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René Pleven

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Christian Bougeard

Troisième partie. Un des ténors de la Quatrième République

Chapitre IX. Vers les sommets du pouvoir (1949-1951)

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Géographique :

France

Texte intégral

1Durant l'année 1949, René Pleven reçu à trois reprises par le président de la République Vincent Auriol, se rapprocha par étape de la majorité de troisième force. En effet, le chef de l'État souhaitait élargir la majorité gouvernementale d'Henri Queuille qui s'effritait vers les “les radicaux, les modérés, les indépendants“ dès lors qu'ils prenaient leurs distances avec le RPR À l'automne 1949, le député de Dinan revenait au gouvernement, puis accédait lui-même à la présidence du Conseil au cours de l'été 1950 en pleine crise internationale.

Le ministère de la Défense nationale dans le gouvernement Bidault (27 octobre 1949-24 juin 1950)

  • 1 Auriol (Vincent), Journal du septennat, 1949, t. iii, A. Colin, 1977, p. 89-90
  • 2 Ibid., p. 285 et 289

2Le 4 février 1949, Vincent Auriol, trouva René Pleven (réélu la veille vice- président du RGR) “dans un excellent état d'esprit”. Il lui conseilla même de “nouer des relations d'amitié“ avec les deux leaders de la SFIO, Guy Mollet et Daniel Mayer avec lesquels le député breton était en froid1 En outre, quelques jours plus tard, le président de la République reprit en Conseil des ministres la proposition de son visiteur de signer un traité avec Bao Daï reconnaissant un “État du Vietnam” réunifié dépassant le seul cadre de la Cochinchine. Si bien que le 2 juillet 1949, la France accordait à l'ancien empereur qu'elle avait remis en selle, ce que le gouvernement Bidault avait refusé à Ho Chi Minh en 1946. Puis les 8 et 12 juillet, René Pleven “pessimiste” fit part au président de la République de ses inquiétudes : difficultés économiques et sociales du pays, “mauvaise situation dans l'Empire”, usure du personnel gouvernemental2. Surtout, il fit savoir que sur un programme social, fiscal et politique clair, un deuxième souffle était possible. “On trouvera alors des hommes de bonne volonté au-dessus des partis et de toute ambition”. C'était une offre de service on ne peut plus claire !

3Or durant l'été, les divergences s'aiguisèrent entre les socialistes et le radical Henri Queuille soutenu par l'aile modérée de la majorité sur la politique économique et sociale (“prime de vacances” accordée aux employés de la Sécurité sociale par le ministre socialiste Daniel Mayer, relèvement des bas salaires...), si bien qu'Henri Queuille, au pouvoir depuis treize mois, démissionna le 6 octobre 1949 à cause des exigences socialistes. La crise gouvernementale dura une vingtaine de jours.

  • 3 Ibid.

4Dès les premières consultations présidentielles, les leaders de l'UDSR furent reçus à l'Elysée et le 7, une solution Pleven était envisagée dans la discussion avec les socialistes. Mais c'était encore “difficile” car prématuré, les socialistes ne lui pardonnant pas ses démarches en direction du RPF3. Cependant, dans les jours suivants, René Pleven soutint sans arrière-pensée la tentative du socialiste Jules Moch, investi à une voix de majorité, mais qui dut renoncer au moment de former le gouvernement. L'UDSR, réduite à 13 députés, se voyait pourtant attribuer deux portefeuilles dont celui de la Défense nationale. Le radical René Mayer, un ami de René Pleven, fut investi puis renonça à son tour, renforçant la conviction des UDSR favorables à la dissolution de l'Assemblée. Finalement, Georges Bidault, le président du MRP fut investi par 367 voix le 27 octobre avec seulement l'opposition du PCF et l'abstention de la droite.

5Le nouveau président du Conseil gouverna le pays jusqu'au 24 juin 1950, date de son renversement par la SFIO sur la question du reclassement des fonctionnaires. Si l'équilibre politique restait le même, l'équipe gouvernementale voyait l'arrivée de plusieurs personnalités. La principale nouveauté résidait dans le retour de René Pleven, écarté du pouvoir depuis janvier 1946, au ministère exposé de la Défense nationale. Assisté de trois secrétaires d'État, il prenait la succession du socialiste Ramadier qui était devenu avec Daniel Mayer “la bête noire” des modérés et du RGR. Ce fut sans doute avec plaisir que le 3 novembre suivant René Pleven se retrouva assis autour de la table du Conseil des ministres.

6L'installation au ministère de la rue Saint-Dominique occupé à la Libération par le général de Gaulle, n'était pas pour déplaire à celui dont le père avait été directeur des études de Saint-Cyr. Le parlementaire breton connaissait d'autant mieux la “grande muette” que ses deux gendres avaient une formation militaire et que l'un était officier d'activé. En outre, il bénéficia durant son premier passage dans ce ministère qu'il retrouva de 1952 à 1954, de l'appui du général Juin qui avait bien connu son père. Juin accompagnera Pleven aux États-Unis comme expert à la fin de janvier 1951 lors de la rencontre du président du Conseil avec le président Truman.

  • 4 Ruscio (Alain), “L'opinion française et la guerre d'Indochine (1945-1954)”, Vingtième Siècle, n° 2 (...)
  • 5 Dalloz (Jacques), La guerre d'Indochine 1945-1954, Le Seuil, 1987, chap. 5.

7Mais en pleine guerre d'Indochine, accepter la Défense n'était pas de tout repos même si ce fut une bonne préparation à la prise de décisions au sommet du pouvoir durant la dramatique année 1950. Certes, l'opinion publique française était plutôt indifférente à cette guerre coloniale lointaine, voire oubliée, comme le montraient les sondages d'opinion : en décembre 1949, 52 % des Français se déclaraient indifférents à ce qui se passait Outre-Mer et en octobre 1950 un Français sur cinq était “sans opinion” sur le conflit indo- chinois4. Pourtant, au niveau international, le conflit était en train de changer de nature : avec la victoire de la Révolution chinoise et l'arrivée des troupes de Mao Ze Dong sur la frontière du Tonkin, la “sale guerre coloniale” selon le PCF, se transformait en un nouveau front de la guerre froide5

8D'une part, la stratégie des militaires français sur le terrain était hésitante face au Viet-Minh tenant les campagnes de l'arrière-pays et la frontière avec la Chine qui allait lui servir de base arrière. De l'autre, un grave scandale politique sur la guerre d'Indochine éclata publiquement deux mois après sa prise de fonction : l'affaire “des généraux”.

9Cette affaire, étouffée par le gouvernement précédent, fut révélée par la presse en décembre et elle allait enflammer les passions. Les faits sont bien connus : le général Revers, chef d'État-Major de l'Armée de Terre avait rédigé un important rapport confidentiel sur la situation au Vietnam à la suite d'une tournée d'inspection en mai 1949. Ce texte montrait des militaires démoralisés, critiquait la politique du ministre MRP, Paul Coste-Floret et préconisait un repli sur la partie “utile” du delta du Fleuve Rouge. Enfin, il proposait la nomination de son ami, le général Mast, à la tête de l'Indochine française.

10Or, en août, la radio communiste du Viet-Minh diffusa de larges extraits du rapport secret. Puis, une bagarre fortuite à Paris le 18 septembre 1949, permit d'en saisir une copie sur un Vietnamien arrêté. L'enquête révéla vite que le document avait été transmis par un certain Peyré. Ce personnage douteux (trafiquant, agent double du SDEC, les services secrets français) était lié au général Revers. Craignant les répercussions politiques de ces “fuites”, les principaux responsables de l'État expédièrent Peyré et sa famille au Brésil le 30 novembre.

  • 6 .Ibid., p. 159-162.

11Mais comme le scandale ne pouvait plus être étouffé, une des premières décisions de René Pleven, le 7 décembre, fut de limoger le général Revers et de le remplacer par le général Blanc au moment où la revue américaine Time évoquait “l'affaire”. Et, le 17 janvier 1950, Georges Bidault dut accepter la constitution d'une commission d'enquête parlementaire. Pendant plusieurs mois, le député communiste Kriegel-Valrimont qui en était membre alimenta le feuilleton de “l'affaire des généraux” dans sa chronique de L'Humanité “les mains sales”6. Le fils du président de la République Paul Auriol lui-même fut mis en cause : n'était-il pas question d'un certain “M. Paul” dans les papiers de Peyré ? Rumeurs, règlements de compte, coups bas ne contribuèrent pas à redorer le blason d'un régime affaibli et menacé par ses deux oppositions extrêmes.

  • 7 .AD Côtes-d’Armor. L'Aube Nouvelle, 27 mars 1950.

12René Pleven qui n'était nullement mêlé à cette histoire, s'exposa, par sa fonction, aux violentes attaques du PCF qui avait décidé d'intensifier la lutte contre “la sale guerre” par ses nombreux relais. Les dockers refusaient de charger le matériel de guerre ; des trains de transports militaires étaient arrêtés par des militants, poursuivis en justice car l'État répondait par la répression. Une telle opération fut organisée symboliquement à Saint-Brieuc en mai 1950, la première en Bretagne, pour mettre en cause “Pleven-la-guerre” et mobiliser les travailleurs à la suite de l'emprisonnement “illégal” de onze “combattants de la Paix”7. En fait, l'emprisonnement de plusieurs responsables du PC et de la CGT briochins était une bonne occasion de faire signer l'appel de Stockholm réclamant l'interdiction de la bombe atomique tout en mobilisant le noyau dur de militants alors peu actifs.

  • 8 Auriol (V.), op. cit., p. 175
  • 9 Le Petit Bleu, 23 juillet et 26 novembre 1949. Certains éditoriaux sont signés Vandrot pendant cet (...)

13Débordant ses attributions, René Pleven ne se privait pas d'intervenir en conseil des ministres sur des questions aussi bien économiques que financières, défendant par exemple les crédits du Commissariat au Plan (30 novembre 1949)8 Mais à la fin de 1949 et au début de 1950, ses interventions portaient surtout sur la mise en place des organismes de l'OTAN. Il avait été immédiatement un fervent partisan du Pacte Atlantique considéré par lui comme “un syndicat de la paix” et “un instrument de sécurité”, de même qu'il approuvait l'intégration de la nouvelle RFA dans le bloc occidental à condition de rester vigilant sur le statut d'occupation et de refuser le réarmement de notre voisin qu'il fallait intégrer au niveau européen9.

  • 10 L'AP 1950, p. 112-115.

14Lorsqùen mai 1950, à la veille d'une importante rencontre des Trois à Londres, le général américain Clay lança un ballon d'essai sur le réarmement de la RFA, les autorités françaises réagirent vigoureusement. Vincent Auriol à Reims refusa catégoriquement et Pleven, interpellé le 10 au Conseil de la République, répliqua que si telle devait être la politique américaine, il démissionnerait sur le champ10. Quelques mois plus tard, à la tête du gouvernement, il sera pourtant confronté à ce douloureux dilemme après que la guerre de Corée eut modifié les enjeux.

15L'important pour lui au printemps 1950 était que, lors des entretiens de Paris entre le secrétaire d'État Dean Acheson et le ministre des Affaires étrangères Robert Schuman, les Américains s'étaient engagés à fournir à la France une aide matérielle en Indochine en échange de la création d'un ministère des États associés. Le 13 mai, René Pleven participa à la conférence des Trois à Londres qui prenait acte des divergences entre les Français et les Anglo-Saxons sur le réarmement de l'Allemagne dont les conditions d'occupation étaient par ailleurs assouplies. Ce retour aux sources de René Pleven dans la capitale britannique, dix ans après, aux côtés de Monnet occupé à lancer la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (la CECA), dut lui faire mesurer le chemin parcouru.

L'Européen Pleven : un artisan de la CECA

  • 11 Le Petit Bleu, 18 mars 1950.

16Solidarité atlantique et solidarité européenne étaient les deux axes indissociables d'une politique dont René Pleven était un chaud partisan. À la mi- mars 1950, le ministre de la Défense avait fait ratifier, à l'unanimité moins les voix communistes, le texte de loi du Pacte d'assistance militaire signé avec les États-Unis qui accordait une aide militaire indispensable à la France. Répondant aux objections communistes, il concluait : “Nous entrons dans les accords, non pas avec un état d'esprit de satellite mais comme des partenaires aussi soucieux de leur indépendance et de leur dignité nationale qu'ils sont respectueux de celle des autres”11

  • 12 L'AP 1950
  • 13 Monnet (Jean), Mémoires, op. cit., chap. xii et p. 434-440.

17Le 9 mai 1950, faisant partie des neuf personnes mises dans le secret, René Pleven ne pouvait que se réjouir de l'annonce, à la surprise générale, du plan Schuman proposant la création d'un pool européen du charbon et de l'acier. Le choix de la date n'était pas innocent : à la veille de la rencontre des Trois à Londres et au lendemain des entretiens avec Dean Acheson, lui-même mis dans la confidence à Paris12. En réalité, le projet fut élaboré par Jean Monnet, en dehors des instances gouvernementales et communiqué à Georges Bidault et à Robert Schuman le 28 avril,13. Le président du Conseil qui avait proposé une dizaine de jours plus tôt la création d'un “Haut Conseil atlantique pour la paix” n'y prêta guère attention tandis que Robert Schuman en quête d'une proposition européenne à avancer aux Anglo-Saxons à Londres s'y rallia instantanément de même que René Mayer, le ministre de la Justice.

18Le 6 mai, René Pleven entra dans le petit cercle des “comploteurs” et le lendemain conseilla Jean Monnet qu'il voyait souvent, sur la marche à suivre pour “mener l'opération en dehors des voies diplomatiques officielles”. René Mayer et lui-même obtinrent que le conseil des ministres fût avancé au mardi matin et firent adopter ce qui allait devenir la CECA, présentée à la presse le soir même par Robert Schuman.

19Prévenu le matin même par un envoyé spécial, le chancelier allemand Adenauer donna immédiatement son accord, lequel parvint à Paris au moment où le conseil des ministres allait se séparer sans avoir pu discuter du grand dessein de Jean Monnet. Ainsi, la France put présenter à Londres, une proposition réellement nouvelle et originale pour “la paix” et pour “l'Europe”.

  • 14 Bulletin de Paris X Nanterre, op. cit., p. 32-33.
  • 15 Le Petit Bleu, 15 janvier 1949

20On le voit, la solidarité et la complicité de l'équipe, constituée par Jean Monnet à Londres en 1939-1940, s'exerçaient maintenant que ces hommes “fortement soudés par l'idée européenne”14occupaient les premiers rangs du pouvoir dans une République dont ils avaient pourtant rejeté la constitution. René Pleven était un européen convaincu : n'avait-il pas regretté au début de 1949 “L'Europe en panne” estimant que le “plan Marshall ne peut réussir que par les États-Unis européens”15 ? Ce fut son deuxième gouvernement qui, le 11 décembre 1951, fit ratifier la CECA à l'Assemblée nationale par 376 voix contre 240 (communistes et RPF).

21Mais au début de l'année 1950, le gouvernement Bidault avait été fragilisé par des dissensions internes et notamment par la démission, le 4 février, des ministres socialistes en désaccord sur la politique salariale. Un tournant de la vie politique de la Quatrième République était en train de s'opérer car pour la première fois depuis la Libération, les socialistes quittaient le pouvoir en pleine internationalisation de la guerre d'Indochine.

  • 16 Bulletin de Paris X Nanterre, op.cit., p. 36-37.

22En effet, les 19 et 31 janvier 1950, la Chine et l'URSS avaient reconnu le gouvernement Ho Chi Minh au moment où l'Assemblée nationale ratifiait les accords reconnaissant les trois États associés de l'ancienne Indochine dans l'Union française. René Pleven comme Vincent Auriol et Robert Schuman qui souhaitaient établir des relations diplomatiques avec la Chine communiste ne purent entamer des négociations surtout après le déclenchement de la guerre de Corée16. La France allait désormais s'enliser inexorablement dans les rizières vietnamiennes avec la participation du ministre de la Défense nationale.

23Au reste, au moment où la guerre froide devint chaude en Asie, le 25 juin 1950 en raison de l'attaque de la Corée du Sud par la Corée du Nord, la France n'avait plus de gouvernement depuis la veille. La SFIO qui “soutenait” le gouvernement Bidault venait de le renverser sur la question du reclassement des fonctionnaires. Les grèves ouvrières n'avaient pas cessé depuis le début de l'année.

24Ces crises politiques à répétition ont inspiré ce jugement féroce à Jacques Fauvet du Monde : “Plus les élections approchent, plus l'histoire parlementaire relève de la chronique théâtrale. Les scènes de ménage, les fausses sorties et les jeux de massacre se succèdent à un rythme accéléré, le seul ennui de ces spectacles étant que les acteurs ne changent pas et jouent les mêmes pièces”. René Pleven est pourtant un nouvel acteur, remonté sur les planches depuis quelques mois seulement, mais il peut déjà prétendre jouer les premiers rôles, le premier même.

Le premier gouvernement Pleven (11 juillet 1950-28 février 1951)

  • 17 L'AP 1950, p. 146-154.
  • 18 Le Monde, 6 juillet 1950.

25Le ballet classique des personnalités politiques consultées par le président Auriol commença le jour même de la crise. Henri Queuille, chargé le 26 juin, d'une “mission d'information”, renonça devant le refus de participation socialiste. Au soir du 27 juin, ce fut au tour de René Pleven d'être pressenti mais il refusa, sentant sans doute que la crise n'était pas mûre. Puis René Mayer et Georges Bidault refusèrent d'être désignés. Finalement, le radical Henri Queuille, vice-président du Conseil sortant, accepta de tenter sa chance et fut investi le 30 juin à une large majorité. Mais, la SFIO ayant à nouveau refusé de participer, Queuille fut contraint de former le cabinet le plus à droite depuis la Libération, lequel n'obtint pas la confiance le 4 juillet lors de sa présentation devant l'Assemblée. Les socialistes ainsi que 44 députés MRP se refusaient à entériner le glissement à droite17. Ce jour-là, le ministre de la Défense vantait les qualités de l'avion de type Armagnac au Conseil de la République afin d'obtenir le vote des crédits budgétaires18...

26La guerre de Corée faisait rage ; les Américains intervenaient en Corée depuis le 1er juillet mais la crise politique continuait à Paris. Guy Mollet, le secrétaire général de la SFIO, fut chargé à son tour d'une “mission d'information” pour déblayer les obstacles et élaborer un programme minimum susceptible d'obtenir l'assentiment d'une “majorité condamnée à vivre avec elle-même” selon le mot du bon docteur Queuille.

  • 19 Auriol (V.), Mon septennat 1947-1954, Gallimard, 1970, p. 279-281.
  • 20 Le Monde, 9-10 juillet 1950.

27L'heure du parlementaire breton, dont le nom était prononcé à chacune des dernières crises, allait sonner. Dans la soirée du 7 juillet, le leader du plus petit parti de la majorité fut appelé par Vincent Auriol à qui il suggéra le nom de Bidault, souhaitant rester au ministère de la Défense pour y assurer la “continuité”19 Sollicité pour former le gouvernement, René Pleven accepta cependant “d'essayer de former une majorité d'action républicaine et sociale”20. Le lendemain soir à minuit, il porta une réponse positive au président de la République non sans s'être longuement entretenu avec les responsables socialistes, radicaux et MRP. Mais avant de porter sa réponse, il avait étudié la situation financière et budgétaire pendant toute la journée du dimanche 9.

28René Pleven insistait beaucoup sur une participation socialiste car il savait qu'il était impossible de gouverner durablement sans l'appui de la centaine de députés de ce parti. En outre, il était prêt lui-même à faire sien, le programme élaboré par Guy Mollet dans les jours précédents, comme base d'accord. Dans Le Monde du 9-10 juillet, Jacques Fauvet soulignait les atouts du futur chef du gouvernement : l'appui de la SFIO mais une certaine réserve du MRP et de certains radicaux chez lesquels il n'avait pas que des amis. Mais écrivait-il : “M. Pleven est de l'école des grands parlementaires, chacun se plaît à le reconnaître, dans une assemblée qui n'est pas si riche en hommes nouveaux. L'autorité qu'il a peu à peu acquise doit à défaut de sympathie l'aider à réussir”.

29Le lundi 10 juillet, après une nouvelle rencontre Pleven-Mollet, le Conseil national de la SFIO donna carte blanche au fameux comité des 46 pour décider de la participation, désormais certaine.

30Ainsi, le mardi matin du 11 juillet, à 49 ans, René Pleven se présentait au Palais-Bourbon pour recevoir l'investiture de ses collègues afin de former le huitième gouvernement de la Quatrième République. Le président du Conseil lut sa déclaration d'investiture, un peu ému au début, puis sur un ton de plus en plus assuré à mesure que les applaudissements crépitaient, sans esquiver les problèmes posés. Partant du constat qu'il existait une majorité qui avait bien travaillé (redressement économique et financier), il se proposa de la reconstituer et même de l'élargir sur la base d'un programme d'action précis afin de préparer la nouvelle législature.

31Il avançait des propositions précises pour régler les problèmes financiers en suspens (vote d'un budget équilibré malgré la hausse de 80 milliards de francs des dépenses militaires pour 1951), les problèmes économiques et sociaux (fixation du salaire minimum garanti, soutien au plein emploi et à la construction, reclassement des fonctionnaires et revalorisation des pensions) et n'hésitait pas à aborder les problèmes politiques susceptibles de diviser sa majorité, ainsi de la poursuite de la construction européenne, de la réforme électorale qui inquiéta le MRP mais réjouit les radicaux comme l'annonce de la révision de la constitution. Il annonça aussi la mise sur pied d'une commission pour l'étude des problèmes scolaires. Son discours fut bien accueilli par tous les groupes sauf par celui du PCF même si de Menthon pour le MRP se s'engagea pas sur la participation de son parti.

32Seul Jacques Duclos, au nom du PC, s'en prit au député breton, cherchant à le mettre en difficulté en rappelant ses appels du pied passés au RPF. Pleven répondit par des citations du député communiste approuvant l'aide américaine... en décembre 1945, sous les applaudissements de sa majorité. En un temps record, à 13h55 (moins de 2h), le président du Conseil était investi avec la plus large majorité jamais obtenue depuis l'époque du tripartisme : il recueillait 373 voix contre 185, celles des communistes. Les opposants de droite et du RPF (46 députés) lui avaient fait une fleur en s'abstenant. Pour son coup d'essai, ce fut un beau succès.

33Puis, il fallut un jour et demi de tractations pour constituer le gouvernement car Georges Bidault, amer du revirement socialiste, refusa la vice-présidence du Conseil et les radicaux tenaient à Giacobbi (ministre sans portefeuille chargé de la réforme électorale) dont l'engagement récent au RPF inquiétait les socialistes. René Pleven obtint aussi la participation de l'indépendant Pinay (aux Travaux publics) mais le président du groupe paysan Antier déclina son offre tout comme son collègue de l'UDSR Bonnefous qui préféra conserver la présidence de la commission des Affaires étrangères. Après 18 jours de crise, le 12 juillet 1950, le nouveau président du Conseil présenta à 18h son gouvernement au président de la République.

  • 21 Rimbaud (Christiane), Pinay, Perrin, 1990, p. 79-80.

34Plus qu'avec des hommes, c'est avec des chefs de parti que le nouveau chef du gouvernement a négocié les dosages politiques comme en témoigne l'exemple d'Antoine Pinay avec lequel il entretenait de relations amicales. Avant l'investiture, l'homme de Saint-Chamond qui n'appartient pas au précédent gouvernement apprend par des rumeurs qu'il est ministrable mais il n'est à aucun moment consulté. Il n'est informé de sa nomination qu'en arrivant à l'Assemblée. Alors que Pinay est encore une personnalité de second rang, ce sont les dirigeants du CNI qui ont donné leur aval, rassurés par le maintien de Petsche aux Finances. Antoine Pinay peut donc se payer la coquetterie de déclarer à la presse que n'ayant pas brigué le ministère des Travaux publics, il réserve sa réponse définitive car il entend “rester fidèle à la politique économique menée depuis 1948”21 et répondre un des derniers. Cet exemple illustre bien le fonctionnement politique de la ive République ainsi que le poids des partis. Pinay va garder son poste pendant un an et demi puis confier une responsabilité importante à René Pleven dans son propre gouvernement. Mais n'anticipons pas.

  • 22 L'AP 1950, p. 153-154

35Le jeudi 13 juillet, à l'issue d'un premier conseil de cabinet, René Pleven présenta son gouvernement à l'Assemblée. Interpellé par René Capitant qui lui reprochait d'être devenu le chef de la troisième force, René Pleven répondit que le RPF était “un obstacle à l'union des Français”22. Il tournait ainsi la page, reconnaissant ses vains efforts depuis trois ans pour intégrer les gaullistes “au système” avant de répondre aux violentes critiques de Jacques Duclos. Puis, le vote de confiance non prévu dans la constitution mais entré dans les mœurs donna 329 voix contre 224 au nouveau gouvernement. Certes, René Pleven avait perdu 44 voix — les gaullistes avaient voté contre — depuis sa séance d'investiture mais il conservait une marge confortable. La presse parisienne accueillit favorablement le nouveau gouvernement à part Le Parisien Libéré qui écrivait qu'il “ne sera pas plus vigoureux que ceux qui l'ont précédé”.

  • 23 Giesbert (Franz-Olivier), François Mitterrand, Le Seuil, 2em édit. 1990, p. 145.

36Ce premier gouvernement Pleven était fort étoffé, composé de 33 membres, 22 ministres et 11 secrétaires d'État afin de satisfaire les nombreux partis de la majorité. Politiquement, il indiquait un retour du balancier à gauche avec une forte participation socialiste (9 membres autant que le MRP) tout en conciliant la participation des modérés (4 dont deux indépendants). Le RGR se taillait naturellement la part du lion avec 11 titulaires dont 8 radicaux et 3 UDSR, un record pour un groupe comptant alors 14 députés ! Outre le chef du gouvernement et Eugène Claudius-Petit, toujours à la Reconstruction et à l'Urbanisme, le jeune François Mitterrand qui n'était plus ministre depuis octobre 1949 faisait sa rentrée. De retour d'une tournée de conférences en Afrique, il demanda et obtint le ministère de la France d'Outre-Mer23

37Si les titulaires des postes importants ne changeaient pas (René Mayer à la Justice, Robert Schuman depuis juillet 1948 aux Affaires étrangères, Pierre Pflimlin à l'Agriculture, Maurice Petsche aux Finances), l'équipe à l'instar de son chef connaissait un certain rajeunissement : 19 ministres n'avaient pas 50 ans. Un certain renouvellement des hommes était sensible aussi dans une équipe habilement composée. Pour la SFIO arrivaient l'ancien Français libre Pierre- Olivier Lapie à l'Éducation Nationale, Gaston Defferre à la Marine Marchande, Albert Gazier à l'Information érigée en ministère.

38Les deux ministères d'État créés allaient aux deux principaux partis de la majorité tout en affirmant les priorités du gouvernement : Guy Mollet était chargé du Conseil de l'Europe tandis que le MRP Jean Letourneau devait s'occuper des relations avec les États associés. Des changements d'attribution étaient notables : chez les radicaux, Henri Queuille prenait l'Intérieur, un ministère sensible au moment où une vaste répression anticommuniste allait s'engager et Edgar Faure devenait ministre du Budget à part entière. Mais l'une des décisions les plus contestées fut la nomination du socialiste Jules Moch à la Défense nationale car il avait tenté d'étouffer l'affaire “des généraux” l'année précédente, lorsqu'il était ministre de l'Intérieur.

39Ce choix ne fut guère heureux. À la fin de l'année 1950, la commission parlementaire fit connaître ses conclusions sur cette affaire des fuites peu de temps après le désastre militaire de Cao Bang. Si bien que le 28 novembre, le député communiste Kriegel-Valrimont au nom de son parti qui se souvenait que Jules Moch avait brisé les grèves de 1947 par la force, demanda le renvoi du ministre en Haute Cour de justice. La majorité requise ne fut pas atteinte malgré le lâchage de certains députés MRP, mais le gouvernement en fut éclaboussé.

  • 24 Lapie (Pierre-Olivier), De Léon Blum à de Gaulle, Fayard, 1971, p. 374-378
  • 25 Auriol (V.), op. cit., Gallimard, p. 306-311.

40Par solidarité avec leur collègue, tous les ministres donnèrent individuellement leur démission au président du Conseil qui la porta sur le champ au président de la République. Vincent Auriol qui présidait un dîner d'apparat en l'honneur des souverains du Danemark refusa, au café, la démission du gouvernement Pleven24. Mais ce dernier obtint du président de la République le droit de poser la question de confiance le 1er décembre. Avec 347 voix, Pleven l'emporta “magnifiquement” selon le mot d'Auriol grâce à la fermeté de son “excellent discours” qui tendit “à l'unanimité sur la politique extérieure” (moins les communistes naturellement)25. Encore une fois, habilement, le chef du gouvernement était parvenu à faire glisser l'affaire “des généraux” vers un débat de politique étrangère sur la partie de bras de fer engagée avec les alliés Anglo- Saxons. Sa majorité de gouvernement en sortait renforcée, du moins provisoirement.

Le style et la méthode Pleven

41Durant ses passages à Matignon, tous les collaborateurs du président du Conseil ont insisté sur son habileté politique que ses adversaires considéraient comme un moyen de contourner l'obstacle pour ne pas l'affronter.

  • 26 Lapie (P.-O.), op. cit., p. 281-282.

42Son ministre socialiste de l'Éducation nationale, Pierre-Olivier Lapie qui l'avait connu étudiant au début des années 1920, en dresse ce portrait en 1971 : “une longue silhouette un peu penchée, ce profil accentué à la Jouvet, ces lunettes, cette diction douce, calme et distinguée, ne convenaient nullement au chapeau rond à ruban dont les caricatures coiffaient Pleven, ni au biniou dont elles l'embarrassaient. Breton, Pleven l'était... Mais, plouc, il ne l'était pas : fin, réfléchi, voire méditatif, cultivé, d'une intelligence précise, habile, nullement dissimulé, mais attentif à son geste, à son vocabulaire, n'allant que jusqu'où il voulait et pas plus loin, persévérant, agissant par touches et même par méandres, mais tenant sa ligne, Pleven avait le sens de l'organisation, du plan et en même temps de la négociation”26. Tout le contraire d'un fonceur, mais un homme capable de s'adapter à toutes les situations comme il l'avait déjà bien montré à Londres aux côtés du général de Gaulle.

  • 27 Faure (Edgar), MémoiresI, op. cit., p. 289-290.

43Edgar Faure en 1982, son ancien ministre du Budget, en fait curieusement “un esprit convertible”27 Les deux hommes qui s'étaient connus à Alger et appartenaient au RGR, entretenaient d'excellentes relations. Mais pour le ministre des Finances, l'ancien titulaire du portefeuille fut beaucoup moins facile à manier que ses prédécesseurs car il suivait les dossiers avec précision à un moment où le pays était confronté à des difficultés financières en raison des dépenses militaires de la guerre froide, du fardeau indochinois et de ses engagements politiques. René Pleven gérait les affaires de l'État en businessman qu'il avait été, pensant à sa survie politique. Cependant, “on trouvait en lui un homme certes capable de fermeté, et qui pouvait s'exposer au sacrifice quand ses convictions profondes étaient en jeu, mais ce n'était pas de notre part, écrit Edgar Faure, qu'il attendait des impératifs de cet ordre” ; “il disposait d'une grande capacité de manœuvre, et il était plus ”tenace“ à son poste qu'à ses positions. Il n'était pas de la race des guillotinés par persuasion et savait dégager sa tête avant le glissement du couperet”. D'où ce jugement d'Edgar Faure sur la convertibilité d'esprit de son chef de gouvernement ; le jugement d'un connaisseur en la matière !

44En réalité, René Pleven était tout le contraire d'un homme autoritaire, n'hésitant pas à modifier ses avis à la suite de “suggestions nouvelles”, y compris rapportées de son terroir breton. “Aussi, écrit Edgar Faure, redoutions-nous ses retours de Bretagne, à cause des rencontres dans le train et des conversations à bâtons rompus sur les quais de gare”. Peut-être était-ce une façon de prendre en compte l'avis du peuple, de l'opinion publique, et de pratiquer la démocratie directe pour contrebalancer le poids des technocrates parisiens ?

  • 28 Lapie (P.-O.), op. cit., p. 326.
  • 29 Ibid., p. 292

45Mais, en conseil des ministres, le mercredi matin, quelles que fussent ses fonctions, il ne se privait pas de s'engager, y compris sur des questions ne relevant pas de sa compétence. “Pleven prenait partie, exposait clairement, capable de mouvement et même de colère : “c'est scandaleux, etc. ”, désireux de convaincre, donc de discuter, toujours courtois d'ailleurs, mais insistant dans les grands problèmes internationaux, à son aise et précis dans les finances et l'administration, capable de voir haut”28. Telle est l'appréciation de Pierre- Olivier Lapie qui rapporte une autre anecdote montrant que le président du Conseil évitait parfois de trancher dans un conflit opposant deux de ses ministres. Devant arbitrer à Matignon une passe d'armes entre le ministre de l'Éducation nationale qui réclamait plus de crédits et celui du Budget, la discussion s'éternisa jusqu'à 3h du matin. Selon Lapie, “Pleven, excédé de nos feintes et de nos parades, alla se coucher en disant : “Ces deux-là, je ne les réunirai plus jamais”. Nous terminâmes en match nul et il fallut en référer au conseil des ministres”29.

46Somme toute, la courtoisie et la distinction toute britannique de l'homme Pleven sont des traits souvent soulignés. Les témoignages négatifs ne sont pas si fréquents, hormis sans doute, les attaques virulentes des communistes dans ces années d'extrême tension internationale. En effet, l'urgence de la situation mondiale obéra immédiatement toute l'action du premier cabinet Pleven, formé juste à la veille des cérémonies du 14 juillet 1950.

L'urgence : de l'exigence du réarmement allemand au Plan Pleven

47Le déclenchement de la guerre de Corée bouleversa toutes les priorités françaises. Des trois objectifs annoncés par le président du Conseil dans sa déclaration d'investiture : réarmer, investir, construire, le premier occupa l'essentiel des activités gouvernementales.

  • 30 L'AP 1950, p. 166-169 et Le Monde, 21 juillet 1950.

48Aussitôt les séquelles de la dernière crise politique liquidées, René Pleven présida le 20 juillet 1950, une réunion des ministres de la Défense des Cinq à Fontainebleau, concluant à la nécessité du réarmement30. Et, à la fin du mois, la France fixa sa position sur la guerre de Corée : Vincent Auriol et Guy Mollet approuvèrent la riposte de l'ONU, donc des Américains tandis que Jules Moch à l'Assemblée nationale précisait le 29 juillet : “Ni neutralité, ni agression, ni défense isolée : mais sécurité collective”. Il s'agissait de lutter contre la tendance à la neutralité d'une partie de l'opinion française. Mais, déjà enlisée en Indochine, la France à l'ONU, considéra qu'il ne lui était pas possible d'envoyer de nouvelles troupes en Corée.

49Dès le 26 juillet, au Palais-Bourbon, et pour tenter de tenir ses engagements économiques, René Pleven s'était refusé à sacrifier le développement économique du pays, sortant à peine de la reconstruction, à un réarmement trop coûteux. Il refusait encore de choisir entre “le beurre et les canons”. En même temps, il proposait une augmentation conséquente des crédits militaires. Mais les Américains ne l'entendaient pas de cette oreille.

  • 31 Mélandri (Pierre), “Les États-Unis et le Plan Pleven. Octobre 1950-juillet 1951”, Relations intern (...)

50Pour Washington, l'agression nord-coréenne suivant de quelques mois l'explosion de la première bombe atomique soviétique (septembre 1949), rendait le réarmement allemand vital pour une Alliance Atlantique encore trop faible en moyens conventionnels31. Pourtant, à la fin de mai 1950, l'Administration américaine était encore divisée sur la question d'un tel réarmement souhaité par les militaires. Mais la guerre de Corée convertit rapidement le secrétaire d'État Acheson à cette idée tout comme le Haut-commissaire américain en RFA John J. Mac Cloy. Quant à lui, le président Truman se déclara favorable à une participation militaire allemande à la défense de l'Europe occidentale, dès la fin juillet. Le 11 août le conseil de l'Europe se prononça en faveur d'une armée européenne. La France se trouvait au pied du mur sur le problème du réarmement allemand, alors que Robert Schuman venait de demander aux Américains l'envoi de nouvelles troupes en Europe et que l'aide militaire américaine pour l'Indochine commençait à débarquer.

51L'Armée américaine accepta cette “intégration” des troupes dans une armée atlantique, donc sous commandement américain et à condition, surtout, de pouvoir recruter des soldats allemands. Ce qui devint la politique officielle des États-Unis le 8 septembre.

  • 32 L'AP 1950, p. 179-182.
  • 33 Doise (Jean) / Vaïsse (Maurice), Diplomatie et outil militaire 1871-1991, 2' éd. Le Seuil, 1992, p (...)

52Durant le mois d'août, René Pleven adressa deux mémorandums aux Américains, acceptant le réarmement par la France d'une quinzaine de divisions (bientôt portées à vingt) à certaines conditions, en particulier la création d'un pool financier occidental32. Cette idée n'enchantait guère les Britanniques. Dans un important discours de politique étrangère prononcé à la foire de Strasbourg le 2 septembre, le président du Conseil expliquait aux Français ses décisions de réarmer le pays avec les Alliés. “Pour mettre l'Europe à l'abri d'une surprise à la mode coréenne, les peuples libres doivent, dans les délais les plus brefs, constituer ensemble une force de couverture”. Ce qui impliquait de porter la durée du service militaire de 12 à 18 mois. Défendue par Jules Moch, cette décision fut approuvée massivement par l'Assemblée nationale le 27 octobre 1950 par 414 voix contre 185. Aussi bien, les effectifs de l'armée française vont passer à 580 000 hommes en 1951 et 642 000 en 1952, sans compter les troupes engagées Outre-Mer33.

  • 34 Le Petit Bleu, 9 septembre 1950 et Le Monde, 3-4, 5 septembre 1950

53Ce discours de Strasbourg qui s'efforçait de préciser la doctrine militaire française était aussi une réponse au général de Gaulle qui avait accusé le régime “d'abandon”, de “carence” et “d'impuissance”. Il relançait l'idée d'un pool des matières premières des nations atlantiques. Mais si la France approuvait l'extension de la police allemande demandée par le chancelier Adenauer, c'était pour ajouter aussitôt : “La reconstitution de forces armées allemandes ne peut être traitée par ce biais”34.

54Le discours du président du Conseil fut bien accueilli à Washington et à Londres mais bien sûr pas par L'Humanité qui écrivait : “Certes Pleven ne peut plus rougir de rien. Mais cela signifie une sujétion plus complète à l'égard du gouvernement de Washington et des banques d'Outre-Atlantique”. Du moins la France essayait-elle de jouer sa partition dans le concert occidental.

  • 35 Auriol (V.), op. cit., Gallimard, p. 288.

55Or, lorsque les ministres des Affaires étrangères français et britannique Schuman et Bevin arrivèrent à New York le 12 septembre, les Américains leur annoncèrent leur intention de créer des divisions adantiques avec dix divisions allemandes. Pendant plusieurs jours, le ministre français refusa tout net tandis que Bevin se ralliait. À la conférence de l'OTAN, la France se retrouvait isolée lorsqu'un compromis, reprenant les propositions de Paris, accepta de différer la décision du réarmement allemand à la conférence des Trois à New York (12- 15 septembre). Le 20 septembre, René Pleven interrogé par Vincent Auriol avant le conseil des ministres était toujours hostile au réarmement allemand35

  • 36 Monnet (Jean), op. cit., chap. xiv, p. 487-510.

56Mais, dans l'ombre, encore une fois, un homme prit une initiative pour contourner l'obstacle mis sur la route de la construction européenne, c'était Jean Monnet36. Durant le mois de septembre, le “père de l'Europe” qui tenait à sa CECA envoya des mémorandums à Schuman et à Pleven, leur conseillant de faire une contre-proposition aux Américains. Il s'agirait “d'organiser la défense de l'Europe selon la formule supranationale du plan Schuman”. René Pleven qui sentait que le refus français conduisait à une impasse se laissa aisément convaincre, travaillant quotidiennement avec son ancien patron pour élaborer en quelques jours le Plan Pleven. Ce Plan modéré et prudent envisageait la création d'une armée européenne de 100 000 hommes avec des divisions à participation allemande mais sans contingents allemands indépendants. De toute manière ce Plan ne pourrait pas être mis en œuvre avant la signature de la CECA. Mais la décision du conseil des ministres fut difficile à emporter. Abordée le 6 octobre, elle ne fut prise que le 23 (à l'unanimité), après que Jules Moch eut vérifié à Washington la détermination américaine et que le président de la République eut obtenu quelques précisions.

  • 37 Bulletin de Paris X-Nanterre, op. cit., p. 32-36.

57René Pleven avait surtout dû convaincre ses collègues socialistes très réticents, dont Jules Moch37. Puis, à l'Assemblée nationale, il fit approuver par 343 voix contre 225, un ordre du jour ambigu acceptant le Plan Pleven. La Communauté Européenne de Défense, cette CED qui allait tant diviser les Français quatre ans durant était née dans l'urgence.

  • 38 Mélandri (Pierre), op. cit., p. 211-215.

58Restait à convaincre les Américains furieux du Plan Pleven, ce qui ne fut pas facile. Le 28 octobre, à Washington, Jules Moch mandaté uniquement sur la proposition Pleven fut isolé parmi les ministres de la défense de l'OTAN, malgré l'avis favorable de l'ambassadeur américain à Paris, un ami de Jean Monnet. Le général Marshall s'y opposa mais un compromis finit par s'élaborer face aux pressions soviétiques, aux réactions neutralistes et aux exigences de souveraineté de la RFA, suite à des concessions réciproques38. Le 18 décembre 1950, les ministres de l'OTAN entérinaient la création d'une armée atlantique intégrée qui serait commandée par le général Eisenhower, tandis qu'on pousserait plus avant la création d'une armée européenne intégrée avec des contingents allemands. Sa mise en place allait traîner en longueur, le projet d'armée européenne s'étant transformé chemin faisant en Communauté Européenne de Défense, un projet différent du plan initial que les Américains reprirent à leur compte en juillet 1951.

  • 39 Bulletin de Paris X Nanterre, op. cit., p. 34.

59Au début de 1951, le président du Conseil adressa un mémorandum aux Américains, proposant sept ans avant le général de Gaulle (en 1958), un Directoire à Trois de l'Alliance Atlantique, sans recevoir la moindre réponse39. Cette initiative méconnue mérite d'être signalée car elle tempère l'image d'un homme politique trop aligné sur les Américains.

60Les enjeux de la mise en place de la CED vont permettre à René Pleven d'affirmer une stature d'homme d'État lors de plusieurs rencontres internationales.

Rencontres internationales et affirmation de qualités d'homme d'État

  • 40 Cité dans le Monde du 2 mars 1951.

61Au lendemain de la démission de son premier gouvernement, le 28 février 1951, le Times de Londres rendit hommage à René Pleven “qui s'est montré un véritable homme d'État”40. Un tel compliment a dû faire chaud au cœur de celui qui n'a eu que sept mois et demi pour gagner ses galons sur la scène internationale. Plusieurs voyages ont sans doute contribué à forger cette image dont un à Londres en décembre 1950 et l'autre à Washington et au Canada à la fin janvier 1951.

  • 41 Auriol (V.), op. cit., p. 309-312.

62Après avoir fait approuver la politique extérieure de son gouvernement —“magnifiquement” selon le mot d'Auriol — par 347 voix contre 184, René Pleven était parti pour Londres s'entretenir avec le Premier ministre Attlee le 3 décembre 195041. Là encore l'urgence primait car dans les négociations en cours, l'axe anglo-américain semblait chercher à isoler la France au grand dam du président Auriol. Lorsque le 1er décembre, Vincent Auriol apprit qu'Attlee allait être reçu par le président Truman, il souhaita que le gouvernement français pût se concerter avec les Britanniques sur des positions communes en Europe. Attlee accepta donc de recevoir Pleven le 3 décembre avant de partir pour les États-Unis. Sauf sur la question européenne, les deux chefs de gouvernement arrivèrent rapidement à un accord.

  • 42 Le Monde, 18 et 20 janvier 1951.
  • 43 Ibid, du 27 au 6 février 1951.

63Cependant, afin d'aplanir les forts différents avec les Américains, René Pleven souhaitait lui aussi prendre le chemin de la Maison Blanche. Et à la mi-janvier 1951, la demande française reçut une réponse positive42. Avant son départ, le 25 janvier, René Pleven et Jules Moch, reçurent à Matignon, le général Eisenhower, nommé chef de l'état-major des forces de l'OTAN, le SHAPE qui devait s'installer en France. Puis le président du Conseil s'envola pour un voyage “décisif” d'une semaine en Amérique du Nord, “pour un tour d'horizon général (qui) doit permettre une franche négociation” selon Le Monde43.

64René Pleven arriva le week-end du 28-29 janvier à New York où il devait passer le dimanche incognito avant de gagner Washington par le train de nuit. Le contexte international était particulièrement tendu car les Chinois venaient d'intervenir en Corée. Le lundi 30 janvier, la délégation française (composée notamment du général Juin) fut accueillie par le président Truman, que Pleven remercia en anglais. Elle eut deux entretiens avec le chef de la Maison Blanche : l'après-midi sur l'Indochine et l'Extrême-Orient, le lendemain matin sur la défense de l'Europe occidentale.

65Ces entretiens ramenaient René Pleven dix ans en arrière alors qu'il ne jouait encore que de modestes rôles de négociateur pour Monnet ou pour de Gaulle. Cette fois, jouant le premier rôle, le chef du gouvernement français contribua à dissiper les nuages qui s'étaient accumulés entre la France et son puissant protecteur — les États-Unis ne s'engageaient-ils pas à apporter un appui naval et aérien si la Chine intervenait au Vietnam — et allié. Titrant sur “la coopération franco-américaine”, l'éditorial du Monde du Ier février tirait un premier bilan soulignant que Pleven avait eu “l'accueil le plus cordial et atteint le but qu'il avait assigné à son voyage : dissiper certains malentendus, resserrer la collaboration franco-américaine”. D'ailleurs, les communiqués officiels affirmaient la complète identité de vue des deux pays. Et le correspondant du Monde à New York, se faisant l'écho de l'entourage du chef du gouvernement, rapportait avec quelque excès que : “les résultats des entretiens entre Truman et Pleven peuvent être assimilés à un New Deal pour l'Europe”. Mais par-delà les entretiens officiels, ce voyage fut aussi une opération de relations publiques pour redorer le blason de la France dans l'opinion publique américaine.

66En effet, invité à un déjeuner le mardi midi par le National Press Club, le président du Conseil répondit en anglais aux questions d'un parterre de 600 journalistes américains. Il insista sur l'amitié et l'unité entre les deux pays déclarant : “Nous ne tolérerons jamais que l'unité du monde occidental soit rompue”. Avant d'être l'invité d'honneur du Sénat américain, le mercredi, René Pleven avait développé tous les thèmes propres à plaire à une opinion travaillée par l'anticommunisme et bientôt le maccarthysme : l'effort de réarmement français, le sacrifice de soldats français en Indochine, la lutte contre les communistes en France et les neutralistes assimilés, en citant Clemenceau, à des “défaitistes”, le combat pour l'Europe unie et l'organisation d'un marché européen. Mais en même temps la politique franco-américaine de “fermeté concertée” devait laisser la “porte ouverte à la négociation avec Pékin et avec Moscou”.

67Ces points marqués, René Pleven put poursuivre son voyage, le jeudi à New York où le Council ofForeign Relations l'avait invité. Le vendredi, à Ottawa, il était l'hôte du parlement canadien.

  • 44 Auriol (V.), Journal du septennat, 1951, t. V, A. Colin, 1975, p. 70-71.

68Succès d'estime, succès personnel mais sans grandes retombées concrètes. Par exemple, pour se dégager du bourbier indochinois, Pleven suggéra aux Américains d'établir avec les Anglais un glacis défensif en Asie du Sud-Est, sans grand résultat comme pour le Directoire à trois proposé en Europe. De retour en France, le président du Conseil rendit compte de son voyage au président Auriol le mardi 6 février et au conseil des ministres le 7, s'attirant “les plus vifs remerciements” du président de la République pour le succès de ses conversations44. Ensuite, devant l'Assemblée nationale il remporta un nouveau succès personnel en obtenant le renvoi des interpellations par 401 voix contre 182, mais au prix du report des discussions sur les nombreux problèmes intérieurs en suspens.

69En ce début d'année 1951, René Pleven prenait goût à ces rencontres internationales lui permettant de peaufiner des qualités d'homme d'État. Le 19 janvier, il rencontra Nehru à Paris pour discuter de la question des comptoirs français que l'Inde voulait récupérer. Le 12 février, il participa avec Robert Schuman à une rencontre en Italie avec le président du Conseil italien de Gasperi et le comte Sforza, le ministre des Affaires étrangères, rencontre “cordiale” afin de renforcer l'amitié entre les deux pays. Mais pendant ce temps, les difficultés intérieures, économiques et politiques s'accumulaient comme si, pris par l'urgence, René Pleven cherchait à repousser les échéances.

70En effet, le 4 février, Le Monde soulignait qu'à son retour d'Amérique, le président du Conseil “devra affronter deux problèmes plein d'embûches”, la loi électorale et la question des allocations familiales. Jacques Fauvet rappelle que ceux qui l'attaquaient pour ne pas être allé aux États-Unis avec Attlee, ne lui pardonne pas maintenant “ni d'être allé à son tour à Washington, ni surtout d'y avoir été écouté”. Au sein de la majorité, certains remarquent qu'il “s'ingénie à jalonner sa route de projets de voyages, de rencontres internationales qui n'ont d'autres utilités que de lui ménager un sursis”. Le commentateur politique du Monde prévient : “Aussi le président du Conseil ne doit-il pas s'attendre que son voyage ait accru son crédit sur le plan intérieur” d'autant plus que sa majorité est très divisée sur la réforme électorale et que la situation parlementaire ne cesse de se dégrader.

  • 45 Ibid.

71Au sein de la majorité, certains caciques du parti radical comme Martinaud- Déplat, violemment hostile à Pleven, attendaient la première occasion pour le faire tomber45. Dans sa déclaration d'investiture, le député breton s'était pourtant engagé à traiter les problèmes économiques et sociaux ainsi que les problèmes coloniaux et politiques. Mais le plus souvent l'urgence de la situation internationale avait primé entraînant des incidences intérieures.

La politique économique et sociale cahotante du cabinet Pleven

72Le gouvernement Pleven avait hérité d'une situation économique rétablie lorsque la crise internationale vint menacer les efforts accomplis en s'appuyant sur l'aide américaine. La guerre de Corée eut des répercussions immédiates sur la conjoncture économique mondiale. En premier lieu, la flambée des prix de certaines matières premières dont la France était dépendante inquiéta le chef du gouvernement pris entre ses engagements sociaux de défense et d'amélioration du niveau de vie et les risques d'une poussée inflationniste.

73D'ailleurs le discours de Strasbourg (2 septembre 1950) de René Pleven consacré à définir publiquement la politique étrangère de la France commença par de longs développements sur la situation économique. En premier lieu, il chercha à rassurer les Français et sa majorité : lutter énergiquement contre l'inflation ne signifiait nullement le retour au rationnement, de même qu'il n'était pas question d'établir “un dirigisme bureaucratique”. Indéniablement, le président du Conseil fait bien partie de ces “libéraux” qui gèrent le pays depuis 1948. Mais, il n'est nullement question d'entretenir des illusions car “plusieurs années austères” attendent les Français. Huit jours plus tard, le 10 septembre, le discours de Saint-Brieuc précisait la politique intérieure du gouvernement par rapport à l'exigence centrale du réarmement du pays. Le “souci n° 1 du gouvernement” demeurait la défense de la stabilité du franc (dévalué en même temps que la livre en septembre 1949) et des prix.

74Car en trois mois, la hausse avait été forte et le phénomène des ciseaux, l'écart entre les prix industriels et les prix agricoles, s'était aggravé, provoquant le mécontentement des agriculteurs. Le gouvernement eut beau étudier en septembre des mesures pour répondre à ces difficultés, les décisions se firent attendre tant les autres problèmes étaient prioritaires.

  • 46 Rioux (Jean-Pierre), La France de la Quatrième République, t. 1 p. 256-257

75Refusant les mesures autoritaires, l'État ne parvint pas à juguler l'inflation qui reprit de plus belle pour atteindre 38 % de hausse des prix de détail en 1951. Dans le même temps, le souci “de défendre le niveau de vie des moins favorisés “énoncé à Strasbourg ne put être tenu. À la fin de 1951, le SMIG n'avait enregistré péniblement qu'un “gain” de 15 % alors que le pouvoir d'achat général des salaires avait reculé de 20 %46.

  • 47 L'AP 1951, p. 154-155, 171-173, 191.

76Les problèmes budgétaires furent plus douloureux encore. Le gouvernement était entré en fonction tandis que l'Assemblée discutait encore du budget de 1950. Emaillé d'incidents, notamment lorsqu'une majorité laïque, communistes compris, rejeta l'attribution de subventions aux mouvements de jeunesse au grand mécontentement du MRP, le vote définitif du budget fut bâclé pour le 6 août, date du départ en vacances de l'Assemblée47. Dès lors, jusqu'au 17 octobre, le gouvernement avait le temps de souffler pour se consacrer aux urgences de l'heure.

77Dès le mois d'août, afin de réaliser des économies dans les service publics, les budgets ministériels furent amputés de 5 %. Une décision suivie de l'adoption en conseil des ministres, le 5 septembre, d'un plan d'économies de 67 milliards de francs (en 1950 et 1951) qui affecta la fonction publique (23 000 emplois supprimés) et les crédits de reconstruction et d'investissement. Deux des axes du gouvernement Pleven affirmés lors de la déclaration d'investiture furent donc sacrifiés au troisième : le réarmement même si deux lois de soutien à la construction (primes, prêts, avantages fiscaux) avaient été votées en juillet. La France en plein baby boom et en cours de développement industriel, se devait de songer à loger plus décemment ses nouveaux habitants et ses nouveaux citadins.

78En outre, il fallait régler rapidement les questions salariales pendantes en fonction des accords établis avec les socialistes. Or, à la fin juillet, la proposition du salaire minimum garanti à 15 170 F — Guy Mollet avait avancé 16 000 — de la Commission supérieure des conventions collectives fut rejetée et par les syndicats ouvriers et par le patronat. Devant l'impasse, le 22 août, le gouvernement qui craignait qu'une hausse trop élevée n'alimente l'inflation, fixa par décret le montant du salaire minimum à un niveau intermédiaire en intégrant les primes dans le calcul. Dans une allocution, René Pleven justifia la décision. De toute part, on protesta mais les difficultés graves ne surgirent qu'en octobre lors de la discussion des conventions collectives. De même, le gouvernement fixa le prix du blé (le 9 août) et encouragea l'incorporation de l'alcool de betterave.dans l'essence... Décidément, l'interventionnisme de l'État avait la vie dure en ce début des années 1950 et le lobby des betteraviers était influent. Mais au début de 1951, de nombreuses décisions budgétaires et sociales furent menées à bien : vote d'un plan d'économies de 25 milliards de francs, réduction des budgets d'investissement à cause du coût du réarmement, augmentations des prix des services publics rendues nécessaires par la poussée inflationniste. Cette montée des revendications salariales au sortir du temps des pénuries aboutit le 26 février à une grève des transports parisiens au moment où le gouvernement Pleven se battait pour sa survie.

  • 48 L'AP 1951, p. 40-41.

79La politique sociale est aussi tributaire à la fois des hausses et du poids des partis de la majorité au sein de l'Assemblée. Par exemple, le problème des allocations familiales illustre bien la gestion à court terme de l'État. En décembre 1950, le gouvernement avait proposé et fait accepter une hausse de 20 % des allocations familiales pour janvier et février 1951, le temps de préparer une solution durable. Son projet déposé en février prévoyait une majoration de 15 %, rejetée par la commission du Travail qui réclamait 46 %. Ne pouvant trancher, le gouvernement, fit voter un compromis reconduisant l'augmentation de 20 % pour les deux mois à venir, dans l'attente d'un projet définitif pour le 5 avril. Le 9 février, une augmentation de 7 000 F de la retraite des vieux travailleurs était votée, alors que le gouvernement proposait 4 000 F seulement48. Ainsi fonctionnait la IVe République dont les ambitions économiques et sociales étaient rapetissées par le coût du réarmement du pays, débattu à l'Assemblée dans les derniers jours de décembre 1950 lors d'une session spéciale.

Réarmement et lutte contre les communistes

  • 49 Le Monde, 2 janvier 1951
  • 50 L'AP 1951, p. 2.
  • 51 Doise y.) / Vaïsse (M.), op. cit., p. 518.

80Pour obtenir quatre votes avec de courtes majorités dans la nuit de la Saint- Sylvestre, le président du Conseil avait dû payer de sa personne, faire appel au “patriotisme des députés” sans dissimuler les “sacrifices sévères” demandés pour “maintenir la liberté”, une semaine avant l'arrivée du général Eisenhower à Paris. Au moins, René Pleven pouvait-il adresser son message radiodiffusé du Nouvel An aux Français. Il y affirmait que “La France a les moyens d'aborder 1951 avec courage et confiance” malgré les incertitudes, saluait les combattants d'Indochine, justifiait l'effort de défense par la prudence et dans “l'intérêt de la paix”49. Après les inévitables navettes entre les deux assemblées, le budget du réarmement fut finalement adopté le 8 janvier 1951 par trois votes de confiance et 333 voix contre 18150. La majorité gouvernementale quoi- qu'effritée tenait le coup à la veille de grandes échéances internationales. Au total, le budget militaire du pays allait passer de 18,3 % des dépenses globales en 1950 à 27,6 % en 195151.

81Mais cette politique française de réarmement conduite dans le cadre de l'affrontement Est-Ouest cristallisa l'opposition virulente du PCF. Non seulement les députés communistes pratiquaient l'obstruction parlementaire, attaquaient durement la politique en Indochine (Charles Tillon le 21 octobre lors du débat sur Cao Bang) mais en plus le parti mobilisait ses militants dans la rue pour protester contre la politique atlantiste. La répression gouvernementale dirigée par le ministre de l'Intérieur Queuille y répondit avec fermeté à plusieurs reprises.

  • 52 Le Monde, 8-9 septembre 1950

82Une réunion interministérielle du 7 septembre 1950 décida de “réprimer avec la plus extrême sévérité les menées antinationales” et de “décapiter les cinquièmes colonnes constituées par les PC étrangers installés en France”, selon les termes du communiqué du ministère de l'Intérieur52. Le lendemain matin, à l'aube, une vaste opération de police dans tout le pays arrêtait et expulsait de France plusieurs dizaines de militants, surtout du PC espagnol.

  • 53 Rioux (J--P.). t. 1, op. cit., p. 224-225

83Traduisant sans doute une politique concertée, une organisation anticommuniste dénommée Paix et Liberté se formait dans les mêmes jours dans la foulée des deux propositions de lois visant le PCF. Présidée par le député radical Jean-Paul David, composée d'anciens communistes, d'hommes de droite et du RPF, de policiers (dont Jean Baylot nommé préfet de police en avril 1951), Paix et Liberté se proposait d'organiser par voie d'affiches la propagande anticommuniste en direction de l'opinion et des milieux dirigeants53. À ses débuts, cette officine bénéficia de l'appui discret du gouvernement Pleven et probablement du financement du FBI américain.

  • 54 Instruction citée par Georgette Elgey, La République des illusions, op. cit., p. 465 et Le Monde, (...)

84En janvier 1951, lors d'une réorganisation, Irène Joliot-Curie fut écartée des instances dirigeantes du Commissariat à l'Énergie Atomique à un moment où le PCF appelait ses militants à manifester à Paris contre la visite et les entretiens du général Eisenhower des 9 et 24 janvier. Sur instructions de Henri Queuille, ces manifestations furent interdites, la presse communiste saisie, d'importantes forces de police mobilisées avec ordre d'arrêter les manifestants. Afin de sanctionner les fonctionnaires qui y participeraient54. Quelques jours plus tard, devant la presse américaine, René Pleven assumait totalement et même se targuait de cette répression contre le premier parti électoral de France, considérée comme vitale dans cette période de guerre froide poussée à son paroxysme.

  • 55 Rousso (Henry), Le syndrome de Vichy, 1944-198..., Le Seuil, 1987, Ier partie, chap. 1.

85Dans le même temps, la majorité de troisième force et le parlement français étaient en train de passer l'éponge sur les séquelles de Vichy et de l'épuration avec la discussion, le 24 octobre 1950 et le vote le 4 janvier 1951 (par 327 voix pour et 263 voix contre) d'une première loi d'amnistie sur les crimes de l'Occupation. Etaient amnistiés les condamnés à la dégradation nationale et à des peines inférieures à 15 ans. C'était l'aboutissement d'une campagne de près de deux années, soutenue par le MRP plus par quelques éléments du RPF (sans parler de “l'affaire Rémy”) qui avaient même déposé un amendement demandant la libération du maréchal Pétain55Au nom de la réconciliation nationale, six ans après la Libération, la droite vichyssoise pouvait à nouveau tenir le haut du pavé alors que les communistes étaient mis à l'index. Quelques jours plus tard, l'extrême droite publiait le premier numéro de Rivarol. À l'approche des élections, la droite modérée fondait le Centre national des indépendants paysans (CNIP), un parti avec lequel René Pleven allait passer une alliance électorale dans les Côtes-du-Nord.

86Fruit de la guerre froide et des problèmes coloniaux, le glissement vers le centre et la droite des majorités de troisième force était bien en route au début des années 1950 et René Pleven suivait le courant.

Les craquements de l'Union française

  • 56 Dalloz (J.), op. cit., p. 172-188 et L'histoire, nov. 1990, n° 138, p. 74-76

87Durant son premier gouvernement, l'ancien ministre de la Défense nationale René Pleven dut faire face, dans l'urgence encore une fois, en pleine élaboration du Plan qui porte son nom, à l'aggravation de la situation militaire en Indochine. La guerre oubliée prenait une mauvaise tournure en 1950, bien que les effectifs eussent été portés à 154 000 hommes dont un tiers de Français. Au cours du mois d'octobre, l'évacuation désastreuse de Cao Bang résonna comme un premier coup de gong incompris. Ce fut, selon l'historien Jacques Dalloz, “la première défaite française en Indochine”56

88Dans son rapport de juin 1949, le général Revers avait bien préconisé l'évacuation de ce poste frontière situé près de la Chine, sans résultat. Cao Bang fut totalement isolée en zone Viet-Minh au début de l'année 1950. Mais le général Carpentier ne donna l'ordre d'évacuation que le 3 octobre par la route coloniale 4 qui longeait la frontière chinoise et qui était déjà coupée par le Viet- Minh. Mal engagée, l'opération tourna rapidement au désastre. Les troupes d'élite habituées à la guérilla furent surprises et décimées par la supériorité de l'adversaire lors d'un calvaire qui dura jusqu'au 8 octobre. Dix jours plus tard, Langson située plus au sud sur la RC 4 était évacuée à son tour. On abandonnait au Viet-Minh la totalité de la zone frontalière.

  • 57 Le Petit Bleu, 21 octobre 1951.

89À Paris, la presse fit ses gros titres sur Cao Bang, obligeant le gouvernement à engager le 19 octobre un débat toujours différé sur “les événements” d'Indochine. Cette affaire tombait bien mal, avec la laborieuse mise en place de l'État associé du Vietnam et alors que les rapports des autorités militaires au Tonkin affirmaient contrôler la région. Répondant aux interpellations de l'Assemblée nationale le 19 octobre, René Pleven rendit d'abord hommage aux morts de cette bataille révélant que le gouvernement avait prévu “une certaine réduction” des troupes en 1951. Tout en soulignant la complexité politique et militaire de la situation vietnamienne, il souligna qu'il fallait soutenir les États Associés de l'Union française et qu'en tout état de cause “le Tonkin sera défendu comme il l'a été si souvent depuis 90 ans”. L'heure n'était pas à la négociation avec Ho Chi Minh comme 1' affirmait le député progressiste Pierre Cot, mais “au sang-froid” et au courage face à une situation difficile57

90Au cours du débat le 19 octobre, puis le 22 novembre, la surprise ne vint pas du PCF qui dénonçait la vassalisation de l'armée française à “l'impérialisme américain”, mais de la prise de position inattendue et très ferme du député radical Pierre Mendès France. Ce dernier qui n'avait encore jamais pris position publiquement prenait date : doutant de la pérennité de la France en Extrême-Orient, proposant de lutter contre le communisme en Europe notamment par la croissance économique, il préconisait de négocier une indépendance réelle du Vietnam, voire sa neutralisation, avec Ho Chi Minh, avant qu'il ne fut trop tard. Mais l'analyse clairvoyante de Mendès France fut réfutée par ses collègues au nom des risques de contagion dans l'Union française. Ce qu'il fallait selon l'ancien ministre MRP Paul Coste-Floret, c'était vietnamiser et américaniser la guerre. Un ordre du jour soutenant et intensifiant la politique engagée par le gouvernement fut finalement voté par 337 voix contre 187, avec l'appui de la SFIO mais pas celui de Mendès qui vota l'ordre du jour progressiste demandant de négocier.

  • 58 Dalloz (J.-). op. cit., p. 186.

91René Pleven, l'organisateur de la conférence de Brazzaville en 1944 et l'un des initiateurs de l'Union française se plaçait donc dans la continuité de l'œuvre engagée d'autant plus que pour lui l'impérieuse nécessité de se battre en Indochine était justifiée par la logique de la guerre froide et de la bataille pour l'armée européenne. Pourtant, il laissa percer quelques doutes en forme d'ouverture en direction du Viet-Minh lorsqu'il s'interrogea le 22 novembre sur la légitimité nationale de son combat pour l'indépendance ou sur son rôle de masse de manœuvre au service du camp communiste58. Mais cette interrogation n'eut pas de suite comme le montra le 6 décembre la nomination du général de Lattre de Tassigny comme haut-commissaire chargé de rétablir la situation en Indochine, au moment où des troupes chinoises intervenaient en Corée.

92L'affrontement de la Libération Pleven-Mendès venait de resurgir sur la question indochinoise mais encore une fois le premier avait l'appui de ces collègues de la troisième force contre le second. Mais l'opinion publique était elle aussi encore très attachée à son ancien Empire colonial si l'on en croit les sondages.

93Quelques jours plus tard, le gouvernement Pleven faillit bien tomber lors du rebondissement de l'affaire des généraux avec la mise en cause du rôle de Jules Moch. Mais Vincent Auriol refusa la démission du président du Conseil qui obtint un vote de confiance le 1er décembre en faisant habilement glisser le débat sur la politique internationale.

94Justement, pris par les problèmes internationaux, René Pleven n'eut guère de temps à consacrer au reste de l'Union française, suivie de près par le président Auriol. Les autorités tunisiennes et marocaines mettaient de plus en plus en cause l'immobilisme de la politique française dans ces deux protectorats. Un voyage en France du sultan du Maroc en octobre ne permit pas de rapprocher les points de vue. La tension déboucha sur une crise franco-marocaine en janvier 1951 opposant le sultan au général Juin, le résident général, partisan de la fermeté contre les nationalistes. Mais dans cette affaire, la politique de Juin eut indirectement l'aval du chef du gouvernement qui l'emmena avec lui comme expert lors de son voyage aux États-Unis.

95De même, les élections à l'Assemblée algérienne en février 1951 se soldèrent par un recul des élus nationalistes dans le deuxième collège, du fait des méthodes de contrôle et de bourrage des urnes de l'administration française. La politique coloniale française ne fit donc pas preuve d'ouverture et de lucidité, en ce début des années 1950 sauf peut-être en Afrique Noire.

96Là, un tournant consistant à désarmorcer la montée des tensions fut pris. Avec l'accord de Pleven, François Mitterrand n'hésita pas à bousculer la politique de son prédécesseur au ministère de la France d'Outre-Mer, le MRP Coste- Floret. Une politique répressive imposée par le lobby colonial visait le Rassemblement démocratique africain, le RDA, animé par Félix Houphouët-Boigny, et dont les députés à Paris étaient alors apparentés au PCF.

  • 59 Giesbert (Fr.-O.), op. cit., p. 145-150 et Siriex (Paul-Henri), “Entre Houphouët et MitterrandJeun (...)

97Avec l'aval de son chef de gouvernement et de parti, le jeune député de la Nièvre fit venir à Paris l'Ivoirien Houphouët-Boigny pourtant recherché par la police française et conclut avec lui un marché : pour que le RDA puisse reprendre ses activités politiques au grand jour, son chef dut faire acte d'allégeance à l'Union française. En quelques mois, les militants nationalistes africains qui étaient pourchassés devinrent des “notables” grâce à cette politique d'ouverture et de négociations de François Mitterrand et de René Pleven. En effet, à la veille de partir pour les États-Unis, en janvier 1951, René Pleven accepta de recevoir très discrètement Houphouët-Boigny qui sollicitait un entretien. Paul-Henri Siriex, gouverneur de Guinée de 1951 à 1957, qui y assista témoigne “du climat spontané de confiance émue” lors de cet entretien qu'il qualifie “d'historique” : “Le courant, manifestement passait entre les deux hommes”59. L'UDSR, toujours présidée par René Pleven, allait bientôt en recueillir les fruits politiques avec l'apparentement de sept députés africains du RDA après les élections législatives de 1951. Ce ralliement allait aussi compter dans la bataille pour le contrôle de l'UDSR !

98Pour parvenir au déblocage d'une situation tendue, François Mitterrand batailla dur contre l'administration coloniale et les milieux français de Côte- d'Ivoire. Au grand dam du gouverneur Péchoux, bientôt rappelé à Paris, le ministre de la France d'Outre-Mer s'était fait accompagner d'élus du RDA lors de l'inauguration du port d'Abidjan le 5 février 1951 et d'une réception au cercle français. René Pleven en laissant son ministre agir renouait avec l'esprit de Brazzaville de 1944, convaincu que les relations au sein de l'Union française devaient évoluer progressivement malgré l'hostilité de la droite colonialiste. Mais au début de 1951, c'était la question de la réforme électorale qui mettait en danger la cohésion de son gouvernement.

La démission du premier gouvernement Pleven sur la réforme électorale (28 février 1950)

99La majorité de troisième force était bien d'accord sur la nécessité d'une réforme électorale pour barrer la route du parlement prioritairemement aux communistes et secondairement aux gaullistes mais elle divergeait sur les modalités pratiques. Aussi le MRP, très attaché au scrutin à un tour, ne voulait-il pas entendre parler du retour au scrutin d'arrondissement à deux tours voulu par les radicaux et l'UDSR et souhaité par la SFIO.

  • 60 Auriol (V.), t. V, op. cit., p. 70-71

100À son retour des États-Unis, René Pleven trouva son gouvernement divisé : les radicaux dont le ministre Giacobbi était chargé de la réforme électorale, voulaient démissionner. Finalement, un comité interministériel accepta le 6 février le système transactionnel proposé par Guy Mollet, vice-président du Conseil : deux tours de scrutin avec apparentement possible au 1er et au 2e tour pour corriger les effets de la proportionnelle (il faudrait 60 % des voix au 1er tour et 55 % au second pour emporter tous les sièges). Le lendemain, au conseil des ministres, René Pleven, soutenu par Auriol, menaça de démissionner si un accord ne se faisait pas sur ce projet au sein du gouvernement. Il fut autorisé à poser la question de confiance60. Mais cette proposition gouvernementale mécontenta aussi bien les dirigeants du MRP que ceux du parti radical tandis que le débat parlementaire était repoussé au 22 février, laissant quelque répit à un gouvernement Pleven confronté au mécontentement social.

101En outre, la commission de l'Assemblée repoussa la proposition du gouvernement si bien qu'à l'ouverture du débat quatre projets étaient en concurrence. Durant l'intervalle, René Pleven, personnellement favorable au rétablissement du scrutin d'arrondissement, avait recherché un compromis avec le MRP et le parti radical, cherchant à mettre au point avec le président Auriol une tactique à suivre (rencontres du 17 et du 20 février et conseil des ministres du 21).

  • 61 L'AP 1951, p. 36-40.

102Les 22 et 23 février, huit projets et contre-projets de réforme électorale furent successivement repoussés. Alors, René Pleven, rappelant les engagements pris lors de son investiture, décida d'engager la survie de son gouvernement sur la prise en considération du projet gouvernemental, sans toutefois se prononcer pour un ou deux tours de scrutin61, ce qui était pourtant prévu.

103Des journées d'un débat “médiocre”, selon Auriol, agitées, s'ensuivirent, avec le retour du tour unique accepté par Pleven au nom d'un gouvernement en sursis le 27 février. Toutefois, afin d'éviter la crise ministérielle, le MRP décida de s'abstenir sur le vote de confiance, permettant au gouvernement d'obtenir 243 voix contre 216. Le gouvernement allait-il démissionner ? Consulté par téléphone, Vincent Auriol conseilla à Pleven de rester en place car son gouvernement n'avait pas été mis en minorité.

104Le lendemain, lors de la reprise du débat, l'Assemblée repoussa le tour unique proposé par un amendement de Delachenal (Ind.), par 16 voix de majorité, le président du conseil s'étant abstenu. Alors, à l'issue d'un conseil de cabinet, René Pleven présenta dans la soirée du 28 février la démission de son gouvernement au président Auriol “pour ne pas aggraver les divisions de la majorité”, une démission déjà proposée la veille au soir. Mais, il n'avait pas posé à nouveau la question de confiance comme le prévoyait le scénario établi en conseil des ministres.

  • 62 Le Monde, 2 mars 1951

105René Pleven préféra jeter l'éponge avant d'être renversé, contrairement à l'avis du président de la République qui souhaitait pouvoir brandir la menace d'une dissolution de la chambre, rendue possible par la deuxième crise ministérielle en moins de 18 mois. Cette fois les talents de conciliateur du député breton avaient échoué. Mais selon, Le Monde, en ne s'engageant pas à fond dans un camp contre l'autre dans cette bataille des tours, “il avait voulu éviter une cassure plus éclatante de la majorité” et ménager l'avenir. Le journaliste Rémy Roure rapportait que ses “dernières paroles à la tribune étaient empreintes de beaucoup de noblesse en même temps que d'une visible mélancolie. Le chef du gouvernement avait senti la faiblesse de son pouvoir et l'amertume de cette impuissance ”62.

106Finalement, après 7 mois et demi d'un gouvernement tourné principalement vers les problèmes militaires, René Pleven échouait sur une question politique, victime du fonctionnement de la constitution de la Quatrième République qu'il avait condamnée en 1946. Ironiquement, Jacques Fauvet, dans Le Monde du 2 mars écrivait : “Commencée par le dépôt d'un projet de loi gouvernemental qui n'en était pas un puisqu'il n'était pas approuvé par l'ensemble des ministres, l'histoire s'achève par une crise gouvernementale qui n'en est pas une puisque le ministère n'a pas été mis en minorité”. Pourtant la France n'avait plus de gouvernement.

  • 63 Auriol (V.), t. V, op. cit., p. 102-104 et 121.

107Recevant dans la soirée du 28 février un chef de gouvernement démissionnaire qu'il appréciait de plus en plus, Vincent Auriol lui rendit hommage devant les ministres. Il regretta la démission “d'un homme qui a fait ses preuves, qui a été magnifique” ajoutant “et si l'équipe a si bien marché, tout le monde en conviendra, c'est aussi parce qu'il était là”. Un compliment qui n'est pas une flatterie de circonstance car le chef de l'État réitéra devant Édouard Herriot, le président de l'Assemblée : “Il a été remarquable. Je le regrette beaucoup. C'est une grande ressource, c'est un très grand président du Conseil : il a du sang-froid, il est habile, des nerfs solides. Il faudra l'appeler à nouveau bientôt”. Puis recevant la délégation de l'UDSR, il ajouta : “Il a fait preuve des qualités remarquables de grands hommes d'État”63. Au firmament du personnel politique de la Quatrième, René Pleven avait bien subi sa première épreuve du pouvoir et brillait d'un éclat prometteur.

108D'ailleurs, lors des consultations entreprises le soir même et le 1er mars, la quasi-totalité des responsables des partis politiques suggérèrent au président de la République de rappeler Pleven pour former le gouvernement. Convoqué à l'Élysée le 1er mars, le président du Conseil sortant déclina l'offre de Vincent Auriol, d'abord parce qu'il était épuisé par près de huit mois d'intenses activités mais ”surtout pour des raisons personnelles”. En effet, en ce mois de février 1951, son épouse était gravement malade, ce qui obligea René Pleven à prendre quelque distance avec l'activité politique.

À la vice-présidence du Conseil dans le gouvernement Queuille (mars-aout 1951)

109Pour dénouer la crise ministérielle, Vincent Auriol fit alors appel successivement à Georges Bidault puis à Henri Queuille, lesquels après consultations déclinèrent cette offre. Puis Guy Mollet tenta sa chance mais ne fut pas investi le 6 mars. Alors, Henri Queuille revint sur le devant de la scène et fut finalement investi le 9 mars par 359 voix contre 205. Le lendemain, c'est un gouvernement presque inchangé qui entra en fonction : René Pleven qui faisait alors l'unanimité de la majorité devenait vice-président du Conseil aux côtés de Guy Mollet et de Georges Bidault qui faisait sa rentrée au gouvernement. On notait seulement le départ de Giacobbi gravement malade.

  • 64 Le Petit Bleu, 12 mai 1951.

110Au vu des résultats, on aurait aussi bien pu faire l'économie d'une crise ministérielle, mais ainsi allait la Quatrième République, d'autant plus que le principe du tour unique rejeté le 28 février était adopté le 16 mars. Cependant, le débat parlementaire sur la loi électorale dura tout au long du mois d'avril (le projet de scrutin de liste majoritaire à un tour avec apparentement adopté par l'Assemblée étant repoussé par le Conseil de la République). Finalement, la réforme électorale ne fut définitivement adoptée par l'Assemblée, en 3' lecture, que le 7 mai 1951 (par 332 voix contre 248), c'est-à-dire cinq semaines seulement avant la date fixée pour les élections, une loi que René Pleven acceptait même s'il ne la jugeait pas satisfaisante...64

111Déchargé du premier rôle, sans attributions précises dans le gouvernement dont il était l'un des trépieds, René Pleven eut davantage de temps au printemps 1951 à consacrer à son Conseil général et à ses électeurs des Côtes-du-Nord.

Réélection triomphale aux élections législatives (17 juin 1951)

  • 65 Ibid., 26 mai 1951.
  • 66 Bougeard (Ch.), thèse citée, p. 1862-1875

112Au faîte de sa popularité dans un département où il revenait régulièrement en fin de semaine prendre le pouls de la population, René Pleven fut la véritable locomotive électorale lors des élections législatives de 1951. Sa liste dite de concentration républicaine et d'action économique et sociale, “de large union”65, n'était plus dans l'inconfortable position de celle de novembre 1946. L'adversaire était clairement désigné : “Oui pour la France, Oui pour la Paix, il faut battre les communistes” titrait Le Petit Bleu du 16 juin 1951. En outre, le vice- président du Conseil avait conclu un apparentement comme dans 86 autres circonscriptions avec les listes de la SFIO et du MRP conduites par Antoine Mazier et Henri Bouret, deux députés sortants66.

113Pour ratisser le plus large possible et élargir l'alliance qui avait bien réussi au Conseil de la République en 1948 — les trois sénateurs qu'il soutenait avaient été élus — René Pleven avait composé une liste de coalition axée au centre et à droite. Cette concentration était formée, expliquait-il à ses électeurs, en vertu d'accords nationaux entre l'Union des indépendants paysans et des républicains nationaux d'une part, de l'UDSR et des radicaux du RGR d'autre part. Il ne restait plus que deux colistiers de 1946 : l'agriculteur Pierre Bourdellès (rad. ind., ex-RPF) figurait en 2e position, l'industriel Charles Royer (ind.), l'ancien maire de la Libération de Saint-Brieuc (1944-1947) en 5' place.

114Mais à côté de cet ancien résistant et d'une veuve de déporté, Mme Le Verger de Loudéac, la nouveauté résidait dans la présence d'un grand notable du monde rural qui faisait sa rentrée politique, Yves Le Cozannet (ind. paysan), président de la chambre d'agriculture des Côtes-du-Nord. Le Cozannet avait été député démocrate chrétien du Trégor (PDP) de 1930 à 1932, puis en tant que représentant de la coopérative de Landerneau, syndic départemental de la Corporation de Vichy pendant la guerre. Refusé par le MRP pour défendre ses couleurs à la dépuration en 1946, il revenait avec la droite paysanne en position éligible à la 3e place. Pour compléter cette liste, habilement bâtie, le maire de Guingamp, Henri Kerfant (4e) représentait un parti radical nettement situé au centre droit et Jacques Waron, opticien à Saint-Brieuc, l'UDSR dont il était secrétaire général.

115Mais la liste Pleven avait des rivaux sur son propre terrain : au centre gauche avec une liste d'entente républicaine hostile au RGR (et sur laquelle figurait Michel Geistdœrfer, l'ancien député de Dinan) qui obtiendra 4 % des suffrages et surtout à droite avec une liste du RPF. Le Petit Bleu avait d'ailleurs prévenu ses lecteurs et les électeurs : “Vous voulez que ça change ! alors ne votez pas RPF”.

  • 67 AD Côtes-d'Armor. 1 W 12.

116La rupture était bien consommée entre René Pleven et ses anciens compagnons. La fédération des Côtes-du-Nord du RPF qui était passée d'environ 4 000 adhérents en 1947 à 800 selon les Renseignements généraux, fut réorganisée au début de 1950. Après son entrée au gouvernement, René Pleven devint une cible de choix de la propagande du parti gaulliste (affiches, réunions publiques...). Par exemple, en février 1950, le colonel Rémy fit une tournée de conférences dans le département. À Dinan, devant 250 personnes, il mit en cause certains venus à Londres “uniquement pour protéger leur personne” précisant : “vous connaissez fort bien l'un d'entre eux, c'est un homme grand, il n'a que cela de comparable avec de Gaulle”67.

  • 68 Debré (Michel), Trois républiques pour une France, Mémoires, II, Agir, Albin Michel, 1988, p. 153.

117Durant l'automne 1950, des notables RGR des Côtes-du-Nord quittèrent le RPF, notamment le sénateur Cornu. Si l'on en croit Michel Debré, le général de Gaulle apprenant au téléphone l'apparentement de la liste Pleven avec celles de la SFIO et du MRP se serait exclamé : “Ce Pleven que j'ai aimé... ”68. Mais à cette date, les dirigeants du RPF avaient déjà “parachuté” une personnalité de poids pour conduire la liste de leur parti dans les Côtes-du-Nord. Il s'agissait de Louis Terrenoire le député de l'Orne, ancien résistant et ancien membre du MRP. Aussi, ce dernier débarqua-t-il au congrès départemental du Rassemblement à Saint-Brieuc le 25 février 1951 pour faire entériner sa candidature. Et malgré ses faibles assises électorales (2 conseillers généraux sur 48), le RPF obtint 16,9 % des suffrages exprimés aux élections législatives mais aucun siège compte tenu du système des apparentements.

118L'autre victime de ce système fut naturellement le PCF, solidement implanté dans l'ouest bretonnant, dont la liste arrivait en tête avec 26,6 % des voix mais qui perdait ses deux députés sortants. Si le tassement était net (une perte de 5,1 % sur 1946), le PC résistait bien obtenant plus de voix que la liste Pleven. Mais Le Petit Bleu du 23 juin sous-titrait sa une : “Les 2 communistes sont battus et perdent 17 000 voix”. Il notait aussi que le RPF avait perdu 1 000 voix à Saint-Brieuc, une ville-témoin où il possédait le premier groupe au conseil municipal.

  • 69 Le Petit Bleu, 16 et 23 juin 1951

119Naturellement, la liste Pleven centriste (12,3 % en 1946) alliée à la droite traditionnelle était la grande gagnante de cette consultation avec 23,2 % des voix (60 578 en moyenne contre 69 340 à la liste communiste) et un leader, premier élu du département, réunissant sur son nom 73 335 voix. Mais malgré ce succès indéniable (plus 25 000 voix par rapport à 1946), la liste Pleven concurrencée par celle du RPF à droite, n'obtenait que 3 sièges et non 4 voire 5 comme son leader pensait pouvoir le pronostiquer la veille du scrutin 69Le MRP avec 14,5 % des voix (un recul de 21,7 % sur 1946) était le grand perdant de la poussée RPF mais il gardait deux sièges grâce à l'apparentement, tout comme la SFIO (moins 6,3 %) qui avec 13,7 % en gagnait un.

  • 70 Bougeard (Ch.), thèse cité, p. 1868-1870.

120René Pleven pouvait être heureux d'avoir gagné son pari en éliminant les deux députés communistes sortants et en limitant la poussée du RPF. L'élaboration de la loi électorale qui avait fait tomber son gouvernement se révélait finalement bénéfique dans la mesure où les 3 listes apparentées (dépassant de peu les 50 %) se partageaient tous les sièges de députés (sept) comme dans 39 départements français70.

  • 71 Le Petit Bleu, 23 juin 1951.

121Tirant les leçons du scrutin national dans son éditorial : “La France a parlé”, T.-R. Gauthier, c'est-à-dire René Pleven, soulignait que “le grand triomphateur” était “le bon sens français” (contre le danger communiste et contre le sectarisme gaulliste) et que la France en sortait “plus forte, plus respectée”. “En faisant confiance à ceux qui réalisent et non pas à ceux qui promettent, elle encourage tous les démocrates à persévérer dans leurs efforts de mise en ordre, d'amélioration économique, de progrès social, de sécurité collective”71. Dans la foulée, le chef de la troisième force et président du Conseil général des Côtes- du-Nord songeait déjà aux élections cantonales de l'automne 1951 et à la poursuite de “la petite croisade” entreprise pour reconquérir du terrain sur le PCF.

  • 72 Bougeard (Ch.), thèse citée, p. 1958-1962.

122En effet, aux élections cantonales d'octobre 1951, la gauche divisée poursuivit un recul engagé en 1947-1949 : en perdant 2 sièges chacun, le PCF et la SFIO tombaient à 6 conseillers généraux seulement, le RGR reculait aussi (moins 3) au profit d'un UDSR mais surtout des indépendants qui passaient de 8 à 15 sièges. René Pleven avait conservé son fief de Dinan- est dès le premier tour. Travaillant déjà avec les indépendants, il était ensuite réélu pour la troisième fois président du Conseil général des Côtes-du-Nord le 17 octobre 1951 avec la confortable majorité de 41 voix contre 6. Cette forte majorité pléveniste (renouvelée en septembre 1952) était le fruit d'un rapprochement avec le MRP dès 1950, sur le vote de subventions à l'école privée, et de l'apparentement de 1951 avec la SFIO, qui se voulait pourtant le défenseur de la laïcité72

123Dans les Côtes-du-Nord, en ce début des années 1950, le réseau de notables du “radical-plévenisme” était d'autant plus solide qu'à l'issue des élections législatives de 1951, du fait du glissement à droite de la nouvelle Assemblée, des alliances réalisées sur le terrain et de l'expérience gouvernementale acquise, le vice-président du Conseil sortant pouvait s'attendre à continuer à jouer un rôle politique national. René Pleven avait fait le bon choix en entrant au gouvernement à l'automne 1949 (contre la tentation RPF). Et ce choix venait d'être conforté par les électeurs. Sous la pression d'une situation internationale très tendue en 1950-1951, René Pleven avait fait preuve dans l'urgence à la fois d'habileté politique et de fermeté dans des négociations menées avec les Anglo-Saxons comme sur le plan intérieur. La lutte contre le danger communiste primant tout, le député de Dinan était entré dans le petit groupe des hommes capables de diriger le pays. Comme la nouvelle assemblée allait avoir beaucoup de difficultés à se donner un nouveau gouvernement durant l'été 1951, René Pleven pouvait faire figure de recours obligé.

Notes

1 Auriol (Vincent), Journal du septennat, 1949, t. iii, A. Colin, 1977, p. 89-90

2 Ibid., p. 285 et 289

3 Ibid.

4 Ruscio (Alain), “L'opinion française et la guerre d'Indochine (1945-1954)”, Vingtième Siècle, n° 29, janvier-mars 1991, p. 35-45.

5 Dalloz (Jacques), La guerre d'Indochine 1945-1954, Le Seuil, 1987, chap. 5.

6 .Ibid., p. 159-162.

7 .AD Côtes-d’Armor. L'Aube Nouvelle, 27 mars 1950.

8 Auriol (V.), op. cit., p. 175

9 Le Petit Bleu, 23 juillet et 26 novembre 1949. Certains éditoriaux sont signés Vandrot pendant cette période

10 L'AP 1950, p. 112-115.

11 Le Petit Bleu, 18 mars 1950.

12 L'AP 1950

13 Monnet (Jean), Mémoires, op. cit., chap. xii et p. 434-440.

14 Bulletin de Paris X Nanterre, op. cit., p. 32-33.

15 Le Petit Bleu, 15 janvier 1949

16 Bulletin de Paris X Nanterre, op.cit., p. 36-37.

17 L'AP 1950, p. 146-154.

18 Le Monde, 6 juillet 1950.

19 Auriol (V.), Mon septennat 1947-1954, Gallimard, 1970, p. 279-281.

20 Le Monde, 9-10 juillet 1950.

21 Rimbaud (Christiane), Pinay, Perrin, 1990, p. 79-80.

22 L'AP 1950, p. 153-154

23 Giesbert (Franz-Olivier), François Mitterrand, Le Seuil, 2em édit. 1990, p. 145.

24 Lapie (Pierre-Olivier), De Léon Blum à de Gaulle, Fayard, 1971, p. 374-378

25 Auriol (V.), op. cit., Gallimard, p. 306-311.

26 Lapie (P.-O.), op. cit., p. 281-282.

27 Faure (Edgar), MémoiresI, op. cit., p. 289-290.

28 Lapie (P.-O.), op. cit., p. 326.

29 Ibid., p. 292

30 L'AP 1950, p. 166-169 et Le Monde, 21 juillet 1950.

31 Mélandri (Pierre), “Les États-Unis et le Plan Pleven. Octobre 1950-juillet 1951”, Relations internationales, 1977, n° 11, p. 201-229

32 L'AP 1950, p. 179-182.

33 Doise (Jean) / Vaïsse (Maurice), Diplomatie et outil militaire 1871-1991, 2' éd. Le Seuil, 1992, p. 518.

34 Le Petit Bleu, 9 septembre 1950 et Le Monde, 3-4, 5 septembre 1950

35 Auriol (V.), op. cit., Gallimard, p. 288.

36 Monnet (Jean), op. cit., chap. xiv, p. 487-510.

37 Bulletin de Paris X-Nanterre, op. cit., p. 32-36.

38 Mélandri (Pierre), op. cit., p. 211-215.

39 Bulletin de Paris X Nanterre, op. cit., p. 34.

40 Cité dans le Monde du 2 mars 1951.

41 Auriol (V.), op. cit., p. 309-312.

42 Le Monde, 18 et 20 janvier 1951.

43 Ibid, du 27 au 6 février 1951.

44 Auriol (V.), Journal du septennat, 1951, t. V, A. Colin, 1975, p. 70-71.

45 Ibid.

46 Rioux (Jean-Pierre), La France de la Quatrième République, t. 1 p. 256-257

47 L'AP 1951, p. 154-155, 171-173, 191.

48 L'AP 1951, p. 40-41.

49 Le Monde, 2 janvier 1951

50 L'AP 1951, p. 2.

51 Doise y.) / Vaïsse (M.), op. cit., p. 518.

52 Le Monde, 8-9 septembre 1950

53 Rioux (J--P.). t. 1, op. cit., p. 224-225

54 Instruction citée par Georgette Elgey, La République des illusions, op. cit., p. 465 et Le Monde, 11 et 25 janvier 1951

55 Rousso (Henry), Le syndrome de Vichy, 1944-198..., Le Seuil, 1987, Ier partie, chap. 1.

56 Dalloz (J.), op. cit., p. 172-188 et L'histoire, nov. 1990, n° 138, p. 74-76

57 Le Petit Bleu, 21 octobre 1951.

58 Dalloz (J.-). op. cit., p. 186.

59 Giesbert (Fr.-O.), op. cit., p. 145-150 et Siriex (Paul-Henri), “Entre Houphouët et MitterrandJeune Afrique, 17-23 mars 1994, p. 96-97.

60 Auriol (V.), t. V, op. cit., p. 70-71

61 L'AP 1951, p. 36-40.

62 Le Monde, 2 mars 1951

63 Auriol (V.), t. V, op. cit., p. 102-104 et 121.

64 Le Petit Bleu, 12 mai 1951.

65 Ibid., 26 mai 1951.

66 Bougeard (Ch.), thèse citée, p. 1862-1875

67 AD Côtes-d'Armor. 1 W 12.

68 Debré (Michel), Trois républiques pour une France, Mémoires, II, Agir, Albin Michel, 1988, p. 153.

69 Le Petit Bleu, 16 et 23 juin 1951

70 Bougeard (Ch.), thèse cité, p. 1868-1870.

71 Le Petit Bleu, 23 juin 1951.

72 Bougeard (Ch.), thèse citée, p. 1958-1962.

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