L'Ille-et-Vilaine, 1918-1958
|1re partie. 1918-1939
Chapitre 3. Deux mondes opposés
Texte intégral
1La dichotomie du département s’exprime à travers les opinions politiques et s’enracine dans des territoires bien délimités, non sans nuances d’ailleurs ; elle correspond à deux formations, deux éducations distinctes fondées sur l’appartenance ou la non appartenance à l’Église catholique. Certes, ce n’est pas original, mais la vivacité des oppositions entraîne ici la cohabitation de deux sociétés ou contre-sociétés qui déterminent les choix politiques et modèlent la totalité de la vie des habitants : école, associations, réseaux de sociabilité, etc. Mais, le tournant des années trente, décelé dans le domaine politique, est également sensible dans le domaine syndical et dans l’Église.
Quelle école obligatoire ?1
- 1 L’enseignement secondaire (près de 6 000 élèves en 1938) et supérieur (2 600 étudiants en 1936) so (...)
- 2 Rémond (René), « Évolution de la notion de laïcité entre 1919 et 1939 », dans Cahiers d’histoire, (...)
2L’école est a priori le terrain le moins propice au changement dans un département où la querelle scolaire est permanente et le « lieu privilégié des contestations entre l’Église et l’État » et « fait de plus en plus figure d’anomalie » pendant ces vingt années où s’élabore une conception plus ouverte de la laïcité2.
- 3 Ou un ordre de grandeur.
3Les sources disponibles sont très inégales. Pour l’école primaire privée, les sources sont assez précises et indiquent à la fois l’implantation et les effectifs par commune3. Il n’en est déjà plus de même pour l’école primaire publique dont l’implantation et les effectifs sont généralement donnés au niveau du département.
4Compte tenu de l’état des sources, on ne peut guère que tracer un tableau pour ces deux décennies et donner ponctuellement quelques éléments sur le rapport des forces entre public et privé, sur leurs préoccupations, leurs priorités.
Les écoles primaires
5L’école primaire parce qu’elle est obligatoire et concerne tous les jeunes Français et Françaises, est au cœur de la rivalité, de l’opposition entre société laïque et société catholique. La prolongation d’un an de la scolarité obligatoire en 1936 pose quelques problèmes de mise en place, mais sans modifier fondamentalement sur le court terme, l’organisation et les objectifs existant. Quant aux classes pré-élémentaires, elles stagnent.
- 4 6 à 13 ans, puis 14 ans à partir de 1936/1937.
6— L’école obligatoire4
- 5 Respectivement sur l’interdiction d’enseigner pour les congréganistes et sur la séparation de l’Ég (...)
7Les écoles primaires publiques sont réparties sur tout le territoire et concernent garçons et filles. En revanche, les écoles primaires privées ont une implantation plus inégale. Depuis les lois de 1904 et 19055, l’enseignement privé confessionnel ne dispose d’aucune subvention et ne peut compter que sur les dons des fidèles pour construire les écoles et payer les maîtres ; cette situation entraîne une réorganisation momentanément interrompue par la guerre.
Tableau n°17 : Effectifs globaux des inscrits dans les écoles primaires (1919-1939) source : les rapports de l’inspecteur d’académie).

- 6 Contre 17% dans l’Isère ;cf. Barral (Pierre), Le département de l’Isère sous la IIIe République (1 (...)
- 7 Comme à Cardroc, Saint-Sauveur-des-Landes ou Tresboekuf; ADR - 3 F : visites pastorales de 1921.
8Tout au long de la période, se maintient la prédominance de l’école privée sur l’école publique (tableau n°17). En 1919, 55,82% des enfants vont à l’école primaire privée; en 1938 la proportion est pratiquement identique (56,97%)6. La répartition des filles et des garçons montre un effort considérable de l’Église en faveur des filles : 66% à 70% d’entre elles sont inscrites à l’école primaire privée. En 1919, sur les 366 communes du département, 141 ont une ou plusieurs écoles primaires privées pour les garçons, mais 279 pour les filles. Cet effort fait que certaines écoles primaires publiques de filles n’ont pas d’élèves ou uniquement la fille... de l’instituteur7 ! L’éducation des filles pour l’Église est essentielle ; elles sont les futures mères, les futures éducatrices, c’est par elles que se transmet l’éducation religieuse de la petite enfance (prières quotidiennes en particulier), leur éducation dans le cadre d’institutions ecclésiales est indispensable.
9La politique de construction d’écoles privées est reprise avec vigueur par Mgr Mignen de sa nomination en 1931 jusqu’à sa mort en 1939. Cette politique, en rapprochant l’école privée de ses utilisateurs, favorise le maintien de la proportion privée/publique et permet de faire face à la croissance générale des effectifs. Elle est de plus de 6 000 élèves entre 1931 et 1938 dans l’enseignement privé (contre 772 dans l’enseignement public).
- 8 ADIV - 1 T(P)3 : rapports de l’inspecteur d’académie.
- 9 Dix dans l’arrondissement de Vitré, sept dans celui de Fougères, deux dans celui de Redon et une s (...)
10Les cartes n° l1 et 12 montrent que l’implantation de l’école privée s’est généralisée. En 1921, 87 communes n’ont aucune école privée, en 1939 elles ne sont plus que 59. Les constructions nouvelles concernent surtout les écoles de garçons. En 1921 comme en 1939, le nombre de communes possédant au moins une école primaire privée de filles est resté inchangé, mais 86 communes se dotent d’une école primaire privée de garçons dont 62 entre octobre 1935 et octobre 19398. L’arrondissement qui a le réseau le plus complet est celui de Redon, seules trois communes n’ont pas d’écoles privées ; le nord du bassin de Rennes et l’arrondissement de Montfort sont les moins bien servis. Dans l’arrondissement de Montfort, il s’agit de communes de moins de 200 habitants qui n’ont pas une population scolaire suffisante pour avoir une école. En revanche, au nord du bassin de Rennes, il s’agit d’un choix idéologique, puisque des communes traditionnellement républicaines comme Feins, Vieux-Vy-sur-Couësnon, etc. n’ont pas d’écoles privées. En contrepartie, 20 communes n’ont aucune école primaire publique à cause de la concurrence de l’école privée et tout naturellement l’arrondissement de Vitré est le plus démuni9. Cette géographie des écoles primaires privées révèle la symbiose entre le vote, l’éducation reçue et les représentations collectives.
- 10 Lagrée (Michel) et Pihan (Jean), « Les performances scolaires dans l’espace breton (1860-1980) », (...)
- 11 Luc (Jean-Noël), « L’illusion statistique », AESC, 1986, n°4, p. 887-911 et La statistique de t en (...)
- 12 ADIV - 1 T(P) 3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 20 juillet 1920 et du 1er août 1922.
- 13 ADIV - 1 T(P) 3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 31 juillet 1926. On ne dispose pas de chif (...)
- 14 ADIV - 1 T(P) 3 : rapport de l’inspecteur d’académie d’août 1931.
- 15 ADIV - 1 T(P)42 : procès-verbal de la gendarmerie de Guipry du 3 décembre 1930.
- 16 ADIV - 1 T(P)42 : procès-verbaux des gendarmeries de Bruz (10 février 1931) et de Chartres-de- Bre (...)
- 17 ADIV - 1 T(P) 42 : procès-verbaux de gendarmerie de Guichen du 28 novembre et du 2 décembre 1930 e (...)
- 18 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 31 juillet 1925.
- 19 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 1er août 1928.
- 20 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 31 juillet 1925. Mais on ne connaît pas la (...)
11Ce réseau d’écoles très dense mais a-t-il accru la fréquentation scolaire ? Ce problème ne se pose évidemment pas de la même façon qu’au xixe siècle10. Il n’empêche que les statistiques11, montrent un décalage entre les inscrits et les présents : -6% chez les garçons (-5,75% dans le privé) et -9,33% chez les filles (-6,52% dans le privé) pour l’année 1919/1920. Les rapports de l’inspecteur d’académie récriminent chaque année contre une fréquentation scolaire épisodique voire « franchement mauvaise », surtout lors de la période des grands travaux agricoles ; de fait, pour les plus âgés (10 à 13 ans), l’année commence en novembre et se termine en juin12. En 1926, la fréquentation est estimée à 90% dans les écoles publiques et à 92% dans les écoles privées ce qui pour l’inspecteur d’académie correspond à un « statu quo dans la médiocrité » et conduit à des conscrits analphabètes 16 sur 267 soldats d’Ille-et-Vilaine (près de 6%) du premier contingent de 1926 ou illettrés 93 sur 267 (soit le tiers du contingent)13. Les causes sont connues de longue date, mais, au début des années trente, il est décidé de recourir à la gendarmerie ; celle-ci dresse des procès-verbaux, ou la « peur du gendarme » utilisée pour améliorer la fréquentation scolaire. L’inspecteur d’académie, tout en signalant les réticences des instituteurs et institutrices devant ces méthodes, donne en exemple la circonscription de Saint-Malo où sur huit procès-verbaux dressés par la gendarmerie 5 élèves reprennent la classe : mais est-ce durable ?14 Si la participation aux travaux agricoles est l’excuse la plus fréquente, cet absentéisme recouvre des réalités bien différentes. Le plus souvent, les familles invoquent l’absence de vêtements convenables et de chaussures, la nécessité de placer jeunes les enfants pour subvenir aux besoins de la famille. Certains sont placés à 10 ou 11 ans comme domestique (les filles) ou comme pâtres. C’est ainsi qu’à Guipry, une femme, séparée de son mari, espère placer sa fille de 11 ans parce que « le pain manque souvent à la maison et aussi les habits » tandis que son fils de 10 ans vient à l’école irrégulièrement15. Ailleurs, le père, manœuvre, a cinq enfants de 4 à 10 ans ; l’aîné est placé, même chose pour une mère veuve avec trois enfants16. Il arrive que cette baisse de la fréquentation scolaire lors des travaux agricoles ne concerne pas seulement les fermes les plus pauvres, mais aussi des fermes plus importantes où le travail des enfants évite d’avoir à payer un domestique agricole. Enfin, quelques parents n’envoient pas leurs fils à l’école publique, parce qu’ils attendent l’ouverture de l’école privée en cours de construction comme c’est le cas à Guichen en novembre et décembre 1930 c’est-à-dire dans un canton où l’exacerbation des tensions laïques-catholiques est à son comble comme le montrent les résultats électoraux17. Les origines de cette fréquentation scolaire à éclipses sont dues aussi bien à un système d’exploitation traditionnel où toute la famille doit aider, des enfants aux grands-parents, qu’à une part non négligeable de pauvreté, voire de misère qui interdit ou limite la fréquentation de l’école. On peut y ajouter l’éloignement du bourg avec trois ou quatre kilomètres à faire à pied. C’est une des raisons qui pousse à la création de cantines, améliorant aussi l’alimentation des plus déshérités. Ces cantines en milieu rural sont au nombre de 160 en 1925 dans les écoles publiques18 ; elles sont alors assurées directement par les maîtres et les maîtresses, souvent à leurs frais ! Parfois les municipalités accordent une aide, lorsqu’elles sont favorables à l’enseignement public : dans la circonscription de Vitré, sur 29 cantines, 25 sont aux frais des instituteurs et institutrices...19. Le bénévolat, essentiel, apparaît comme un combat, une mission dans un pays où l’Église est toute-puissante ; l’école publique doit faire non seulement aussi bien, mais mieux que les écoles privées et les instituteurs avoir le même dévouement. Pour les mêmes raisons, les écoles primaires publiques de Rennes inaugurent en 1925 des garderies le jeudi après-midi. Celles-ci reçoivent les élèves de 2 heures à 5 heures et chaque école a environ 25 à 30 élèves. Là aussi le bénévolat est la règle pour le personnel qui, d’après l’inspecteur d’académie, prend cette décision à l’unanimité20. Elle montre à l’évidence les problèmes spécifiques aux écoles citadines où les structures de garderie sont inexistantes ; en revanche, dans les campagnes, les mères agricultrices travaillent chez elles ce qui résout le problème. Les cantines, l’absentéisme témoignent de l’état de la société rurale et de la misère physiologique des élèves.
- 21 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie d’août 1931.
12C’est pourquoi dans les écoles, l’accent est mis avec insistance sur les notions d’hygiène, de propreté, de santé. Sur ce chapitre, les consignes ou remarques des inspecteurs d’académie en disent long sur l’état des écoles primaires, sur le mode de vie des habitants, les habitudes d’hygiène des élèves particulièrement de milieu rural mais aussi ouvrier. En 1923 sont signalées des salles de classe blanchies à la chaux plus souvent, des lavabos modernes ici et là et l’habitude prise d’aérer les salles de classe au moins pendant les récréations. Mais, en 1927, il existe encore une bonne cinquantaine d’écoles sans puits ni bornes-fontaines. En 1931, l’inspecteur d’académie insiste sur le retard de l’Ille-et-Vilaine en matière d’hygiène ; certes, il y a « des améliorations, mais on est loin des autres départements où chaque élève dispose d’un verre et d’une brosse à dents dont il se sert obligatoirement tous les matins »21. Pratiquement, tous les rapports plaident en ce sens et demandent aux municipalités de faire des efforts pour l’installation des lavabos, le blanchiment des salles de classe, améliorer le fonctionnement des fenêtres afin de permettre l’aération des salles, etc.
13Malgré des progrès, le rapport de 1937 signale que dans l’arrondissement de Saint-Malo « beaucoup d’écoles n’ont pas le moindre lavabo » ; est-ce surprenant dans un département où l’eau courante est rare, même dans les bourgs ? L’insuffisance de l’équipement des écoles est le miroir de celle du département, particulièrement dans les campagnes.
- 22 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie d’août 1931.
- 23 La piscine couverte de Rennes est inaugurée en 1926.
14Dans le même but, les instructions officielles insistent sur l’importance de l’éducation physique afin de favoriser une bonne croissance, de lutter contre de mauvaises conditions de vie (rachitisme, tuberculose,...). C’est pourquoi, les inspecteurs d’académie insistent sur l’importance des « Fêtes de la Jeunesse pour montrer comment l’activité physique était génératrice de bien-être »22. Des efforts sont faits -mais avec quels moyens !- ; ainsi, fièrement on signale qu’à Rennes, les élèves des écoles de garçons âgés de 10 ans ont pu aller à la piscine recevoir les premiers éléments de la natation23. L’inquiétude est manifeste devant des habitudes de vie et d’hygiène fort en retard par rapport à d’autres pays et régions et pas seulement à la campagne.
- 24 Ce qui laisse supposer qu’il n’en est pas de même dans les écoles publiques ! ; cf. La Semaine Rel (...)
15Dans les écoles privées, les préoccupations principales ne sont pas identiques, il s’agit d’abord d’assurer la survie de ces écoles d’où l’importance des kermesses au profit des écoles catholiques. En 1920, le président de « l’Association départementale pour la protection de l’enseignement primaire privé en Ille-et-Vilaine » déclare que parmi les raisons du choix de l’école privée : « L’enseignement qu’on y donne, les méthodes employées, les succès obtenus, le travail, la discipline, la bonne tenue, ce sont là autant de garanties précieuses qui recommandaient nos écoles chrétiennes »24.
16— Les études courtes
- 25 Les écoles primaires supérieures ont pour but de préparer leurs élèves à la vie active avec des se (...)
- 26 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 20 juillet 1920.
- 27 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 31 juillet 1926.
17La très grande majorité des élèves (compte tenu de l’origine sociale) ne va pas au-delà du certificat d’études. Les meilleurs sont dirigés soit vers le concours d’entrée en 6e, soit vers les EPS25. Les EPS publiques en dehors de Rennes sont à Dol, Redon et Fougères pour les garçons, Fougères uniquement pour les filles, soit environ 600 élèves en 1920 (38% des scolarisés de plus de 13 ans), les autres se dirigent vers les cours complémentaires26. Les deux tiers des filles âgées de plus de 13 ans qui poursuivent des études courtes vont dans les EPS alors que ce n’est le cas que d’un cinquième des garçons auxquels il est offert plus de cours dans l’enseignement technique. L’EPS la plus faible en effectif est celle de garçons à Fougères qui n’a pas de section spécialisée, n’y restent que ceux qui veulent devenir fonctionnaires. Ces derniers « sont rares maintenant où, à 30 ans, un bon mécanicien de garage gagne deux fois plus qu’un instituteur ou qu’un petit fonctionnaire »27.
18L’EPS apparaît comme un élément de promotion mais en définitive peu ou mal utilisé en partie pour des raisons d’avenir professionnel : la fonction publique au moins dans les années vingt n’est pas perçue comme la panacée. Les cours professionnels associés au travail en atelier chez un patron débouchent normalement sur un CAP, mais ils ne permettent pas d’accueillir toutes les demandes et malgré des efforts, le département ne se distingue pas des autres.
- 28 Ces deux dernières sont jumelées à une EPS et sont créées respectivement en 1932 et en 1934. ADIV (...)
- 29 AN - F10 2 632 : fiche de présentation de l’école pratique de laiterie ; AN - F10 2 589 l’école pr (...)
- 30 Comme l’école d’apprentissage de la rue d’Échange fondée en 1920 à Rennes.
- 31 Comme l’école d’apprentissage des chemins de fer de Rennes créée le 1er décembre 1918.
19Les véritables écoles d’enseignement technique sont rares. Dans l’enseignement public, il existe l’école pratique de commerce et d’industrie de Rennes, l’école pratique d’industrie de Dol-de-Bretagne et l’école pratique de commerce pour les jeunes filles à Rennes28. S’y ajoutent deux écoles dépendant du ministère de l’Agriculture : l’école pratique de laiterie de Coëtlogon (Rennes) pour les jeunes filles et l’école pratique d’agriculture des Trois-Croix à Rennes destinée aux jeunes gens29. Des écoles privées d’enseignement technique dépendent soit de l’enseignement privé confessionnel, soit de la Chambre de commerce ou de celle des métiers30, soit d’associations professionnelles, soit d’entreprises publiques31. Au total, les effectifs restent faibles : 1 000 élèves dans les écoles d’enseignement technique, 2 200 dans les différents cours professionnels. Quant aux écoles d’agriculture, elles regroupent à elles deux une cinquantaine d’élèves.
- 32 ADIV - 1 T (fonds de l’inspection académique) : rapport de l’inspecteur primaire de Vitré du 20 ma (...)
20Les uns et les autres représentent les premiers pas d’un enseignement technique qui reste en France le parent pauvre. Avec la prolongation de la scolarité instaurée en 1936 par le Front populaire, des efforts sont faits dans le sens d’une pré-professionnalisation, mais rien ne peut être fait dans les écoles rurales à classe unique et même à deux classes. Dans les autres écoles (le plus souvent les chefs-lieux de canton), des sections plus spécialisées sont ouvertes donnant des rudiments de technique agricole, de dessin industriel, de comptabilité pour les garçons, de couture, de sténo, de comptabilité pour les filles et même à La Guerche et à Vitré d’anglais32.
21— Le personnel enseignant
22Dans les années vingt, l’un des problèmes rencontrés est celui du recrutement des écoles normales à la fois pour des raisons financières et de concurrence avec l’école privée. En 1922, l’école normale manque de candidats pour les garçons comme pour les filles ; dans les deux cas elles n’ont qu’une quarantaine d’élèves (respectivement 39 et 46), moitié moins qu’avant-guerre. Au total, les écoles normales en 1922 rassemblent 66 élèves-maîtres et 48 élèves-maîtresses et le recrutement est considéré comme médiocre en nombre comme en qualité. Les mesures en faveur de bourses dans les cours complémentaires et EPS devaient permettre un retour vers les écoles normales. Cinq ans plus tard, la situation ne s’est guère améliorée en particulier en raison de l’état de santé des élèves-maîtresses. Derrière le langage administratif, on sent les ravages de la misère physique et pécuniaire des milieux d’origine de ces élèves, l’ignorance et les difficultés de se soigner quand on n’appartient pas à un milieu favorisé. L’état de santé des élèves-maîtresses fait l’objet de nombreux rapports :
« Les élèves suspectes ou fatiguées sont autant que possible soumises à un régime à part et sont suivies régulièrement par le médecin. On arrive ainsi à en sauver quelques-unes, à en maintenir et à en préserver plusieurs.
Malheureusement, l’état de fatigue dans lequel se trouve à l’examen médical d’entrée la totalité des aspirantes rend le choix difficile à opérer ».
- 33 ADIV - 1 T(P)3 : annexe au rapport annuel de l’inspecteur d’académie pour l’année 1927.
23Ce rapport pessimiste se termine en précisant que sur 18 admises en juillet 1926, deux ont dû partir fin décembre et l’une d’elles est décédée en janvier 192733. Les ravages de la maladie, très vraisemblablement la tuberculose, sont encore élevés ce qui explique en contrepoint l’importance attachée aux habitudes hygiéniques dans les écoles pour les élèves du primaire, afin de lutter contre la misère physiologique engendrant la tuberculose. C’est aussi révélateur sur la population qui se présente dans les écoles normales.
- 34 Locu (Gérard), « Le bulletin mensuel de la section d’Ille-et-Vilaine du SNI : 1926-1940 », mémoire (...)
- 35 Huit de ces postes sont dans l’arrondissement de Montfort et trois dans celui de Vitré. Bulletin m (...)
24Les instituteurs ne sont pas considérés partout de la même manière ; la considération dont ils peuvent jouir, dépend du poids de l’« autre » école. Être secrétaire de mairie ne peut suffire à leur donner un certain prestige et cela ne concerne que les hommes. Les instituteurs eux-mêmes ont établi leur propre classement où se mêlent des critères objectifs (logement, éloignement du chef-lieu de canton,...) mais aussi subjectifs et là les relations avec le village selon qu’il est pour ou contre l’école laïque sont essentielles. Les « postes déshérités » sont essentiellement des postes où le logement laisse à désirer (sans eau courante, sans électricité, avec des peintures défraîchies)34. Or, sur les quinze postes qualifiés de déshérités, si certains concernent de petites communes dont les municipalités ne peuvent faire face aux frais d’entretien de l’école, en revanche, d’autres se trouvent dans des communes où l’Église et l’école privée sont en position de force35.
25Dans les écoles privées, le recrutement des instituteurs et institutrices connaît aussi de graves problèmes. Certes, les vicaires-instituteurs sont nombreux mais le principal problème de recrutement est du côté des institutrices puisque les congrégations ne peuvent enseigner. Or, les écoles privées et leur fonctionnement dépendent totalement des ressources de l’Église, désormais limitées au denier du culte, au revenu des messes et aux dons et kermesses. Ces dernières sont annuelles, destinées au financement des écoles privées et à l’amélioration du salaire des instituteurs qui ne suit pas le coût de la vie :
- 36 Texte du cardinal Charost dans La Semaine Religieuse, 18 juillet 1925. Celui-ci dans une lettre au (...)
« Alors que le salaire de tous ceux qui ont leur vie à gagner a monté notablement, celui de nos instituteurs et institutrices libres n’a pu être relevé que dans une proportion très inférieure. (...). Ce salaire est littéralement de famine. Il permet tout juste de vivre à ceux et surtout à celles qui le touchent, pendant les longues années de leur service actif, mais il ne leur laisse pas un sou vaillant pour assurer leurs vieux jours. (...). Quel que soit leur désintéressement, il leur faut bien des subsides pour s’instruire et un minimum pour s’assurer au soir de leur vie une retraite qui ne sera même pas modeste, mais gênée »36.
- 37 Témoignage de l’abbé Bunouf.
- 38 ADIV - 1 T(P)3 ; rapport de l’inspecteur d’académie d’octobre 1934.
26Cet appel à la générosité des paroissiens montre la faiblesse réelle des revenus des enseignants de l’école privée. Dans les années trente, Mgr Mignen oriente une grande partie de son action vers le développement de l’enseignement privé et la construction de nouvelles écoles quitte à affaiblir quelque peu le travail paroissial des prêtres37. Il s’efforce d’améliorer le recrutement si bien que « le remplacement du personnel laïque par des ecclésiastiques plus instruits et plus cultivés a, en outre, amélioré la qualité de l’enseignement donné »38.
27À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la situation est inchangée en ce qui concerne le rapport de forces entre enseignement primaire public et privé avec la nette domination de ce dernier dans l’enseignement obligatoire et pour les cours complémentaires. Cette concurrence se prolonge au-delà de l’école obligatoire.
Les œuvres post-scolaires
28Dans la situation de forte concurrence dans laquelle se trouvent les écoles publiques, tous les moyens sont mis en œuvre pour essayer de conserver leurs effectifs et d’attirer les indécis.
- 39 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 1er août 1928.
29Ces œuvres post-scolaires concernent aussi bien les bibliothèques, le cinéma que le sport. Pour rendre accessible le livre aux élèves, des bibliothèques scolaires sont présentes dans presque toutes les communes qui ont une école publique ; elles rassemblent au total environ 40 000 volumes39.
30L’ensemble des prêts sur une année est d’environ 42 000 soit un peu plus d’un prêt par élève. Ces bibliothèques scolaires sont parfois doublées de bibliothèques existant dans les cercles populaires qui regroupent en fait toutes les activités extra-scolaires dans la mouvance de l’école publique et qui ont le même rôle fonctionnel et de sociabilité que les patronages catholiques vis-à-vis de l’école privée.
- 40 ADIV -1 T(P)204 : demandes de subvention des cercles populaires. Il est probable que cette source (...)
31Dans la mouvance de l’école publique se sont créés des « cercles laïques », des « amicales », des « associations » dont la fonction première est de prolonger les liens créés par l’école entre anciens élèves et parents d’élèves, d’affirmer l’appartenance au monde laïque, républicain par opposition à celui des catholiques. En 1922, 17 cercles ou associations sont reconnus et demandent des subventions40, 25 dès 1924 et en 1938, on en dénombre 42. Cette progression continue ne doit pas masquer de grandes différences de vitalité, d’activités suivant la taille des communes.
- 41 Des raisons financières, administratives sont certainement en jeu car le cinéma des patronages cat (...)
32Les activités les plus fréquentes sont la musique, le sport, le théâtre et les bibliothèques ; le cinéma ne se répand que timidement, gêné en partie par l’insuffisance de l’électrification même si à la fin de la période la plupart des bourgs reçoivent l’électricité41.
- 42 Coadic (Laurent), Quinze années de sport en Ille-et-Vilaine : une évolution contrastée (août 1944- (...)
33L’activité sportive développe une autre sociabilité et certains sports sont les héritiers de l’avant-guerre. Le sport le plus pratiqué est le football qui ne demande que de faibles investissements. Le tir est la discipline la plus souvent citée après le football ; il est l’héritier des sociétés de gymnastique et de tir créées avant la guerre qui assumaient un début de préparation militaire voire étaient officiellement habilitées. Les autres sports pratiqués sont l’athlétisme à Pipriac, le tennis, le volley-ball et le basket-ball proposés par L’Avant-garde guerchaise qui porte bien son nom dans ce domaine car il s’agit alors de trois sports peu répandus, voire élitistes : influence de notables ? d’un maître ?... La présence de ces trois sports est d’autant plus surprenante que la plus grande association laïque, le Cercle Paul-Bert de Rennes fondé en 1903, a des sections de tir, de gymnastique, d’athlétisme et de basket-ball mais ni de tennis, ni de volley-ball, ce dernier ayant même après la guerre un développement assez lent42.
34Les groupes de théâtre et musique amateurs connaissent en général un important développement pendant ces deux décennies contribuant ainsi à l’animation des bourgades rurales. Quant aux bibliothèques, plus spécifiquement destinées aux adultes, elles complètent le réseau des bibliothèques scolaires. Elles sont parfois «circulantes », rayonnant sur tout un canton comme à Mordelles et essayant de diffuser la lecture dans des zones défavorisées. Cette diversité dans les activités permet de toucher un public assez vaste ; la vitalité de ces associations est encore accentuée par l’atmosphère de vive concurrence avec les patronages catholiques.
- 43 ADIV -1 T(P)204 : rapport de fonctionnement du Cercle Paul-Bert en 1924.
- 44 Celui-ci est interrompu entre 1921 et 1923 en raison de la réorganisation qui suit la guerre.
- 45 À Montfort, Saint-Aubin-d’Aubigné et Châteaugiron c’est-à-dire tout de même entre 25 et 35 km de R (...)
35Leurs effectifs sont extrêmement variables. Le nombre d’adhérents peut aller de 15 ou 20 à 1 300 pour le Cercle Paul-Bert de Rennes en 192443. Ce dernier n’est pas le patronage laïque le plus ancien du département, puisque bien d’autres ont été fondés à la fin du xixe siècle, mais situé à Rennes, il est la référence obligée aussi bien pour la structuration de la société laïque que comme rival des patronages catholiques. Son activité se divise en trois branches : une branche sportive, une branche artistique et une branche « sociale ». Le sport au Cercle Paul-Bert comprend des sports collectifs comme le basket-ball et le football44 ainsi qu’une préparation militaire. Depuis peu existe un laboratoire de physiologie dans un but de prévention afin d’éviter que des membres du Cercle Paul-Bert ne pratiquent un sport déconseillé. La branche artistique regroupe un orchestre, une fanfare et un groupe de théâtre. L’orchestre et la fanfare ont respectivement 35 et 25 exécutants. Le groupe de théâtre dont on ne connaît pas l’effectif, se produit non seulement à Rennes mais aussi dans la périphérie45. Enfin, le dernier type d’activité du Cercle Paul-Bert est plus spécifiquement destiné aux scolaires puisqu’il s’agit de l’organisation de garderies pendant les vacances et de cinéma le jeudi après-midi. Le Cercle Paul-Bert présente une palette assez variée d’activités. Il se pose à la fois en animateur de la société laïque rennaise et même départementale, et en continuateur de l’œuvre d’éducation des instituteurs publics puisqu’il prend partiellement en charge les enfants le jeudi et pendant les congés scolaires.
- 46 La TSF est alors rarissime et nécessite une installation assez lourde avec la présence de l’électr (...)
36En dehors des villes, l’implantation des cercles populaires les plus anciens s’est produite dans des communes ou des cantons de tradition républicaine comme Retiers, La Guerche-de-Bretagne, Coësmes mais aussi dans des lieux de forte tension entre laïques et catholiques comme à Janzé. Peu à peu, il s’en crée dans le nord du département également de tradition républicaine, dans l’ouest de l’Ille-et-Vilaine souvent dans des communes disputées comme Paimpont ou Saint-Méen-le-Grand mais il reste de grandes zones non couvertes à l’est ; Vitré et Fougères sont comme des îlots dans une zone farouchement non laïque. Toutefois, le canton d’Argentré-du-Plessis, particulièrement antilaïque, se dote en 1924 d’une association d’anciens élèves avec une bibliothèque et l’écoute de la TSF46.
- 47 Dans la mouvance des lycées, se développe le scoutisme avec les Éclaireurs et les Éclaireuses de F (...)
- 48 Rémond (René), « Évolution de la notion de laïcité entre 1919 et 1939», op. cit.. 1959, p. 71-87.
37Ces diverses activités post-scolaires répondent à l’idéologie de l’école de la République. Dans une société où l’entrée dans la vie active se fait très tôt pour la majorité de la population à 13/14 ans, il est nécessaire de parfaire l’éducation républicaine des futurs citoyens, de continuer la tâche éducative en développant les activités post-scolaires à destination des jeunes gens47 mais aussi de leur famille. Dans le contexte départemental, il n’est pas question d’adopter une définition « neutre » de la laïcité et si comme le souligne René Rémond48, il y a une évolution de la définition de la laïcité chez les dirigeants républicains et dans l’Église à la fin des années vingt, dans notre région, celle-ci n’évolue guère en raison d’une vive concurrence avec l’école privée qui loin de se ralentir au contraire s’accélère sous l’impulsion de Mgr Mignen et conduit à un renforcement des activités post-scolaires de l’école laïque puisque le nombre des associations, amicales, cercles augmente régulièrement.
38La querelle scolaire en Ille-et-Vilaine comme dans toute la Bretagne touche tous les ordres d’enseignement sauf le supérieur où l’université catholique d’Angers ne fait guère d’ombrage à la vieille université rennaise. Certes, la vigueur de la querelle est plus atténuée dans le domaine de l’enseignement technique faute de moyens suffisants dans l’enseignement privé mais il n’en est pas de même dans l’enseignement secondaire classique, ni dans le primaire. Significativement, la concurrence y est la plus rude puisqu’il s’agit de la formation de la totalité d’une génération alors que dans le secondaire, le but est de former l’élite à venir mais là les camps sont prédéfinis et les institutions en place depuis longtemps contrairement à l’enseignement primaire. Loin de s’éteindre, la querelle entre laïques et catholiques persiste avec la même vigueur, maintenant les clivages, voire les ravivant selon une géographie qui recoupe celle des votes. La force de cette querelle suscite une émulation qui a peut-être contribué paradoxalement à acculturer le département et au-delà la région à la France.
L’emprise de l’Église
- 49 Témoignage écrit de Golo Mann du 13 février 1989. Fils de l’écrivain Thomas Mann, il était en exil (...)
39L’Ille-et-Vilaine appartient à cet Ouest armoricain où l’Église catholique est omniprésente, où tous les choix de la vie (éducation, choix politique, etc.) se font par référence explicite ou implicite avec Elle. Les protestants et les juifs y sont peu nombreux. Cette domination de l’Église fait que l’archevêque est pratiquement la personnalité la plus importante de la ville de Rennes. Il « possédait une puissance non écrite, particulièrement auprès de la bourgeoisie pieuse de la ville et là particulièrement auprès des femmes »49. Cette domination de l’archevêque ne s’arrête évidemment pas à la ville de Rennes, mais ce témoignage d’un étranger montre bien la force que peut avoir cette présence de l’Église.
Le clergé50
- 50 ADR- Ordo de 1921 et de 1939 principalement ainsi que Corvaisier (Francis), Du passé à t horizon 2 (...)
40Il est nombreux ; jusque dans la moindre paroisse rurale, il existe un « recteur » et un vicaire. Seules, 59 paroisses rurales ne sont desservies que par un seul prêtre ; pour près de la moitié d’entre elles, il s’agit de communes, dont la population n’excède pas 300 habitants en 1921 et les autres ont moins de 500 habitants. Les plus grosses paroisses sont desservies parfois par sept ou huit prêtres comme à Saint-Servan ou certaines paroisses de Rennes (Notre-Dame, Toussaints).
- 51 Corvaisier (Fr.), op. cit., p. 40.
- 52 C’est-à-dire le nombre d’ordinations pour 10 000 jeunes gens de 25 à 29 ans. Izard (R.), « Vitalit (...)
41De 1919 à 1939, le nombre de prêtres pour 10 000 habitants est stable toujours supérieur à 20, oscillant de 21 à 23. Le département fournit bon nombre de prêtres pour d’autres départements ou pour les Missions ce qui témoigne de la vitalité de l’Église dans ce département. En 1921, 523 prêtres résident hors du département soit environ 28% du clergé d’Ille-et-Vilaine et 60% de ces 523 prêtres sont à l’étranger dont 136 missionnaires. En 1939, la proportion de prêtres formés en Ille-et-Vilaine et résidant hors du département a encore crû avec 611 prêtres sur 1 804 soit environ un tiers et parmi eux 225 sont missionnaires. Non seulement le clergé est nombreux, mais la part des missionnaires augmente. Parallèlement, les ordinations de prêtres pour la période 1920-1939 sont en moyenne de 28,9 par an contre 38,4 pour les vingt années précédant la guerre51 soit 5,14 ordinations par an pour 10 000 habitants entre 1920 et 1939 et 6,25 pour la période précédente, léger tassement sans que, sur une période en définitive assez courte, on puisse en tirer de conclusion sur une éventuelle raréfaction des vocations. L’évolution en chiffres absolus est à peu près parallèle à celle de la France mais le taux d’ordinations52 est supérieur puisqu’il est de +75 pour 10 000 jeunes gens de 15 à 29 ans contre 30 à 45/50. L’Ille-et-Vilaine (mais avec elle le reste de la Bretagne) est un réservoir de vocations sacerdotales destiné à encadrer une chrétienté vigoureuse et à pallier le déficit d’autres régions. Cette situation favorise le déploiement de l’activité missionnaire créant d’ailleurs des liens spécifiques avec les colonies qui se poursuivent après la décolonisation.
- 53 ADIV - 2 Z 28 et 3 Z 7 supplément : enquête sur les congrégations en 1924 dans les arrondissements (...)
42À ce clergé qui fournit également une part de plus en plus importante du personnel enseignant des écoles primaires privées, il faut ajouter les religieuses. Les communautés de religieuses sont nombreuses et ont parfois leur maison-mère en Ille-et-Vilaine comme les Petites Sœurs des Pauvres à Saint-Pern. En dehors d’une action hospitalière, leur rôle reste un rôle d’instruction malgré l’interdiction d’enseigner des congrégations ; certaines religieuses sécularisées permettent ainsi le développement des écoles primaires privées de filles, même si des laïques participent aussi à cet enseignement53. Si le clergé est nombreux, sa puissance est aussi renforcée ou amoindrie en fonction de l’archevêque.
- 54 Ci-dessus chapitre 2, p. 88- 91. Après la condamnation de cette ligue, tout en prêchant prudemment (...)
- 55 C’est le clergé français qui développe peu à peu une Action catholique spécialisée.
43La personnalité des archevêques de Rennes pèse naturellement sur la politique suivie par l’Église diocésaine. De 1919 à 1939, le siège archiépiscopal de Rennes voit se succéder trois archevêques : le cardinal Dubourg, le cardinal Charost et Mgr Mignen. Le cardinal Dubourg est archevêque de Rennes de 1906 à 1921 et le cardinal Charost lui succède jusqu’à sa mort en 1930 ; quant à Mgr Mignen, il décède en 1939 et est le seul archevêque de Rennes à ne pas avoir accédé au cardinalat depuis le début du xixe siècle. Forte personnalité, proche de l’Action française54, le cardinal Charost n’en est pas moins conscient des problèmes sociaux et à Lille comme à Rennes, il mène une action sociale soutenant sans ambiguïté les syndicats chrétiens. Après son décès, Mgr Mignen a à assumer une rude succession étant donné la personnalité de son prédécesseur. Il centre son action sur l’école et sur l’Action catholique conformément aux directives du pape55. La mort de Mgr Mignen en 1939 alors que la France vient d’entrer en guerre, laisse une Église, d’une part solidement installée dans l’enseignement primaire, et, d’autre part en voie de renouvellement, sur des bases solides et modernes, avec la mise en place de l’Action catholique spécialisée.
44Ces vingt années sont marquées par deux archevêques bien différents quant à leurs opinions, mais dont les paroles et les actes pèsent fortement sur le diocèse et la pratique de leurs ouailles.
La pratique religieuse56
- 56 ADR -3F : visites pastorales de 1921, parfois 1925 ou 1928 lors de lacunes; Boulard (F.), « La pra (...)
45Pour l’ensemble du département, les messalisants représentent 85,4% des hommes et 95,3% des femmes, mais sans tenir compte des villes. Celles-ci ont un taux de pratique religieuse nettement inférieur :
Tableau n°19 : Messalisants dans les villes du département en 1921.

(1) paroisses St-Léonard et St-Sulpice
(2)paroisse St-Hélier uniquement
46Les visites pastorales ne donnent que des indications fragmentaires sur les villes ; malgré cela, lorsque l’on compare avec leurs arrondissements respectifs, on peut en tirer quelques enseignements.
47Malgré les réserves que l’on doit faire sur la validité des chiffres concernant les villes, l’écart entre leur pratique religieuse et celle de leurs campagnes est inversement proportionnel à la force de la pratique religieuse dans leur campagne. Il est en général beaucoup plus prononcé pour les hommes que pour les femmes ; ces dernières conservent plus volontiers et plus largement leur pratique religieuse que les hommes, résultat de l’attention apportée à l’éducation catholique des filles. Les trois villes les plus industrielles Fougères, Rennes et Saint-Malo, indépendantes économiquement de leur environnement rural, présentent des écarts nettement supérieurs à 20% et frôlant 30% à Saint-Malo chez les hommes par rapport à un arrondissement qui n’est pas pourtant le plus pratiquant. L’influence de la ville, du déracinement sur les comportements religieux se retrouve ici.
- 57 Les cantons de Bain-de-Bretagne, Châteaugiron, Tinténiac, Hédé, Saint-Brice-en-Coglès et Saint- Ma (...)
48Afin d’effectuer la comparaison avec les élections, on a dressé une carte (n°13) par canton des messalisants hommes. Elle confirme la solidité du môle oriental et occidental avec un taux moyen de pratique religieuse de plus de 85%, supérieur à la moyenne départementale. Quant à la dorsale républicaine, sa pratique religieuse est supérieure à la moyenne des villes, mais inférieure à celle du département. Les fortes parentés entre la pratique religieuse et le vote à droite sont confirmées par un coefficient de corrélation assez fort pour l’ensemble du département puisqu’il est de +0,61, mais selon les arrondissements, la corrélation entre ces deux variables n’est pas totale en particulier au sud-est du département et au nord-ouest57, signe de la permanence d’un catholicisme républicain, présent à la fin du xixe siècle.
- 58 Cette attitude est celle de l’ensemble de la Bretagne puisque pour les années trente, le taux de m (...)
49La force de la pratique religieuse en Ille-et-Vilaine est une réalité majeure et les régions dites ici de faible pratique religieuse ont un taux bien supérieur à la moyenne française58. Au niveau du canton, une transition s’opère à l’intérieur d’un département dont les affinités avec l’Ouest intérieur sont évidentes ; dans ce domaine, comme dans le domaine politique, le département est un département de transition. Cette forte pratique religieuse s’appuie aussi sur de multiples institutions, anciennes et nouvelles.
Patronages et Action catholique
50Les patronages et les mouvements d’Action catholique spécialisée sont l’ossature de l’influence de l’Église en créant des relais, des réseaux de sociabilité.
- 59 Ordo de 1939 et Guénée (Michèle), Les loisirs à Rennes durant l’entre-deux-guerres, mémoire de maî (...)
51— Les patronages59
52Tout comme les cercles populaires pour l’école publique, les patronages prolongent l’influence de l’école privée confessionnelle. En encadrant les jeunes en dehors de l’école, puis les adultes se crée toute une sociabilité liée au catholicisme.
- 60 Sa récente canonisation et le fait qu’elle soit l’objet d’une fête nationale depuis 1920 n’y sont (...)
- 61 Beaucoup, nés avant la guerre, sont à l’origine des sociétés de gymnastique et de tir dont l’activ (...)
53Les premiers patronages développent surtout une activité sportive, s’y adjoignent ensuite d’autres activités, théâtrales ou cinématographiques. Les associations sportives de patronage sont liées à la FGSPF (Fédération générale sportive des patronages de France) et réunies dans l’UGSPIV (Union gymnastique et sportive des patronages d’Ille-et-Vilaine). Les patronages à but sportif sont nombreux : le tiers des paroisses en 1939. Beaucoup se réclament de Jeanne d’Arc dont ils portent le nom (14 sur 107)60. Par leur nom, quelques patronages rappellent le contexte patriotique de leur naissance tel le « Drapeau » de la paroisse Saint-Léonard à Fougères61.
54Ces sociétés sportives proposent les mêmes sports que les cercles populaires ; certaines ont dans le monde catholique un rôle équivalent à celui du Cercle Paul-Bert chez les laïques. Deux sociétés rennaises dominent : La Tour d’Auvergne et les Cadets de Bretagne, ces derniers ayant à l’origine une vocation militaire comme l’indique leur nom. Dans les petites communes rurales, le patronage est animé le plus souvent par le vicaire; celui ci plus jeune que le recteur est, souvent, à la fois l’instituteur de l’école privée et l’entraîneur de l’équipe de foot du patronage local dont c’est la principale activité.
- 62 Jusqu’alors les rôles féminins étaient tenus par des jeunes gens travestis, la mixité étant interd (...)
- 63 Deniee (J.) et Lagrée M.), « op. cit. », p. 257-288 et Lagrée (M.), « Le cinéma de patro en Ille-e (...)
- 64 Guénée (Michèle), op. cit., p. 29.
55Mais les patronages déploient aussi une grande activité dans d’autres secteurs comme la musique, le théâtre et plus tardivement le cinéma. La musique se pratique le plus souvent sous forme de fanfare ; à l’origine, elle accompagne les mouvements d’ensemble de gymnastique. Plus élaborés mais plus rares sont les harmonies ou orchestres qui nécessitent plus de musiciens (une cinquantaine à La Tour d’Auvergne de Rennes) ; ils sont sollicités pour les fêtes, les concours, les processions religieuses, les activités théâtrales pour jouer pendant l’entracte par exemple. Les troupes théâtrales connaissent un véritable essor à partir des années trente. Probablement à la fois parce que les patronages sont alors bien reconstitués et parce que les troupes peuvent désormais s’ouvrir aux femmes62. L’activité cinématographique63 des patronages s’est développée avant 1914, elle reprend après la guerre et connaît un développement important vers la fin des années vingt, car on prend conscience de l’impact du cinéma et surtout les laïques viennent de fonder le Cinéma Éducateur ce qui a un effet stimulant sur les patronages confessionnels. L’électrification des bourgs et l’apparition d’appareils bon marché favorisent le développement du cinéma. L’accès au cinéma parlant s’effectue dans les villes avant 1939, mais l’équipement est trop coûteux pour un cinéma rural de patronage. Dans les villes, les salles de cinéma de patronage sont assez grandes, variant à Rennes en 1931 de 279 places (patronage du Vieux Cours) à 550 (patronage de Saint-Étienne)64. Peu à peu, le cinéma fait du tort aux autres activités non sportives proposées par les patronages. Il témoigne de la volonté de diversification et de modernisation de ces patronages pour mieux conserver leur clientèle et le développement du cinéma rural permet au monde rural d’accéder aux mêmes formes de loisir modernes que la ville, réduisant le décalage avec elle.
56Ce réseau de sociabilité mis en place par les patronages touche en priorité les jeunes mais aussi des adultes dans le cadre de leurs loisirs. Parallèlement à cet encadrement des loisirs, se développent les mouvements d’Action catholique spécialisée qui encadrent les adultes selon leur milieu professionnel.
57— L’Action catholique
- 65 ADR - Ordo 1939.
58Depuis le début du siècle, l’Église a créé des mouvements de jeunes et des mouvements d’Action catholique générale, la nouveauté de l’après-guerre est la création de groupes spécialisés d’Action catholique. Ce mouvement mène une double réflexion spirituelle et temporelle non sans conflit. Les mouvements d’Action catholique spécialisée destinés aux jeunes connaissent un important développement dans le département; en 1939, toutes les branches, au niveau des fédérations, sont représentées : JAC (Jeunesse agricole chrétienne), JEC (Jeunesse étudiante chrétienne), JIC (Jeunesse indépendante chrétienne), JMC (Jeunesse maritime chrétienne) et JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne)65. Ces différents mouvements d’Action catholique spécialisée n’ont pas la même importance d’un bout à l’autre du département. C’est ainsi qu’il n’existe aucune section de la JIC. La JMC n’est évidemment présente que dans l’arrondissement de Saint-Malo alors que la JAC couvre presque tout le département. La JEC, quant à elle, reste naturellement minoritaire puisqu’elle ne concerne que le monde étudiant et lycéen.
- 66 Lagrée (Michel), « Les origines bretonnes de la Jeunesse Maritime chrétienne (1930-1940) », dans M (...)
- 67 L’abbé Havard, né en 1876, est vicaire de Saint-Malo et a la charge entre autres des élèves de léc (...)
59La JMC66 est née à l’initiative de deux prêtres malouins, l’abbé G. Havard et le père Lebret67. Il s’agit de toucher un milieu déchristianisé dans l’ensemble de la France à l’exception de la côte.d’Émeraude justement (60% de pratiquants) et du nord de la France (55%). En 1939, la JMC a des sections affiliées au mouvement national à Saint-Malo, à Cancale, à La Richardais (près de Dinard) et Saint-Servan. Ses effectifs comme la vie des groupes est difficile à apprécier faute de sources. Soutenue par Mgr Mignen, la mystique de la JMC est très proche de celle de la JOC.
60Les premières sections de la JOC apparaissent en 1931 ; elles sont au nombre de sept dont cinq à Rennes, les deux autres se trouvent à La Guerche et à Vitré. Huit ans plus tard, la JOC a vingt sections affiliées dont huit à Rennes, trois à Fougères, deux à Saint-Malo (les principaux centres ouvriers) ; enfin, quatre sont en cours de formation. Le nombre d’adhérents (malheureusement inconnu) permettrait de mieux apprécier la valeur de cette répartition.
61La JAC est logiquement la plus présente mais de manière inégale ne serait-ce que parce que beaucoup de sections sont en voie de constitution. En 1933, d’après l’Ordo, cinq sections seulement existent, douze en 1935 ; à partir de 1936, sous l’impulsion de l’abbé Brassier, des prêtres sont désignés dans le plus grand nombre possible de communes pour y créer des sections. À la veille de la guerre, seules 47 communes ont une section JAC. Dispersées sur presque tout le département, les axes Rennes-Fougères et Rennes-Vitré sont privilégiés ; en effet, le nord et le sud-est du département (Bain-de-Bretagne-Retiers) sont moins touchés par le mouvement, ce qui correspond aux zones de force et de faiblesse habituelle des laïques et de la droite classique. Autrement dit, cette première implantation obéit à la logique idéologique du département, en revanche la diffusion ultérieure veille à être présente partout et répond à une politique volontariste. La JAC contribue à renouveler et moderniser la réflexion des agriculteurs à la fois sur leur vie spirituelle et sur leur vie quotidienne et professionnelle ; elle forme des militants actifs dans les syndicats. Les conséquences s’en feront sentir après 1945.
- 68 Fils d’un petit industriel, l’abbé Bridel (1880-1933) fait de brillantes études et va au séminaire (...)
- 69 Celui-ci ( 1878-1957) est originaire de Rannée, huitième enfant d’un couple de paysans qui en avai (...)
62Le développement de cette Action catholique spécialisée est impulsé par quelques prêtres. Pour la JOC, c’est essentiellement l’action de l’abbé Bridel68 à Fougères et pour la JAC celle de l’abbé Brassier69. Cette action reste encore marginale au sein de l’Église. Toutefois, ces premières équipes d’Action catholique spécialisée destinées à la jeunesse préparent l’avenir et une nouvelle forme d’engagement des laïcs catholiques.
Les syndicats agricoles70
- 70 ADIV- 10 M(61 M2); David (Paul), Les origines du syndicalisme agricole en Ille-et-Vilaine (1885- 1 (...)
- 71 Son siège social est place des Lices à Rennes.
- 72 Duby (Georges), Histoire de la France rurale, tome 3 : 1789-1914, Seuil, (col.» Univers historique (...)
63Le syndicalisme agricole, né en Ille-et-Vilaine comme ailleurs à la fin du xixe siècle, comprend deux syndicats concurrents : le syndicat agricole et horticole d’Ille-et-Vilaine ou syndicat des Lices71 et le syndicat des agriculteurs d’Ille-et-Vilaine. Le premier est affilié à la Société des agriculteurs de France (ou rue d’Athènes) et à l’Union centrale des agriculteurs. Quant au second, il est affilié à la Société nationale d’encouragement à l’agriculture (ou boulevard Saint-Germain)72.
Des syndicats de notables
64— Le syndicat des Lices
- 73 Par ailleurs membre de l’Action française. Parmi les membres du bureau se trouve également de La B (...)
65Le syndicat des Lices se réorganise au lendemain de la guerre ; le bureau ne comprend que des nobles et le président est Le Pannetier de Roissay73. Le journal est Le Syndicat Agricole, imprimé sur les presses du Nouvelliste de Bretagne il est lu par les propriétaires qui souvent y abonnent leurs fermiers. Si le journal a des préoccupations agricoles, presque chaque numéro fustige les socialistes ou les communistes et dans les années trente, il se montre de plus en plus favorable à l’idéologie corporatiste.
- 74 Comment peut-il en être autrement alors que les bureaux de ce syndicat ne se composent que de prop (...)
66Ce syndicat pratique essentiellement un syndicalisme de services pour l’achat d’engrais, d’aliments pour le bétail si bien que les magasins-dépôts se multiplient (il en existe 31 en 1926). Enfin, se mettent en place progressivement un office d’achat du bétail et un service de machines agricoles qui les vend. Ce n’est que sous la pression des circonstances que sont envisagées des coopératives, stockant le blé dans neuf communes différentes. Dans cette conception, l’activité commerciale prime la défense des agriculteurs74.
67L’un des attraits de ce syndicat auprès des agriculteurs est d’avoir développé un système de mutuelle accidents qui en 1930 devient la Société mutuelle des syndicats agricoles d’Ille-et-Vilaine : accidents, risques de maladies, etc. Il est présent quasiment dans toutes les communes ; la pression des propriétaires auprès des fermiers est aussi l’une des causes majeures de l’engouement pour ce syndicat. Les propriétaires disposent d’une arme imparable : la possibilité de ne pas renouveler les baux si les fermiers adhèrent à d’autres syndicats.
68— Le syndicat des agriculteurs d’Ille-et-Vilaine
69Ce syndicat est administré par des fonctionnaires et est en symbiose avec les Pouvoirs publics ; son principal animateur est Oscar Leroux, professeur d’agriculture et à chaque assemblée générale, le DSA (directeur des services agricoles) prend la parole. Tout comme le syndicat des Lices, il a une organisation régionale (la Fédération des organisations agricoles de Bretagne). Moins orienté vers les services, il encourage le développement de coopératives. Ses syndicats locaux ont moins de succès que ceux de son adversaire à la fois parce qu’il est perçu comme un syndicat animé par des radicaux-socialistes (c’est le cas d’Oscar Leroux) ce qui accentue la méfiance des agriculteurs conservateurs, mais aussi parce que les propriétaires exercent une pression hostile.
70Les deux principaux syndicats agricoles sont des syndicats de notables dans lesquels les agriculteurs exploitants ne sont pas maîtres des décisions syndicales. L’orientation syndicale, l’action à mener sont décidées par des non-exploitants propriétaires terriens ou bien par des fonctionnaires du ministère de l’Agriculture. C’est pourquoi, apparaît au début des années vingt, un nouveau syndicalisme agricole.
La prise de conscience des agriculteurs-exploitants
- 75 Dans les années vingt, il n’existe pas encore de véritable promotion rurale. Il faut attendre pour (...)
- 76 Barral (Pierre), « Les syndicats bretons de cultivateurs-cultivants », dans Le Mouvement Social, a (...)
- 77 Ordonné prêtre en 1902, l’abbé Mancel est influencé par l’Encyclique Rerum Novarum, le Sillon de M (...)
71Les agriculteurs-exploitants sont majoritairement des propriétaires mais de petits propriétaires (5-6 hectares) ; quant à leurs exploitations, elles ne sont guère supérieures à 7/8 hectares. Ils ne sont pas armés économiquement pour lutter contre les grands propriétaires qui peuvent détenir 100-150 hectares voire 900 hectares dans la même commune (comme à Gaël ou Argentré-du-Plessis). De plus, ils n’ont reçu qu’une instruction limitée ; la plupart ont tout juste le niveau du certificat d’études75. Malgré ces handicaps, un nouveau syndicat se crée. Le syndicat des cultivateurs-cultivants76 naît au début des années vingt sous l’impulsion de l’abbé Mancel. Ce dernier comme l’abbé Bridel et l’abbé Trochu est un abbé-démocrate en conflit perpétuel avec le cardinal-archevêque77.
- 78 ADIV - 61 M4 : déclaration en date du 13 mai 1921.
- 79 L’expression vient d’un dirigeant du syndicat de Paramé.
- 80 Il existe ici et là quelques syndicats de bûcherons, d’ouvriers agricoles, mais jamais de petits a (...)
- 81 Progrès rural, avril 1926.
- 82 idem, janvier 1928.
- 83 ADR - l-O : dossier de l’abbé Trochu, Procès de L’Ouest-Éclair contre le chanoine Boué, curé de Ba (...)
72C’est à Bain-de-Bretagne que des exploitants et des fermiers se rangent aux vues de l’abbé Mancel et forment le 24 avril 1921 l’Union des syndicats de La Mée-Bain-de-Bretagne. Rapidement, elle rassemble 300 exploitants78. Le « mancellisme » donne naissance au syndicalisme des cultivateurs-cultivants79. L’originalité est que ne peuvent y adhérer que des agriculteurs exploitant eux-mêmes la terre : c’est une véritable révolution dans le syndicalisme agricole. Véritable révolution80, car pour la première fois, des agriculteurs, exploitant eux-mêmes la terre, créent et dirigent leur propre syndicat en excluant totalement les notables, propriétaires terriens c’est-à-dire de facto les dirigeants traditionnels du syndicalisme agricole que ce soit ceux de la « rue d’Athènes » ou du « boulevard St-Germain ». Ils prennent leur indépendance, montrant que leurs intérêts ne peuvent être les mêmes que ceux des propriétaires terriens non-exploitants. En créant le syndicat des cultivateurs-cultivants sous l’impulsion de l’abbé Mancel, ils font voler en éclats l’idée que le monde agricole est un monde socialement homogène ayant les mêmes intérêts, les mêmes buts et c’est bien ce que ses adversaires lui reprochent. Profondément attachés à la propriété, leur idéologie ne peut être confondue avec celle des socialistes. Ce syndicat se veut « ni révolutionnaire, (...) ni fasciste », il entend ne pas être « sous la tutelle des châtelains, comtes, marquis ou politiciens, mais indépendant »81. Il refuse la notion de lutte des classes qui leur est souvent opposée, car « l’intérêt des adhérents n’est pas de semer la division entre les catégories paysannes, eux qui étaient hier ouvriers agricoles, et qui deviendront propriétaires après avoir été fermiers »82. Malgré tout, c’est bien cette rupture avec les non exploitants qui leur est reprochée : « Contrairement aux instances de l’Église, ladite Ligue se maintient sur le plan d’une organisation systématiquement unilatérale, (...) elle s’établit sur un pied d’opposition, d’hostilité même à l’égard des cultivateurs non-cultivants, autrement dit les propriétaires »83. Cette spécificité affirmée des exploitants agricoles marque l’éveil d’un nouveau syndicalisme agricole, d’une prise de conscience qui se développe encore plus après la Seconde Guerre mondiale, sous l’influence des agriculteurs formés par la JAC.
- 84 Le syndicat des Lices crée une Union régionale des syndicats agricoles d’Ile-et-Vilaine (URSA) qui (...)
- 85 Implanté dans le Finistère et une partie des Côtes-du-Nord depuis 1911. Il est le bastion du syndi (...)
- 86 En 1926, le cardinal Charost dénonce à l’URSA « le caractère malfaisant et parfois déloyal de ces (...)
73Pendant dix ans, l’abbé Mancel en est l’animateur principal. Le nouveau syndicat s’étend dans le département et dépasse en 1927 les frontières de l’Ille-et-Vilaine gagnant le Finistère, le Morbihan et les Côtes-du-Nord. L’extension du syndicat des cultivateurs-cultivants entraîne un changement de nom ; il devient en 1927 la Ligue des paysans de l’Ouest. Il développe de nouvelles activités syndicales : office pour la fourniture d’engrais, assurances mutuelles, une banque (le « Crédit paysan mutuel »). Mais très vite, le syndicat des Lices organise la riposte en modifiant son organisation pour rallier un à un les syndicats de cultivateurs-cultivants84. Ce syndicat traditionnel emploie les mêmes armes, mais dispose de moyens financiers plus importants et du soutien de l’Office central de Landerneau85. L’appui de l’archevêque de Rennes, par l’intermédiaire de l’abbé Brassier fait que les curés encouragent directement à la création de ces nouveaux syndicats communaux de l’URSA86. Face à l’archevêché, l’abbé Mancel, prêtre libre, ne pèse pas lourd. Désormais, le syndicat des cultivateurs-cultivants a contre lui non seulement le syndicat des Lices et les grands propriétaires mais aussi l’Église, terrible alliance qui ne peut que le briser.
- 87 Ci-dessus chapitre 2 p. 92-93.
- 88 Cf. ci-dessous chapitre 5, p. 259.
- 89 D’autant que les comités de Défense paysanne et ces syndicats ont en commun l’aspiration à une Cor (...)
- 90 Guéguen (Bernard), op. cit., p. 92-93.
74Après le départ de l’abbé Mancel en 1930, on assiste en 1932, sous l’effet de la crise, à un rapprochement avec les organismes commerciaux de l’URSA. Tous les membres du syndicat des cultivateurs-cultivants ne sont pas d’accord avec cette orientation les divisions se font d’autant plus vives qu’un nouveau mouvement est né, celui des comités de Défense paysanne de Dorgères dirigé contre la loi sur les assurances sociales87. Parmi les partisans d’un rapprochement avec l’URSA, se trouvent Jean Bohuon, Jean Nobilet88. Celui-ci, dans divers articles, propose un système proche de la corporation, où la profession aurait beaucoup de pouvoirs, mais où le mandat de dirigeant syndical serait incompatible avec tout mandat politique. En même temps s’opère au sein de l’URSA et des cultivateurs-cultivants un rapprochement avec les comités de Défense paysanne qui paraissent plus efficaces89 ; c’est ainsi qu’en 1938, Jean Nobilet devient président du comité de Défense paysanne d’Ille-et-Vilaine, tandis que la « tendance Mancel» se rapproche de l’idéologie socialiste90. Le mouvement dorgériste contribue à rapprocher l’ancienne Ligue des paysans de l’Ouest et l’URSA tout en isolant l’« aile gauche » du syndicat des cultivateurs-cultivants en grande partie en cristallisant sur les assurances sociales un malaise paysan plus général.
75Malgré cet échec, le syndicat des cultivateurs-cultivants, né trop tôt, pose les germes d’un syndicalisme agricole neuf. Les agriculteurs prennent conscience de leurs difficultés propres, de leurs spécificités. Ils découvrent aussi des méthodes d’action nouvelles (manifestations de masse, parfois violentes) dans le cadre du mouvement de Dorgères. Le passage d’un mouvement à l’autre peut se faire en raison de certaines proximités idéologiques et aussi parce qu’ils s’appuient sur les agriculteurs exploitants. Mais en même temps, en développant des positions politiques hostiles au socialisme et au communisme ainsi qu’au Parlement, le mouvement de Dorgères s’assure l’appui des propriétaires terriens. Cette attitude ambivalente lui permet de paraître une force de rassemblement et favorise les ralliements.
76Le syndicalisme agricole est assez traditionnel malgré le mancellisme, éphémère et marginal ; il n’engendre pas de ce fait un réseau de sociabilité qui lui soit propre à la différence du syndicalisme ouvrier.
Les syndicats ouvriers : organisation, action, loisirs
77La fin de la Grande Guerre entraîne une lente recrudescence des adhésions en 1919, lenteur due à une démobilisation qui s’étend sur plusieurs mois. En même temps, le paysage syndical français voit naître une nouvelle confédération, la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens). L’Ille-et-Vilaine est très directement concernée étant donné son milieu économique et social qui, dès avant la guerre, a vu la naissance de syndicats professionnels se disant ou non chrétiens.
78Les revendications, les types d’action sont divers selon la période et les syndicats. Enfin, certains organisent une véritable contre-société où la formation et les loisirs contribuent à resserrer les liens des adhérents et font contrepoids au réseau catholique. Le réseau laïque est représenté certes par les cercles populaires mais aussi par ce réseau syndical.
La CFTC d’Ille-et-Vilaine91
- 91 Dorso (André), Les facteurs d’une évolution syndicale : histoire de la CFTC/CFDT, des origines à 1 (...)
- 92 Launay (Michel), La CFTC : origines et développement (1919-1940), Publications de la Sorbonne, 198 (...)
- 93 Launay (Michel), op. cit., thèse complète, p. 995-996.
- 94 Rattaché au syndicat national du même nom qui est à l’origine directe de la CFTC.
79Lorsque la naissance d’une confédération syndicale indépendante de la CGT est envisagée, le choix était entre un syndicat confessionnel faisant référence explicitement à son appartenance chrétienne, à la doctrine sociale de l’Église et un syndicat neutre qui ne s’intéresserait qu’aux seuls problèmes professionnels92. Le congrès constitutif de la CFTC, en novembre 1919, opte pour la première solution ; la CFTC veut « créer un syndicat chrétien s’appuyant sur la doctrine sociale de l’Église » et sur la lutte anticommuniste93. À ce congrès de la CFTC participent des syndicats d’Ille-et-Vilaine. Dès le début du xxe siècle, des syndicats mixtes (patrons-ouvriers) inspirés des cercles catholiques se créent, de même que des syndicats féminins dont l’existence même est caractéristique de l’influence chrétienne ; l’équivalent n’existe pas dans les syndicats rattachés à la CGT. Enfin, il existe un syndicat des employés du commerce et de l’industrie créé en 1908 à Rennes94 et une Union syndicale catholique fougeraise.
- 95 ADIV - 10 M(61M2). La guerre l’empêche de se développer et elle ne se reconstitue qu’après la guer (...)
80La création de la CFTC rapproche ces divers syndicats d’obédience catholique, puis des structures fédératives sont mises sur pied progressivement. C’est ainsi que naît l’Union régionale de Bretagne en 1923, puis l’Union locale (UL) de Rennes en 1925, tandis que l’Union départementale (UD) ne voit le jour qu’en 1936. Toutes ces structures sont précédées par l’Union syndicale catholique de Fougères, enregistrée officiellement le 3 juin 191495 qui, à ce titre, participe au congrès constitutif de la CFTC.
- 96 Ci-dessus note 69 p. 131.
- 97 ADIV - 1 M 146 : rapport du sous-préfet (février 1920).
81Le pays de Fougères se distingue par un fort développement du syndicalisme chrétien. La ville est dominée par les patrons de l’industrie de la chaussure dont les plus puissants représentent un patronat paternaliste chrétien. L’abbé Louis Bridel96 aide à la création des premiers syndicats chrétiens, puis à la fondation de l’Union syndicale catholique fougeraise. La création de la nouvelle confédération entraîne le rattachement des anciens syndicats professionnels ou chrétiens, mais surtout elle donne l’impulsion à la naissance de nouvelles sections qui intensifient leur propagande toujours sous l’impulsion de l’abbé Bridel97.
- 98 ADIV - 1 M 146 : rapport du préfet (mars 1923).
- 99 ADIV - 1 Z 564 : rapport de police du 7 avril 1924.
- 100 Elle dure de février à septembre 1932.
- 101 D’après un rapport de police du 29 février 1932, il serait passé de 250 membres à plus de 700 memb (...)
- 102 ADIV - 10 M (61M2).
- 103 Evêque de Lille, il y avait créé les Missionnaires du Travail et soutenu les abbés Six et Debbusch (...)
82En 1925, huit syndicats existent : cinq à Fougères, trois à Rennes, regroupant environ 700 personnes98. Parmi eux, le syndicat des cheminots regroupant 260 d’entre eux en 1926 sur 1 797 cheminots syndiqués (14,46%)99. A Fougères, l’impact de la grande grève de 1932100 favorise la croissance du syndicat CFTC de la chaussure101. Lors de la création de l’UL de Rennes en juillet 1925, celle-ci rassemble sept syndicats dont quatre syndicats féminins (syndicat des dames dactylos et comptables, celui des dames ouvrières en tricot, etc.) et en 1926, l’ensemble de l’UL regroupe 1 136 adhérents102. Cependant, malgré des efforts pour rassembler tous les syndicats chrétiens dans une structure géographique locale, nombre de syndicats restent directement rattachés à leur fédération nationale. Faiblesse de l’implantation ? Manque de pratique syndicale, de discipline ? Difficulté à se situer dans le monde syndical en raison de leurs traditions catholiques ? La faiblesse de l’implantation ne justifie guère l’absence de structure départementale. Plus vraisemblablement, pour ces nouveaux adhérents, la nécessité de mieux s’organiser n’apparaît pas. Il est possible aussi que ces syndiqués catholiques aient eu quelques difficultés à trouver une voie indépendante et différente de la CGT d’une part, de la hiérarchie catholique d’autre part. Celle-ci reconnaît très officiellement la CFTC. C’est ainsi que La Semaine Religieuse du 8 janvier 1921 précise que la CFTC fait « œuvre utile en luttant contre la vie chère et en faisant la contrepartie de l’œuvre similaire des cégétistes, véritablement forte et puissante ». Elle poursuit en indiquant les différents organismes créés par la CFTC dont une caisse de chômage. « Mais en même temps l’on s’occupe de préparer l’avenir, et l’Union des syndicats catholiques a organisé dès l’an dernier des Cercles d’Études et des Cours professionnels qui ont repris cette année et sont une promesse très sûre du développement de cette magnifique action ». Le cardinal-archevêque Charost, connu pourtant pour ses positions favorables à L’Action française, fait partie des six cardinaux français qui soutiennent pécuniairement la CFTC en 1925-1927103.
- 104 Archives de l’UD-CFDT et Dorso (André), op. cit., p. 40.
- 105 ADIV - 10 M(61M3).
83C’est une CFTC en accord avec la hiérarchie catholique qui se dote d’une Union départementale (UD). La création de syndicats affiliés à la CFTC se multiplie jusqu’en 1936 principalement chez les employés du secteur de l’industrie et de celui de la pêche. La CFTC élargit son implantation vers Vitré (chaussure, banque, employé), Redon (bâtiment, métallurgie), Louvigné-du-Désert (ouvriers du granit) et sur la côte104. Cette croissance, ajoutée aux objurgations de la confédération, entraîne la création officielle le 21 octobre 1936 de l’UD des syndicats chrétiens d’Ille-et-Vilaine, affiliée à la CFTC. En 1937, elle regroupe 36 syndicats soit 5 705 adhérents105. Ce développement est aussi l’une des répercussions des grèves de mai-juin 1936, en particulier celles des employés des grands magasins.
- 106 Le Semeur d’Ille-et-Vilaine, 3 et 22 décembre 1938.
84Avec ses 5 705 adhérents, la CFTC est encore loin derrière la CGT réunifiée qui en 1938 rassemble 26 236 adhérents106. Elle constitue toutefois une force non négligeable, capable dans certains secteurs de contrebalancer l’influence de la CGT en particulier à Rennes et à Fougères. Le recrutement y est diversifié, tandis que dans les autres petites villes, il reste cantonné aux secteurs-clés de la CFTC en Bretagne : les cheminots et les employés.
85Malgré ce développement, la CFTC n’est encore à cette date qu’un syndicat minoritaire en Ille-et-Vilaine, mais elle représente un courant de pensée nouveau, un élément de rénovation à l’intérieur du catholicisme rejoignant celui représenté par L’Ouest-Éclair, le PDP et les mouvements d’Action catholique spécialisée.
La CGT et la CGTU
- 107 Le Floch (Yves), La scission syndicale en Ille-et-Vilaine (1918-1922), mémoire de maîtrise, Rennes (...)
86Les années 1919/1920 sont des années de reprise107 de la vie syndicale avec une progression notable des effectifs de l’UD-CGT, année de conflits sociaux (aux TIV Tramways d’Ille-et-Vilaine— et aux chemins de fer) pour obtenir un réajustement des salaires et l’application de la loi des huit heures.
- 108 AN - F7 12 991 : rapport du préfet du 17 février 1922.
87Dès 1920, se forment à l’intérieur de l’UD-CGT des CSR (Comité syndicaliste révolutionnaire) représentant l’aile gauche de la CGT, proche du PCF. Ce mouvement aboutit en février 1922 à une scission dans la chaussure à Fougères où un nouveau syndicat est créé le 11 février108, annonçant la scission totale.
- 109 Thouroude. (Jacques), La CGTU en Ille-et-Vilaine de 1922 à 1935, mémoire de maîtrise, Rennes 2, 19 (...)
88— La CGTU109
89La CGTU se constitue en 1922. Au congrès fondateur, l’Ille-et-Vilaine est représentée par seize syndicats. Majoritairement, ceux-ci ne sont pas communistes et sont sur des positions anarcho-syndicales ; lors des votes au premier congrès national de la CGTU, ils votent pour la motion Besnard (anarcho-syndicale). Les syndicats qui votent communistes, sont la coiffure et le Livre tandis que celui du cuir est partagé ; or, les délégués de ces trois syndicats ne sont pas d’Ille-et-Vilaine. Au congrès suivant, une évolution se produit, puisque sur le problème des relations avec le Parti communiste et de l’adhésion à l’ISR (Internationale syndicale rouge), neuf sur seize dont les 4 syndicats de cheminots, votent dans un sens communiste. La CGTU, à ses débuts en Ille-et-Vilaine, est plutôt un bastion de l’anarcho-syndicalisme. Celui-ci tient l’UD, l’UL de Rennes et l’Union régionale (UR). En cela, la CGTU d’Ille-et-Vilaine correspond à une tendance assez forte aussi bien à l’intérieur du PCF que dans la CGTU, à un moment où il apparaît possible de modifier radicalement les méthodes d’action syndicales, où la Révolution est possible à leurs yeux ; cela correspond aussi à une phase où s’opposent à l’intérieur de la CGTU mais aussi du PCF, les tenants d’un syndicalisme complètement indépendant et ceux favorables à une soumission du syndicat au parti. Pendant cette première phase, la CGTU lance ici et là quelques grèves mais sans plus.
- 110 Thouroude (Jacques), op. cit., p. 50-52 et Syndicalisme de lOuest du 11 février 1923.
90En 1923, le rapport de forces à l’intérieur de la CGTU change. Le congrès de l’UD-CGTU d’octobre 1923 est crucial sur ce point. Il y est discuté l’attitude à avoir par rapport aux commissions syndicales du PCF. Or, sur les vingt syndicats CGTU représentés, dix sont pour (dont tous les cheminots), huit contre et deux s’abstiennent. Un partage à peu près identique se fait sur l’orientation syndicale qui donne 10 pour, 10 contre. Les anarchosyndicalistes décident alors de se retirer et Charles Tillon est élu secrétaire de l’UD110. L’attitude offensive des communistes, la crainte d’une nouvelle scission sont en partie à l’origine de ce retournement. Dès lors, la CGTU, comme le PCF, s’achemine vers une bolchevisation.
- 111 ADIV - 1 Z 564 : rapport de police du 19 novembre 1928. Un tract de la CGT dénonce les « diviseurs (...)
91L’action revendicative est menée indépendamment de la CGT et parfois en opposition à celle-ci. Dans le bâtiment, la CGTU est seule en grève à Fougères à trois reprises en 1923, 1926 et 1929, ainsi qu’à Dinard, à la chemiserie Strauss en 1925 à Rennes. Les grèves sont l’occasion pour la CGTU de créer une section syndicale, mais celles-ci sont souvent éphémères. De plus, l’action déterminée de la CGT peut les faire échouer comme chez les dockers à Saint-Malo en 1928111.
- 112 AN - F7 12 759 : rapport de police du 30 novembre 1929 et P 13 034 : rapport de police du 4 août 1 (...)
- 113 ADIV - 5 Z 553 : rapport du sous-préfet de Saint-Malo du 24 février 1932.
- 114 En 1932, la municipalité de Dinard est en crise pour des problèmes de gestion et en raison d’affro (...)
92La période 1927 à 1933 se caractérise par une action contre la loi sur les assurances sociales que les unitaires refusent ; pour eux, les patrons doivent payer la totalité des cotisations. Ils concentrent aussi leur action sur les municipalités afin d’ouvrir des chantiers d’utilité publique (tout-à-l’égoût, construction des HBM, etc.) en raison du chômage. Il frappe plus particulièrement la région de Dinard, désertée par les Américains et les Britanniques dès l’hiver 1929112. Dans ce cadre, l’UL-CGTU de Dinard mène une action particulièrement forte auprès des chômeurs et fait pression sur la municipalité ; elle obtient ainsi l’avancement de quelques chantiers d’utilité publique auprès des municipalités côtières113. L’élection en novembre 1932 presque par inadvertance du premier conseiller municipal communiste (et à Dinard !) montre comment le PCF se nourrit de l’action syndicale et réciproquement114. Dans l’ensemble de ces actions revendicatives, lorsque la CGTU est seule en lutte, elle a une attitude très pragmatique, tandis que si elle se trouve en situation de concurrence avec la CGT, elle a une attitude maximaliste.
- 115 Thouroude (Jacques), op. cit., p. 54-55.
93Pour des raisons idéologiques, elle porte son effort de propagande dans le secteur secondaire où la CGT est bien implantée. La CGTU dénonce les conditions de travail dans un secteur précis, puis critique les méthodes de lutte et de négociation employées jusque-là, ce qui vise la CGT; elle crée alors un syndicat et mène toute une série d’actions pour aboutir. Cependant, la radicalisation des luttes décidées au niveau national est fortement contestée par une minorité assez importante ; trois réunions régionales sont nécessaires pour faire admettre la nouvelle stratégie115.
- 116 graphique n°4 p. 142, d’après Thourouoe (J.), op. cit.
94Tout ceci se répercute sur les effectifs116. Excepté au début de la bolchevisation, la CGTU connaît un déclin permanent jusqu’en 1935. La nouvelle ligne du PCF et de la CGTU, le rôle de plus en plus net de courroie de transmission que joue la CGTU par rapport au PCF la dessert considérablement dans un département peu enclin à suivre le PCF. L’échec de la campagne antimilitariste en témoigne lors de la manifestation du 1er août 1929 qui rassemble 150 personnes à Rennes.
95La CGTU, de tous les syndicats, est le plus minoritaire ; son implantation géographique et sociologique est la plus faible. En dehors de quelques secteurs clés comme le bâtiment ou les chemins de fer, elle n’arrive pas à percer à cause d’un tissu industriel trop lâche et de l’emprise du modèle dominant.
96— La CGT
97Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la CGT reconstitue ses forces tout au long de l’année 1919, le temps aux ouvriers d’être démobilisés, de retrouver leur travail ou de se faire embaucher pour la première fois, le temps à l’économie de reprendre un visage de temps de paix.
- 117 Kriegel (Annie), La croissance de la CGT, 1918-1921, éd. Mouton, 1966, p. 21 et suivantes. Les com (...)
- 118 D’après Le Semeur d Ille-et-Vilaine. Une moyenne de dix timbres par adhérent a été calculée; cf. l (...)
98Les effectifs de la CGT sont mieux connus que ceux de la CGTU. Comme toujours pour les effectifs de syndicats ou de partis, ce sont plus des ordres de grandeur que des chiffres exacts ; ils proviennent des congrès nationaux (1920) ou départementaux117 et sont calculés à partir des timbres payés118. Malgré les imprécisions, une image de l’évolution générale de la CGT en Ille-et-Vilaine est donnée par le graphique n°4.
- 119 Le Réveil d’Ille-et-Vilaine, 25 juillet 1914 ; l’année 1919 voit la création de nombreux syndicats (...)
- 120 Le Floch (Yves), op. cit., p. 57.
- 121 D’après les sources, il ne semble pas que les effectifs additionnés de la CGT et de la CGTU corres (...)
- 122 Il est possible que les syndiqués prennent moins souvent des timbres en raison de la baisse de leu (...)
- 123 La seule UL-CGT de Rennes a 12 930 adhérents en mars 1937 (ADIV - 10 M(61M5) : rapport de police d (...)
- 124 Le premier chiffre est obtenu par le calcul des timbres, le second est dû aux RG d’après un rappor (...)
99Dès 1919, la CGT dépasse ses effectifs de 1914 (8 000 adhérents)119 et atteint 15 000 à 16 000 adhérents et même environ 22 000 en mai 1920120. Après cette croissance très forte, l’échec des grèves de mai 1920 entraîne une baisse tout aussi spectaculaire et beaucoup plus brutale puisqu’en septembre 1920 le nombre des adhérents est revenu à 9 500. Les effectifs de l’UD-CGT présentent une évolution globale pour la période 1918-1920 identique à celle de l’ensemble de la CGT au moins jusqu’en mai 1920. Après, la chute est brutale et manifestement liée à l’échec des grèves ; vraisemblablement, les nouveaux adhérents, déçus, non encore aguerris, quittent très vite le syndicat. Quant à la scission de 1922, dans le cadre d’un tissu industriel fragile, elle aggrave encore cette hémorragie de syndiqués121. Après cette date et jusqu’à la réunification, les courbes de la CGT et de la CGTU sont totalement indépendantes l’une de l’autre, en conformité avec une stratégie et une doctrine définies nationalement par leur confédération respective. La CGT atteint son apogée en 1928 et pendant deux ans elle connaît une certaine stabilité comme si le calme politique et la prospérité relative avaient des effets lénifiants. Ensuite, et jusqu’en 1935, la CGT perd du terrain sous l’effet de la crise économique122. Dès 1936, la réunification a un effet entraînant ainsi que la victoire du Front populaire puisque la courbe monte brutalement et, avec 14 689 adhérents en 1936, ce n’est pas la simple addition des adhérents de la CGT (11 919) et de ceux de la CGTU (850). 1937 est une année-phare avec un accroissement de +43%123. Contrairement aux partis politiques (SFIO et PCF), la croissance ne s’arrête pas, puisqu’en 1938 la CGT gagne encore 5 000 ou 1 000 adhérents selon les sources124. Le rapport entre la CGT et la CGTU de 1923 à 1935 est au minimum de un à deux et plus souvent de 1 à 10 ou plus. Quant à la CGT réunifiée, elle est largement dominée par les confédérés.
- 125 Sur les 89 syndicats que comprend l’UD-CGT en 1929, l’UL de Rennes en réunit 44 (AN - F 12 991 : e (...)
100La force de la CGT s’exprime aussi à travers sa structure, son journal, sa capacité à mobiliser les ouvriers pour des grèves, des manifestations diverses. La CGT a des UL solidement installées à Saint-Malo, Fougères et Rennes, les deux plus importantes UL125 mais aussi à Louvigné-du-Désert pour les centres carriers. Chaque UL a une industrie prédominante due évidemment au substrat socio-économique de leur lieu d’implantation. À Rennes, la fédération du bâtiment est dominante comme à Saint-Malo où s’ajoute celle des dockers ; à Fougères comme à Vitré c’est l’industrie de la chaussure et à Louvigné-du-Désert, celle des tailleurs de pierre.
- 126 Il est remplacé par Joseph Fournier, mais dès 1929 celui-ci est secrétaire permanent de la CGT à F (...)
101La présence de près de 10 000 ouvriers de la chaussure à Fougères donne un aspect particulier à l’UL-CGT de Fougères, totalement dominée par les ouvriers de la fédération des cuirs et peaux et tout naturellement le secrétaire de l’UL est lui-même un ancien ouvrier de la chaussure ; depuis 1911, Feuvrier en est le secrétaire et le reste jusqu’en 1932126. Quant au secrétaire de l’UL de Saint-Malo, Jean Batas, il reste à ce poste de 1919 à sa mort en juillet 1944 ; enfin, Ernest Chéreau est le secrétaire de l’UD de la création de celle-ci en 1911 à 1940. Les trois principales UL et l’UD connaissent une grande continuité à leur tête ; cette absence de renouvellement, comme au niveau national, aurait pu peser sur la vitalité du syndicat, ce n’est pas le cas et de nouvelles UL se créent. Ce non-renouvellement a plusieurs causes : le caractère récent du syndicat, du moins depuis que sa doctrine s’est stabilisée, la guerre a peu touché le monde ouvrier et ceux qui travaillaient avant 1914 conservent leur poste sans véritable rupture. C’est là une permanence du personnel syndical que l’on retrouve aussi sur le plan national dans le personnel politique.
- 127 Une réunion en juillet 1922 rassemble 25 à 30 personnes et en 1939, cinq syndicats ont disparu. AD (...)
102Chacune des UL regroupe plusieurs syndicats situés dans la même commune ou dans des communes voisines en particulier l’UL de Saint-Malo qui rassemble aussi bien des syndicats de Dol-de-Bretagne que de Saint-Pierre-de-Plesguen. Des tentatives sont faites pour créer une UL à Redon mais sans succès127. Cette absence d’UL ne signifie pas absence de syndicats mais ils sont trop faibles et trop peu nombreux pour pouvoir constituer une UL. Tout au long des années qui séparent les deux guerres mondiales, les militants de Redon, mais aussi de Vitré s’efforcent de faire renaître ou même naître syndicats et UL, mais en vain le plus souvent, en grande partie en raison du tissu économique des deux villes.
103La CGT dispose d’un organe de propagande, hebdomadaire : Le Semeur d Ille-et-Vilaine. Son premier numéro paraît en mars 1919 et succède au Réveil d Ille-et-Vilaine. L’éditorial est signé le plus souvent d’E. Chéreau, parfois de Batas le secrétaire de l’UL de Saint-Malo. Le journal paraît régulièrement jusqu’en 1940. Sa régularité lui permet d’entretenir des liens étroits avec les militants, de les informer régulièrement des prises de position de la CGT et des actions menées dans le département ; il permet aussi de développer toute une sociabilité dont Le Semeur d Ille-et-Vilaine se fait régulièrement l’écho.
104Enfin, si les liens de la CGTU avec le PCF sont organiques, sur les seize membres dirigeants de l’UD-CGT (bureau, commission administrative, commission de contrôle et commission du journal) en 1932, cinq sont à la SFIO et ils ne doivent pas être des relais.
105— La réunification
- 128 ADIV - 10 M(60Ma l5) : rapport de police du 8 février 1922.
106Avec la scission, le climat syndical s’était durci particulièrement aux UL de Saint-Malo et de Fougères ; quand on regrette la scission, c’est pour mieux affirmer la prééminence de la CGT128. À la base, quelques tentatives d’union ont lieu, très vite dénoncées d’un côté comme de l’autre.
- 129 ADIV - 1 Z 564 : rapport de police du 7 avril 1926. Une autre tentative se déroule en juin à Fougè (...)
107En 1927, les tentatives d’union à la base proviennent principalement de la CGTU, mais trouvent l’accord de syndicats CGT. Ces tentatives se déroulent chez les cheminots rennais c’est-à-dire là où l’équilibre des forces entre les deux syndicats est le plus favorable à la CGTU puisqu’elle regroupe 442 cheminots à Rennes et la CGT 328129. Cette tentative de fusion en mars 1927 est rejetée par la CGT parce qu’elle ne pourrait se faire qu’à son détriment.
- 130 Le Semeur d’Ille-et- Vilaine, 26 septembre 1931.
108À partir de 1931, le processus de réunification se remet en marche. Cette fois, la relance du mécanisme de l’unification vient d’une initiative émanant de 22 militants syndicaux confédérés, unitaires et autonomes ; ils signent un appel pour « la reconstruction de l’unité syndicale dans une centrale unique sur les bases de la charte d’Amiens ». Ce comité des 22 défend ses idées lors des congrès nationaux des deux confédérations. À la CGT, c’est le vote de la motion Japy favorable à l’unité, mais impliquant l’auto-dissolution de la CGTU130 ; à la CGTU, on oppose à cette motion Japy le « front unique dans l’action ». Les langages restent bien différents, mais à la base, on se saisit de ces textes pour tenter de nouvelles opérations d’unification.
- 131 Le congrès de réunification partielle du réseau État se déroule à Rennes le 19 mars 1932.Thouroui) (...)
109En Ille-et-Vilaine, la CGT se précipite pour lancer un appel à l’unité. À son tour, elle profite d’un rapport de forces qui lui est favorable puisque la CGTU connaît des difficultés internes à Rennes et Fougères dans trois secteurs importants : le bâtiment, les chemins de fer de Fougères et le Livre de Rennes. En effet, ces trois syndicats votent pour la résolution des 22 ; à l’intérieur de la CGTU d’Ille-et-Vilaine, un courant souhaite l’unité. En outre, le secrétaire national du Réseau État CGTU est un des initiateurs du texte des 22 ; il entraîne une part importante de son organisation à conclure un accord avec son homologue de la CGT131. Dès lors, les confédérés cheminots organisent de multiples réunions pour appeler les unitaires à les rejoindre. Sans que l’on puisse dresser un bilan précis, le syndicat unitaire a été déstabilisé, mais sans perdre ses bases ; et le rapport pour 1932 du responsable confédéré considère que les cheminots confédérés sont environ 1 250 dont 238 viendraient de la CGTU dans la perspective d’une fusion.
- 132 Cette manifestation rassemble 4 000 personnes selon Le Semeur d’Ille-et-Vilaine du 27 juillet 1935 (...)
110La véritable réunification vient dans le sillage du Front populaire ; le 14 juillet 1935 est l’occasion de manifester en commun, comme à Rennes, où se retrouvent côte à côte la SFIO, le PCF, la CGT, la CGTU, la Ligue des droits de l’homme et Jeune République132. En octobre 1935 commence le processus d’unification et il aboutit au congrès départemental extraordinaire de fusion du 22 décembre 1935. L’élection du bureau témoigne du rapport de forces : quatre membres confédérés, un unitaire (trésorier-adjoint). Chéreau conserve la présidence de l’UD et ses deux vice-présidents sont Batas et Fournier (respectivement secrétaires de l’UL-CGT de Saint-Malo et de Fougères). Cette réunification et la croissance des effectifs n’empêchent pas la CGT de connaître des revers lors de diverses grèves.
111Succès et échecs des grèves et revendications dépendent certes des divisions syndicales mais pas uniquement.
Grèves et revendications
112Grèves et revendications ne cessent pas pendant ces vingt années, mais avec des caractères différents.
113— Les revendications
- 133 Dont la répartition ne tient pas compte à l’époque de la taille des familles.
114Les principales revendications de la CGT et de la CGTU ont nombre de points communs, mais les méthodes d’action sont différentes. On peut distinguer deux périodes : une première période de 1919 à 1925/1927 et une seconde période de 1927 à 1932. De 1919 à 1925, il s’agit de mettre fin à des situations nées de la guerre. Les difficultés financières nées de la durée de la Première Guerre mondiale ont entraîné une hausse des prix que chacun espère momentanée, mais en attendant ce retour « à la normale », la CGT réclame une hausse des salaires et une hausse de l’indemnité de vie chère ; la plupart des grèves de 1919 portent sur ce problème. Dans ce contexte, l’application de l’impôt sur le revenu133 est ressentie comme une injustice entretenant l’inégalité entre les classes sociales. Les huit heures et leur application sont le second motif principal des grèves de 1919 à 1925 ; les patrons sont réticents à l’appliquer, ce n’est qu’en 1925 que cette revendication peut disparaître. La construction de logements est aussi vigoureusement demandée dans un département où la pénurie, l’insalubrité sont monnaie courante.
1151925-1927 sont deux années de transition ; c’est à partir de 1927 que les revendications deviennent plus volontiers qualitatives : conditions de travail et de vie plus qu’amélioration des salaires. Les revendications portent sur les assurances sociales, les congés payés, la « rationalisation » du travail, voire l’égalité de salaires entre les sexes. En 1931, apparaît la revendication des 40 heures et la prolongation de la scolarité obligatoire. Sur tous ces points, la CGT est plus modérée que la CGTU et par exemple sur le problème des assurances sociales, elle souhaite surtout une amélioration de la gestion et du paiement des cotisations. Enfin, avec la crise, à partir de 1931, réapparaissent les revendications salariales. Quelles que soient les périodes, les revendications sont identiques aux revendications nationales mais c’est dans le domaine de la concrétisation des grèves qu’il existe des variantes.
- 134 Perrot (Michelle), Jeunesse de la grève : France (1871-1890), Seuil, (col. « Univers historique ») (...)
116S’il ne s’agit pas ici de la « jeunesse de la grève »134, bien des aspects typologiques dégagés par Michelle Perrot se retrouvent ici : grèves à caractère strictement économique, grève à caractère politique, grève étroitement liée à la conjoncture, mais aussi grève-surprise et grève avec préavis, grève prévue et organisée par les syndicats, grève où les syndicats suivent. Tous ces aspects sont présents, y compris les grèves dures, mais les mouvements de grève et de revendication montrent comment certains types de grèves échouent dans un département modéré comme l’Ille-et-Vilaine.
117Pendant ces deux décennies, des grèves sont déclenchées brutalement pour obtenir satisfaction sur des points précis : particulièrement en 1919 et en 1920 pour des hausses de salaires et l’application des huit heures ; à côté de ces grèves ponctuelles, d’autres plus importantes répondent à une autre typologie.
118— L’échec des « grèves parachutées »
119Ces grèves décidées à l’échelon national par la CGT sont celles de 1920 et de 1938.
120Les grèves de 1920 sont dues aux initiatives syndicales, aux difficultés de la reprise économique. Toute l’année 1919 des grèves brèves se succèdent sur le problème du pouvoir d’achat, elles sont déclenchées soit par la CGT, soit spontanément par les salariés. Mais en 1920, la CGT reconstituée est travaillée au niveau national par l’activisme des admirateurs de la révolution bolchevique. Ils poussent à une action dure chez les cheminots ; une grève générale est alors décidée par l’appareil de la CGT.
- 135 ADIV - 10 M(60Mal3) : grèves de 1920.
- 136 AN - F7 12 991 : rapport du préfet du 9 avril 1920. Il est certain que la distinction faite entre (...)
- 137 L’Ouest-Éclair, 2 mars 1920, 9 mai 1920; une cinquantaine de grévistes sont révoqués dans le dépar (...)
121Si en Ille-et-Vilaine il existe une agitation latente, il est certain qu’elle connaît une recrudescence au printemps 1920135. Pas un jour sans que L’Ouest-Éclair annonce une nouvelle grève (parfois pour quelques heures), l’arrêt d’une autre, la poursuite d’une troisième. Toutes les grèves déclenchées en février et début mars 1920 se terminent souvent par une hausse des salaires, une convention plus générale. À chaque fois, la revendication porte sur les salaires et la journée de huit heures ; les éventuelles motivations idéologiques n’apparaissent pas dans les sources. Malgré ces mouvements de grève, la situation est considérée comme particulièrement calme dans l’ensemble du département ; le préfet, au début d’avril 1920, ne s’inquiète véritablement que du côté des cheminots ; il fait une distinction classique entre « les « vrais » cheminots (...) profondément attachés à leurs devoirs professionnels », qui n’ont pris part à la grève précédente qu’avec réticence et ceux des ateliers dont l’attitude « est déplorable »136. Dans ce contexte, il est inquiet en cas de nouvelle grève. Lors du 1er mai 1920, jour où doit commencer la grève générale, les manifestations sont assez nombreuses et de nouvelles corporations cessent le travail ; malgré tout, la CGT, ou plutôt Le Semeur, est morose car la division règne chez les cheminots. En Ille-et-Vilaine, la grève des cheminots de 1920 n’a pas été très forte (20 à 25% de grévistes à Rennes)137. Elle ne connaît qu’un faible impact peut-être en raison du caractère spécifique des chemins de fer de l’Ouest, seul réseau d’État, dont les problèmes ne sont pas identiques à ceux des Compagnies privées.
- 138 Dans la métallurgie, la grève dure du 13 mars au 17 mai 1920 : non seulement les ouvriers n’obtien (...)
- 139 L’Ouest-Éclair, 9 mai 1920.
- 140 Fait contesté, car ils sont considérés comme les ouvriers les mieux rétribués du département.
- 141 Les révocations sont encore plus nombreuses que dans les chemins de fer puisque 82 grévistes ne so (...)
- 142 Cet échec est dû aussi aux mesures autoritaires prises dès le début avec entre autres la mise en p (...)
122En dehors des cheminots, quelques secteurs ont des grèves plus dures et plus longues qui échouent également : le bâtiment et la métallurgie à Rennes138 ainsi que les TIV. La grève des TIV moins longue que celle du bâtiment marque les esprits car elle paralyse l’essentiel des communications à l’intérieur du département pendant cinq semaines. Tout en obéissant à l’ordre national de grève générale lancé par la CGT, les grévistes de la compagnie des TIV développent des thèmes et des revendications qui leur sont propres. La grève commence le premier mai sans déclaration de motif139 ; on peut penser qu’il s’agit à la fois de chômer la fête du travail -bien que cela ne soit pas une habitude alors dans la profession-et d’obéir au mot d’ordre de la CGT ; ce n’est que cinq ou six jours plus tard que la première revendication surgit sur l’insuffisance des salaires140. La grève s’achève le 4 juin sur un échec pour les ouvriers des TIV. Sur 560 employés et ouvriers, 444 ont été en grève : aucun employé de bureau mais la totalité des chefs de train, chauffeurs, mécaniciens et manutentionnaires. Un petit groupe d’ouvriers syndicalistes a cru au mot d’ordre de grève générale à caractère révolutionnaire et a tenté de poursuivre l’action le plus longtemps possible alors que sur le plan national, celle-ci s’effrite dès la seconde quinzaine de mai. La Compagnie, non seulement ne négocie pas, mais elle ne reprend « aucun des employés qu’elle considère comme ayant été des agents actifs des grèves ; en particulier, le personnel des ateliers restera presque intégralement congédié définitivement »141. Cette grève est un échec142 qui s’ajoute à celui des cheminots. Ces deux grèves obéissaient à un mot d’ordre national dont les fondements politiques sont liés à une analyse de la situation économique et sociale qualifiée de « révolutionnaire ». Les causes directes de l’échec sont différentes : manque de mobilisation syndicale chez les cheminots, et, aux TIV, les méthodes autoritaires de la Compagnie.
- 143 Il s’agit désormais de préparer la guerre ; d’après les décrets-lois, la semaine de six jours devi (...)
- 144 Le Semeur d’ Ille-et-Vilaine, 3 décembre 1938.
- 145 Maitron (Jean), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier.
- 146 Le Semeur d’Ille-et-Vilaine, 22 décembre 1938.
- 147 Mesures de réquisitions par le gouvernement pour lutter contre la grève, menaces de guerre de plus (...)
123Plus tard, la publication, puis l’application de décrets-lois par le gouvernement Daladier en 1938143 suscitent de vives controverses et débouchent sur une épreuve de force : la grève du 30 novembre 1938. Dans le département, des meetings se déroulent dès le 26 novembre pour protester contre les évacuations des usines Renault par la force. Le meeting de Rennes rassemble 10 000 personnes selon les organisateurs144, même exagéré, ce chiffre symbolise l’ampleur du mécontentement et la capacité à se mobiliser de la CGT rennaise. Très vite, elle se heurte à la détermination du gouvernement. Or, les membres du bureau signent un tract appelant à la grève le 30 novembre. Celle-ci, malgré les dénégations des dirigeants, est un échec. Certes, elle est suivie à 80% à Fougères, mais Joseph Fournier, secrétaire de l’UL, est arrêté le 30 novembre pour participation à une manifestation de rue interdite145. Ailleurs, la grève est très peu suivie dans le département. La répression s’abat d’autant plus facilement sur les grévistes. L’arrestation de Fournier, la première dans le département depuis longtemps, montre la volonté du gouvernement de faire une démonstration de force et l’incapacité de la CGT à mobiliser ses troupes. La grève est un échec dans le département comme en France. Elle est politique en ce sens que deux conceptions de la politique extérieure s’affrontent. Le gouvernement Daladier veut donner à la France les moyens de combattre si nécessaire compte tenu des menaces de plus en plus précises que représente l’Allemagne nazie et la CGT, elle, entend vouloir faire pression sur le gouvernement « pour qu’il pratique une vraie politique de paix »146. Cette grève à caractère plus polique qu’économique a échoué sur le territoire départemental pour de multiples causes que l’on retrouve dans toute la France et qui ne sont pas spécifiques au département147.
124— Les grèves en milieu chrétien
125Dès sa création en Ille-et-Vilaine, la CFTC est confrontée à un conflit exemplaire à bien des égards, exemplaire parce qu’il éclate pour la première fois au sein même de la mouvance chrétienne, exemplaire parce qu’il brise l’unanimisme fondé sur le paternalisme chrétien, exemplaire aussi parce qu’il entraîne la création d’une entreprise coopérative gérée par les ouvriers en réponse à l’attitude dure du patronat.
- 148 Pas question de ne pas y envoyer ses enfants si l’on veut garder son emploi et les enfants vont à (...)
126L’ensemble des grands établissements du département sont dominés par un patronat chrétien au comportement paternaliste. L’un des modèles les plus achevés est la verrerie de Laignelet, près de Fougères. Dirigée depuis la fin du xixe siècle par Henry Chupin, cette entreprise regroupe 350 ouvriers en 1920, véritable micro-société comme chez Schneider au Creusot, mais à une plus petite échelle. Ces 350 ouvriers vivent en effet en quasi-autarcie. Travail, habitat, loisirs : tout dépend de l’entreprise. Les logements destinés aux ouvriers sont construits par l’entreprise. Les familles des ouvriers de la verrerie s’approvisionnent à une coopérative d’alimentation dans de meilleures conditions. Les loisirs sont aussi organisés dans le cadre de la verrerie (spectacle, kermesse, sport,...). Enfin, cela s’accompagne d’une protection sociale rare à l’époque. Si les ouvriers peuvent y trouver des avantages, les contraintes sont fortes sur la vie tant professionnelle que privée des ouvriers. La première et non la moindre est qu’en cas de licenciement les ouvriers perdent immédiatement leur logement. D’autre part, l’Église est omniprésente. Ainsi, l’entreprise crée une crèche tenue par des religieuses ; il existe une chapelle dans l’usine avec un aumônier chargé du catéchisme auprès des enfants des ouvriers148 et qui est chargé aussi de les aider dans leurs devoirs. De même, les loisirs ne se conçoivent pas sans que la messe y soit célébrée. Certes, à l’époque, beaucoup de réjouissances villageoises sont également fortement liées au calendrier de l’Église et la célébration de la messe y est associée plus ou moins directement, mais il s’agit ici d’un encadrement explicite au sein de l’entreprise. L’ensemble de l’organisation de l’entreprise le montre puisque toute fête champêtre commence par une messe ; les excursions organisées par la verrerie sont des pèlerinages annuels à Pontmain. Les fêtes chômées sont des fêtes religieuses comme la Saint-Laurent, patron de la profession, la Saint-Henri (prénom du patron !...). Bien entendu, la moralité des ouvriers et ouvrières est surveillée sous peine de licenciement. Cette entreprise, typiquement paternaliste, n’a rien à envier en ce domaine à des entreprises plus grandes.
- 149 Institué par Henry Chupin avant la guerre et qui jusque-là ne prenait guère d’initiative.
- 150 On a là une forme d’intervention identique à celle qui provoque lire des patrons du textile du Nor (...)
127Cette situation est rendue possible par un recrutement dans un milieu agricole où le catholicisme imprègne totalement la vie quotidienne ; toutefois, la Première Guerre mondiale fait connaître un monde nouveau aux ouvriers de la verrerie. Après 1918, se manifeste une mutation. Après la création de la CFTC, l’abbé Bridel qui est déjà à l’origine des syndicats professionnels avant la guerre fait venir G. Zirnheld à Laignelet ; cette conférence entraîne la formation d’un syndicat CFTC à la verrerie de Laignelet. Désormais, les ouvriers de la verrerie n’acceptent plus comme allant de soi toutes les décisions de leur patron, même chrétien ! Véritable révolution, vécue comme une provocation par le patron Henry Chupin, fondateur en 1898 d’un syndicat mixte. D’emblée, le climat change. Dès 1919, les représentants élus au Conseil d’usine149 demandent une hausse des salaires : réclamation et débat totalement inhabituels ; peu à peu les délégués s’enhardissent et demandent par exemple que le lundi de Pâques soit chômé ce qui est refusé et conduit à une première grève de cinq jours. Cette situation devient insupportable au patron qui, « provoqué », décide de licencier le secrétaire de la section CFTC. Tout de suite, l’affaire prend une ampleur inhabituelle : efforts de négociation, intervention de l’archevêché en faveur du délégué syndical150 et en définitive, le 5 janvier 1921, les ouvriers se mettent en grève par solidarité ; le patron réplique par une décision de lock-out.
- 151 Le capital est de 200 000 F divisé en 400 parts de 500 F. Il est souscrit entre autres par des Fou (...)
- 152 Si l’abbé Bridel, comme les autres abbés démocrates, est marginalisé dans le clergé, les syndicats (...)
128Immédiatement, les difficultés surgissent puisque la plupart des ouvriers se retrouvent sans ressources et sans logement. Il faut trouver une solution de rechange ; l’action de l’abbé Bridel est essentielle. Il met en place une formule de coopérative autogérée qui, certes, n’est pas une innovation théorique -d’autres tentatives ont déjà eu lieu dans d’autres régions-, mais c’est nouveau ici de même que le rôle-clé joué par un prêtre qui se sent une responsabilité vis-à-vis d’eux, les ayant poussés à créer une section CFTC. Il trouve un terrain à Fougères, fait construire par les ouvriers grévistes un four à fusion. La coopérative se constitue statutairement le 3 juillet 1921 et devient une coopérative ouvrière de production151. Sur les 350 ouvriers de Laignelet, 127 sont réembauchés à Laignelet, les autres sont embauchés à la coopérative, y compris le délégué syndical licencié. Le 1er octobre 1921 commence la production après neuf mois de grève, non sans que les installations soient bénies par le curé-doyen de la paroisse de Saint-Léonard. La Cristallerie fougeraise symbolise une victoire ouvrière sur le patronat paternaliste et elle symbolise aussi une forme d’action spécifique qui s’est déroulée totalement hors des syndicats ouvriers d’obédience marxiste. Cette action montre qu’être catholique, ce n’est pas forcément l’union avec le patronat, et qu’il peut aussi signifier plus de justice sociale152.
- 153 ADIV - 10 M (61M3).
129À la suite de cette création, d’autres coopératives sont créées à l’initiative de l’abbé Bridel. Une coopérative d’HBM « Le Foyer fougerais » est fondée en 1922, car Fougères connaît une grave crise du logement, touchant plus particulièrement les anciens ouvriers de Laignelet. Non sans difficultés, cette coopérative réussit à construire une centaine de maisons avec jardins. Un restaurant coopératif est créé pour les ouvriers de la Cristallerie fougeraise. Parmi d’autres créations, est décidée par l’abbé Bridel en 1927 celle d’une banque coopérative industrielle et agricole destinée à permettre l’indépendance des coopératives par rapport aux organismes de crédit153.
130Cette pratique de développement de coopérative est promise à un bel avenir dans l’Ouest (surtout dans le monde agricole). En Ille-et-Vilaine, de telles tentatives ne se retrouvent pas dans le monde ouvrier lié à la CGT. On a là une expérience qui montre le dynamisme existant à l’intérieur du monde catholique dès lors qu’il se préoccupe de justice sociale. Ces expériences deviennent aussi le ferment d’un épanouissement à venir. Si le monde ouvrier chrétien affirme sa spécificité dans le monde syndical et dans l’exercice du droit de revendiquer, le monde ouvrier lié à la CGT connaît également de longs conflits.
- 154 La source principale sur ce conflit est Le Semeur et Ille-et-Vilaine de février à septembre 1932 e (...)
- 155 La place de Fougères connaît des difficultés liées à la concurrence étrangère. La maison tchécoslo (...)
- 156 Environ 1 300 travaillent dans des cantons ou départements avoisinants en raison du chômage - AN - (...)
- 157 Des dons aux familles des grévistes sont le résultat de collectes dans d’autres centres ouvriers s (...)
131La grande grève par excellence est celle de l’industrie de la chaussure à Fougères en 1932154. Depuis celle de 1906, des accords paritaires patronat-syndicat sont signés tous les quatre ans, puis tous les six ans, le dernier en date signé en 1926 se termine le 30 avril 1932. Le tarif de 1926 comprend une « indemnité de vie chère » représentant 10 à 30% du salaire perçu par les ouvriers. Or, depuis les débuts de la crise économique, les prix à la consommation ont baissé de 10% en moyenne depuis 1930; le patronat veut supprimer cette indemnité tandis que la CGT propose de la ramener à un maximum de 15% du salaire de base155. En outre, le travail est souvent saisonnier ; au début de février 1932, Fougères a 6 700 ouvriers de la chaussure156 ; plus de 85% d’entre eux sont au chômage partiel et travaillent de 15 à 30 heures par semaine. Sur l’ensemble de ces ouvriers, environ 2 500 sont syndiqués à la CGT, 200 à la CFTC et 60 à la CGTU; le patronat de son côté est structuré sous la férule de G. Cordier. En l’absence de tout arrangement raisonnable de la part du patronat, une assemblée générale le 5 février s’achève par un vote en faveur de la grève générale non sans que les responsables de la CGT se soient efforcés de modérer cet en thousiasme qui leur semble excessif. Cette grève s’enlise et dure jusqu’au 13 septembre 1932. L’accord signé ce jour-là maintient, en la diminuant, l’indemnité de vie chère. Quant aux salaires, sur une base 100 en 1926, ils tombent à 80 en 1932 alors que les prix ont diminué de 5% : autrement dit, le pouvoir d’achat des ouvriers se détériore, la baisse régulière des prix jusqu’en 1935 (-13%) arrête cette détérioration, du moins pour ceux qui ont un emploi. Vainqueur, vaincue ? La CGT comme le patronat peut se dire vainqueur. La CGT a tenu ses troupes, maintenu la prime et trouvé somme toute une sortie honorable; c’est au minimum une victoire morale. Quant au patronat, il n’est pas vaincu non plus : la grève lui a peu coûté et le contrat économise sur les salaires. Bref, les deux camps sont satisfaits. En fait, la grève de 1932 a démontré la solidarité ouvrière157 et renforcé les syndicats modérés, CGT et CFTC, au détriment de la CGTU.
132Les grèves sont un élément-clé de l’expression des revendications ouvrières avec la presse syndicale. Elles sont aussi parfois le lieu où s’exprime la culture ouvrière, les éléments qui la soudent (chants, rituels des manifestations, des meetings), mais tout ceci est rendu possible par le rôle fédérateur, coordonnateur des Maisons du Peuple tandis que le Premier Mai est le jour de fête de cette « contre-société ».
Une contre-société ?
- 158 Tentatives si l’on compare à ce qu’avait construit la social-démocratie allemande.
133Dans les tentatives d’élaboration d’une contre-société158, les Maisons du Peuple sont un élément important et le Premier Mai un révélateur.
134— Les Maisons du Peuple
- 159 Murgier (Anne-Emmanuelle), Regards sur la condition ouvrière en Ille-et-Vilaine à l’époque du Fron (...)
135La CGT a cherché très tôt à avoir non seulement un local, mais un lieu qui puisse être lieu d’échange, en héritière des Bourses du Travail de Fernand Felloutier. Les années vingt voient la construction de quatre Maisons du Peuple : celles de Rennes, de Saint-Malo, de Saint-Marc-le-Blanc et Louvigné-du-Désert, ces deux dernières pour les centres carriers. L’inauguration se déroule en 1925 à Rennes et en 1926 à Saint-Malo. À Rennes, la Maison du Peuple subit d’importants travaux de réaménagement avec l’introduction du chauffage, de l’électricité et 465 fauteuils pour la grande salle destinée aux réunions et aux matinées récréatives ; elle est encore agrandie entre 1935 et 1938159.
- 160 ADIV - 10 M (61M3) : minute du préfet du 11 août 1930.
- 161 ADIV - 10 M (61M3) : minute du préfet, décembre 1935.
- 162 Murgier (A.-E.), Op. cit., p. 123-124.
136Les Maisons du Peuple regroupent l’activité syndicale proprement dite, mais elles sont en même temps lieu de perfectionnement, lieu de culture et lieu de distraction. Lieu de perfectionnement, les Maisons du Peuple organisent des cours professionnels à Rennes, mais aussi à Saint-Malo. En outre, à Rennes, un dispensaire est annexé à la Maison du Peuple qui donne en 1928/1929 2 500 consultations160 soit moins d’une dizaine par jour : la population ouvrière n’est guère habituée à une démarche préventive, ni à aller consulter en cas de léger accident de santé. Les Maisons du Peuple disposent aussi d’une bibliothèque ; à Rennes, elle comprend en 1935 environ 2 000 volumes161. Son contenu est très varié mais la littérature classique, les anthologies, les ouvrages idéologiques, voire professionnels dominent ; peu de romans à « l’eau de rose »162 : volonté d’éduquer les ouvriers ou désintérêt de leur part pour ce type de roman ?
- 163 C’est ainsi que lors de la grande grève de Fougères de 1932 est composé un chant intitulé : « Les (...)
137Les Maisons du Peuple sont aussi des lieux de distraction avec la diffusion de films, la présence de troupes de théâtre amateur, de chorales, d’associations sportives. Le cinéma est le loisir qui attire le plus les ouvriers, cinéma muet puis parlant ; il est accessible puisque le prix des places correspond à peu près à une heure de salaire. Les films, les documentaires s’efforcent de faire passer les idées propres aux syndicats, à leurs idéaux, mais pas toujours, les films de divertissement sont nombreux. Les troupes de théâtre amateur préparent des pièces de vaudeville tout comme leurs consœurs des cercles populaires ou des patronages catholiques. En outre, elles réalisent souvent des saynètes originales faisant une allusion directe à l’actualité syndicale ou politique. Ces saynètes sont souvent représentées lors du Premier Mai, après des assemblées générales de l’UL ; elles ont un but de distraction mais aussi d’éducation et plus encore de communion dans une même sensibilité collective. De même, les chorales ont le répertoire classique de toute chorale d’amateur, mais aussi des chants révolutionnaires français, voire des chants dont les paroles ont pu être composées pour une circonstance précise en reprenant la musique d’un chant connu163. Les concerts des chorales, les représentations théâtrales permettent aussi de recueillir des fonds pour aider les ouvriers au chômage.
- 164 Thouroude (Jacques), op. cit., p. 123-143.
138Pour cette activité culturelle, il faut mettre un peu à part celle de la CGTU. Le théâtre, les chorales liées à la CGT gardent un caractère de distraction avec certes une partie éducative mais ne cherchent pas véritablement à créer un nouveau théâtre. Il n’en est pas de même chez les unitaires plus sensibles au bouillonnement culturel soviétique et surtout allemand qui entend rompre avec l’idéal esthétique de la bourgeoisie. Les promoteurs de ce théâtre veulent créer un répertoire de combat. C’est dans ce cadre que la CGTU crée en 1928 La Muse des cheminots rennais. Elle se veut au service de la lutte révolutionnaire conformément à la conception communiste de cette période. Son répertoire comprend un répertoire révolutionnaire classique, mais aussi des chants soviétiques, des sujets d’actualité locaux ou nationaux. Par La Muse des cheminots rennais, on a un peu l’introduction du théâtre d’agit-prop. Elle a un réel succès puisqu’à chaque spectacle elle réunit 400 à 600 personnes164.
- 165 Le Travailleur Unitaire, 26 septembre 1930.
139D’autre part, la CGTU et le PCF sont les seuls à organiser des voyages de propagande c’est-à-dire ce voyage initiatique qu’est le voyage en URSS. Celle-ci est pour l’un comme pour l’autre le modèle à suivre et cela d’autant plus qu’elle est fortement critiquée dans la « presse bourgeoise ». En 1927 se crée une section de la société française des « Amis de l’URSS » qui organise des réunions avec un orateur revenu d’URSS. Quatre syndicalistes d’Ille-et-Vilaine (dont trois unitaires) font ce voyage en URSS pendant l’entre-deux-guerres : deux comme membres de la délégation de la CGTU à l’ISR en 1928 et 1930, un instituteur de Lécousse en 1934 et un membre de la fédération du bâtiment. Le voyage est financé par la CGTU jusqu’à la frontière soviétique. Après le voyage (le plus souvent d’une quinzaine de jours en URSS même), les délégués partis en URSS racontent ce qu’ils ont vu dans des articles de journaux, mais aussi lors de conférences faites dans le département, voire dans la région. Si ces comptes rendus sont généralement dithyrambiques, une des quatre personnes est plus mesurée. Il s’agit, il est vrai, d’un instituteur parti en URSS avec une délégation du SNI-CGT. Il met cependant en valeur les progrès réalisés entre 1914 et 1934 date de son voyage, même si un retard persiste. Excepté ce jugement mesuré et contemporain du voyage, les autres témoins sont nettement plus louangeurs affirmant par exemple la disparition de la journée de huit heures au profit de la journée de sept, voire six heures165. Ce voyage en URSS renforce l’espoir qu’un jour par l’action des syndicats et du PCF, il sera possible d’améliorer la condition ouvrière et l’URSS apparaît comme un modèle ce que confirment, de bonne foi, les ouvriers français envoyés en délégation, même si on ne leur montre que des expériences pilotes.
- 166 Thouroude (Jacques), op. cit., p. 122.
140À côté de ces expériences un peu particulières, la CGTU comme la CGT a aussi des activités sportives. « Le Sport ouvrier fougerais » (SOF) est créé en 1923 à Fougères ; ses principaux dirigeants sont des unitaires. Il est affilié à la FST (Fédération sportive du travail), section française de l’Internationale rouge sportive. Le SOF comprend plusieurs sections : le cyclisme, le football, la course à pied, l’athlétisme. Le SOF joue un rôle important par le nombre de manifestations sportives qu’il organise localement et même régionalement, particulièrement dans le domaine du cyclisme. En 1926, est créée l’Union sportive ouvrière rennaise, mais c’est le SOF qui reste l’association sportive ouvrière la plus importante166.
141La rencontre entre ces activités festives, culturelles et le travail revendicatif des syndicats se fait symboliquement le Premier Mai.
- 167 D’après Le Semeur d’Ille-et-Vilaine, avril et mai 1919, 1920, 1922,1926 à 1933, 1935 à 1938 (les a (...)
142— Le Premier Mai167
143Cette journée est par excellence celle de la classe ouvrière organisée. Participer au Premier Mai est alors un acte volontaire puisque non férié, à la fois journée de lutte et journée de fête.
- 168 Le Premier Mai donne lieu à des manifestations régulières à Fougères, Redon, Rennes et Saint- Malo (...)
144Organisé par les syndicats, le Premier Mai a une ampleur et un contenu revendicatif qui change en fonction des préoccupations du moment, mais dans les différentes villes, le rituel de cette célébration est identique et conserve d’une année sur l’autre les mêmes temps forts. Dans les quatre villes168 où le Premier Mai est célébré, la journée commence toujours par un meeting précédé ou suivi du comptage des cartes permettant de compter le nombre d’ouvriers ayant chômé. L’importance du chômage ce jour-là est un indice annuel de la combativité ouvrière, même si certaines entreprises ferment. Après tout, si celles-ci ferment, c’est aussi parce que leurs patrons pensent qu’il y aura beaucoup de chômage ce jour-là et qu’il est inutile de rester ouvert. Le chômage est particulièrement élevé le 1er mai 1919, le premier d’après-guerre : la plupart des usines, mais aussi des magasins et des administrations publiques ont fermé ; les deux autres maxima sont le 1er mai 1936 et 1937. En dehors de ces dates, le chômage est beaucoup plus fluctuant ; toutefois, deux secteurs ont toujours un taux de chômage élevé voire total le Premier Mai : les fabriques de chaussures à Fougères et l’arsenal à Rennes.
145Le matin est le moment revendicatif de la journée et lui donne son aspect de journée de lutte. Lors du meeting, parfois précédé d’une manifestation comme à Rennes, est rappelée l’origine du Premier Mai, qui a ainsi une fonction commémorative et historique pour la classe ouvrière. Le meeting (comme la manifestation) permet de montrer sa force, de présenter les revendications à court terme et à long terme. Selon l’angle sous lequel on étudie les thèmes évoqués au cours de ces meetings, l’événement-rupture est différent ; par rapport à la vie économique et sociale, aux revendications immédiates, 1930 est un tournant quand les effets de la crise économique commencent à se faire sentir. Par rapport à la politique intérieure et extérieure, 1933 est l’année-clé. Ainsi, le début des années trente forme un tournant dans l’évolution des thèmes des orateurs du Premier Mai et marque vraiment la fin de l’après-guerre et les débuts d’une nouvelle ère.
146Si le matin est le symbole des luttes ouvrières, l’après-midi fait du Premier Mai le jour de fête de la classe ouvrière. Le déroulement de la fête diffère selon les lieux et les années. À Fougères, jusqu’en 1925, la partie festive de la journée se veut culturelle avec des représentations théâtrales par la troupe de la Maison du Peuple ; après, l’après-midi est souvent consacré à une sortie champêtre. À Rennes, jusqu’en 1925, une matinée récréative est organisée puis avec l’inauguration de la Maison du Peuple et les possibilités nouvelles qu’elle offre, le programme festif devient particulièrement dense (cinéma, théâtre, chant, kermesse enfantine, bal le soir). Deux raisons à cette densité du programme festif : la concurrence de la foire-exposition à Rennes qui se tient à ce moment de l’année, l’existence d’un public potentiel important que la CGT espère attirer et peut-être transformer en adhérents. Dans ces programmes festifs, la notion de culture et d’éducation n’est pas oubliée. Cette ambivalence reflète tout à fait les préoccupations syndicales et surtout une pratique syndicale qui reste fidèle à un double idéal : la lutte quotidienne et l’éducation ouvrière pour construire la société à venir. Cette volonté de favoriser le développement d’une « contre-société » explique l’importance accordée au développement des cours du soir, des bibliothèques, des loisirs. Ce double visage s’exprime particulièrement lors du Premier Mai. Pendant ces vingt années, les syndicats paraissent écartelés entre leur souhait d’en faire prioritairement une journée de lutte et celui de répondre aux légitimes aspirations à la détente de leurs camarades.
- 169 Domanget (M.), Histoire du Premier Mai, éd. La Tête de Feuilles, 1972, 449 p.
147Ce double caractère, journée de lutte/journée de fête, devient complémentaire dans le vécu des ouvriers, montrant en fait la capacité de la classe ouvrière aussi bien à revendiquer qu’à organiser ses loisirs. Mais le Premier Mai est aussi un moment privilégié où les ouvriers, les militants, retrouvent leurs forces vives ce qui lui donne un caractère rituel, voire sacré. Cette « grand-messe » de la classe ouvrière répond un peu aux grands-messes de l’Eglise suivies des kermesses paroissiales. L’organisation de la journée y est la même : le matin, la communion commémorative et de célébration dans une même foi, l’après-midi la fête entre personnes partageant les mêmes espérances. Ces caractères du Premier Mai ne sont pas propres à l’Ille-et-Vilaine169, mais y prennent peut-être une résonnance, une signification singulière dans un département où la force de rassemblement, les rites sont habituellement du côté de l’Église.
148Bien qu’étant un département peu industriel, l’Ille-et-Vilaine a quelques bastions ouvriers qui sont autant de forteresses syndicales. L’évolution des syndicats y est similaire à celle de l’ensemble de la France. La CGT y reste de 1919 à 1939 le premier syndicat, malgré des vicissitudes : premier syndicat par ses effectifs, par son implantation, par sa capacité à mener une longue grève. Cette domination de la CGT s’explique en partie par la modération traditionnelle de la population, mais aussi par le fait que les métiers les plus représentés en Ille-et-Vilaine sont aussi ceux où les fédérations nationales de la CGT sont les mieux représentées et inversement pour la CGTU. Ce qui est nouveau et plus original, est l’apparition d’un syndicalisme chrétien qui très vite trouve un terrain favorable dans une terre de chrétienté qui n’est pas totalement conservatrice comme le montrent les votes en faveur du PDP par exemple. Ce développement du syndicalisme chrétien peut se réaliser parce que le département est fortement pratiquant mais républicain, parce qu’il y a la présence d’un important quotidien catholique démocrate et de quelques prêtres acquis à cette présence nouvelle, plus moderne de l’Église au monde.
149En définitive, la vie de la population dans ses formes d’expression collective révèle une société plus complexe que ne le laisse supposer l’analyse politique en particulier lorsqu’elle est faite dans un cadre national. Certes, deux sociétés, deux mondes s’opposent et la ligne de fracture majeure passe entre laïques et catholiques. L’école en est l’exemple le plus caricatural. Chaque école entretient un réseau de sociabilité qui conforte cette notion de deux mondes séparés. Ils se côtoient mais ne se mélangent pas. Ce clivage montre une société catholique, puissante, la plus nombreuse et bien soutenue, relayée par l’Église, ses institutions, ses prêtres. Mais si ce clivage est évident, il ne doit pas masquer d’autres divisions les unes déjà bien visibles, les autres encore sous-jacentes.
150Cette population idéologiquement divisée l’est socialement. Le développement constant des syndicats d’ouvriers et d’employés à travers la CGT, la CGTU et la CFTC signifie que les ruptures ne sont pas seulement entre laïques et catholiques ; la présence de la CFTC, sa capacité à gérer des conflits sociaux importants soulignent que l’opposition est aussi économique et sociale, qu’elle ne recoupe pas forcément le clivage idéologique traditionnel puisque des catholiques et des laïques syndiqués se retrouvent en conflit avec un patronat catholique ou laïque. D’autres solidarités se manifestent là. Est-ce à dire que l’on a non pas deux sociétés opposées mais quatre ? Les réseaux de sociabilité nous éclairent quelque peu sur ce point. En effet, la CGT et la CGTU ont leurs propres organisations culturelles et de loisirs indépendantes du réseau laïque ; elles constituent un monde à part. En revanche, ce n’est pas le cas de la CFTC dont les membres s’intègrent dans le réseau catholique. Cette situation s’explique par la jeunesse de la CFTC par rapport à la CGT (mais l’argument ne vaut pas par rapport à la CGTU), mais aussi et surtout par la formidable force fédératrice et puissance tutélaire que représente l’Église. Le même phénomène existe pour les syndicats agricoles qui n’ont pas de réseau de sociabilité autonome.
- 170 Barral (Pierre), op. cit., p. 422.
151Plus que deux mondes opposés, on aurait plutôt une société ternaire : le monde catholique avec l’Église, l’école confessionnelle, les patronages, l’Action catholique et plus indirectement la CFTC, le monde laïque avec l’école républicaine et laïque, avec ses cercles populaires, le monde ouvrier syndiqué qui a construit sa propre organisation culturelle et de loisir même si ponctuellement, il peut se rattacher au monde laïque. Cette organisation sociale rejoint certes celle de la France, mais avec cette différence que le monde catholique y est dominant et surtout le conflit laïque-catholique très virulent et ne va pas dans le sens de l’apaisement contrairement à l’évolution nationale ou à celle d’autres régions comme l’Isère170.
152Enfin, cette société divisée n’est pas immobile, si elle l’est géographiquement avec une mentalité propre à chaque petite région, elle n’est pas immobile dans le temps. Certes, le mouvement est lent mais il est réel. Les années vingt sont celles d’une « remise en route », on espère encore le retour à la situation d’« avant ». Le début des années trente marque un tournant comme dans le domaine politique. Il est à peine sensible dans le domaine de l’école sauf la gratuité pour l’enseignement secondaire public et plus localement la politique de construction d’écoles privées. Mais c’est aussi au début des années trente que l’Action catholique prend son essor, que les agriculteurs s’orientent vers le mouvement de Dorgères et de nouvelles formes d’action ; c’est dans les années trente que le syndicalisme s’accroît rapidement en partie à cause de la crise économique. Enfin, l’essor des patronages, des cercles populaires, des groupes sportifs, de théâtre amateur, etc. se manifestent plus largement pendant ces années-là que pendant la décennie précédente. À l’échelle de l’Ille-et-Vilaine se vérifie et se précise l’idée que ces vingt années ne forment pas un bloc, mais que les années trente sont une rupture essentielle.
153Derrière un clivage idéologique apparemment figé se profilent dans les années trente des ruptures sociales et politiques qui annoncent un monde nouveau. À l’éche ! 1 de l’individu non organisé, de ses réactions privées peut-on retrouver ces tendances ?
Notes
1 L’enseignement secondaire (près de 6 000 élèves en 1938) et supérieur (2 600 étudiants en 1936) sont traités dans la version dactylographiée de ma thèse.
2 Rémond (René), « Évolution de la notion de laïcité entre 1919 et 1939 », dans Cahiers d’histoire, 1959, p. 86.
3 Ou un ordre de grandeur.
4 6 à 13 ans, puis 14 ans à partir de 1936/1937.
5 Respectivement sur l’interdiction d’enseigner pour les congréganistes et sur la séparation de l’Église et de l’État.
6 Contre 17% dans l’Isère ;cf. Barral (Pierre), Le département de l’Isère sous la IIIe République (1870- 1940), A. Colin, 1962, p. 311.
7 Comme à Cardroc, Saint-Sauveur-des-Landes ou Tresboekuf; ADR - 3 F : visites pastorales de 1921.
8 ADIV - 1 T(P)3 : rapports de l’inspecteur d’académie.
9 Dix dans l’arrondissement de Vitré, sept dans celui de Fougères, deux dans celui de Redon et une seule dans l’arrondissement de Saint-Malo. ADIV - 1 T(fonds de l’inspection académique) : note de l’inspecteur d’académie du 19 novembre 1938.
10 Lagrée (Michel) et Pihan (Jean), « Les performances scolaires dans l’espace breton (1860-1980) », colloque Rennes-Exeter, paru dans Centre et périphérie : Bretagne, Cornouailles-Devon, edited by M.A. Havinden, J. Quéniart, J. Stanyer, University of Exeter Press, 1991, p. 184-192.
11 Luc (Jean-Noël), « L’illusion statistique », AESC, 1986, n°4, p. 887-911 et La statistique de t enseignement primaire aux xixe et xxe siècles. Politique et mode d’ emploi, Economica-INRP, 1985.
12 ADIV - 1 T(P) 3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 20 juillet 1920 et du 1er août 1922.
13 ADIV - 1 T(P) 3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 31 juillet 1926. On ne dispose pas de chiffres postérieurs ; il est peu probable que cette fréquentation scolaire se soit brusquement améliorée.
14 ADIV - 1 T(P) 3 : rapport de l’inspecteur d’académie d’août 1931.
15 ADIV - 1 T(P)42 : procès-verbal de la gendarmerie de Guipry du 3 décembre 1930.
16 ADIV - 1 T(P)42 : procès-verbaux des gendarmeries de Bruz (10 février 1931) et de Chartres-de- Bretagne (10 février 1931).
17 ADIV - 1 T(P) 42 : procès-verbaux de gendarmerie de Guichen du 28 novembre et du 2 décembre 1930 et cf. chapitre 1, p. 57-58.
18 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 31 juillet 1925.
19 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 1er août 1928.
20 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 31 juillet 1925. Mais on ne connaît pas la réaction du nouveau syndicat des instituteurs ; son Bulletin mensuel n’y fait pas allusion.
21 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie d’août 1931.
22 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie d’août 1931.
23 La piscine couverte de Rennes est inaugurée en 1926.
24 Ce qui laisse supposer qu’il n’en est pas de même dans les écoles publiques ! ; cf. La Semaine Religieuse, 1920, p. 527-528.
25 Les écoles primaires supérieures ont pour but de préparer leurs élèves à la vie active avec des sections d’enseignement général et des sections spécialisées plus directement professionnelles.
26 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 20 juillet 1920.
27 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 31 juillet 1926.
28 Ces deux dernières sont jumelées à une EPS et sont créées respectivement en 1932 et en 1934. ADIV - 53 Mf : rapport de l’inspecteur départemental de l’enseignement technique pour 1937.
29 AN - F10 2 632 : fiche de présentation de l’école pratique de laiterie ; AN - F10 2 589 l’école pratique d’agriculture.
30 Comme l’école d’apprentissage de la rue d’Échange fondée en 1920 à Rennes.
31 Comme l’école d’apprentissage des chemins de fer de Rennes créée le 1er décembre 1918.
32 ADIV - 1 T (fonds de l’inspection académique) : rapport de l’inspecteur primaire de Vitré du 20 mai 1937.
33 ADIV - 1 T(P)3 : annexe au rapport annuel de l’inspecteur d’académie pour l’année 1927.
34 Locu (Gérard), « Le bulletin mensuel de la section d’Ille-et-Vilaine du SNI : 1926-1940 », mémoire de maîtrise, Rennes 2, 1975, p. 45-46.
35 Huit de ces postes sont dans l’arrondissement de Montfort et trois dans celui de Vitré. Bulletin mensuel de la section d ‘Ille-et-Vilaine du SNI, octobre 1926.
36 Texte du cardinal Charost dans La Semaine Religieuse, 18 juillet 1925. Celui-ci dans une lettre au pape datant du début de 1927 et dont le brouillon est conservé, prend la défense des familles nobles concernées par la condamnation de l’Action française en rappelant : « Ces vieilles familles, ce sont elles qui supportent la plus forte part de l’effroyable budget catholique en France» permettant le fonctionnement des œuvres et des écoles catholiques; il poursuit en écrivant « ce n’est pas une question de gros sous, c’est la question du to be or not to be chrétien et par suite de la vitalité même de notre race». Dans ce contexte, il espère une solution apaisante au problème de l’Action française mais en même temps il souligne bien la dépendance financière de ces écoles vis-à-vis des vieilles familles de notables, ce qui explique aussi la géographie de ces écoles dans les années vingt. ADR -dossier Action française.
37 Témoignage de l’abbé Bunouf.
38 ADIV - 1 T(P)3 ; rapport de l’inspecteur d’académie d’octobre 1934.
39 ADIV - 1 T(P)3 : rapport de l’inspecteur d’académie du 1er août 1928.
40 ADIV -1 T(P)204 : demandes de subvention des cercles populaires. Il est probable que cette source est restrictive et conduit à sous-estimer le nombre réel de ces cercles.
41 Des raisons financières, administratives sont certainement en jeu car le cinéma des patronages catholiques est lui fort développé ; Deniel (J.) et Lagrée (M.), « Le cinéma en Bretagne rurale : esquisse pour une histoire », dans Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 1985/3, p. 262.
42 Coadic (Laurent), Quinze années de sport en Ille-et-Vilaine : une évolution contrastée (août 1944- décembre 1960), mémoire de maîtrise, Rennes 2, 1988, 133 p.
43 ADIV -1 T(P)204 : rapport de fonctionnement du Cercle Paul-Bert en 1924.
44 Celui-ci est interrompu entre 1921 et 1923 en raison de la réorganisation qui suit la guerre.
45 À Montfort, Saint-Aubin-d’Aubigné et Châteaugiron c’est-à-dire tout de même entre 25 et 35 km de Rennes (source : rapport de 1924).
46 La TSF est alors rarissime et nécessite une installation assez lourde avec la présence de l’électricité et d’une grande antenne. ADIV - 1 T(P)204 : cercles populaires, demandes de subvention.
47 Dans la mouvance des lycées, se développe le scoutisme avec les Éclaireurs et les Éclaireuses de France, tandis qu’à partir de 1937 commence à se répandre chez les jeunes gens le mouvement ajiste. ADIV - 1 T(R)13 : rapport sur l’enseignement secondaire masculin du 24 novembre 1937.
48 Rémond (René), « Évolution de la notion de laïcité entre 1919 et 1939», op. cit.. 1959, p. 71-87.
49 Témoignage écrit de Golo Mann du 13 février 1989. Fils de l’écrivain Thomas Mann, il était en exil comme son père et fut lecteur d’allemand à Rennes pour l’année universitaire 1935/1936.
50 ADR- Ordo de 1921 et de 1939 principalement ainsi que Corvaisier (Francis), Du passé à t horizon 2000, le clergé d’Ille-et-Vilaine, Rennes, inédit, septembre 1982.
51 Corvaisier (Fr.), op. cit., p. 40.
52 C’est-à-dire le nombre d’ordinations pour 10 000 jeunes gens de 25 à 29 ans. Izard (R.), « Vitalité sacerdotale de la jeunesse française », Vocations, octobre 1960, p. 86 et suivantes.
53 ADIV - 2 Z 28 et 3 Z 7 supplément : enquête sur les congrégations en 1924 dans les arrondissements de Montfort et de Redon.
54 Ci-dessus chapitre 2, p. 88- 91. Après la condamnation de cette ligue, tout en prêchant prudemment la soumission au pape, il recommande à son clergé dans une conférence en 1927 : « À l’égard des insoumis ne soyez pas durs » et dans une lettre à un ami du 22 juin 1927, il rappelle « que notre Semaine Religieuse est tout aussi épluchée que Le Nouvelliste ». ADR - dossier Action française.
55 C’est le clergé français qui développe peu à peu une Action catholique spécialisée.
56 ADR -3F : visites pastorales de 1921, parfois 1925 ou 1928 lors de lacunes; Boulard (F.), « La pratique religieuse dans le diocèse de Rennes », Économie et Humanisme, 1951, p. 115-120, Lambert (Yves), Catholicisme et société dans l’Ouest, cartes et statistiques, tome 1 : Le XXe siècle, Rennes, INRA, 1980, 73 p., Boulard (F.) et Hilaire (Yves-Marie), Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français, xix-xxe siècles, Presses FNSP, EHSS, CNRS, tome 2, 1987, 684 p. et Lagrée (M.), Religion et cultures en Bretagne, 1850-1950, Fayard, 1992, 601 p.
57 Les cantons de Bain-de-Bretagne, Châteaugiron, Tinténiac, Hédé, Saint-Brice-en-Coglès et Saint- Malo.
58 Cette attitude est celle de l’ensemble de la Bretagne puisque pour les années trente, le taux de messalisants varie selon les départements de 52% dans les Côtes-du-Nord à 86% dans le Morbihan; Boulard (F.), Matériaux..., op. cit.
59 Ordo de 1939 et Guénée (Michèle), Les loisirs à Rennes durant l’entre-deux-guerres, mémoire de maîtrise, Rennes 2, 1988, 144 p.
60 Sa récente canonisation et le fait qu’elle soit l’objet d’une fête nationale depuis 1920 n’y sont pas étrangers.
61 Beaucoup, nés avant la guerre, sont à l’origine des sociétés de gymnastique et de tir dont l’activité est très proche de la préparation militaire.
62 Jusqu’alors les rôles féminins étaient tenus par des jeunes gens travestis, la mixité étant interdite pour des raisons morales. Ce n’est que dans les années vingt que les troupes de patronages peuvent devenir mixtes permettant un répertoire plus diversifié.
63 Deniee (J.) et Lagrée M.), « op. cit. », p. 257-288 et Lagrée (M.), « Le cinéma de patro en Ille-et- Vilaine des origines à nos jours », dans Mémoires d’Ille-et-Vilaine, janvier 1988, p. 2-6.
64 Guénée (Michèle), op. cit., p. 29.
65 ADR - Ordo 1939.
66 Lagrée (Michel), « Les origines bretonnes de la Jeunesse Maritime chrétienne (1930-1940) », dans Mouvements de Jeunesse, chrétiens et juifs : sociabilité juvénile dans un cadre européen (1799-1968), sous la direction de Cholvy (Gérard), éd. du Cerf, 1985, p. 247-268.
67 L’abbé Havard, né en 1876, est vicaire de Saint-Malo et a la charge entre autres des élèves de lécole de navigation ; le père Lebret, dominicain, né en 1897, s’est engagé dans la Marine en 1915 et est ordonné prêtre en 1928. Avec la JMC, il envisage d’abord la formation d’une élite d’officiers du commerce, mais très vite il développe la méthode jociste.
68 Fils d’un petit industriel, l’abbé Bridel (1880-1933) fait de brillantes études et va au séminaire français de Rome. Revenu en France en 1907, il devient vicaire de Saint-Léonard à Fougères en 1909 et y reste jusqu’en 1922, devenant ainsi prêtre libre comme l’abbé Mancel ou l’abbé Trochu, autres abbés démocrates. Ses rapports avec le clergé local deviennent alors souvent conflictuels. Il joue un rôle essentiel dans le monde ouvrier fougerais, contribue à la diffusion de la CFTC mais aussi, logiquement, de la JOC. Cf. ci-dessous p. 132 et suivantes.
69 Celui-ci ( 1878-1957) est originaire de Rannée, huitième enfant d’un couple de paysans qui en avait douze. Dès 1922, le cardinal Charost le désigne pour s’occuper du monde rural. Après un stage à l’école d’agriculture de Genech dans le Nord, il devient aumônier des œuvres agricoles du diocèse de Rennes. Il développe des cours par correspondance, des syndicats communaux et des sections JAC.
70 ADIV- 10 M(61 M2); David (Paul), Les origines du syndicalisme agricole en Ille-et-Vilaine (1885- 1918), mémoire de maîtrise, Rennes 2,1972,142 p. +50 p. annexes et Guéguen (Bernard), Les associations agricoles en Ille-et-Vilaine d’après la presse paysanne (1918-1939), mémoire de maîtrise, Rennes, 1968, 130 p.
71 Son siège social est place des Lices à Rennes.
72 Duby (Georges), Histoire de la France rurale, tome 3 : 1789-1914, Seuil, (col.» Univers historique »), 1977, p. 518 et suivantes.
73 Par ailleurs membre de l’Action française. Parmi les membres du bureau se trouve également de La Bourdonnaye, futur dirigeant de la Corporation paysanne de Vichy.
74 Comment peut-il en être autrement alors que les bureaux de ce syndicat ne se composent que de propriétaires non exploitants. En 1919, le bureau du syndicat régional de Fougères comprend quatre membres dont trois propriétaires nobles et un notaire. AMF - 3 P 1 : rapport de police du 12 mars 1919.
75 Dans les années vingt, il n’existe pas encore de véritable promotion rurale. Il faut attendre pour cela l’action du chanoine Brassier dans les années trente pour que se développent réellement des cours pour adultes destinés à améliorer la formation technique et professionnelle des agriculteurs.
76 Barral (Pierre), « Les syndicats bretons de cultivateurs-cultivants », dans Le Mouvement Social, avril 1969, p. 147-161.
77 Ordonné prêtre en 1902, l’abbé Mancel est influencé par l’Encyclique Rerum Novarum, le Sillon de Marc Sangnier. Vicaire, il est muté chaque année en raison de ses opinions. Finalement tout ministère lui est retiré et il devient un prêtre libre retiré à Bain-de-Bretagne, sa commune natale. Marginalisé par le clergé local, il ne peut participer aux cérémonies religieuses de l’église de Bain et en est réduit à dire seul sa messe chez lui.
78 ADIV - 61 M4 : déclaration en date du 13 mai 1921.
79 L’expression vient d’un dirigeant du syndicat de Paramé.
80 Il existe ici et là quelques syndicats de bûcherons, d’ouvriers agricoles, mais jamais de petits agriculteurs (propriétaires ou fermiers) ne se sont organisés eux-mêmes.
81 Progrès rural, avril 1926.
82 idem, janvier 1928.
83 ADR - l-O : dossier de l’abbé Trochu, Procès de L’Ouest-Éclair contre le chanoine Boué, curé de Bain, devant l’Officialité en 1928.
84 Le syndicat des Lices crée une Union régionale des syndicats agricoles d’Ile-et-Vilaine (URSA) qui a pour but de développer des syndicats communaux capables de faire pièce à ceux des cultivateurs- cultivants.
85 Implanté dans le Finistère et une partie des Côtes-du-Nord depuis 1911. Il est le bastion du syndicalisme agricole conservateur tourné vers les services et non vers les revendications. Berger (Suzanne), Les paysans contre la politique, Seuil, (col.» L’Univers historique »), 1975, p. 92 et suivantes.
86 En 1926, le cardinal Charost dénonce à l’URSA « le caractère malfaisant et parfois déloyal de ces syndicats de cultivateurs-cultivants (...); ces syndicats n’ont ni mon autorisation, ni mon approbation car (...) ils peuvent devenir plus redoutables encore que les syndicats ouvriers des villes. » ADR - procès de L’OE contre le curé de Bain devant l’Officialité (1928).
87 Ci-dessus chapitre 2 p. 92-93.
88 Cf. ci-dessous chapitre 5, p. 259.
89 D’autant que les comités de Défense paysanne et ces syndicats ont en commun l’aspiration à une Corporation paysanne ; en cela la nouvelle direction des syndicats de cultivateurs-cultivants opère une mutation idéologique importante.
90 Guéguen (Bernard), op. cit., p. 92-93.
91 Dorso (André), Les facteurs d’une évolution syndicale : histoire de la CFTC/CFDT, des origines à 1964 en Ille-et-Vilaine, université Rennes 2, mémoire de diplôme des Hautes Études en pratiques sociales, 1987, 309 p. et mon article « La CFTC en Ille-et-Vilaine (1920-1964) : d’un syndicat minoritaire à un syndicat dominant » Populations et cultures : Études réunies en l’honneur de François Lebrun, Rennes, 1989, p. 501-509.
92 Launay (Michel), La CFTC : origines et développement (1919-1940), Publications de la Sorbonne, 1987, p. 22-24, version allégée de sa thèse Le syndicalisme chrétien en France (1885-1940), Paris, 1980, 2 554 p.
93 Launay (Michel), op. cit., thèse complète, p. 995-996.
94 Rattaché au syndicat national du même nom qui est à l’origine directe de la CFTC.
95 ADIV - 10 M(61M2). La guerre l’empêche de se développer et elle ne se reconstitue qu’après la guerre augmentant peu à peu ses effectifs (131 en 1920, 239 en 1921...).
96 Ci-dessus note 69 p. 131.
97 ADIV - 1 M 146 : rapport du sous-préfet (février 1920).
98 ADIV - 1 M 146 : rapport du préfet (mars 1923).
99 ADIV - 1 Z 564 : rapport de police du 7 avril 1924.
100 Elle dure de février à septembre 1932.
101 D’après un rapport de police du 29 février 1932, il serait passé de 250 membres à plus de 700 membres (AN - F7 13 034) ; mais ce rapport confond grévistes proches de la CFTC et adhérents (AMF - 5 F6 : lettre de la CFTC de Fougères du 1er mars 1932 qui parle de 766 ouvriers grévistes se réclamant d’elle). En fait, une réunion réservée aux adhérents de la CFTC regroupe un peu plus de 300 personnes en juillet 1932 (AMF - 5 F6 : rapport de police du 18 juillet).
102 ADIV - 10 M (61M2).
103 Evêque de Lille, il y avait créé les Missionnaires du Travail et soutenu les abbés Six et Debbusche. Cf. Launay (Michel), op. cit., p. 224.
104 Archives de l’UD-CFDT et Dorso (André), op. cit., p. 40.
105 ADIV - 10 M(61M3).
106 Le Semeur d’Ille-et-Vilaine, 3 et 22 décembre 1938.
107 Le Floch (Yves), La scission syndicale en Ille-et-Vilaine (1918-1922), mémoire de maîtrise, Rennes 2, 1972, 137p. + annexes.
108 AN - F7 12 991 : rapport du préfet du 17 février 1922.
109 Thouroude. (Jacques), La CGTU en Ille-et-Vilaine de 1922 à 1935, mémoire de maîtrise, Rennes 2, 1987, 222 p.
110 Thouroude (Jacques), op. cit., p. 50-52 et Syndicalisme de lOuest du 11 février 1923.
111 ADIV - 1 Z 564 : rapport de police du 19 novembre 1928. Un tract de la CGT dénonce les « diviseurs » et accuse la CGTU de dictature pour avoir voulu lancer une grève sans consulter la base.
112 AN - F7 12 759 : rapport de police du 30 novembre 1929 et P 13 034 : rapport de police du 4 août 1931.
113 ADIV - 5 Z 553 : rapport du sous-préfet de Saint-Malo du 24 février 1932.
114 En 1932, la municipalité de Dinard est en crise pour des problèmes de gestion et en raison d’affrontements personnels entre élus ; la démission de plusieurs conseillers municipaux entraîne deux séries d’élections partielles en novembre et en décembre 1932. François Bigot, secrétaire de l’UL-CGTU et communiste, est élu par 51% des votants et 31% des inscrits. Dès lors, les autorités, les notables entendent l’éliminer ; cheminot, il est muté en mars 1933 dans l’Eure avec 48 heures pour rejoindre son poste. Cette mutation a un double avantage du point de vue des autorités : elle lui interdit l’exercice de son mandat municipal et elle décapite l’UL-CGTU dont le dynamisme est dû à son action. ADIV - 3 M 458.
115 Thouroude (Jacques), op. cit., p. 54-55.
116 graphique n°4 p. 142, d’après Thourouoe (J.), op. cit.
117 Kriegel (Annie), La croissance de la CGT, 1918-1921, éd. Mouton, 1966, p. 21 et suivantes. Les comptes rendus des congrès départementaux sont publiés dans Le Semeur d’Ille-et-Vilaine, il manque 1921.
118 D’après Le Semeur d Ille-et-Vilaine. Une moyenne de dix timbres par adhérent a été calculée; cf. les justifications données par Prost (Antoine), La CGT à l’époque du Front populaire (1934-1939) : essai de description numérique, A. Colin (col. « Cahiers de la FNSP »), 1964, p. 11.
119 Le Réveil d’Ille-et-Vilaine, 25 juillet 1914 ; l’année 1919 voit la création de nombreux syndicats, souvent éphémères (ADIV - 10 M(61M2)), même si le département ne se situe pas parmi les UD instables. Kriegel (A.), op. cit., p. 114 et suivantes.
120 Le Floch (Yves), op. cit., p. 57.
121 D’après les sources, il ne semble pas que les effectifs additionnés de la CGT et de la CGTU correspondent à ceux de la CGT en septembre 1920, mais leur soient inférieurs.
122 Il est possible que les syndiqués prennent moins souvent des timbres en raison de la baisse de leurs revenus.
123 La seule UL-CGT de Rennes a 12 930 adhérents en mars 1937 (ADIV - 10 M(61M5) : rapport de police du 16 mars 1937.
124 Le premier chiffre est obtenu par le calcul des timbres, le second est dû aux RG d’après un rapport de mars 1946 (ADIV - 43 W 140).
125 Sur les 89 syndicats que comprend l’UD-CGT en 1929, l’UL de Rennes en réunit 44 (AN - F 12 991 : extrait du Peuple du 17 octobre 1929).
126 Il est remplacé par Joseph Fournier, mais dès 1929 celui-ci est secrétaire permanent de la CGT à Fougères.
127 Une réunion en juillet 1922 rassemble 25 à 30 personnes et en 1939, cinq syndicats ont disparu. ADIV - 10 M(60Mal5) : rapport de police du 3 juillet 1922 et 10 M (61M3) : rapport du sous-préfet de Redon du 4 janvier 1930.
128 ADIV - 10 M(60Ma l5) : rapport de police du 8 février 1922.
129 ADIV - 1 Z 564 : rapport de police du 7 avril 1926. Une autre tentative se déroule en juin à Fougères et échoue en raison de l’opposition des confédérés (AN - F7 12 740 : rapport de police du 2 juillet 1927).
130 Le Semeur d’Ille-et- Vilaine, 26 septembre 1931.
131 Le congrès de réunification partielle du réseau État se déroule à Rennes le 19 mars 1932.Thouroui)E (Jacques), op. cit., p. 159 et suivantes.
132 Cette manifestation rassemble 4 000 personnes selon Le Semeur d’Ille-et-Vilaine du 27 juillet 1935, mais 2 000 selon le préfet (AN - F7 13 034 : rapport du péfet du 24 juillet 1935).
133 Dont la répartition ne tient pas compte à l’époque de la taille des familles.
134 Perrot (Michelle), Jeunesse de la grève : France (1871-1890), Seuil, (col. « Univers historique »), 1984, 323 p.
135 ADIV - 10 M(60Mal3) : grèves de 1920.
136 AN - F7 12 991 : rapport du préfet du 9 avril 1920. Il est certain que la distinction faite entre les roulants et les ouvriers des ateliers est fondamentale. Les roulants ayant tendance à se considérer comme une aristocratie du rail.
137 L’Ouest-Éclair, 2 mars 1920, 9 mai 1920; une cinquantaine de grévistes sont révoqués dans le département sur 18 000 dans la France entière. Le. Floch (Yves), op. cit., p. 76 et Kriegei. (Annie), La grive des cheminots en 1920, A. Colin, 1988, p. 194.
138 Dans la métallurgie, la grève dure du 13 mars au 17 mai 1920 : non seulement les ouvriers n’obtiennent aucune augmentation mais la journée de travail passe de 8 heures à 10 heures ! et dans le bâtiment la grève dure du 29 mars au 14 juin 1920 : ils obtiennent une augmentation de salaire, mais la semaine de travail passe de 48 heures à 55 heures et aucune convention écrite n’est signée. ADIV -10 M (60Ma l3) : questionnaires sur les grèves.
139 L’Ouest-Éclair, 9 mai 1920.
140 Fait contesté, car ils sont considérés comme les ouvriers les mieux rétribués du département.
141 Les révocations sont encore plus nombreuses que dans les chemins de fer puisque 82 grévistes ne sont pas repris sur les 444 soit 18% des grévistes. ADIV - 10 M (60Ma l3) : rapport du chef d’exploitation du 14 juin 1920 et questionnaire sur les grèves.
142 Cet échec est dû aussi aux mesures autoritaires prises dès le début avec entre autres la mise en place de cars de remplacement. ADIV - 10 M (60Mal3) : questionnaire sur les grèves.
143 Il s’agit désormais de préparer la guerre ; d’après les décrets-lois, la semaine de six jours devient la règle, surtout dans les usines travaillant pour la Défense nationale, l’octroi d’heures supplémentaires est facilité et ceux qui refusent de les exécuter peuvent être sévèrement sanctionnés.
144 Le Semeur d’ Ille-et-Vilaine, 3 décembre 1938.
145 Maitron (Jean), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier.
146 Le Semeur d’Ille-et-Vilaine, 22 décembre 1938.
147 Mesures de réquisitions par le gouvernement pour lutter contre la grève, menaces de guerre de plus en plus précises.
148 Pas question de ne pas y envoyer ses enfants si l’on veut garder son emploi et les enfants vont à l’école primaire confessionnelle.
149 Institué par Henry Chupin avant la guerre et qui jusque-là ne prenait guère d’initiative.
150 On a là une forme d’intervention identique à celle qui provoque lire des patrons du textile du Nord en 1920/1923 et un appel au pape qui statue en 1929 contre le patronat.
151 Le capital est de 200 000 F divisé en 400 parts de 500 F. Il est souscrit entre autres par des Fougerais, par des ouvriers. ADIV - 10 M (60Ma l3) : grèves de 1920-1921.
152 Si l’abbé Bridel, comme les autres abbés démocrates, est marginalisé dans le clergé, les syndicats CFTC sont toujours reconnus, soutenus contrairement aux syndicats de cultivateurs-cultivants. Il est vrai que le monde ouvrier n’est pas terre de chrétienté traditionnelle et c’est ce qui permet un peu plus de liberté alors que les syndicats de cultivateurs-cultivants touchent les places fortes de l’Église.
153 ADIV - 10 M (61M3).
154 La source principale sur ce conflit est Le Semeur et Ille-et-Vilaine de février à septembre 1932 et aux AMF - la série 5 F4 et 5 F6 sur les syndicats à Fougères ; parmi les études, retenons surtout Legendre (Bernard), « La grande grève de 1932 », dans Bretagne aujourd’hui, 1976, n° spécial.
155 La place de Fougères connaît des difficultés liées à la concurrence étrangère. La maison tchécoslovaque Bata est particulièrement visée et les patrons demandent que Ton contingente l’importation des chaussures -PV de la Chambre de commerce de Rennes (1932).
156 Environ 1 300 travaillent dans des cantons ou départements avoisinants en raison du chômage - AN - F7 13034 : rapport de police du 1er février 1932.
157 Des dons aux familles des grévistes sont le résultat de collectes dans d’autres centres ouvriers souvent extérieurs au département ; des enfants de grévistes sont envoyés pendant l’été dans des colonies dépendant de la CGT, certains sont accueillis par des familles de militants CGT de Saint-Nazaire. AMF - 5 F6 : rapports de police de 1932.
158 Tentatives si l’on compare à ce qu’avait construit la social-démocratie allemande.
159 Murgier (Anne-Emmanuelle), Regards sur la condition ouvrière en Ille-et-Vilaine à l’époque du Front populaire (1932-1938), Rennes 2, mémoire de maîtrise, 1986, p. 122.
160 ADIV - 10 M (61M3) : minute du préfet du 11 août 1930.
161 ADIV - 10 M (61M3) : minute du préfet, décembre 1935.
162 Murgier (A.-E.), Op. cit., p. 123-124.
163 C’est ainsi que lors de la grande grève de Fougères de 1932 est composé un chant intitulé : « Les soupes communistes » dont les paroles sont d’un cégétiste et qui doit être chanté sur l’air de « voilà les Anglais ». ADIV - 213 W : extrait d’un dossier personnel de la Section Spéciale pendant la guerre.
164 Thouroude (Jacques), op. cit., p. 123-143.
165 Le Travailleur Unitaire, 26 septembre 1930.
166 Thouroude (Jacques), op. cit., p. 122.
167 D’après Le Semeur d’Ille-et-Vilaine, avril et mai 1919, 1920, 1922,1926 à 1933, 1935 à 1938 (les autres sont manquants) ; et mon article « Quelques aspects du Premier Mai en Ille-et-Vilaine pendant l’entre-deux-guerres (1919-1939) », dans Annales de Bretagne, 1983/1, p. 97-117.
168 Le Premier Mai donne lieu à des manifestations régulières à Fougères, Redon, Rennes et Saint- Malo et plus épisodiquement dans d’autres communes.
169 Domanget (M.), Histoire du Premier Mai, éd. La Tête de Feuilles, 1972, 449 p.
170 Barral (Pierre), op. cit., p. 422.
Table des illustrations
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Titre | Tableau n°17 : Effectifs globaux des inscrits dans les écoles primaires (1919-1939) source : les rapports de l’inspecteur d’académie). |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/9027/img-1.png |
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Titre | Cartes n° 11 et 12 Implantation des écoles primaires privées en 1921 |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/9027/img-2.png |
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Titre | Tableau n°18 : Activités des différents cercles laïques en 1938. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/9027/img-3.png |
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Titre | Tableau n°19 : Messalisants dans les villes du département en 1921. |
Légende | (1) paroisses St-Léonard et St-Sulpice(2)paroisse St-Hélier uniquement |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/9027/img-4.png |
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Titre | Tableau n°20 : Messalisants par arrondissement sans les villes (1921/1928). |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/9027/img-5.png |
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Titre | Carte n°13 Messalisants hommes en 1921 |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/9027/img-6.png |
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Titre | Graphique n°4. Effectifs de la CGT et de la CGTU de 1920 à 1938 |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/9027/img-7.png |
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© Presses universitaires de Rennes, 1996