Des femmes engagées dans la Résistance
p. 107-117
Texte intégral
1Définir la Résistance dans sa totalité est difficile puisqu’elle s’adapte continuellement à une situation qui évolue en fonction du temps et des circonstances. « Si elle consiste à l’origine en un système de défense de valeurs bafouées par l’occupant et par Vichy, elle place les hommes et les femmes en position d’égalité devant des choix analogues » qui varient suivant les régions. La géographie de la France divisée, imposée par l’occupant après l’armistice « reflète les conditions de sa naissance1 » comme l’explique Jacqueline Sainclivier. Pour la zone occupée, la résistance est à l’origine un acte individuel et conscient qui conduit à lutter par tous les moyens contre l’occupation ennemie visible et oppressante. En zone non occupée, l’absence d’occupation et le régime de Vichy lui confèrent une connotation politique et républicaine, où le combat volontaire pour le maintien des libertés et de la démocratie est essentiel. À Londres, s’engager aux côtés du général de Gaulle devient la priorité de celles et ceux qui y travaillent ou y stationnent et des autres qui ont rejoint l’Angleterre. Benoîte Groult alors âgée de vingt ans, note dans son Journal le 1er juillet 1940 : « J’envie les garçons qui sont maintenant en Angleterre. Si je n’étais pas une fille, je serais sûrement partie2. » Des Françaises ne se sont pas posées de telles questions et ont répondu à l’appel du général de Gaulle le 18 juin 1940. Elles viennent de France, de l’empire français, d’Haïti, d’Amérique du Nord et du Sud. Elles rejoignent Londres où elles retrouvent celles qui sur place en Grande-Bretagne, se sont engagées dans les Forces françaises libres. Dans tous les cas, la part des femmes dans la Résistance est importante. On le voit à travers leur engagement et leurs motivations comme dans les missions qui sont les leurs. L’une des difficultés de leur étude vient du mal à repérer les anonymes, les plus nombreuses – au cœur de l’action – au regard du nombre modeste d’héroïnes érigées en symboles forts.
Engagement et motivations
2Les conditions qui poussent les femmes à s’engager sont variables. Ainsi dans la région du Nord-Pas-de-Calais occupée, le souvenir de la Première guerre est prégnant, aussi l’attitude de rejet de l’occupant est-elle immédiate et la résistance précoce dès 1940. Elle se manifeste sous forme de réseaux de renseignement ou d’évasion où les femmes jouèrent un rôle de premier plan. À charge pour elles de nourrir ceux qu’elles hébergeaient, de fournir des vêtements, de convoyer « les colis », c’est-à-dire des aviateurs britanniques ou des prisonniers évadés pour passer la ligne et gagner la zone sud, et de là l’Espagne. Des femmes candidates à un engagement dans la France libre traversent la péninsule ibérique pour rejoindre l’Angleterre via Gibraltar. Parmi elles, Éliane Brault, femme politique du cabinet de Paul Bastid, résistante trop exposée qui avec son fils jeune adolescent, convainc l’état-major de la France libre de lui confier la mise sur pied d’un service d’aide sociale fin 1941. Hélène Terré, éditrice de 38 ans, servant dans les sections sanitaires automobiles de la Croix-Rouge française, refusant l’armistice s’engage dans la Résistance et rejoint Londres.
3L’exemple d’un père ou d’un grand-père « transféré » en Allemagne au cours de la guerre de 1914 pour y subir une captivité impitoyable sert de détonateur aux enfants et petits-enfants, qui s’engagent à leur tour contre un ennemi dont ils ont eu connaissance par leur aïeul. C’est particulièrement vrai pour la zone de l’Aisne, des Ardennes où des familles allemandes ont pris la place des Français contraints à l’exode. Dans son témoignage de résistante parisienne, Jacqueline Fleury souligne combien les récits familiaux ont été à l’origine de son engagement et de celui de sa mère contre la présence allemande. Quant à Micheline Eude, strasbourgeoise d’origine, elle se réfugie à Lyon avec sa famille pour ne pas vivre dans une Alsace nazifiée. Avec son père républicain elle refuse de baisser les bras et ne cesse de manifester son mécontentement envers Pétain et son gouvernement. Étudiante en droit, elle glisse dans les poches de ses camarades des tracts antivichystes. De son côté, Yvette Baumann a grandi au sein d’une famille juive alsacienne patriote, très bien intégrée dans la société française. Elle habite à Paris le quartier bourgeois du XVIe arrondissement. Grâce à son père, elle est au courant de ce qui se passe en Allemagne nazie et en particulier de la politique antijuive. En juin 1941, elle s’installe en zone sud dans le cadre de son travail d’assistante sociale. C’est là qu’elle rencontre Berty Albrecht, membre de la direction du mouvement Combat où elle s’engage aussitôt.
4Germanophobie et patriotisme sont des arguments décisifs qui entraînent celles qui ne peuvent pas supporter la présence ennemie. Ainsi, l’ethnologue Germaine Tillion et la bibliothécaire Yvonne Oddon rejoignent rapidement le groupe du Musée de l’Homme et leurs collègues Anatole Lewitsky et Boris Vildé avec lesquels elles se lancent dans la confection de tracts. Étudiante à Rennes en octobre 1940, Geneviève de Gaulle se révèle insoumise à l’occupation allemande qu’elle exècre d’autant plus que par l’intermédiaire de son père, elle a lu Mein Kampf. Ses premiers actes sont des gestes individuels qui ont peu de valeur à ses yeux : elle lacère et arrache des affiches, découpe et distribue des petites croix de Lorraine, symbole de la France Libre naissante mais c’est auprès de sa tante Madeleine à Paris, (la femme de Pierre de Gaulle) qu’en 1941 elle rejoint une organisation de résistance. Pour Bertrande d’Astier de la Vigerie, l’action entreprise par son oncle Emmanuel les a séduits, elle et son frère. Par le biais de la propagande qu’il supervise, les membres de la « Dernière colonne » dont elle fait partie s’en prennent au gouvernement de Vichy. Leur activité principale consiste à diffuser dans des villes du midi de courts papillons sur lesquels on lit : « Non à Vichy », « Non aux Boches », puis à critiquer la presse de Vichy ce qui lui vaut d’être arrêtée. Autre tremplin, le militantisme qui conduit à s’engager très vite contre l’ennemi. Communiste et espagnole, réfugiée en France, marquée par la mort de son père auprès des républicains espagnols, Camilia Alvarez comme son mari n’attend pas les consignes du parti communiste pour prendre position. Ses premiers actes consistent à distribuer des tracts pour dénoncer Vichy comme réaction politique et anticapitaliste. Née au sein d’une famille bourgeoise juive, France Bloch s’engage très tôt dans le militantisme politique, d’abord contre le fascisme et la guerre, puis au sein du parti communiste dont elle est membre dès 1936. Héritière des idéaux de la Révolution de 1789, elle se marie avec Fredo Sérazin en 1939 qui partage ses convictions idéologiques patriotique et communiste. Leur implication en politique les amène généralement à la lutte. L’esprit de résistance n’a pas fait son apparition soudainement. Nombreuses sont celles qui se sont engagées dans le mouvement pacifiste ou féministe bien avant la montée du nazisme en France. Le patriotisme et la liberté individuelle sont étroitement liés parce que la France est occupée et que le sentiment national y est fortement ancré.
5Cécile Rol-Tanguy, fille unique du cégétiste, François Le Bihan3, sténodactylo au syndicat des métaux avant-guerre, est le témoin affirmé de l’engagement de ses parents qui hébergent chez eux des antinazis allemands ou antifascistes italiens, puis des républicains espagnols. Elle participe également à l’aide aux républicains par la levée de fonds. Marraine de guerre d’Henri Tanguy des Brigades internationales qu’elle épouse en 1939, elle le décide, tout juste démobilisé en août 1940, à reprendre les contacts par la voie syndicaliste. Tous deux participent à la mise sur pied de l’Organisation Spéciale, puis des comités populaires. Agent de liaison de son mari FTP en 1942, elle devient deux ans plus tard son adjointe au sein de l’état-major FFI. Elle tape l’ordre de mobilisation générale pour l’insurrection du peuple parisien le 18 août 1944. Elle est homologuée lieutenant FFI.
6Elles ont été nombreuses, ces anonymes dont les noms sont à peine connus à s’être engagées avec autant de rage et de force que leurs compagnons contre un ennemi qu’elles ne supportaient pas. Prisonnières du statut de l’époque où les femmes sont marginalisées sur le plan politique et où elles sont tributaires de leurs rôles : épouses, mères de famille, gardiennes du foyer... elles ont du mal à émerger. Pourtant elles n’hésitent pas à transgresser la culture d’obéissance qui était traditionnellement la leur pour lutter aux côtés de leurs camarades masculins, parfois avec les mêmes armes. C’est le cas des Françaises qui s’engagent dans « le corps féminin des volontaires françaises » créé le 7 novembre 1940 par le général de Gaulle, rebaptisé un an plus tard le « Corps des volontaires françaises », constitué sur le modèle anglais de l’Auxiliary Territorial Service (ATS). Pionnières dans un domaine réservé aux hommes, les « demoiselles de Gaulle » sont les premières femmes à devenir militaires. À l’origine de cette innovation, dès le 19 juin, l’ancienne championne de tennis Simone Matthieu qui a servi durant l’hiver 1939-1940 dans les Women Military Service veut servir de Gaulle. L’amiral Muselier, qui emploie à son état-major des femmes, accède à sa demande. Elle est donc le maître d’œuvre du corps des volontaires féminines. Les candidates, comme leurs collègues masculins, doivent avoir entre 18 et 45 ans au plus, la nationalité française (de naissance ou par le mariage). Elles signent un engagement pour la durée de la guerre plus trois mois. Après quinze jours d’entraînement avec les Anglaises de l’ATS au camp de Bournemouth, elles reçoivent un livret militaire, un bracelet d’identité, l’insigne de la France libre à épingler sur leur uniforme : tenue kaki et calot. Simone Matthieu est remplacée en 1941 par Hélène Terré qui organise son unité en sections : Terre, Air, Marine, assistantes sociales. Elle met en place des cours de secrétariat, sténodactylo, mécanique, transmission, culture physique, anglais, français, défense passive, cours médicaux-sociaux. Ainsi est formée une unité qui remplit pleinement l’objectif du général de Gaulle : remplacer les hommes à tous les postes où c’est possible. D’autres sont médecins et chirurgiens aux armées. Louise-Marie Lemanissier, médecin biologiste, rejoint Londres le 22 juin avec son mari. Placée dans une famille, elle est une des premières femmes engagées comme médecin sous-lieutenant. Affectée avec son mari à l’ambulance chirurgicale, Hadfield Spears, elle suit les FFL lors des campagnes de Syrie et de Libye. Raymonde Teyssier-Jore, 23 ans, canaque, première femme d’un territoire d’Empire à signer un engagement, devient chauffeur au QG, bravant les difficultés multiples dues à ses origines. Maria Hackin, mariée à l’archéologue Joseph Hackin, rejoint Londres avec lui et devient l’adjoint de Simone Matthieu. Elle suit son mari chargé d’une mission diplomatique en Asie. Ils périssent tous les deux le 24 février 1941 et sont faits Compagnon de la Libération. Elle est la seule Française libre ainsi distinguée et la première femme Compagnon.
7Pour un grand nombre d’entre elles, les plus jeunes (16-20 ans), on l’a vu, l’exemple du père, frère... se révèle primordial dans leur engagement. Pour d’autres, le combat même individuel est affaire de couple (les Aubrac). Reste que sauf quelques exceptions dont Lucie Aubrac, Berty Albrecht, Marie-Madeleine Fourcade... les fonctions qu’elles remplissent au sein de la Résistance sont d’abord considérées comme des activités spécifiquement féminines. Force également est de constater que les liens familiaux ou conjugaux ont joué un rôle capital dans le recrutement de la résistance féminine.
Typologie des missions, 1940-1942
8La position occupée par les femmes au sein de la société en 1940 les conduit à mieux s’adapter aux modalités de l’action clandestine que les hommes. On les voit se livrer chez elles à la confection des tout premiers tracts, écrits clandestins (dactylo, sténo). À Paris, les premières perquisitions menées par la police fin 1940 conduisent souvent à l’arrestation à leur domicile d’institutrices, d’employées des postes, de secrétaires engagées au service de la propagande. Rappelons que Élisabeth de Miribel, parisienne de souche, accepte de « dépanner » son ami de jeunesse, Geoffroy de Courcel, en tapant le manuscrit de l’Appel du 18 juin du général de Gaulle. Installée à Londres depuis septembre 1939, elle travaille à la mission française de guerre économique dirigée par l’écrivain-diplomate Paul Morand. Refusant la défaite et de se faire rapatrier en France comme beaucoup de Français de Londres, elle décide de rester. Présentée à tort par un article du Petit Journal du 3 novembre comme « La secrétaire de De Gaulle », ce qualificatif lui colle à la peau, alors qu’elle est diplomate de formation. De Gaulle l’envoie au Canada, en juillet 1940, pour préparer l’implantation d’un comité de la France Libre. Jeune femme de 25 ans, elle rencontre les Français Libres de New York, Sieyès, Maritain, Focillon qui l’encouragent et persuade de Gaulle d’envoyer une mission au Canada pour susciter le ralliement des Français de Montréal. Elle organise le séjour du moine-soldat le capitaine de vaisseau Thierry d’Argenlieu au printemps 1941.
9Parmi les attributions féminines, on peut citer également le secrétariat qui est entièrement aux mains des jeunes filles telles Micheline Eude qui à Lyon courageusement s’est mise à taper à la machine alors que ses études ne la destinaient pas à ce genre de besognes.
10Comme le fait remarquer Laurent Douzou, c’est « par » et « autour « des femmes que s’articule cette quotidienneté de la résistance. Celles-ci remplissent pour le compte des résistants les tâches familières qu’elles accomplissent au sein de leur foyer telles que l’hébergement des prisonniers évadés, des aviateurs alliés... Elles leur assurent dans des conditions difficiles, la nourriture, la fourniture de vêtements. Rien d’étonnant à ce que « les formes et les moyens de lutte aient un caractère sexué alors même que la différence des rôles entre les hommes et les femmes est un axe voulu par Vichy » mais aussi le résultat d’une longue tradition. Par ce biais, les maîtresses de maison, les mères de famille participent à une résistance obscure, authentique mais difficile à saisir. En assurant l’intendance, souligne Claire Andrieu, elles ont élevé les « tâches domestiques au rang d’action patriotique ». Ainsi Simone Martin-Chauffier dont la maison familiale de Collonges abrite les réunions de l’état-major résistant ou les dames Escoffier chez qui Jean-Pierre Levy, chef de Franc-Tireur, se réfugie lorsqu’il est recherché par la police et la gestapo. Il est bien difficile de comptabiliser celles ayant assuré la logistique de la résistance, qui par leur action couraient les mêmes risques que leurs camarades.
11Plus souvent que les hommes, les femmes furent agents de liaison pour les mouvements. Sur leurs vélos ou tirant de lourdes valises, elles assuraient le transport de matériel de propagande, des journaux et des tracts, transmettaient les messages. Denise Jacob, pseudo Miarka résume ainsi son rôle :
« J’ai dû apprendre par cœur les noms des ponts de Lyon pour me rendre aux rendez-vous sans hésitation. J’ai aussi appris à descendre d’un tram en marche... Il a fallu que j’exerce ma mémoire, je me suis mise à apprendre des vers par cœur. »
12Dans cette forme de combat de résistante, tous les moyens étaient bons y compris la séduction parfois employée lorsqu’à l’arrivée dans une gare se profilait un barrage de police. Que faire quand on porte une valise bourrée de documents compromettants sinon quand on est jeune et plutôt jolie, accepter les avances d’un officier allemand qui se charge de la dite valise que l’on récupère à la sortie.
13Dans le cadre de la propagande anti-allemande, anti-vichyste, les tracts se transforment en journaux clandestins qui deviennent des armes redoutables. La confection de la feuille Défense de la France, repose sur les épaules de Charlotte Nadel et d’Hélène Mordkovitch. Jacqueline Fleury, malgré son jeune âge assume la diffusion du journal DF pour la ville de Versailles. À noter qu’aucune d’entre elles n’a écrit d’articles pour le journal à l’exception de Geneviève de Gaulle. Seules les femmes communistes réussirent à faire circuler des feuilles où elles-mêmes exprimaient leur colère devant les angoisses du quotidien soumis à un rationnement autoritaire : La Voix des Femmes, la Voix de la femme juive, Femmes de Provence, La Franc-Comtoise, Carnet de la Ménagère édité par l’Union des femmes françaises4, Femmes patriotes. Dès l’hiver 1940 à Paris, elles vont à la mairie réclamer des suppléments de lait et de charbon pour leurs enfants. Le jour de la fête des mères en 1941, des démarches analogues ont lieu à Lyon, Marseille et dans le Nord. En février 1942, des manifestations au grand jour sont organisées par des ménagères dans un certain nombre de villes du midi : Béziers, Nîmes, Montpellier... Par ce biais, elles sortent de la sphère du domestique pour investir la rue, l’espace public. Parfois des circonstances précises dictent la conduite à tenir. Ainsi à Paris une institutrice, Madeleine Marzin le 31 mai 1942 rassemble rue de Buci des femmes et des hommes pour se servir dans un magasin d’alimentation réservé aux Allemands. La foule s’empare de conserves en dépit d’arrestations.
14Autre type de résistance, la résistance civile particulièrement active dans le cadre du sauvetage des juifs. Au moment où le port de l’étoile jaune devient obligatoire en zone occupée pour tous les juifs âgés de plus de six ans, des jeunes filles, des femmes n’hésitèrent pas à porter des insignes fantaisistes en signe de solidarité : zazous, auvergnats... Pour certaines, cette attitude devait les conduire à rejoindre un mouvement de résistance à l’exemple de Jo Cardin-Massé. Avec sa mère, elle réussit à camoufler les enfants de Georges Wellers, dont la famille est recherchée parce que juive et s’engage par la suite au sein d’un mouvement. Résistance caritative, Madeleine Barot, secrétaire générale de la Cimade qui vient en aide aux prisonniers du camp d’internement de Gurs. Son action fut incontestable mais reste mal connue.
15Quant au service social, il se situe en droite ligne des activités considérées comme normales pour des femmes. À elles revenait la confection de colis pour les résistants prisonniers, l’aide aux familles de résistants arrêtés, la recherche de « planques » pour ceux que l’on savait en danger. Berty Albrecht, par ailleurs surintendante d’usines a rendu ce service pour le mouvement Combat. C’est Yvette Baumann-Bernard qui lui succède après son arrestation en mai 1943.
16Celles qui accèdent à des niveaux de responsabilité départementale, régionale voire nationale dans les différents mouvements ou réseaux ont dû lutter pour assumer des charges généralement assumées par des hommes ; elles sont peu nombreuses. Berty Albrecht qui assumait des tâches analogues à celles d’Henry Frenay est ravalée au rang de secrétaire plus conforme à l’image que la société se faisait des femmes. Anne-Marie Bauer après avoir distribué des tracts et des journaux pour son mouvement est affectée au groupe de liaison entre Libération-Sud et Londres sans toutefois avoir les mêmes droits que ses camarades masculins. Ainsi, elle ne peut être présente sur les terrains de parachutage comme son homologue Paul Schmidt. Marie-Madeleine Fourcade à la tête d’un réseau de l’Intelligence Service explique dans ses mémoires les difficultés rencontrées pour être reconnue comme chef de réseau après l’arrestation de Loustanau-Lacau. La meilleure preuve est que dans ses rapports, elle utilise son pseudo « hérisson » ou qu’elle se présente comme l’agent P0Z 55. Au contraire, Marie-Antoinette Gavet du réseau 57, rattaché au réseau Manipule en 1943 occupe les mêmes fonctions que Guy Le Corre co-directeur. Présent dans l’Ouest mais également à Paris, c’est une branche jeune et féminisée. On peut aussi citer Madeleine Braun, co-fondatrice du Front national pour la zone sud. Les circonstances exceptionnelles créées par cette guerre dure amènent les services anglais à recourir aux femmes dans un domaine inhabituel, la guerre secrète. Le Special Operation Executive, mis sur pied en juillet 1940 pour mettre à feu et à sang l’Europe, recrute des volontaires féminines qui subissent un entraînement poussé comme leurs collègues masculins. Cinquante femmes5 ont été envoyées en mission en France dont un tiers par la section French comme agents des réseaux Scientist, Stationner... Les résultats obtenus sont d’une ampleur considérable en ce qui concerne les renseignements militaires sur les défenses allemandes. Pearl Witherington, anglaise d’origine et fiancée à un Français – Henri Cornioley fait prisonnier en 1940 –, devient officier dans les Women’s Auxiliairy Air Force [WAAF] puis est envoyée comme courrier pour le Réseau Stationner. Près de Châteauroux elle retrouve son fiancé6 parmi les volontaires. Elle est amenée à prendre les rênes de deux sous-réseaux et dirige un maquis de 1 500 résistants. Les héroïnes du SOE Violette Szabo, Noor Inayat Khan, Odette Sanson, Andrée Borrel... parachutées en France par les Anglais sont inconnues dans l’Hexagone alors qu’elles sont honorées en Angleterre7.
17Pour le moins, l’intrusion des femmes dans le domaine militaire est mal vue des deux côtés, pourrait-on dire. Ainsi Jeanne Bohec engagée dans les FFL dès janvier 1941 souhaite utiliser ses compétences d’ingénieur chimiste pour devenir instructeur de sabotage afin d’être parachutée en France en février 1944. Son témoignage est éloquent : elle eut les plus grandes peines à se faire accepter par le Bureau central de renseignement et d’Action [BCRA] pour partir en mission en France. France Bloch-Sérazin, exclue de son poste d’ingénieur à l’institut de Chimie à Paris parce que juive et communiste, met ses compétences au service de ses camarades des Bataillons de jeunesse en leur fournissant des explosifs de sa fabrication pour leurs actions armées dans la capitale. Elle paie son engagement de sa vie. Quant à Marguerite Gonnet, mère de neuf enfants, militante de Libération-Sud et chef départemental de l’Isère, elle n’hésite pas à répondre au Président du tribunal de Lyon comment une femme comme elle, chargée de famille, a pu prendre les armes : « Tout simplement colonel, parce que les hommes les avaient laissées tomber. » Ces dernières ont rarement participé directement aux sabotages et demeurent des exceptions dans l’action armée8. Au demeurant abriter un résistant devenu totalement clandestin, poursuivi par les polices française et allemande, être un agent de liaison, taper des tracts, « c’était bel et bien courir un danger mortel9 »...
Les années de la Libération prochaine, 1943-1944
18La perspective de débarquements alliés en France et d’une Libération modifient la donne, bouleversant les schémas habituels de la société. La place des femmes dans la Résistance reflet jusque-là de la répartition des tâches et des rôles dans la société tend à se modifier avec l’évolution de la guerre. La peur de l’arrestation et de la torture ne constituent pas des freins à leur action. Agents de liaison pour la plupart, les femmes allient aux tâches de secrétariat ou de standardistes, l’hébergement et les tâches domestiques, comme le transport d’armes voire l’action armée. Madeleine Riffaud, Franc-Tireur et partisan, Rainer dans la Résistance, en représailles au massacre d’Oradour-sur-Glane le 7 juin où elle passait ses vacances avant-guerre, abat un Allemand à Paris. Arrêtée, torturée, elle est libérée avec les 2 500 prisonniers politiques élargis à la suite des négociations du consul de Suède Raoul Nordling avec le commandant allemand du Gross Paris, von Choltiz. Elle reprend les armes pour participer à l’opération de neutralisation d’un train allemand à Belleville le 19 août, puis avec la compagnie Saint-Just à l’attaque de la Caserne du prince Eugène place de la République. Au plus fort de l’insurrection parisienne, des femmes jeunes et moins jeunes participent à la construction de barricades, mues par l’élan patriotique, participant à la levée en masse face à l’ennemi que l’on veut chasser le plus vite possible et répondent à la mobilisation de la population.
19Au PC du colonel Henri Rol-Tanguy, chef des Forces françaises de l’Intérieur d’Île-de-France, à Denfert-Rochereau, Cécile Rol-Tanguy tape l’ordre de mobilisation de son mari le 19 août 1944. Elle passe la semaine dans cet abri de la défense passive tapant comptes rendus et ordres d’opération : cette brusque augmentation d’activité l’amène à recruter des camarades pour répondre au téléphone et la secondant dans les travaux de secrétariat, ayant confié ses enfants en bas âge à sa mère restée à Montrouge.
20À l’extérieur, les Françaises Libres à l’automne 1943, quittent l’Angleterre pour Alger avec leur commandant Hélène Terré qui recrute de nombreuses volontaires pour participer à la formation de l’Armée de la Libération née de la fusion des FFL avec l’Armée d’Afrique fidèle jusqu’en novembre 1942 au gouvernement de Vichy. La participation de forces françaises pour les opérations sur le territoire national métropolitain est essentielle pour affirmer la souveraineté nationale de la France qui combat depuis juillet 1940 sous la bannière du général de Gaulle. C’est ainsi qu’une quarantaine de rochambelles, conductrices et ambulancières, et marinettes10 intègrent la 2e division blindée. Le groupe Rochambeau est né de l’initiative de l’Américaine Florence Conrad en reconnaissance de l’action du général Rochambeau pendant la guerre d’indépendance. Rêvant de participer à la Libération de la France comme en 1917, elle lève des fonds et achète des ambulances, recrute quatorze volontaires françaises ; parmi elles Suzanne Torrès – épouse de Henri Torrès, avocat parisien – dont l’Américaine fait son adjointe. Le groupe qui débarque à Casablanca intègre la 2e DB non sans quelque réserve du général Leclerc qui accepte bien volontiers les ambulances mais... pas les femmes, les Rochambelles étant affectées au bataillon médical. Florence Conrad et Suzanne Torrès surent lever ses préventions et réussir à forcer son admiration et celles des 14 000 hommes de la division plus tard sur le champ de bataille11. Suite logique de la création du corps des volontaires féminines de la France libre le 7 novembre 1940, est décidée celle, le 26 juillet 1944, de l’Armée féminine de l’armée de terre [AFAT]. En juin 1944, des volontaires affectées à la mission militaire de liaison administrative sont envoyées en France pour s’occuper des populations déplacées, tandis que d’autres restent à Londres pour le fonctionnement des services de la France libre.
Conclusion
21Les travaux historiographiques de ces dernières années en France réévaluent le rôle et l’importance des femmes dans la Résistance. François Bédarida a expliqué les raisons de cette minoration discursive de leur rôle.
« Au-delà le sexisme d’une société à prédominance masculine, la prépondérance d’une histoire virile axée sur la lutte armée, la modestie de la plupart des résistantes qui n’ont guère réclamé leurs parts de lauriers, tous ces facteurs ont joué pour refouler de l’historiographie le féminin au bénéfice du masculin12. »
22C’est pourquoi plutôt que d’évoquer « les oubliées de l’histoire », est-il préférable d’y substituer « Des histoires oubliées13 » que fort heureusement des recherches récentes font émerger.
23En France, si la reconnaissance officielle a été peu généreuse avec les femmes – six Compagnons de la Libération sur 1 038 –, à l’exception de Berty Albrecht, elles sont méconnues : Laure Diebold, Marie Hackin (Française Libre), Marcelle Henry, Simone Michel-Levy, Émilienne Moreau-Évrard. La mémoire a surtout retenu les héroïnes : Berty Albrecht, Danielle Casanova qui se voient attribuer une rue de Paris par décision du conseil municipal dès octobre 1944.
Notes de bas de page
1 Sainclivier J., « Géographie de la résistance intérieure », in Marcot F., B. Leroux, C. Levisse-Touzé (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, Paris, Robert Laffont, 2006, p. 71.
2 Cité par F. Montreynaud, Le XXe siècle des femmes, Paris, Nathan, 1990, p. 303.
3 Déporté à Auschwitz le 6 juillet 1942 avec ce convoi d’otages, il est gazé à Birkenau en septembre de la même année.
4 Ebbinghaus J., « Les journaux clandestins rédigés par des femmes : Une résistance spécifique (1941-1944) », inGilzmer M., C. Levisse-Touzé, S. Martens (dir.), Les Femmes dans la Résistance en France, Paris, Tallandier, 2003, p. 151. Ce journal clandestin est d’obédience communiste.
5 Foot M., Des Anglais dans la Résistance : le SOE en France 1940-1944, Paris, Tallandier, 2011.
6 Elle épouse son fiancé après-guerre et s’investit pour la mémoire des agents envoyés par le SOE en France. Ses efforts sont récompensés par l’édification d’un monument à Valençay à la mémoire des résistants et des résistantes envoyés par les services anglais.
7 Crémieux-Brilhac J.-L., « France-Grande-Bretagne, deux visions de la Résistance française », Le Débat, no 177, 2013/5, p. 163-172.
8 Jeanne Bohec, engagée dans les forces françaises libres, réussit à suivre un entraînement au sabotage en Angleterre et est parachutée au printemps 1944 en Bretagne pour former des FFI au sabotage. Elle participe directement à une opération sur une ligne ferroviaire.
9 Douzou L., « Les résistantes, point de l’historiographie », Gilzmer M., C. Levisse-Touzé, S. Martens (dir.), Les Femmes dans la Résistance, op. cit., p. 44.
10 Ainsi nommées parce qu’elles servent dans une unité de marine.
11 Peschaud R. [rochambelle, vice-présidente de la Fondation Leclerc], « Les Rochambelles », inGilzmer M., C. Levisse-Touzé et S. Martens (dir.), Les Femmes dans la Résistance en France, op. cit., p. 187 sq.
12 Bédarida F., « Résistants », inAzéma J.-P. et F. Bédarida (dir.), 1938-1948, Les années de tourmente de Munich à Prague, dictionnaire critique, Paris, Flammarion, 1995, p. 703.
13 Veillon D., « Femmes dans la Résistance intérieure » et Levisse-Touzé C., « Femmes dans la France Libre », dans Marcot F., B. Leroux et C. Levisse-Touzé (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, op. cit., p. 884-888.
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