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Chapitre VII. Écriture et politique nationale et locale (1927-1929)
p. 131-143
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Texte intégral
Le retour à l’écriture (1927-1928)
Une offensive littéraire et médiatique
11927 marqua pour Charles Daniélou un retour remarqué à l’écriture. En effet, depuis la publication en 1923 de son rapport sur le traité de Trianon, Daniélou n’avait rien fait paraître. Libéré de ses responsabilités ministérielles, le député-maire de Locronan entama une véritable offensive littéraire à quelques mois de la fin de la législature. Il voulait ainsi valoriser son action au gouvernement, montrer ses compétences techniques et ses choix politiques dans les domaines dont il avait été en charge pendant quinze mois. Publication d’ouvrages politiques, mais aussi parution d’un livre évoquant l’histoire, les traditions populaires de la région de Locronan ; ce livre ayant pour vocation de montrer, à ceux qui en douteraient, son attachement à son Finistère natal. L’ensemble de ces ouvrages fut publié chez son fidèle éditeur Eugène Figuière en 1927 et en 1928 pour Finis Terrae.
2Le premier des ouvrages politiques à paraître fut Le carnet d’un parlementaire. Dans ce livre Daniélou racontait de nombreuses anecdotes sur les hommes politiques, traçait des portraits flatteurs de Briand mais aussi de Poincaré. Il évoquait le fonctionnement des institutions, affirmant son souhait de voir un renforcement des pouvoirs du gouvernement sur le Parlement. Il faisait aussi l’éloge des sous-secrétariats d’État, largement diminués par Poincaré en 1926, car : « véritables écoles pour les futurs ministres 11 », ils étaient aussi « les antennes du gouvernement dans les couloirs du Parlement2 ».
3Dans La Marine marchande, Charles Daniélou évoquait l’action menée durant onze mois à ce ministère. Il passait en revue les actions engagées en métropole et dans les colonies ainsi que ses initiatives en faveur de la consommation du poisson. Selon Le consortium breton qui lui consacra, en avril 1927, une longue note de lecture, Daniélou faisait là des : « observations d’homme d’État3 ».
4Dans Les Affaires étrangères, Charles Daniélou évoquait d’une part, son action en tant que Haut-commissaire à l’expansion française à l’étranger et, d’autre part, publiait notes, conférences et discours des années 1922-1925. En revanche, son action de sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil et aux Affaires étrangères n’était pas du tout évoquée. Léon Le Berre qui rédigea la note de lecture parue dans Le consortium breton dit qu’avec cet ouvrage Daniélou : « nous livre les éléments de son dossier complet. Et il faut dire que là, non plus, il n’apparaît pas à son désavantage4 »
5Il publia également, en 1927, un ouvrage intitulé Choix de poésies. Ce livre est une compilation, augmentée, de ses précédentes publications de poésies. On y retrouve des poèmes tirés des Rayonnements, de J’ai regardé derrière moi, du fameux recueil Les Armoricaines et de La chanson des casques. Cet ouvrage permettait à Daniélou de rappeler à tous sa polyvalence littéraire.
6C’est à Locronan durant l’été 1927 qu’il avait rédigé Finis Terrae. Cet ouvrage est un hymne à la gloire de la Bretagne et à la région de Locronan. Si l’auteur raconte au début l’histoire de sa cité et les grandes figures bretonnes comme Gradlon, Nominoë ou Alain Le Grand, il décrit aussi les métiers, les traditions locales, brosse des tableaux d’Ouessant, de Douarnenez, de Crozon, de Penmarch et consacre un chapitre aux poètes de la mer. Et s’il termine son ouvrage en évoquant les héros bretons vainqueurs des Francs, il rend un hommage appuyé aux régiments bretons victorieux des Allemands lors de la Première Guerre mondiale. Ce livre qui parut dans le premier trimestre de 1928, recueillit un assez grand écho dans la région de Châteaulin, pouvant ainsi apparaître, plus que ses autres publications, comme un outil de promotion pour la campagne électorale à venir. Finis Terrae avait peut-être pour objectif de montrer, à ceux qui en douteraient, que Daniélou était, malgré ses responsabilités politiques au plan national, très fortement attaché à cette région qui était plus qu’une terre d’élection : sa terre natale5 Cette offensive littéraire faisait dire à Léon Le Berre :
« Les presses d’E. Figuière gémissent sous la pensée fertile de Charles Daniélou, tour à tour poète, marin au commerce, diplomate ? Que sais-je ? Ce serait le cas de dire qu’il en pleut, puisque notre concitoyen a mis à profit cette vilaine saison pour nous prouver l’universalité de sa pensée6 »
7Depuis son passage au gouvernement, Charles Daniélou était devenu une personnalité politique en vue dont on parlait et que l’on interrogeait. Deux importants articles lui furent consacrés à la fin de 1927 et au début de 1928 dans La Dépêche de Brest et dans Le consortium breton.
8Charles Chassé, brillant critique et journaliste de La Dépêche de Brest lui consacra un important article biographique sous le titre : « Une visite chez M. Charles Daniélou », le 26 novembre 1927. Charles Chassé évoqua les débuts de Daniélou dans la littérature auprès de Coppée et dans le journalisme à L’Écho de Paris ainsi que son action politique, tour à tour député, maire et membre du gouvernement. Un tel article répondait-il à l’envie du public de mieux connaître ce collaborateur de Briand ? Avec cette offensive littéraire, Daniélou faisait parler de lui dans la presse alors qu’il était rentré dans le rang à la Chambre :
« Officiellement tout au moins car, à la Chambre et dans la presse politique, tout le monde sait qu’il n’est de jour où, au Quai d’Orsay, M. Briand ne recoure à sa compétence7 »
9La presse parlait de lui comme d’un homme de gouvernement et retraçait sa carrière politique en n’occultant d’ailleurs pas son évolution de la droite vers le centre gauche. Lagadec lui consacra sa rubrique « Les vedettes de chez nous » en 1928. Là aussi furent évoquées ses origines douarnenistes, sa passion pour la littérature et le journalisme qui l’amenèrent à la politique. Son parcours fut évoqué ainsi :
« À la Chambre, il se distingua par un sens de l’évolution et un flair politique qu’on n’eut pas supposé chez un poète. [...] A. Briand, évolutionniste lui aussi, l’estima à sa juste valeur, et le lança dans la carrière diplomatique où il fut appelé à rendre de signalés services après la Guerre. [...]8 »
10Si Charles Daniélou n’était plus sous-secrétaire d’État, il faisait en sorte que l’on ne l’oublie pas et construisait, grâce à la presse et aux ouvrages qu’il publiait, une image d’homme de gouvernement susceptible d’être appelé à jouer un rôle dans les prochains ministères.
111927 fut aussi l’année où l’ambassadeur d’Afghanistan à Paris, qui préparait un coup d’État devant le mettre sur le trône, demanda à Charles Daniélou de s’occuper de son jeune fils, Zaher9 L’ambassadeur connaissait bien Daniélou pour l’avoir rencontré aux côtés de Briand, ministre des Affaires étrangères. Charles Daniélou invita alors Zaher à passer les trois mois d’été à Locronan. Âgé de quinze ans, il se lia aux enfants Daniélou, notamment à Alain et à Catherine. Devenu roi d’Afghanistan en 1933, il accueillit Alain Daniélou à Kaboul et le revit, après 1973, à l’heure de l’exil, à Rome. C’est un futur roi d’Afghanistan qui avait donc passé l’été 1927 au sein de la famille Daniélou à Kergwénolé.
12Les législatives approchaient ce qui donnait un relief des plus particuliers à cette offensive littéraire et médiatique.
Des législatives à la présidence de la Gauche radicale (1928)
Le soutien efficace du Bas Breton
13Le 12 juillet 1927 le scrutin de liste départementale avec représentation proportionnelle fut remplacé par le scrutin d’arrondissement. Ce changement redonnait plus d’importance à la personnalité des candidats car si leur étiquette politique restait primordiale dans le choix des électeurs ceux-ci choisissaient aussi un homme. Dans ces conditions, Charles Daniélou devait profiter de son envergure politique acquise ces dernières années à Paris. Et cette notoriété le fit rapidement apparaître d’autant plus incontournable que ses adversaires, de droite et de gauche, n’avaient ni l’épaisseur, ni l’expérience politique suffisante, pour le mettre en difficulté. De plus, Charles Daniélou bénéficiait du soutien du Bas Breton. L’hebdo maire radical lui était entièrement acquis et consacrait une place importante à sa campagne.
14Dès janvier 1928, Charles Daniélou fit paraître en première page du Bas Breton une série d’articles sur l’actualité politique et sur son action au gouvernement. Il évoquait tour à tour l’arrestation des députés communistes, qu’il approuvait d’ailleurs, estimant : « qu’il n’était pas possible au pouvoir exécutif de laisser les condamnés bafouer la justice et les lois républicaines10 », ou le débat financier à la Chambre. Mais très rapidement, les articles de politique générale cèdent le pas à des tribunes dans lesquelles Daniélou énonce ses idées, ses choix et son action. Il évoquait ainsi la situation du monde agricole, de la pêche et plus globalement, il rendait hommage à la politique menée par Poincaré qu’il jugeait seule capable de permettre permettre le redressement financier : « sans qu’il soit besoin de faire appel à des doctrines extrémistes qui ne serviraient qu’à affoler une fois de plus l’opinion11 ». Il termina cette série d’articles par un exposé de politiqué intérieure française. Partisan de la paix sociale, il exprimait sa reconnaissance à la classe ouvrière qui : « malgré les excitations qui lui étaient adressées par les agents de Moscou a fait preuve de plus de sang froid12 » qu’ailleurs en Europe. Et surtout, il considérait que le maintien de cette paix sociale ne pouvait être subordonné qu’à la paix des esprits que seule la laïcité de l’Etat pouvait garantir car elle est : « la plus haute garantie de liberté qui puisse être donnée à tous les citoyens quelles que soient leur doctrine ou leur confession13 ».
15La rubrique « Échos » du Bas Breton, du 24 mars 1928, annonçait que Daniélou avait été pressenti pour être nommé ambassadeur en Hongrie :
« Au début de la législature, le gouvernement avait un moment songé à envoyer Daniélou comme ambassadeur en Hongrie où il est persona grata depuis son voyage en 1920 à Budapest et son rapport sur le traité de Trianon14 »
16Charles Daniélou ne fut pas nommé ambassadeur car la France n’avait qu’une légation à Budapest depuis la dislocation de l’Empire austro-hongrois et le gouvernement renonça, en fin de compte, à la transformer en ambassade. Une telle information contribuait à renforcer la notoriété du député-maire de Locronan et participait à la stratégie, mise en place depuis janvier 1928, pour diffuser et valoriser l’image de Daniélou, homme politique proche des grands personnages de l’État, susceptible d’être appelé à des responsabilités importantes au gouvernement ou ailleurs.
Des adversaires effacés face à Daniélou
17Charles Daniélou, député sortant, avait face à lui Jean-Louis Henry, le candidat de droite, cultivateur, maire de Lennon depuis 1919 et député du Finistère élu en 1924 sur la liste d’Union républicaine. À gauche, le docteur Bodros, directeur du bureau d’hygiène et du dispensaire de Brest représentait la SFIO et Pierre Marot, conseiller municipal de Douarnenez était le candidat du PCF.
18Les prévisions des services préfectoraux donnaient Daniélou très largement favori :
« Daniélou, radical est à peu près certain d’être réélu au second tour grâce au désistement du docteur Bodros en sa faveur15 »
19Le Courrier du Finistère qui défendait la candidature de Jean-Louis Henry ne se privait pas d’attaquer l’ancien sous-secrétaire d’État de Painlevé et Briand jugeant que : « s’il est devenu poincariste, nous pensons à l’incendiaire qui appelle le pompier... un peu tard16 » après avoir été une : « moitié de ministre17 » du Cartel des gauches ce qui restait impardonnable pour l’hebdomadaire conservateur :
« Daniélou faisait partie de ces divers gouvernements qui ont précédé l’avènement de Poincaré en juillet 1926, il a donc figuré dans les équipages des naufrageurs du Franc18 »
20Outre ces attaques sur la participation gouvernementale de Daniélou, Le Courrier du Finistère évoquait avec ironie le changement de camp politique du maire de Locronan. Cet « homme aux belles promesses19 », cette
21 « girouette néfaste20 » dont le programme est « pourri de complaisances socialistes21 » ne peut avoir la confiance des catholiques qui « repoussent avec mépris22 » la candidature de Daniélou, ce « triste c’hoari-chench23 ! ». Cela est révélateur du ton employé par l’hebdomadaire conservateur qui n’évoquait Daniélou que pour le qualifier de « girouette électorale » et pour lui reprocher violemment son passage au gouvernement. De son côté, Le Bas Breton valorisait l’action menée à Paris par Daniélou et les multiples relations qu’il avait avec les hommes politiques en vue. Depuis janvier 1928, Le Bas Breton publiait, chaque semaine, des extraits de Finis Terrae, assurant ainsi la promotion de l’ouvrage de Charles Daniélou. Mais l’hebdomadaire de Châteaulin publiait aussi des lettres de personnalités politiques qui remerciaient l’auteur de l’envoi de son livre. Parmi ces lettres, il y avait celle du Président de la République :
« J’ai lu avec le plus vif intérêt, mon cher Daniélou, Finis Terrae. Je vous remercie de m’avoir envoyé ces souvenirs d’Armorique qui disent d’une façon émouvante votre profond attachement pour la vieille et forte terre où vos aïeux ont vécu et où vous êtes heureux et fier de vivre, après eux. Je vous envoie mes sentiments bien cordiaux. »
Gaston Doumergue, Président de la République24.
22Et Poincaré n’était pas moins élogieux :
« Mon cher ami,
J’ai enfin pu lire le livre dont je vous ai remercié l’autre jour. Il est charmant et il m’aurait appris à aimer votre terre natale, si depuis longtemps elle ne m’avait déjà conquis. Recevez, avec mes félicitations, mon cordial souvenir. »
Raymond Poincaré, Président du Conseil25.
23Suivaient les remerciements du maréchal Joffre, de Raoul Péret, du maréchal Lyautey. Daniélou montrait ainsi à tous l’étendue de ses relations au plus haut niveau de l’État. Il montrait aussi à ses concitoyens qu’il se faisait le chantre du Finistère à Paris et qu’il pouvait être digne de leur confiance. En effet, alors que Le Courrier du Finistère insistait lourdement sur son évolution politique et le manque de confiance qu’elle devait naturellement susciter, Daniélou répondit à cet argument dans un article publié le 7 avril 1928 intitulé : « En campagne » :
« J’ai toujours voulu que la confiance que vous m’accordez soit une confiance éclairée et c’est pour cela que j’ai tenu à vous exposer en de nombreux articles les idées que j’ai soutenues et que j’entends défendre encore dans l’exécution du mandat que vous me renouvellerez le 22 avril prochain26 »
24Il cherchait ainsi à couper court aux attaques du Courrier du Finistère en se faisant l’apôtre de la confiance et de la transparence. Sa profession de foi27peut se résumer ainsi : politique de paix intérieure et extérieure commandée par une politique d’arbitrage ; redressement financier et économique dans le cadre et dans le respect des institutions républicaines.
25Alors que Daniélou faisait campagne, son adversaire de droite, Jean-Louis Henry, tomba subitement malade « atteint d’une perforation à l’estomac28 » ce qui l’obligea à être opéré d’urgence, dans la campagne, à la lueur de quelques chandelles. Son état étant très grave29, Daniélou décida : « dans un esprit de déférence pour l’homme et de réserve à l’égard d’un concurrent empêché par la maladie de défendre son programme30 », de suspendre ses réunions publiques et de se limiter à visiter les communes où il n’était pas jusqu’alors allé. Cette absence d’opposant sur le terrain ne pouvait que renforcer la présence de Daniélou dans cette campagne au cours de laquelle le socialiste Bodros avait été discret et le communiste Marot inexistant. Tout cela était annonciateur d’un ballottage favorable pour le député sortant.
26Le premier tour se déroula le 22 avril 1928. Charles Daniélou arrivait en tête avec 5 706 voix contre 4 843 à Jean-Louis Henry. Le docteur Bodros avait rassemblé 2 925 voix et Pierre Marot 34131. Alors que Daniélou remerciait ses électeurs, l’enthousiasme lui faisait annoncer d’ores et déjà la victoire : « La bataille est désormais gagnée32 » Il est vrai que suite au retrait de Bodros, il pouvait compter sur le report des voix socialistes ; alors que Jean-Louis Henry avait fait, dès ce premier tour, le plein des voix de droite. D’ailleurs Daniélou arrivait en tête dans toute la circonscription sauf dans le canton de Pleyben où Henry, maire de Lennon, était naturellement mieux implanté. Le second tour se présentait donc du mieux possible pour le maire de Locronan. En effet, le 29 avril, Daniélou arrivait en tête avec 7 579 voix, soit 1 873 de plus qu’au premier tour. Il avait bénéficié du report d’une partie des voix socialistes. Henry, quant à lui, augmentait son score de 255 voix et rassemblait 5 298 suffrages. L’écart entre les deux hommes était donc de 2 281 voix. Charles Daniélou était élu pour la quatrième fois député de Châteaulin, mais jamais jusqu’alors il ne l’avait emporté avec une telle ampleur :
« En m’accordant une majorité jamais atteinte avant ce jour de 2 300 voix vous avez fait mon élection triomphale. J’en suis profondément ému. Le parti républicain tout entier, groupé autour de moi, peut s’enorgueillir d’une victoire qui est surtout la mienne33 »
27Pour Le Courrier du Finistère, Daniélou n’avait gagné que grâce à l’appui des « forces diverses du Cartel34 » et à « la maladie d’un bon lutteur35 », Jean-Louis Henry. Pire, si Charles Daniélou :
« avait perdu beaucoup de pudeur depuis qu’il s’était peint en rouge. Il n’en reste plus : il ose se glorifier des voix socialistes, promises dès le premier tour, qui l’on fait député et livré aux loges36 ! »
28Cette victoire montrait que la première circonscription de Châteaulin était devenue le fief de Charles Daniélou. Sa notoriété au plan national l’avait certainement aidé dans cette lutte pour le renouvellement de son mandat. S’il était désormais, davantage encore, incontournable sur sa terre d’élection il devint, à la Chambre, un des hommes politiques les plus en vue : il accédait à la présidence d’un groupe parlementaire.
Charles Daniélou, président de la Gauche radicale
29Suite à ces élections, le nombre de députés siégeant à la Gauche radicale passa de quarante en 1924 à cinquante-trois. Ce groupe, en plein essor, occupait une position centrale dans la nouvelle Chambre et devait jouer un rôle d’arbitre politique lors de la législature qui s’ouvrait. Quelques jours après les élections les membres de la Gauche radicale se réunirent pour constituer leur bureau : Charles Daniélou, fut élu à l’unanimité, président de la Gauche radicale. C’était là encore une belle victoire car cette élection le plaçait à la tête d’un groupe important. Elle révélait aussi la reconnaissance dont il bénéficiait et l’autorité dont il faisait preuve sur les membres de son groupe et plus largement à la Chambre. Le Bas Breton relatait avec satisfaction cette élection :
« En prenant possession du fauteuil, le député du Finistère, après avoir avec émotion remercié ses collègues de leur confiance, leur traçait aussitôt un large programme de politique intérieure et extérieure qui reçut l’approbation de tous37 »
30La présidence de la Gauche radicale pouvait permettre à Daniélou d’espérer entrer au gouvernement, avec rang de ministre cette fois. Peu après les élections, Poincaré avait dû accepter la démission d’André Fallières, ministre du Travail, battu aux législatives. Fallières étant membre de la Gauche radicale, Poincaré sollicita le président de ce groupe, Daniélou, à qui il proposa de prendre la succession de son collègue. Or, la nouvelle loi sur les assurances sociales dominait ce ministère et Daniélou avait été contraint d’y apporter quelques réserves pendant la campagne électorale afin de ne pas perdre les suffrages des électeurs ruraux. En effet, cette loi était combattue par le patronat et : « plus encore par les milieux agricoles qui dénoncent les charges nouvelles qui vont peser sur l’économie française38 ». Charles Daniélou se voyait donc contraint de décliner l’offre car :
« C’eut été faire une volte-face trop flagrante à mes engagements de la veille que d’accepter un portefeuille qui m imposait la mise en place intégrale de la loi39 »
31Daniélou fit proposer ce ministère à Louis Loucheur, membre de la Gauche radicale et ami de longue date qui accepte de devenir ministre du Travail dans le quatrième ministère Poincaré. Fidèle à ses passions, Daniélou s’inscrivit à la commission de la Marine marchande et à celle de la Marine militaire dont il fut élu président. Si ses responsabilités prenaient un nouvel élan au plan national, Charles Daniélou souhaitait que sa commune, Locronan, prenne aussi un nouvel essor.
Une politique locale d’expansion (1928-1929)
D’une rumeur à la réalité : Daniélou agrandit Locronan
32Si Charles Daniélou marqua Locronan par son action en faveur du classement de nombreux édifices anciens, il fut surtout à l’origine de l’agrandissement de la commune aux dépens de Plonévez-Porzay. C’était là, sans doute, la grande affaire des années Daniélou à Locronan, celle qui marqua profondément les esprits.
33Le 26 mai 1928, Le Courrier du Finistère révélait que Daniélou avait l’intention de demander le rattachement à Locronan de fermes de Plonévez-Porzay :
« Monsieur le député-maire rêve d’agrandir son domaine et le bruit court qu’il voudrait prendre dans les communes voisines et en particulier à Plonévez-Porzay quelques belles fermes qui feraient de lui un personnage encore plus important [...]40 »
34L’article continuait sur le mode ironique :
« [...] Il va peut-être un peu vite. S’il a contribué d’après ses dires à mettre sur pied le traité de Trianon qui a détaché malgré eux des Hongrois catholiques de leur patrie, il ne saurait avoir la prétention de faire la même opération dans le pays de Porzay, et les paysans de Plonévez ne se laisseront pas manœuvrer par Daniélou41 »
35La rumeur disait vrai, Charles Daniélou avait effectivement l’intention d’agrandir sa commune. Il convoqua son conseil municipal le 15 août 1928 afin de prendre une délibération à ce sujet. Quarante-neuf villages, au Nord
36et à l’Ouest de la commune, étaient susceptibles d’être réclamés. Il convenait d’établir une solide argumentation pour justifier une telle demande. Le conseil déclara que les habitants de ces fermes avaient des rapports quotidiens avec le bourg de Locronan et étaient ainsi « englobés de fait dans la commune42 ». Si, en rappelant que « cette séparation actuelle des communes de Locronan et de Plonévez est une division féodale faite autrefois par les seigneurs du pays dont les gens sont encore victimes cent-trente ans après la Révolution)43 » l’histoire s’avérait utile, il était sans doute plus efficace d’évoquer, d’une part, que les enfants de cette partie de Plonévez-Porzay fréquentaient, pour la plupart, les écoles de Locronan et, d’autre part, que les habitants y venaient à la messe dominicale. En fait, par l’histoire, par les relations quotidiennes, par la fréquentation scolaire et religieuse, cette partie de Plonévez-Porzay avait « tout intérêt [...] à être remise à Locronan44 ». De plus, selon le conseil municipal de Locronan, cette distraction, représentant environ 350 habitants, n’empêcherait pas Plonévez-Porzay avec ses 3 046 habitants de rester une commune moyenne. Alors que cette annexion permettrait à Locronan qui n’avait que 329 hectares de superficie de la doubler et de porter sa population de 74945en 1926 à un peu moins de mille habitants, « lui assurant [ainsi] la consistance d’une commune de moyenne importance46 ». Le conseil municipal de Locronan demanda à l’administration d’étudier ce projet. L’affaire était lancée.
37Le Courrier du Finistère évoquait, avec ironie, la demande de Locronan et attaquait son maire qu’il qualifiait de « maître tyranneau ambitieux47 ». Mais, l’hebdomadaire conservateur allait plus loin et se montrait sarcastique quand il évoquait le rôle joué par le « Lapic » dans la délimitation proposée par le maire de Locronan :
« Le grand rôle dans la délimitation revient à un ruisselet qui porte le nom poétique de " Lapic ". Il est regrettable que Victor Hugo soit mort, il aurait chanté ce nouveau Rhin48 »
38Alors que les esprits s’échauffaient, un commissaire enquêteur fut nommé afin d’étudier le bien-fondé de la demande d’agrandissement. Suite à l’enquête administrative qui se déroula les 18 et 19 septembre 1928, le commissaire enquêteur estima que la demande était justifiée par l’accord de la majorité des personnes concernées, par les rapports quotidiens de ces personnes avec Locronan et par la fréquentation des écoles par les enfants de ces familles. En fait, l’ensemble des arguments avancés par le conseil municipal. Cependant, les passions s’exaltaient et maires, adjoints, conseillers municipaux, recteurs de chaque commune, occupaient le terrain afin de faire signer des déclarations de fidélité aux habitants de Plonévez-Porzay susceptibles d’être rattachés. Sur le conseil du commissaire enquêteur, Daniélou convoqua un conseil municipal, le 20 septembre 1928, afin de faire acte de conciliation envers Plonévez-Porzay. Le maire de Locronan proposait à son conseil de diminuer la zone réclamée en renonçant à demander le rattachement de quinze fermes pour « maintenir les relations amicales existantes49 » entre les deux communes. Cela était surtout, pour Le Courrier du Finistère, « reculer la ligne d’attaque50 ». Et cela n’empêchait pas le maire de Plonévez-Porzay, Hervé Le Floch, de dénoncer « la façon incorrecte avec laquelle la municipalité de Locronan a mené cette affaire depuis le début51 ».
39Le 28 décembre 1928, dans un télégramme adressé à son adjoint, Guillaume Hémon, Charles Daniélou annonçait la victoire :
« [...] Le Conseil d’État a approuvé le rattachement à Locronan du territoire de Plonévez que nous revendiquions. C’est une belle victoire, vous l’avouerez, en si peu de temps ; d’autant plus que jusqu’à la dernière minute nos adversaires ont agi... [...]52 »
40Par un décret du 8 janvier 1929, publié au Journal officiel le 19 janvier 1929, Charles Daniélou obtenait le rattachement de trente villages, ce qui faisait passer 260 personnes de Plonévez-Porzay à Locronan. Alors que Le Courrier du Finistère ignorait cette victoire du maire de Locronan, Le Bas Breton évoquant, chose curieuse, pour la première fois cette affaire, faisait l’éloge de l’efficacité de Daniélou : « [...] Jamais encore on n’avait vu une affaire de ce genre menée avec une telle rapidité puisqu’elle a été réglée en l’espace de quatre mois53 »
41Plusieurs habitants de Plonévez-Porzay ainsi que la commune déposèrent un recours devant la section contentieux du Conseil d’État, le 19 mars 1929 puis le 23 juillet 1933 afin de faire annuler le décret les rattachant à Locronan54 Un point définitif fut donné à cette affaire par l’arrêté n° 9692 du Conseil d’État, en date du 19 janvier 1934, qui en rejetant les recours permettait de clore « souverainement et définitivement cette affaire55 ». Charles Daniélou fit alors inscrire sur le registre des délibérations du conseil municipal cette décision afin que « nul ne l’ignore et se rappelle que ce territoire conquis avec tant de peines fera désormais part de son domaine56 ».
42La lutte procédurière des « Locronanais malgré eux » avait été un échec. L’affaire était close. Le territoire qui avait été, selon le mot de Daniélou, « conquis » sur Plonévez-Porzay était désormais partie intégrante de Locronan. Charles Daniélou avait réussi à agrandir la superficie de sa commune et à augmenter de 260 personnes le nombre de ses administrés. Là, plus qu’à toute autre occasion le tandem qu’il formait avec Guillaume Hémon avait bien fonctionné : alors que son adjoint était présent sur le terrain, lui, usait de son influence à Paris. Ce rattachement avait permis de faire d’un bourg étriqué, une commune de taille moyenne. Avec ses nouveaux habitants, Daniélou augmentait sa capacité fiscale et améliorait du même coup les finances municipales.
43Le 5 mai 1929, soit quelques mois après l’agrandissement de Locronan, les élections municipales débouchèrent sur une nouvelle victoire de Charles Daniélou qui obtenait 150 voix, chiffre jamais atteint jusqu’alors. Il fut réélu maire le 19 mai, à l’unanimité, par douze voix sur douze57 En confiant pour la quatrième fois le mandat de maire à Daniélou et en reconduisant également son adjoint Guillaume Hémon, la population de Locronan montrait son adhésion à cet homme et à son adjoint car tous deux :
« [...] Dans ces temps où rien de nouveau ne se passait sur la vieille place de Locronan, [...] eurent le mérite de provoquer événements et souvenirs, dont on put parler dans les veillées et qu’on mit en chansons58 »
Des projets ambitieux pour sa circonscription dont un « digne de Jules Verne59 »
44Charles Daniélou avait d’ambitieux projets pour sa circonscription. En effet, il souhaitait faciliter son développement économique par la création, dans la presqu’île de Crozon, d’une immense gare transocéanique pour l’aviation aux abords de Lanvéoc et de l’anse du Poulmic. Cette gare permettrait de recevoir, à leur arrivée sur le Vieux Continent, les avions en provenance des États-Unis. Daniélou contacta alors les services de la Marine, des Travaux publics et des Affaires étrangères et plus particulièrement le nouveau ministre de l’Air, Laurent-Eynac, en septembre 1928.
45Conjointement à ce projet d’aéroport, Charles Daniélou souhaitait faire construire un phare gigantesque qui guiderait les avions en provenance d’Amérique. Cet immense phare serait installé sur les hauteurs de Locronan, au sommet de Plasar Horn. Daniélou avait eu cette idée originale en lisant dans des documents qu’au :
« Moyen Age et plus tard, c’est sur les hauteurs de Locronan qu’au moment de la mobilisation générale on allumait de grands feux afin qu’ils pussent être aperçus à trente lieues à la ronde60 »
46Mais peut-être que cette idée lui était aussi venue après sa rencontre avec Lindbergh, en 1927, lors du déjeuner qui se déroula au Quai d’Orsay à l’occasion de sa traversée de l’Atlantique. Ou peut-être est-ce la mésaventure arrivée à l’aviateur américain Byrd qui égaré, en juin 1927, dans la brume des côtes d’Irlande, ne trouvait plus la direction de Paris, qui renforcèrent sa volonté de doter le Finistère d’un phare qui aurait son pendant sur les côtes d’Irlande. Ainsi, le rayonnement de ces deux phares se croiserait au large de la Cornouaille anglaise constituant :
« Une porte de lumière et les deux nouvelles colonnes d’Hercule de l’Ancien Continent61 »
47Les feux de ces deux phares seraient pour les aviateurs « la lueur annonciatrice de l’Europe62 ». Ce projet qui tenait à cœur Charles Daniélou car il l’évoqua assez souvent en 1928 et 1929, notamment dans La Dépêche de Brest et dans son ouvrage Finis Terrae, ne vit jamais le jour. Par ce projet d’avant-garde et par son souhait de voir installer un aéroport dans la presqu’île de Crozon, le député-maire de Locronan voulait favoriser le développement économique de sa circonscription, comme il avait réussi à conforter l’avenir de sa commune en l’agrandissant. Les années de 1927 à 1929 sont donc, non seulement, celles du retour à l’écriture, mais aussi, celles qui instaurent véritablement Charles Daniélou comme le puissant patron de sa circonscription et, au plan national, comme le président de la Gauche radicale. Tout était en place pour que sa carrière prenne une nouvelle dimension.
Notes de bas de page
1 . Charles Daniélou, Le carnet d’un parlementaire, Paris, Eugène Figuière, 1927, p. 22
2 . Charles Daniélou, Le carnet d’un parlementaire, Paris, Eugène Figuière, 1927, p. 22
3 Le consortium breton, premier semestre 1927, avril, p. 285.
4 Le consortium breton, premier semestre 1928, p. 24.
5 Le cinéaste Jean Epstein tourna, en 1928, un film sur la Bretagne intitulé Finis Terrae. D’après la
Cinémathèque Française : « Il n’y a aucun lien entre le livre de M. Daniélou et le film. » (Alain Marchand, directeur de la diffusion culturelle, lettre à l’auteur, 22 février 1993).
6 Le consortium breton, premier semestre 1928, p. 24
7 Charles Chassé, « Une visite chez Charles Daniélou », La Dépêche de Brest, 26 novembre 1927.
8 Lagadec, « Les vedettes de chez nous », Le consortium breton, premier semestre, 1928, p. 457.
9 Alain Daniélou, lettre à l’auteur, 2 février 1993
10 Le Bas Breton, première page, 18 janvier 1928.
11 Idem, 10 mars 1928.
12 Ibidem, 17 mars 1928.
13 Ibidem.
14 Ibidem, 28 mars 1928.
15 ADF 3 M 322, prévisions sur l’issue des législatives de 1928, sans date.
16 Le Courrier du Finistère, 10 mars 1928.
17 Idem, avril 1928.
18 Idem, 17 mars 1928.
19 Ibidem, 10 janvier 1930.
20 Ibidem.
21 Ibidem.
22 Ibidem.
23 Ibidem, 14 avril 1928. « C’hoari-chench » signifie « jouer à changer », opportuniste.
24 Le Bas Breton, première page, 14 avril 1928.
25 Idem
26 Ibidem, 10 janvier 1930
27 ADF 3 M 322, profession de foi de C. Daniélou, 1928.
28 ADF 3 M 322, préfet au ministre de l’Intérieur, le 19 avril 1928.
29 Idem.
30 Le Bas Breton, 21 avril 1928.
31 ADF 3 M 322, résultats des législatives de 1928.
32 Le Bas Breton, 28 avril 1928.
33 Idem, 5 mai 1928.
34 . Le Courrier du Finistère, 28 avril 1928.
35 Idem.
36 Ibidem, 12 mai 1928.
37 Le Bas Breton, 9 juin 1928.
38 Jean-Jacques Becker et Serge Berstein, Victoire et frustrations (1914-1929),, Paris, Seuil, collection Nouvelle Histoire de la France contemporaine, 1990, p. 296.
39 Charles Daniélou, Dans l’intimité de [..], op. cit., p. 314.
40 Le Courrier du Finistère, 26 mai 1928.
41 Le Courrier du Finistère, 26 mai 1928.
42 Archives municipales de Locronan, registre des délibérations du conseil municipal, 15 août 1928.
43 Idem.
44 Ibidem
45 ADF 6 M, population des communes du Finistère.
46 Archives municipales de Locronan, registre des délibérations du conseil municipal, 15 août 1928.
47 Le Courrier du Finistère, 22 septembre 1928.
48 Idem.
49 Archives municipales de Locronan, registre des délibérations du conseil municipal, 15 août 1928.
50 Le Courrier du Finistère, 13 octobre 1928.
51 Archives municipales de Plonévez-Porzay, registre des délibérations du conseil municipal, 28 septembre 1928.
52 Cité dans Un pays de Cornouaille [...], op. cit., p. 418.
53 Le Bas Breton, 12 janvier 1929.
54 ADF 1 M 71, contentieux à propos du décret du 8 janvier 1929, circonscriptions territoriales.
55 Idem.
56 Archives municipales de Locronan, registre des délibérations du conseil municipal, février 1934.
57 ADF 3 M 580, résultats des municipales de 1929.
58 Maurice Dilasser, Un pays de Cornouaille [...], op. cit, p. 419.
59 Maurice Lucas, Le Finistère [...], op. cit., p. 486.
60 Charles Chassé, « Une visite chez C. Daniélou », La Dépêche de Brest, 26 novembre 1927.
61 François Ménez, « Une heure avec Charles Daniélou », premier article, La Dépêche de Brest, non daté (certainement fin 1928).
62 Idem, 5 mai 1928.
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Charles Daniélou (1878-1953)
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