Du local à l’international : plaidoyer pour les emboîtements d’échelles
p. 231-241
Texte intégral
1Mes premiers pas dans la recherche m’ont d’abord conduit à faire de l’histoire locale au risque parfois d’être enfermé, par la suite, sous cette étiquette. Ainsi, tout juste inscrit en thèse avec Jacqueline Sainclivier et recruté comme « correspondant départemental de l’Institut d’Histoire du Temps Présent (IHTP) pour le Maine-et-Loire », je n’oublierai jamais ma première participation à un colloque universitaire les 29-30 septembre 1994 à l’université Rennes 2 sur le thème : La Résistance et les Français. Enjeux stratégiques et environnement social1. Durant les années suivantes, entre une thèse à cadre monographique sur l’épuration en Anjou2 et les enquêtes de l’IHTP comme correspondant pour le Maine-et-Loire, j’ai creusé le sillon angevin. Attaché à ce terroir qui fut longtemps mon champ d’études privilégié, je suis devenu, au fil du temps, un historien de l’Anjou. Nulle dimension militante dans cette démarche, au sein d’un territoire qui, s’il a le goût de l’histoire, ne l’utilise pas, contrairement à d’autres régions, à des fins identitaires3. Cet espace de recherche reste encore très présent dans mon activité scientifique, j’ai contribué à des travaux de synthèse4 et j’y réponds encore souvent à la demande sociale. À ce titre, j’ai d’ailleurs été invité dans le cadre d’un colloque relatif aux Historiens de l’Anjou, à livrer une contribution sur ma propre expérience5. Cette première analyse introspective sert de point de départ à la réflexion suivante, sans la reprendre cependant.
2En effet, ma formation de chercheur reste profondément marquée par mon passage au sein de l’IHTP entre 1994 et 2002 et ma participation à plusieurs grandes enquêtes collectives : La Résistance et les Français, Les élites locales dans la tourmente du Front Populaire aux années 1950, Les années 68 : le temps de la contestation. Attaché à cette façon d’écrire l’histoire, j’ai dans la continuité participé au groupe de recherche Crises et conscience de crise, animé à Paris 1 Sorbonne – IRICE de 2002 à 2004. De même, j’ai été entre 2002 et 2010, un membre actif du GDR 2539 du CNRS Les entreprises françaises sous l’Occupation6. Je conserve de cet héritage une culture des emboîtements d’échelles comme « marque de fabrique » de nombreux travaux. Entre théorie et pratique, c’est précisément l’objet de cet article à travers trois retours d’expériences.
L’écriture de l’histoire en réseau
3J’ai eu la chance au début de ma carrière de chercheur de participer à une grande aventure collective au sein de l’Institut d’Histoire du Temps Présent. Un laboratoire adepte de vrais emboîtements d’échelles dans le cadre de vastes enquêtes collectives problématisées au niveau national et déclinées ensuite au niveau local par un réseau serré de correspondants départementaux. Un réseau original qui couvrait tout l’hexagone ou presque à une époque (82 correspondants en 1997)7. Un réseau « permanent » exemplaire en SHS8 qui, au-delà de son travail purement scientifique, offrait plusieurs vertus institutionnelles. En effet, constitué pour large partie de professeurs de l’enseignement secondaire, le réseau créait de fait un chaînon souvent manquant ou déficient entre secondaire et milieu de la recherche. De plus, il est indiscutable qu’il participait d’un processus de formation à la recherche par la recherche. Nombreux sont les correspondants qui, comme moi, en parallèle des enquêtes, ont engagé et soutenu des thèses voire sont entrés par la suite dans le supérieur. Sur le terrain la relation du « correspondant », à l’expertise souvent reconnue, avec les archivistes notamment, s’avérait souvent essentielle. Le/la correspondant(e) disposait alors de la crédibilité du laboratoire tout en lui assurant en retour par son assise locale une « visibilité nationale » sans beaucoup d’équivalent pour un laboratoire de SHS.
4En effet, rares étaient les préfectures, les rectorats et inspections académiques où l’on n’associait pas « le correspondant départemental de l’IHTP » à de multiples initiatives en lien avec ses travaux. Bien entendu, gagner la confiance de ces partenaires ne se fait pas du jour au lendemain et cela supposait sans doute une certaine stabilité des correspondants d’une enquête à l’autre. Cependant, une fois gagnée, celle-ci ouvrait de nombreuses portes souvent précieuses au regard des archives sensibles consultées. Des réalités « locales » qui ont été, à mon avis, sous-estimées lorsque la décision de « réformer9 » le réseau a été prise par la direction de l’IHTP, contribuant de fait à son affaiblissement. C’est pourquoi, je n’ai pour ma part jamais considéré que, sous le couvert de cette évolution, « le réseau a été modernisé10 », sauf à vouloir « ringardiser » l’ancien sans vraiment être en mesure de le remplacer.
5Les vertus de la méthode et la qualité des résultats obtenus ne sont pourtant plus à démontrer notamment sur l’important renouvellement historiographique en matière d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, et en particulier de la Résistance11, mais aussi encore récemment autour du vécu de la guerre d’Algérie en métropole12. Me concernant, outre mes recherches relatives à la guerre et ma contribution aux travaux sur les années 68, j’ai également participé au programme de recherche sur les élites locales en France des années 1930 aux années 195013. Dans la continuité de la grande enquête sur les maires initiée par Maurice Agulhon14, c’était le type même d’objet qui se prêtait à ce genre d’exercice. Du moins, comme c’était le pari initial, si l’on veut dépasser les seuls résultats électoraux (aisément perceptibles par le « haut ») pour s’intéresser aux facteurs de socialisation politique, aux réseaux, aux glissements ou reclassements, à une prosopographie fine des élu(e)s, aux candidat(e)s15... Comme le rappelait l’avant-propos de l’ouvrage produit à l’issue de l’enquête :
« Le réseau des correspondants départementaux de l’Institut d’histoire du temps présent permettait de relever ce défi. Cinq années durant, plusieurs dizaines d’historiens ont ainsi défriché, de conserve, cette nouvelle piste de recherche. Des rencontres régulières16 permirent d’affiner les problématiques et de préciser les questionnements17. »
6Dès lors, l’enjeu était d’être en mesure de dégager des idées-forces ou une hiérarchie des variables dominantes sans appauvrir la source d’un matériau local nécessairement très éclaté et tout en évitant une tendance à l’éparpillement des conclusions. C’est ainsi que, contrairement à ce que présupposait une certaine vulgate de la « parenthèse de Vichy », l’enquête démontra que si rupture il y eut, elle se déroula à la Libération beaucoup plus qu’en 1940. De même et là encore à l’encontre de certaines idées reçues, la « vague RPF » méritait d’être sérieusement nuancée, du moins analysée sous l’angle du renouvellement des élus. Dans une dynamique voisine et complémentaire, quelques années plus tard, le travail collectif dirigé notamment par Jacqueline Sainclivier revisitera totalement l’idée très répandue selon laquelle 1945 était « l’année zéro » pour la droite en France. Une disparition ou un effacement qui, après examen là encore sur le terrain régional ou des forces partisanes, se révélera très relatif : l’idée d’une recomposition des droites en France à la Libération (1944-1948) s’avérant beaucoup plus juste. C’est du moins, l’un des résultats en trompe-l’œil auquel, avec d’autres, j’aboutissais dans ma contribution : « La recomposition des droites dans les marges du grand Ouest (Mayenne, Maine-et-Loire, Deux-Sèvres, Vendée)18. »
7Bien entendu, on n’écrit sans doute pas la même histoire seul ou à 50, même si cette question reste souvent un impensé, y compris des réflexions à caractère épistémologique19. Un angle mort curieux à une époque où pourtant on ne cesse d’encourager les historiens à « monter » des projets collectifs et si possible internationaux. Exception notable, en 2005, Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques ont consacré un numéro spécial à la thématique « Pour une histoire de la recherche collective en sciences sociales ». Denis Peschanski y livrait notamment une réflexion sur son expérience de responsable du réseau des correspondants de l’IHTP entre 1982 et 199620. Il y plaidait pour une forme bien spécifique d’écriture dont l’originalité tenait d’abord à ce qu’elle n’était pas21. Pour autant, je reste convaincu qu’avec un sujet et des objectifs adaptés, un cadrage strict et régulier du projet, une définition préalable de son périmètre (spatial, chronologique) mais aussi des catégories, termes ou concepts en usage... la méthode reste valide et efficace. D’ailleurs, le département constituait un cadre de travail (sources) mais pas forcément un cadre d’analyse exclusif, certaines études portant sur des espaces plus spécifiques (ville, banlieue, région) ou des acteurs locaux. De même, l’enquête interrogeait toujours le cadre national sans que pour autant celui-ci soit regardé comme le cadre « normatif » qui s’impose à tous et partout au même rythme et de la même façon. Au contraire, dans une tension constante entre unité et diversité, il s’agissait de faire apparaître d’autres expériences ou chronologies qui enrichissent la connaissance de l’événement. Encore une fois, le choix de l’échelle est déterminant, et il faut surtout s’assurer de sa pertinence au préalable22. Ainsi, il faut impérativement que le collectif apporte une réelle plus-value méthodologique et scientifique en retenant prioritairement un objet que ne pourrait entreprendre un chercheur isolé, par l’ampleur des sources ou échelles mobilisables.
« Ne m’appelez plus jamais France, la France elle m’a laissé tomber23 »
8En guise de propos liminaire, il convient de souligner combien de la « révolution » micro-historique des années 1980 au regain d’intérêt récent pour une « histoire globale et connectée24 » sur fond de mondialisation des enjeux, la question du choix de l’échelle spatiale a cessé, depuis longtemps, d’être un impensé pour les historiens25. Ayant rompu avec « une longue indifférence épistémologique à l’espace », la réflexion historienne admet aujourd’hui qu’en jouant sur la focale spatiale, on fait apparaître une autre trame, une autre organisation, une autre expérience... et qu’en conséquence on n’accède donc pas au même niveau de connaissance. Sans s’appesantir, il me semble important de rappeler quelques précautions méthodologiques indispensables à celles et ceux qui seraient tentés de « faire de l’histoire locale26 ». En effet, il ne s’agit pas de céder à tout prix aux vertiges du tout local, de l’individuel ou du très petit sur le mode small is beautiful. De même, l’objectif n’est pas d’opposer les apports ou mérites comparés d’une perception par « le haut » ou par « le bas ». L’enjeu consiste plutôt à les articuler et à reconnaître que la réalité historique n’est pas la même selon le niveau d’analyse ou plutôt l’échelle d’observation. Dès lors, le but n’est pas de postuler que le contexte général va nécessairement éclairer ou s’appliquer à son espace d’étude, mais plutôt d’observer une éventuelle pluralité de contextes particuliers qui construisent, mais aussi affinent un processus plus global. Mes réflexions sur la fin du paquebot France s’inscrivent pleinement dans cette dynamique.
9Reprise plusieurs fois depuis et sous différentes formes27 en raison de la fascination que continue à exercer l’objet paquebot France dans le grand public, mon étude initiale participait d’un séminaire de recherche autour « du sentiment de crise28 ». Coordonné par Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie Françoise Lévy, Maryvonne Le Puloch et Michelle Zancarini-Fournel, ce séminaire de l’IRICE-Paris 1 visait notamment à mesurer quand, comment et pourquoi les contemporains ont intériorisé une « conscience de la crise ». Un objet complexe qui imposait d’emblée un choix d’échelles multiples pour penser la/les crise(s) mais aussi pour dépasser les lectures macro-économiques d’un phénomène mondial. En effet, si ces dernières fixent à « la crise » des bornes commodes (les chocs pétroliers de 1973 et 1980, notamment), elles ne nous disent pas grand-chose in fine de la perception réelle que les populations ont eu du phénomène. Ainsi, l’ambition était bien d’analyser la chronologie et les modalités d’une certaine « conscientisation » d’un processus mondialisé. C’est dans cette optique que je me suis concentré à partir de sources primaires originales29 sur la fin du paquebot France, à savoir la période intermédiaire entre son désarmement (automne 1974) et sa vente (été 1979) comme un marqueur social significatif de l’entrée en crise. Une période durant laquelle il est remisé dans l’arrière-port le long du canal central dans un lieu que les Havrais ne vont pas tarder à baptiser « quai de l’oubli ». Lieu de promenades dominicales havraises, il cristallise progressivement le déclin de la cité tout en devenant de fait un véritable « lieu de mémoire » d’un passé glorieux que beaucoup ressentent comme définitivement révolu.
10Vitrine du prestige de la France à ses heures glorieuses, le paquebot se transforme alors en vitrine d’une politique d’abandon et de renoncement à l’instar de la chanson de Michel Sardou de décembre 1975 : « Ne m’appelez plus jamais France, la France elle m’a laissé tomber. » Scène symbolique de la contestation sociale, à plusieurs reprises des conflits extérieurs (Atochimie, construction navale, ouvriers de la chaussure de Fougères...) se transportent sur le navire l’espace de quelques heures ou jours parfois. L’action la plus spectaculaire demeure cependant les 5 jours d’occupation du France par le syndicat du livre et les ouvriers du Parisien libéré entre les 18 et 23 mars 1976. Les responsables syndicaux revendiquent alors clairement son caractère emblématique. Ainsi René Lepeu, du comité intersyndical du livre parisien : « Nous offrons en occupant ce magnifique navire aujourd’hui désarmé l’image même de l’abandon au nom du gaspillage et du profit. » ou encore Henri Krasucki, responsable CGT : « La France est pour des millions de Français le symbole de l’abandon, de la braderie opérée par la classe dirigeante et par le gouvernement. Ce bateau est aussi une plaie qui reste sensible au cœur de la nation. » Aussi, lorsque Le Monde écrit en août 1979 : « C’est une certaine idée de la France qui s’éloigne dans l’été froid du Havre30 », la boucle se referme. Le et la France entrent bel et bien dans une ère économique et sociale nouvelle. Une prise de conscience qui n’est pas immédiate en 1974 mais qui, en 1979, du fait de l’aggravation et de la conjonction des crises, apparaît désormais à tous les observateurs comme beaucoup plus évidente !
11Comme on vient de le voir, la pratique de la monographie pour la monographie, non problématisée et sans dimension comparée, ou inversement la seule volonté d’un découpage en « tranches » d’une histoire plus vaste, sont à proscrire sauf à faire du cadre spatial un cadre purement fonctionnel, « pratique » ou « neutre », ce qu’il n’est pas. De même, il ne faudrait pas davantage croire naïvement qu’à l’échelle nationale, on fait de l’histoire nationale et... à l’échelle locale, uniquement de l’histoire locale : d’ailleurs, l’orientation actuelle vers une histoire « croisée » et « connectée » n’exclut pas la micro-approche, bien au contraire.
12En effet, la hiérarchie des niveaux d’observation ne conditionne pas automatiquement la hiérarchie des enjeux historiques et l’on peut très bien imaginer faire de l’histoire des relations internationales à une échelle réduite.
« Les États-Unis and Caux »
13C’est dans cet esprit que j’ai abordé la question de la présence américaine en France à la Libération à travers une étude intitulée Français et Américains en Basse Seine à la Libération (1944-1946)31. Point majeur d’entrée mais aussi de sortie du territoire, le grand Ouest entretient un rapport privilégié aux Américains durant les deux conflits mondiaux. Situation unique à l’échelle française voire européenne, le port du Havre32 et au-delà l’ensemble de la Basse-Seine constituent, à compter d’octobre 1944, un énorme centre de transit pour les troupes américaines : les « camps cigarettes33 » ont accueilli plusieurs centaines de milliers d’Américains entre 1944 et 1946. Même si l’écrasante majorité des soldats américains n’effectue qu’un bref séjour (de 72 heures à 10 jours en moyenne) en Seine-Inférieure, la présence américaine y est massive et donc visible pour les populations. Ils représentent en permanence près de 10 % de la population du Havre entre 1944 et 1946. Dans les zones rurales voisines des camps, la pression démographique est parfois bien supérieure : ainsi, la population totale des six communes d’implantation du camp Lucky Strike n’atteint pas le quart des effectifs américains qui y stationnent34.
14Or, si beaucoup de régions ont vu passer des soldats américains, plus rares sont celles où ils ont stationné durablement. À l’échelle de l’Ouest, la Seine-Inférieure représentait, pour cette raison, un observatoire privilégié permettant de dépasser les images certes emblématiques mais le plus souvent fugaces des soldats américains à la Libération. Des images de liesse et de GI’S joyeux distribuant chewing-gums et cigarettes qui, un peu partout, sont ancrées dans la mémoire collective. Dès lors, après avoir rapidement présenté les conditions et l’organisation de l’implantation américaine en Basse-Seine35, la problématique retenue consistait surtout en une étude de la perception des libérateurs par l’opinion publique locale et au-delà d’un certain imaginaire social des États-Unis et des Américains en France à la Libération36. Ce qui se joue au Havre à la Libération, c’est finalement la rencontre de deux prétentions à la puissance dont l’une est d’autant plus éclatante que l’autre est exsangue et n’a pas ou plus les moyens de sa politique. Comme souvent dans les relations entre les deux pays37, Américains et Français forment alors un couple repoussoir, où se mêlent en permanence admiration et irritation, fascination et humiliation.
15À la lumière des exemples précédents, il est donc préférable d’adopter le présupposé méthodologique selon lequel chaque acteur historique participe de façon plus ou moins proche ou lointaine à des contextes sociaux, politiques, économiques ou culturels plus larges et de dimensions variables. Jouer sur les échelles permet alors de « comprendre comment des processus sociaux englobants, et que nous ne saisissons communément que dans leur définition la plus large, ont été portés par des trajectoires particulières, celle d’individus ou de groupes38 ».
Conclusion
16 In fine, le choix de l’échelle est donc d’abord une question de méthode et de problématique, seule la variation d’échelle se révélant féconde pour rendre possible la construction d’objets historiques toujours complexes. C’était d’ailleurs l’un des paris de mon mémoire inédit d’habilitation à diriger des recherches (HDR) élaboré à l’interface de plusieurs échelles d’analyse : national-international, État-société mais aussi collectif-individuel (jusqu’à l’expérience de la biographie). En effet, tout en s’inscrivant dans une certaine continuité avec mes travaux précédents, il témoigne d’une mobilité à la fois géographique, thématique et chronologique, sous l’intitulé : La postérité de Vichy au Québec. L’affaire des réfugiés politiques au Canada : retour sur l’événement, sa mémoire et l’écriture de son histoire39. Ce mémoire propose une histoire connectée entre la France et le Québec qui débouche sur la construction d’un objet hybride. De fait, il s’agit d’une histoire franco-québécoise qui est tout à la fois une histoire française (une histoire internationale de la France), une histoire québécoise (voire canadienne) et une histoire mixte (via l’analyse d’un groupe d’exilés-réfugiés). Une histoire soulignant au passage le poids des relations inter-sociétales voire interpersonnelles dans une histoire des relations internationales qui ne saurait se limiter aux seules relations diplomatiques ou interétatiques.
17En accord avec Bernard Lepetit, j’en arrive donc à la conclusion qu’aucune échelle ne doit jouir d’un privilège particulier et que les macro-phénomènes ne sont pas moins réels que les microphénomènes ou inversement. Il n’y a donc pas de hiérarchie méthodologique ou heuristique entre eux et seule « la multiplication contrôlée des échelles de l’observation est susceptible de produire un gain de connaissance dès lors que l’on accepte de postuler la complexité du réel40 »... De même, la question de la généralisation doit moins se poser en terme de modélisation qu’en terme de champ de validité !
Notes de bas de page
1 Ce fut aussi ma première publication scientifique, Bergère M., « Tensions et rivalités entre les pouvoirs issus de la Résistance en Maine-et-Loire », dans Sainclivier J. et C. Bougeard (dir.), La Résistance et les Français. Enjeux stratégiques et environnement social, Rennes, PUR, 1995, p. 295-305.
2 Une thèse soutenue en 2001 à Rennes 2 (J. Sainclivier dir.) et publiée en 2004 sous le titre : Une société en épuration. Épuration vécue et perçue en Maine-et-Loire de la Libération au début des années 1950, Rennes, PUR.
3 Jean-Luc Marais en introduction du livre Historiens de l’Anjou, avance l’hypothèse suivante : « L’identité angevine n’utilise pas l’histoire comme un argumentaire, elle est en soi une pratique de l’histoire. », Rennes, PUR, 2012, p. 12.
4 La dernière en date, en collaboration avec Marais J.-L. (dir.), Le Maine-et-Loire aux XIXe et XXe siècles, Paris, Picard, 2009.
5 Bergère M., « Faire l’histoire d’un département ordinaire en situations extraordinaires (1940-1945, années 68) », dans Marais J.-L. (dir.), Historiens de l’Anjou, Rennes, PUR, 2012, p. 193-202.
6 J’ai notamment organisé le 6e colloque du GDR, Bergère M. (dir.), L’épuration économique en France à la Libération, Rennes, PUR, 2008.
7 Institut d’Histoire du Temps Présent, Rapport d’activité 1997-2001, p. 26.
8 Un potentiel de recherche qui pouvait, le cas échéant, recouper ou s’associer à d’autres équipes/programmes de recherche interne à l’IHTP (Les années 68, dans mon cas par exemple) ou externe (Le Maitron du Centre d’histoire sociale du XXe siècle).
9 Le « réformer » consistait à recruter un nombre et des correspondants différents selon les enquêtes.
10 Institut d’Histoire du Temps Présent, Rapport d’activité 1997-2001, p. 27. Le rapport dit précisément : « Le réseau a été modernisé. Il fonctionne désormais avec un nombre qui correspond aux besoins spécifiques des enquêtes en cours. »
11 Le projet intitulé la Résistance et les Français fut porté conjointement à compter de 1993 par l’IHTP (Robert Frank, Denis Peschanski, Dominique Veillon), les universités de Rennes 2 (Jacqueline Sainclivier, Christian Bougeard), Aix-Marseille (Jean-Marie Guillon, Robert Mencherini), Toulouse-Le Mirail (Pierre Laborie), Besançon (François Marcot), Bourgogne (Serge Wolikow) et le centre d’études et de recherches historiques de la Seconde Guerre mondiale de Bruxelles (José Gotovitch, Pieter Lagrou). Le projet entre 1993 et 1997 s’est concrétisé par la publication de plusieurs livres collectifs issus de colloques intermédiaires (6). Il a mobilisé près de 150 chercheurs. L’ensemble des matériaux accumulés a fait l’objet d’une importante synthèse réflexive « La Résistance et les Français. Nouvelles approches », Les Cahiers de l’IHTP, no 37, décembre 1997.
12 Branche R., S. Thénault (dir.) La France en guerre 1954-1962 Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne, Autrement, 2008.
13 Bergère M., « Jean de Geoffre, un élu très angevin » et « Le Maine-et-Loire », dans Le Béguec G. et D. Peschanski (dir.), Les élites locales dans la tourmente. Du Front populaire aux années cinquante, Paris CNRS éditions, 2000, p. 111-117 et 325-333.
14 Sous l’égide du centre d’histoire du XIXe siècle des universités Paris I et Paris IV. Agulhon M., L. Girard, J.-L. Robert, W. Serman (dir.), Histoire des maires en France du Consulat à nos jours, Paris, Publications de la Sorbonne, 1986.
15 Le nombre et la diversité des candidat(e)s constituent par exemple un moyen commode de percevoir l’éventuelle érosion d’un notable mais aussi de mesurer une certaine forme de féminisation à partir de 1945. Or cette information n’est disponible ou mobilisable qu’à une échelle adaptée.
16 À Paris (à raison de trois réunions chaque année) mais aussi en région sous forme de tables rondes qui permettaient d’affiner le cadre problématique ou méthodologique voire des variables régionales. À ce titre, j’ai participé le 4 mars 1995 à une table ronde organisée à l’université Rennes 2, sous l’égide de Jacqueline Sainclivier et Christian Bougeard autour des Pouvoirs locaux dans l’Ouest 1935-1953. En présence de 8 correspondants du grand Ouest (Bretagne, Sarthe, Mayenne, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Eure), cette réunion intermédiaire a fait l’objet d’un numéro spécial des Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest.Bergère M., « Permanences et ruptures au sein du Conseil général de Maine-et-Loire », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 1996, no 3, p. 69-80.
17 « Avant-propos », Le Béguec G. et D. Peschanski (dir.), Les élites locales dans la tourmente. Du Front populaire aux années cinquante, Paris CNRS éditions, 2000, p. 9.
18 Bergère M., « La recomposition des droites dans les marges du grand Ouest : Deux-Sèvres, Maine-et-Loire, Mayenne, Vendée », dans Richard G. et J. Sainclivier (dir.), La recomposition des droites en France à la Libération 1944-1948, Rennes, PUR, 2004, p. 271-281.
19 Cette dimension n’est par exemple pas évoquée par Christian Delacroix dans sa notice « Écriture de l’histoire », dans Delacroix C., F. Dosse, P. Garcia, N. Offenstadt, Historiographies Concepts et débats, t. 2, Paris, Gallimard, coll. Folio, p. 731-743. Christian Delacroix achève cependant sa notice en soulignant « Et ce, même si les formes pratiques et matérielles de cette réflexivité scripturaire restent largement à explorer », p. 743.
20 Peschanski D., « Une modalité de la recherche collective en histoire du très contemporain. L’enquête de réseau et les correspondants départementaux de l’Institut d’Histoire du Temps Présent », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, [en ligne], 36, 2005, p. 155-163.
21 Ni une écriture partagée impossible à mettre en œuvre au regard du nombre de correspondants, ni une écriture convergente intra disciplinaire qui conserve en général un degré de généralité suffisant pour permettre un questionnement propre à chaque contribution. De même, l’objectif ne consistait pas à comparer systématiquement les départements les uns aux autres, pas plus que le résultat ne pouvait se limiter à la somme de contributions individuelles. Il s’agissait donc d’inventer une écriture qui empruntait un peu à ces différents modes.
22 Sous cet angle, on peut noter que dès l’introduction de leur ouvrage, Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault posent d’emblée, et de manière très intéressante, la question « L’échelle locale : pour quoi faire ? », dans La France en guerre 1954-1962 Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne, Autrement, 2008, p. 9-11.
23 Décembre 1975, extrait du refrain de la chanson « Le France », paroles Michel Sardou et Pierre Delanoé, musique Jacques Revaux. La chanson est un succès immédiat, 500 000 disques sont vendus en quelques semaines.
24 Comme en témoignent les dossiers « Une histoire à l’échelle globale », Annales, Histoire, Sciences sociales, 56/1, 2001 ou « Histoire globale, histoires connectées : un changement d’échelle historiographique ? », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 54/4bis, 2007. Petré-Grenouilleau O., « Les historiens français et les mondialisations », dans Les historiens français à l’œuvre 1995-2010, Paris, PUF, 2010, p. 287-300.
25 Revel J. (dir.), Jeux d’échelles La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard-Le Seuil, 1996 (à noter en particulier la contribution de Bernard Lepetit, « De l’échelle en histoire »), et tout récemment, Christian Delacroix, « Échelle » dans Delacroix C., F. Dosse, P. Garcia, N. Offenstadt (dir.), Historiographies. Concepts et débats, Paris, Le Seuil, Folio Histoire, 2010, t. II, p. 725-730.
26 Croix A., D. Guyvarc’h (dir.), Guide de l’histoire locale, Paris, Le Seuil, 1990. On peut également consulter l’article « Approche régionale » de Michel Denis, dans Bédarida B. (dir.), L’histoire et le métier d’historien en France 1945-1995, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1995, p. 187-200.
27 Une émission de radio en 2011 : Emmanuel Laurentin, La fabrique de l’Histoire, France Culture, enregistrement le 16 mars 2011 au Musée de la Marine à Paris dans le cadre d’une exposition sur l’histoire du paquebot France, diffusion sur France Culture le lundi 21 mars 2011, 52 minutes. Une conférence grand public (devant 200 personnes dont plusieurs anciens de la Transat) en 2013, « Ne m’appelez plus jamais France » La fin du paquebot France, symbole de l’entrée en crise (1974-1979), Rencontres d’Histoire – Champs contre Champs, Champs Libres-Rennes métropole, samedi 6 avril 2013.
28 Bergère M., « Le paquebot France à quai au Havre, symbole d’une ville et d’un pays en crise ? (1974-1979) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 84, octobre 2004, p. 161-168.
29 Les fonds de l’Association French Lines. Basée au Havre depuis 1995, cette association, désormais incontournable sur l’histoire des compagnies maritimes françaises, gère plus de 6 km d’archives sans parler des fonds iconographiques, sonores et autres objets. Relevant de la Compagnie générale transatlantique (CGT ou Transat), les archives du France représentent près de 1200 cotes. Je les ai complétées par des sources des archives municipales du Havre (AMH) – essentiellement un dossier de presse assez complet (8W).
30 Le Monde, 19-20 août 1979. Dans une ville littéralement figée dans « le deuil », une foule immense est présente, comme en 1961, mais cette fois partagée entre pleurs et colère. Par ailleurs, le port est en grève générale, les drapeaux et pavillons de la cité maritime sont en berne et certaines églises sonnent le glas... AMH, 8 W, revue de presse. Le Havre-Libre titre en pleine page, « L’abandon ! », lundi 20 août 1979.
31 Bergère M., « Français et Américains en Basse-Seine à la Libération (1944-1946) : des relations ambivalentes », dans Denechère Y. et J.-L. Marais (dir.), « Les étrangers dans l’Ouest de la France (XVIIIe-XXe siècle) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, no 4, 2002, p. 203-216. Depuis cet article, la problématique a été reprise et élargie au Grand Ouest, conjointement avec mon collègue Yann Lagadec. Ainsi, dans le cadre d’un séminaire de recherche sur L’Ouest et le monde, nous avons proposé au Mans le 8 janvier 2005 une communication à deux voix Les Américains dans l’Ouest à la Libération : présence et rapports aux populations (1944-1946).
32 On estime que 3 675 000 soldats ont transité par le port du Havre entre octobre 1944 et août 1946.
33 Au nombre de huit (Home Run, Wings, Herbert Tareyton, Philip Morris, PallMall, Lucky Strike, Old Gold, Twenty Grand), ils disposaient au cœur du pays de Caux, d’une capacité d’accueil voisine de 200 000 hommes. Avec ses 60 000 places, Lucky Strike est le plus vaste camp de ce genre en Europe.
34 Dans le même ordre d’idées, les 7 867 habitants du ressort de la brigade territoriale de Cany-Barville côtoient au quotidien plus de 60 000 américains des camps Lucky Strike mais aussi Old Gold. Source : SHD-DG, BT Cany-Barville, R2, 1944-1946.
35 L’étude s’appuyait sur des archives locales (Arch. départementales de Seine Maritime, Arch. municipales du Havre et de Gonfreville l’Orcher) complétées par les sources de la gendarmerie nationale (SHD-DG). J’utilisais notamment comme source principale les rapports de gendarmerie sur l’état d’esprit de la population (dans les registres de correspondance R2/R4). Rédigés à tous les échelons – brigade (canton), section (arrondissement), compagnie (département) –, ils bénéficient pleinement d’une proximité réelle à la population notamment dans les campagnes. Quant aux procès-verbaux des brigades voisines des camps américains, si par un effet loupe bien compréhensible, ils signalent surtout les rapports conflictuels et/ou délictueux entre civils et militaires, ils offrent cependant en seconde lecture à travers les nombreuses prises de parole de gens ordinaires un auxiliaire précieux pour l’analyse des représentations. On y trouvait également un éclairage intéressant des rapports entre les brigades de gendarmerie et la MP américaine.
36 Cette analyse s’inscrivait également dans le cadre problématique et méthodologique proposé par Frank R. (dir.), dans « Images et imaginaires dans les relations internationales depuis 1938 », Les Cahiers de l’IHTP, 1994, no 28.
37 L’ambivalence constitue une tendance forte des relations franco-américaines. Pour une mise en perspective sur un temps plus long, voir notamment les travaux d’André Kaspi, Jacques Rupnik ou André Lacorne, en particulier dans l’Amérique dans les têtes, Paris, Hachette, 1986.
38 Revel J., « L’émergence de la micro-histoire », dans Ruano-Borbalan J.-C. (dir.), L’histoire aujourd’hui, Auxerre, Sciences Humaines éditions, 1999, p. 244.
39 Bergère M., La postérité de Vichy au Québec. L’affaire des réfugiés politiques au Canada : retour sur l’événement, sa mémoire et l’écriture de son histoire, Mémoire inédit, Habilitation à diriger des recherches soutenue à l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne (Denis Peschanski dir.) le 28 novembre 2013, 368 p.
40 Lepetit B., « De l’échelle en histoire », Revel J. (dir.), Jeux d’échelles La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard-Le Seuil, 1996, p. 92.
Auteur
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Marc Bergère
Maître de conférences HDR d’histoire contemporaine, université Rennes 2.
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