. Ils s’entendent pour défendre et développer sur le territoire local les principes d’une éducation républicaine destinée à régler la question sociale.

9De son côté, l’archevêché de Reims, dynamisé par monseigneur Langénieux, organise la résistance des catholiques et se proclame même « gardien du baptistère national12 ». C’est également à Reims que le général Boulanger, soutenu par des négociants en vins de Champagne, tente de se faire élire pour rétablir la restauration monarchique en cherchant à attirer à lui une partie du clergé. Léon Bourgeois lui ravit le siège de député convoité. La victoire de ce radical modéré repose en partie sur les conséquences du ralliement des catholiques à la République dont les effets locaux conduisent certains patrons catholiques – comme Léon Harmel, industriel du textile – à promouvoir l’assistance sociale de leurs employés et à s’orienter vers la démocratie chrétienne.

10Ainsi, la droite modérée, les républicains et les radicaux se rejoignent autour d’une nécessité : gérer la détresse sociale des démunis. Cette action sociale est essentielle quand on sait que la Champagne est victime depuis 1870 d’un fort mouvement de dépopulation13. Il n’est alors pas surprenant que les responsables de Reims, édiles, notables, médecins ou enseignants, sensibles à ces questions, soient de fervents hygiénistes et se préoccupent donc, in fine, des questions relatives au corps.

11C’est ainsi que des entrepreneurs autodidactes comme Jean Claude Henri Defrançois, professeur de gymnastique au lycée de Reims et considéré comme le père de la gymnastique locale, s’associe au docteur Decés, chirurgien en chef de l’Hôtel Dieu de Reims, pour développer une gymnastique hygiénique en faveur des plus défavorisés. Les médecins hygiénistes se montrent particulièrement actifs à Reims14. Dès 1872, la ville met en place des cours de gymnastique dans toutes les écoles. Ils s’adressent aux jeunes filles et aux garçons, dans un but prophylactique. En 1883, le docteur Decès, maire de Reims, s’appuie sur le rapport de son collègue et adjoint au conseil municipal, le docteur Henrot, pour plaider en faveur de la création locale d’une société mutuelle chargée d’aider les défavorisés. Pour y parvenir, il encourage les diverses sociétés rémoises, notamment les sociétés de gymnastique, à donner des séances éducatives gratuites15.

12En somme, Reims est alors en France une des places fortes sur le plan du développement des institutions d’hygiène16. Il faut cependant, précise Henrot, créer des structures coopératives au sein desquelles, médecins mais aussi architectes, ingénieurs, juristes, industriels, administrateurs du département ou de la commune et acteurs des sociétés de bienfaisance coordonnent leurs efforts. On perçoit dans ces propositions combien les actions de tous doivent être conjuguées et structurées pour être mises au service du solidarisme. C’est pourquoi se développe à Reims une conception de l’engagement social, revendiquée y compris par les traditionalistes17. Elle renvoie au principe de la solidarité naturelle, facteur de l’ordre social promu par Léon Bourgeois (« l’homme vit en état de solidarité naturelle et nécessaire avec les autres hommes », ce qui est « la condition de la vie18 »).

13Pour être réalisée, une telle conception des rapports sociaux suppose le resserrement des liens unissant les membres de la société19. Les médecins et les édiles rémois l’ont compris et s’y emploient au sein des nombreuses sociétés de gymnastique. Dauphinot est ainsi président de La Gauloise. Defrançois est le moniteur chef de L’Ancienne. Arnould est membre d’honneur de La Rémoise. Les docteurs Decès et Doyen, jouent un rôle déterminant dans l’institutionnalisation de l’Union des Sociétés de Gymnastiques de France (USGF) et font partie du comité de direction de l’union ; ils dirigent en outre la publication de l’organe fédéral : Le Gymnaste.

14Au plan politique local, liés aux radicaux, les socialistes rémois contribuent en 1893 à l’élection de Léon Mirman républicain indépendant, puis assurent en 1900, le succès Charles Arnould aux élections municipales20. Ils engageant ainsi un processus d’intégration politique et sociale. Le socialisme « pratique et coopératiste » devient la source d’inspiration de l’action municipale21.

15Localement, le parti radical bénéficie aussi de l’appui des loges maçonniques, de la Libre Pensée ou de la Ligue de l’enseignement. À Reims, ces cercles sont représentés par des médecins scientistes comme les docteurs Henrot ou Langlet, engagés dans l’action sociale, dans la vie politique et le mouvement associatif.

16L’homme politique jouissant alors de la plus grande notoriété est Léon Bourgeois. Nommé sous-préfet de Reims en 1880, il remporte l’élection législative de 1888 et devient député radical-socialiste de la Marne jusqu’en 1905. Par ses écrits, par son activité nationale, mais aussi en raison de son action locale, il incarne cette solidarité sociale qui permet d’établir une forme de « contrat commun contre l’injustice22 ». Sa pensée est une source d’inspiration pour la mise en œuvre du solidarisme23.

17Une des particularités des politiques locales consiste dans l’établissement d’alliances à gauche afin de donner corps à un projet radical-socialiste modéré. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une reprise de la stratégie électorale du Bloc des gauches, coalition de modérés, de radicaux et de socialistes aux affaires depuis juin 1899. Placé sous le signe de l’anticléricalisme, ce front réunit un panel d’opinions très large, des républicains modérés aux dreyfusards, des radicaux aux socialistes plus avancés. C’est dans ce contexte que les élections législatives de 1902 marquent la victoire des radicaux qui bénéficient de la « discipline républicaine ». La majorité parlementaire se situe alors à gauche avec 220 députés radicaux et radicaux-socialistes, 50 socialistes et une petite centaine de modérés de la « défense républicaine24 ». Une telle entente génère des craintes au sein même de l’alliance. Les journaux d’opinion en font régulièrement cas et illustrent certaines tensions. Ainsi, bien que défendant des valeurs proches, L’Indépendant Rémois est plus modéré que L’Éclaireur de l’Est, lequel reprend les thèses radicales. Les moments forts et les aléas de la vie politique offrent donc aux chroniqueurs l’occasion répétée de souligner l’originalité de leur approche et de défendre farouchement leur identité. Dès 1883, le congrès de la Ligue de l’Enseignement de 1883 est décrypté, minutieusement, sous la lumière du primat républicain. En 1893, L’Indépendant se délecte de conflits internes qui agitent les cercles de gauche et leurs journaux. Ainsi en va-t-il lorsque deux journalistes sont exclus de L’Éclaireur de l’Est pour raisons politiques. Et de manier la métaphore sportive : « Depuis quelque temps les journalistes radicaux de notre ville se livrent à un autre sport autrement passionnant que le cyclisme25 ». C’est ainsi encore, en 1903, que L’Indépendant Rémois profite d’une réunion politique du Bloc des gauches tenue à Reims pour rappeler avec force son républicanisme.

18En somme, malgré l’évolution du début de siècle vers une concorde politique, L’Indépendant rémois se saisit de maints prétextes, situations lui permettant de rappeler et d’affirmer une ligne éditoriale et politique soulignant son démarquage par rapport à un radicalisme champenois dominant.

Dynamique de l’information sportive

19L’Indépendant Rémois est publié à partir du 1^er juin 1868. Malgré quelques interruptions, notamment sous l’occupation allemande de 1871, sa publication est relativement constante jusqu’en 1914. Entre 1873 et 1903, il se présente sous la forme d’un quatre pages grand format monté sur six colonnes. La moitié de la dernière page est réservée à la publicité.

20Les rubriques principales qui le composent en 1873 sont au nombre de neuf et ne déparent pas des chemins de fer de la presse régionale : « Chronique générale », « Assemblée nationale », « Chronique régionale », « Faits-divers », « Feuilletons », « Correspondance parisienne », « Partie commerciale », « Annonces », « Bourse de Paris ». L’information sportive se trouve alors principalement dans la « Chronique régionale » (70 %) et dans les faits-divers (25 %). Quelques entrefilets se glissent dans la « Chronique générale » et – le sport se développant au cœur des espaces urbains en particulier, à Paris en premier lieu – dans les colonnes de la « Correspondance parisienne ».

21Dix ans plus tard, le sport apparaît traité dans un plus grand nombre de rubriques. L’éditorial ne néglige plus, désormais, d’y faire référence. On en parle également dans les « Informations générales », dans les chroniques régionale et scientifique, dans « Les Nouvelles du département », « Les Départements voisins », « les Informations de la nuit », « Théâtre et concert », la « Partie commerciale » et même dans le « Bulletin météorologique et financier ». Les feuilletons lui font également place. La donne a donc très sensiblement changé : l’information sportive jouit d’une visibilité plus grande mais, pas plus qu’en 1873, la rédaction n’estime devoir lui réserver une rubrique dédiée26.

22Sous ce dernier jour, l’année 1893 marque un premier tournant. L’information sportive ne bénéficie toujours pas d’une rubrique propre. En revanche, la densité des articles et la gestion des manchettes, des titres lui donnent une visibilité encore accrue. Au tournant des deux siècles, cette évolution aboutit à la création d’une rubrique. En 1903 en effet, L’Indépendant de Reims promeut le sport au travers de la publication d’une rubrique spécialisée, « Nouvelles Sportives ». Au demeurant, il reste l’objet d’une gestion éditoriale à géométrie variable : la rubrique livre un tiers environ de l’information, le reste continuant à être distribué au fil des autres rubriques.

23Attention croissante, légitimité informative et cadrage de la stratégie éditoriale se lisent mieux encore en 1913. Le quotidien compte alors six pages. Cet accroissement de la pagination explique pour partie la place croissante offerte à la question sportive. Le sport est traité à la fois en pages 2 et/ou 3 sous la rubrique « Journées Sportives » (local ou régional) et, généralement, en page 4 dans une seconde rubrique, « Nouvelles Sportives » (non limitée à la région). Il continue par ailleurs, mais dans des proportions bien moindres, à apparaître dans d’autres rubriques. Enfin, et ce n’est pas le moindre des détails, l’actualité des sports motorisés (automobilisme, aéronautique) justifie la publication irrégulière de rubriques dédiées.

Le rythme des saisons sportives

24Cette affirmation progressive se traduit en termes de surface. En 1873 l’information sportive occupe une place restreinte. Elle dépasse le seuil de 1 % de la surface du quotidien à quatre reprises seulement (juillet, septembre, novembre et décembre). En 1883, elle représente chaque mois environ 1 % de l’information délivrée, sauf en mai et juin, saisonnalité sportive aidant (2 % et 3 %). En 1893, cette proportion flirte avec les 2 %. On note une légère progression en 1903 avec, en août, une poussée exceptionnelle (6,2 %). Enfin, l’année 1913 marque une progression plus significative, surtout en août, septembre et octobre avec, 6,9 %, 9,2 % et 7,2 %, la moyenne annuelle s’établissant à 5,5 %. Outre cette croissance, il apparaît donc que le poids des saisons sportives pèse sur la gestion de l’information. Le tableau et le graphique suivants en témoignent.

25Au-delà de cette vue cavalière, l’information est soumise à une structure rythmique qui évolue au fil des ans. Deux rythmes peuvent être identifiés. Dans un premier cas (1883, 1903) la courbe représentant la densité de l’information sportive présente un pic unique, généralement pendant la belle saison, du printemps au début de l’automne. Dans un second cas (1873, 1893) au pic de la belle saison s’ajoute une augmentation de l’information en novembre et décembre. Enfin, l’année 1913 est atypique, d’abord parce que nous ne disposons d’informations que sur neuf mois et ensuite parce que deux évènements importants génèrent de nombreux reportages et articles : la visite en octobre 1913 du président la République Raymond Poincaré, venu inaugurer le Collège d’athlètes de Reims, et la coupe Gordon Bennett d’aviation.

26À la lecture des statistiques, on peut distinguer les périodes où une plus grande activité est relayée de celles où l’activité physique est moins privilégiée. L’analyse comparée montre un déplacement temporel de la quantité d’information. Ainsi, à la fin du XIX^e siècle, la densité de l’information sportive est plus importante au printemps ou au début de l’été alors que l’information délivrée en 1903 et 1913 est plus importante à l’automne, les mois d’août, septembre et octobre concentrant en effet plus de la moitié des articles publiés dans l’année.

27Y a-t-il, parallèlement à ces variations, une modification de la nature des informations délivrées ? Ces changements traduisent-ils le passage d’une information récapitulative, visant à décrire les évènements, à une information incitatrice, qui encourage l’activité associative et présente les évènements et activités à venir ? Il semble que les mutations repérées et, d’une façon générale, la densification de la place accordée au sport traduisent à la fois l’impact de la loi de 1901, le processus participatif qui s’engage alors à travers les associations et clubs (dont le nombre ne cesse de croître), enfin l’introduction de nouvelles saisonnalités sportives (hivernales notamment avec le rugby et le football).

Répartition annuelle des activités sportives

28Le tableau 2 ci-après donne la proportion annuelle des différents sports ayant fait l’objet d’un article dans L’Indépendant Rémois. Il ne permet pas de comparer la quantité d’information sportive entre les années, d’une part parce que le journal passe de quatre à six pages (1913), d’autre part parce que les pourcentages établis pour une année ne peuvent être transposés sur une autre année, le panel d’activités de référence étant soumis à des variations notables à partir de 1893 en dépit de zones de relative stabilité (tir par exemple).

29La lecture de ce tableau doit se faire avec la nuance qui convient. L’augmentation de l’information relative à un évènement entraîne en effet, pur mécanisme mathématique, la diminution du pourcentage des autres activités (c’est le cas en 1913 avec l’aviation), ce qui ne signifie pas pour autant que la quantité d’information délivrée, soit, dans l’absolu, moins importante ou bien moins importante. Ainsi la gymnastique cumule 2,5 colonnes en 1873, 6,5 colonnes en 1883 avec une augmentation de seulement 3 % : 21 % dans le premier cas, 24 % dans le second. Et pour aller vite, notons que les 4 colonnes gymniques de 1913 ne représentent plus que 6,4 %.

30Nous ne dresserons pas le fastidieux détail de ces variations. Mais il souligne comment l’interprétation doit se méfier des seuls ordres de proportion. Au reste et pour ici, nous nous bornerons à analyser la présence comme la disparition de certaines activités, après quoi nous procèderons à une interprétation qualitative des données.

31La gymnastique, le tir, les jeux nautiques et l’équitation sont les seules activités à bénéficier d’une couverture continue de 1873 à 1913. Dans cette permanence et sachant le contexte dit plus haut, on devine l’attention conférée à l’utilité d’une partie de ces disciplines (gymnastique et tir en premier lieu) dans l’éducation du citoyen, dans l’acquisition de la santé par le développement de l’hygiène corporelle, dans la formation du futur soldat27. Cette place s’explique aussi par la puissance de la dynamique associative locale. Nous avons déjà évoqué le statut de la gymnastique et son rôle dans l’institutionnalisation de l’USGF. Au regard des jeux nautiques, notons la précoce mobilisation de la Société des régates rémoises qui organise dès 1854 des compétitions sur le canal28.

32Certaines activités semblent répondre à des effets de modes. La faible représentation dont elles bénéficient peut traduire un engouement passager ou naissant. C’est le cas de pratiques d’origines régionales importées en Champagne comme la colombophilie, la tauromachie, mais aussi des sports modernes comme le water-polo ou le base-ball.

33Sous le qualificatif de sportif se retrouvent aussi bien des pratiques physiques ou de loisirs, montrant une conception très ouverte du sport, vu comme un divertissement, une pratique associative, une technique de santé ou d’éducation. Des activités comme le billard ou la colombophilie figurent dans les colonnes du journal à coté de comptes rendus d’activité gymnique ou de résultats de préparation militaire. On peut noter l’importance accordée à la description des activités de tir que l’on retrouve régulièrement sous diverses appellations, déclinant ainsi la variété des formes sociales du tir : tir à la cible, tir au pigeon, préparation militaire, chasse. Pour corroborer l’importance accordée aux distractions et loisirs de la population locale, on peut aussi noter la grande quantité d’information consacrée à pêche. De même, les sports mécaniques bénéficient d’une bonne couverture. Le cyclisme est largement évoqué, particulièrement en 1893 où il représente un quart de l’information sportive. Il est vrai que c’est l’année où le vélodrome de la Haubette est inauguré. L’automobilisme ou le motocyclisme sont également pris en considération, parfois de manière inattendue, dans une rubrique « Raid » ou « Touring club » de France. L’aérostation enfin est présentée très précocement et les progrès de l’aviation sont suivis très régulièrement. Sur ce dernier point, il faut noter le poids de l’information sportive aéronautique en 1913. Liée au meeting de la Coupe Gordon Bennett, elle détermine une distribution qui intronise véritablement l’aéronautique comme le sport roi de l’avant-guerre.

34Une telle couverture interpelle. Elle invite à réfléchir aux raisons qui prédisposent à ces orientations, à ces couleurs dominantes. Pourquoi tel thème à tel moment ? Les dynamiques annuelles de l’information sportive appellent des développements complémentaires pour en identifier les ressorts et questionner la façon dont les sports sont appréhendés, commentés et, on le verra, intégré dans un dispositif très politisé.

Priorités informatives

35Efforçons-nous de dégager l’originalité du discours informatif de L’Indépendant Rémois. Nous nous y prêterons en soulignant, pour chaque année étudiée, le thème prioritaire du message délivré par le quotidien.

1873-1883 : pour l’éducation républicaine

36En 1873, en complément d’une série d’informations relatives aux activités physiques proposées par les sociétés et aux sociétés elles-mêmes (annonces et comptes-rendus d’assemblées générales, dates des manifestations, appels aux adhérents), certains articles, plus denses, servent les finalités d’éducation citoyenne et de promotion ou de défense de l’idée républicaine telle que l’a définie Claude Nicolet29. Ainsi, le 27 mai, L’Indépendant publie un très long article consacré à la gymnastique. L’ordre et la discipline des gymnastes y sont mis en valeur. Le compte-rendu du gala gymnique du cirque de Reims est aussi le prétexte pour réagir à la chute de Thiers et commenter l’accession du Maréchal de Mac-Mahon aux affaires. On voit ici se marier enjeux relatifs au corps de la nation et aux corps constitués de la nation. Le 24 mai, en effet, les droites refusent d’adhérer au projet de République conservatrice. Réunies autour du Duc de Broglie, elles intensifient leur combat contre les radicaux afin de défendre l’ordre social qu’elles souhaitent rétablir. Adolphe Thiers est ainsi poussé à la démission. Affichant sa ferveur républicaine, le chroniqueur de L’Indépendant s’empresse alors de rappeler que « la fête aurait été complète, […] si les graves et fâcheuses nouvelles arrivées le matin de l’Assemblée de Versailles n’étaient pas venues attrister notre population si profondément républicaine30 ». Dans un contexte où Mac-Mahon, partisan de l’ordre et ennemi d’une République qu’il juge dangereuse, est poussé par les monarchistes à accepter la Présidence de la République, cette mise en garde de la presse républicaine semble toute naturelle. Mais on peut être surpris de la trouver au prétexte gymnique. Le contexte local l’explique. Les milieux conservateurs tentent en effet d’y regagner quelque influence sur des populations que la longue tradition solidariste locale a converti aux valeurs républicaines. Voilà pourquoi le quotidien régional se donne pour mission de dénoncer un incident de nature à ébranler l’unité républicaine, quel que soit le prétexte de cette dénonciation. En effet, tandis que le public assistant au gala du cirque de Reims réclame la Marseillaise, Bazin, le chef d’orchestre, ne répond pas, puis devant l’insistance de l’assemblée, « au lieu de l’air national, attaque un morceau du Trouvère de Verdi ». Au moment particulièrement délicat où la République semble vaciller, le journal s’empare donc de cet épisode et utilise l’information sportive pour sensibiliser son lectorat aux dangers qui menacent la démocratie. Cet article est donc bien moins une variation gymnique qu’une ode à l’ardeur républicaine. Il fait d’ailleurs écho à deux autres articles. Le premier, placé en une exprime encore ces craintes de voir la République fragilisée : « Comment avait-on pu mettre en doute les intentions conservatrices de M. Thiers ? Est-ce que le plus fort n’était pas fait pour l’établissement d’une République rassurante, d’un gouvernement protecteur de tous les intérêts ? » Le second revient sur la journée du 24 mai.

« Hier, à notre retour de Versailles, sous le coup des émotions, des angoisses, des dégoûts de la journée, nous avons gardé le silence… Aujourd’hui, nous voudrions parler. En avons-nous encore le droit ? Nous sommes toujours en République, ainsi qu’il résulte des déclarations de l’Assemblée nationale. »

37Bref, ligne républicaine aidant, la réitération des déclarations alarmistes est complétée par les commentaires inclus dans le reportage sur la fête de gymnastique afin de renforcer l’éducation sinon le réveil républicain des lecteurs. L’information sportive est instrumentalisée.

38La plupart du temps, les lignes consacrées à la gymnastique s’inscrivent aussi dans le creuset patriotique mis en lumière par les travaux fondateurs de Pierre Arnaud31. Elles en appellent au développement de la force virile permise par l’exercice de la gymnastique afin de préparer la Revanche. Témoins ces considérations belliqueuses, assez ordinaires à l’époque :

« À peine l’ennemi avait-il cessé de souiller notre ville par sa présence que les portes du cirque s’ouvraient et que tout émerveillés, nous pouvions constater que notre jeunesse s’était réveillée aux exercices virils… Nous avions sous les yeux une cohorte saine et forte, rompue aux exercices du corps, exercée, prête aux fatigues de la guerre, disciplinée et ardente32. »

39Défense de la République. Mobilisation citoyenne sur fond de patriotisme germonophobe. À ces deux thèmes s’en ajoute un troisième, déjà évoqué : la tradition solidariste régionale. Le titre de l’article que nous venons de citer en témoigne de façon emblématique : « Soirée gymnique au profit des pauvres ». Quant au propos, le rédacteur termine son article en louant l’action sociale de la société La Gauloise en faveur de la population vulnérable rémoise. Si l’œuvre de préparation militaire est appréciée, il loue surtout cette forme de citoyenneté qui engage les gymnastes à développer entraide mutuelle et secours aux démunis. Nous retrouvons dans l’œuvre gymnique la vigueur du principe solidaire lié à l’émergence d’une pensée positiviste voulant voir dans la science la clé du fonctionnement des sociétés assimilées à des organismes sociaux33. La pensée d’Auguste Comte, par laquelle l’organisme (ici société de gymnastique) est un tout constitué d’organes solidaires, s’applique dans les formes diversifiées de la vie sociale. C’est dans cette logique, dont les médecins hygiénistes rémois se font les avocats, qu’il faut comprendre et situer l’engagement social des sociétés de gymnastique puis sa réception, sa présentation et sa défense dans L’Indépendant.

40Dix ans plus tard, le discours du quotidien s’inscrit dans la même veine, avec la préoccupation constante de contribuer à l’éducation républicaine. On peut cependant constater une radicalisation des positions, confirmée sur le plan quantitatif : près de 42 % des articles publiés concernent la gymnastique et les diverses formes de tir, autrement dit l’univers des pratiques préparatoires, régimentaires. L’esprit de solidarité est toujours vivement encouragé et loué ; ainsi, l’acte courageux de gymnastes ayant apporté leur concours dans la lutte contre l’incendie d’une teinturerie, valorisé à deux reprises, les 22 et le 24 février.

41Le plus souvent, le journal relaye les informations stimulant l’esprit patriotique ou évoquant la qualité de la préparation militaire. C’est sous ce jour que le congrès de la Ligue de l’Enseignement bénéficie d’une très large couverture. Le discours d’Eugène Spüller, député proche de Léon Gambetta et président de l’Union Républicaine, qui encourage à renforcer l’instruction et à fonder « des sociétés de toutes sortes : sociétés d’escrime, sociétés de gymnastique, sociétés de tir, sociétés de topographie34 » y est intégralement reproduit et les idées de la Ligue positivement commentées. À l’instar de ce qui a été mis en évidence en 1873 autour de l’affaire Mac-Mahon, les journalistes maintiennent une ligne éditoriale résolument républicaine, patriote et solidariste. Qu’elle soit publiée pour elle-même ou insérée dans des articles généraux, l’information sportive est souvent une déclinaison, pour tout ou partie, de ce message politique. Le 29 mars 1883 on peut ainsi, dans l’article consacré au congrès de la Ligue de l’Enseignement, lire ces quelques lignes où l’on apprend que « les différents groupes du congrès sont allés dans les locaux des sociétés de gymnastique et ont assisté à différents exercices d’ordre d’engins et militaires35 », ce qui a laissé, précise le chroniqueur, une excellente impression à Jean Macé. Le lendemain, toujours dans le compte-rendu du congrès, la préparation militaire est décryptée. Les initiatives jugées les plus significatives sont présentées, comme celle de l’instituteur de Prouilly qui, accompagné d’un sergent d’infanterie, fait pratiquer la gymnastique scolaire à ses élèves sur la place publique du village avant que le sous-officier se charge de « l’école du soldat36 ».

42En 1883, le projet éditorial de L’Indépendant est confirmé. En cherchant à éveiller la citoyenneté républicaine par le respect de la démocratie et par la promotion de la solidarité, en stimulant l’ardeur patriotique des lecteurs, la préoccupation majeure de la rédaction consiste à contribuer à l’éducation républicaine, par les pratiques physiques y compris.

1893. Héritage gymnique et critique de l’exploit

43En 1893, la veine décrite pour les deux décennies précédentes reste d’actualité. Nonobstant, la propagande militariste par l’information sportive décline significativement. À titre d’illustration, le 27 décembre, recensant une fête donnée par la société L’Alsace-Lorraine qui vient d’acquérir un nouveau local, L’Indépendant souligne l’action de bienfaisance plutôt que le caractère patriotique du rendez-vous. Il précise certes que le gymnase est orné de drapeaux représentant les armes des principales villes d’Alsace et de Lorraine, et que l’assistance s’est quittée après avoir entonnée la Marseillaise, mais c’est le bénéfice pour l’œuvre de l’hospitalité de nuit qui prime au travers, notamment, de la publication de la liste des donateurs, industriels régionaux et négociants en vins37.

44Les sociétés de gymnastique sont toujours célébrées mais, désormais, elles le sont principalement sur un mode commémoratif. Ainsi en va-t-il lors du vingt-cinquième anniversaire de L’Ancienne. Cet événement aboutit à la publication d’une chronique mémorielle fort documentée dans laquelle sont rappelées les valeurs altruistes ayant contribué à asseoir la position de la société de gymnastique dans le paysage pédagogique rémois. L’auteur, membre adhérent de L’Ancienne signant sous le pseudonyme de Reck (barre fixe en allemand), ne manque pas de souligner combien le quart de siècle écoulé « a vu s’accomplir d’actes de persévérance, de solidarité, de dévouement à la chose commune38 ». De manière similaire, la mort d’Henri Defrançois, gymnasiarque reconnu, « figure originale…, âme loyale, cœur ardent dans la naïveté de ses enthousiasmes39 » et père de la gymnastique rémoise justifie un retour sur son œuvre et les valeurs de la gymnastique. En effet son action à Reims permet de le voir comme un promoteur des solidarités et son engagement, la générosité qu’il affichait apparaissent comme un de puissants stimulants des politiques sanitaires et sociales locales. Comme le rappelle alors le docteur Doyen, vétéran de l’Ancienne, « la laborieuse carrière de M. Defrançois est l’œuvre d’une conviction profonde dans l’efficacité moralisatrice de la gymnastique40 ». Toutefois, Henri Defrançois est bien plus qu’un patriote déterminé. Son engagement pour les déshérités en fait aussi un opiniâtre avocat et acteur de la solidarité, L’Indépendant Rémois le rappelle avec conviction en reprenant le discours de Doyen :

« Son cœur aimant reporta toute sa tendresse sur les humbles et les déshérités […]. Il consacra une partie de sa vie à enseigner gratuitement la gymnastique aux enfants déshérités de l’hôpital général41. »

45Cet éloge est l’occasion de rappeler qu’abnégation et dévouement sont des vertus fécondes qu’il convient d’entretenir. On mesure ici combien le discours de L’Indépendant, pour partie calqué sur celui du docteur Doyen, renvoie aux principes de solidarité dont Henri Defrançois fut le maître d’œuvre. Cette orientation est d’ailleurs évoquée par le docteur Decès, promoteur de l’hygiène sociale à Reims, dans l’hommage qu’il prononce et qui est lui aussi repris par L’Indépendant.

461893 marque cependant le temps de l’ouverture à d’autres problématiques que celle de l’engagement solidaire et républicain. Signe d’une ouverture à l’idée de modernité qui est de plus en plus une valeur en partage considérée comme un levier du progrès, l’information sportive connaît une inflexion valorisant le spectacle sportif et l’évocation des exploits, des records. Le sport moderne entre ainsi en scène au seuil des années 1890. Mais il n’entre pas absolument pas sous le signe de la célébration. Une attention particulière est en effet portée à la mise en exergue des défis et des spectacles sportifs. Les activités circassiennes et certaines dimensions de la pratique vélocipédique invitent ainsi à des considérations sur l’effort et le dépassement de soi. En février, le « match de Terront et Corre42 » appelle une longue chronique. La description de l’exploit s’y conjugue à l’humour. Ce défi vélocipédique est en effet le prétexte d’une causerie sur la notion de record, objet d’une « gloire extrêmement précaire43 » et insignifiante tant il possible d’en établir sur tout et absolument tout, du record de distance (« celui du patinage appartient à Montgomery, qui, en 1882, a fait 50 miles anglais en 4 heures 13 minutes ») au record d’endurance en passant par celui « des hommes gros ou celui des hommes maigres ». Si la chronique donne des informations sur les meilleures performances (« le plus saut en hauteur c’est Sweny : 1m90 »), elle est donc davantage conçue comme une tribune interrogeant les valeurs d’un exploit sacralisé par la renaissance des « vielles palmes Néméennes ». La futilité de l’exploit visé par Terront et Corre qui, dans la galerie de la salle des machines du Champ de Mars, s’opposent dans un duel pour établir le record des 1 000 kilomètres, finit ainsi par être brocardée :

« Il y a des luttes épiques, on fait passer au coureur breton une cuisse de poulet. Pendant que son adversaire mange, Terront essaie de le lâcher. Corre repart son pilon à la main. »

47Le chroniqueur de L’Indépendant ne s’interdit donc pas le trait l’esprit pour interpeler les lecteurs sur la futilité sportive et l’inconséquence de spectateurs assimilant recordmen et idoles. Au printemps, Louis Périé récidive dans une invective contre les cyclomanes.

« Il y a deux mois, [ils] s’extasiaient, se pâmaient, en parlant de l’élasticité de la vessie de Terront, resté quarante-huit heures sur sa machine sans expulser le superflu de boisson44. »

48Ironie et scepticisme sur le nouveau Graal que constitue la quête de record. Sur ce point les rédacteurs de L’Indépendant font très nettement preuve de sens critique. Ils se veulent prudents. Ils refusent manifestement de vanter les mérites d’un sport moderne qui ne serait pas paré, selon eux, de valeurs morales. Sans doute adoptent-ils cette posture en partant de la comparaison avec les valeurs des pratiques citoyennes empruntes de gratuité du geste, de patriotisme, de solidarité. Et L’Indépendant Rémois de multiplier les mises en garde, à l’image de cet article destiné aux parents des jeunes cyclistes. Outre qu’il marque une orientation nouvelle dans l’écriture journalistique (sa densité), il montre un souci pédagogique toujours bien vivant. Le cyclisme y est présenté comme « un sport nuisible quand il est pratiqué avec trop de passion45 ». La critique est alors usuelle, le sport étant parfois représenté par les gymnastophiles comme une pratique néfaste. Le journal se donne donc pour mission d’alerter les adultes sur les risques de « cyphoses des bicyclistes46 », ce « voucessement [qui] se produit surtout chez les recordmen ». Les parents soucieux de l’avenir de leurs enfants devront donc veiller à ce que « ceux dont la croissance n’est pas terminée… n’imitent point la mode ridicule de se courber sur la machine, comme un jockey sur son cheval ».

49L’information sportive se diversifie donc. Elle suit désormais deux voies. D’une part, elle contribue toujours à rappeler les valeurs citoyennes de la vie associative développées par les sociétés de gymnastique. Mais les rédacteurs font moins la propagande de l’instruction militariste. En revanche, ils incitent davantage les lecteurs à s’engager, par l’action, dans un processus éducatif émancipateur. D’autre part et pour satisfaire cette incitation, ils brandissent une mise en garde très claire contre les excès du sport spectacle, de la compétition et de la quête du record.

1903 ou la symbolique sportive au service d’une République modérée

50Pour apprécier, en dehors de la naissance d’une rubrique spécialisée, l’évolution entre 1893 et 1903, un chiffre s’impose : celui du nombre de pratiques couvertes. On en dénombre une dizaine de 1893. Elles sont 24 en 1903. Il s’agit là d’une véritable mutation dans la façon d’appréhender la question sportive. Ventilée dans les nombreuses rubriques du quotidien, l’information spécialisée, plus riche et protéiforme, ne fait pas ressortir de pratique reine. Comme le montre le tableau 2 (cf. supra), on quitte un système dans lequel la gymnastique dominait sans vrai partage : en 1893, elle occupait à elle seule un gros tiers des informations sportives. En 1903, plusieurs pratiques sont couvertes avec des valeurs égales, sans que se dégage une hiérarchie très franche. La mosaïque des pratiques couvrant plus ou moins 10 % de la rubrique témoigne d’un éparpillement et d’un souci (délibéré ?) d’équilibre. Cette mosaïque va en effet de la préparation militaire et du tir au billard, de la pêche à la vélocipédie, de l’automobilisme à l’athlétisme.

51Mais le particularisme du traitement de l’information, quant à lui, demeure. La lecture de L’Indépendant révèle toujours la défense de valeurs républicaines modérées. La vie associative est ainsi présentée pour illustrer la possibilité contributive du sport.

52Toutefois, les mutations de l’information sportive, traduites par le déclin de l’information relative à la gymnastique et l’augmentation significative des articles traitant d’athlétisme, montrent les progrès d’un sport qui conquiert peu à peu la société, jusqu’à apparaitre comme le substitut de la gymnastique47. Dans cette période où l’institutionnalisation des fédérations va de pair avec un maillage croissant de l’Hexagone, pour le sport féminin y compris, le sport devient un élément de la vie quotidienne. La densification des rubriques sportives de la presse généraliste l’atteste tout comme l’expansion de la presse spécialisée48. Les plumes de la presse peuvent alors faire une utilisation métaphorique du sport. L’imaginaire venant ainsi renforcer les effets de style et donner une dimension imagée à la démonstration. On trouve cette éloquence dans L’Indépendant Rémois quand les éditorialistes propagent leur morale républicaine. Ainsi lorsque le quotidien relate une réunion politique du « parti Bloquiste » au cirque de Reims à laquelle assistent Ferdinand Buisson et Léon Mirman. À cette occasion, le journaliste Jean Moisin, non sans humour, use de la parabole sportive.

« Un cirque est un lieu singulièrement choisi pour une semblable manifestation politique et sa destination première est d’accueillir les écuyers, les gymnastes et les clowns parait indiquer que des prouesses analogues, quoique d’un autre genre, vont être accomplies sous les yeux des spectateurs49. »

53Parlant de Léon Mirman, défenseur de l’hygiène publique50 et député de la Marne depuis 1893, et pour signifier la souplesse rhétorique, quasi acrobatique, dont il fait preuve devant son auditoire, Jean Moisin le présente comme « le roi de la barre fixe, de réputation locale, champion rémois ». « Au cirque, écrit-il, il nous a présenté un socialisme aimable, onctueux, patriote, familial, de coin du feu51 ». Si les débats autour de l’anticléricalisme sont, à cette époque, inévitables au sein du Bloc des gauches, force est de constater que L’Indépendant met en évidence la position nuancée des orateurs. Il le fait à propos de Ferdinand Buisson. Il rappelle aussi que Mirman « n’a pas eu de ces fougues révolutionnaires qui veulent détruire le foyer et briser la famille52 ». Le message délivré, renforcé ici par la symbolique sportive, est celui des républicains modérés et « de la doctrine solidariste53 » incarnée par Ferdinand Buisson et Léon Mirman, deux de ces théoriciens et maîtres d’œuvre. Mais le premier est présenté comme un « illustre prestidigitateur et illusionniste qui tous les jours fait prendre des vessies jacobines pour des lanternes républicaines54 ». Sous les symboles et les métaphores, le message transmis vise bien, dans un espace local tenu par les radicaux, à alerter les lecteurs sur les excès des idées radicales socialistes et à montrer l’alternative constituée par le programme des républicains modérés. S’il ne s’agit pas d’une instrumentalisation de l’information sportive stricto sensu, les allusions au spectacle circassien et à la gymnastique, stimulées par le lieu où se tient le meeting, n’en sont pas moins utilisées pour soutenir un puissant cri d’alarme sur le caractère jugé excessif de certaines positions radicales. La fraternelle opposition entre républicains et radicaux se traduit donc aussi dans l’écriture imagée des journalistes et par la convocation d’un imaginaire inspiré par les mises en scènes du corps.

54Cette utilisation de la parabole sportive n’aurait pas été possible si le sport n’était devenu un phénomène social perçu comme moderne et en voie de banalisation. Cette modernité, mise en accusation au travers de la question du record en 1893, est de plus en plus présente. C’est le cas le 26 février, lorsque les « Nouvelles sportives » font état de la création de l’Association Générale Automobile, émanation de l’Automobile Club de France, laquelle s’adresse à un large public et tente de démocratiser l’industrie automobile. Voici une tendance qu’on retrouvera en 1913 et qui renvoie, in fine, à la matrice républicaine du journal : il en va de la vie politique (démocratie élective) comme de la vie sportive (démocratie culturelle).

55Ceci explique donc que les rédacteurs se soucient bien plus en 1903 qu’en 1893 de promouvoir le sport. L’exemple de l’athlétisme illustre ce tournant. Dix ans plus tôt, à l’heure où l’USFSA commence à s’organiser, pas un mot sur la course à pied, la marche ou les pratiques athlétiques en général. En 1903 en revanche, l’athlétisme est le premier poste informatif sportif (15 % de l’ensemble). L’intérêt qui lui est porté se décline dans de nombreuses directions, de la présentation des exercices les plus ordinaires jusqu’au suivi des courses exceptionnelles. La rubrique traite tout autant de la vie sportive locale que des événements clé du calendrier, à l’instar de Bordeaux-Paris à la marche, généreusement couvert et permettant de renvoyer le lecteur aux gloires locales et à une épreuve pour partie locale (« L’épreuve comptera le dernier vainqueur de Paris-Reims55 »). Les rédacteurs s’attachent aussi à montrer les progrès de la diffusion des courses athlétiques qui gagnent, peu à peu, toutes les catégories sociales. En septembre, un encart significatif est consacré à la présentation de la marche des Midinettes organisée par Le Monde Sportif entre Paris et Nanterre. La course est qualifiée d’épreuve « bien française par sa galanterie qui a poussé les sportmen qui l’organisent à faire enfin participer la femme à une véritable épreuve et non pas à une exhibition féministe56 ». Là encore ressurgit le vieux cheval de bataille de républicains soucieux de démocratiser la vie publique jusque dans le respect d’un genre encore placé sous tutelle.

1913 : l’envol de… l’aviation

56En 1913, l’information sportive représente plus de 5 % de l’information délivrée pour les neuf mois que nous avons pu traiter puisque, rappelons-le, une partie de la collection est perdue. Elle est prioritairement consacrée à l’aviation, à plus de 50 % (cf. tableau 2 supra). Cette situation nouvelle rompt avec la mosaïque thématique de 1903.

57Depuis le 30 octobre 1908, date à laquelle Henry Farman parcourt les 27 kilomètres qui séparent Bouy de Reims, l’engouement régional pour l’aviation est fort57. Cette même année, la création d’un comité bénéficiant du soutien des producteurs de Champagne – dont Melchior de Polignac est l’un des animateurs zélés – permet d’organiser une épreuve internationale d’aviation pour tester les nouveaux appareils et démontrer les progrès de l’aéronautique. La première « Semaine de l’aviation » se tient en 1909. Reims devient alors une ville pionnière dans l’organisation de meetings aériens. L’Indépendant Rémois, très favorable à la promotion des sciences et, nous le disions, s’inscrivant dans le courant positiviste que les élus de la III^e République opposent à l’explication religieuse et surnaturelle des faits et des évolutions défendues par les cléricaux58, ne peut que promouvoir ce haut fait scientifique, technique et moderne. On comprend dès lors l’intérêt qu’il porte à la diffusion d’informations aéronautiques dont le meeting de 1913 est un must.

58Pour mesurer l’ampleur de cet intérêt, soulignons que ce seul thème justifie à lui seul la parution de 199 articles en 1913 ! Les informations qu’ils délivrent se répartissent autour de quatre thèmes. En premier lieu sont évoqués les raids aériens qui se multiplient. En deuxième lieu les nouveaux records (d’altitude, de vitesse, de distance) établis chaque semaine dans le monde. En troisième lieu, une très large place est faite à la description des accidents et à leurs conséquences pour les pilotes. En associant l’aviateur à la quête d’exploits sportifs, mais également à la souffrance et à la mort, la description de la compétition définit un cadre culturel original et contribue à l’invention d’un nouveau type de héros. Luc Robène a bien montré combien cette « figure du pionnier, du conquérant et de l’homme moderne, favorise l’apparition d’une lecture patriotique de l’aventure aviatrice59 ». Enfin, le quatrième thème, largement développé lui aussi, délivre des renseignements précis sur le règlement et le déroulement des compétions, notamment du meeting de 1913 organisé à Bétheny, près de Reims, par l’Aéroclub de France dans le cadre de la Coupe Gordon Bennett.

59En dehors de ces thèmes majeurs paraissent quelques articles consacrés à l’aviation militaire. Parfois même, par exemple le 27 août ou le 29 septembre, ceux-ci sont placés en une. Parmi les chroniques originales, on peut relever un très long et pédagogique article publié le 28 avril dans lequel le rédacteur retrace l’histoire de l’aviation, dans lequel il aborde la dimension scientifique liée à l’aéronautique, présente les records, décrit l’évolution de l’aéroplane, évoque le développement de l’aviation à l’étranger et les perspectives d’avenir60. S’inscrivant dans le mouvement de ferveur patriotique généré par l’aviation61, l’exploit de Roland Garros stimule également la plume des rédacteurs. Sur deux jours, la traversée de la Méditerranée est largement commentée avec l’évocation de la Légion d’honneur accordée à l’aviateur, son retour à Paris et l’accueil triomphal qu’il reçoit à Marseille62. Sa venue à Reims, le 28 septembre, aux commandes d’un monoplan Morane-Saulnier, est elle aussi saluée.

60Dans la description de l’activité aéronautique rémoise, dans la valorisation des exploits des pilotes français, une fibre régionaliste teintée de chauvinisme transparait. Bien qu’elle marque la persistance d’une représentation sportive de l’aviation, la description des exploits des aviateurs sert in fine les propos laudateurs sur l’énergie et la créativité locale qui s’inscrivent dans un mouvement patriotique de défense de l’inventivité française. Aussi l’organisation sur l’aérodrome de Champagne les 27, 28, 29 septembre 1913 de la Coupe internationale Gordon Bennett, que l’aviateur Jules Védrines a ramenée en France, suscite-t-elle la fierté régionale. Les reportages sur l’aéronautique et sur l’aviation sportive se multiplient pour atteindre plus de 80 % de l’information sportive en septembre et 8 % de l’information générale, avec un souci localiste prononcé.

61Il faut situer la forme et les intentions de ce récit médiatique dans le contexte local. Ainsi, la concurrence, en l’espèce Le Courrier de la Champagne, montre un enthousiasme plus modéré pour les meetings d’aviation. S’ils sont largement décrits et analysés, ils n’occultent pas la présentation d’autres informations régionales importantes. Ainsi l’inauguration du Collège d’athlètes de Reims en octobre 1913 peut-elle être présentée comme une alternative. Deux symboliques s’affichent donc dans chacun de ces journaux. Pour les républicains de L’Indépendant, le sport aérien est mis en scène comme un outil et un symbole de la modernité, de la puissance créatrice et technologique française. Dans l’organe catholique, l’œuvre éducative, également soutenue par le Marquis Melchior de Polignac, et dynamisée par Georges Hébert, l’officier de marine féru de pédagogie, est présentée comme l’alliance de l’éducation et de la bienfaisance. On perçoit ici combien l’information sportive est gouvernée par l’idéologie.

62Pour en terminer avec ce tableau synthétique sur 1913, faisons trois courts arrêts sur image.

63Pour le premier, en accordant une place croissante au turf et aux pratiques hippiques, L’Indépendant se tourne plus qu’auparavant vers une gestion académique (par rapport à la presse parisienne) de sa rubrique ; mais sans mettre ces thématiques en tête de ses préoccupations sportives. En deuxième lieu, il faut souligner la place du cyclisme. Malgré le temps de langueur qu’a pu connaître le vélo dans la presse au début du siècle, L’Indépendant ne s’en détourne pas et le préfère encore à l’automobilisme, de très loin, montrant là un profil différent d’une presse nationale qui sacre le moteur dans toutes ses déclinaisons. Enfin, troisième point et non des moindres : la répartition thématique de 1913 fait ressortir la percée très significative d’un sport qui sera adoubé par le temps de guerre, le football. À Reims, la création de la Société sportive du Parc Pommery (SSPP) le 29 novembre 1910, est un facteur stimulant son développement. « Cette Société a pour but de former des joueurs qui puissent s’entraîner sérieusement et défendre les couleurs de leur Société, soit sur leur propre terrain du parc Pommery, soit dans les villes voisines » proclame le Marquis de Polignac dans le journal63. Le département compte par ailleurs de nombreuses associations footballistiques. Ainsi les clubs socialistes (CA socialiste de Reims), soutenus par une entreprise (SSPP) et les associations autonomes (Racing club de Reims, Sporting club rémois) deviennent les adeptes du football-association ou du football-rugby. Même si le Gallia-club de Reims évoque par son nom un patriotisme persistant, le temps est donc bien terminé où les pratiques nimbées de légitimité républicaine et solidaire l’emportaient, que ce soit le tir ou la gymnastique qui, à eux deux, ne représentent plus que 10 % de la rubrique (50 % en 1893 et 18 % en 1903).

Conclusion

64La lecture de L’Indépendant Rémois invite à souligner les lignes de forces singulières qui traversent son information sportive et ses mutations successives.

65Dans l’immédiat avant-guerre, il rejoint le chœur de l’information sportive en matière de célébration aéronautique ou footballistique. Mais L’Indépendant se distingue de la PQR par l’absence de certains traits distinctifs et pas des moindres. Ainsi en va-t-il, en tout premier lieu, de son regard critique sur la montée en puissance du spectacle sportif et de la quête du record. Ainsi en va-t-il – en conséquence est-on tenté de dire – de son inaction en matière d’organisation. Là où à partir des années 1890 de nombreux journaux se lancent dans la mêlée de l’invention du calendrier sportif, L’Indépéndant ne crée ni ne patronne aucune épreuve. Aucun hasard, donc, à ce que le journal jette un œil critique sur le mécénat local, par exemple celui de Melchior de Polignac, même si ce dernier est parfois invité à s’exprimer. Par ailleurs, s’il cède ici et là à une inflexion localiste, régionaliste, en un temps où les nouvelles sportives sont souvent marquées de ce sceau, il ne succombe pas à ce tropisme. Bref, L’Indépendant rémois nous semble assez atypique.

66Au fond, de façon centrale et durable, son identité sportive est marquée au fer politique. Dès les années 1870 ressort en effet l’idée, fondatrice, de la prééminence des dimensions éducatrices et symboliques des pratiques physiques. Elles doivent avant tout, à l’image de la gymnastique, être le lieu de l’efficience physique, de l’esprit citoyen et solidaire. Loin de céder au prosélytisme pro-cycliste, pro-athlétisme, etc., qui colore certaines rubriques spécialisées de la grande presse parisienne, les priorités de L’Indépendant confirment le constat de Marc Martin : la presse régionale est d’abord mue par des objectifs « très politiques64 ». Au fil des ans, avec quelques aménagements, son cadre de pensée républicain imprègne le traitement de l’information. Celle-ci participe à la connaissance des faits sportifs, à la promotion de la vie associative, mais le journal engage surtout les lecteurs à la pratique des activités physiques et sportives dans une perspective hygiéniste, patriotique, solidaire, républicaine. Il a aussi, dans le fief de Léon Bourgeois et avec l’entrée dans le XX^e siècle, le souci de montrer en quoi le sport peut servir le rapprochement du radicalisme et du modérantisme au travers de l’altruisme inhérent à la pratique physique et associative. L’Indépendant livre donc une information instructive65. Elle est fondue dans une logique d’éducation militante qui appelle les lecteurs non pas à simplement vivre la solidarité des associations, clubs ou sociétés sportives, mais à avoir l’ambition plus forte de la construction de la fraternité républicaine. On comprend dès lors comment, pour renforcer une forme d’instruction quasi propagandiste, l’information générale a pu utiliser la valeur symbolique du sport pour contribuer à l’éducation politique du lectorat. Une telle ligne donne une coloration qui, en conséquence, ne peut être considérée comme le fidèle reflet de la vie associative rémoise. Il existe cependant une corrélation entre le calendrier des créations d’associations sportives, leurs activités et l’évolution de la ligne sportive du journal. Ainsi, au cours de l’Âge d’Or des gymnastiques, L’Indépendant donne bien à voir les dynamiques locales. Dans les années 1890, la couverture cycliste est assez synchrone du développement associatif local. À la veille de la guerre, son intérêt nouveau pour le football reflète une véritable dynamique de terrain. Mais, en définitive, la nature de l’information sportive régionale livrée par L’Indépendant quatre décennies durant montre que ses dirigeants ne s’encombrent pas de dilemme. De 1873 à 1914, ils ne portent pas, d’abord la casquette prosélyte du sport. Ce dernier est avant tout apprécié, raconté, discuté, au besoin célébré à l’aune d’un républicanisme et d’un cortège de valeurs (solidarité, progrès, modernité…) d’autant plus farouches qu’ils ont pour vocation, à l’échelle locale, de contrarier la puissance du clergé rémois.

67Représentant à lui seul la moitié des tirages quotidiens de la presse régionale en 1913, L’Indépendant Rémois contribue donc, par cette voie singulière, à la construction, voire à la recomposition des opinions, des identités et des imaginaires sociaux et culturels auprès d’un large public marnais. On peut postuler que le sport en ressort grandi, en soi et à cause des valeurs ou des enjeux que les rédacteurs veulent bien lui associer tout en les offrant en partage à leurs lecteurs. Mais c’est donc en dernier ressort sous une forme très idéologisée que L’Indépendant rémois contribue au mouvement d’acculturation sportif de la Belle Époque.