René Pleven
|Quatrième partie. René Pleven et la Cinquième République
Chapitre XV. Un semi-opposant à la politique gaullienne (1959-1969)
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FranceTexte intégral
1Éloigné du pouvoir pendant les années gaulliennes, René Pleven se consacra davantage à la modernisation de la Bretagne et des Côtes-du-Nord par le biais des nombreux organismes qu'il présidait. Le centriste s'opposa aussi à plusieurs aspects de la politique étrangère du général de Gaulle sur l'Europe ou les relations avec les États-Unis.
Combats pour le développement de la Bretagne
- 1 Martray (Joseph), L'épopée du CELIB, op. cit., p. 42.
- 2 L'expression est du géographe Miche ! Phlipponneau qui fut longtemps un des experts socialisants d (...)
2Président du Comité d'Études et de Liaison des Intérêts Bretons (CELIB) de sa fondation en 1951 à 1972, René Pleven consacra une grande partie de son énergie au développement économique de sa région. En une vingtaine d'années, la commission des parlementaires du Comité tint 172 réunions1. Réunissant une fois par mois environ la quasi-totalité des élus bretons (dont plusieurs de Loire-Atlantique au début des années 60), ce groupe de pression breton obtint une réelle reconnaissance des ministères parisiens. Le consensus et le dynamisme des notables, tout comme l'influence et les relations de René Pleven, contribuèrent à cette affirmation d'un régionalisme fonctionnel2.
3Sous la Quatrième République, cet organisme original servit de prototype à la mise en place d'une structure régionale de réflexion et de développement. Le 30 mars 1953, la deuxième assemblée générale de Saint-Brieuc adopta un Plan d'aménagement, de modernisation et d'équipement de la Bretagne, acte de naissance de la planification régionale selon l'un de ses principaux promoteurs, le géographe Michel Phlipponneau. L'action ministérielle de René Pleven dans les équipes des années 1951-1954 obligea le commissariat général au Plan à tenir compte des projets bretons dans la préparation du 2e Plan national, d'autant plus qu'elle était relayée par une importante opération de relations publiques dans la région et à Paris.
- 3 Martray (J.), op. cit., p. 69 et 57-68.
- 4 Pleven (René), Avenir de la Bretagne, Calmann-Lévy, p. 205-208 et 213-217.
4En 1954 et 1955, la politique d'aménagement et de développement régional balbutiante (décrets Faure et Pflimlin) conduisit à une véritable officialisation du CELIB par un arrêté interministériel du 25 octobre 1955. Le Comité était agréé comme Comité régional d'expansion économique. Les Bretons avaient montré la voie, n'attendant pas leur survie du bon vouloir central. Présidant une réunion de bilan, à Rennes, le 31 mars 1955, René Pleven avait averti les décideurs : “La Bretagne se trouve protégée et défendue. On sait maintenant partout, notamment dans les ministères, qu'un organisme disposant de moyens nécessaires d'intervention surveille toutes les mesures qui peuvent influer sur la vie économique des départements bretons”3. La région récolta les premiers fruits du travail du CELIB, en juillet 1956, avec la publication du premier programme d'action régionale (PAR), élaboré conjointement avec l'administration, mais oubliant la Loire-Atlantique. Les velléités économistes et régionalistes de la Quatrième République reprenaient tout bonnement le découpage régional de Vichy en 1941, ce que les milieux de L'Emsav breton ne pouvaient accepter. En outre, comme René Pleven le soulignera dans son ouvrage Avenir de la Bretagne en 1961, l'administration avait bien accepté d'attribuer des aides pour l'industrialisation, mais seulement dans huit “zones critiques”. Surtout, le plan officiel avait “oublié” de chiffrer les crédits et l'échéancier...4D'où cette “déception bretonne” exprimée avec force par le président du CELIB lui-même en 1961, qui trouvera la législation élaborée en 1955 “exagérément timide”
- 5 Phlipponneau (M.), op. cit., p. 59.
5Mais en fait, jusqu'en 1958, “ces pressions (sur le pouvoir et l'administration) peuvent demeurer au stade de la démarche courtoise, de la campagne d'informations, de la consigne de vote au parlement”5. Il est vrai que le régime agonisant a bien d'autres préoccupations, notamment financières. Et René Pleven, qui à chaque crise à partir de 1957 se rapproche un peu plus du pouvoir, n'ignore pas ces difficultés. Cette attitude va changer avec la Cinquième République.
“Non à la centralisation de la décentralisation” (2 décembre 1957)
6C'est par ce beau slogan qui dut réjouir ses auditeurs que René Pleven a accueilli, à Carhaix, les 850 congressistes de l'assemblée générale du CELIB. Il met en garde en ces termes : “Des forces puissantes s'opposent à la politique de décentralisation, de régionalisme, que nous voulons instituer... Nous devons faire attention..., à ce que Paris ne réussisse à centraliser la décentralisation elle- même”.
- 6 Pleven (R.), op. cit., p. 15-16.
- 7 Ouest-France, 8 novembre 1982. Cité par J. Martray, op. cit., p. 94.
7En attendant mieux, les notables et les forces vives de la région mettent sur pied une “Société de Développement Régional”, puis une “Société d'Économie mixte pour l'Aménagement et l'Équipement de la Bretagne” (1957) dont le capital est souscrit par quatre conseils généraux bretons6. René Pleven assurera la présidence de cette SEMAEB, chargée de financer les travaux d'infrastructure, jusqu'en 1969. Lors du 25e anniversaire de cet organisme, en novembre 1982, il rappelait la démarche des fondateurs : “Le CELIB a vite compris qu'orienter les industriels vers la province ne suffisait pas. Il fallait aussi offrir des conditions d'accueil correspondant aux besoins. Nous savions aussi qu'il fallait retenir la plus grande partie possible de la population rurale dans les villes bretonnes. Voilà pourquoi est née la SEMAEB. Ce qui a été fait à l'époque ne l'a été que grâce à la parfaite union qui nous rassemblait tous”7. Présidant aux destinées d'un département, les Côtes-du-Nord, qui a perdu 138 000 habitants de 1866 à 1954, il mesurait mieux que quiconque les ravages de l'hémorragie humaine de l'exode rural.
8Cette prise de conscience conduit les Bretons, à la fin des années 1950, à prendre en main leurs propres affaires, au moment où l'expansion économique devient une réalité. Le CELIB, à la fin de 1959, rassemble 45 parlementaires, 625 conseils municipaux plus 143 organismes adhérents. Trois ans plus tard, son action en faveur d'une loi-programme est appuyée par 1 085 communes bretonnes, y compris celles dirigées par les communistes. René Pleven n'est donc pas isolé face au pouvoir gaulliste lorsque la révolte va gronder dans les campagnes.
9Mais à la veille du changement de régime, les résultats obtenus sont encore bien minces. Une seule grande opération de décentralisation administrative est décidée en avril 1958, dans les journées de retour au pouvoir de l'homme politique breton : celle d'implanter une annexe du Centre National d'Études des Télécommunications (CNET) à Lannion. Le site choisi dans le Trégor, de préférence à la région de Grenoble, n'est pas innocent politiquement. C'est la région de Pierre Bourdellès, le colistier de René Pleven qui retrouvera un siège à la fin de l'année 1958. Le rôle de Pierre Marzin, futur directeur du CNET, a pesé ainsi que la localisation géographique (près de la mer) et la présence d'un aérodrome permettant des liaisons régulières avec Paris. C'est le point de départ de la vocation électronique de la Bretagne. Ce triangle des télécommunications du Trégor va être créateur d'emplois pendant une douzaine d'années. Et c'est grâce au radôme construit à Pleumeur-Bodou et à son antenne-cornet de 340 t. que la première liaison par satellite avec les États-Unis fut établie le 11 juillet 1962. L'ancien directeur général de l'Automatic Téléphoné Company pour l'Europe dut goûter plus que d'autres cet exploit de la technologie française à laquelle il avait contribué.
10René Pleven contribua au début de 1959 à faire aboutir une autre importante opération de décentralisation industrielle. Citroën, qui exploitait une usine de pièces détachées à Rennes depuis 1954, décida d'installer une grande usine de 8 000 à 10 000 salariés aux portes de la capitale bretonne. Les primes de l'État ainsi qu'une abondante main-d'œuvre rurale recrutée dans un rayon de 60 km et acceptant des bas salaires ont décidé le groupe. Annonçant la bonne nouvelle, Le Petit Bleu du 28 mars 1959 saluait cette décision comme “l'aboutissement d'efforts patiemment poursuivis depuis de très longs mois”. Mais il ne disait pas que René Pleven s'était personnellement entremis, faisant jouer des relations établies du temps de la guerre.
- 8 Martray (J.). op. cit., p. 162-164.
11Bien qu'importantes, ces deux décisions n'allaient pas porter leurs fruits avant 1961-1962. Et elles étaient loin de répondre aux 10 à 12 000 créations d'emplois non agricoles nécessaires chaque année, selon les experts du CELIB8. De plus, avec le changement de régime, le mouvement semble s'arrêter au moment où la jeunesse du baby-boom arrive sur le marché du travail. Les notables bretons vont chercher à le rappeler au pouvoir gaulliste mais les moyens de pression sont plus limités.
Avenir de la Bretagne (1961)
- 9 Nicolas (Michel), Histoire du mouvement breton, Éd. Syros, 1982, p. 147-153.
12Le pouvoir gaullien consolidé par la nouvelle Constitution et dont le gouvernement est présidé par le Jacobin Michel Debré, n'a plus autant besoin de s'appuyer sur les notables locaux. Le régionalisme devient plutôt suspect pour les tenants de la grandeur nationale et des grands projets d'équipements. Et en 1959-1960, le découpage des circonscriptions d'action régionale est l'occasion de renforcer le pouvoir central par l'intermédiaire des préfets9
- 10 La Vie Bretonne, n° 34, juillet 1959. Publication du CELIB.
13Le CELIB qui avait gagné en autonomie et en reconnaissance dans les années précédentes sent rapidement la menace. Dès le 8 juin 1959, à Quimper, étudiant deux lois-programmes en préparation (sur l'énergie et sur l'équipement sanitaire), les responsables affirment que la Bretagne est exclue des réalisations (sauf un hôpital). À la surprise générale, le modéré René Pleven déclare amèrement : “Il y a quelque chose de pathétique dans la différence entre les efforts faits en Bretagne et les lois-programmes établies sans considération ni attention pour les intérêts complètement oubliés de la région bretonne. Nous devrons donner à notre protestation un caractère beaucoup plus solennel. En ce qui concerne la Bretagne le cœur de l'État n'y est pas”10. La dernière phrase-choc aura quelque retentissement.
- 11 Voir le récit de J. Martray, p. 112-116.
14Un mémorandum remis au Premier ministre le 18 décembre 1959, montrant l'échec du “Plan breton” et réclamant des mesures exceptionnelles, n'a pas plus d'écho. En visite à Rennes, le 1er mars 1960, Michel Debré durcit le ton, refusant de prendre en considération la spécificité bretonne tout en annonçant la construction de l'usine marémotrice de la Rance11. Lors de son voyage officiel en Bretagne, en septembre de la même année, le général de Gaulle s'en tint à des généralités, ignorant ostensiblement le CELIB.
15C'est cette attitude qui décida René Pleven à intervenir publiquement dans le débat. En 1959, il avait été pressenti par les éditions Calmann-Lévy pour écrire un ouvrage sur la Bretagne pour la collection “Questions d'actualité”. Il avait d'abord refusé, mais ses amis du CELIB l'avaient convaincu de se servir de cette occasion de défendre la cause régionale. S'appuyant sur la documentation rassemblée par le Comité, l'ancien thésard publia au début 1961, Avenir de la Bretagne, un petit ouvrage de 256 pages.
16Joseph Martray, le secrétaire général du CELIB, nous dit qu'il se produisit un phénomène imprévu : “l'auteur fut de plus en plus passionné par son livre.
- 12 Ibid., p. 121.
17Il rédigeait partout, dans le train, à l'Assemblée nationale et surtout dans son bureau de la rue d'Uzès,... ” à Paris12.
18L'ouvrage, bourré de chiffres précis, dresse un tableau sans complaisance de l'état de l'économie bretonne. En 110 pages, la première partie présente “le passif breton”, commençant par un chapitre : ”Tableau sans fard ou le mal breton”. Puis, plusieurs chapitres portent sur les handicaps (naturels, des transports, énergétiques, de l'enseignement, de la sous-industrialisation et du sous-équipement des campagnes). La seconde partie, plus courte (65 p.), traite des atouts et des ressources tandis que la troisième (60 p.), analysant ”la déception bretonne“, plaide pour une loi-programme pour la Bretagne.
- 13 Pleven (R.), op. cit., p. 255-256.
19À la mobilisation des Bretons doit répondre une politique précise d'aide de l'État. ”L'urgence est extrême“ compte tenu du retard accumulé et de la pression démographique13. L'enjeu en est d'empêcher la Bretagne de tomber ”du rang de province vivante à celui de région condamnée à un dépérissement sans retour“. Répondant aux craintes de Michel Debré de voir renaître un ”séparatisme breton“ — le mouvement breton discrédité après la guerre est en cours de réorganisation — René Pleven explique que cette loi-programme n'est pas d'intérêt local mais national, au même titre que l'aide consentie aux DOM- TOM. Il conclut en disant que, si le ministère des Finances n'entend pas son appel, qu'au moins on s'adresse à la Banque Européenne d'Investissement de la CEE, chargée d'aider ”les régions sous-développées“ car ”l'Europe commence à l'Océan”.
20Convictions européennes et convictions régionalistes se rejoignent dans ce livre de René Pleven, bien accueilli par la critique mais pas à l'Élysée. L'agitation paysanne de juin 1961 vint confirmer le diagnostic et l'urgence de la situation.
- 14 Phlipponneau (M.), op. cit., p. 68.
21Pourtant le général de Gaulle opposa, de manière hautaine, une fin de non- recevoir. Recevant Paul Ihuel, le président de la commission parlementaire du CELIB, le 27 octobre 1961, le chef de l'État déclare : “J'ai vu plusieurs fois M. Pleven. J'ai lu son livre. Il a des idées mais ce que je dois dire, c'est que j'entends beaucoup de rouspétances, je vois beaucoup de projets, mais aucune initiative valable, d'action et de réalisation”14. Mauvaise foi évidente qui sert à justifier le refus de la loi-programme demandée, réservée uniquement à la région parisienne : “Si l'on donnait une loi-programme à la Bretagne, les autres régions la demanderaient à leur tour... Pour Paris, cela n'est pas la même chose. Paris est à tout le monde”. Condescendant et songeant à ses électeurs bretons, ...le général concluait sur un superbe : “Je vous autorise à dire aux Bretons que je continue à m'intéresser à la Bretagne”...
- 15 Elegoet (Fanch), Révoltes paysannes en Bretagne, Éd. du Léon, chap. vi, vii et viii
- 16 Pleven (R.), op. cit., p. 37.
22Les jeunes agriculteurs bretons, formés dans le creuset de la Jeunesse agricole chrétienne (JAC), n'ont pas attendu cet intérêt du général pour manifester leur colère et leur impatience vis-à-vis de la mise en œuvre de la loi d'orientation agricole adoptée à l'été 1960. Déçus par le retard de la mise en place d'une nouvelle organisation des marchés, Alexis Gourvennec et Marcel Léon, les jeunes dirigeants des producteurs d'artichauts du Léon, investissent à l'aube du 8 juin 1961, la sous-préfecture de Morlaix15Pour cette opération commando, médiatisée immédiatement, les deux leaders sont arrêtés et traduits en justice. Il n'en faut pas plus pour enflammer les campagnes bretonnes comme au temps des jacqueries : barrages routiers et ferroviaires, poteaux téléphoniques sciés, manifestations monstres dans toute la région. Le 22 juin, le pouvoir central doit reculer en faisant relaxer les deux prévenus. L'avertissement solennel de René Pleven annonçant pour la France “des déchirements qu'elle ne soupçonne pas” est bel et bien devenu une réalité, plus vite que prévu16
- 17 Le Petit Bleu, “Fièvre”, 17 juin 1961.
23Tout en déplorant les excès de cette “fièvre” paysanne provoquée par la chute des cours (poulets, produits laitiers, pommes de terre primeur), René Pleven met en cause “les lenteurs de l'action gouvernementale”17. En réalité, ces crises particulières ne sont que le reflet d'un malaise plus profond, sous-tendu par une mutation économique et sociale sans précédent. C'est une bonne occasion d'accepter la loi-programme qu'il a proposée. Mais si Michel Debré, sous la pression accorde un impressionnant catalogue de mesures économiques, il refusera tout plan d'ensemble malgré la bonne volonté du CELIB. Réunissant des états généraux à Pontivy, le 19 août 1961, le comité de liaison apporte son soutien aux jeunes paysans, au risque de se laisser bousculer par leur “comité de vigilance”. Désormais, les notables et les élus ne sont plus seuls à défendre les intérêts économiques de leur région, même s'ils se posent en intermédiaires indispensables et en “négociateurs sérieux”.
- 18 Nicolas (M.), op. cit., p. 153-158.
24Michel Nicolas évoque, à ce propos, “les fausses batailles du CELIB”. Des combats qui n'auraient pu être gagnés sans une forte mobilisation populaire, car en fait, en 1961-1962, c'est le syndicalisme agricole qui prend le relais18.
Au cœur de la “bataille du rail” (1962)
25Durant l'année 1962, une seconde bataille s'engagea entre les Bretons et le pouvoir gaulliste. Improprement connue sous le nom de “la bataille du rail”, elle portait sur une bataille tarifaire avec la SNCF et n'avait rien à voir avec les centaines de sabotages de voies ferrées réalisés par la Résistance bretonne, en 1943 et surtout en 1944.
26Depuis le début des années 1960, le pouvoir central s'efforce de reprendre le contrôle des organismes régionaux dont le fer de lance est justement le CELIB. En particulier, un décret du 20 janvier 1961, prévoit que les parlementaires ne pourront plus participer aux nouveaux Comités régionaux d'expansion économique (CREE). En plaçant ces organismes consultatifs sous la tutelle des préfets, il s'agit de renforcer la centralisation. Mais les manifestations paysannes de 1961 ont permis une liaison étroite entre le CELIB élargi à toutes les organisations économiques et syndicales (y compris la CGT) et le mouvement de contestation.
- 19 Ibid., p. 155-158 ; Martray (J.), op. cit., p. 137-159 ; Phlipponneau (M.), Debout Bretagne, 1970, (...)
27Le gouvernement Debré n'a d'autre choix, au début 1962, que d'agréer le CELIB comme CREE de Bretagne. En outre depuis le 25 mai 1961, ce CREE, avec l'accord de René Pleven, était présidé par l'un des plus fervents partisans de la politique de développement régional et de la loi-programme, Michel Phlipponneau19
28Or, depuis la fin de l'année 1961, Joseph Martray, secrétaire général du CELIB et d'autres responsables économiques, sont inquiets. La SNCF prépare une réforme de ses tarifs ferroviaires marchandises tenant compte “du prix de revient”. Il ne fait pas de doute que la Bretagne serait pénalisée par les nouveaux modes de calcul envisagés, à moins de lui appliquer un abattement de 15%. La négociation engagée au printemps 1962 avec le ministre des Transports, Robert Buron (bientôt démissionnaire), n'est pas poursuivie par son successeur. Le 18 juin, les 1 200 membres du CELIB, réunis en assemblée générale à Lorient, adressent un premier avertissement au gouvernement Pompidou. Si la réforme tarifaire est appliquée au 1er octobre, “les trains risquent de ne pas circuler en Bretagne”, lance Jean Mévellec, le président de la FDSEA du Finistère. En ouvrant les débats, René Pleven a souligné l'enjeu de l'affrontement en gestation, pour l'organisme fondé onze ans auparavant, en déclarant : “La réunion d'aujourd'hui marquera une date dans l'histoire du CELIB et de la région”.
29Ignorant l'avertissement, le gouvernement cherche à gagner du temps et à diviser les protagonistes socio-professionnels de la région. Mais comme le référendum constitutionnel est un enjeu d'une autre ampleur, surtout dans une région où les parlementaires modérés passent à l'opposition, le ministre des Transports Dusseaulx vient négocier à Rennes avec le CREE, le 20 septembre. Face à l'échec, il ne reste plus aux Bretons que la mobilisation et l'action.
- 20 Chronologie détaillée des faits dans Martray (J), op cit, p 147-155
30Le 24 septembre, lors d'une nouvelle réunion, le ministère et la SNCF se montrent inflexibles. À 13h, René Pleven conduit une délégation auprès du préfet d'Ille-et-Vilaine qui décide de partir pour Paris, demandant de “surseoir à toute décision jusqu'à son retour”20Mais l'après-midi même, le comité directeur du CELIB arrête une position ferme, en appelant aux forces syndicales et à une grève des maires pour le 1er octobre si satisfaction n'est pas donnée. Et dans la soirée, les trois principaux dirigeants du Comité de liaison tiennent une conférence de presse annonçant l'épreuve de force. René Pleven déclare : “L'opinion bretonne est mobilisée”. Tout au long de la journée du 25 septembre, le secrétariat du CELIB, installée à la mairie de Carhaix, coordonne la mobilisation. Le lendemain, à 13h, René Pleven est averti, par le préfet d'Ille- et-Vilaine, de concessions du gouvernement sur les produits agricoles et de la pêche, mais l'ensemble du trafic marchandises n'est pas concerné. Dans la soirée, Joseph Martray, constatant l'échec passe le relais aux organisations professionnelles et syndicales. Aussi, à l'aube du 27 septembre, des barrages sont-ils édifiés sur des voies ferrées, en cinq points du Finistère. Comme en 1961, les Bretons se donnent les moyens de se faire entendre, en particulier avec six meetings de protestation le soir même, dans le même département.
31Craignant une contagion qui gagne l'ouest des Côtes-du-Nord, le lendemain matin, le préfet d'Ille-et-Vilaine a proposé une nouvelle rencontre à René Pleven et à Joseph Martray. Le président du CELIB réclame la mise en place d'une commission de conciliation et le report des nouveaux tarifs. Le midi 28 septembre, à la radio, le ministre Dusseaulx annonce l'entrée en vigueur de la réforme à la date prévue, sauf en Bretagne et dans le Massif Central. Cette première victoire acquise, le CREE du CELIB accepte le 29 septembre la reprise des discussions avec le gouvernement et demande l'arrêt des manifestations.
- 21 Ibid., p. 157-158.
32Dans les jours suivants, par l'entremise d'Edgard Pisani, ministre de l'Agriculture, une délégation de parlementaires bretons est reçue à Matignon (3 octobre) et une commission d'experts gouvernementaux et du CELIB est formée, aboutissant à un accord, le 10, le jour de la dissolution de l'Assemblée nationale. À l'approche du référendum et des nouvelles élections législatives, le gouvernement Pompidou censuré quelques jours plus tôt, doit lâcher du lest. Selon Joseph Martray, le gouvernement aurait tenté d'obtenir de René Pleven une certaine réserve, voire une désapprobation des méthodes employées par un organisme s'appuyant sur une mobilisation pouvant dégénérer en affrontements violents avec les CRS21. Interrogé par les journalistes sur les arrêts de trains, celui qui s'apprête à voter la censure du gouvernement Pompidou, se refuse à désavouer publiquement de telles actions. La bataille gagnée, il déclarait le soir du 29 septembre, sur Radio-Luxembourg : “Lorsque les Bretons recourent à des manifestations de ce genre, ce n'est pas de gaieté de cœur. Il faut ne pas connaître leur caractère pour penser qu'ils aiment de telles manifestations, mais c'est le seul moyen dont ils disposent”. Tout en jouant un rôle de modérateur et de conciliateur, comme à son habitude, René Pleven a contribué, avec beaucoup d'autres, à cette victoire de “la bataille du rail” de 1962, sans basculer pour autant dans une opposition totale au gaullisme. Plus que tout autre, il mesure bien le poids de la mobilisation paysanne, relayant celle des notables, à quelques jours d'échéances électorales importantes.
- 22 Nicolas (M.), op. cit., p. 157-158.
33En cet automne 1962, le CELIB qu'il préside paraît à son apogée. Et ce d'autant plus que le 3 novembre, 84 candidats députés, réunis lors d'un déjeuner-débat à Auray, prennent “publiquement l'engagement d'utiliser, s'ils sont élus, tous les moyens dont disposent le Parlement afin de gagner en 1963 la bataille de loi-programme... ”22.
34Mais plébiscité contre les notables lors du référendum, encouragé par la forte poussée gaulliste dans la région, en novembre 1962, le pouvoir va rapidement reprendre l'initiative au détriment du CELIB.
Des promesses non-tenues à la “trahison des notables” (1963-1965)
- 23 Martray (J.). op. cit., p. 162-164
35En poussant l'avantage, le “grand espoir” (Michel Phlipponneau) de la loi-programme proposée dans son livre par René Pleven, en 1961, doit pouvoir se concrétiser. En mai 1962, 085 conseils municipaux de la région (dont 35 de Loire-Atlantique) ont déjà voté un vœu de soutien. L'assemblée générale de Lorient du 18 juin 1962 a adopté à l'unanimité, le texte du projet de loi-programme préparé par le CREE du comité de liaison. René Pleven a fait ajouter que ce projet concerne “la Bretagne et les autres régions sous-développées” pour éviter qu'une demande trop régionalisée ne conduise à un rejet par le Parlement23…
36Ainsi, trois jours plus tard, dans la discussion à l'Assemblée du ive Plan, le député de Dinan put déposer un amendement concernant une “loi-programme des régions sous-équipées” contresigné par les parlementaires bretons et par certains d'autres régions. En situation difficile, craignant l'abstention de plusieurs centristes et indépendants, Georges Pompidou préféra prendre les devants, proposant lui-même un rectificatif au ive Plan. Le texte adopté prévoyait donc la présentation d'une loi-programme d'investissements publics pendant l'année 1963.
- 24 Ibid., p. 168-170.
37Mais le renforcement de la majorité sortante rendit rapidement les vagues promesses de 1962, moins urgentes. Le gouvernement fit traîner les choses en longueur. Rappelé à l'ordre par René Pleven, le ministre des Finances et des Affaires économiques, Valéry Giscard d'Estaing réitéra à plusieurs reprises, oralement et par écrit, les promesses faites en 1963 et en 196424. Mais rien ne vint car le projet présenté en juin 1964, en Conseil des ministres, fut écarté par le général de Gaulle, pour ne pas couper la France en deux...
38Georges Pompidou n'avait pas tenu ses promesses. La loi-programme promise ne verrait jamais le jour. René Pleven, ne pouvait que le constater amèrement, lors d'une réunion du comité directeur du CELIB, au début de 1964.
- 25 La Vie Bretonne, n° 75, février 1964.
39Il reconnaissait alors : “Oui, c'est vrai, nous avons été trompés. Mais je préfère pour ma part être du côté de ceux qui sont trompés, que du côté de ceux qui trompent”25
40Au cours de l'Assemblée générale du 13 juin 1964, à Brest, Joseph Martray, tente bien un baroud d'honneur, en faisant une nouvelle fois l'unanimité sur ce fameux texte. Mais cet échec signifie déjà la mort du CELIB, en tant que force régionale agissante.
41A cette occasion, en effet, les contradictions internes accumulées depuis des années par le CELIB, sous couvert d'unanimisme régional et “d'apolitisme”, vont faire voler en éclat le bel outil présidé par René Pleven. Michel Phlipponneau prend alors la tête d'une opposition socialisante, voire socialiste au sein du CELIB.
- 26 Phlipponneau (M.), Debout Bretagne, op. cit., p. 67-80.
42Quelques années plus tard, en 1970, il dénoncera successivement la “première trahison” des “inconditionnels” du pouvoir, c'est-à-dire, celle des députés gaullistes après 1962, puis “la farce de la loi-programme”26. Prenant acte du coup d'arrêt de la politique régionale (y compris de l'industrialisation engagée), le géographe plaçait ses espoirs dans une “solution politique”, incarnée par la gauche et la candidature Defferre. À Brest, il propose donc un contre- programme de développement régional et surtout une motion demandant aux élus du CELIB de ne pas participer à la mise en place par l'État gaulliste de la CODER, la Commission de développement économique régional, créée par décret pour remplacer le CREE. Ce nouvel organisme, dont un quart des membres sont nommés par le pouvoir, dépend étroitement du préfet de région.
43Dénonçant cette dérive dangereuse qui visait surtout les élus gaullistes, Michel Phlipponneau ne fut pas suivi, ni soutenu, dans son analyse par les deux principaux responsables du CELIB, René Pleven et Joseph Martray.
- 27 Ibid., p. 77.
44Le recours à la solution “apolitique” paraissait la moins dangereuse politiquement aux notables centristes, à un moment où la gauche entamait une certaine reconquête électorale en Bretagne. En outre, la survie du CELIB était en jeu au travers de cette crise grave. En 1970, le géographe rennais expliquait de la manière suivante l'attitude du président-fondateur : “Bien qu'ayant été ouvertement et personnellement bafoué dans l'affaire de la loi-programme, René Pleven préférait maintenir l'unité de façade du CELIB en sacrifiant son efficacité. Prendre une position vigoureuse était peu conforme à son caractère. Mais surtout, faire adopter par le CELIB, une motion proposée par un homme qui démontrait que la solution du problème était à gauche présentait un risque de caractère politique : la gauche pouvait y puiser une force nouvelle, rallier les masses populaires. Mieux valait s'accommoder du pouvoir existant et permettre ainsi aux notables centristes de préparer en toute tranquillité l'après- gaullisme”27.
- 28 Martray (J.). op. cit., p. 162-164.
45Pourtant, le centriste brestois Me Lombard proposait lui aussi de boycotter la mise en place de la CODER de Bretagne, contrairement à Joseph Martray qui prônait la participation, tout en proposant une virulente motion contre “l'abus de confiance” du gouvernement. Quant à René Pleven, tout en refusant une politisation du Comité — “je voudrais dire pourquoi il ne faut pas que le CELIB descende dans l'arène politique... Il ne faut jamais laisser abaisser son action, l'action de la Bretagne, en paraissant la lier au sort de tel ou tel pouvoir... 28” — il souhaitait conserver la collaboration de l'actif président de la Commission d'expansion économique. Il fit adopter, à l'unanimité, un texte demandant au Premier ministre de n'écarter “par aucune exclusive politique, des personnalités qui ont consacré des efforts d'une qualité reconnue par tous, au problème du développement régional”. Toujours cette recherche du compromis et de la conciliation. Pour éviter la cassure et l'implosion du CELIB,
46Michel Phlipponneau, minoritaire, retira sa motion. Il n'en fut pas moins écarté de la CODER, à la fin de 1964, ce qu'il appelle “la trahison des notables” commençait. Une analyse reprise par le politologue Michel Nicolas, mais vigoureusement contestée par le plaidoyer pro domo de Joseph Martray !
- 29 Soubigou (Alain), maîtrise citée, p. 26-27.
- 30 AD Côtes-d'Armor, PV des délibérations du Conseil général, 18 mars 1964.
47René Pleven n'était sans doute pas insensible au danger représenté par la “politisation”, c'est-à-dire le glissement vers la gauche, du Comité de liaison des intérêts bretons. En effet, aux élections cantonales de mars 1964, son fauteuil de président du Conseil général des Côtes-du-Nord avait quelque peu vacillé. Les accords passés à gauche entre le PSU, les communistes et l'Action travailliste commencent à porter leurs fruits, notamment avec l'élection d'Antoine Mazier (PSU) à la mairie de Saint-Brieuc en 1962. Après ce succès de la gauche unie, les élections cantonales sont un test important avec la présidence comme enjeu. Si René Pleven est facilement réélu dès le premier tour dans son canton de Dinan-est, sa majorité s'effrite face à cette gauche qui représente 21 conseillers généraux (3 radicaux font défection)29. Cette poussée n'est pourtant pas suffisante pour “déboulonner” le Président Pleven qui retrouve son fauteuil avec 24 voix (sur 44 bulletins exprimés et deux blancs) contre 20 au socialiste Hourdin30. Le vent du boulet n'est pourtant pas passé bien loin.
48Toutefois, avec la rupture entre l'Action travailliste et l'Union de la gauche, aux élections municipales de 1965, les trois élus de cette dissidence de gauche du MRP rentrent dans le giron pléveniste en 1967, consolidant la majorité centristes-indépendants du député de Dinan.
49Les déboires du président du CELIB vis-à-vis du pouvoir gaulliste ne l'empêchèrent pas de jouer le jeu des institutions régionales mises en place en 1964 pour mieux contrôler les velléités d'autonomie régionale. C'est cette acceptation de l'action institutionnelle, à la remorque du pouvoir central, que Michel Phlipponneau considère comme la “trahison des notables”. Une telle attitude n'est pas pour nous surprendre de la part de René Pleven, un homme partisan de la réforme mais avant tout de l'ordre, un homme respectueux des institutions et du pouvoir républicain, un homme préférant le dialogue et la concertation à la mobilisation de rue et à l'action de masse.
La présidence de la CODER de Bretagne (1964-1972)
50Le 19 décembre 1964, les 48 membres de la CODER de Bretagne tenaient leur première réunion. Le président du CELIB en était membre de droit. Prenant quelque liberté avec la lettre des textes quant à son fonctionnement, la nouvelle structure régionale porta René Pleven à sa présidence. Elle créa même le poste non prévu de “premier secrétaire” pour Joseph Martray. Le Figaro du 21 décembre y voyait un succès du CELIB investissant une institution officielle, d'autres, un rapprochement des notables bretons avec la majorité gaulliste.
- 31 Martray (J.), op. cit., p. 184 et La Vie Bretonne, n° 83, janvier 1965.
51Dans son discours d'installation, René Pleven rendit un hommage appuyé au Comité de liaison : “L'honneur de votre choix, je le reporte sur le CELIB, sur cette vaste association aux larges assises populaires, qui n'a pas encore d'équivalent dans aucune autre partie de la France et qui, à une époque où bien peu s'occupaient des déséquilibres régionaux au sein de l'Hexagone français, fut la création spontanée des élus et de l'ensemble des forces économiques et sociales de notre région, unis pour préserver l'avenir. J'interprète ce choix comme voulant marquer que, dans votre esprit, la CODER, institution officielle, devra travailler en étroite liaison avec le CELIB”31.
- 32 Ibid., Passage cité par Michel Phlipponneau, op.cit. mais curieusement oublié par Joseph Martray, (...)
52Répondant par avance aux critiques suscitées par la participation à un organisme aux pouvoirs limités (boycotté par la CGT et la CFDT), il ajoute : “Pour nous l'essentiel n'est pas dans les formes. Il est de déterminer à l'épreuve des faits si la création nouvelle est efficace, c'est-à-dire si ses avis seront retenus par l'exécutif et ses représentants dans notre région, s'ils permettent d'obtenir pour elle des moyens importants pour satisfaire les grandes options du Ve Plan... ”. Puis il précise : s'il en est ainsi, “nous apporterons tous ici avec joie notre travail, notre expérience, notre ferveur. Mais si — ce qu'à Dieu ne plaise — nous avions le sentiment de n'être qu'une figuration superflue, la bonne volonté avec laquelle nous allons nous efforcer de donner vie et dynamisme à la CODER bretonne céderait vite à la déception et à l'amertume”32. Par cet avertissement, René Pleven veut bien faire preuve de bonne volonté, mais ce n'est nullement une déclaration d'allégeance à la politique officielle.
53Désormais, les deux organismes (CELIB et CODER), présidés par le même homme, vont travailler en symbiose alors qu'on n'en est qu'au tout début de la régionalisation. Mais leur capacité d'innovation et de contestation, leur impact, vont s'émousser. À partir des années 1966-1968, on assiste à l'émergence d'un nouveau mouvement breton et de nouvelles forces de contestation qui échappent aux contrôle des notables.
- 33 Phlipponneau (M.), op. cit., p. 83-84
54La préparation du Ve Plan tout au long de l'année 1965 ne va pas manquer de décevoir les élus bretons, malgré les bonnes paroles de Georges Pompidou,venu inaugurer la ligne électrifiée Le Mans-Rennes, le 1er juillet 1965. En effet, un rapport de la CODER du printemps 1965 a rappelé “avec gravité au gouvernement que beaucoup de promesses faites à la région bretonne n'ont pas été tenues... Les problèmes de l'Ouest français sont difficiles. Ceux de l'Extrême- Ouest le sont plus encore. Ils exigent des mesures spécifiques”33.
- 34 L'Année Politique 1965, p. 153.
- 35 Ibid., p. 72 et 150.
55Comme ces avertissements ne sont pas entendus, le député de Dinan intervint dans les débats parlementaires de l'automne 1965, peu avant les élections présidentielles. En octobre 1965, lors de la discussion du budget de 1966, il émit de “vives critiques” contre un Plan jugé “trop parisien”34. Au cours de cette session, l'ancien président du Conseil eut un accrochage des plus vifs avec Georges Pompidou. L'incident se produisit le 14 octobre lors de la discussion de la ratification des accords pétroliers franco-algériens. Le député centriste, dans un vibrant plaidoyer en faveur des rapatriés d'Algérie, appela le gouvernement à respecter ses engagements, s'opposant à l'attribution d'une aide financière à un État qui avait violé les accords d'Évian. On voit bien encore combien les séquelles de la guerre d'Algérie lui tiennent à cœur. Ripostant à la critique, le Premier ministre, de son banc, interrompit l'orateur en ces termes : “Rien n'a été ménagé par le président Pleven, surtout pour appeler la veuve et l'orphelin au secours d'une cause”35. Après cette passe d'armes oratoire, l'amendement Pleven sur l'indemnisation des rapatriés fut jugé irrecevable.
- 36 L'AP 1963, p. 87-88.
56Depuis deux ans, le député de Dinan intervenait régulièrement à l'Assemblée dans les discussions du budget des affaires algériennes. Déjà, en octobre 1963, après la confiscation par la République Algérienne de toutes les terres appartenant à des Français et un discours très ferme du président Ben Bella, il s'étonnait au nom du Centre démocratique du silence et de l'inertie du gouvernement français. “Nous aurions voulu, disait-il au secrétaire d'État Jean de Broglie, que le gouvernement déclarât immédiatement que la solidarité française allait jouer envers les spoliés et que leurs droits leur seraient garantis par l'aide spécifique prévue à l'article 13 des accords d'Évian... Monsieur le Ministre, certaines rumeurs nous inquiètent. Elles nous font craindre que vous hésitiez, peut-être même que vous ayez pris une décision contraire... Nous vous demandons de le démentir. La signature de la France n'a pas été donnée seulement par les plénipotentiaires français, elle l'a été par ces millions de Français qui ont voulu mettre fin à une guerre fratricide et sans issue, mais n'ont certes pas entendu que les pertes et les dommages soient supportés par une petite minorité... ”36 ...
57Georges Pompidou dut intervenir dans le débat, justifier la politique de coopération franco-algérienne et imposer un “vote bloqué” pour empêcher la prise en compte d'un amendement Pleven qui réclamait un blocage partiel des crédits destinés à l'Algérie.
58Mais ces divergences et critiques n'empêchèrent pas le député de Dinan de voter les lois de Finances de cette période avec ses amis centristes, ni d'appeler à voter pour le général de Gaulle en décembre 1965, mais seulement au second tour.
- 37 Phlipponneau (M.), op. cit., p. 83.
- 38 Bretagne Magazine, n° 11, octobre 1966, p. 4-5.
59En 1966, analysant la politique régionale d'aménagement du territoire, René Pleven ne put que constater que : “le bilan est, il faut bien le dire, fort mince” (réunion de la CODER du 14 février 1966) et s'interroger sur l'efficacité d'un tel organisme37. Et dans un “face à face” publié par Bretagne Magazine, en octobre 1966, il dressa un bilan mitigé des perspectives du Ve Plan pour la Bretagne38. Face aux ambitions de créer 27 400 emplois nouveaux d'ici 1970, on atteindrait seulement la moitié des besoins estimés : “Nous ne pouvons donc être qu'à demi-satisfait”. Tout en énumérant les nombreuses opérations de décentralisation industrielle déjà réalisées, il soulignait le ralentissement, voire l'arrêt du processus. Aussi, le courant de créations du début des années 1960 “n'a pas été assez puissant pour nous permettre d'atteindre ce qui est notre but essentiel : le renversement de la tendance de l'économie régionale au dépérissement, la substitution de l'optimisme au pessimisme”. Finalement, les créations d'entreprises répondaient souvent à la disparition d'autres comme les Forges d'Hennebont et, après la phase de démarrage, on n'arrivait pas à trouver un second souffle. Ce constat restera valable jusqu'à l'adoption par le gouvernement à la fin 1968 d'un Plan breton (réclamé depuis 1962).
- 39 Le Petit Bleu, 13 et 27 janvier 1972.
60Ce blocage est reconnu, aussi bien par les responsables du CELIB et de la CODER que par Michel Phlipponneau. Cependant, les conclusions qui en résultaient n'étaient pas les mêmes. René Pleven resta à la tête des deux organismes jusqu'en 1972. Et par exemple, en juin 1970, devenu ministre de Georges Pompidou, il était réélu à la présidence du comité directeur du CELIB par 27 voix (10 bulletins blancs, 3 nuls) et à celle de la CODER renouvelée par 26 voix sur 33 votants39.
61Durant la présidence gaullienne, l'Europe et la politique étrangère du général avaient été autant de raisons de désaccords.
Contre la politique gaullienne, pour l'élargissement de l'Europe
62René Pleven “l'Européen” signe dans Le Petit Bleu du 17 janvier 1959 un éditorial intitulé “Europe 1959”. Dans ce texte écrit au palais de l'Europe à Strasbourg, lors de “la première session de l'an I du Marché commun” de l'Assemblée parlementaire européenne, il fait le point de la situation de la CEE. Grâce au plan Pinay-Rueff d'assainissement de l'économie, la France gaullienne participe au premier abaissement des tarifs douaniers du 1er janvier 1959. À l'issue d'une période de tensions avec les États européens libre-échangistes conduits par un Royaume-Uni hostile à la CEE, des accords notamment monétaires viennent d'être conclus. Cet accord monétaire a produit “un effet semblable à celui du vent dispersant les nuages qui s'accumulaient pour l'orage”. En ce début d'année 1959, “Il régnait donc à Strasbourg sur les perspectives économiques européennes un optimisme raisonné”, selon le député de Dinan. Mais il rappelle à ses lecteurs que deux conceptions européennes continuent de s'affronter : la sienne qui voit dans la communauté économique la première étape “vers l'unité politique, vers les États-Unis européens, dont les Six constitueraient le noyau” et celle des adversaires de la conception supranationale. Comme les gaullistes au pouvoir et en particulier le premier ministre Michel Debré se sont opposés à cette vision des choses, tout en prenant acte du traité de Rome, l'incertitude sur les intentions françaises règne à l'Assemblée européenne. Selon Pleven, à l'unité européenne, idée de la 2e partie du xxe siècle, s'oppose celle, plus floue, de concert européen, idée qui eut cours au xixe siècle après 1815.
63Expliquant que faisant part de ces réflexions à un ami de Strasbourg sur les deux thèses en présence, il se serait attiré cette réponse : “Il faudrait que le général de Gaulle, après avoir été président de la République française, fut un jour le premier président des États-Unis d'Europe ! ”. “Boutade ou prophétie de visionnaire ? ”, telle était la conclusion de l'article de René Pleven.
- 40 Berstein (S.), op. cit., p. 245-255.
64Mais en 1961, la conception gaullienne de “l'unité politique” fut bien différente de celle de son ancien ministre. Aux autres pays du Marché commun qui souhaitaient élargir la Communauté et étendre les pouvoirs de la Commission, le général de Gaulle opposa son projet “d'union d'États” ou “d'Europe des Patries” mis au point en octobre 1961 sous le nom de “Plan Fouchet”40. Il s'agissait en réalité d'enterrer l'Europe supranationale. Mais le Belge Henri Spaak et le Néerlandais Joseph Luns firent capoter ce Plan Fouchet en avril 1962, ouvrant l'ère des difficultés et des blocages dans la construction communautaire, malgré la mise en place de la politique agricole commune (PAC).
- 41 Le Petit Bleu, 5 août 1961.
65René Pleven commentait régulièrement les avancées et les coups d'arrêt de cette laborieuse construction. Ainsi, en août 1961, voit-il “un tournant capital” dans la demande officielle d'adhésion à la CEE du Royaume-Uni41. Dans cette évolution de la “perfide Albion”, l'ami de Jean Monnet voit une nécessité économique mais aussi une évolution politique décisive concernant les 7 pays de l'Association européenne de libre-échange (AELE), créée contre la CEE au début 1960. Sachant que les négociations seraient longues et difficiles, celui qui avait longtemps vécu en Angleterre espérait une “attitude constructive et sans équivoque de la France”, appelant à négocier “avec bonne volonté, avec le désir non de freiner mais de faire aboutir”. En contrepartie, les Anglais ne devaient pas demander de statut particulier et devaient accepter tous les objectifs du Marché commun devant aboutir à une politique commune dans tous les domaines.
66Mais, se méfiant d'un Royaume-Uni trop lié aux intérêts américains, le général de Gaulle mit son veto à l'entrée de ce pays dans l'Europe des Six, lors de sa conférence de presse du 14 janvier 1963. Le 15 mai précédent, après l'échec du projet confédéral d'union européenne proposé par la France, les oreilles de René Pleven avaient certainement sifflé en entendant les déclarations du général. Le chef de l'État ne s'était-il pas gaussé des tenants de l'intégration, n'avait- il pas condamné devant des journalistes ahuris ces “apatrides”” qui pensent ou écrivent “en quelque espéranto ou volapiik intégré” ? Le député de Dinan approuva la démission des ministres du MRP qui suivit cette “sortie présidentielle”.
- 42 Viansson-Ponté (P.), op. cit., p. 3 3 7 - 3 4 1.
67Huit mois plus tard, en réponse au Premier ministre britannique qui a préféré lors d'une rencontre aux Bahamas les fusées nucléaires américaines à une coopération franco-britannique et à l'arrimage européen, de Gaulle appliqua sa “diplomatie de l'intransigeance”, premier signe de sa politique de grandeur française. Il rejetait l'adhésion de la Grande-Bretagne au Marché commun car cela signifierait “une Communauté atlantique colossale, sous dépendance et direction américaines, qui aurait tôt fait d'absorber la Communauté européenne... ”42. Et en privé, le général porta des jugements très durs envers ces “Européens” qui n'auraient été, selon lui, que des hommes à la recherche de places et de carrières.
68Au lendemain de la rupture des négociations des Six sur l'élargissement en laquelle il voit une “brutale et lamentable séparation”, René Pleven s'interroge dans son éditorial du Petit Bleu du 2 février 1963, intitulé : “Et maintenant ? ”.
- 43 L'AP 1963, p. 7.
69S'il a approuvé à l'Assemblée nationale la fermeté du gouvernement français (le 24 janvier), il regrette la méthode employée et un mauvais exemple de “coordination des politiques étrangères” des Six43. Selon lui, dans cette crise, la France a gâché une occasion de reprendre le leadership de la construction européenne : “Après avoir perdu le leadership moral de l'Europe en 1954 par le rejet de la CED, la France pouvait le reconquérir, en raison de la vitalité de son économie, du prestige intérieur et extérieur du Président de la République. Il nous suffisait de prendre les initiatives politiques qui auraient conduit l'Europe vers la Confédération d'abord, puis par un processus naturel vers la Fédération”. L'ami de Jean Monnet acceptait donc le “Plan Fouchet” comme une étape. Mais pour jouer ce rôle de leader, la France devait souscrire à trois conditions : respecter les susceptibilités des petites nations européennes, accepter l'existence d'une Europe ouverte (y compris à l'Angleterre), affirmer clairement que “dans la conception française cette Confédération ou Fédération européenne en formation entendait devenir le partenaire égal des États-Unis d'Amérique dans une Association” portant sur tous les domaines de coopération et d'échange “entre les deux rives de l'Atlantique”. Partant de là, le député de Dinan rejetait la vision gaullienne des choses affirmant que les Américains voulaient faire de l'Europe un “satellite”. II contestait aussi les assertions de ceux qui affirmaient que la France voulait imposer son hégémonie aux Six. Et pour sortir de l'impasse, il proposait une rencontre de Gaulle-Kennedy
- 44 Ibid., p. 8-9.
70Dans ce contexte, René Pleven n'accueillit pas très favorablement la signature à Paris, le 22 janvier 1963, du traité de coopération franco-allemand. L'initiateur et défenseur de la CED eut bien du mal à accepter qu'au moment où il écartait la Grande-Bretagne, le général de Gaulle se posât en artisan d'un rapprochement franco-allemand aux relents anti-européens. Au cours du débat du 24 janvier consacré à la défense par Maurice Couve de Murville de la politique étrangère du général de Gaulle, le député de Dinan affirma que “La crainte d'un condominium franco-allemand a paralysé depuis deux ans la construction de l'Europe politique”44. Comme d'autres opposants centristes ou socialistes, il craignait que l'axe Paris-Bonn ainsi institué ébranlât la cohésion européenne. En outre, si l'on redoutait le poids des États-Unis, mieux valait faire entrer les Britanniques dans le Marché commun : “N'est-il pas juste de penser que... l'Europe avec l'Angleterre serait plus capable d'atteindre à cet équilibre avec les États-Unis qui doit être, et sur ce point nous sommes d'accord, le but de la nouvelle étape à faire parcourir par l'Alliance atlantique ? ”. Cependant, cet incident de parcours n'ébranlait pas la foi européenne de René Pleven : “L'Europe se réalisera quand même. Les Européens qui en sont conscients doivent garder leurs convictions, se serrer les coudes, chercher comment préserver ce qui est acquis et remettre le train en marche”.
- 45 Ibid., p. 244
- 46 Pascal (J-), op. cit., p. 631-632.
71C'est ce qu'il s'efforça de faire lors de la session de mars 1963 du Parlement européen de Strasbourg. Le 29 mars, au nom du groupe libéral et en accord avec ses collègues des groupes démocrates-chrétiens et socialistes, il proposa une résolution (votée à l'unanimité) favorable à l'élargissement de l'Europe des Six45. Et le 13 juin suivant, lors du débat à l'Assemblée nationale sur le ratification du traité franco-allemand, il vota avec 9 autres députés bretons la motion d'ajournement, puis accepta de ratifier le texte46. Les désaccords ou la semi-opposition de René Pleven vis-à-vis de la politique du chef de l'État ne se solda pas par un passage total à l'opposition durant cette législature.
- 47 Ibid, p. 632 et l'AP 1963, p. 63-65.
72Pourtant, lors de la longue grève des mineurs de mars-avril 1963, il critiqua l'attitude du gouvernement, en particulier l'ordre de réquisition qui ne permettait pas de résoudre le problème. Et le 26 juillet, il vota contre le projet de loi qui cherchait à limiter le droit de grève dans les services publics (préavis de cinq jours, pas de grèves tournantes) car le texte n'avait pas tenu compte des propositions du “Comité des sages”47. C'était une critique plus sur la forme que sur le fond.
- 48 Le Petit Bleu, 28 décembre 1963.
73Dans son éditorial “L'Europe l'emporte” de la fin de l'année 1963, René Pleven saluait l'accord de compromis intervenu entre les Six sur la politique agricole commune, refusant à la fois “le noir pessimisme des uns” et “l'enthousiasme démesuré” des autres48. Rappelant la crise du début de l'année, il concluait ainsi : “Le temps écoulé n'aura pas été entièrement perdu, s'il a amené les responsables de notre politique étrangère à une conception moins unilatérale de la vie internationale et de la solidarité des peuples européens”.
- 49 Ibid., “Quelles sont les arrières-pensées ? ”, 10 juillet 1965.
74Pourtant, pour faire pièce aux prétentions intégrationnistes de la Commission et à l'application intégrale du traité de Rome, la France déclencha sciemment le 30 juin 1965, une nouvelle crise grave, celle de “la politique de la chaise vide”. Nullement dupe de “la disproportion évidente entre les causes du différend et les conséquences que semble vouloir en tirer le gouvernement français”, l'ancien président du Conseil s'interroge aussitôt sur les “arrière-pensées”49…
75Par-delà les enjeux techniques (agricoles et financiers), René Pleven voit bien que pour Paris, c'est bien la substitution de la règle de la majorité à celle de l'unanimité en conseil des ministres qui est en cause. “Les arrière-pensées, ce pouvait être du côté français, la recherche d'un alibi pour remettre en cause l'ensemble du traité de Rome et pour extirper sans trop de dommage électoral les clauses ”supranationales“ en temps opportun”... “Du côté de nos partenaires, les arrière-pensées pouvaient émaner de la volonté de ne plus se laisser imposer les vues françaises et surtout des méthodes de négociation qui, proches de l'ultimatum, finissent par incommoder les gouvernements et suscitent des réactions de plus en plus vigoureuses de leurs opinions publiques”. Espérant la médiation et la relance de l'Europe, René Pleven n'exclut pas que “l'abandon du traité de Rome puisse tenter quelques-uns, et non seulement certains des dirigeants actuels de notre pays, qui souffrent mal que quelque chose de grand et de précieux ait été mis en place avant le 13 mai 1958, mais aussi ceux d'autres pays étrangers”. Rarement la critique des gaullistes n'a été aussi vive.
76Et l'article s'achève sur une dénonciation du nationalisme et une mise en garde : “Détruire l'espoir de l'Europe Unie serait préparer des ruines sous lesquelles les démolisseurs ne tarderaient pas à être ensevelis”.
- 50 L'AP 1965, p. 255 et 307.
77Dans les mois suivants, notamment au Parlement européen, le président du groupe libéral, ne cessa d'appeler à une reprise des négociations tout en dénonçant la politique de tension entretenue par le gouvernement français et par ses collègues gaullistes50.
- 51 Le Petit Bleu, “Pas d'euphorie”, 25 décembre 1965.
78Son soutien au candidat centriste du MRP Jean Lecanuet, qui se veut “démocrate, social et européen”, au premier tour des élections présidentielle de 1965 tient autant au troisième qualificatif, qu'au refus de son vieil adversaire François Mitterrand, soutenu par toute la gauche, y compris le PCF. Commentant la réélection du général de Gaulle, René Pleven met en garde contre toute “euphorie”, se demandant notamment si la France allait appliquer les baisses de droits de douane prévues au 1er janvier 1966 dans la Communauté et au sein du GATT, l'organisation du commerce international en vertu des accords du Kennedy Round51.
- 52 Ibid., “Négocier”, 29 janvier 1966.
79Il attribue la reprise des négociations à Bruxelles, à la mi-janvier 1966, à la mise en ballottage du général. Malgré des exigences importantes, ”On peut toutefois imaginer que le gouvernement, ayant senti passer le 5 décembre le vent du boulet, ne prendra pas le risque de provoquer l'opinion, quelques mois avant les élections législatives, en cassant définitivement le Marché commun”52.
80Pour répondre aux exigences françaises qu'il juge souvent trop dures, le député de Dinan ne voit d'autre issue que : “négocier et encore négocier jusqu'à l'accord”, quitte à faire des concessions sur l'application des textes. Par le “compromis de Luxembourg”, signé le 30 janvier 1966, la France obtient satisfaction sur presque tous les dossiers, notamment avec le remplacement de Walter Hallstein à la présidence de la Commission et la reconnaissance d'un droit de veto des États sur les problèmes importants. À l'issue de cette crise dite “de la chaise vide”, le Marché commun peut reprendre sa construction, mais la conception du chef de l'État l'a emporté sur celle de son ancien ministre.
- 53 Ibid., “Étape”, 21 mai 1966.
81L'accord entériné par le Conseil des ministres des 10 et 11 mai 1966, fut immédiatement salué à Strasbourg, par René Pleven, au nom des libéraux53. Dans son discours prononcé en pleine crise de l'OTAN, il se réjouissait du retour “à la confiance réciproque” ainsi que de la mise en place du Marché commun des marchandises au 1er juillet 1968. Il rendait hommage au travail des membres de la Commission, en particulier au vice-président français Robert Marjolin qu'il connaissait bien depuis 1939. Mais il regrettait la faiblesse des attributions du parlement européen, appelant de ses vœux une véritable démocratisation de la construction européenne.
- 54 L'AP 1967, p. 44.
82Mais un an plus tard, peu après un deuxième refus du général de Gaulle de laisser entrer la Grande-Bretagne dans la CEE et après la guerre des Six jours au Proche-Orient, René Pleven regrettera à l'Assemblée française, encore une fois, l'inexistence d'une Europe diplomatique et politique face à un tel conflit, sa faiblesse faute de moyens, ainsi que l'isolement de la France54. De 1962 à 1969, les points de vue du député breton ne se rapprocheront pas de ceux du chef de l'État sur la construction européenne. L'affrontement se produira même sur l'évolution des relations atlantiques.
Le refus de la sortie de l'OTAN
- 55 Doise 0.) / Vaïsse (M.), op. cit., chap. xiv. 56 Le Petit Bleu, “Séparation”, 19 mars 1966. 57 L'A (...)
83Depuis 1959, afin d'assurer l'indépendance nationale du pays, le général de Gaulle n'a cessé de retirer des forces françaises (de la marine, puis de l'aviation) du commandement unifié de l'OTAN. En 1963, il a refusé la proposition de John Kennedy de mettre sur pied une force multilatérale (MLF), considérée comme un moyen de placer sous tutelle la force nucléaire française en construction. Et au début de son second septennat, la crise européenne à peine réglée, le chef de l'État annonce en février-mars 1966, le retrait de toutes les unités françaises hors du commandement intégré de l'OTAN. De plus, toutes les bases étrangères situées en France doivent être évacuées pour le 1er juillet 196755
- 56 Le petit Bleu, “Séparation”, 19 mars 1966. 57
84Le 19 mars 1966, René Pleven exposait son avis sur cette “Séparation”56“Cette séparation de corps et de biens entre la France et ses alliés” risquait selon lui “d'être convertie en divorce” en 1969, à expiration du traité de l'Atlantique Nord. Aussi bien, par sa décision unilatérale, “le gouvernement français jette par dessus bord l'organisation qui, réalisée au prix d'années de travail opiniâtre, faisait de l'Alliance atlantique quelque chose d'original et de nouveau par rapport aux coalitions du passé”. Celui qui avait longuement négocié avec les Américains pendant la Seconde Guerre mondiale, pour la France libre, puis à nouveau au début des années 1950, contestait l'efficacité militaire, pour raison de faiblesse nucléaire et politique, de cette décision présidentielle. Autre raison de son opposition, c'est qu'elle multiplie “les obstacles de la construction de l'Europe” tout en sapant la puissance de l'OTAN par rapport à l'URSS. De plus, en Europe comme aux États-Unis, la France gaspille “un vaste patrimoine de bonne volonté et d'amitié”. Plus atlantiste et européen que jamais, René Pleven ne voit que “le passif de la politique de démolition de l'OTAN”, évacuant totalement en pleine de guerre du Vietnam, un anti-américanisme récurrent en France combiné à un certain anti-impérialisme. Selon son analyse, “Le choix qui vient d'être fait entre l'esprit de solidarité, de communauté des peuples riverains de l'Atlantique et l'égoïsme sacré ne répond pas aux sentiments profonds de nombre de citoyens français”. Il fallait donc améliorer le statut de la France dans l'OTAN, sans l'abandonner.
- 57 L'AP 1966, p. 33-34.
85Fort de ses convictions, René Pleven prononça (après François Mitterrand et Raymond Mondon, RI), un réquisitoire contre la politique gouvernementale dans le débat de politique générale du 14 avril 196657. En termes cinglants, le vieux routier de l'Assemblée clame : “Une fois de plus, c'est le fait accompli : nous n'avons qu'à enregistrer et à nous tenir tranquilles ; quant à nos alliés, ils n'ont qu'à déménager”. Puis, il dénonce le refus de négocier : “Votre hâte prouve votre volonté de créer l'irréversible, c'est-à-dire, à notre sens l'irréparable” ; “Vous nous accusez de céder à la mystique de l'intégration, je crains que vous ne cédiez à la mystique de l'indépendance nationale absolue. Ni l'une ni l'autre ne résolvent les problèmes”.
86L'opposition déposa une motion de censure. Dans sa réponse, Georges Pompidou prit bien soin de répondre point par point à l'argumentaire de René
- 58 Ibid., p. 36.
- 59 Pascal (J.), op. cit., p. 633.
87Pleven craignant quelqu'écho dangereux dans l'opinion58. Souvent interrompu, il reprocha à l'orateur centriste d'avoir une vision dépassée de la stratégie nucléaire moderne, et de penser encore en termes de guerre de tranchées... Dans l'explication de vote de “la très grande majorité du Centre démocratique”, le député de Dinan pronostiqua pour le pouvoir “une victoire facile, mais des lendemains amers“. En effet, le 20 avril, cette motion de censure n'obtint que 137 voix (dont celles de 8 députés bretons)59. L'affrontement avec Georges Pompidou avait été sévère.
88De même, quelques mois plus tard, le discours prononcé par le général de Gaulle à Pnomh-Penh (1er septembre 1966) fit l'objet d'un commentaire critique du député de Dinan. Le président français rejetait la responsabilité de la guerre du Vietnam sur les Américains, leur suggérant de retirer leurs troupes et d'ouvrir des négociations.
- 60 Le Petit Bleu, “Après Pnomh-Penh”, 10 octobre 1966.
- 61 Le 23 juillet 1966, Louis Andlauer, le gendre de René Pleven a consacré un texte à la
89René Pleven ne partage pas cette analyse60. Rappelant la “subversion armée” du Nord-Vietnam au Sud du 17e parallèle, en violation des accords de Genève de 1954, il justifie de fait l'intervention américaine et réfute le manque “d'objectivité historique“ et l'irréalisme de la présentation présidentielle. À la “leçon” et au blâme que de Gaulle a voulu donner aux Américains, Pleven oppose le dialogue entre Alliés, observant que la France a perdu de son crédit à Washington. Il se demande quelle aurait été la réaction française si Kennedy était venu prononcer en 1960, à Tunis ou à Rabat, un discours identique. Sous-estimant le retentissement international, surtout dans le Tiers-Monde, René Pleven voit surtout dans le discours de Pnomh-Penh, une opération à usage intérieur pour neutraliser les communistes français et diviser l'opposition de gauche. Mais il s'interroge aussi sur les conséquences politiques dans le sud-est asiatique d'un retrait américain au moment où la Révolution culturelle démarre en Chine Populaire61.
- 62 Le Petit Bleu, “Deux jours... ”, 10 juin 1967
90Au début de la guerre des Six jours, en juin 1967, René Pleven regretta les voix discordantes des pays européens laissant agir les deux superpuissances et mit en garde contre une “neutralité“ française un peu trop favorable aux pays arabes62. Il refusait tout embargo sur les armes destinées à Israël tout en condamnant l'attitude égyptienne et en appelant de ses vœux une paix fondée sur la justice pour toutes les parties, y compris les réfugiés palestiniens arabes.
- 63 Pascal (J.), op. cit., p. 631-633.
91À travers ces exemples, on voit bien que le député de Dinan est très souvent fort critique à l'égard de la politique étrangère du général de Gaulle. Durant la législature 1962-1967, il se positionne en semi-opposant à la majorité gaulliste mais en préservant sa liberté de jugement et de vote. Sur 10 scrutins importants à l'Assemblée nationale, on relève une abstention et un refus de vote (statut des objecteurs de conscience), quatre votes avec la majorité (Cour de Sûreté de l'État en 1963, force de frappe) et quatre votes contre (droit de grève et statut de l'ORTF) dont deux motions de censure (politique agricole en octobre 1964 et retrait de l'OTAN)63.
- 64 Entretien téléphonique avec Mme Andlauer du 1er décembre 1992 et Le Petit Bleu, 23 juillet 1966.
92Au cours de l'été 1966, l'ancien président du Conseil eut la douleur de perdre son épouse, Anne Bompard, décédée à Dinan, le 17 juillet 1966. Madame Pleven qui avait contracté une grave maladie dans les années 1930, était de santé fragile64. Elle n'en était pas moins très active, secondant efficacement son mari dans ses multiples activités. Gérante responsable du Petit Bleu des Côtes- du-Nord, elle rédigeait en particulier la rubrique d'informations internationales La semaine dans le monde”. Celle qui avait animé le “Free French Relief Committee” aux États-Unis pendant la guerre, puis participé au conseil d'administration de l'Entraide Française après la Libération, fut inhumée dans la plus stricte intimité dans le caveau familial des Bompard à Aumont (Oise). Malgré ce deuil, René Pleven poursuivit son action politique.
Le parlementaire de Progrès et Démocratie Moderne
- 65 Le Petit Bleu, “Ressac”, 14 mars 1959.
93En mars 1959, René Pleven voulait proposer au peuple un autre choix qu'entre l'UNR et un Front populaire animé par le PC. Il expliquait alors que la France avait besoin “d'un grand parti démocrate, qui ne soit ni un parti confessionnel, ni un parti de classe, qui soit un parti de progrès et de justice sociale et un parti de gouvernement... ”65. Mais, face à la poussée gaulliste de 1962, les centristes avaient été bien incapables de s'unir et le député de Dinan, s'était rapproché du groupe parlementaire du MRP.
- 66 L'AP 1963, p. 80-81.
94À l'approche des élections présidentielles de 1965, la classe politique française se mit en ordre de bataille. Dès octobre 1963, un discours du général de Gaulle donna lieu à des spéculations alimentées par les déclarations de plusieurs leaders de l'UNR (sur la date, sur sa candidature). Au même moment L'Express publiait le portrait-robot du candidat idéal de la gauche, ce “M. X” qui n'était autre que Gaston Defferre. Ces déclarations jetèrent un certain trouble dans l'opposition. Dans son journal, René Pleven réclama une clarification afin d'éviter une inutile agitation deux ans avant l'échéance : “Si une élection présidentielle est proche, qu'on le sache le plus rapidement possible et qu'elle ait lieu le plus tôt possible. Sinon, qu'on épargne au pays douze mois d'agitation électorale superflue. L'année 1965 suffira”66.
- 67 L'AP 1964, p. 39-40.
95En cette année 1963, l'opposition centriste ébaucha un rapprochement au sein d'un “Comité de liaison des démocrates” qui échoua l'année suivante avec la candidature Defferre et l'échec du projet de “grande fédération” du centre et de la gauche non communiste. En avril 1964, le débat sur les institutions rebondit avec la proposition du sénateur Marcilhacy de créer un poste de vice- président de la République67. René Pleven prit position contre une telle solution : “car elle force la main des électeurs, qui peuvent être pour le candidat à la présidence et contre son successeur éventuel”. Curieux argument pour cet ami de la démocratie américaine, à moins qu'il n'avait quelque nom en tête ? Il suggérait de réunir une commission sur ce problème vite enterré.
96L'agitation présidentielle n'épargna pas les Côtes-du-Nord, avec l'annonce le 17 avril 1964 de la candidature à l'Élysée du sénateur (gauche démocratique) André Cornu, appartenant à l'Union démocratique du département présidée par le député de Dinan. Mais le sénateur n'insista guère.
97Les choses sérieuses ne se précisèrent qu'après l'été 1965. Le 9 septembre, François Mitterrand annonça sa candidature et obtint le soutien de la SFIO (qui venait de fonder la Fédération de la gauche démocrate et socialiste, FGDS), puis du PCF. Il était hors de question pour René Pleven de soutenir ce “candidat unique de la gauche” qu'il ne connaissait que trop bien, pas plus que le général de Gaulle (candidat le 4 novembre seulement), en pleine crise européenne. Le 19 octobre, le président du MRP, Jean Lecanuet entra à son tour en lice. Logiquement René Pleven apporta son appui à ce candidat du centre droit, aux convictions européennes et atlantistes affirmées, qui se voulait le “Kennedy français” contre les gaullistes et la gauche marxiste.
- 68 Nicolas (M.) / Pihan (J.), op. cit., p. 54-65.
98Outre la belle percée de François Mitterrand au premier tour (32,2% des suffrages exprimés), le résultat de Jean Lecanuet (15,8%) mit contre toute attente le général de Gaulle en ballottage (43,7%). En Bretagne, terre centriste aux élections législatives, Jean Lecanuet a frôlé les 20% (17,1% dans les Côtes- du-Nord) ; François Mitterrand a obtenu 26,5% et de Gaulle 48,5%. Avec 34,9% des voix pour Mitterrand, les Côtes-du-Nord ont comme d'habitude voté beaucoup plus à gauche (à 45,2% au second tour contre 37,4% de moyenne régionale)68. Lors de ce second tour, c'est le report d'une partie de l'électorat centriste d'opposition qui a permis la réélection du président sortant bien que Jean Lecanuet n'ait pas donné de consigne de vote claire. Néanmoins, contre Mitterrand, René Pleven s'est prononcé pour son ancien chef de Londres. Mais ce n'est pas un ralliement au gaullisme pour autant.
- 69 Le Petit Bleu, “Pas d'euphorie”, 25 décembre 1965.
99Ce résultat (55/45), reflète selon René Pleven la division et le clivage du pays, conséquence de l'attitude d'un Pouvoir qui “en était venu presque systématique à s'isoler, à écarter tout contact avec la minorité parlementaire, à ignorer les avis et les critiques même les mieux fondés”69. Les élections ayant fait connaître “l'irritation et les réserves du pays”, au président réélu de tenir compte de “l'avertissement” sur l'Europe, les relations franco-américaines ou l'utilisation abusive de l'ORTF. Les décisions sur l'OTAN en 1966 ne rapprochèrent évidemment pas le député de Dinan de la majorité.
- 70 Nicolas (M.) / Pihan (J.), op. cit., p. 66-70.
100Aussi pour la première fois, René Pleven trouva contre lui un candidat gaulliste aux élections législatives de mars 1967. Le 5 mars, l'UD Ve E. Playoust obtenait 21,9% des voix ; le candidat communiste 23,7% pour la gauche. Néanmoins, René Pleven était réélu dès le premier tour avec 54,4%, perdant plus de 20% par rapport à 196270. En Bretagne, avec un tiers des suffrages, les gaullistes (13 députés plus une apparentée) dépassaient légèrement les centristes en voix (14 députés). La gauche non communiste en progrès obtenait cinq sièges.
- 71 Le Petit Bleu, 8 avril 1967.
101Les Côtes-du-Nord connaissent un certain bouleversement. À Loudéac, l'ancienne militante MRP Marie-Madeleine Dienesch a été réélue en s'apparentant à la majorité gaulliste, ce qui lui vaudra un an plus tard d'entrer au gouvernement comme secrétaire d'État. À Saint-Brieuc, Yves Le Foll (PSU), bat de justesse le député gaulliste sortant Robert Richet avec 35 voix d'avance. L'élection fut annulée mais Yves le Foll fut réélu dès le premier tour en septembre. Quant aux centristes, ils conservaient trois sièges et s'inscrivaient au nouveau groupe parlementaire centriste Progrès et Démocratie Moderne (PDM, 8 députés bretons) présidé par Jacques Duhamel71.
102Ce nouveau groupe de 41 membres occupait une position charnière par rapport à une majorité réduite. Mais dès le 3 avril, l'hétérogénéité politique de ce regroupement s'est manifestée lors de l'élection de Jacques Chaban-Delmas à
- 72 Viansson-Ponté, op. cit., p. 499-500.
103la présidence de l'Assemblée. Qu'on en juge : si cinq PDM ont voté symboliquement pour René Pleven au perchoir, quatre ont voté blanc, 16 pour Gaston Defferre et 18 pour Chaban-Delmas72. Ce choix de la moitié du groupe laisse donc la présidence aux gaullistes. Mais ce n'est pas encore le ralliement.
- 73 L'AP 1967, p. 33.
104On le voit bien après la conférence de presse du général de Gaulle du 16 mai 1967, qui réclame le vote de “pouvoirs spéciaux” pour la politique économique et sociale et rejette une nouvelle fois la demande britannique d'entrée dans le Marché commun. Lors de la discussion de la motion de censure déposée par la gauche contre les “pouvoirs spéciaux”, René Pleven en termes modérés réitère la position de nombreux centristes pro-européens. “Il existe au parlement des hommes qui ne sont pas des inconditionnels de l'opposition. Mais il est singulier que le président de la République ait choisi ce moment pour évoquer leur concours possible. Au lendemain des élections législatives, un dialogue aurait pu être ouvert alors que la demande de pouvoirs spéciaux a fermé brutalement toute possibilité de discussion constructive”73. Refus définitif ou glissement à terme vers la majorité ?
- 74 Pascal (J.), op. cit., p. 644-645.
105Pour l'heure, 36 des 38 inscrits PDM votent avec la gauche les motions de censure non adoptées des 20 mai, 9 juin et 16 juin 1967. De même, le 10 novembre 1967, en rejetant la loi de Finances et le 25 avril 1968 en votant la motion de censure contre le manque d'objectivité de l'information à l'ORTF, le député de Dinan paraît camper désormais sur les terres de l'opposition au régime gaullien74. La crise de Mai 1968 va faire bouger les choses.
Mai 1968 : premiers rapprochements avec la majorité
106Lorsque le mouvement étudiant qui va embraser Paris puis la France démarre dans les premiers jours du mois de mai 1968, la Bretagne connaît d'autres signes de tension politique et sociale. D'une part, le mouvement breton s'est réveillé depuis 1964, d'autre part tous les syndicats se sont mis d'accord pour appeler à la grève générale et à la manifestation du 8 mai 1968.
- 75 Ouest-France, 6 mai 1968.
107À côté de l'Union démocratique bretonne (UDB), scission de gauche du mouvement breton, est apparu un Front de libération de la Bretagne (FLB) qui recourt à des attentats à la bombe. Après une première tentative contre la perception de Saint-Brieuc en juin 1966, le FLB a commis deux attentats dans cette ville au début de 1968 (le premier contre la préfecture le 12 janvier, le second contre les garages d'une caserne de CRS le 28 avril). Présidant le 4 mai.un meeting du PDM à Saint-Brieuc, en compagnie de Jacques Duhamel, René Pleven affirme sa réprobation contre de telles actions mais met en garde contre toute confusion visant à assimiler les jeunes militants de la cause bretonne aux “séparatistes” réfugiés en Irlande depuis plus de 20 ans75 Présentant le centre comme le recours de la vie politique française, les orateurs expliquent que le PDM “s'oppose à toute tentative de division du pays en deux blocs ne rêvant que de se matraquer”. Pourtant, à Paris, la matraque contre les étudiants contestataires n'est brandie que par un seul bloc !
- 76 Ibid., 7-15 mai 1968.
108Et le 8 mai, à l'appel des syndicats ouvriers, paysans et enseignants, plus de 100 000 personnes manifestent dans les villes de Bretagne et des Pays de Loire pour défendre l'emploi, les salaires et la sécurité sociale, la survie et le développement de l'Ouest. À Saint-Brieuc, 5 à 6 000 manifestants défilent dans le calme. Députés et membres du clergé ont pris la tête du cortège aux côtés des syndicalistes76. Les Bretons ont d'autres revendications que la jeunesse étudiante mais les mouvements vont se rejoindre à partir du 13-15 mai.
- 77 L'AP- 1968, p. 246-247
109Le 18 mai, René Pleven publie son éditorial intitulé : “Dix ans après”. Évoquant les “amers anniversaires” du coup d'Alger, il constate que “la France s'est soudain retrouvée placée, à Paris cette fois, devant une situation insurrectionnelle et presque révolutionnaire”. Dix ans après son retour au pouvoir, “l'altière conception de l'État qui ne transige pas” du général de Gaulle est battue en brèche ; “le gouvernement et sans doute le régime lui-même sont gravement ébranlés” ; “l'inquiétude est aussi dans le pays et elle est justifiée”. Mais le député de Dinan qui observe un certain recul du pouvoir, n'est nullement favorable aux manifestants : il s'interroge sur le rapport de force entre “les partisans des réformes sérieuses et indispensables” et les jeunes attirés par une agitation comparable à celle de la révolution culturelle chinoise. Il dénonce “l'illégalité” des occupations de facultés mais en appelle au sang-froid. Critiquant un pouvoir coupé de la jeunesse et entouré de thuriféraires, René Pleven propose de discuter d'une réforme en profondeur de l'université dans “quelque chose comme les accords de Matignon de 1936”. Ces critiques, il les approfondit sur la politique européenne de la France, les 14 et 15 mai, devant le parlement européen77.
110Ce faisant, d'universitaire, la crise en s'étendant devient sociale et politique. Elle n'épargne pas une Bretagne en effervescence. Le pays est paralysé par près de 10 millions de grévistes lorsque la gauche dépose une motion de censure au
- 78 Ouest-France, 24 mai 1968
- 79 Témoignage de Mme Andlauer, 1er décembre 1992.
111Parlement “sur les responsabilités du gouvernement dans le déclenchement des troubles”. La survie du gouvernement Pompidou dépend en grande partie de l'attitude du PDM. René Pleven se trouve confronté à un choix décisif. Le 22 mai, 34 des 42 députés PDM dont sept bretons (plus les 5 députés de gauche) votent contre le gouvernement. Le huitième, René Pleven, pour la première fois depuis un an, n'a pas voté pour la chute du gouvernement Pompidou (233 pour). Il contribue ainsi à sauver le pouvoir en place qu'il critiquait quelques jours plus tôt. Dans son explication de vote, Jacques Duhamel plaide pour un renouveau gouvernemental quand René Pleven, lui, veut donner “une dernière chance” au gouvernement de négocier, “pour que la France cesse d'être paralysée, pour que l'égalité démocratique ne soit plus bafouée”78. Le député de Dinan vient de faire un pas important en direction de Georges Pompidou, dont la solidité dans la crise l'impressionne au moment où le général de Gaulle paraît lâcher prise79. Ce vote lui faudra de ne pas avoir à affronter de candidat gaulliste aux élections législatives de la fin juin.
- 80 Le Petit Bleu, 1er juin 1968
112Pourtant, dans une déclaration à l'AFP après le discours télévisé du général de Gaulle, le 24 mai, il se dit favorable à des changements d'hommes et craint que l'annonce du référendum ne suscite de “profonds motifs d'agitation et d'incertitude”. Il craint aussi pour le chef de l'État, une cruelle déception au cas où ce dernier donnerait l'impression de vouloir obtenir ainsi les pleins pouvoirs80.
113Mais, dans un “Premier bilan” dressé le 1er juin 1968, il se réjouit de la conclusion des accords de Grenelle sous la houlette de Georges Pompidou : “En deux semaines la violence de l'irruption a fait avancer plus qu'en dix années la solution toujours retardée de certains problèmes” (réforme de l'université, décentralisation du pouvoir, augmentation du SMIG...). Faute d'avoir voulu négocier en temps utile, le pouvoir a dû céder ces mesures de justice “devant un raz-de- marée de revendications, appuyées sur une grève générale et des occupations d'usines d'une ampleur sans précédent”. Mais désormais pour absorber ces mesures qui vont déséquilibrer l'économie française et alimenter l'inflation, il faut reprendre au plus vite le travail.
114Partisan des réformes, le libéral Pleven l'est encore plus du retour à l'ordre, craignant que “les minorités agissantes” de la jeunesse étudiante ne conduisent “directement au fascisme”…
- 81 Nicolas (M.) / Pihan (J)> op. cit., p. 80-91.
115La “disparition” du général parti à Baden-Baden, son retour et sa reprise en main de la situation, les 29 et 30 mai, rassurèrent l'ancien président du Conseil qui ne fut pas surpris de la dissolution de l'Assemblée nationale et du remaniement du gouvernement Pompidou. Dès le 22 mai, il envisageait lui-même cette solution comme ultime arbitrage au cas où la crise ne pourrait pas être surmontée. Et le 23 juin, René Pleven fut réélu dès le 1er tour avec 69,9% des suffrages. Il fut l'un des rares PDM à ne pas avoir d'adversaire gaulliste contre lui. En Bretagne, l'Union de Défense de la République, l'UDR gaulliste obtenait 20 sièges (avec ses apparentés), les républicains indépendants 7 dont celui de Raymond Marcellin, le nouveau ministre de l'Intérieur. La FGDS ne conservait qu'un seul siège à Saint-Nazaire et le PDM ne résistait bien que dans les Côtes-du-Nord où il gardait ses trois députés sortants81.
- 82 Phlipponneau (M.), op. cit., p. 96.
- 83 Martray (J-), op. cit., p. 198-204.
116Profitant de la mobilisation populaire, le CELIB s'est efforcé de reprendre l'initiative. Le 11 mai, le secrétaire général a dressé un véritable constat de faillite de la politique gouvernementale en Bretagne affirmant que des acquis du ive Plan ont été remis en cause pendant le ve 82. Un programme d'urgence en six points est adopté et une audience auprès du Premier ministre sollicitée. Raymond Marcellin, encore ministre délégué chargé du Plan et de l'aménagement du territoire, servit d'ihtermédiaire. Et le 31 mai 1968, une heure après l'annonce de la formation de son nouveau gouvernement, Georges Pompidou recevait la délégation conduite par René Pleven. À l'approche d'élections décisives pour la majorité, le Premier ministre acceptait ce que le chef de l'État avait refusé depuis 1962, une sorte de loi-programme baptisée “programme pluriannuel d'investissements publics pour la Bretagne”. Ce Plan breton fut confirmé au cours de l'automne par le nouveau premier ministre Couve de Mur- ville et son ministre du Plan Olivier Guichard83.
- 84 Ibid, p. 200-201.
117La réception de la délégation conduite par René Pleven, en pleine crise politique, dépassait en fait le simple problème breton. Joseph Martray qui a assisté à cet entretien en témoigne : “Par ailleurs, on sentait bien qu'une autre donnée, encore impondérable, risquait d'être déterminante : le désir de Georges Pompidou — et de Marie-France Garaud, chargée de mission curieusement présente dans la préparation de l'entretien — de faire un pas vers le président Pleven et les élus centristes, sans doute en fonction d'évolutions que la situation politique pourrait rapidement imposer... ”84. Pour ce proche de René Pleven, l'audience signifie clairement qu'un nouveau pas est franchi dans le rapprochement entre les deux hommes. Le raz-de-marée gaulliste aux élections législatives et le changement de premier ministre en empêchèrent peut-être une concrétisation plus rapide. S'il avait su que depuis plusieurs mois déjà, Marie- France Garaud était chargée des manœuvres d'approche de certains députés PDM, Joseph Martray aurait été moins surpris de sa présence.
- 85 Roussel (Éric), Georges Pompidou, Marabout 1985, p. 231 d'après le témoignage de René Pleven.
118Plus tard, René Pleven reconnaîtra ce rôle de médiateur de Marie-France Garaud, à la fin 1967 et en 1968. “Nul plus que Mme Garaud n'a contribué davantage à me rapprocher de Georges Pompidou. Elle faisait remarquablement son travail. Grâce à elle le premier ministre savait que si nous avions des différends — nous nous sommes durement heurtés, par exemple, à propos du retrait de la France de l'OTAN — j'étais un opposant avec lequel il était possible de converser”85.
- 86 Le Monde, 13 juin 1969.
119Un an plus tard, participant à un meeting aux côtés du candidat à l'élection présidentielle Pompidou à Guingamp, le 11 juin 1969, René Pleven évoquait les engagements pris par un Premier ministre très fatigué au lendemain de Grenelle, “engagements à partir desquels tout pour la Bretagne a été changé”86. La perspective d'un maroquin et la simplification des campagnes électorales, poussaient l'homme politique breton à enjoliver la réalité pour mieux justifier sans doute son ralliement.
120Assurément, la crise de Mai 1968 avait rapproché les deux hommes. Au contraire, la décision du général de Gaulle de procéder à une réforme régionale par référendum allait un nouvelle fois opposer les deux compagnons de la guerre et de la Libération.
Le référendum du 27 mai 1969 : un deuxième non au général de Gaulle
- 87 Pascal (j.), op. cit., p. 656-657
121Durant le gouvernement Couve de Murville, le PDM René Pleven poursuivit son jeu de bascule parlementaire, votant certaines réformes importantes (loi d'orientation de l'enseignement supérieur, loi sur l'exercice du droit syndical dans l'entreprise), refusant de ratifier les ordonnances de 1967 sur la sécurité sociale, rejetant le projet de loi de Finances en octobre pour finalement s'abstenir en décembre 196887..
- 88 L'AP 1968, p. 75.
- 89 Le Petit Bleu, supplément du 19 octobre 1968.
122Mais la réforme régionale ainsi que la réforme du Sénat, préparées par Jean- Marcel Jeanneney, l'obligent à prendre plus nettement position. Dès octobre 1968, devant le congrès de la Fédération Régionaliste Française, le président du CELIB et de la CODER de Bretagne s'élève contre le recours au référendum pour faire adopter ces deux réformes88. Devant son Conseil général, le 14 octobre 1968, il plaide pour une démarche parlementaire et une véritable décentralisation, concluant : “S'il en est ainsi, je suis persuadé que la décentralisation est devenue dans notre pays une nécessité nationale et qu'elle est l'un des moyens les plus efficaces de préserver en face d'une technocratie sans visage les règles de la démocratie et les droits des citoyens”89.
- 90 Martray (J.), op. cit., p. 205-206.
- 91 L'AP 1969, p. 8-9.
123Mais le général de Gaulle persiste et signe. Avant d'aller prononcer son grand discours sur la régionalisation à Quimper, le 2 février 1969, il présida une réunion de la CODER. Il y rendit hommage au président Pleven et à l'action du CELIB mais sans faire changer d'avis le député de Dinan90. Ce voyage en Bretagne avait été préparé par un vaste coup de filet policier très médiatisé, décidé par Raymond Marcellin contre le FLB (une cinquantaine d'arrestations). Tout en désapprouvant les méthodes du FLB, René Pleven a cependant fait savoir que “l'amertume suscitée par un dépérissement qui paraissait sans issue et l'inquiétude de l'avenir ont pu être exploitées pour entraîner sur les sentiers de l'aventure des hommes plus passionnés qu'expérimentés”91 Contrairement à son futur collègue Marcellin, le député de Dinan n'est pas partisan d'une réponse répressive à la renaissance de l'Emsav.
- 92 Le Petit Bleu, 19 et 26 avril 1969
124Non convaincu par le discours de Quimper, René Pleven explique dans Le Petit Bleu du 12 avril 1969, les décisions des nombreux organismes et collectivités territoriales bretonnes qui se sont prononcées pour une réforme par la voie législative normale. Et pendant la campagne officielle d'avril 1969, il publie deux éditoriaux : “Motif d'un non ! ” et “Savoir dire non ! ”92. Dans le premier texte, plusieurs arguments techniques et financiers sont avancés pour refuser une régionalisation trop partielle (projet flou quant aux compétences et aux financements). Mais des aspects politiques comme le refus d'élire les conseillers régionaux au suffrage universel motivent aussi le non. Comme en 1946, René Pleven refuse la réduction des pouvoirs du Sénat. Selon lui, cette réforme constitutionnelle remettrait en cause l'équilibre des pouvoirs réalisé en 1958 et ferait glisser le pays vers un régime présidentiel. Donc, “Ce n'est pas un non à la région. C'est un non aux modalités d'une réforme qui a besoin d'être réétudiée par les voies législatives normales...
125C'est aussi un non de protestation contre une utilisation du référendum qui n'est pas loyale parce qu'il est inadmissible de demander une seule réponse à des questions aussi différentes que celles mélangées dans le projet de loi”.
- 93 L'histoire, La France de 1939 à nos jours, Seuil, p. 325.
126La semaine suivante, le fait que le général de Gaulle ait mis son mandat dans la balance confirma l'ancien Français libre dans son vote négatif. Car pour lui, le rejet des textes ne peut signifier un désaveu du chef de l'Etat. Et il concluait par : “Il est des circonstances de la vie des peuples comme des individus où il faut savoir dire ”non“, même à quelqu'un qu'on aime”. Encore une fois, les convictions de l'homme politique l'emportaient sur les sentiments du fidèle serviteur de Londres, d'Alger et de Paris. Par 55 voix contre 2, le bureau élargi de l'Union démocratique des Côtes-du-Nord avait adopté une position identique. Selon le politologue François Goguel, cette prise de position de René Pleven fut plus pénible au chef de l'État que celle de Valéry Giscard d'Estaing par exemple93.
- 94 Nicolas (M.) / Pihan (J.), op. cit., p. 94-95.
127Le 27 avril 1969, le non l'emportait avec 53,18% des suffrages exprimés ; le lendemain le général de Gaulle démissionnait de ses fonctions et s'enfermait à Colombey dans le silence. Avec 55,8% de oui, les Bretons avaient préféré faire confiance au président de la République plutôt qu'au président du CELIB et à leurs élus centristes94. Toutefois, le non l'emportait de justesse dans les Côtes- du-Nord (50,7%), même si la circonscription de Dinan n'avait pas suivi son député (52,2% de oui).
- 95 Le Petit Bleu, “Deuil national”, 14 novembre 1970.
128Après des années de tension et de semi-opposition à la politique gaullienne à partir de 1962, les relations entre René Pleven et Charles de Gaulle se terminaient par un divorce au printemps 1969. Il est vrai que pendant la République gaullienne, les chemins des deux hommes avaient plus souvent divergé qu'ils ne s'étaient croisés. Finalement l'hommage rendu lors de la disparition du général de Gaulle en novembre 1970 par son ancien ministre, nous paraît assez terne. Mais les mots avaient sans doute du mal à traduire “la peine ressentie par tous les anciens compagnons”95. Avec le départ de l'Élysée du chef de l'État, de nouvelles perspectives politiques s'offraient au centriste breton. À condition qu'il sache faire le bon choix.
Notes
1 Martray (Joseph), L'épopée du CELIB, op. cit., p. 42.
2 L'expression est du géographe Miche ! Phlipponneau qui fut longtemps un des experts socialisants du CELIB. Phlipponneau (Michel), Géopolitique de la Bretagne, Éd. Ouest-France, 1986, p. 55-59.
3 Martray (J.), op. cit., p. 69 et 57-68.
4 Pleven (René), Avenir de la Bretagne, Calmann-Lévy, p. 205-208 et 213-217.
5 Phlipponneau (M.), op. cit., p. 59.
6 Pleven (R.), op. cit., p. 15-16.
7 Ouest-France, 8 novembre 1982. Cité par J. Martray, op. cit., p. 94.
8 Martray (J.). op. cit., p. 162-164.
9 Nicolas (Michel), Histoire du mouvement breton, Éd. Syros, 1982, p. 147-153.
10 La Vie Bretonne, n° 34, juillet 1959. Publication du CELIB.
11 Voir le récit de J. Martray, p. 112-116.
12 Ibid., p. 121.
13 Pleven (R.), op. cit., p. 255-256.
14 Phlipponneau (M.), op. cit., p. 68.
15 Elegoet (Fanch), Révoltes paysannes en Bretagne, Éd. du Léon, chap. vi, vii et viii
16 Pleven (R.), op. cit., p. 37.
17 Le Petit Bleu, “Fièvre”, 17 juin 1961.
18 Nicolas (M.), op. cit., p. 153-158.
19 Ibid., p. 155-158 ; Martray (J.), op. cit., p. 137-159 ; Phlipponneau (M.), Debout Bretagne, 1970, p. 50-54.
20 Chronologie détaillée des faits dans Martray (J), op cit, p 147-155
21 Ibid., p. 157-158.
22 Nicolas (M.), op. cit., p. 157-158.
23 Martray (J.). op. cit., p. 162-164
24 Ibid., p. 168-170.
25 La Vie Bretonne, n° 75, février 1964.
26 Phlipponneau (M.), Debout Bretagne, op. cit., p. 67-80.
27 Ibid., p. 77.
28 Martray (J.). op. cit., p. 162-164.
29 Soubigou (Alain), maîtrise citée, p. 26-27.
30 AD Côtes-d'Armor, PV des délibérations du Conseil général, 18 mars 1964.
31 Martray (J.), op. cit., p. 184 et La Vie Bretonne, n° 83, janvier 1965.
32 Ibid., Passage cité par Michel Phlipponneau, op.cit. mais curieusement oublié par Joseph Martray, op. cit., p. 184.
33 Phlipponneau (M.), op. cit., p. 83-84
34 L'Année Politique 1965, p. 153.
35 Ibid., p. 72 et 150.
36 L'AP 1963, p. 87-88.
37 Phlipponneau (M.), op. cit., p. 83.
38 Bretagne Magazine, n° 11, octobre 1966, p. 4-5.
39 Le Petit Bleu, 13 et 27 janvier 1972.
40 Berstein (S.), op. cit., p. 245-255.
41 Le Petit Bleu, 5 août 1961.
42 Viansson-Ponté (P.), op. cit., p. 3 3 7 - 3 4 1.
43 L'AP 1963, p. 7.
44 Ibid., p. 8-9.
45 Ibid., p. 244
46 Pascal (J-), op. cit., p. 631-632.
47 Ibid, p. 632 et l'AP 1963, p. 63-65.
48 Le Petit Bleu, 28 décembre 1963.
49 Ibid., “Quelles sont les arrières-pensées ? ”, 10 juillet 1965.
50 L'AP 1965, p. 255 et 307.
51 Le Petit Bleu, “Pas d'euphorie”, 25 décembre 1965.
52 Ibid., “Négocier”, 29 janvier 1966.
53 Ibid., “Étape”, 21 mai 1966.
54 L'AP 1967, p. 44.
55 Doise 0.) / Vaïsse (M.), op. cit., chap. xiv. 56 Le Petit Bleu, “Séparation”, 19 mars 1966. 57 L'AP 1966, p. 33-34.
56 Le petit Bleu, “Séparation”, 19 mars 1966. 57
57 L'AP 1966, p. 33-34.
58 Ibid., p. 36.
59 Pascal (J.), op. cit., p. 633.
60 Le Petit Bleu, “Après Pnomh-Penh”, 10 octobre 1966.
61 Le 23 juillet 1966, Louis Andlauer, le gendre de René Pleven a consacré un texte à la
“Mutation chinoise”. Il a écrit plusieurs éditoriaux en 1966.
62 Le Petit Bleu, “Deux jours... ”, 10 juin 1967
63 Pascal (J.), op. cit., p. 631-633.
64 Entretien téléphonique avec Mme Andlauer du 1er décembre 1992 et Le Petit Bleu, 23 juillet 1966.
65 Le Petit Bleu, “Ressac”, 14 mars 1959.
66 L'AP 1963, p. 80-81.
67 L'AP 1964, p. 39-40.
68 Nicolas (M.) / Pihan (J.), op. cit., p. 54-65.
69 Le Petit Bleu, “Pas d'euphorie”, 25 décembre 1965.
70 Nicolas (M.) / Pihan (J.), op. cit., p. 66-70.
71 Le Petit Bleu, 8 avril 1967.
72 Viansson-Ponté, op. cit., p. 499-500.
73 L'AP 1967, p. 33.
74 Pascal (J.), op. cit., p. 644-645.
75 Ouest-France, 6 mai 1968.
76 Ibid., 7-15 mai 1968.
77 L'AP- 1968, p. 246-247
78 Ouest-France, 24 mai 1968
79 Témoignage de Mme Andlauer, 1er décembre 1992.
80 Le Petit Bleu, 1er juin 1968
81 Nicolas (M.) / Pihan (J)> op. cit., p. 80-91.
82 Phlipponneau (M.), op. cit., p. 96.
83 Martray (J-), op. cit., p. 198-204.
84 Ibid, p. 200-201.
85 Roussel (Éric), Georges Pompidou, Marabout 1985, p. 231 d'après le témoignage de René Pleven.
86 Le Monde, 13 juin 1969.
87 Pascal (j.), op. cit., p. 656-657
88 L'AP 1968, p. 75.
89 Le Petit Bleu, supplément du 19 octobre 1968.
90 Martray (J.), op. cit., p. 205-206.
91 L'AP 1969, p. 8-9.
92 Le Petit Bleu, 19 et 26 avril 1969
93 L'histoire, La France de 1939 à nos jours, Seuil, p. 325.
94 Nicolas (M.) / Pihan (J.), op. cit., p. 94-95.
95 Le Petit Bleu, “Deuil national”, 14 novembre 1970.
© Presses universitaires de Rennes, 1994