Chapitre 9. Une nouvelle société ?
p. 387-427
Texte intégral
1La période de la Libération achevée, les nouvelles institutions mises en place, la société départementale s’est-elle transformée ou les permanences dominent-elles ? La population du département, dans l’ensemble, agit pendant toute la période allant de 1945 à la fin des années cinquante avec une relative modération dans le domaine politique et syndical suivant en cela une tradition bien établie. Ce qui est nouveau, c’est l’alignement du département sur le comportement français, par exemple lors des mouvements de grève, mais cette « nationalisation » de l’Ille-et-Vilaine est moins évidente dans d’autres secteurs et à plusieurs reprises, le département marque son originalité par rapport à la France en votant largement pour le MRP, en donnant naissance à un syndicalisme agricole de plus en plus contestataire par rapport à la FNSEA et en permettant à la CFTC de devenir le principal syndicat non agricole. Cette originalité par rapport à la France n’en est pas une par rapport à la Bretagne, sauf par son attitude plus modérée que celle des autres départements bretons. Les possibilités de changement passent toutes en fait par une même idéologie, celle du catholicisme social, un catholicisme non figé, précurseur de Vatican II et dans la suite logique des expériences lancées au milieu des années trente par Pie XI. Tous les militants actifs, porteurs de renouveau, sont issus de ce creuset. Ce renouveau s’inscrit dans la continuité et ne signifie nullement une rupture totale, mais en est-il de même pour la structure de la population, son niveau de vie, ses loisirs, son attitude par rapport à la guerre et aux combats idéologiques ?
Une population en lente mutation
2La population départementale n’a jamais vu sa population diminuer d’un recensement à l’autre et cela persiste après la guerre. Sa population active augmente, non sans répercussions sur son comportement en particulier par rapport à ses revenus, à sa fortune.
Un département qui perd ses forces vives ?
3De 1946 à 1962, la population départementale augmente de presque 7 % soit de moins d’un demi-point par an et sa structure par âge se modifie.
Tableau n° 60 : Structure par âge de l’Ille-et-Vilaine et de la France de 1946 à 1962 (en pourcentage de la population totale).

4Sans changement spectaculaire, l’évolution est cependant sensible et lourde de conséquence avec le poids croissant des inactifs ; la croissance des plus de 65 ans révèle une population en voie de vieillissement. La comparaison avec la France est éloquente. En 1946, l’Ille-et-Vilaine est plus jeune que la population française, c’est encore vrai en 1954, mais en 1962 les deux structures par âge se sont rapprochées par deux mouvements inverses : le vieillissement de l’Ille-et-Vilaine et le rajeunissement de la population française. À la fin des années cinquante, la pression démographique se fait de plus en plus forte dans le cadre du « baby boom » et en même temps faute d’emplois suffisants, la population active quitte le département pour d’autres régions, principalement la région parisienne. C’est d’ailleurs parmi la population âgée de 20 à 30 ans que la baisse est la plus forte ; de 1954 à 1962, les 20 à 30 ans passent de 14,9 % à 12,7 % de la population départementale. Comme toujours, faute d’emplois, ce sont les jeunes adultes qui partent, rendant d’autant plus remarquable la persistance de la croissance de la tranche d’âge des 0 à 14 ans. C’est à la fin des années cinquante que les changements les plus importants interviennent sans que l’on puisse déterminer ce mouvement avec plus de précision1.
5Le mouvement naturel, quant à lui, ne se distingue guère de celui de la France. Le fait majeur (et que l’on retrouve en France) est la baisse rapide de la mortalité infantile.
Tableau n° 61 : Natalité, mortalité générale et infantile en Ille-et-Vilaine et en France (pour 1 000).

(1) Moyenne de 1945-1950 ; (2) Moyenne de 1951-1955.
6L’écart entre le département et la France reste élevé jusqu’au milieu des années cinquante ; bien que les chiffres ne correspondent pas tout à fait terme à terme, cela démontre le décalage important entre l’Ille-et-Vilaine et la France avec un développement très inégal dans tous les domaines y compris sanitaire. Malgré tout, cette baisse de la mortalité infantile est une nouveauté fondamentale pour le département, une meilleure hygiène, un accouchement de plus en plus médicalisé avec l’entrée en clinique de la parturiente contribue à cette baisse, visible avant la fin des restrictions alimentaires qui sont aussi un facteur de mortalité infantile2. Dans un département rural, cette évolution est significative des résultats et des efforts en faveur d’une meilleure surveillance des naissances. Cette amélioration est due autant à une action préventive auprès des futures mères qu’à un développement du nombre des cliniques ou des hôpitaux ; la mise en place de la Sécurité sociale remboursant les séjours à l’hôpital n’y est pas étrangère non plus3.
7Dans l’ensemble, la population d’Ille-et-Vilaine vit mieux, a une meilleure santé qu’au lendemain de la guerre. La mortalité due à la tuberculose diminue de moitié entre 1951 et 1956, mais elle continue d’être comme les autres départements bretons, un département où l’alcoolisme est une cause majeure de décès : en cinq ans, les décès dus à l’alcoolisme triplent. Le taux de mortalité par alcoolisme et cirrhose du foie est en 1955 de 76 pour 100 000 en Ille-et-Vilaine (75 en 1962), taux supérieur à la moyenne bretonne (62 pour 100 000) et à la moyenne française (40 pour 100 000)4. Malgré tout, l’évolution générale de la mortalité en Ille-et-Vi- laine correspond presque exactement à celle de la France et il en est pratiquement de même pour la natalité sauf en 1950 et 1959 où le département a un taux un peu plus élevé. Son comportement s’aligne sur celui de la France.
Des secteurs d’activité en mutation
8Les trois recensements de 1946 à 1962 donnent une idée des mutations en cours et encore inachevées.
Tableau n° 62 : Population active en Ille-et-Vilaine de 1946 à 1962(exprimé en pourcentage).

9La structure de la population active d’Ille-et-Vilaine ne ressemble en rien à celle de la France où les secteurs secondaire et tertiaire ont une forte prépondérance. En fait, les années 1946 à 1954 marquent une amorce de transformation dans la répartition des grands secteurs d’activité, en particulier entre le secteur primaire et le secteur tertiaire, puisque pour la première fois le secteur primaire n’est plus majoritaire en 1954. Ce frémissement annonce le début d’un accroissement des secteurs secondaire et tertiaire et la persistance du recul du secteur primaire. Comme le laisse supposer l’évolution politique et syndicale de ces années-là, au tout début des années cinquante, le paysage social bouge imperceptiblement sans rupture totale (contrairement aux années soixante).
10Le taux d’activité féminin est significatif de l’évolution de la société plus par ce qu’il préfigure que par la réalité qu’il traduit. En 1946, les femmes représentent près de 45 % de la population active départementale et en 1954 42 % environ ; mais, si l’on n’observe que les secteurs secondaire et tertiaire, la population active féminine y forme 39,76 % de l’effectif en 1946 et 40,12 % en 1954. Autrement dit en huit ans, le poids des femmes ne se modifie guère dans ces secteurs. La population active féminine est essentiellement une population d’agricultrices. Leur poids diminue en chiffres relatifs et en chiffres absolus. Elles sont 141 093 femmes actives recensées en 1946 et 119 640 en 1954 soit une baisse de 15 % environ, et dans le secteur primaire la baisse est plus élevée (-23,01 %). Par conséquent, une partie de la baisse du travail féminin est due au départ des femmes du secteur agricole alors que leur nombre augmente dans les deux autres secteurs mais cette augmentation est loin de compenser les départs du secteur primaire. On assiste là à un phénomène particulier qui touche la population féminine. Jusqu’au milieu des années cinquante et probablement jusqu’à la fin de cette décennie, lorsque les femmes travaillent, elles sont agricultrices ; rares sont celles qui, quittant le travail agricole, se dirigent vers le secteur secondaire et tertiaire, faute d’emplois pour elles dans le département5.
11La baisse générale de la population active en chiffres absolus affecte les secteurs secondaire et tertiaire et leur évolution est importante par rapport aux prises de position syndicales de la même période. Si les transports voient leur part diminuer, ce n’est pas le cas des services. Le commerce diminue en chiffres absolus6, mais il augmente en part relative ; or, c’est au premier chiffre que les contemporains sont les plus sensibles, donnant un terrain favorable à l’UDCA. D’autre part, quand le secteur tertiaire augmente pendant cette période, il est très dépendant de l’État, l’initiative privée reste faible.
12Cette société vieillit, amorce une évolution vers les « travaux des villes », avec des répercussions encore insensibles sur son comportement et sur son niveau de vie.
Une fortune et un mode de vie sans changement ?
13Pour les deux décennies séparant les deux guerres mondiales, la composition de la fortune des habitants d’Ille-et-Vilaine a été étudiée à l’aide des déclarations de mutations après décès par sondage ; mais pour la période postérieure à 1945, on ne peut avoir accès à ces sources7, une comparaison terme à terme ne peut se faire. En raison des chiffres utilisés, on doit en rester au niveau départemental sans distinction entre villes et campagnes et sans pouvoir faire d’étude par catégorie socio-professionnelle8.
La composition de la fortune
14Sur l’ensemble du département, le nombre de successions déclarées ne varie guère entre 1950 et 1956 avec une moyenne de 4 507 successions déclarées par an. Sur cet ensemble, le nombre de successions négatives est peu élevé : 26 à 27 par an. Pour l’ensemble du département en 1949 et en 1953, on peut évaluer la composition de la fortune en retenant les mêmes éléments que pour l’analyse des années vingt-trente9. L’étude faite par Cornut permet aussi de comparer avec l’ensemble de la France et de situer le département au lendemain de la guerre.
15La composition de la fortune des habitants défunts d’Ille-et-Vilaine en 1949 et en 1953 (tableau n° 63) témoigne du poids de la valeur des biens immobiliers avec une prédominance des terres qui représentent plus du tiers de leur fortune contre un quart environ dans l’ensemble de la France. Quant à la part des immeubles, elle monte, avoisinant les 30 % mais maintenant à peu près le même écart avec la France. Par rapport à la France, l’écart majeur se situe au niveau des actions et des obligations (-2 % pour les obligations et -6 à -8 % pour les actions). De même, les valeurs déposées sur les livrets de caisse d’épargne et sur les comptes courants sont toujours un peu plus faibles qu’en France. Les défunts d’Ille-et-Vilaine investissent plus volontiers dans les valeurs-refuges que dans les valeurs impliquant des risques, attitude caractéristique d’un département rural peu développé10. Si l’on compare par rapport à la période antérieure à la guerre 1939-1945, on peut saisir l’éventuelle évolution des mentalités.
Tableau n° 63 : Composition de la fortune privée en Ille-et-Vilaine en 1949 et en 1953 comparée à la France (en pourcentage de la fortune privée totale)11.

Tableau n° 64 : Composition de la fortune privée en Ille-et-Vilaine de 1920 à 195312.

16Les fortunes laissées par les défunts après la guerre sont surtout composées de biens fonciers et immobiliers qui représentent les deux tiers de ces fortunes en 1953 contre 46,60 % en 1920-1937. Un changement aussi important et déjà visible en 1949 a plusieurs causes. Si les biens fonciers et immobiliers pèsent tant dans les successions, cela est dû sans doute à la croissance de leur valeur propre mais aussi (et c’est lié) au fait qu’ils servent de valeur-refuge en une période d’inflation, d’incertitude monétaire et politique. Enfin, la terre plus que les immeubles a un poids en hausse dans les successions en raison du renchérissement de son prix dû à la faim de terres qui existe à ce moment en Ille-et-Vilaine.
17Si les biens fonciers et immobiliers apparaissent comme des valeurs refuges pour ces patrimoines et d’une manière plus marquée qu’en France, les valeurs mobilières telles que les actions et les obligations voient leur part diminuer, voire s’effondrer après la guerre13. Les actions n’ont toujours occupé qu’une faible part dans les fortunes des habitants d’Ille-et-Vilaine et sur l’ensemble de la période, leur présence était à peu près stagnante ; elles sont trop aléatoires pour une population qui, d’un bout à l’autre de l’échelle sociale à une ou deux exceptions près, est peu encline à l’aventure. Apparemment, l’évolution subie par les obligations est plus surprenante. Celles- ci avant la guerre représentent le placement mobilier par excellence pour toutes les catégories sociales14. Leur rentabilité était forte, en particulier la rente française. Or, la baisse est brutale puisque dès 1949 elles passent de 10 % à peine 4 % de la fortune des défunts et cette proportion reste identique en 1953. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette évolution. Les défunts (surtout ceux de 1949) ont constitué leur fortune avant la guerre c’est-à-dire à un moment où les obligations ont une valeur élevée ; la guerre, l’Occupation, les difficultés de la relance économique avec le cortège des destructions, disparitions de sociétés, etc., la pauvreté de l’État -qui la masque en faisant fonctionner « la planche à billets »—, tout cela se répercute immédiatement sur les successions. Ceux qui possèdent des obligations et des rentes sur l’État ont vu le revenu de celles-ci s’effriter, voire ne plus avoir de véritable valeur ; les conversions d’obligations ou de rentes sur l’État ne suffisent pas à pallier cette situation. Les anciens détenteurs d’obligations ou de rentes n’ont plus confiance et plutôt que d’effectuer une reconversion préfèrent peut-être investir ailleurs ou déposer sur un compte courant ou un livret de caisse d’épargne ; quant aux éventuels clients, ils n’ont plus guère confiance, ne serait-ce que parce que l’État semble peu solide sur les plans économique et financier en 1949 comme en 1953. Tous ces facteurs où le vrai et le mythe s’entremêlent, contribuent à la baisse spectaculaire du poids des obligations et des rentes d’État dans les successions. Cette évolution est générale puisque ce chapitre subit en France en 1949 une baisse de 10 % environ.
18L’évolution des comptes courants, des dépôts bancaires et des livrets de caisse d’épargne est plus lente mais significative. Ces deux formes de dépôt sont peu usitées avant 1939. Or, le poids des livrets de caisse d’épargne augmente alors que celui des comptes courants ou dépôts bancaires stagne.
19Cette attitude peut avoir deux origines. La préférence est accordée aux livrets de caisse d’épargne parce que le dépôt, retirable à vue, y est rémunéré, ce qui en période d’inflation (même si le taux d’intérêt ne suit pas exactement l’inflation) peut ne pas être négligeable. Il bonifie le réflexe d’épargne et perpétue probablement une forme de placement de « père de famille », réservé aux petits épargnants, aux familles modestes n’ayant pas suffisamment de disponibilités pour acheter des biens fonciers ou immobiliers. En cela, les défunts d’Ille-et-Vilaine ne se distinguent pas des autres Français. L’usage du compte courant reste encore rarissime avec moins de 2 % des défunts qui en possèdent un pendant la période étudiée. L’écart avec la France est d’environ 1 % au détriment de l’Ille-et-Vilaine. Si la pratique du compte courant est plus lente à s’établir, c’est un phénomène général qui montre le peu de confiance des Français pour tout ce qui est système bancaire moderne, du moins à l’époque. Ce dernier est en pleine réorganisation du fait de la nationalisation des principales banques de dépôt en 1945 et le réseau d’agences bancaires est encore peu développé, la banque est ainsi relativement éloignée du lieu d’habitation des ruraux (à plus forte raison dans cette région d’habitat dispersé). D’autre part, les anciennes banques locales sont en train de disparaître ou ont disparu et enfin, le Crédit agricole n’a pas encore su ni pu convaincre les agriculteurs d’avoir un compte. L’Ille-et-Vilaine encore plus que la France a un comportement très timide dans ce domaine et ceci jusqu’à la fin des années cinquante, comportement commun à d’autres départements agricoles à « expansion limitée »15.
20Cette étude globale montre une attitude de repli sur les valeurs qui semblent les plus sûres, les plus intangibles. Il ne faut certes pas oublier qu’il s’agit de défunts, d’une population plutôt âgée, mais loin d’évoluer dans un sens plus entreprenant, les habitants du département semblent au contraire avoir un comportement plus frileux, probablement en partie à cause de la conjoncture nationale et internationale qui n’incite pas à l’optimisme dans la décennie précédant 1949, ou 1953, mais aussi sans doute en partie à cause de la conjoncture locale et des mentalités locales. La situation économique n’est guère encourageante ; le département, déjà peu industrialisé, a des usines qui ferment depuis la Libération et sans qu’il y ait de création, à l’exception de la première usine Citroën à Rennes en 1953 mais qui ne peut suffire à relever l’industrie départementale. Quant à l’agriculture, elle est encore peu développée et très proche par ses productions et ses modes de production et de fonctionnement de celle d’avant la guerre. La stagnation économique n’est guère encourageante. Ajoutons à cela la mentalité des habitants qui ne favorise guère l’investissement et une attitude qui existe déjà avant la guerre, à savoir une volonté de chercher la sécurité financière et que l’on semble retrouver après la guerre. On ne constate pas de changement profond parmi les détenteurs de capitaux. La guerre et l’Occupation ont incontestablement entamé les patrimoines (mais dans quelle proportion ?) ; ceux-ci nécessitent très souvent des réparations dans l’immobilier.
21D’autre part, la formation de l’élite sociale chez les défunts n’a pas changé et reste marquée par les mêmes choix que pendant la période 1920-1937. Tout cela empêche ou limite toute velléité d’innovation, de transformation.
22Dans l’état actuel des sources, il n’est pas possible de savoir si cette société est aussi hiérarchisée qu’auparavant, mais on peut penser étant donné la permanence constatée à l’échelon général que c’est toujours le cas16. Les conditions de vie permettent de mieux apprécier les évolutions et les changements éventuels.
Transformations de la vie quotidienne
23La structure de la population connaît quelques changements mais sans bouleversement brutal, tandis que son comportement vis-à-vis de l’argent n’a pas changé et même atteste une attitude de plus en plus sur son « quant-à- soi », ce qui se reflète dans ses conditions de vie en ces années d’après-guerre.
24— Des logements longtemps sans confort
25Comme pendant l’entre-deux-guerres, le logement reste problématique. Entre 1919 et 1939, peu de constructions de logements ont été réalisées; que ce soit en copropriété ou en HBM, elles restent insuffisantes. La guerre avec les destructions qui accompagnent l’Occupation et la Libération, aggrave cette situation. Les destructions totales atteignent 9 544 logements et 2 864 bâtiments non destinés à l’habitat17, tandis que les destructions partielles concernent en 1946 6 718 immeubles et plus de vingt mille bâtiments non destinés à l’habitat18. 72 % des immeubles partiellement détruits se trouvent dans les villes. Résultat, au lendemain de la guerre, les habitants sont mal logés ; le surpeuplement est la règle19, mais le manque de confort est encore plus flagrant avec des variantes suivant la localisation géographique.
Tableau n° 65 : Confort des logements en Ille-et-Vilaine et en France (1946- 1962).

26Des progrès sont réels, mais les chiffres provenant des recensements révèlent aussi les difficultés de la vie quotidienne pour l’ensemble de la population du département jusqu’à la fin des années cinquante. Au milieu des années cinquante, l’Ille-et-Vilaine est encore très en retard sur la France qu’il s’agisse de l’eau courante ou de l’électricité ; toutefois pour cette dernière, elle fait partie désormais des habitudes de la majorité de la population en 1954. Pour l’eau courante, il faut attendre 1962 puisqu’auparavant l’eau courante et le gaz étaient absents de plus de 30 % des logements. Au vu des résultats de ces recensements, un saut qualitatif est franchi entre 1954 et 1962, tournant qui se situe à la fin des années cinquante, même si l’écart avec la France reste important. Mais un fossé existe entre la ville et la campagne. En 1946, le déséquilibre est grand pour l’eau et le gaz. Dans les villes, 25 à 30 % des logements en sont équipés contre moins de 10 % dans les campagnes. En revanche, pour l’électricité se confirme l’effort important fourni dans les années vingt et trente dans les campagnes. En 1954, c’est encore l’électricité qui détient la palme du progrès puisque la majorité des logements à la ville comme à la campagne en est pourvue, mais l’écart (30 %) entre elles s’est accru et c’est toujours vrai en 1962. En 1954 et surtout en 1962, les logements des citadins sont totalement équipés en électricité, mais un peu plus de 40 % des ruraux ne l’ont pas encore car l’électrification des écarts est loin d’être réalisée. L’absence d’électricité dans les campagnes explique aussi les lenteurs de la modernisation, de même que le manque d’eau courante qui lui est lié. Or, 8 à 9 % des ruraux ont l’eau courante chez eux en 1954 ; la moitié dans la cour de ferme et 30 % doivent aller à une fontaine publique. Si, en 1962, le progrès est réel, il reste insuffisant20. Sans eau courante et sans électricité, les agriculteurs ne peuvent améliorer ni leur hygiène, ni celle de leur bétail, ni utiliser par exemple des trayeuses électriques qui trouvent difficilement preneur. Si les citadins sont un peu plus favorisés dans ce domaine, le retard est grand par rapport aux autres villes françaises, avec les deux tiers seulement des logements qui en 1954 ont l’eau courante soit à l’intérieur soit à l’étage, et le cinquième, uniquement dans la cour de l’immeuble. Ces quelques chiffres sur l’eau courante en ville donnent en fait quelques indications sur les conditions de vie et sur l’état de salubrité des logements dans les villes en ce milieu des années cinquante ; la construction d’HLM et les efforts des municipalités arrivent à combler l’essentiel du retard en 1962 par rapport à la France21.
27Ces premiers éléments de base du confort : eau courante, gaz et électricité (dont la distribution et la production ont été nationalisées au lendemain de la guerre) sont loin d’être largement diffusés au milieu des années cinquante, mais en 1962 les villes du département peu à peu s’alignent sur la France. Les campagnes en revanche conservent un retard important qui explique bien des comportements dans le syndicalisme agricole et plus largement dans le monde rural, ainsi que celui des élus dans le cadre du CELIB par exemple. Dans tous ces domaines, la ville a une avance considérable, encore plus forte si l’on observe la ville de Rennes. En 1954, 64 % de ses logements ont l’eau courante à l’intérieur, 73 % le gaz de ville et 94 % l’électricité. Si Rennes a une avance par rapport aux autres villes du département, il existe malgré tout à cette époque comme un noyau incompressible non touché par la modernisation : les quartiers ouvriers, insalubres22.
28Les recensements de 1954 et de 1962, contrairement à celui de 1946 permettent de compléter les indications d’équipement de ces logements pour les installations sanitaires et le chauffage central. En pleine conformité avec les chiffres généraux sur l’alimentation en eau, gaz et électricité, ceux des installations sanitaires confirment le sous-équipement du département en 1954 par rapport à la France ; même à Rennes, rares sont les logements pourvus de salles de bain ou de lavabos (respectivement 12,97 % et 7,26 %) ; l’évier de la cuisine est dans tous les autres cas, le seul lieu desservi par l’eau courante, avec parfois les WC quand ils existent à l’intérieur du logement. Il est remarquable que, dans la préfecture même, moins de 40 % des logements possèdent des WC privés. Parmi les villes, celle qui a l’installation la plus moderne, n’est pas Rennes, mais Dinard où seuls 36 % des logements ont l’eau courante, mais ceux qui l’ont, disposent d’un confort plus complet que ceux de Rennes puisqu’à Dinard près de 16 % des logements ont une baignoire ou une douche et 9 % des lavabos. Cela est dû à la présence, avant la guerre, d’une bourgeoisie aisée venant s’y délasser23. Excepté ce cas particulier, la corrélation est forte entre la taille des communes, l’équipement sanitaire et celui de l’eau courante. Quant au chauffage central (au charbon de toute façon), il est l’apanage d’une minorité de logements y compris dans les villes. La plupart de ces logements sont chauffés par des cheminées, parfois par des salamandres alimentées au charbon.
29Les logements sont sans le confort moderne pour la majorité des habitants. Le département est sous-équipé tandis qu’un décalage criant existe entre la ville et la campagne. Les agriculteurs vivent le plus souvent dans des fermes au sol en terre battue et la règle est la pièce unique. En 1962, le département se rapproche de l’équipement français sauf pour les WC et le chauffage central pour lesquels l’écart reste important. Mais lorsque l’on compare les villes et les campagnes en 1962, on s’aperçoit que ces dernières ont très peu progressé alors que les villes ont connu un véritable bond en avant. Cette dichotomie encore plus accentuée, en 1962, entre les villes et les campagnes est le résultat des efforts fournis par les municipalités (en particulier à Rennes sous l’impulsion de la municipalité d’Henri Fréville) pour faire face à l’afflux de population (par immigration ou par croissance naturelle) ; les constructions nouvelles sont toutes équipées du confort moderne et représentent à l’époque un indéniable progrès. À la fin des années cinquante, si les villes d’Ille-et-Vilaine entrent dans le monde moderne et de la consommation avec un équipement proche de la moyenne française, les campagnes conservent et même comparativement accroissent leur retard, justifiant le sentiment d’un département « arriéré » par rapport à la France, mais aussi l’action des élus du CELIB. À la fin des années cinquante, l’Ille-et-Vilaine n’a pas achevé sa mutation et est un département à deux vitesses, d’où la double impression que le tournant est pris vers 1954 comme dans le reste du pays et qu’il ne s’est réalisé que plus tard vers 1965 avec un « rattrapage » sur le reste du pays, suivant en cela l’évolution de la Bretagne. Ces deux raisonnements se fondent sur des réalités mais l’une est celle de la ville et l’autre celle du monde rural.
30— Persistance des mentalités
31Dans ces logements au confort le plus souvent précaire, le mode d’occupation est tout aussi déterminant pour comprendre cette société. À Rennes (29,38 %) comme dans le département (36,22 %), les propriétaires sont minoritaires. Ces taux reflètent fort bien la mentalité de l’époque et ils ne sont pas spécifiques au département24. L’absence de système de crédits bancaires favorisant l’achat du logement en est en grande partie responsable. Certes ces crédits commencent à exister en particulier avec le Crédit foncier, mais cela nécessite aussi de changer les mentalités des habitants. Dans la bourgeoisie qui a priori dispose de plus de possibilités pour acheter son logement, l’idée de recourir au crédit est bannie et emprunter pour sa vie privée est ressenti comme le signe d’un appauvrissement. Cette situation fait que, si au milieu des années cinquante, les crédits bancaires s’assouplissent, la population n’est pas encore mentalement prête. Enfin, en ce qui concerne les villes, le marché de l’immobilier est étroit. Ces deux facteurs se conjuguent pour limiter le nombre de propriétaires possibles. Le taux surprenant de l’ensemble du département par rapport à la moyenne française s’explique par la proportion d’agriculteurs propriétaires de leurs fermes ce qui gonfle quelque peu leur pourcentage. Enfin à Rennes, la part des propriétaires de maisons et celle de propriétaires d’immeubles est à peu près équivalente (14 à 15 %) ; or, la ville a une plus grande proportion d’immeubles que de maisons. Les propriétaires appartiennent aux vieilles familles de la ville (bourgeoisie ou noblesse) qui héritent depuis plusieurs générations de ces maisons ou hôtels particuliers. La majorité des habitants réside dans des logements loués.
Tableau n°66 : Qui est propriétaire en 1954 ?25

32Les personnes non actives sont le plus souvent propriétaires : des retraités et quelques personnes rentières mais certainement peu nombreuses26. Il est normal que ces personnes âgées soient plus souvent propriétaires à la fois dans le département et dans leur catégorie sociale mais cependant la majorité d’entre elles ne l’est pas : aucune catégorie socioprofessionnelle n’a d’ailleurs une majorité de ses membres propriétaires. Si les personnes non actives forment la principale catégorie de propriétaires en Ille-et-Vilaine comme à Rennes, pour les autres catégories des différences géographiques apparaissent. Lorsque l’on considère l’ensemble du département, les agriculteurs forment la seconde catégorie de propriétaires (26 % environ de l’ensemble) et 38 % d’entre eux environ sont propriétaires. À Rennes, et c’est plus surprenant, les ouvriers représentent 22 % des propriétaires rennais : la valeur de leur logement est faible, beaucoup ont des parents agriculteurs dont ils ont pu hériter un pécule qu’ils ont alors placé. Les patrons de l’industrie et du commerce n’arrivent qu’en troisième position en pourcentage des propriétaires pour l’ensemble du département et pour Rennes, mais plus de 46 % d’entre eux sont propriétaires et près d’un tiers à Rennes. Plus étonnant, apparemment le fait que la catégorie des « professions libérales, cadres supérieurs et cadres moyens » soit assez proche de celle des ouvriers et des employés mais on est là victime de la définition des catégories socioprofessionnelles de l’INSEE qui associe les professions libérales et cadres supérieurs aux cadres moyens dont les revenus ne sont certainement pas au même niveau et n’ont pas non plus le même pourcentage de propriétaires. Dans l’ensemble, la relation entre propriétaires et catégories socio-professionnelles reflète la hiérarchie sociale ou les caractéristiques propres à certaines catégories comme celle des agriculteurs. De même, la part des habitants propriétaires de leur logement marque une certaine continuité par rapport à l’avant-guerre.
33La persistance ou non des modes de vie est visible à travers l’étude du personnel de service. Celui-ci a diminué par rapport à l’avant-guerre ; les statistiques du recensement de 1946 ne permettent pas d’apprécier la situation entre 1946 et 1954 mais en 1954, il est possible d’apprécier plus finement la situation de ce personnel suivant les zones géographiques. Le recensement de 1954 présente une statistique du personnel domestique en 1954 soit 7 792 personnes (4 886 gens de maison et 2 906 femmes de ménage).
Tableau n°67 : Le personnel domestique en 1954.

34A priori, on aurait pu penser que les femmes de la catégorie « gens de maison » auraient subi les conséquences de l’appauvrissement des employeurs et de l’alourdissement des charges sociales. Or, les « bonnes » forment encore en 1954, l’essentiel des emplois domestiques (61,85 %). Si la moyenne bourgeoisie (la plus concernée) réduit son train de vie, elle maintient encore en 1954 des habitudes de vie qui la conduisent à continuer d’employer des bonnes. Le déclin de l’effectif des domestiques ne signifie pas encore en 1954, un bouleversement total du mode de vie de la bourgeoisie ; il est vrai qu’à cette date les « classes moyennes »27 n’ont pas encore « explosé » et que les catégories les plus aisées de la population appartiennent encore nettement au monde clos de la bourgeoisie pour qui « avoir une bonne » est signe d’appartenance sociale, de reconnaissance sociale. La permanence domine dans ce secteur.
35Le recensement de 1954 donne aussi une statistique des domestiques et salariés logés qui concerne 13 742 personnes. L’écart entre les gens de maison28 et ce dernier chiffre est dû à la prise en compte dans ces 13 742 personnes, des ouvriers agricoles qui forment encore une population de 18 % environ dans la population active travaillant dans le secteur primaire. Sur les 13 742 personnes logées comme domestiques et salariés, 8 856 sont vraisemblablement des salariés agricoles (ouvriers ou domestiques, la « frontière » entre les deux n’est pas nette). Les chiffres fournis par les recensements sur la répartition géographique du personnel domestique et salarié logé concernent presque uniquement le personnel domestique non agricole lorsqu’il s’agit de villes comme Rennes ou ayant plus de 5 000 habitants ; le total des domestiques logés est encore inférieur à 4 886 ce qui confirme cette hypothèse. En partant de ce postulat, les statistiques suivantes ont été construites rapportant ce personnel à la population de ces villes.
Tableau n°68 : Personnel domestique par rapport à la population des villes en 1954.

36Ces chiffres globaux (avec leurs imperfections) réservent quelques surprises. La ville de Vitré a le taux le plus élevé de domestiques logés : ville de notables, de nobles ?, de membres de la moyenne bourgeoisie qui avec un niveau de vie peut-être plus faible que dans d’autres villes du département peuvent conserver une bonne car son salaire y est moins élevé29. Les taux de Paramé, de Dinard, villes balnéaires sont liés à la présence persistante d’une population aisée qui s’est retirée sur la côte et conserve des habitudes antérieures à la guerre par-delà les vicissitudes financières que ces familles traversent. Que le taux de domestiques à Rennes pour 10 000 habitants soit dépassé par des villes comme Fougères, Redon ou Saint-Servan peut rendre perplexe. L’une des explications est la même qu’à Vitré à savoir un salaire moins élevé à verser dans ces villes qu’à Rennes, et si Fougères est une ville ouvrière, c’est aussi une ville de patronat dont les familles emploient des bonnes. Surtout, dans le cas d’une ville comme Rennes dont la population est plus grande et plus diversifiée que celle des autres villes du département, ce type de moyenne écrase un peu les rapports de force sociaux tout en démontrant le caractère minoritaire de la bourgeoisie traditionnelle employant une bonne. Si l’on calcule ce taux par secteur ou par quartier, on atteint parfois des taux très élevés. Ainsi, dans les principaux quartiers résidentiels de la ville (quartier Sévigné et centre XVIIIe), le taux atteint 321 pour 10 000 habitants30. Dans ces quartiers de vieille tradition bourgeoise, apparemment la guerre, l’Occupation et les nouvelles conditions d’emploi et de paiement des employés de maison ne bouleversent pas encore le mode de vie. Dans ces milieux où le logement est soit une maison (voire un hôtel particulier), soit un grand appartement, les conditions de confort restent limitées comme on l’a vu ; les travaux ménagers y sont astreignants et peuvent justifier sur le plan pratique l’emploi d’une bonne. À cet aspect pratique, s’ajoutent -et c’est probablement l’essentiel- les habitudes culturelles : il n’est pas pensable dans la moyenne bourgeoisie que la femme fasse les « gros travaux ».
37Qu’il s’agisse du confort, du logement, de son statut d’occupation (propriétaire ou locataire), de l’emploi de bonnes, la permanence domine en ce milieu des années cinquante même si s’amorcent quelques transformations dans la vie quotidienne ; mais la seule véritablement spectaculaire est celle de l’électricité. Dans les autres domaines, les transformations sont insensibles et ne devaient guère être perceptibles aux contemporains.
Moyens de communication et d’expression
38Avant la guerre, les moyens de communication sont lents, les moyens d’information réduits pour l’essentiel à la presse écrite ; quant aux loisirs, ils reflètent les conflits idéologiques et les inégalités sociales. Après 1945, ces divers moyens d’expression et de communication changent quelque peu et l’on peut s’interroger sur l’ampleur de ces transformations, sur la démocratisation de certains d’entre eux.
Les moyens de circulation
39Avant la Seconde Guerre mondiale, l’automobile commence à se répandre dans les catégories sociales aisées et les commerçants utilisent de plus en plus souvent des camionnettes pour leurs livraisons. Après 1945, un temps de latence existe en raison des difficultés de ravitaillement en essence et de la reconstitution de la production automobile. Les recensements permettent de calculer qu’en 1941 il y avait 452 automobiles ou camionnettes pour 10 000 habitants et 621 en 195631. Il existe une progression réelle par rapport à l’avant-guerre sans être spectaculaire puisqu’elle est de 37 % environ. C’est entre 1956 et mars 1962 que la progression est spectaculaire puisque le nombre d’automobiles et de camionnettes passa à 1 741,45 pour 10 000 habitants en 1962 soit une progression de +180 % par rapport à 1956. L’arrondissement de Rennes a la plus forte densité d’automobiles en 1941, puis la répartition devient plus homogène. Dans l’ensemble, l’usage de l’automobile et de la camionnette32 s’étend sur tout le département mais les taux restent relativement faibles puisqu’environ 6 % de la population possède une voiture ou une camionnette. Dans ce cadre, l’Ille-et-Vilaine est un peu au-dessus de la moyenne des départements bretons et en-des- sous de la moyenne française.
40Les autres moyens de circulation changent avec l’abandon du tramway à vapeur remplacé par les autocars afin de desservir les petites communes. C’est en 1950 que le tramway à vapeur disparaît définitivement sur décision du Conseil général. L’adaptation au monde de l’automobile est très progressive. L’Ille-et-Vilaine suit une évolution conforme à celle de la Bretagne et même de la France ; à la fin des années cinquante, l’automobile commence à se « démocratiser » mais elle est encore un objet relativement rare.
Les moyens de communication et d’expression
41Ces moyens de communication et d’expression sont principalement la presse écrite, la radio, la télévision et le téléphone.
42Le téléphone ne se répand que lentement et la France est longtemps célèbre pour ses communications téléphoniques difficiles, la rareté de ses abonnés et la longueur du temps d’attente pour obtenir une ligne téléphonique. L’Ille-et-Vilaine naturellement ne déroge pas à cette situation. Au recensement de 1954, 9 386 logements ont le téléphone sur 189 499 soit moins de 5 % des logements et encore parmi ceux-ci sont comptabilisés les téléphones liés à l’exercice de certaines professions comme la médecine33. Sur cet ensemble de logements raccordés, Rennes en détient 30,95 % ; la densité des lignes téléphoniques pour les particuliers y est plus forte à l’inverse des communes rurales. Le téléphone est un équipement rare en Ille- et-Vilaine comme en France et reste ipso facto un moyen de communication exceptionnel.
43La radio est déjà relativement importante avant la guerre avec 37 800 postes en 1939 soit 668 postes pour 10 000 habitants. Après la guerre, leur nombre ne cesse d’augmenter et passe de 49 300 en 1945 soit 852 postes pour 10 000 habitants à 110 500 en 1957 (1 883 postes pour 10 000 habitants) et 124 028 en 1959 soit un poste pour cinq habitants, pratiquement un dans chaque foyer. En très peu de temps, l’usage de la radio s’est généralisé tant pour les informations que pour les loisirs. Si la radio est désormais largement diffusée, la télévision n’a pratiquement aucun rôle pour cette période. La télévision fait son apparition en Ille-et-Vilaine en 1955/ 1956 au nord du département en bénéficiant d’un émetteur situé dans la Manche. Ce n’est qu’après 1961/1962 que la retransmission des émissions de télévision couvre tout le département ; naturellement, cela a longtemps empêché l’achat de téléviseurs si bien qu’au début des années soixante 2 à 3 % de la population possède un poste.
44Qu’il s’agisse de l’automobile ou du téléphone et plus encore de la télévision, l’Ille-et-Vilaine n’est manifestement pas entrée dans l’ère de la société de consommation de masse à la fin des années cinquante, ce qui la distingue de la moyenne française. En revanche, par ce « retard » elle appartient bien à la Bretagne où les chiffres sont comparables. Son enracinement géographique est là bien net qui la différencie de l’ensemble du pays. L’analyse de Fourastié faisant commencer le début des « trente glorieuses » en 1947 avec un « décollage » dès ce moment-là ne s’applique pas à ce département, ni d’ailleurs à la Bretagne. Ce n’est qu’à la fin des années cinquante, voire au début des années soixante que celui-ci commence vraiment entre autres sous l’impulsion du CELIB34. C’est pourquoi, à la fin des années cinquante en Ille-et-Vilaine, le sentiment dominant est celui de la permanence pour les moyens de circulation ou de communication (à l’exception de la radio) tout comme pour la vie quotidienne en terme de confort. Le développement de la radio diminue un peu l’impact de la presse écrite pour l’information des habitants ainsi que celui des réunions publiques en ce qui concerne les problèmes politiques.
45Après quatre ans d’Occupation, la presse écrite connaît une expansion réelle avec la Libération malgré les restrictions dues au rationnement du papier. Des quotidiens paraissent comme Ouest-France, La Voix de l’Ouest, etc., de même que des hebdomadaires35. La plupart ne durent guère au- delà de 1946/1947. On peut dire que l’avènement de la IVe République correspond à une redistribution des journaux de la presse écrite sans qu’il y ait d’ailleurs un lien de cause à effet entre ces deux faits.
46À partir de 1947, l’Ille-et-Vilaine n’a plus que deux quotidiens : Ouest- France et Ouest-Matin. Quant aux hebdomadaires, leur nombre est très réduit par rapport à 1945/1946 et par rapport à l’avant-guerre puisqu’ils ne sont plus que quatre : un socialiste L’Aurore socialiste, un hebdomadaire de droite Les Nouvelles de Bretagne et du Maine, un MRP Le Rassemblement, un de la CGT-FO Le Semeur d’Ille-et-Vilaine. Si la presse hebdomadaire survit tant bien que mal, en fait ses lecteurs sont peu nombreux et c’est la presse quotidienne qui domine. Si comme avant 1939, l’Ille-et-Vilaine a toujours deux quotidiens, leur potentiel de lecteurs n’est plus du tout le même. Avant 1939, L’Ouest-Éclair et Le Nouvelliste se partagent une clientèle catholique, l’une traditionaliste, l’autre libérale. En revanche, après 1945, Ouest-Matin et Ouest-France n’ont pas du tout la même clientèle et leur poids est très déséquilibré.
47Ouest-Matin s’affiche comme le journal des chrétiens progressistes36 et est en fait celui de la Fédération d’Ille-et-Vilaine du PCF. Le lectorat communiste ou sympathisant communiste est malgré tout limité dans le département même s’il progresse beaucoup par rapport à l’avant-guerre.
48Par défaut, Ouest-France devient le principal quotidien du département. Il est le seul à fournir systématiquement des informations sur la vie quotidienne dans le département et des informations pratiques. Il poursuit la formule de L’Ouest-Éclair en ayant des pages départementales et locales. Ouest-France rayonne sur tout l’Ouest et son orientation politique est plus conforme à celle des habitants du département que Ouest-Matin. Ouest- France est proche du MRP ; son sous-titre « Justice et Liberté » résume à la fois la philosophie propre au journal et celle du MRP. Ouest-France n’a jamais été le journal du MRP, mais ses propriétaires, son conseil d’administration sont eux-mêmes soit au MRP, soit dans le même courant de pensée démocrate-chrétien. Ouest-France, sans être le journal du MRP, l’aide en fait de différentes manières : par des articles favorables (appelant à voter MRP aux législatives de la IVe République), mais aussi financièrement. Les professions de foi, les tracts du MRP sont le plus souvent tirés sur l’imprimerie d’Ouest-France en particulier lors des campagnes électorales. Les factures sont soit minorées, soit oubliées. Il a pu se produire que tel ou tel employé d’Ouest-France ne le soit que nominalement et assume en réalité un travail de permanent au MRP sans de véritable contrepartie pour le journal37. Directement ou indirectement, le journal soutient le MRP. Comme une grande partie du corps électoral vote ou a voté MRP, il existe une symbiose idéologique, même si tous les lecteurs d’Ouest-France ne sont pas MRP.
49Même si Ouest-France n’a pas le monopole de l’information quotidienne écrite de la Libération jusqu’en 195638, il est largement dominant ; cette domination se transforme en monopole départemental à partir de 1956/ 1957. Par rapport à l’avant-guerre, la diversification disparaît presque totalement en ce qui concerne la presse locale. Les habitants qui désirent avoir d’autres informations, sont contraints d’acheter les journaux parisiens. En fait, la situation de la presse écrite correspond aux attitudes politiques et syndicales dominantes.
50Ce qui caractérise également le nouveau paysage de la presse départementale, c’est que l’Église n’a plus de porte-parole officiel comme avant la guerre. Certes, Ouest-France par son appartenance au courant démocrate- chrétien en est proche, mais il n’est pas la « voix de l’Église » contrairement au Nouvelliste de Bretagne avant la guerre et même à L’Ouest-Éclair vers la fin des années trente. Il n’est plus question pour l’archevêque de nommer le rédacteur en chef. On a un désengagement de l’Église sur ce terrain qui se retrouve d’ailleurs sur le plan électoral39.
51À travers la presse écrite persistent des rivalités idéologiques encore vivaces, rivalités qui se retrouvent dans le domaine des loisirs.
Les loisirs dans le cadre des associations
52Avant comme après la guerre, les loisirs associatifs sont directement issus des œuvres post-scolaires et fortement liés à la rivalité entre l’école laïque et l’école privée, même s’ils préservent une certaine autonomie. Toutes ces associations proposent des activités sportives, des activités de théâtre, de lecture, de musique mais avec une vitalité qui n’est pas toujours facile à déterminer40 ; toutes, avec la fin de la guerre, espèrent bien renouveler leurs adhérents et s’accroître rapidement.
53Avec la Libération, les troupes de théâtre amateur renaissent de leurs cendres, même si elles n’ont pas totalement disparu pendant la guerre41. Elles se reconstituent et connaissent leur apogée au début des années cinquante. Pour les patronages catholiques, l’enquête pastorale de 1962 montre que chaque bourg un peu important a son patronage et le théâtre y a une place non négligeable au point parfois de drainer toutes les énergies militantes disponibles et d’empêcher le développement d’autres activités42. Cependant la renaissance du théâtre amateur ne se fait pas facilement43, même s’il resurgit avec vigueur dès 1946-1947. À Bruz, petite localité au sud de Rennes, la troupe de théâtre amateur dépendant du patronage donne 36 représentations entre 1947 et 1955 soit une moyenne de quatre par an. Ces huit années sont des années de belle vitalité ; ces 36 représentations correspondent à 27 œuvres différentes ce qui témoigne d’un important travail de la part de la troupe mais aussi d’un succès réel, l’encourageant à ce travail. Plus peut-être que les autres activités de patronage, le théâtre amateur est un acte social et même de sociabilité. Acte social pour les acteurs qui sont amenés à développer une activité de groupe avec ses joies et ses tensions. Les représentations elles-mêmes sont des actes importants de la sociabilité villageoise, elles font partie intégrante du calendrier des fêtes de la commune, permettant aux habitants de se retrouver, d’échanger les dernières nouvelles, renouvelant mais avec un caractère exceptionnel l’office que remplissent alors les sorties de messe le dimanche, tout aussi essentielles sur le plan de la sociabilité. Le théâtre amateur accomplit d’autant mieux cette fonction de sociabilité que comme pour l’avant-guerre, les pièces choisies sont destinées à des soirées familiales. La Fédération catholique des patronages propose tout un choix de pièces où la morale est respectée.
54Si ces troupes de théâtre amateur se développent et ont un assez beau rayonnement, c’est aussi parce que les spectacles dans le milieu rural sont encore rares ; ils n’existent guère que grâce à l’impulsion de bénévoles qui animent le théâtre ou le cinéma rural dans le cadre du patronage ou du cercle laïque. La quasi absence de la télévision, le développement encore limité de l’automobile font que la société rurale continue à fonctionner selon les mêmes schèmes qu’avant-guerre. Le théâtre amateur peut encore s’y épanouir. Il semble cependant si l’on se fie à l’exemple de Bruz (mais est-ce un modèle ?) qu’à la fin des années cinquante s’amorce un déclin, mais peut-être est-il spécifique ou en tout cas précoce étant donné la proximité de Rennes ?
55Le sport44 au contraire ne cesse de voir sa pratique se développer mais avec des investissements souvent insuffisants. Les cercles laïques comme les patronages développent cette branche, de loin celle qui facilite le plus le recrutement. 246 associations sportives sont créées entre la Libération et 1950 ; le rythme se ralentit un peu entre 1950 et 1960 avec 157 associations créées en dix ans. Ce changement de rythme est dû au phénomène propre à la Libération et à l’essoufflement, au fait qu’ensuite seules des communes plus petites peuvent éventuellement décider de créer une association.
56Ces associations sportives sont soit liées aux patronages (une soixantaine environ de 1945 à 1960)45, soit aux cercles laïques, soit à des associations à caractère corporatif, souvent créées par des syndicats ou des partis: une dizaine par exemple appartiennent à la Fédération sportive et gymnique du Travail, d’obédience communiste. Ces associations sont inégalement réparties sur le territoire départemental avec plus de la moitié d’entre elles situées dans l’arrondissement de Rennes, un peu plus du quart dans l’arrondissement de Saint-Malo, près de 12 % dans celui de Fougères et 8,4 % dans celui de Redon. Cette inégalité géographique est encore plus accentuée si l’on regarde les chefs-lieux par rapport à leur campagne environnante. Rien qu’à Rennes, plus de 98 associations sportives sont créées entre 1944 et 1960. Dans la région malouine, le poids des villes est considérable par rapport aux petites communes avoisinantes. Il en est de même dans la région de Vitré où une vingtaine se concentrent dans la ville même ; à Redon existe une dizaine d’associations sportives mais une seule dans le reste du canton. Le sud-ouest et l’ouest du département sont les plus démunis. Cette répartition géographique est révélatrice a priori du maintien de la coupure entre les villes et les campagnes et du degré d’ouverture des régions vers l’extérieur. En effet, les régions et les milieux les plus réfractaires au sport (du moins en tant qu’associations sportives déclarées) sont les zones rurales les plus fermées comme le canton d’Argentré-du-Plessis ou le canton de Maure-de-Bretagne. En dehors des villes, les zones où les associations sportives sont les plus nombreuses, sont celles tournées vers l’extérieur comme l’arrière-pays malouin. La sociologie explique aussi cette répartition, le milieu rural est alors peu touché par la pratique sportive contrairement au monde ouvrier ou aux classes moyennes. Facteurs géographiques et sociologiques se recoupent.
57Ces associations reflètent d’une part, l’intérêt croissant pour le sport et sa diffusion dans le pays et, d’autre part, la persistance des divisions sociales et idéologiques de la société. Cette division idéologique transparaît à travers la coupure entre patronages et cercles laïques qui rivalisent toujours entre eux. La pratique sportive leur permet de toucher la jeunesse. L’importance des effectifs valorise l’option éducative, idéologique. Chacun affirme que ses méthodes sont les meilleures : « Nous les patronages, qui plus que d’autres, avons la mission de sauvegarder la véritable notion du sport »46. Ces patronages sont animés par des bénévoles, laïcs dans l’Église, engagés, pour qui c’est une manière de défendre une conception de la vie, un idéal tout en accueillant les jeunes pour le sport ou des adultes. Comme pendant l’entre-deux-guerres, la rivalité existant entre eux entraîne un quadrillage (ou une tentative de quadrillage) dans les villes, la préfecture étant un enjeu particulièrement important. Les patronages catholiques y dominent avec deux grands patronages : les Cadets de Bretagne au nord de Rennes et La Tour d’Auvergne au sud ; mais à côté de ceux-ci se développent toute une série de patronages liés aux paroisses de la ville comme Jeanne d’Arc, Sainte- Thérèse, Saint-Hélier, etc. Face à eux, le Cercle Paul-Bert a bien du mal à rivaliser, à être présent partout. Cette rivalité se manifeste concrètement aussi lors des fêtes des écoles ou de la Jeunesse. Celles-ci se déroulent en fin d’année scolaire en mai ou juin et sont l’occasion de montrer le résultat du travail de l’année. Le recteur d’académie peut écrire en 1950 : « Il serait inadmissible que cette préoccupation s’impose au programme d’éducation physique pendant toute l’année »47. En réalité, chacun en fait un moment à sa gloire, veut démontrer ce dont il est capable. Très vite, ces fêtes ont une double fonction : une fonction de concurrence et d’opposition idéologique entre les écoles privées et les écoles publiques, et, une fonction de rivalité entre les écoles privées elles-mêmes ou les écoles publiques entre elles. Le but véritable est bien celui-là et le recteur d’académie écrit clairement en 1954 : « Je souhaite vous avoir convaincus de l’intérêt que présente cette préparation sérieuse de la Fête de la Jeunesse, à la fois pour chacun des élèves et pour la défense de notre école »48.
58Les sports proposés dans le cadre de ces associations sont extrêmement variés. Environ une quinzaine de sports peuvent être répertoriés même s’ils sont inégalement représentés, sports collectifs comme le football, le basket, le volley-ball ou des sports individuels comme le cyclisme, l’équitation, le ping-pong, etc.49. Les sources ne permettent pas de rendre compte de la diversité de tous les sports proposés et pratiqués50. On peut dégager quelques lignes de force et évaluer l’impact sur la population. Le football est cité par une soixantaine d’associations, le cyclisme par une quinzaine, les autres sports ne sont signalés que par moins de dix associations dans l’ensemble du département. Par rapport à l’avant-guerre, le football et le cyclisme continuent d’être prépondérants, pour les mêmes raisons d’accessibilité pour les communes rurales et pour la population ; la plupart des autres sports sont peu connus ou ils nécessitent un équipement plus élaboré que celui que peuvent offrir les villages.
59Cette multiplication des associations et des sports pratiqués ne signifie pas que leurs conditions d’existence soient faciles. Il faut des moyens en hommes et en équipement. L’équipement était réduit avant la guerre. Les moyens manquent ; les associations ou les clubs en viennent à construire eux-mêmes l’équipement nécessaire : ce sont les élèves de l’École normale qui construisent leur piste d’athlétisme et le plateau de sport51. Une ville comme Dinard possède deux terrains de football, un stade, deux salles de sport, une dizaine de courts de tennis ainsi que des installations privées : mais Dinard est le siège du CREPS (Centre régional d’éducation physique et sportive) ; la seule piscine est un bassin d’eau de mer en plein air au fond vaseux, obligeant les élèves du CREPS à aller chaque semaine à Rennes à l’unique piscine couverte et chauffée du département52. Si les villes sont dotées d’un équipement, les villages restent sous-équipés. La faiblesse des terrains de sport en Ille-et-Vilaine concerne aussi bien les patronages que les cercles laïques ou les écoles. La majorité d’entre elles (publiques ou privées) ont pour terrain de sport la cour de récréation ou le préau. À ce manque de moyens s’ajoute le manque d’éducateurs qualifiés. En 1960, le football a par exemple 4 815 licenciés pour sept éducateurs qualifiés. Aussi, dans la réalité et quel que soit le sport, c’est le plus souvent un bénévole qui accompagne, entraîne l’équipe ou les participants à telle ou telle activité sportive. Dans les grandes associations (patronages ou cercles laïques), les premiers éducateurs sportifs qualifiés font leur apparition vers le milieu des années cinquante (à La Tour d’Auvergne par exemple).
60Malgré ces difficultés, le sport se développe dans tous les milieux avec les clubs corporatifs comme les associations sportives d’Oberthür ou d’Ouest- France. Il pénètre aussi en milieu rural par l’intermédiaire des patronages et de la JAC qui organise des rencontres sportives en milieu rural53. Toutes ces associations sont regroupées dans des fédérations liées au milieu catholique (la FSF) ou au milieu laïque comme l’UFOLEP, enfin la FSGT ne bénéficie que de quelques implantations. Elles reflètent le rapport de force habituel dans ce département. Le fait nouveau après la guerre est l’apparition timide du sport féminin. En 1949, la FSF en Ille-et-Vilaine a 23 sociétés féminines pour 159 masculines. Cette apparition marque le début d’un changement de mentalité qui s’accentue par la suite en particulier à travers l’école publique ou privée. La fin des années cinquante voit une recrudescence du nombre de participants en particulier chez les moins de vingt ans ce qui est partiellement dû à l’arrivée des classes d’âge du « baby boom ».
61Dans l’organisation des loisirs par les collectivités, le rapport entre le théâtre et le sport amorce un renversement de tendance. Cette inversion annonce une attitude nouvelle des habitants du département (et par-delà des Français) vis-à-vis des loisirs, mais aussi et surtout vis-à-vis de leur corps.
62Après 1945 des changements interviennent dans les moyens de communication et d’expression, le plus souvent imperceptiblement et cela ne touche pas tous les habitants en même temps soit pour des raisons techniques, soit parce que les habitudes sociales sont longues à évoluer ; celles-ci n’ont pas été brisées par la guerre et l’Occupation, si bien que les véritables mutations ne se produisent qu’à la fin de la période étudiée. Toutefois, dans le contexte de l’Ille-et-Vilaine, le retrait ou la présence plus discrète de l’Église dans deux secteurs (la presse écrite et les loisirs collectifs par le biais des patronages) où Elle dominait, conduit à s’interroger sur le maintien de son influence et les moyens dont Elle dispose désormais.
Une place nouvelle pour l’Église ?
63Pendant l’Occupation, l’Église en Ille-et-Vilaine n’a été ni plus ni moins compromise que toute autre institution. L’attitude de l’archevêque est apparue suffisamment claire pour que le chapeau de cardinal puisse lui être proposé à l’automne 1945 en même temps qu’à Mgr Saliège et à Mgr Petit de Julleville, nominations qui mettent fin à de longues discussions entre le GPRF et le Vatican au sujet de l’épuration au sein de l’Église54. Si quelques prêtres sont compromis, dans l’ensemble, leur attitude ne se distingue pas de celle de l’ensemble des Français. C’est pourquoi la place de l’Église dans le département n’est pas ébranlée par la guerre. Cela signifie-t-il que sa situation, sa puissance, ses relations avec les fidèles sont inchangés ? Plusieurs éléments sont à prendre en compte : l’école confessionnelle, l’évolution des vocations religieuses, les formes prises par l’engagement des laïcs dans l’Église (patronage, Action catholique spécialisée,...), les relations avec le monde politique et la presse55 et ceci dans une période qui pour l’ensemble de l’Église dans le monde, est essentielle. Entre la fin de la guerre et le concile de Vatican II, bien des théologiens, des prêtres, des laïcs cherchent à modifier leur présence dans l’Église et la présence de l’Église au monde, telle l’expérience des prêtres-ouvriers puis leur interdiction en 1953. D’autres prêtres, théologiens ou non, tirent les leçons de leur expérience comme Résistant ou prisonnier de guerre tels les pères H. de Lubac et Y.Congar.
64L’expérience multiple de la guerre (Résistance, camps de concentration, camps de prisonniers de guerre, STO,...) amène les laïcs catholiques à une réflexion sur leur engagement. Amorcée par les Cahiers de Témoignage Chrétien, clandestins sous l’Occupation, elle se poursuit après soit dans le cadre de la CFTC, soit dans le cadre des différents mouvements d’Action catholique, soit dans le cadre du MRP. Les conditions nouvelles de l’après-guerre font qu’une place nouvelle des catholiques est possible.
L’Église-institution
65De 1945 à 1958/1960, l’Église du pré-concile en Ille-et-Vilaine comme dans le reste du pays semble occuper la même place que dans les décennies précédentes. Ce sentiment est d’autant plus fort dans l’Ouest que l’Église pré-conciliaire n’y est guère concernée par l’expérience des prêtres-ouvriers. Extérieurement, l’Église en Ille-et-Vilaine occupe la même place, le même espace qu’avant la guerre. Processions, fêtes religieuses ont autant d’ampleur : espace-temps, espace géographique, nombre de participants (prêtres, religieuses et laïcs) ; sous cet angle, l’Église n’a pas changé.
66Le nombre de prêtres et de vicaires-instituteurs est un indice de la vitalité de l’Église. Dans le département, le nombre de prêtres séculiers ne cesse de diminuer de 1940 à 1960. En 1940, leur nombre est de 1 202 pour l’ensemble des prêtres du département ; en 1950, ils sont 1 140 et en 1960 1 09356, soit une diminution de 4 % en dix ans et de 9 % en vingt ans. Cette baisse, par sa régularité, n’en est que plus inquiétante. Elle est à comparer avec le nombre d’habitants ; en 1950, on compte 19,42 prêtres pour 10 000 habitants et dix ans plus tard 17,7957. Le premier signe de cette baisse est le nombre des ordinations. La moyenne des ordinations par an a quelque peu chuté pendant la guerre (25,4), si bien que l’on assiste à un « rattrapage » dans l’immédiat après-guerre (37,4), mais dès 1950 la chute des ordinations est assez spectaculaire et atteint vers 1955 19,2. Depuis 1810, excepté la guerre 14-18, jamais le nombre des ordinations n’était descendu en dessous de 20. La chute est durable58. En même temps, entre 1945 et 1960, la courbe des décès est parfois plus forte que celle des ordinations comme en 1956, 1958 et 195959. L’évolution générale des effectifs des prêtres ne manifeste pas encore un nombre de décès supérieur aux ordinations (comme à partir du début des années soixante-dix), mais présente déjà des signes inquiétants pour l’avenir du clergé dans le département60. Autre signe de l’évolution du clergé, le petit séminaire de Châteaugiron. Celui-ci est ouvert en 1908 et a une moyenne de 80 entrées environ par an pendant les années trente. De 1940 à 1944, la moyenne annuelle des entrées se situe à 71, puis 55 en 1945-1949 ; mais dans les années cinquante, elle remonte à 80 et même 84 de 1950 à 1954. À travers cette remontée, son double rôle est visible : le recrutement de futurs prêtres et la possibilité pour les plus pauvres de faire des études gratuites.
67Si les chiffres d’ordination, la pyramide des âges, la densité du clergé par rapport à la population témoignent d’un effritement de la présence de l’Église, pour la population, pour les contemporains cette situation de déclin n’est pas perceptible puisqu’en fait toutes les paroisses sont encore desservies par un nombre de prêtres suffisant : un curé et un vicaire au minimum, sauf dans les plus petites paroisses. À la fin des années cinquante, le poids apparent du clergé ne change pas dans le département mais dans les faits, d’une manière souterraine, des transformations sont en cours surtout à la fin de la décennie.
La pratique religieuse61
68Le rôle des laïcs dans l’Église se transforme pendant les années cinquante ; amorcée avant la guerre, cette mutation reprend après celle-ci et prépare les esprits aux changements apportés par le concile de Vatican II. Les mouvements de jeunesse de l’Action catholique spécialisée englobent tous les secteurs (ou presque) de la vie sociale. Ils forment des adultes qui à leur tour animent les mouvements d’Action catholique pour adultes et sont présents à tous les échelons et dans tous les domaines de la vie sociale et politique. Ils ont joué, on l’a vu, un rôle-clé dans la formation des élites locales.
69Dans ce contexte, qu’en est-il de la pratique religieuse ? Au lendemain de la guerre, la pratique religieuse reste très forte en Bretagne et particulièrement en Ille-et-Vilaine ; F. Boulard la classe comme une région « très chrétienne » avec plus de 45 % de pratiquants adultes : 65 à 70 % dans les campagnes selon son enquête de 1950. L’enquête de 1962 portait sur 391 des 394 paroisses du diocèse de Rennes : 45,2 % des hommes et 62,6 % des femmes (villes et campagnes) sont des pratiquants réguliers. Ce taux de messalisants est inférieur à 1949 de 12 % environ pour les hommes et pour les femmes. Une baisse homogène qui se poursuit depuis 192162 ; toutefois, la pratique des femmes est supérieure à 50 %. La hiérarchie spatiale de cette pratique religieuse reste identique à celle de l’entre-deux-guerres.
70Le département est encore en 1962 un département de pratique religieuse « très chrétienne » au sens de F. Boulard mais avec une certaine dégradation. Même si elle s’effrite, l’appartenance religieuse du département, vue à l’échelle nationale, est encore très solide par rapport à d’autres régions françaises. Toutefois, se manifestent de plus en plus d’éléments qui préparent une rupture avec le passé, avec toute une culture63.
L’enjeu de l’école
71L’école est toujours un enjeu, d’autant plus que pendant le GPRF, puis la IVe République, la question scolaire réapparaît à plusieurs reprises soit avec le plan Langevin-Wallon en 1947, soit surtout avec les lois Barangé et Marie en attendant la loi Debré de 1959. Pour les écoles primaires, l’après-guerre marque une incontestable continuité avec l’avant-guerre; l’enseignement public et l’enseignement privé quadrillent quasi totalement le département et peu de communes échappent au choix entre les deux écoles.
Tableau n°69 : Fréquentation des écoles primaires en 1947-1958 pendant la scolarité obligatoire64.

72Le nombre d’élèves augmente rendant perceptible l’arrivée des enfants du « baby boom » à l’âge scolaire avec une croissance de +23,68 % en dix ans65. Surtout, en 1947 comme en 1957, l’école primaire confessionnelle accueille plus de la moitié des élèves aussi bien chez les garçons que chez les filles, spécificité de l’Ouest puisque la moyenne française est de 80 % environ d’élèves inscrits dans l’enseignement public vers 1957/1958. Il existe toujours une légère prépondérance des filles dans l’enseignement privé, mais le pourcentage de garçons instruits à l’école privée augmente alors que celui des filles baisse. Or, le rapport entre école publique et école privée n’a guère varié par rapport à 1939. Déjà pendant l’entre-deux-guerres, alors que le nombre de leurs écoles augmentait, on pouvait constater la part croissante des garçons dans l’enseignement privé66. Pendant ces années-là s’affirme une parité entre garçons et filles quant à leur présence dans l’école primaire privée ou publique et paradoxalement si la part de l’école publique augmente, c’est grâce aux filles qui deviennent proportionnellement plus nombreuses dans l’école publique. Est-ce un problème de locaux ? On peut en douter car on imagine mal à cette époque l’école privée refuser des élèves sous prétexte de manque de place alors qu’elle peut espérer par ses effectifs faire pression sur les autorités pour obtenir un meilleur financement par le biais des lois Barangé et Marie.
73Qu’en est-il dans les autres ordres d’enseignement ? Comme pendant l’entre-deux-guerres, les écoles maternelles restent plutôt l’apanage de l’école publique67. Excepté l’enseignement technique, dans tous les autres ordres d’enseignement, l’enseignement privé confessionnel l’emporte sur l’enseignement public.
74L’enseignement technique est un cas à part à bien des égards. Il est le seul qui connaisse l’existence de cours privés non confessionnels. Ce type de cours prédomine pour les filles avec des cours de sténo-dactylo et de couture ; dans ce dernier secteur, on a une véritable floraison de petits cours (10 à 20 élèves). Les cours privés de sténo-dactylo sont le fait d’associations ou de groupes ayant une certaine assise financière en particulier en raison de l’achat nécessaire de matériel (le cours Pigier par exemple). Les établissements privés confessionnels proposent aussi des cours de sténo-dactylo, comptabilité aux jeunes filles et plus rarement des cours de couture et ils offrent aux garçons des cours pour devenir ajusteur, forgeron, serrurier, électricien, etc. Quant à l’enseignement technique public, il est géographiquement regroupé dans les préfectures et sous-préfectures, mais aussi à Dol- de-Bretagne. On retrouve les mêmes spécialités : sténo-dactylo, coupe et couture pour les filles, ajusteurs, forgerons, électriciens, tourneurs pour les garçons ainsi que comptabilité pour les unes et les autres. Chaque établissement est plus grand que dans l’enseignement privé. Ce qui frappe au vu des spécialités enseignées, c’est que si la formation donnée aux garçons est adaptée aux besoins à court et à moyen terme, s’il en est de même de la sténodactylo pour les filles, en revanche il existe un décalage entre le nombre d’élèves inscrits dans les cours de coupe et couture (public et privé) et les possibilités d’emploi à moyen terme. En effet, la sténo-dactylo est le moyen pour beaucoup de jeunes filles de milieux peu favorisés de se donner un métier très demandé sur le marché du travail dans les années 50-60. Par ces emplois de bureau, elles accèdent à des horaires réguliers, à un salaire régulier et à un travail « propre » par opposition à celui de l’agriculture ou de l’usine. La sténo-dactylo permet à une jeune fille issue de milieu rural le plus souvent, parfois de milieu ouvrier de suivre une trajectoire d’ascension sociale. Elle peut rarement trouver à s’employer dans la région et en un sens ces cours alimentent l’émigration des jeunes vers la région parisienne, faute d’emplois suffisants dans le département ou la région. Beaucoup plus obsolètes apparaissent les cours de couture. Ceux-ci rassemblent un nombre assez élevé d’élèves, mais pour quel avenir ? Celui d’une bonne ménagère économe capable de faire des vêtements pour sa famille ou bien dans un but réellement professionnel ? Dans ce secteur, on est à une période-charnière puisque si la couturière de quartier ou de famille est une pratique courante dans toutes les familles bourgeoises de province (« la petite couturière qui fait des miracles »), peu à peu cette pratique disparaît. C’est pendant les années cinquante que se développe le prêt-à-porter féminin. D’abord méprisé par les familles bourgeoises, clientes principales des couturières, le prêt-à-porter féminin en s’étoffant vise de plus en plus une clientèle aisée et provoque l’extinction progressive des couturières « familiales ». Dès le début des années soixante, celles-ci ont de plus en plus de difficultés à vivre de leur travail. On a là l’exemple d’un enseignement prévu à court terme et qui n’envisage guère le moyen terme et encore moins le long terme. Négligence (comme dans l’ensemble de la France) du fait qu’il s’agit de l’emploi féminin ? Plus profondément est-ce une incapacité de l’enseignement technique (public ou privé) à s’adapter rapidement à de nouvelles perspectives du marché ?
75Les statistiques conservées pour l’enseignement technique permettent d’apprécier approximativement l’origine sociale des élèves68 : plus de 40 % d’entre eux viennent de familles dont le père est « salarié et cadre inférieur » ; à Dol, ils sont à quasi-égalité avec les fils d’agriculteurs chefs d’exploitation. Sous le terme relativement vague de « salariés et cadres inférieurs » se retrouvent en fait les ouvriers et les agents de maîtrise69 ; ces écoles accueillent bien la population à laquelle elles sont destinées. L’enseignement technique et les cours complémentaires drainent en 1950-1952 un peu plus de 42 % des enfants suivant une scolarité non obligatoire et 45 % en 1956-1957. La croissance est plus forte dans les cours complémentaires que dans l’enseignement technique (deux fois plus importante). Est- ce dû à l’inadaptation de l’enseignement technique ? à une meilleure répartition géographique des cours complémentaires par rapport à l’enseignement technique ? Les sources ne permettent pas de trancher.
76La majorité de ceux qui poursuivent leurs études entrent au lycée. Gratuit, il est cependant réservé à une élite sociale et intellectuelle. Pour entrer en 6e, jusqu’en 1959 il faut passer un examen, sauf pour ceux issus du « petit lycée » c’est-à-dire des classes primaires des lycées70. Dans l’enseignement secondaire71, les écoles confessionnelles privées, comme avant la guerre, accueillent une majorité d’élèves: 74,90 % en 1947, 61,85 % en 1950 et 54,53 % en 1956. Comme pour le primaire, on constate une baisse relative de leurs effectifs, relative car en chiffres absolus ceux-ci augmentent72. On peut dire que le mouvement des effectifs et de la répartition entre privé et public est sensiblement le même entre les deux ordres d’enseignement. Entre 1947 et 1956, la diminution en valeur relative est beaucoup plus forte dans le secondaire (-20 %) que dans le primaire (-6 %) pour l’enseignement confessionnel. Ces proportions et ce mouvement de déclin relatif sont identiques dans l’ensemble de la région administrative bretonne ; l’Ille-et-Vilaine appartient bien à cet Ouest où la querelle scolaire reste une réalité très vivante. Ce déclin plus rapide est peut-être dû à la qualité de l’enseignement diffusé par le secteur confessionnel. À cette époque, les enseignants de ces écoles confessionnelles ont une formation relativement peu poussée par rapport à leurs concurrents de l’enseignement public. Dans l’enseignement primaire, les instituteurs n’ont pas toujours leur CAP, ni même le brevet ; il suffisait en effet qu’un des enseignants ait un brevet pour pouvoir ouvrir une école. Dans les écoles primaires privées de campagne, si le vicaire-instituteur a fait des études assez poussées, c’est plus rare de la part des religieuses ou de l’institutrice qui y enseignent, quel que soit par ailleurs leur dévouement. Plus encore dans l’enseignement secondaire, les diplômes des enseignants sont souvent inférieurs à ceux de leurs collègues certifiés ou agrégés de l’enseignement public ; si quelques-uns (mais dans quelle proportion ?) ont des certificats de licence, plus rares sont ceux qui ont une licence complète et surtout il n’existe pas la même spécialisation par matière que dans l’enseignement public. Dans l’enseignement secondaire confessionnel, la distorsion est souvent assez forte entre l’enseignement destiné aux garçons et celui destiné aux filles. Les enseignants pour les garçons sont souvent des prêtres à la solide formation intellectuelle ou encore les Frères des Écoles Chrétiennes de Ploërmel. En revanche, les religieuses enseignantes ont souvent reçu une formation moins poussée. Cette situation « non-dite » mais connue contribue sans doute au déclin relatif (mais non absolu) de l’enseignement privé. Cette diminution relative peut aussi être due à l’arrivée croissante d’élèves venant des classes moyennes ou de fils ou filles de fonctionnaires, plus enclins à mettre leurs enfants dans l’enseignement public d’autant que celui-ci est financièrement plus accessible en attendant que la loi Debré de 1959 ne vienne mettre fin à ces arguments.
77Alors que le nombre d’élèves dans l’enseignement secondaire augmente de 30,75 % entre 1950 et 1957, le pourcentage de candidats inscrits au baccalauréat (première et seconde partie)73 s’est accru de 46,62 %, passant de 9 469 à 13 884. Le nombre de candidats s’accroît plus vite que l’ensemble des effectifs74. Si l’accroissement des élèves dans les lycées est dû au tout début du « baby boom » (les enfants nés en 1946 commencent à entrer au lycée), celui-ci s’accompagne d’une prolongation des études lycéennes vers leur terme (du moins pour la première partie du baccalauréat) ce qui était moins fréquent auparavant ; cette nouvelle tendance est moins sensible pour la seconde partie sanctionnant la classe de Terminale. Ce décalage entre la première et la seconde partie du baccalauréat est significatif: d’une part, s’il existe une certaine démocratisation de l’enseignement secondaire, celle- ci reste relative puisqu’en définitive une bonne partie des élèves ne poursuit pas jusqu’en Terminale ; d’autre part, cette attitude montre que le baccalauréat complet n’apparaît pas comme une nécessité absolue pour exercer un bon métier. Beaucoup de futurs cadres moyens ou supérieurs ont obtenu, dans ces années-là, une partie seulement de leur baccalauréat ; le mode d’ascension sociale dans les entreprises, le type de connaissances demandées expliquent aussi le faible attrait que semble exercer le baccalauréat complet. En même temps, le baccalauréat est très valorisant pour son détenteur même s’il n’a que la première partie.
78En définitive, le système scolaire jusqu’à la fin des années cinquante ne s’est pas transformé en profondeur par rapport à l’avant-guerre. L’enseignement primaire et secondaire continue d’être dominé par l’école confessionnelle ; l’Église maintient son emprise sur le système scolaire. Cette prédominance s’effrite peu à peu dans tous les ordres d’enseignement; or, si les lois Barangé et Marie lui apportent une aide financière, la loi Debré lui permet sans doute d’arrêter cet effritement75.
79La société d’Ille-et-Vilaine d’après 1945 a conservé son mode de vie, sa culture plus qu’elle ne les a transformés, du moins dans leur partie visible. Quelques signes annoncent des mutations en profondeur dont la guerre et l’Occupation en tant que tels ne semblent pas directement responsables. Il est un domaine, celui des commémorations où il est possible de comprendre comment elle a été durablement ressentie.
Les commémorations ou le Souvenir déchiré
80Excepté les semaines qui suivent immédiatement la Libération, l’Ille-et- Vilaine semble cultiver la continuité ; est-ce à dire que la Seconde Guerre mondiale et plus précisément l’Occupation n’ont pas eu de conséquences ? Si les conséquences visibles (matérielles) s’effacent très vite, il importe de savoir si les séquelles non visibles, celles ancrées dans les esprits, persistent et de quelle manière. La mémoire de cette période a été étudiée par les historiens, réagissant en particulier à la résurgence de l’antisémitisme et aux théories des négateurs du génocide76. Les difficultés auxquelles on se heurte pour connaître le poids du souvenir de la guerre, est que contrairement à celui de la Première Guerre mondiale, il est hétérogène. En effet, la mémoire collective des Français par rapport à la Première Guerre mondiale était homogène ; tous s’étaient battus du même côté, certes les uns sur le front, d’autres étaient restés à l’arrière d’où le rejeu des fractures dans le corps social entre ruraux et citadins par exemple, mais dans l’ensemble l’on affirmait une mémoire collective homogène77. Il est loin d’en être de même pour la Seconde Guerre mondiale plus que de la mémoire collective, il est préférable de parler des mémoires collectives par rapport à la Seconde Guerre mondiale.
81Le souvenir de celle-ci n’est pas unique mais multiple, non seulement dans le souvenir individuel, mais dans le souvenir collectif qui ne correspondent pas nécessairement78. La commémoration est déjà en soi multiple puisqu’y coexistent le passé, le présent et l’avenir. On peut distinguer la mémoire de quelques grands groupes : les résistants, les collaborateurs, les Français moyens occupés, les juifs, les prisonniers de guerre. Mais à l’intérieur de chacun de ces groupes, la mémoire collective s’est fractionnée entre résistants communistes et non communistes, entre ceux qui ont été déportés ou non ; parmi les collaborateurs, la mémoire ne peut être la même selon la forme de collaboration (un engagement politique, militaire, économique, voire régionaliste ou indépendantiste) et selon les conséquences judiciaires. De même, la mémoire des Français moyens n’est pas la même selon qu’ils vivaient en zone occupée ou non occupée, à la ville ou à la campagne, etc. Pour les juifs, le fait d’avoir été déporté ou non, d’avoir vu sa famille décimée ou pas est fondamental. Chez les prisonniers de guerre, rien de comparable non plus entre le prisonnier d’un Stalag ou d’un Oflag classique et celui des camps de représailles, ni entre l’évadé et celui qui a attendu la fin de la guerre. Après 1945, il n’y a pas les Anciens Combattants d’une part et les autres Français d’autre part comme après 1918 mais des mémoires collectives qui engendrent des positions différentes par rapport au souvenir de la guerre, aux séquelles de celle-ci surtout lorsqu’elles sont ravivées par les dates anniversaires, les affaires d’épuration, les procès (Pétain, Oradour, tel ou tel inculpé collaborationniste ou nazi allemand, etc.) qui n’intéressent pas au même titre toute la population, voire par la politique étrangère (l’avenir de l’Allemagne, la CED). Très tôt, ces mémoires collectives dont chacune est homogène, se trouvent perturbées par d’autres enjeux qui se superposent à ces mémoires issues de la guerre. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le thème majeur était celui de l’Union qui, même si elle ne peut se perpétuer en temps de paix, correspondait à une quasi-réalité pendant la guerre. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce thème ne joue que brièvement, et uniquement chez les résistants, mais très vite l’anticommunisme ravivé par la guerre froide entraîne de vigoureuses oppositions entre résistants. Des réconciliations sont parfois possibles lorsque c’est l’essence même de cette mémoire collective qui est en jeu c’est-à-dire la spécificité des résistants par rapport aux Français moyens, celle des déportés également. Ce dernier aspect n’apparaît pratiquement pas à l’échelle du département pour la période étudiée. Dès lors, compte tenu de cette multiplicité des mémoires, les commémorations sont un enjeu essentiel.
Temps et espace éclatés79
82Les Anciens Combattants de 14-18 ont tout naturellement choisi comme date de commémoration le jour anniversaire de la signature de l’armistice de 1918 : le 11 novembre. Pour la guerre 1939-1945, la date n’a pas la même évidence car que signifie le 8 mai, jour anniversaire de la capitulation allemande pour des Français, libres depuis le début d’août 1944, pour des familles attendant le retour de leurs déportés ? Dès lors, la commémoration de la guerre 1939-1945 ne peut être que très diversifiée, multiple dans l’espace et dans le temps.
83— Un temps multiple
84Les conditions particulières de la fin de la Seconde Guerre mondiale font que dans toute la France, la Libération ne s’effectue pas à la même date, ce qui est vrai pour l’ensemble du pays, l’est aussi pour le département : la commémoration de la Libération intervient entre le 3 août (au nord-est du département) et la mi-août, voire le début de septembre pour la région malouine. Temps éclaté parce qu’il existe plusieurs dates de Libération et non une seule, mais temps éclaté aussi parce que le souvenir de la Seconde Guerre mondiale est célébré à plusieurs moments : anniversaire de la Libération, anniversaire de la capitulation allemande du 8 mai et le 11 novembre par association au souvenir de 14-18. Ces trois temps de commémoration sont communs à tout le pays. À ces trois moments, il faut ajouter les commémorations locales liées à tel ou tel fait précis : répression d’un maquis avec exécutions comme à Broualan le 7 juillet, exécution de résistants comme le 30 décembre 1942 à La Maltière en Saint-Jacques-de- la-Lande ou le 8 juin 1944 à Rennes. Le temps de la commémoration de la Seconde Guerre mondiale est un temps très éclaté où s’entrecroisent les dates nationales et les dates locales et cet ensemble complexe témoigne de la multiplicité de la commémoration, mais aussi de la volonté d’affirmer le sacrifice particulier de telle ou telle partie de la population, attitude caractéristique de volontaires, bien différente des mobilisés de 14-18. Si les dates nationales soulignent plutôt l’unanimité officielle, il n’en est pas de même des dates locales ne serait-ce qu’à cause du souvenir particulier attaché à telle action de répression (contre des résistants communistes ou contre des résistants non communistes par exemple). Parallèlement à ce temps éclaté, les commémorations de la Seconde Guerre mondiale se caractérisent par un espace commémoratif éclaté.
85— Un espace éclaté
86Pour les Anciens Combattants de la guerre 14-18, les dates étaient simples avec un lieu de commémoration unique : le monument aux morts élevé spécialement pour le souvenir des morts de la guerre 14-1880. Ce symbole unique disparaît avec la Seconde Guerre mondiale. Certes, le monument aux morts de la guerre 14-18 devient aussi celui de la guerre 39- 45, mais le lieu des exécutions, l’élévation de nouveaux monuments multiplient les lieux de commémoration. L’espace commémoratif est éclaté à la fois selon la conjoncture entre 1945 et 1958/1960, mais aussi selon l’anniversaire célébré qui privilégie tel ou tel espace selon la fonction de celui-ci : spécificité par rapport au souvenir, représentativité officielle, popularité du lieu. Cet espace n’était pas et n’est pas chargé de la même dose émotionnelle selon la nature de la cérémonie, selon sa date.
87Partout, les premières commémorations réutilisent les anciens lieux du Souvenir c’est-à-dire le monument de 14-18 ce qui pour la ville de Rennes implique deux lieux de célébration : le monument aux morts d’Ille-et-Vilaine et le Panthéon plus central81 sur lequel figurent les noms de tous les Rennais « morts pour la France » en 14-18. Sur le monument d’Ille-et- Vilaine est ajoutée une plaque pour la Seconde Guerre mondiale et au Panthéon sont rajoutées une plaque et une urne de Buchenwald. Dans les communes rurales, la plupart ont soit rajouté les dates de la guerre 1939-1945 (ou 1939-1944, voire 1939-1940 s’il n’y a pas eu de mort après 1940), soit la liste des morts82. La réutilisation des monuments est générale; parfois des monuments spécifiques sont construits mais souvent assez tardivement83.
88Ce rituel ou plutôt ces rituels sont à « géométrie variable » selon les commémorations, les années, la conjoncture nationale et internationale.
89— Quels faits sont commémorés ?
90Les faits choisis multiplient les dates et les lieux de commémoration, reflètent les préoccupations des autorités ou des survivants. Ils représentent aussi des mémoires collectives différentes chez les acteurs de ces cérémonies comme chez les spectateurs. Lors de ces commémorations, on peut considérer en effet qu’il existe plusieurs mémoires : la mémoire officielle, la mémoire des résistants (elle-même subdivisée) et la « mémoire publique » définie par Robert Frank comme étant « en dehors des mémoires plus structurées (...), sans pour autant se réduire à la somme des mémoires individuelles »84.
91Les commémorations de la Seconde Guerre mondiale peuvent être analysées d’une part en fonction du lieu et de la date, et, d’autre part en fonction des enjeux spécifiques dont elles sont l’objet. Avec ou sans monument, des commémorations se déroulent sans attendre là où des FFI ou des Américains85 sont tombés lors des combats de la Libération comme à Vern-sur-Seiche ou lors des représailles contre des maquis comme à Langon ou à Broualan. À Rennes même, trois nouveaux espaces de commémoration apparaissent par rapport à l’entre-deux-guerres : La Maltière en Saint-Jacques-de-la-Lande près de Rennes, au cimetière de l’Est et à la caserne du Colombier au centre de Rennes. À La Maltière, il s’agit de commémorer l’exécution de 25 résistants le 30 décembre 1942, tous communistes et membres de l’OS ; à la caserne du Colombier sont fusillés maints résistants venant de toute la Bretagne dont 33 le 8 juin 194486, enfin au cimetière de l’Est se trouvent les tombes des victimes des deux guerres mondiales et un carré des fusillés.
92Les espaces sont à « géométrie variable » tout comme la mémoire évoquée est à « consensus variable ».
Le dit et le non-dit du déroulement des commémorations
93On peut distinguer le temps des conflits ouverts de 1944 à 1948, puis la fixation des rituels qui masquent les conflits de mémoire de 1948 à 1957. Avec l’avènement de la Ve République et la présidence du général de Gaulle, le conflit latent est entre la mémoire des résistants et la mémoire officielle tout aussi sélectives l’une que l’autre, « oubliant » la majorité de la Nation.
94— Brève unanimité
95La commémoration de la Seconde Guerre mondiale n’est unanime que lors des deux premières cérémonies de commémoration : le 11 novembre 1944 et le 8 mai 1945. Le contexte s’y prête mais cette extrême brièveté de l’unanimité montre que par certains aspects l’Occupation est une parenthèse et que l’unanimité proclamée de la Résistance est elle-même une parenthèse87.
96La première grande commémoration célébrée après la Libération est le 11 novembre 1944. Depuis deux mois ou trois mois, les habitants ont retrouvé la liberté mais en l’absence persistante des déportés et des prisonniers de guerre dont on ignore le sort et sur lesquels les rumeurs les plus folles circulent ; la guerre n’est pas achevée. Tout concourt à l’unanimité de la commémoration et dans la commémoration à la « joie recueillie »88.
97Deux temps forts marquent à Rennes ce 11 novembre 1944 : l’homélie de l’archevêque et le défilé des FFI L’archevêque, Mgr Roques, rappelle clairement dans ce contexte de bouleversements plus ou moins ouvertement exprimés, la doctrine sociale de l’Église afin de mettre en place une société de progrès mais « sans violence ». Au défilé des troupes régulières se trouvent associées les FFI de tous âges, les sociétés et associations diverses « sans aucun esprit de clan ou de rivalité de chapelle »89. Le commentaire de Ouest- France, la composition du défilé insistent sur l’idée que la Libération ne signifie pas la fin de l’effort au contraire et qu’il faut tendre ses forces pour que les absents puissent revenir. Leur absence-présence dans la mémoire des acteurs-spectateurs, l’espoir d’un avenir meilleur caractérisent les discours des orateurs et les comptes rendus des journaux.
98L’annonce de la capitulation allemande, de la Victoire le 8 mai 1945 est longuement fêtée pendant trois jours. Mais plus encore que le 11 novembre 1944, fête et souvenir se mêlent inextricablement et d’une manière plus forte, de même que l’unité paraît très solide. Après une retraite aux flambeaux le 8 au soir, c’est par un service religieux à la cathédrale que commencent les cérémonies ; quelles que soient leurs convictions personnelles, les autorités nouvelles y sont présentes : commissaire de la République, préfecture, président de la délégation spéciale, président du CDL, les Alliés représentés par un colonel américain. L’homélie de l’archevêque reflète le sentiment des assistants quelle qu’ait été leur attitude pendant la guerre (à l’exception bien sûr des collaborateurs). Si dans son homélie, il célèbre la Victoire et l’action des résistants, il rappelle aussi l’ensemble des morts de la guerre et exprime l’inquiétude de tous sur le sort des prisonniers de guerre et des déportés ; pour ces derniers, on commence à connaître l’horreur des camps ce qui aggrave l’inquiétude de leurs proches d’autant que fort peu sont rentrés à cette date. Après cette phase de recueillement dans l’unanimité, suit la fierté et la joie lors du défilé. Défilé des troupes françaises et américaines, mais aussi défilé des enfants des écoles, des associations sportives et patriotiques, des représentants des écoles laïques et des écoles privées, des mouvements catholiques (scouts, JEC, JOC,...), de la CFTC, des mouvements communistes ou ouvriers (JC, CGT,...) et enfin des mouvements de républicains espagnols. Cette énumération marque le foisonnement, la multiplicité mais aussi l’union. Pour la première fois à Rennes se trouvent réunis dans un même cortège et en tant que tels, des catholiques de toutes tendances, des communistes, des républicains espagnols90. Cette présence, ensemble, de toutes ces composantes lors de toutes les cérémonies qui marquent le 8 mai 1945, est tout à fait exceptionnelle91, exceptionnelle par la diversité idéologique, exceptionnelle aussi par la présence de civils. Cette situation symbolise l’idée d’unité, de rassemblement qui prédomine alors, et, la présence des civils comme acteurs et non plus comme spectateurs rappelle aussi le caractère spécifique de cette guerre par rapport à la précédente parce que des civils y sont victimes (des bombardements, et également otages) mais aussi acteurs comme résistants ou collaborateurs (mais ce dernier aspect est évidemment totalement oublié, gommé le 8 mai 1945). Cette union est aussi marquée dans le temps et dans l’espace. Un seul et unique dépôt de gerbe au Panthéon faisant le lien avec la guerre 14- 18, une seule allocution celle du commissaire de la République. Celui-ci, Victor Le Gorgeu, est en lui-même un symbole : ancien sénateur de la IIIe République, résistant, autorité gaulliste, il incarne la continuité de l’État et de la France.
99Les deux premières grandes commémorations affirment l’unité des habitants et surtout de ces volontaires qui voulurent la Libération de la France. Mais justement parce qu’ils sont des volontaires -et c’est là une autre différence essentielle avec la Première Guerre mondiale-, ils ont leur propre interprétation de leur guerre, de leur combat ce qui ne peut que conduire à une diversité dans les commémorations, voire à des divisions idéologiques qui se répercutent sur la mémoire de cette guerre, sur son histoire.
100— Des failles dans l’union
101C’est dès 1945 que cette désunion s’affiche lors du 11 novembre. D’un côté, la commémoration officielle avec son rite (messe, prise d’armes, Panthéon) à laquelle participent toutes les associations d’Anciens Combattants, déportés, résistants,... ; d’un autre côté, une seconde manifestation est organisée par la gauche à partir de la Maison du Peuple vers le monument aux morts d’Ille-et-Vilaine. Elle rassemble côte à côte la CGT, le PCF, la SFIO, les radicaux-socialistes, des organisations parallèles comme l’UFF, les MUR, le FOP et l’ARAC et elle a une coloration internationale et antifasciste avec la participation de l’UGT espagnole et du comité italien de Libération92. Le 11 novembre 1946 accentue cette division, car le second cortège est essentiellement celui de la CGT. Ce n’est certes pas la première fois que le 11 novembre voit deux commémorations93 mais ce second cortège organisé par la gauche en 1945 et en 1946, avant la guerre froide, est- il l’héritier de celui, pacifiste, de l’entre-deux-guerres ? Dans la mesure où il représente une forme de contestation des cérémonies et des autorités officielles, il est un peu cet héritier, mais, par l’idéologie véhiculée, ce n’est pas le cas. Après 1945, cette commémoration non officielle n’est nullement le vecteur d’un pacifisme neutraliste, mais glorifie le combat des « antifascistes » et le « parti des 75 000 fusillés ». Les bases idéologiques de cette scission sont propres à l’après Seconde Guerre mondiale.
102Cette désunion s’accentue et se précise peu à peu dans les mois suivants. Ainsi pour l’anniversaire des 25 fusillés de La Maltière, un premier cortège ne rassemble que la gauche (y compris la SFIO), puis un second regroupe toute la gauche avec les officiels. Dans ce dernier cas, les trois seuls discours sont le fait de la FNDIRP, de la CGT et du PCF94. Les nouvelles autorités semblent reconnaître officiellement l’idée d’un sacrifice particulier, accompli par le PCF et que celui-ci diffuse largement. Il est vrai que le fait commémoré s’y prêtait. Le PCF en étant présent à ces commémorations officielles semble rechercher encore une forme de légitimation républicaine comme s’il ne voulait pas (n’osait pas ?) se démarquer complètement des autorités républicaines.
103Un an après la capitulation de l’Allemagne, le 8 mai 1946, l’union est apparemment sauvegardée mais elle présente plus de faille que de réalités concrètes. Ce jour-là deux ministres sont présents : un MRP, Edmond Michelet, ancien déporté, ministre des Armées et un communiste Casanova, ministre des Anciens Combattants. Tous deux résistants, symboles de la Résistance mais aussi de ses contradictions internes. Cinq discours (leur nombre prouve la nécessité de ménager les susceptibilités et les différentes interprétations) furent prononcés : le maire Yves Milon, résistant gaulliste, le général Allard, ancien dirigeant de l’AS en Bretagne et qui commande la région militaire, le préfet et les deux ministres. Les trois premiers évoquent les morts, la déportation95. Edmond Michelet rattache l’histoire de la résistance à l’époque de Jeanne d’Arc qui montre que « la France ne peut vivre que dans la Liberté ». Quant à Casanova après avoir rappelé ce que furent les camps de concentration, il dénonce l’Allemagne « impérialiste » et la nécessité de garantir la paix à l’Est. Sans affrontement ouvert entre les deux hommes, s’expriment une sensibilité et une résistance différente ou que l’on veut inscrire dans des luttes et une histoire différentes.
104— La rupture de 1947
105Si des divergences apparaissent en 1946, 1947 et 1948 les voient se manifester clairement. Deux formes d’opposition s’expriment : l’une provenant des Anciens Combattants contre le gouvernement, l’autre entre les communistes et les autres résistants. Cette double opposition n’est pas de même nature et témoigne de l’influence des événements de politique intérieure et extérieure sur les commémorations, ce qui ne fut pas le cas pour la guerre 14-18.
106La première forme d’opposition se manifeste contre le gouvernement. Le 11 novembre 194796 se déroule en dehors de la manifestation officielle, une commémoration organisée par l’UFAC, rassemblant toutes les associa dons d’Anciens Combattants. Ces dernières entendent protester contre le fait que leurs revendications ne sont pas prises en compte. Cet acte de contestation bouscule l’ordonnancement habituel des cérémonies. En agissant ainsi, les Anciens Combattants affirment qu’ils sont les seuls dépositaires du Souvenir et que ce sont les Pouvoirs publics qui sont invités et non l’inverse.
107Cette action du 11 novembre 1947 va plutôt dans le sens d’une union entre les Anciens Combattants, mais une seconde opposition d’une autre nature se manifeste pour la commémoration du 30 décembre. En 1947 et en 1948, les cérémonies sont placées sous le signe de la rupture avec les communistes et sous celui de la guerre froide. Alors que les trois années précédentes ne se déroule qu’une seule cérémonie, celle de 1947 en voit deux. L’une le 28 décembre 1947, organisée par le PCF, la FNDIRP et la CGT ; deux discours sont prononcés l’un par Marcel Hamon, député communiste des Côtes-du-Nord et l’autre par E. d’Astier de la Vigerie, député d’Ille-et-Vilaine, apparenté communiste. Cette cérémonie veut réaffirmer que ces 25 fusillés appartiennent à la même mouvance idéologique qu’eux. Une semaine plus tard le 4 janvier 1948, une seconde cérémonie se déroule, organisée par la municipalité de Saint-Jacques-de-la-Lande où se situe le lieu d’exécution, municipalité qui regrette « sincèrement que l’unanimité (...) n’ait pas lieu cette année ». Cette seconde commémoration insiste sur l’union nécessaire. Le discours du maire précise : « Les martyrs de la butte de La Maltière n’avaient pas tous les mêmes conceptions politiques ou religieuses, mais ils avaient un idéal commun : la haine de l’envahisseur, la liberté de leur patrie, l’amour d’une France heureuse »97. Cette formulation, sans rien dire ouvertement, entend honorer non seulement les 25 fusillés du 30 décembre 1942, mais aussi tous ceux qui de 1941 à 1944 ont été fusillés à cet endroit. Une certaine ambiguïté est entretenue. Le compte rendu du journal insiste sur la présence de drapeaux uniquement tricolores et le maire à la préfecture réaffirme que « le souvenir des morts de la Résistance n’appartenait pas à une faction partisane mais à la France toute entière ». C’est évidemment tout le débat et le problème de la réappropriation de ces morts qui sont des volontaires tout comme les survivants.
108Cette rupture de 1947 est le seul signe de guerre froide visible dans les commémorations de la Seconde Guerre mondiale. Par la suite, et c’est probablement encore plus significatif, les deux municipalités de Rennes et de Saint-Jacques-de-la-Lande organisent la commémoration du 30 décembre y associant les autorités et les familles mais jusqu’à la fin de la IVe République et même au-delà, plus aucun discours n’est prononcé pour éviter tout conflit. Cette commémoration locale est la seule à avoir fait l’objet d’un enjeu politique clair entre résistants et par rapport aux autorités. L’implication des résistants locaux, le fait qu’il s’agisse de fusillés, membres de l’OS en sont largement responsables. En même temps se fixe pour longtemps le rituel commémoratif de cet anniversaire98.
109— Un 8 mai marginalisé et une mémoire lacunaire
110Pour les autres commémorations, après les oppositions, les divergences qui ont pu se faire jour entre 1945 et 1948, on arrive là aussi à la fixation du rituel commémoratif : le choix des lieux, le nombre et la qualité des participants sont importants. Pour des raisons dues à son antériorité, le 11 novembre subit le moins de transformation et cette commémoration reste très voisine de celle d’avant 193999. Après les cérémonies religieuses à la cathédrale et au temple100, se déroulent la prise d’armes, puis le dépôt de gerbe au Panthéon. Sur cette ossature de base se greffent parfois quelques variantes mais l’essentiel du rite reste sobre et repose sur la trilogie : religion, prise d’armes, recueillement. Les variantes sont d’ordre plus convivial : concert, banquet de l’UNC.
111Le 8 mai continue d’avoir une stature particulière et a des difficultés à se mettre en place en raison d’une association plus ou moins étroite à la fête de Jeanne d’Arc. Si les deux cérémonies sont nettement dissociées, la commémoration du 8 mai apparaît nettement en retrait, quasi négligée par les autorités101. La commémoration du 8 mai affirme difficilement son caractère propre. Après 1954, le 8 mai n’est plus célébré officiellement le jour même, mais le dimanche le plus proche ce qui augmente encore la confusion par rapport à la fête de Jeanne d’Arc. Toutefois les Anciens Combattants entendent affirmer qu’ils sont les dépositaires du Souvenir et non les officiels. Aussi décident-ils de commémorer le 8 mai le jour même. Dès la première année où le 8 mai n’est plus officiel, les Anciens Combattants sont plus nombreux que de coutume comme faisant face à l’adversité. L’espace commémoratif, variable, se resserre.
112Parmi toutes les commémorations de la Seconde Guerre mondiale associées ou non au souvenir de la Première Guerre mondiale, le 8 mai est une date très vite marginalisée, comme décalée. Cette marginalisation du 8 mai témoigne en fait de l’ambiguïté de cette commémoration. Que peuvent commémorer ce jour-là les Français ? Une victoire ? Elle n’est réalisée que par une partie de la population qui n’a pas toujours soutenu les résistants. Une guerre franco-française ? Ce ne peut être dit ou plutôt la mémoire officielle est fortement unanimiste.
113Ces commémorations de la Seconde Guerre mondiale comme celles de 14-18 mêlent l’émotion et le message, mais ce qui caractérise celles de la Seconde Guerre mondiale, c’est que ce qui n’est pas montré, est au moins aussi important si ce n’est plus, que ce qui est représenté. C’est pourquoi, plusieurs lectures peuvent en être faites et que d’une certaine manière coexistent par le non-dit plusieurs commémorations à l’intérieur d’une même cérémonie. Les participants n’ont pas le même statut ; on peut distinguer les Anciens Combattants, les officiels (État, associations), la foule des « spectateurs-participants » et parmi ceux-ci l’Ancien Combattant de base, passif, perdu dans la foule (ancien résistant, ancien déporté, ancien prisonnier de guerre, etc.). Les commémorations voient s’affronter, expressément ou dans le non-dit, plusieurs mémoires : la mémoire officielle, la mémoire des résistants, la mémoire collective des Français. Chacune de ces mémoires pourrait être divisée en Ille-et-Vilaine comme en France. Quelle mémoire officielle ? Celle du gouvernement qui opte pour l’unanimisme et l’idée que tous les Français étaient résistants, occultant ainsi le régime de Vichy, celle des associations particulièrement nombreuses et représentant toutes les catégories possibles dont les dirigeants ont aussi un discours stéréotypé présentant presque toujours les résistants comme unis, y compris dans le camp communiste où les divisions sont présentées comme postérieures à la guerre (ce qui est inexact), ou dues à la « perversité » des Alliés occidentaux. La distance peut être grande entre le discours officiel des gouvernants et des associations et le vécu des résistants, et même par rapport à leur mémoire.
114Le Souvenir de la Seconde Guerre mondiale par l’histoire même de sa (ses) commémoration(s) n’a pu en fait que raviver la « guerre franco-française » en Ille-et-Vilaine comme ailleurs, après une brève période d’union. Dans ce domaine, la rupture est totale si l’on considère le rapport à la Mémoire de la guerre, mais non le rapport aux grands clivages idéologiques français.
115La société d’Ille-et-Vilaine après la Seconde Guerre mondiale comme dans le secteur politique et syndical présente un double visage, signe en fait d’une société en mutation, alors qu’aucune rupture n’est véritablement consommée, alors que les éléments de permanence existent toujours mais s’effritent progressivement. Qu’il s’agisse de l’évolution de la population, des loisirs, des moyens de communication, du mode de vie, de l’Église ou du Souvenir de la Seconde Guerre mondiale, partout, les mutations et ruptures à venir sont à l’œuvre mais ne sont pas encore triomphantes à la fin des années cinquante, d’où la prédominance apparente de la continuité, dans la culture ou le mode de vie. Il faut attendre pratiquement une décennie pour qu’un nouveau tournant se produise réellement comme celui des années trente.
116Si pour les années trente l’Ille-et-Vilaine était en phase avec l’ensemble de la France, il n’en est pas de même pour l’après-guerre; la société française amorce sa propre mutation dix ans environ avant l’Ille-et-Vilaine et la Bretagne.
Notes de bas de page
1 Dans l’enquête pastorale de 1962, de nombreux curés de village précisent que la population diminue depuis 1958, voire depuis 1954 en raison du départ de jeunes adultes vers Rennes ou la région parisienne. Cette référence à l’année 1958 correspond à une enquête, non retrouvée à ce jour. Les commentaires de certains curés laissent penser qu’il y a une accélération de l’exode rural à partir de 1957/1958.
2 En 1946, le taux de mortalité infantile en Ille-et-Vilaine est de 75 pour 1000 naissances vivantes, de 70 en 1947, de 56,7 en 1948 et de 61 en 1949.
3 Une étude des entrées et sorties dans les maternités pourrait peut-être nous éclairer, encore faut-il que les registres aient été conservés !
4 Fillaut (Thierry), op. cit., p. 519-521.
5 Si elles restent dans le département ; lorsqu’elles quittent la terre, elles vont le plus souvent vers la région parisienne, faute d’emplois dans les secteurs non agricoles en Ille-et-Vilaine
6 Du moins jusqu’en 1954 puisqu’en 1962, le commerce est confondu avec la banque et les assurances. L’évolution est semblable dans l’ensemble de la France.
7 Ces déclarations ne sont pas consultables dans le cadre actuel de la législation.
8 D’après le travail de Cornut (Paul), op. cit., qui donne la composition de la fortune départementale en 1949 et en 1953 ainsi que les statistiques de l’INSEE sur diverses sources fiscales.
9 À savoir les rentes sur l’État, les actions, les obligations françaises et étrangères, le numéraire, les comptes courants, les livrets de caisse d’épargne, les fonds de commerce, les meubles, les propriétés foncières et les immeubles.
10 La comparaison avec le département de la Loire étudié par Monique Luirard où le commerce et l’industrie sont prédominants confirme cette affirmation puisque la Loire a une structure proche de celle de la France en particulier pour les livrets de caisse d’épargne, les comptes courants et surtout les valeurs mobilières à revenus variables et fixes qui y sont même un peu supérieurs à la moyenne française ; Luirard (M.), op. cit., p. 870.
11 D’après Cornut (Paul), op. cit.. p. 493 et 547.
12 Pour la période 1920-1937, nous reprenons les chiffres présentés dans le chapitre 4, tableau n°29 p. 176.
13 Ce phénomène est valable pour l’ensemble de la France en ce qui concerne les obligations, mais non pour les actions.
14 Avec une moyenne d’environ 10 % ; seuls les industriels, les employés et les cultivateurs étaient en dessous de cette moyenne ; cf. chapitre 4 p. 176.
15 Cornut (P.), op. cit., p. 195.
16 Il faut souhaiter que des études ultérieures permettront de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse.
17 D’après les chiffres cités lors du recensement de 1954.
18 Recensement de 1946.
19 1,45 personne par pièce au recensement de 1954 contre une en France.
20 32 % ont l’eau dans le logement et 40 % dans la cour.
21 En 1962, 86,7 % des logements ont l’eau courante dans les villes et 46 % dans les campagnes. Si les villes du département sont pratiquement à égalité avec la France, la campagne d’Ille-et-Vilaine reste cependant nettement sous-équipée.
22 À Rennes, les rues de Brest et de Saint-Malo par exemple sont réputées pour leur état d’insalubrité. Ces quartiers sont peu à peu détruits, remplacés par des immeubles de «standing » et leur population transférée vers des HLM en périphérie selon un schéma classique au milieu des années soixante.
23 Cf. chapitre 4, p. 197-199.
24 En France, seuls 26,60 % des logements étaient occupés par des propriétaires en 1954.
25 Les catégories socio-professionnelles indiquées dans ce tableau sont celles données par le recensement de 1954 qui regroupe malencontreusement les cadres moyens avec les cadres supérieurs et les professions libérales.
26 Elles sont peu nombreuses avant 1939, à plus forte raison en 1954; cf. chapitre 4.
27 Sur cette expression, Berstein (S.), « Les classes moyennes devant l’Histoire », dans Vingtième siècle, janv. 1993, p. 6-8.
28 Les seuls concernés par cette dernière statistique puisque les seuls à être logés.
29 Même si depuis 1950 il est réglementé par le SMIG, il n’empêche que Vitré n’est pas par exemple dans la même zone de salaire que Rennes.
30 Dans le centre-sud (entre les quais et le boulevard de la Liberté) habité par les classes moyennes aisées, le taux est de 208 pour 10 000 habitants.
31 ADIV - 18 W 20 : recensement des véhicules automobiles au 15 janvier 1941 ; INSEE statistiques du 1er janvier 1956. On ne dispose pas de statistiques fiables avant 1941.
32 Il est regrettable que l’on ne puisse faire la distinction.
33 En 1962, la situation s’est un peu améliorée puisque 10,5 % des logements sont raccordés.
34 Si bien que pour l’Ille-et-Vilaine et la Bretagne on ne peut parler que des « vingt glorieuses » et non des trente.
35 Cf. chapitre 6, p. 275 et suivantes.
36 Cf. chapitre 7, note 17 p. 311 ; Dando (A.), Étude d’un quotidien régional « Ouest-Matin », mémoire de maîtrise, Rennes2, 1969, 122 p.
37 Témoignage qui a souhaité rester anonyme.
38 Ouest-Matin arrête toute publication de 1956 à 1959 et reprend jusqu’en 1963.
39 Du moins un désengagement direct.
40 Les sources sont rares et très dispersées et les études sur ces thèmes rarissimes pour la période.
41 Cf. chapitre 5, p. 235.
42 ADR - 4F : enquête pastorale de 1962. Le curé de Saint-Guinoux se plaint que le théâtre du patronage empêche le développement de la JAC et de la JACF qui n’ont de ce fait que trois militants.
43 On ne dispose que de quelques indications éparses et d’une étude, celle de Erhel-Lamande (Joëlle), Le déclin du théâtre rural lié aux mutations de son milieu : l’exemple de Bruz avec les « compagnons du Vau Gaillard », Rennes, UHB-collège coopératif de Bretagne, 1987, 159p.
44 Cette partie s’appuie essentiellement sur le mémoire de maîtrise de Coadic (Laurent), op. cit. Voir également la thèse de Michel Lagrée, Religion et cultures en Bretagne, op. cit., p. 424-431.
45 Et encore certaines ne sont pas toujours enregistrées dans le cadre d’une fédération.
46 ADIV - L’Essor, bulletin des Cadets de Bretagne, janvier 1959.
47 Bulletin départemental de l’Éducation, 1950.
48 Bulletin départemental de l’Éducation, 1954.
49 On pourrait citer aussi l’automobile, l’aviation, la boxe, le tennis, l’athlétisme, la gymnastique, l’équitation, le canoë-kayak, etc.
50 Les associations ne l’indiquent pas toujours et adoptent souvent une formulation suffisamment vague pour ne pas être obligées de refaire une déclaration administrative. En particulier, le petit patronage rural qui organise des rencontres en ping-pong, des cours de gymnastique, n’est pas forcément inscrit auprès de la préfecture.
51 Huitorel, « 25 ans de sport à l’École normale », plaquette du 150e anniversaire de l’EN cité par Coadic (L.), op. cit., p. 67.
52 Et même de toute la Bretagne.
53 Ouest-France, 17 avril 1950.
54 Latreille (André), De Gaulle, la Libération et l’Église catholique, éd. du Cerf, 1978, p. 48-72.
55 Ces trois derniers points sont déjà évoqués dans ce chapitre ou dans les deux précédents.
56 ADR - Archives de Francis Corvaisier et Ordo de 1940, 1950 et 1960.
57 D’après l’Onde 1962, ils étaient 1 089 prêtres soit 17,72 pour 10 000 habitants en se référant au recensement de 1962.
58 Et annonce une chute autrement plus grave pour la vitalité de l’Église au début des années soixante- dix.
59 D’après l’Ordo, le nombre de prêtres décédés en 1956, 1958 et 1959 est respectivement de 29, 11 et 22 pour 21, 2 et 14 ordinations.
60 D’autant plus que les départs de prêtres ordonnés pendant les années 1945-1958 sont au total de 26 soit environ 2 % des prêtres en activité pendant la même période.
61 ADR -4 F : enquête pastorale de 1962 et les travaux de F. Boulard en particulier « La pratique religieuse dans le diocèse de Rennes », Économie et Humanisme, 1951 /2-3, p. 115-120.
62 Cf. chapitre 3, p. 125-128 Cette évolution n’est pas générale en France; la région stéphanoise connaît au contraire un regain de pratique religieuse après la Libération. Luirard (Monique), La région stéphanoise dans la guerre et dans la paix (1936-1951), St-Etienne, Presses Universitaires de St-Etienne, 1980, p. 878.
63 Encore peut-on s’interroger sur le sens que prend la perte de la pratique religieuse; en particulier il est probable que la référence, consciente ou inconsciente, à la culture catholique persiste longuement.
64 ADIV - 1088 W 4, 11, 53 et 59 : statistiques sur l’enseignement primaire privé et public en 1950 et 1957 ainsi que l’INSEE pour 1947.
65 Le taux de croissance en France de 1949/1950 à 1963/1964 est de +37,1 %. L’Ille-et-Vilaine a une évolution assez parallèle à celle de la France compte tenu du décalage des dates.
66 Cf. chapitre 3 p. 112-113.
67 En 1947, l’école publique accueille 2 408 élèves en maternelle contre 501 dans les écoles privées et en 1950, les chiffres sont respectivement de 3761 et 551.
68 ADIV - 187 W 1 et 19: statistiques de 1952-1953; malheureusement, l’équivalent, malgré ses défauts, n’existe pas pour l’enseignement secondaire des lycées.
69 Les autres catégories sont : les fonctionnaires (sans plus de précision !), les cadres supérieurs et les patrons, les artisans, les professions libérales.
70 à condition bien sûr qu’ils aient leur moyenne!
71 On ne dispose que des chiffres de l’INSEE qui ne donnent pas toujours la répartition entre les filles et les garçons.
72 En 1947, 78 % des filles sont dans l’enseignement secondaire privé.
73 La première partie du baccalauréat correspond à la classe de 1re et la seconde partie à la classe de Terminale.
74 Cette croissance pendant la même période reste cependant inférieure à celle de la France qu’il s’agisse des effectifs de l’enseignement secondaire (+48,8 % en France) ou du baccalauréat seconde partie (+50 % environ). Des raisons socio-économiques ne sont certainement pas étrangères à ce décalage entre l’Ille-et-Vilaine et la France.
75 L’étude reste à faire.
76 En ce qui concerne la mémoire de la Seconde Guerre mondiale pour la période qui nous occupe, on peut se référer aux études de Namer (Gérard), Mémoire et histoire, éd. Méridiens Klincksieck, 1987, 242 p. et La commémoration en France de 1945 à nos jours, éd. L’Harmattan, 1987,213 p. ; d’autre part l’IHTP-CNRS a lancé une enquête qui a abouti à une table ronde dont les communications ont été publiées La mémoire des Français : quarante ans de commémorations de la Seconde Guerre mondiale, éd. CNRS, 1986, 399 p. et les bulletins de l’IHTP de septembre 1982 et mars 1986.
77 Cf. chapitre 4 p. 199 et suivantes), Mémoire..., op. cit., p. 225 ; voir aussi le rapport très stimulant de Mona Ozouf, « L’hier et l’aujourhui », dans La mémoire des Français, op. cit., p. 17-23.
79 Cf. ma communication « Le souvenir des Rennais », dans La mémoire des Français, op. cit., p. 213- 222.
80 Cf. chapitre 4 p. 201 et suivantes.
81 Cf. chapitre 4, note 118, p. 201 Sur le mur du Panthéon sont rappelés les noms des généraux victorieux de 14-18 ; parmi eux celui de Pétain dont le nom est caché par un carton depuis 1945.
82 Le contraste est saisissant avec la guerre 14-18 : face à une longue liste, la guerre de 1939-1945 ne comporte qu’un ou deux noms le plus souvent.
83 Beaucoup sont construits pendant la décennie 80 ; Lefort (Alain docteur), Arrondissement de Saint- Malo : monuments, plaques et stèles, témoignant de la Résistance et de la Libération, s.d., 72 p.
84 Frank (Robert), « Bilan d’une enquête », dans La mémoire des Français, op. cit., p. 373.
85 Par exemple la commune de Saint-Briac dresse dès octobre 1945 un monument à la mémoire de trois soldats américains tombés lors des combats de la Libération; Lefort (A.), op. cit., p. 40.
86 Parmi eux se trouvait le chef de Défense de la France en Bretagne Maurice Prestaut; cf. chapitre 5, p. 254.
87 Proclamation que la multiplicité même des associations annihile mais que personne n’a le droit de mettre en doute si l’on en juge par les divers développements sur l’action et la mort de Jean Moulin, en particulier suscitée par la publication de la « somme » que lui consacre Daniel Cordier.
88 O.-F., 12 novembre 1944. La rareté de la presse fait qu’on ne dispose pas pour les premières années, du compte rendu de ces cérémonies pour des villes autres que Rennes.
89 O.-F., 12 novembre 1944.
90 Il a existé un mouvement de républicains espagnols dans la résistance en Ille-et-Vilaine, l’UNE (Union nationale des Espagnols) qui était proche du PCF.
91 Si le 11 novembre 1918 et le 14 juillet 1919, l’union sont également le mot d’ordre, ce sont les militaires qui défilent et non des civils.
92 Deux communautés étrangères relativement importantes dans le département (mais les étrangers ne dépassent jamais 1 % de la population du département).
93 Cf. chapitre 4, p. 208-209
94 La FNDIRP est proche des communistes. O.-F., 29 décembre 1945 et 31 décembre 1945.
95 Le maire fait allusion à un monument aux morts de la Seconde Guerre mondiale, première volonté nette d’insérer dans la mémoire collective architecturale le souvenir spécifique de cette guerre en se démarquant de la guerre 14-18.
96 Dans une conjoncture politique et sociale difficile, avec des grèves qui se multiplient; cf. chapitre 8, p. 349 et suivantes.
97 O.-F., 1er janvier 1948.
98 Il faut attendre 1981 pour que la cérémonie retrouve la parole.
99 Cf. chapitre 4, p. 208
100 Seul élément nouveau, mais pour la première fois dans cette terre catholique la cérémonie du temple est prise en considération comme faisant partie intégrante de la commémoration, signe d’une évolution des esprits.
101 Le comble est atteint en 1952 où le 7e anniversaire est célébré par l’UFAC avec certes des autorités civiles et militaires, mais sans prise d’armes et hors de la présence du commandant de la 3 région militaire, le général Zeller. Par contre, le dimanche la fête de Jeanne d’Arc est largement commémorée avec une prise d’armes sous la présidence du général Zeller.
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