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L'Ille-et-Vilaine, 1918-1958

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Jacqueline Sainclivier

1re partie. 1918-1939

Chapitre 1. Permanence politique de 1919 A 1939 ?

Texte intégral

  • 1 Et non de « l’entre-deux-guerres », expression forgée a posteriori comme le rappelle René Remond d (...)
  • 2 Mais il existe « en histoire, des générations longues et des générations courtes », Bloch (Marc), (...)

1Cette période de vingt années1, (le temps d’une génération ?2) est souvent perçue, à tort, comme un tout, chacune des deux guerres formant dans ce cas une rupture. La guerre 14-18 a été vécue comme telle, mais est-elle à ce point une rupture dans le domaine social, politique, culturel voire économique. Le changement ne se réalise-t-il pas à des rythmes différents selon les secteurs ?

2La vie politique, syndicale, religieuse, le patrimoine de la population, sa vie quotidienne permettent de saisir les forces de dynamisme, celles qui freinent les changements et celles qui l’emportent.

  • 3 En 1922 le passage dans l’opposition des radicaux se fait sur la pression de la base qui contraint (...)

3Les vingt années qui s’écoulent en France de la fin de la Première Guerre mondiale au début de la Seconde, sont placées sous le signe de l’alternance au pouvoir entre des blocs, unions, cartels de droite ou de gauche, alternance plus ou moins régulière. Quelle que soit la coalition victorieuse, les radicaux-socialistes sont toujours présents au début de la législature. Ils forment un véritable groupe charnière, amené à rompre sur des problèmes soit de politique extérieure, soit de politique intérieure comme en 1922 avec Poincaré3 ou en 1926. Quant aux législatures de gauche, elles se distinguent par le fait qu’au bout de deux ans de gouvernement orienté à gauche, la droite —une droite laïque — lui succède après un désaccord entre les partis soutenant le gouvernement orienté à gauche ; ainsi en 1926, Poincaré succède à Herriot, en 1934 Doumergue à Daladier, en 1938 Daladier forme un gouvernement dont la composition marque la fin du Front populaire.

  • 4 Goguel (François), Géographie des élections françaises sous la IIIe et la IVe République, A. Colin (...)

4Pendant cette même période, la Bretagne dans son ensemble donne constamment une majorité de droite, non sans quelques isolats favorables au Front populaire en 19364. L’Ille-et-Vilaine, pour sa part, donne toujours à la droite une majorité écrasante d’élus. Toutefois, la situation politique de ces vingt années n’est pas figée ; derrière la permanence de la couleur politique des députés élus, se profile l’évolution du rapport des forces.

Les élections législatives : les hommes et leurs promesses

  • 5 Loi du 12 juillet 1919.

5De 1919 à 1936, cinq scrutins législatifs renouvellent la Chambre des députés avec deux modes de scrutin : en 1919 et 1924, un scrutin de liste départementale à la représentation proportionnelle avec répartition des restes à la plus forte moyenne5 et pour les élections suivantes, le scrutin d’arrondissement majoritaire uninominal à deux tours.

6Quelles que soient les modalités, des permanences, des ruptures sont décelables en fonction de la conjoncture internationale, nationale ou locale.

Les programmes6

  • 6 D’après les professions de foi des candidats pour l’ensemble des élections. Lecorpus n’est malheur (...)
  • 7 Charles Guernier ou Alexandre Lefas en 1932 (ADIV-3M 348).

7Les professions de foi expriment des préoccupations d’ampleur nationale ; rares sont celles qui ne contiennent que des promesses locales. Des députés sortants joignent la liste de leurs interventions en faveur de leur circonscription7.

8D’après le tableau n° l qui synthétise les principales propositions électorales selon les grandes familles politiques, une rupture intervient en 1932 : les problèmes économiques et sociaux prennent le pas sur ceux de politique étrangère.

Tableau n° l : Principaux thèmes des professions de foi lors des élections législatives de 1919 à 1936.

Tableau n° l : Principaux thèmes des professions de foi lors des élections législatives de 1919 à 1936.

(1) C = communistes ; S = socialistes ; R = républicains ; D = droite ; Ce = centre.

  • 8 ADIV-3 M 341.
  • 9 ADIV-3 M 345 : élections législatives de 1928, profession de foi de Georges Bret.
  • 10 ADIV-3 M 354 : élections législatives de 1936, profession de foi d’Albert Aubry.

9Cette dernière est cependant présente presque constamment. Cette omniprésence de la politique étrangère est due au contexte international, à l’enjeu qu’il représente pour la France et aux positions tranchées qu’elle suscite. Les relations avec l’Allemagne dominent la période. En 1919, le débat porte sur l’application du traité de paix. La droite veut une application stricte du traité de Versailles tandis que les républicains insistent sur la nécessité de « gagner la paix »8. En 1924, le PCF et la SFIO condamnent l’occupation de la Ruhr, tandis que la droite insiste sur le paiement des réparations et ne fait guère confiance au plan Dawes en cours de négociation. La Russie n’est évoquée qu’en 1919. La SFIO dénonce l’intervention étrangère en Russie dont celle des troupes françaises aux côtés des Russes Blancs, dénonciation quelque peu dépassée puisque depuis le printemps 1919 les Français retirent leur corps expéditionnaire. À droite, en revanche, la peur du bolchevisme (à l’intérieur comme à l’extérieur) s’appuie sur les victoires des bolcheviks. Derrière ces réactions, se profile la notion de sécurité collective avec la SDN (Société des Nations) et cela dès 1924. La gauche non communiste commence à accorder du crédit à une politique internationale qui serait fondée sur le rôle accru de celle-ci. Aux élections de 1928 et dans une moindre mesure en 1932, la gauche non communiste et la droite classique se retrouvent pour célébrer la SDN afin de généraliser « l’arbitrage international pour éviter les conflits entre les peuples »9. Ce rapprochement est lié à l’arrivée aux responsabilités de la « génération du feu » qui, voulant éviter une nouvelle hécatombe, met tous ses espoirs dans « l’esprit de Genève », même lorsque celui-ci est déjà en voie de disparition comme en 1932. L’élection de 1936 est encore marquée par la référence à la SDN mais cette fois avec des nuances importantes entre la SFIO et la droite classique. La SFIO10 met l’accent sur la lutte contre la guerre et « contre toutes les dictatures » en poussant la SDN à agir en ce sens ; la droite réclame la Paix d’une manière plus vague. Si la gauche non communiste veut consolider la SDN et empêcher la venue de toute dictature, la droite a essentiellement une réaction germanophobe accentuée par la récente remilitarisation de la Rhénanie (7 mars 1936).

  • 11 du moins parmi celles qui ont été conservées.

10En lien avec la politique étrangère, deux thèmes sont assez souvent présents dans les professions de foi : les Anciens Combattants et la durée du service militaire. Ce dernier est évoqué à deux reprises : en 1919 et en 1932, tant par la droite, la gauche non communiste que par le centre afin de demander une baisse de la durée du service militaire, mais une telle demande n’est pas apparue dans les professions de foi socialistes d’Ille-et-Vilaine11. Pour les Anciens Combattants, c’est le thème des pensions et de leur montant qui est évoqué ; sur ce point, toutes les tendances se retrouvent en 1919. Cet unanimisme correspond à un électorat largement constitué d’Anciens Combattants.

  • 12 Sauvy (Alfred), Histoire économique de la France entre les deux guerres, Economica, 1984, tome 2 : (...)
  • 13 ADIV-3 M 348 : élections législatives de 1932, profession de foi de Lefas.
  • 14 Schor (Ralph), L’opinion française et les étrangers, 1919-1939, Publications de la Sorbonne, 1985, (...)

11Si les problèmes économiques et financiers font moins souvent l’objet de paragraphes dans les professions de foi des candidats de droite et de gauche, sans doute peut-on voir là l’inculture des hommes politiques de l’époque en matière économique12. Ils ne font l’objet de l’attention des candidats qu’en période de crise. En 1919, on assiste à une prise de conscience de l’affaiblissement économique de la France accompagné d’une diminution de la main-d’œuvre par suite de la guerre. La gauche non communiste appelle à se mobiliser pour « une production intensive », tandis que la droite, plus frileuse, réclame des mesures protectionnistes. En 1932 et 1936, la crise économique est bien présente. La gauche insiste sur la lutte contre le chômage, tandis que la droite veut développer le protectionnisme et empêcher « la pénétration des travailleurs étrangers »13 ; elle n’innove guère ! Depuis les débuts de la IIIe République au moins, elle défend les mesures protectionnistes principalement pour protéger les productions agricoles, mais aussi, depuis la fin de la Première Guerre mondiale, industrielles et la revendication de l’arrêt de l’immigration est hélas déjà classique en période de chômage14. Dans le contexte départemental, cela prend un caractère irréel en raison du petit nombre de travailleurs étrangers (moins de 1 % de la population totale) ; seule la côte en a une proportion un peu plus importante en raison du tourisme.

  • 15 ADIV-3 M 341 : élections législatives de 1919, profession de foi de la liste de droite.

12C’est dans le domaine social et de la réforme de l’État que la coupure chronologique et idéologique est la plus nette. En effet, jusqu’en 1928, tout ce qui concerne la liberté syndicale est repris exclusivement par la gauche non communiste ; la droite ne l’évoque qu’indirectement en vitupérant « contre l’anarchie »15. À partir de 1932, la lutte contre le chômage devient essentielle pour le centre et la gauche tandis que la droite insiste plus sur la nécessité de réformer l’État ; resurgit également le thème du vote familial. Cette dichotomie entre la droite et la gauche reflète bien à qui l’on attribue les responsabilités de la situation sociale : pour les uns, elle est due à l’attitude des patrons et de l’État, pour les autres, à la République, idée assez répandue à l’époque dans toute la droite classique et dans la droite extrême, un de La Rocque à la tête des Croix-de-Feu puis du PSF ne dit pas autre chose. La cassure entre la droite et la gauche se fait clairement sur les problèmes de société ce qu’exprime encore mieux la question scolaire.

  • 16 En Ille-et-Vilaine plus de la moitié des élèves de l’école primaire est à l’école privée.
  • 17 ADIV-3 M 348 : élections législatives de 1932, profession de foi de Guy La Chambre.

13Celle-ci est un leitmotiv de toute campagne électorale. La coupure est nette ; la gauche défend l’école unique et la gratuité pour tous les niveaux d’enseignement tandis que la droite défend la « liberté d’enseignement » et la répartition des subventions de l’État entre l’école publique et l’école confessionnelle au prorata du nombre d’élèves16. La gauche radicale témoigne en particulier de sa confiance dans l’enseignement comme moyen d’ascension sociale, caractéristique des pères fondateurs de la République et de l’école laïque. Que l’on soit en période de crise comme au moment du Cartel des gauches ou en période calme, la question est systématiquement abordée et est déterminante pour situer le « camp » du candidat par-delà le flou des étiquettes, d’où l’embarras des candidats du centre. Par exemple en 1932, Guy La Chambre prend une position pour le moins subtile montrant bien l’ambiguïté de sa position : « Les lois de laïcité sont l’assise fondamentale de la République » mais « je me refuserai toujours à en laisser user comme d’un instrument de persécution», favorable à la gratuité de l’enseignement pour tous et en même temps « indéfectiblement attaché au maintien de la liberté de l’enseignement que je considère comme un principe fondamental du régime et (...) adversaire déterminé de toute tentative de monopole appliqué à l’enseignement »17. En s’affirmant favorable à la laïcité, il espère recueillir des voix auprès de la gauche modérée, et en refusant l’école unique, il espère aussi en recueillir à droite.

14À travers les professions de foi se lisent les grands clivages entre la gauche et la droite : les questions sociales et la querelle scolaire, particulièrement vive ici avec des répercussions sur la vie associative et sur la vie quotidienne. Cependant la conjoncture nationale et internationale affecte aussi les arguments des candidats.

15Le poids de la conjoncture est surtout sensible lors des élections de 1919, 1924 et 1936.

  • 18 ADIV-3 M 342 : élections législatives de 1919, profession de foi de la SFIO.
  • 19 La liste du « comité d’Union nationale » représente en 1919 les tenants du conservatisme social et (...)
  • 20 ADIV-3 M 342 : profession de foi du comité d’Union nationale.
  • 21 Elle comprend deux anciens ministres et le président du Conseil général.
  • 22 ADIV-3 M 342 : profession de foi de la liste de Concorde et d’Union nationale.

16En 1919, les trois listes en présence se situent toutes dans la conjoncture nationale et internationale marquée par la fin de la guerre et la révolution en Russie, mais les réactions et les priorités ne sont évidemment pas les mêmes ! La SFIO, liste d’extrême-gauche, prend soin de préciser face à un électorat majoritairement composé de petits agriculteurs propriétaires qu’« elle n’a jamais voulu enlever la terre à celui qui la cultive»18 mais qu’elle entend s’opposer à la domination des « grands propriétaires oisifs et des intermédiaires du commerce ». Revendiquant son appartenance au socialisme, cette liste réaffirme son attachement aux valeurs de la République (justice, laïcité), il n’est pas question d’effaroucher l’électorat et elle doit répondre aux accusations de la droite comme de la gauche radicale, la présentant comme composée d’« agitateurs révolutionnaires ». Par réaction, la droite19 insiste sur sa volonté de défendre « l’ordre public » et la patrie « contre les menaces grandissantes du bolchevisme et de l’anarchie »20. La tactique de la droite est simple, elle joue sur la peur du désordre, le rôle de l’épouvantail est dévolu aux « bolcheviks » —auxquels est assimilée la SFIO-, bien que cela ne corresponde en rien à la réalité sociale et politique du département à cette date. En ayant sur sa liste des royalistes avérés, la droite donne prise aux accusations de la liste républicaine21. Celle-ci se définit comme hostile aux « tentatives avouées ou occultes de restauration monarchique et aux entreprises de révolution sociale »22 ; elle se présente comme l’héritière de la tradition Bleue, hostile aux royalistes d’Action française comme aux « bolcheviks ». La guerre et l’idéal républicain y sont omniprésents, en particulier la laïcité est clairement revendiquée ; dans le département, le clivage passe effectivement entre partisans et adversaires de celle-ci, entre Blancs et Bleus, beaucoup plus puissamment encore qu’au niveau national.

  • 23 Tartakowsky (Danielle), Les premiers communistes français, PFNSP, 1980, p. 65.

17Le même affrontement aurait pu se reproduire en 1924, mais un élément nouveau est intervenu avec une liste du PCF-SFIC sous le nom de « Bloc ouvrier et paysan ». Par sa composition sociale, cette liste tranche avec ses concurrentes puisque tous ses membres sont des ouvriers. Un feuillet de la profession de foi met en lumière l’opposition entre « les travailleurs honnêtes et énergiques » et leurs « adversaires de classe », la liste de droite et celle de la SFIO sont ainsi traitées sur le même pied. Le reste de la profession de foi émane directement des instances du PCF. Lors des élections de 1924, le comité directeur du parti vient tout juste d’adopter les «Thèses sur la tactique du Parti communiste français » (18 mars 1924)23 qui entraînent la bolchevisation. Parti neuf, peu implanté dans le département, les communistes ne peuvent espérer de succès ; toutefois, leur présence brouille les cartes à gauche et donne corps aux accusations de menace révolutionnaire venant de l’étranger toujours brandie par la droite.

  • 24 C’est-à-dire des candidats qui sans appartenir au PCF ou à la SFIO peuvent être classés à gauche e (...)
  • 25 Union républicaine de Louis Marin, républicain libéral, républicain progressiste, républicain-indé (...)

18Les élections de 1928 reviennent au scrutin d’arrondissement uninominal majoritaire à deux tours. Ce dernier a entraîné avant la guerre des désistements lors du second tour pour le candidat républicain le mieux placé. Or, la gauche en 1928 a souvent trois candidats: un de la gauche non marxiste, un socialiste et un communiste, mais au second tour, le PCF refuse tout désistement républicain au nom de la tactique « classe contre classe » qu’il vient d’adopter et pour qui tout non communiste est un adversaire de classe, un bourgeois. Le nouveau mode de scrutin met en lumière d’une part la cohésion des professions de foi communistes et socialistes en raison de leur appartenance à des partis très structurés sur le plan national, d’autre part l’extrême diversité des programmes et étiquettes des autres candidats, qu’il s’agisse de la gauche républicaine ou de la droite classique. Les candidats de la gauche républicaine24 comme ceux de la droite25 présentent une grande diversité. Le nouveau mode de scrutin favorise aussi des candidatures isolées, souvent des cultivateurs qui ont le sentiment que les candidats habituels oublient leurs promesses électorales, voire les principes mêmes de la République. Cette attitude est le signe moins d’un antiparlementarisme que d’un désenchantement insidieux vis-à-vis du régime et des gouvernements qui leur semblent incapables de résoudre la crise.

  • 26 ADIV-3 M 355 : profession de foi du PCF.
  • 27 ADIV-3 M 355 : profession de foi de Guy La Chambre.
  • 28 ADIV-3 M 354 : profession de foi de Joly.
  • 29 Le candidat utilise les souvenirs encore très présents de ses électeurs concernant l’affaire Stavi (...)

19La situation intérieure et extérieure de 1936 provoque un durcissement du ton des professions de foi que ce soient les communistes qui déclarent « le fascisme, c’est la guerre »26 ou un Guy La Chambre : « J’entends barrer la route aux entreprises du fascisme »27. À droite, l’un des candidats28 prend pour devise : « Honneur, Probité, Travail, Famille, Patrie » et insiste sur la nécessité du « redressement moral » opposant « la politique républicaine et française d’ordre, de propreté, de probité et de paix »29 et le « Front populaire c’est-à-dire le désordre, les spoliations, le partage des terres, la confiscation des biens comme en Espagne, la révolution et la guerre ». Ces thèmes, classiques dans la France des années trente, sont l’expression idéologique et le reflet d’un désarroi, nés d’une triple crise : économique, sociale et politique.

20Pendant toute la période, trois thèmes sont ainsi constamment présents : la politique extérieure, l’enseignement et les questions sociales. Si l’on pouvait s’attendre à ce que les deux dernières questions fussent très présentes dans les professions de foi, en revanche l’omniprésence de la politique extérieure qui donne toujours lieu à d’importants développements, symbolise bien l’emprise de la guerre sur les mentalités collectives transformant la culture politique des élus et de leurs électeurs.

Les hommes30

  • 30 Une grande partie des aspects statistiques de l’analyse qui suit s’appuie sur le mémoire de maîtri (...)

21De 1919 à 1939, l’Ille-et-Vilaine élit huit députés à chaque élection, soit 24 personnes sont élues ou réélues députés pendant l’entre-deux-guerres dont 11 pour un seul mandat de député, six pour deux mandats, deux pour quatre mandats (Bret, député de Redon et Guernier, député de Saint- Malo). Ces quelques éléments chiffrés montrent la longueur inégale des carrières de député ; les causes en sont multiples : l’origine sociale et professionnelle, l’enracinement local, la conjoncture, etc.

22Sur les 24 personnes recensées, huit sont des hommes de loi (avocats ou avoués le plus souvent), cinq des propriétaires, vivant de leurs rentes et quatre des industriels. Les autres appartiennent aux professions libérales, au commerce ; enfin on compte un officier et un instituteur. Les professions libérales, les propriétaires c’est-à-dire les « héritiers » de grande famille sont particulièrement nombreux ; plus rares sont les « self made men ». L’ascension sociale de ces derniers (fils de paysans, plus rarement d’ouvriers) est due à l’école qui tient une place si importante dans les discours des candidats à la députation. Cette ascension sociale les conduit par le biais de leur profession à s’intégrer à l’élite locale ; résidant dans des communes rurales, ils en sont les notables.

23Derrière l’hétérogénéité apparente des professions, ils appartiennent de fait souvent au même monde : propriétaire-terrien, industriel, homme de loi, médecin, banquier, officier malgré la diversité de leurs revenus sont membres de l’élite locale, de la bourgeoisie dont ils connaissent et pratiquent les us et coutumes. Un seul parmi eux est vraiment à part, c’est Aubry, instituteur, mais il l’est aussi politiquement comme socialiste SFIO, le seul de tout l’entre-deux-guerres !

  • 31 Son grand-père fut député de 1876 à 1878 et de 1889 à 1893 et son père de 1902 à 1906.
  • 32 Son père fut député de 1876 à 1889, puis sénateur de 1901 à 1913.
  • 33 Il faut la représentation proportionnelle pour qu’un socialiste comme Aubry soit élu et encore éta (...)
  • 34 Ancien Combattant, six de ses frères furent tués sur le front.

24Tous sauf un (Ruellan) ont un mandat local comme conseiller municipal, maire ou conseiller général. Ce dernier est le plus fréquent au moment de la première élection comme député ; être l’élu d’un canton est semble-t- il la meilleure filière. Une minorité de candidats commence sa carrière sans mandat local ; ce sont généralement les plus jeunes députés mais aussi ceux qui sont soutenus par un parti solide (Aubry soutenu par la SFIO) ou bénéficiant d’une situation acquise (père ancien député comme Guy La Chambre31 ou Étienne Pinault32). À l’origine d’une carrière de député se trouvent le mandat local mais aussi la notoriété du candidat qu’il doit à sa famille comme La Chambre ou Étienne Pinault, à sa profession (médecin, avocat,...) beaucoup plus qu’à ses idées33 ; en 1919 intervient aussi la qualité d’Ancien Combattant comme le montrent les élections d’Aubry ou de Ruellan34.

  • 35 85 % des députés après la Seconde Guerre mondiale sont de nouveaux élus, mais dans des conditions (...)

25La longévité d’un député dépend de la conjoncture qui joue un rôle à la fois pour les débuts de carrière et pour l’arrêt de celle-ci. Les deux guerres mondiales n’ont pas le même impact en raison de leurs caractéristiques. Après la Première Guerre mondiale, 50 % des élus sont d’anciens députés, mais trois des nouveaux élus sont des députés « éphémères » devant leur élection au mode de scrutin et à l’atmosphère d’union née de la victoire de 1918. Inversement, beaucoup de carrières de députés sont arrêtées par la Seconde Guerre mondiale (cas de six députés), un seul (Guy La Chambre) se représentant après la Seconde Guerre mondiale35.

26L’arrêt d’une carrière de député a naturellement des motifs électoraux : l’échec aux élections concerne 12 % des élus pour les vingt années considérées. Le facteur personnel intervient aussi dans 32 % des cas entre 1919 et 1939 : l’âge, la maladie et le décès sont ainsi plus déterminants que tous les autres facteurs pour décider de la prorogation ou non d’un mandat de député. Le milieu socio-professionnel, la possession d’un mandat local sont tout aussi décisifs.

27Onze députés sur les 24 recensés sont des députés « éphémères » (n’ayant exercé qu’un seul mandat), moins parce qu’ils ont démérité aux yeux de leurs électeurs que pour des raisons conjoncturelles. Par exemple, Albert Aubry et Charles Ruellan sont élus au scrutin de 1919, l’un sur la liste SFIO, l’autre sur la liste de droite et il est connu comme monarchiste. Pour ces deux « extrémistes », leur qualité d’Ancien Combattant joue en leur faveur en 1919 mais ce n’est déjà plus le cas en 1924. De plus, ils n’ont pas de mandat d’élu local.

  • 36 L’âge de l’éligibilité était fixé à 25 ans. La moyenne d’âge des députés du département était de 4 (...)

28On peut distinguer une autre catégorie de députés, ceux dont la longévité est telle que l’on a tendance à penser que leur profession réelle est celle de parlementaire d’où l’expression de député « professionnel ». Pour la période, huit députés ont une longévité de plus de dix ans c’est-à-dire ont été élus à trois reprises. La majorité d’entre eux sont des hommes de loi (cinq auxquels on peut ajouter un docteur en droit propriétaire terrien, Georges Bret). Tous sauf Barbot appartiennent à une élite sociale aux fondements multiples. L’hérédité en est un élément ; certains sont issus de familles de notables où l’on compte déjà au moins un parlementaire comme Guy La Chambre, La Riboisière dont le père était député, Bret, petit-fils du député René Brice et neveu de Paul Deschanel, l’ancien président de la République. Outre ce facteur « politico-héréditaire », ils sont aussi des notables par leur appartenance familiale, familles de parlementaires certes mais aussi grandes familles bourgeoises comme Lefas, Bret, La Chambre ou de la noblesse d’Empire comme La Riboisière. Notables aussi par leur profession comme Guernier, professeur de Droit, Deschamps, avocat. Plusieurs cumulent deux ou trois de ces éléments de notabilité tels que Bret, La Chambre, Lefas et La Riboisière. Notables avant même leur élection, ils doivent à cette notabilité leur élection à un âge relativement jeune. À leur première élection comme député, leur moyenne d’âge est de 32 ans36, si bien que la moitié d’entre eux n’a pas de mandat local lors de cette première élection. Leur notoriété semble suffire, mais tous se soumettent à cette règle au cours de leur carrière.

Tableau n°2 : Mandats électoraux et portefeuilles ministériels des députés « professionnels ».

Tableau n°2 : Mandats électoraux et portefeuilles ministériels des députés « professionnels ».

29De tous ces députés (tableau n°2), un seul n’a jamais eu de mandat local : Barbot, député de Montfort, très connu dans sa région pour des raisons professionnelles. Tous les autres en ont au moins deux ; Bret est le seul à se contenter de deux mandats et à ne pas chercher autre chose semble-t-il. Il est aussi le seul à avoir choisi de ne pas avoir d’activité professionnelle bien qu’il soit docteur en droit préférant rester sur ses terres : position archaïque ? Comportement d’héritier ? Les cinq autres ont exercé au minimum trois mandats électoraux plus ou moins concomitants. Par exemple, Lefas n’en a exercé que deux simultanément puisque le troisième est celui de sénateur, mais il est président du Conseil général en même temps que député. Type même du notable local jouissant d’une certaine notoriété, à ce titre l’élection de sénateur est une consécration ; en même temps, ses prises de position en matière religieuse ne peuvent que l’empêcher à cette époque de mener une carrière gouvernementale. Il en est de même pour La Riboisière qui exerce trois mandats simultanément et dont l’élection comme sénateur a la même fonction que pour Lefas. Trois ne sont jamais devenus sénateurs, mais, en contrepartie, ils ont été membres du gouvernement; toutefois ils ne firent pas la même carrière ministérielle.

  • 37 Son père était notaire, sa mère naturellement sans profession avait des propriétés personnelles.

30Louis Deschamps (1878-1925) est issu d’une famille de la bonne bourgeoisie37, il est lui-même avocat à Rennes depuis 1901. Élu député pour la première fois en 1913, engagé volontaire en 1914, il reçoit la Croix de Guerre et celle de chevalier de la Légion d’honneur. Député, ancien combattant et républicain radical, il a à 40 ans une belle carte de visite dans l’establishment politique de l’époque où les radicaux dominent tous les gouvernements. Dès décembre 1918, il devient sous-secrétaire d’État à la démobilisation, puis à partir de novembre 1919 sous-secrétaire d’État aux PTT jusqu’en 1921. Comme député il est membre de plusieurs commissions importantes dont les Affaires étrangères, la Marine militaire. Cependant il est assez peu dans son département et échoue aux élections de 1924, il est vrai que les électeurs choisissent massivement la liste de droite et aucune autre liste n’obtient le moindre siège, c’est moins un échec personnel que le rejet en bloc par les électeurs du Cartel des gauches. Il meurt à 47 ans alors que vraisemblablement il aurait peut-être pu, avec le retour du scrutin d’arrondissement, revenir sur la scène parlementaire et gouvernementale.

31La carrière politique de Charles Guernier (1870-1943) est sensiblement différente. Né à Saint-Malo, professeur de Droit à Caen, il est conseiller général de Cancale à partir de 1910, député de 1906 à 1924 et de 1928 à 1940, président du Conseil général de 1921 à 1924, mais il ne devient ministre que tardivement en 1931 dans le gouvernement Laval comme ministre des PTT et en 1932 dans le gouvernement Tardieu (février-mai 1932), il devient ministre des Travaux publics et de la Marine marchande. Radical-indépendant, inscrit au groupe de la gauche radicale en 1932 et 1936, il ne poursuit guère sa carrière au-delà, peut-être pour des raisons de santé.

  • 38 Elle y possédait depuis le xixe siècle une malouinière à La Briantais en Saint-Servan.
  • 39 ADIV-3 M 344 : rapport du sous-préfet de Saint-Malo, le 22 octobre 1927 ; on peut cependant douter (...)
  • 40 ADIV-3 M 355 ; il fait allusion à sa participation au gouvernement Daladier lors du 6 février 1934 (...)
  • 41 ADIV-3 M 344.

32La carrière de Guy La Chambre (1898-1975) est plus longue et plus complexe. Il est issu d’une famille de la grande bourgeoisie et du côté maternel de la noblesse d’Empire. Son père, avocat et propriétaire, a été député de droite ainsi que son grand-père paternel, armateur ; quant à son grand-père maternel, il est député du Loir-et-Cher. Après des études secondaires aux lycées prestigieux de Condorcet et Louis-le-Grand, Guy La Chambre entre à la faculté de droit de Paris, devient avocat et s’inscrit au barreau de Paris. Il est élu pour la première fois en 1928. Ce n’est pas tout à fait sa première apparition dans le monde politique puisqu’il a été sous-chef de cabinet de Briand quand celui-ci fut président du Conseil de janvier 1921 à janvier 1922. C’est cet héritage politique et familial ajouté à l’enracinement de sa famille dans la région malouine38 qui lui permet d’être élu sans autre mandat électoral dès le premier tour. Il se fait élire sous l’étiquette d’indépendant de gauche et, selon le sous-préfet de Saint-Malo, il «était très indécis sur la nuance qu’il adopterait pour être élu député. Il a déclaré à différentes personnes qu’il était républicain-socialiste ; qu’ayant des idées sociales très avancées, il comptait sur des voix du Parti socialiste bien que n’étant pas inscrit à leur groupe »39.Il conserve la même étiquette en 1932, mais cette indécision se manifeste à nouveau en 1936 où il s’affirme radical-indépendant devant les électeurs. Il refuse tout accord dans le cadre du Front populaire et précise dans sa profession de foi : « J’ai eu l’occasion de donner la mesure de mon attachement à nos institutions de liberté et n’ai pas attendu pour pratiquer la défense républicaine qu’elle fût proposée comme thème au Rassemblement Populaire »40. Il se présente à la fois contre des candidats de droite et des candidats du Front populaire, pour la première fois il est mis en ballottage ; une fois élu, il s’inscrit au groupe radical-socialiste. Le flou de ses étiquettes, différentes selon qu’elles sont à usage local ou parisien, lui vaut dès 1928 d’être brocardé sur le thème «le candidat caméléon gauche-droitier »41. Il incarne assez bien ce radicalisme de l’entre-deux-guerres aux visages multiples, qui dans la région malouine reste modéré. Guy La Chambre recueille sans doute des voix aussi bien au sein du radicalisme traditionnel que parmi les électeurs de droite faisant confiance à un La Chambre, dont la famille appartenait à la droite cléricale.

  • 42 Il est démis de ses fonctions en tant qu’inculpé au procès de Riom. Cf. chapitre 5.

33Devenu député, il se présente aux élections cantonales de 1930 dans le canton de Dinard ; élu, il reste son conseiller général jusqu’à la guerre. En 1933, il se présente aux élections municipales partielles de Saint-Servan et en devient maire ; il reste à ce poste jusqu’en 194042. Son élection à la députation entraîne une série de mandats électoraux qui approfondissent son enracinement dans sa circonscription.

  • 43 Il appartient ultérieurement à la Résistance et meurt en déportation.
  • 44 cf. mon article, « Les forces politiques en Ille-et-Vilaine (1934-1939) », Bull, de la société arc (...)
  • 45 Or, contrairement à Daladier, La Chambre n’est pas favorable à une alliance de type Front populair (...)
  • 46 Ministre de l’Air en pleine période de restructuration, il est considéré, à tort, par le régime de (...)

34Après sa seconde élection, il devient sous-secrétaire d’État à la Guerre dans le cabinet de Paul-Boncour (décembre 1932-janvier 1933), puis auprès de la présidence du Conseil dans le premier cabinet Daladier. À partir de ce moment, il est de tous les cabinets formés par Daladier et suit sa fortune politique. En particulier son premier poste de ministre est celui de la Marine marchande dans le cabinet Daladier du 30 janvier 1934 au 7 février 1934. À ce titre, il est mêlé de près au 6 février 1934 ce qui lui vaut un duel à Saint-Malo avec Jacques Renouvin et de virulentes attaques lors des élections de 1936. En effet, en septembre 1934 à Saint-Servan, il est traité d’« assassin du 6 février » par Jacques Renouvin, avocat, membre de l’Action française43. Le duel se déroule le 30 septembre ; surtout, en choisissant comme témoin le président des officiers de réserve de la section des Trois Villes, Guy La Chambre provoque une crise au sein de cette section (favorable aux manifestants du 6 février) qui contraint son président à démissionner44. Ce duel révèle la montée des tensions entre les différentes familles politiques y compris dans ce département modéré ; il montre aussi comment Guy La Chambre est désormais perçu par une partie de son électorat qui voit en lui un proche de Daladier, hostile à l’extrême-droite45. Cependant, comme il n’est pas favorable au Front populaire, il ne redevient ministre qu’avec le quatrième cabinet Chautemps (18 janvier 1938- 10 mars 1938) comme ministre de l’Air et reste à ce poste dans les gouvernements suivants jusqu’à la démission de Daladier en mars 194046.

35Ces députés « professionnels » appartiennent à l’élite des parlementaires mais parce qu’à l’origine ils sont membres de l’élite sociale. Il est caractéristique que pendant cette période un député « professionnel » n’est jamais soutenu par un parti structuré, bien implanté mais profite de sa notabilité ou de ses relations, des multiples comités composés des maires, conseillers municipaux, tous relais qui finissent par former une véritable « clientèle » au sens latin du terme, particulièrement efficace lors des campagnes électorales et pour les « services » rendus par le député.

  • 47 Petrie (A.J.), « The French Deputy as a member of the elite », dans Elites in France: origins, rep (...)

36Ainsi, ces hommes qu’ils soient des députés « éphémères » ou « professionnels » semblent devoir leur situation politique certes à des facteurs conjoncturels, mais plus encore à des facteurs structurels. En Ille-et-Vilaine, « la fin des notables » (D.Halévy) n’est pas d’actualité à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Le député est une personnalité du département qui, par le cumul des mandats, favorise l’intégration du département à la Nation et valorise en même temps sa propre action47. Le poids des notables n’a pas empêché une adaptation du discours politique qui se durcit à partir de 1928-1932.

Les élections législatives : permanence des mentalités politiques ?48

  • 48 Cf. les procès-verbaux des élections législatives conservés soit aux Archives départementales sous (...)

37L’équilibre des forces politiques pendant ces cinq scrutins et l’implantation géographique rendent compte de cette permanence ou non des mentalités politiques.

Permanence de l’équilibre des forces politiques ?

  • 49 La liste du « comité d’Union nationale » en 1919, celle d’« Union républicaine et de concorde nati (...)

38Pour mesurer le rapport des forces politiques en Ille-et-Vilaine et leur implantation géographique sans que l’analyse soit obscurcie par l’émiettement des différents groupements ou partis politiques, ceux-ci ont été regroupés en cinq tendances : la droite classique, la gauche républicaine ou non marxiste, la SFIO, le PCF et le centre. Ce dernier correspond en fait soit aux candidats du PDP (Parti démocrate populaire) qui apparaît à partir de 1928 dans certaines circonscriptions, soit à des candidats radicaux-indépendants comme Guy La Chambre ou Guernier que dans le contexte local précis on ne peut classer ni avec la gauche ni avec la droite classique. Sous l’expression « droite classique », on a rassemblé les listes ou candidats se déclarant explicitement conservateurs et se présentant comme des défenseurs de l’école privée confessionnelle49, certains pouvant fort bien se concurrencer à l’intérieur d’une même circonscription. Pour définir la gauche républicaine par rapport à la droite c’est comme précédemment l’attitude sur la question scolaire qui a servi de guide. Sous cette expression sont réunis les candidats favorables à l’école laïque et n’appartenant ni à la SFIO ni au PCF ; là encore, les étiquettes sont très nombreuses.

39Si l’abstentionnisme électoral ne peut être l’élément central d’une analyse électorale, le mesurer éclaire parfois les votes émis.

  • 50 Pour ce calcul, j’ai suivi le procédé officiel c’est-à-dire la différence entre le nombre d’inscri (...)
  • 51 Lancelot (Alain), op. cit., p. 60.

40Les abstentions sont calculées pour les élections de 1924, 1928, 1932 et 1936, les procès-verbaux des élections de 1919 étant incomplets50. Pour ces quatre élections législatives, le taux d’abstention moyen est de 20 % des inscrits, taux plus important que le taux français (16 %) pour les mêmes consultations électorales. L’Ille-et-Vilaine est plus abstentionniste que l’ensemble de la France, mais elle vote plus que les autres départements bretons51 et paraît ainsi en situation de transition entre les départements bretons et l’ensemble français, ce qui est un trait quasi permanent de ce département. Cette attitude est relativement récente ; peut-être cette diminution de l’abstentionnisme est-elle due à la Première Guerre mondiale qui a eu un rôle d’intégration.

41Pour l’ensemble de la période (carte n° l), la région de Fougères-Vitré est la moins abstentionniste. Mimétisme par rapport aux régions voisines ? Ou peut-on évoquer la force de la communauté ? Ces régions sont très pratiquantes ; or, l’Église rappelle constamment l’importance du droit de vote, la nécessité de « bien voter » ; ce sont en outre des régions où les résultats sont acquis avec une majorité très large (souvent supérieure aux trois quarts des suffrages exprimés). Une mentalité collective très homogène peut en partie expliquer la relative faiblesse de l’abstentionnisme. La région côtière a un comportement original ; les cantons de Cancale, Saint- Malo, Dinard ainsi que celui de Châteauneuf ont tous les quatre un taux d’abstention supérieur à 25 %, le canton de Cancale ayant le taux le plus élevé (31 %) suivi de près par celui de Dinard (29,50 %). Dans le premier cas, cette situation est particulière à une région où la proportion de marins dans la population active est importante (environ 30 %), leurs absences souvent longues et fréquentes (beaucoup s’embarquent pour la pêche à Terre-Neuve). Quant au canton de Dinard, une partie des électeurs inscrits sont des travailleurs saisonniers, ce qui accentue l’abstention. Enfin, les villes ont un taux d’abstention inférieur à celui de leur canton, excepté à Fougères où il est identique. Les citadins se mobilisent plus que les ruraux. Les ruraux résidant hors du bourg (cas de la majorité d’entre eux) doivent effectuer un déplacement parfois long et difficile mais il est vrai que le dimanche, jour de la messe, est l’occasion de se retrouver au bourg, de régler ses affaires ; ainsi le faible taux d’abstention de la région Fougères-Vitré (la plus pratiquante) peut aussi s’expliquer par cet habituel déplacement dominical. Quant aux citadins, ils sont plus près des bureaux de vote ; parmi eux, le militantisme politique et syndical est plus important et les réunions électorales plus nombreuses. Tous ces facteurs exercent une influence, difficile à mesurer.

42De 1924 à 1936, le taux d’abstention diminue de 6 % environ et l’écart se réduit avec le taux français. La rupture se situe en 1928 c’est-à-dire au moment du changement de mode de scrutin. Les électeurs se sont relativement désintéressés des élections de 1919 et de 1924 parce que le scrutin de liste empêche la relation de proximité avec les candidats et certains arrondissements ne sont pas représentés sur telle ou telle liste. Dès le retour du scrutin d’arrondissement, le taux d’abstention diminue et s’aligne sur celui de la France. Pour se mobiliser l’électorat départemental veut avoir à élire des hommes qu’il connaît et qui le représentent directement. La mobilisation électorale se fait moins sur des enjeux politiques qu’en fonction des hommes, ce que confirme les élections successives.

Carte n° 1. Les abstentions aux élections législatives 1924-1936

Carte n° 1. Les abstentions aux élections législatives 1924-1936

43Les résultats aux élections législatives de 1919 à 1936 montrent que sur 40 élus (parfois les mêmes personnes), 27 appartiennent à la droite, huit à la gauche républicaine, quatre au centre et un à la SFIO. Les deux tiers des candidats élus pendant tout l’entre-deux-guerres viennent de la droite ce qui situe a priori l’Ille-et-Vilaine comme un département de droite, mais l’examen des suffrages exprimés (tableau n°3 et graphique n° l) permet de nuancer cette première appréciation.

Tableau n°3 : Suffrages exprimés obtenus par les différentes familles politiques de 1919 à 1936 (en %).

Tableau n°3 : Suffrages exprimés obtenus par les différentes familles politiques de 1919 à 1936 (en %).

44Si la droite forme un bloc homogène et important, elle n’atteint pas la majorité des suffrages exprimés. Ce n’est qu’en 1924 qu’elle dépasse les 50 % et atteint même les 60 % ; elle recueille cette année-là la totalité des sièges de député. À toutes les autres élections, elle est en dessous des 50 %. Ce décalage entre le nombre de députés élus et les suffrages exprimés est caractéristique d’un mode de scrutin qui exacerbe l’effet majoritaire, phénomène bien connu et largement analysé en particulier sous la Ve République. Le graphique pour l’ensemble de la période 1919-1936 montre un vote plus complexe que celui que révèle l’examen des candidats élus. En effet, face à la droite (47,11 % des suffrages exprimés en moyenne), la gauche républicaine est l’autre famille politique essentielle du département (37,11 %) ; ces deux forces symbolisent bien la permanence des oppositions « blancs-bleus » héritées de la Révolution française. Excepté en 1919, cette période présente d’autres forces politiques qui entendent trouver leur place dans l’échiquier politique local.

  • 52 Cité par Delbreil, (J.-P.). Le PDP: des origines au MRP (1919-1944), thèse d’État, microfiches, 19 (...)
  • 53 Delbreil, (J.-P.). op.cit., p. 498-499.
  • 54 Delbreil, (J.-P.), op. cit., p. 249.
  • 55 L’Ouest-Éclair, 25 avril 1936. Ce dernier fut fondé en 1899 par l’abbé Trochu et Emmanuel Desgrées (...)
  • 56 Ce que fait Guy La Chambre, tandis que Guernier reste au groupe de la gauche radicale.

45Un centre naît en 1928 avec des candidats du PDP. Le Parti démocrate populaire s’est constitué en novembre 1924 et se présente comme « la synthèse de ce qui est juste dans les Programmes de Droite et de Gauche »52 ; dès lors se pose la question de l’existence d’un Centre dans la vie politique française, notion mal acceptée et le PDP a alors quelque difficulté à se situer. En effet, son attachement à l’enseignement confessionnel le classe à droite en raison du clivage entre la droite et la gauche qui se fait sur le problème de la laïcité ; mais le PDP ne veut pas être assimilé à l’URD et d’une certaine manière se place à « l’extrême-gauche de la droite »53. Dès 1928, le PDP a un élu à Rennes-1 avec Étienne Pinault ce qui s’explique peut-être moins par ses idées que par son implantation locale puisque, lorsqu’il se présente, il est déjà maire de Pacé et conseiller général de Rennes Nord-Ouest. Le PDP continue d’avoir comme élu Pinault jusqu’à la guerre mais en 1936, Bastianelli, membre du comité directeur du PDP54 est battu à Vitré par le conservateur de Lyrot. Le PDP est soutenu par L’ Ouest-Éclair55. Mais ce centre comprend aussi des « transfuges » de la gauche républicaine comme Guy La Chambre ou Guernier en désaccord avec les radicaux-socialistes locaux et avec les conservateurs, en particulier en 1936, car se dire radical-socialiste dans leurs circonscriptions (Saint-Malo 1 et 2) pouvait entraîner leur échec étant donné l’appartenance du Parti radical-socialiste au Front populaire. C’est pourquoi, ces deux candidats se gardent bien de se référer au Front populaire pendant toute la campagne électorale, quitte une fois élus à s’inscrire au groupe radical-socialiste à la Chambre des députés56. Le centre n’est pas homogène et ses élus peuvent voter de manière différente ; ceux du PDP votent le plus souvent avec la droite, c’est bien là l’une des ambiguïtés de ce parti que souligne Delbreil dans sa thèse.

Graphique n° l. Suffrages exprimés par chiffres Cinq familles politiques de 1919 à 1936

Graphique n° l. Suffrages exprimés par chiffres Cinq familles politiques de 1919 à 1936

46Quant aux partis marxistes, la SFIO et le PCF, ils ne prennent un poids un peu plus important qu’en 1936.

Tableau n°4 : Nombre de voix recueillies par la SFIO et le PCF.

Tableau n°4 : Nombre de voix recueillies par la SFIO et le PCF.
  • 57 Même si le corps électoral bouge peu, le nombre d’électeurs qui votent, lui, varie beaucoup d’une (...)

47Pendant toute la période, la SFIO regroupe 11 à 12 % des suffrages exprimés sauf en 1936 où elle gagne un peu plus de 3 % des voix (plus de 5 000 voix), gain supérieur à la croissance du nombre total de votants entre 1932 et 1936. Derrière la stagnation des pourcentages se cache une réalité bien différente si on prend en considération le nombre des voix de la SFIO57 ; celles-ci ont une progression par à-coups plus rapide (+74,10 %) que celle de l’ensemble des suffrages exprimés (+38,15 %).

48La SFIO en Ille-et-Vilaine obtient toujours des résultats inférieurs à la moyenne nationale de ce parti (de 20 à 22 % des suffrages exprimés). Mais, en 1936, sur le plan national, la SFIO stagne, voire perd quelque 30 000 voix ; dans le département, elle sort de ces élections un peu renforcée même si cela ne lui permet pas de s’imposer. La SFIO est minoritaire mais n’est entamée ni sur sa droite ni sur sa gauche et elle réussit même à accroître son audience auprès des électeurs, signe d’une solide implantation, d’un électoral fidèle et peut-être aussi d’une image moins « révolutionnaire » qu’antérieurement.

  • 58 AN-F7 13 110 : rapport du préfet du 14 novembre 1927 et ci-dessous chapitre 2 p. 103, « l’affaire (...)
  • 59 Sans doute à cause de l’extrême faiblesse du PCF en Ille-et-Vilaine.

49Le PCF, lui, reste un petit parti ultra-minoritaire pendant toute la période avec moins de 5 % des suffrages exprimés. La croissance de 1924 à 1928 est due à une meilleure implantation du PCF, désormais un peu plus présent dans le milieu ouvrier départemental, grâce en particulier à l’action du nouveau secrétaire fédéral Carré58 ; le revirement de 1932 par rapport à 1928 est la conséquence directe de l’application de la tactique « classe contre classe » qui ne s’est pas vraiment fait sentir en 192859. Enfin, les élections de 1936 permettent au PCF de doubler ses voix avec 3,33 % ce qui est le meilleur résultat depuis sa création ; il est vrai que dans la circonscription de Vitré, son candidat est le seul représentant du Front populaire, cela contribue à donner quelques voix supplémentaires au candidat communiste.

  • 60 C’est le VIIIe Plenum du Komintern qui a défini cette tactique ; Tartakowski (Danielle), op. cit., (...)

50En effet, la SFIO et le PCF à partir de la mise en place du scrutin d’arrondissement n’adoptent pas la même tactique. Le parti communiste présente des candidats partout ; dans le cadre de la st Patégie « classe contre classe » adoptée par le Comité central des 9 et 10 novembre 192760, il n’est pas question de faire alliance avec qui que ce soit, si bien que le PCF est présent non seulement au premier tour mais aussi au second tour. En revanche, la SFIO ne disperse pas ses efforts et présente des candidats là où elle a une infrastructure suffisante pour soutenir son candidat, si bien que certaines circonscriptions sont systématiquement négligées en 1932 et 1936 comme celles de Montfort, Redon et Vitré ; cela rend d’autant plus remarquable la progression des voix socialistes en 1936 par rapport à 1932.

51La gauche marxiste, socialistes et communistes confondus, voit les suffrages se diriger vers elle en nombre de plus en plus élevé puisque le pourcentage de croissance entre 1919 et 1936 est de +111,30 %, soit beaucoup plus que l’augmentation du nombre total de votants. Les autres tendances connaissent une croissance globale inférieure à celle de la masse des votants. Cependant, si la droite suit presque la même évolution que celle de l’ensemble des votants, la gauche républicaine perd 40,28 % des voix, ce qui est bien supérieur à la baisse perceptible à travers les suffrages exprimés et montre une rupture dans l’équilibre des forces politiques. On peut y voir un détachement vis-à-vis de partis au pouvoir, discrédités dans les années trente, et vis-à-vis d’élus dont la pratique locale ne se distingue guère de celle des élus de droite. Le vote de ces électeurs de gauche se dirige alors vers des partis « neufs », porteurs d’espérance.

Une géographie politique immuable

52Sur les cartes électorales se détachent l’évolution des différentes tendances et la diversité politique du département visible à l’échelon de chaque arrondissement mais aussi parfois à l’intérieur d’un même canton. L’existence ou non d’une dichotomie entre le vote des villes et celui des communes rurales de leur canton, voire entre le chef-lieu de canton et les autres communes, est révélatrice et dépend du poids électoral de la ville par rapport à sa campagne, poids variable comme le montre le tableau ci-dessous.

  • 61 Pourcentage des électeurs inscrits dans la ville par rapport aux électeurs inscrits dans son (ou s (...)

Tableau n°5 : Poids électoral des villes dans leurs cantonsen 1924 et en 193661.

Tableau n°5 : Poids électoral des villes dans leurs cantonsen 1924 et en 193661.

53Le poids électoral des villes par rapport à leurs cantons oscille entre 35 % environ à Vitré à plus de 80 % à Saint-Servan en 1924. Ces divergences de représentation électorale se manifestent dans la symbiose ou la non-symbiose politique des villes avec leur environnement.

54Pour essayer de déterminer les zones d’implantation privilégiée de la droite et de la gauche, la classification en cinq familles politiques a été reprise en s’appuyant sur la tendance à laquelle appartient le candidat placé en tête du premier tour. Une première carte (n°2) permet de déterminer les bastions de la droite et de la gauche républicaine dans le département.

55— Les bastions de la droite ou une droite « frontalière »

56Tout au long de la période, 33 cantons sur 43 votent prioritairement pour un candidat de la droite au premier tour ; de 1919 à 1936, les pourcentages exprimés en faveur de la droite témoignent de l’homogénéité et de la solidité de la droite dont les bastions sont les bordures occidentale, méridionale et orientale du département où elle obtient plus de 50 % des suffrages exprimés pendant toute la période.

Carte n° 2. Candidat arrivé en tête au premier tour des élections législatives de 1919 à 1936

Carte n° 2. Candidat arrivé en tête au premier tour des élections législatives de 1919 à 1936

57Les villes y ont cependant un vote plus nuancé :

Tableau n°6 : Pourcentage moyen obtenu par les candidats dans les principales villes de la région conservatrice entre 1919 et 1936.

Tableau n°6 : Pourcentage moyen obtenu par les candidats dans les principales villes de la région conservatrice entre 1919 et 1936.

(1) calcul sur trois élections

58Ni Fougères ni Vitré ne placent en tête un candidat de gauche, mais de justesse et uniquement parce que la gauche est divisée. À Fougères, en additionnant les suffrages de la gauche républicaine et de la SFIO, l’on obtient une majorité de gauche avec une prépondérance de la SFIO. Il est certain que cette ville de petits artisans et d’ouvriers est très largement divisée politiquement, en corrélation avec la diversité de sa structure socio-professionnelle mais avec une préférence pour la gauche. À Vitré, c’est à peu près le même processus, mais la situation y est un peu plus complexe. L’équilibre des voix entre la droite et la gauche républicaine y est quasi total. Mais si la gauche républicaine est présente en tant que telle jusqu’en 1932, en 1936 elle n’existe plus et est « remplacée » par un candidat PDP tandis que dans la gauche marxiste, seul le PCF se présente. Etant donné cette configuration électorale particulière, on peut penser que les électeurs socialistes votent communiste donnant un résultat exceptionnel au PCF (plus du quart des suffrages exprimés). L’apparent accord entre Fougères, Vitré et leurs campagnes est en réalité le résultat d’une division de la gauche.

  • 62 avec les deux tiers des voix.

59Au sud, Redon apparaît bien isolée ; seule ville un peu importante de tout l’arrondissement, elle est la seule à mettre en avant un candidat de gauche. À deux reprises, elle lui donne la majorité absolue en 192862 et en 1936 ; cette domination de la gauche est encore renforcée si l’on y ajoute les voix recueillies par la SFIO. La ville est plus à gauche, plus bleue et plus rouge que son canton voire que son arrondissement à une ou deux exceptions près.

  • 63 C’est le cas de Laignelet, au nord-ouest de Fougères, mais elle a une population ouvrière travaill (...)
  • 64 Dans le canton d’Argentré-du-Plessis, environ 600 habitants; la droite fait même l’unanimité des v (...)
  • 65 Monnier (Jean-Jacques), Géographie de l’opinion politique en Ille-et-Vilaine, Rennes, thèse de 3e (...)

60Les villes sont plus à gauche que leurs cantons et a fortiori que leur arrondissement dans cette zone dominée par la droite. Dans les communes rurales, rares sont celles qui votent prioritairement pour un candidat de gauche63. Les pourcentages obtenus par la droite y sont très élevés dépassant partout 60 % pour les plus faibles et jusqu’à 92,14 % de moyenne (!) pour la commune de Torcé64. La bordure orientale du département est originale par la force de l’implantation de la droite qui y règne quasiment sans partage et n’est guère contestée. On a affaire là à une véritable « région-fossile » où l’on retrouve tous les ingrédients classiques : opposition ville-campagne, omniprésence de la droite la plus traditionnelle, le rôle associé de l’Eglise et du château65. Dans le sud du département, la prépondérance de la droite n’est pas aussi forte ; l’hégémonie de la droite y est un peu plus tempérée, moins pesante, même si elle est réelle.

  • 66 Ci-dessus tableau n°5 p. 40 : « Nombre de voix recueillies par la SFIO et le PCF ».
  • 67 Soit plus de 13 000 voix.
  • 68 Un ancien ministre Louis Deschamps, le président du Conseil général Charles Guernier qui conduit l (...)
  • 69 ADIV-3 M 342 ; rapport du préfet du 12 avril 1924.
  • 70 Il rejette le Cartel des gauches et la liste menée par Guernier estimant que « voter pour le Carte (...)
  • 71 ADIV-3 M 342 : rapport du préfet du 1er février 1924.
  • 72 Contrairement à la gauche où les radicaux et la SFIO n’ont pas réussi à s’entendre pour faire une (...)
  • 73 Rémond (René), Notre siècle, op. cit., p. 85.

61Ces forteresses de la droite ne sont cependant pas insensibles au mode de scrutin et aux hommes, voire à la conjoncture comme en 1924 où les seuls cantons à échapper à son emprise sont celui de Guichen et les cantons du nord-ouest du département et encore est-ce relatif! On a bien là un « raz-de-marée » de la droite dont la liste est effectivement élue en totalité. Pourquoi ? Ce n’est pas dû uniquement à une plus grande division de la gauche ; certes, face à la liste de droite, trois listes s’affrontent mais les listes SFIO et PCF totalisent à peu près le même nombre de voix qu’en 1919 la seule SFIO et ceci pour un nombre total de votants équivalent66, ce ne sont pas les électeurs de la SFIO et du PCF qui ont changé d’opinion. Le glissement s’est clairement réalisé entre la liste de droite (+29,40 %) et celle de la gauche républicaine qui perd un tiers de ses électeurs67. La liste de concentration républicaine compte pourtant trois figures départementales importantes68, mais cinq radicaux-socialistes sur la même liste, c’est trop dans un département « où la population est demeurée attachée à ses traditions profondément religieuses et où la suspicion d’anticléricalisme (...) suffit à jeter la déconsidération sur l’homme le plus honorable »69. Quant à la droite, elle axe sa propagande contre le Cartel des gauches insistant sur les risques encourus par l’Église avec la remise en cause probable des relations diplomatiques avec le Vatican et un durcissement possible dans le domaine de l’enseignement. Cette attitude est soutenue par Le Nouvelliste de Bretagne et L’Ouest-Éclair70, les deux quotidiens les plus lus dans le département et représentant les deux tendances du monde catholique. La droite bénéficie d’une organisation solide avec le comité d’Union nationale dont les cadres sont fournis le plus souvent par le clergé et par des laïcs militants. Ce qui est le dénominateur commun de cette droite, c’est effectivement l’Église au point que le préfet en vient à dire à propos des candidats de la droite et de leurs électeurs que « leur chef véritable est Mgr Charost, cardinal-archevêque de Rennes ; leur programme commun c’est la lutte contre l’école laïque et la protestation permanente contre la prétendue spoliation de l’Église par l’État »71. Il rappelle en effet les deux composantes de la liste de droite en 1919 comme en 1924 : « Ceux que l’on continue à désigner sous le nom de « chouans » et qui, de fait, demeurent hostiles au régime républicain, et les « libéraux » ou progressistes de droite, qui admettent la constitution républicaine tout en répudiant la laïcité de l’État». Dans ce département fortement pratiquant, la droite a su rester unie72; la polémique instaurée sur le thème de la liberté de l’enseignement et sur le problème des réparations allemandes non payées, l’absence d’union à gauche ont un effet d’entraînement et permettent le succès de la droite, confirmante contrario l’analyse de René Rémond pour l’ensemble de la France dans laquelle il estime que c’est la division de la droite qui en lui enlevant la prime à la majorité -compte tenu du mode de scrutin à la proportionnelle-lui fait perdre la majorité à la Chambre73.

62Le changement de mode de scrutin en 1928 personnalise les élections et, les courants politiques représentés ne sont pas forcément les mêmes d’une circonscription à l’autre, enfin des candidats PDP, nouveaux venus, mordent un peu sur la clientèle de la droite classique dont les bastions traditionnels sont quelque peu entamés.

  • 74 L’Ouest-Éclair, 19 avril 1928.
  • 75 Le Nouvelliste de Bretagne, 18 avril 1928. Journal de l’archevêché, il exprime les positions de la (...)
  • 76 Ce qui dans ce cas relativise l’impact de la presse écrite dans les zones rurales au profit du con (...)
  • 77 L’Ouest-Éclair, 19 avril 1928.
  • 78 Rupied, notaire, apparaît comme l’homme des grands propriétaires nobles et des notables de cette r (...)

63Ainsi dans la circonscription de Montfort, le candidat de droite Barbot affronte un candidat soutenu par L’Ouest-Éclair, Armand Le Douarec74 qui jouit d’une certaine estime comme avocat catholique et député sortant. De plus, Le Nouvelliste de Bretagne, le soutient également en précisant : « Nos amis constateront que nous leur recommandons de voter pour des candidats démocrates présentés par L’Ouest-Éclair. Nous sommes en effet ici partisans de l’union la plus large contre le Cartel des Gauches »75. Cette prise de position anticartelliste n’est pas en soi dirigée contre Barbot mais celui-ci, mécanicien agricole, ne semble pas aux yeux du Nouvelliste capable de remporter les élections. Aussi donne-t-il un peu la « prime au sortant » ; Barbot est cependant élu au second tour, bien que Le Douarec soit soutenu par la presse la plus lue du département76. Malgré cette victoire de Barbot, la droite perd des voix puisque votent pour Le Douarec à la fois des électeurs du centre, mais aussi des électeurs de la droite classique. De même dans la circonscription de Vitré, la présence de Bellanger, soutenu par L’Ouest-Éclair qui le qualifie de « républicain catholique »77, enlève des voix à la droite et empêche l’élection de son candidat78.

  • 79 Engagement de trois de ses ancêtres dans les Zouaves Pontificaux, son oncle était député royaliste (...)
  • 80 En Autriche au moment de la déclaration de guerre, il y est resté toute la guerre; il est de ce fa (...)
  • 81 ADIV-3 M 347 : rapport de police du 4 mars 1932.
  • 82 Le Nouvelliste de Bretagne, 30 avril 1932 et L’Ouest-Éclair, 28 et 29 avril 1932.
  • 83 Les bulletins de vote de ce dernier n’ont pas été retirés.
  • 84 Le Gonidec de Traissan s’est à nouveau clairement désisté en faveur de de Lyrot (ADIV-3 M 347: tra (...)

64Le rôle des hommes, des motivations à la fois idéologiques, mais aussi très personnelles des électeurs est confirmé en 1932, puisque les forteresses de la droite restent solides grâce à des hommes bien implantés, comme dans les circonscriptions de Montfort avec Barbot, de Redon avec Bret, de Fougères avec Lefas. La circonscription de Vitré, quant à elle, illustre à la fois le rôle de la personnalité des candidats et le poids de l’archevêché. Deux candidats conservateurs s’affrontent : de Lyrot et Le Gonidec de Traissan. Tous deux s’affirment catholiques ; tous deux se réclament de la politique de Tardieu ; sur le fond, ils n’ont pas de fortes divergences mais si tous deux se veulent républicains, Le Gonidec de Traissan revendique aussi sa tradition familiale79 ce qui le fait apparaître comme moins bon républicain que son adversaire. D’autre part, de Lyrot fait l’objet de vives controverses dans le monde combattant80 au point qu’en février 1932, il semble dans l’incapacité de faire le plein des voix de la droite, le maire de Vitré aurait alors suscité la candidature de Le Gonidec de Traissan81. Si de Lyrot est clairement soutenu par Le Nouvelliste de Bretagne et L’ Ouest-Éclair, la candidature de Le Gonidec de Traissan sans être combattue est déplorée par ces deux journaux. Deux « coups de théâtre » successifs viennent clarifier la situation ; d’une part l’archevêque de Rennes, dans le cadre d’un démenti, manifeste sa confiance à de Lyrot deux jours avant le scrutin du premier tour et d’autre part, pour faire bonne mesure, Le Gonidec de Traissan annonce presque simultanément son désistement avant le premier tour en faveur de de Lyrot, enfin ce dernier reçoit l’appui de la FNC82. Face à cette confusion à droite, un seul candidat républicain, Bellanger, député sortant qui semble assurer du succès. Les résultats du premier tour témoignent de cette situation incertaine puisque Bellanger recueille 9 373 voix, de Lyrot 6 376 et Le Gonidec de Traissan 2 52583. La pression exercée par certains Anciens Combattants n’a pas suffi à faire échouer de Lyrot et l’appui de l’archevêque a dû être déterminant. Bellanger, lui, recueille un nombre de voix à peine supérieur à celles des conservateurs. La campagne est vive entre les deux tours et le second tour est favorable à de Lyrot84. La circonscription retrouve ainsi un député conservateur, l’élection de Bellanger en 1928 n’est plus qu’un épiphénomène.

  • 85 Cf. ci-dessous ch. 2 p. 92-93.

65La circonscription de Vitré, en 1936, continue d’ailleurs d’avoir un « trop-plein » de candidats à droite dans une lutte électorale où le PDP et le communiste en sont réduits à faire de la figuration. De Lyrot a pour lui d’être le député sortant, mais propriétaire terrien, vicomte, il trouve face à lui, Bohuon, lieutenant de Dorgères, au sein du mouvement de Défense paysanne85. Bohuon argumente sur le mécontentement des agriculteurs en déclarant que seul un agriculteur comme lui peut vraiment défendre les petits agriculteurs victimes de la mévente des produits agricoles et de fermages trop élevés.

  • 86 Le Nouvelliste de Bretagne, 25 avril 1936. Cette position d’observateur est nouvelle, on peut y vo (...)
  • 87 Défense paysanne a dépassé les 10 000 adhérents en Ille-et-Vilaine peu après ces élections. Cf. OR (...)

66Si L’Ouest-Éclair soutient le candidat du PDP, Bastianelli, en revanche Le Nouvelliste de Bretagne ne prend pas position sauf pour dire naturellement son opposition au candidat communiste (seul représentant des partis du Front populaire), mais autrement il ne voit pas la nécessité de se déclarer pour tel ou tel candidat considérant que « les candidats sont personnellement en accord avec les convictions de l’immense majorité »86. Au premier tour, Bohuon devance de Lyrot. Pour le second tour, Bastianelli se désiste sans préciser en faveur de qui, L’Ouest-Éclair reste tout aussi silencieux ; là encore, Le Nouvelliste de Bretagne ne départage pas les candidats ; quant à l’UNC, elle prend clairement position pour Bohuon, de Lyrot étant toujours soupçonné dans le milieu des Anciens Combattants. Malgré cela, malgré le développement incontestable du dorgérisme en Ille-et-Vilaine87, de Lyrot est réélu avec plus de 49 % des voix contre 41 % à Bohuon, le candidat communiste ne recueillant que 9 % des suffrages exprimés.

  • 88 Lagrée (Michel), « La structure pérenne, événement et histoire en Bretagne orientale, xvie-xxe siè (...)

67De 1919 à 1936, l’implantation de la droite est d’une grande permanence avec la présence de véritables forteresses qui ne sont guère entamées. Certes, les hommes, le mode de scrutin sont des facteurs explicatifs, plus rarement les programmes. Dans quelques cas cette explication reste superficielle. L’« événement-matrice »88 qu’est la Révolution française pèse et son héritage est à mesurer non pas au niveau du canton mais plutôt à celui de la commune car c’est là bien souvent que s’est forgée la mémoire collective ; enfin d’autres éléments interviennent dont la structure socio-économique, le poids de l’Église, etc. Mais avant même de tenter d’expliquer les causes de ces permanences ou de ces hésitations, de comprendre sur quels fondements elles reposent, il faut essayer de mesurer l’importance réelle de celles-ci en étudiant le « négatif » théorique de la droite classique : la gauche non marxiste, républicaine, bref les Bleus face à la droite.

68— Des « Bleus » contestés dans leur fief ou une « dorsale » qui s’amenuise

  • 89 Cf. ci-dessus p. 38 et suivantes.

69La gauche républicaine qui refuse tout à la fois le marxisme et le cléricalisme, se situe dans le droit fil de l’héritage républicain laïque, mais la ligne de partage avec certains candidats du centre est parfois ambiguë. Si de 1919 à 1936, cette gauche est élue par près d’un électeur sur trois, elle réalise ses meilleurs résultats en 1928 et ses plus mauvais en 1936. Or, en 1928, la droite est affaiblie pour la première fois par des voix qui se portent vers des candidats du PDP, tandis qu’à gauche la SFIO et le PCF se maintiennent. En 1936, cette gauche républicaine, héritière des Bleus, est laminée à la fois sur sa droite et sur sa gauche. Sur sa droite, à cause des suffrages qui se portent vers des candidats comme La Chambre ou Guernier qui ont quitté momentanément la mouvance de la gauche républicaine, stricto sensu, pour des raisons tactiques plus que pour des raisons de fond ; en fait, cet affaiblissement relatif de la gauche républicaine témoigne d’une lente transformation de la droite elle-même qui, en 1936, se républicanise et passe du “blanc” au “bleuâtre”. En même temps, à gauche, la SFIO et le PCF bénéficient89 de l’atmosphère d’union née du Front populaire et des espoirs qu’il suscite chez les ouvriers et employés principalement.

  • 90 Dupuy (Roger), De la révolution à la chouannerie : paysans en Bretagne, 1788-1794, Flammarion, 198 (...)

70La moyenne des pourcentages obtenus de 1919 à 1936 par la gauche républicaine et par la SFIO permet d’obtenir une carte (n°3 p.51) de la gauche non communiste, véritable antithèse de la droite. La « discipline républicaine » s’est souvent exercée entre ces deux forces qui s’appuient sur le même fonds laïque et républicain, respectueux des institutions de la IIP République, contrairement au PCF. Le résultat est une carte correspondant tout à fait à la « dorsale républicaine » et à celle du patriotisme rural de 179290 allant des cantons de Retiers-Guichen à celui de Cancale en passant par Rennes et en s’élargissant de plus en plus vers le nord. Les réticences de Dinard et de Saint-Malo s’expliquent par le poids de La Chambre et son virage vers le centre. Cette carte montre aussi que pour obtenir une majorité de gauche, le rôle de la SFIO n’est pas négligeable, bien au contraire.

  • 91 Cf. les cartes sur « le serment du clergé-1791 », sur « les clubs et les gardes nationales-1792 », (...)
  • 92 Ceux de Saint-Servan, Saint-Malo, Cancale et Dol.

71De 1919 à 1936, 10 cantons sur 43, mettent en tête un candidat de la gauche républicaine ; la plupart sont au nord du département à l’exception, au sud, des cantons de Guichen et de Retiers. Cette géographie de la gauche républicaine n’est pas surprenante et correspond aux cantons traditionnellement bleus et cela, depuis la Révolution française, surtout pour les cantons de Guichen et de Retiers qui montrent une belle constance depuis la Constitution civile du clergé de 179191. En revanche, certains cantons sont disputés entre la gauche et la droite avec de faibles écarts de voix92. La même situation écartelée se reproduit dans les deux cantons de Rennes-Sud qui en ville ont une population d’ouvriers et de cheminots. Ces cantons disputés sont aussi ceux qui comprennent les trois villes importantes de cette zone.

Tableau n°7 : Pourcentage moyen obtenu par les candidats dans les villes de la zone républicaine entre 1919 et 1936.

Tableau n°7 : Pourcentage moyen obtenu par les candidats dans les villes de la zone républicaine entre 1919 et 1936.

(1) calcul sur trois élections

  • 93 Le poids de la famille La Chambre et la localisation du port expliquent la différence de vote entr (...)

72Les choix idéologiques de ces villes sont clairs. Le candidat de la gauche républicaine arrive en tête lors du premier tour des élections législatives, et, dans le cas de Rennes, les électeurs donnent même la priorité au candidat socialiste ; c’est encore plus vrai dans la partie sud de la ville. Les deux villes côtières de Saint-Malo et de Saint-Servan ont aussi un vote favorable à la gauche républicaine mais avec des nuances. Saint-Malo vote constamment plus à gauche que Saint-Servan et la SFIO y recueille un pourcentage de voix qui varie du cinquième des suffrages exprimés à plus de 45 % en 1932, si bien qu’à Saint-Malo l’addition des voix de la gauche républicaine et de la SFIO donne une confortable majorité à la gauche. En revanche, Saint- Servan est plus inconstante en partie sous l’influence de Guy La Chambre qui en est originaire. Ces deux villes côtières sont ancrées à gauche même si à Saint-Servan joue la personnalisation. La présence d’un port de commerce important, à Saint-Malo même, et, de dockers, d’ouvriers, d’une organisation syndicale solide93 n’est pas étrangère à cette orientation.

  • 94 ADIV-10 M (60Mal3) : état des effectifs de l’imprimerie Oberthür -29 mars 1920 et AN F7 12901 : ra (...)
  • 95 Cf. ci-dessous les élections municipales, p. 70 et suivantes.
  • 96 Il importe de savoir ce qui a fondé cette image et, en particulier, si dans la mémoire collective (...)

73Quant à la préfecture départementale, elle est la ville la plus importante mais reste d’une taille modeste ; toutefois, sa population totale passe de 82 241 à 98 538 habitants entre 1921 et 1936 et son poids dans la population départementale augmente d’environ 3 %. Il n’empêche que cette ville reste dominée apparemment par une bourgeoisie de fonction plus que de chefs d’entreprise et est définie par les préfets comme une ville bourgeoise. Malgré tout, il existe dans cette ville quelques ensembles ouvriers, bien différents : l’imprimerie Oberthür (800 ouvriers environ)94, l’Arsenal et les Ateliers des chemins de fer, ces deux derniers dépendent de l’État. Autant les ouvriers de chez Oberthür sont réputés pour leur « calme », autant ceux de l’Arsenal et des chemins de fer le sont pour être « rouges ». Ces derniers travaillent et habitent au sud de Rennes et c’est cette partie de la ville qui est la plus nettement favorable aux candidats socialistes, le nord-est étant le quartier bourgeois, résidentiel. Or, Rennes donne ses préférences au candidat socialiste et à ceux de la gauche républicaine. Ainsi, cette ville réputée bourgeoise, calme est loin d’être acquise à la droite traditionnelle95 ; cette idée reçue complaisamment rapportée par les préfets et colportée par la mémoire collective se révèle fausse pour l’entre-deux-guerres à travers les élections législatives qui font voler en éclat ce préjugé96.

  • 97 Mais à l’époque du Front populaire et sans candidat socialiste ni de la gauche républicaine !

74Cette première approche permet de préciser que le vote des villes de la zone républicaine n’est pas manichéen ; il est dans l’ensemble assez partagé entre les trois grandes tendances de l’entre-deux-guerres, mais y donne une suprématie à la gauche et cela à la différence de leurs cantons, mais là encore, la rupture n’est pas aussi totale qu’on aurait pu le penser a priori et la coupure ville-campagne semble bien être en partie un concept heuristique mal approprié dans ce département sauf pour Redon. Une particularité pour ces villes : le vote communiste. Si pour l’ensemble du département et de la période, il est très faible, il existe cependant des différences non négligeables entre les villes et les campagnes sur ce point. Dans les communes rurales, le pourcentage de voix du PCF est généralement de l’ordre de 1 à 2 %. Dans les villes, il atteint assez fréquemment 4 à 5 % des suffrages exprimés et même à Vitré en 1936 : 25 %97. À part ce cas particulier, l’écart des voix obtenues dans les villes et selon les élections varie de 1 % (Vitré en 1924) à près de 9 % (à Rennes en 1928). C’est à Rennes qu’il obtient ses meilleurs résultats avec une moyenne de 5,23 %. Sauf circonstances particulières, le PCF ne réussit jamais à percer véritablement dans ce département rural, catholique pratiquant et sans beaucoup d’industries de main-d’œuvre.

  • 98 Châteauneuf au nord, Antrain, Saint-Aubin-d’Aubigné et Saint-Aubin-du-Cormier au nord-est et Janzé (...)
  • 99 La Guerche-de-Bretagne, Le Theil, Sainte-Colombe, Coësmes et Thourie.

75Dans cette « dorsale républicaine », les rapports de force sont en constante évolution, voire instables. Les bastions de la gauche républicaine ne sont pas aussi dominateurs que ceux de la droite puisque seuls deux cantons (Guichen et Retiers au sud) lui donnent la majorité pour toute la période. Malgré tout, six autres cantons lui accordent 40 à 50 % des suffrages exprimés98. Dans cette zone, rares sont les cantons qui votent d’un seul bloc ; les communes qui les composent ont souvent des traditions différentes. Par exemple, au sud-est du département, à cheval sur deux cantons, un petit bloc de cinq-six communes99 se caractérise par des activités économiques un peu différentes de celles des autres communes rurales puisque des carrières d’ardoises y sont exploitées suscitant une population ouvrière plus frondeuse que le reste de la population et qui donne toujours une majorité à la gauche. Le même phénomène se reproduit dans le canton de Saint-Aubin-d’Aubigné, où votent majoritairement et constamment pour la gauche républicaine des communes comme Feins, Vieux-Vy-sur-Couësnon,... communes où une population ouvrière, travaillant dans les carrières de granit, vote plus volontiers à gauche.

  • 100 Dupuy (Roger), La Garde Nationale et les débuts de la révolution en Ille-et-Vilaine (1789-mars 179 (...)
  • 101 Lagrée (Michel), « op. cit. ».

76Pour les communes comme pour les cantons, l’addition des voix obtenues par la gauche républicaine et la SFIO de 1919 à 1936 (cartes n° 3 et 4) montre du canton de Guichen à celui d’Antrain inclus, une zone de communes quasi continue qui donne la majorité à la gauche, fortement appuyée sur la SFIO au centre et au centre-nord. En outre, dans la mouvance de ces communes qui votent majoritairement à gauche, d’autres donnent 40 à 50 % des suffrages exprimés par la gauche formant un ensemble continu et assez homogène, colonne vertébrale du département allant du sud (La Guerche-de-Bretagne/Bain-de-Bretagne) à la côte en passant par Rennes. Certaines de ces attitudes trouvent leur racine à l’époque de la Révolution. Les communes de Retiers, Le Theil, Guichen, Guignen, Rennes, Vitré et Fougères, le canton de Saint-Aubin-d’Aubigné, les communes de Saint-Aubin-du-Cormier, Antrain, Dol-de-Bretagne, Saint-Malo, Saint-Servan combattent en 1793 les paroisses qui s’insurgent contre la levée en masse 100. Ces mêmes paroisses sont considérées comme patriotes en l’an VII (1798/1799) ; d’autres, dans leur mouvance, possèdent de « fortes minorités patriotes » comme celles des cantons d’Antrain et de Liffré. Si on peut retrouver une parenté d’attitude par delà les décennies, cette « structure pérenne » 101 n’est pas systématique. C’est ainsi que les communes de Thourie, de Teillay, Ercé-en-Lamée qui sont favorables à la gauche de 1919 à 1936, sont indifférentes, voire totalement hostiles à la Révolution en l’an VII.

77La mentalité révélée par les élections naît souvent d’une culture politique forgée aux débuts de la Révolution ce qui rejoint les analyses faites par Siegfried, mais il ne faut pas à mon sens en exagérer le poids. Cette explication ne concerne que quelques communes ou cantons, véritables régions de « mémoire fossilisée » dont le fleuron pour la droite est le canton d’Argentré-du-Plessis. Pour les autres communes et cantons c’est-à-dire la majorité, d’autres facteurs interviennent telles les conditions socio-économiques.

  • 102 Respectivement, les cantons de Rennes Sud-Est et Rennes Sud-Ouest, de Guichen, de Retiers et de La (...)
  • 103 La seule où un canton, celui de Rennes Sud-Est, élit régulièrement un conseiller général SFIO, Eug (...)
  • 104 Berstein (Serge), op. cit.. tome 2 : Crise du radicalisme, PFNSP, 1982, p. 160-171.

78De 1919 à 1936, l’évolution géographique de la gauche républicaine à l’intérieur même de sa zone de prédilection exprime un caractère défensif, instable (cartes n°5 et 6) ; presque à chaque élection, la force de son électorat varie. Son influence ne cesse de se réduire. Pendant les années vingt, quel que soit le mode de scrutin, le rôle des hommes est réel comme le montrent les pourcentages obtenus dans tel ou tel canton, mais les traditions locales pèsent aussi lourdement. Il s’instaure une sorte de va-et-vient entre la personnalité du candidat, puis de l’élu et ses électeurs ; en l’absence de notable installé, les mentalités politiques traditionnelles tendent à l’emporter. Au début des années trente, les élections de 1932 marquent un tournant, la géographie électorale traditionnelle semble en effet sérieusement ébranlée ; la carte n°6 est étrangement vide, atypique : cinq cantons seulement accordent plus de la moitié de leurs suffrages à la gauche républicaine102. Elle maintient une partie de ses bastions avec en particulier la seconde circonscription de Rennes103 où l’affrontement est idéologique et porte sur les thèmes-clés des élections des années trente et les solutions proposées : crise économique, réforme de l’État, défense de la République, lutte contre le fascisme, etc. Le débat y est proche des débats nationaux et n’est pas occulté par la « notabilité » des candidats. L’absence de la gauche républicaine dans l’arrondissement de Saint-Malo est au contraire révélatrice du rôle décisif des notables. En effet, dans la première circonscription de Saint-Malo, Guernier, et, dans la seconde, La Chambre sont les députés sortants. Or, tous les deux ont infléchi leurs choix politiques. Pendant la législature qui vient de s’écouler, Guernier a très souvent voté avec la droite, et La Chambre soit avec la droite, soit avec la gauche. Leurs professions de foi marquent cette évolution vers le centre, centre-gauche ou centre-droit, mais les électeurs votent sur leur nom et non sur les étiquettes. Pendant cette législature, leur évolution a été quasiment à contre-courant de celle du Parti radical qui, à ce moment-là, s’éloigne progressivement d’une alliance avec le centre-droit et s’oriente à «contrecœur » vers une opposition de gauche104.

Carte n°3. Moyenne des suffrages exprimés aux élections législatives de 1919 à 1936 pour la gauche républicaine et la SFIO

Carte n°3. Moyenne des suffrages exprimés aux élections législatives de 1919 à 1936 pour la gauche républicaine et la SFIO

Carte n°4. La gauche républicaine et la SFIO dans la « Dorsale républicaine » de 1919 à 1936

Carte n°4. La gauche républicaine et la SFIO dans la « Dorsale républicaine » de 1919 à 1936

Carte n°5. La gauche républicaine en 1919

Carte n°5. La gauche républicaine en 1919

Carte n°6. La gauche républicaine en 1932

Carte n°6. La gauche républicaine en 1932
  • 105 ADIV-3 M 354.

79En 1936, la « dorsale républicaine » connaît la même amputation qu’en 1932. La véritable nouveauté est que les deux circonscriptions de Rennes connaissent une campagne électorale nettement pro ou anti-Front populaire conduisant à une lutte serrée. Par exemple, dans la première circonscription de Rennes, six candidats se présentent aux élections dont deux radicaux-indépendants, un républicain de gauche, le secrétaire fédéral du PCF d’Ille-et-Vilaine, Émile Drouillas, le secrétaire fédéral de la SFIO, Albert Aubry et Pinault, député PDP sortant. Les voix s’éparpillent entre les opposants à Pinault qui n’obtient la majorité que dans le canton de Rennes-Nord-Est. Au second tour, situation rarissime, mais qui montre bien que l’affrontement local est dépassé par l’enjeu national, seuls deux candidats restent en lice : le député sortant et le candidat socialiste qui bénéficie du désistement du candidat communiste. La profession de foi d’Albert Aubry pour le second tour105 est de loin celle qui s’inscrit le plus vigoureusement dans le contexte national et international. La langue utilisée mélange à la fois le vocabulaire politique contemporain et le vocabulaire de la tradition révolutionnaire et républicaine, sollicitant la totalité de la mémoire collective :

« Il s’agit uniquement de battre la Réaction.
GAUCHE contre DROITE
Rien de plus. Rien de moins.
D’un côté : les CHOUANS. De l’autre : les RÉPUBLICAINS DE TOUTES NUANCES.
Dans cette union des gauches, dans cette union des vrais Républicains, deux buts à poursuivre :
LA LUTTE POUR LA PAIX d’abord !
LA LUTTE POUR LE TRAVAIL et le PAIN ENSUITE ! »

80Ce vigoureux appel témoigne de l’âpreté du combat électoral. Pinault l’emporte cependant au second tour avec près de 54 % des suffrages exprimés, et l’Ille-et-Vilaine n’a aucun élu de Front populaire (seul département breton dans ce cas) mais les voix des partis qui le composent, ont largement augmenté.

  • 106 cf. chapitres 3 et 4.

81Au terme de cette étude comparative sur l’évolution de l’implantation géographique de la droite et de la gauche républicaine, on peut noter que face à l’immuabilité de la droite, la gauche républicaine subit plus d’aléas. Elle est très sensible à la conjoncture et aux hommes, beaucoup plus qu’à des réflexes enracinés dans la mentalité collective à quelques exceptions près. Rares sont les cantons qui ont une attitude constante, le seul dans ce cas est celui de Guichen, c’est également vrai mais dans une moindre mesure pour ceux de Retiers, La Guerche-de-Bretagne, et Antrain. En revanche, la stabilité des cantons votant majoritairement à droite est forte comme s’il existait un ciment plus fort que pour la gauche : le fait majoritaire, le rôle unificateur de l’Église, la structure socio-économique n’y sont pas étrangers106.

  • 107 Ci-dessous chapitre 7.

82Cependant, un nouveau courant apparaît : le centre. Si le centre présente des contradictions, il représente aussi des forces nouvelles. Le centre- gauche représenté par La Chambre et Guernier montre en fait les transformations internes au radicalisme mais il annonce peut-être aussi l’effondrement de celui-ci après la guerre parce que ne correspondant plus aux aspirations des électeurs. En revanche, le centre lié au courant démocrate-chrétien exprime une mutation du catholicisme que concrétise déjà depuis 1899 L’Ouest-Éclair et qui commence à s’affirmer politiquement, quoique encore timidement. Sa présence, sa volonté de se démarquer de la droite traditionnelle sont des signes annonciateurs de transformations plus profondes de même que l’augmentation des candidatures PDP et que ce dernier envoie un membre de son comité directeur, Bastianelli dans une circonscription réputée pour son conservatisme et dans laquelle se présente l’adjoint de Dorgères. Tout ceci est un signe d’un mouvement plus profond qui s’exprime pleinement après la Seconde Guerre mondiale à travers l’essor du MRP107.

83Les deux autres courants, minoritaires, sont les deux partis SFIO et PCF se réclamant du marxisme. Tous deux sont manifestement pendant toute la période presque totalement en marge de l’échiquier politique départemental même si l’un et l’autre progressent en nombre de voix plus rapidement que l’ensemble des autres formations politiques. Cette progression, elle aussi, témoigne que le département « bouge », poussée qui tente de se concrétiser après la guerre.

84L’évolution des suffrages exprimés comme leur géographie donne en définitive une image nuancée de l’attitude politique de ce département. Si la permanence géographique est de rigueur pour la droite, elle devient peu à peu moins « blanche », tandis que l’ensemble de la gauche se réclamant du marxisme ne cesse de gagner du terrain et que commencent à s’opérer des reclassements au centre et dans la gauche républicaine. Ce mouvement encore sous-jacent avant 1939, confus dans son expression, est cependant visible dès le début des années trente qui marquent de ce point de vue un tournant dans l’évolution politique, elle-même expression de la mentalité collective de l’Ille-et-Vilaine ; la guerre contribue à le révéler et à l’exprimer. Le début des années trente apparaît comme un pivot pour la mentalité collective, alors que les années vingt ne sont que le prolongement ou la tentative de prolongement de l’avant-guerre.

85Les élections locales (cantonales, municipales) peuvent permettre d’apprécier s’il existe une analogie entre des élections contemporaines, mais dont l’enjeu est différent.

Les élections locales

86Les élections locales permettent de mieux saisir les notions de permanence, de rupture en relation avec la culture politique du département.

Les élections cantonales108

  • 108 ADIV-3 M 379 à 390, 2 Z 28 et 5 Z 27 pour toute cette partie sauf indication contraire.
  • 109 Cf. ci-dessus p. 29-33.

87Ces élections sont en France des élections locales particulièrement adaptées au monde rural et qui font émerger les notables locaux ; pour eux, ces élections sont l’acte de baptême de leur notabilité dont l’acte de naissance vient le plus souvent de leur profession et de leur famille, parfois d’un mandat municipal. Ces mêmes élections donnent souvent une assise solide à la carrière des députés109, leur servant tout à la fois de tremplin, de caution, de havre. Ils y font leurs premières armes de gestionnaire et de politicien, mais, le Conseil général est aussi pour une majorité des conseillers généraux le « bâton de maréchal » d’un maire, la reconnaissance de la notabilité à l’échelon départemental.

88Ces élections sont aussi un moyen d’apprécier l’état de l’opinion tous les trois ans (en raison du renouvellement partiel), l’évolution du rapport des forces. De 1919 à 1937, sept élections cantonales se déroulent; une seule, celle de 1919, renouvelle la totalité des conseillers généraux, la guerre n’ayant pas permis le déroulement d’élections. À cette époque, le clivage passe entre la droite cléricale et les républicains laïques plus qu’entre les partis politiques nationaux et la majorité au Conseil général se détermine en fonction des prises de position par rapport à la laïcité républicaine. On retrouve à cet échelon un langage directement issu de l’époque où le régime républicain n’était pas admis par tous. Le clivage droite/gauche correspond au clivage enseignement privé confessionnel/enseignement laïque comme le montrent à la fois les professions de foi, les débats au Conseil général, les résultats et les commentaires des autorités préfectorales.

89— Un Conseil général « bleu-blanc »

90Sur sept élections, la majorité du Conseil général revient aux républicains à quatre reprises :

Tableau n°8 : Répartition des sièges lors des élections au Conseil général d’Ille-et-Vilaine de 1919 à 1937.

Tableau n°8 : Répartition des sièges lors des élections au Conseil général d’Ille-et-Vilaine de 1919 à 1937.

(1) il meurt en 1921 et est remplacé par Guernier, radical-indépendant.
(2) il meurt en 1935 et est remplacé par Gasnier-Duparc, radical-socialiste.

  • 110 Signalons que parmi ceux classés comme républicains se trouve un conseiller général SFIO, Eugène Q (...)
  • 111 Goallou (Henri), « Pratique religieuse et opinions politiques en Ille-et-Vilaine à la fin du xixe (...)

91Pendant ces vingt années, les républicains110 ont plus souvent la majorité que la droite ce qui confirme l’analyse que fait Goallou pour la fin du xixe siècle en définissant ce département comme un département catholique républicain111. D’autre part, le président du Conseil général n’appartient pas toujours à la majorité de l’assemblée. Pour l’élection à la présidence du Conseil général, le facteur humain intervient à nouveau. En 1922, le Conseil général a une majorité de droite confortable, puisque l’écart est de sept sièges ; or, Ch. Guernier est élu président en 1921 après le décès de René Brice, vieille figure républicaine du département. Guernier est confirmé en 1922 en raison de sa personnalité : ancien ministre, juriste, républicain certes mais malgré tout modéré ; et la majorité de la droite est suffisamment nette pour qu’elle n’ait pas à craindre le poids du président lors de décisions importantes. Trois ans plus tard, la droite préfère élire son propre candidat ; ce revirement est lié à l’arrivée au pouvoir en France du Cartel des gauches qui relance une politique anticléricale, exacerbant les inquiétudes de la droite qui entend alors renforcer son emprise partout où elle le peut. Par la suite, la présidence du Conseil général est toujours assurée par un membre de sa majorité. Enfin, la majorité départementale ne correspond pas toujours à celle des législatives en particulier les deux années où ces élections ont lieu presque simultanément en 1919 et en 1928. Ainsi en 1928, les législatives donnent un résultat plus favorable à la droite ; mais les circonscriptions ne sont pas les mêmes, ni l’enjeu, ni le rôle des hommes.

  • 112 Onze d’entre eux appartiennent à la noblesse.

92Le Conseil général élu en 1919 l’a été en décembre c’est-à-dire moins d’un mois après les élections législatives et après la vague du Bloc national en France qui allie la droite et une partie des républicains modérés. Or, le Conseil général d’Ille-et-Vilaine comprend 22 conseillers généraux républicains et 20 conseillers généraux de droite, mais une bonne quinzaine de ces derniers appartiennent à la droite conservatrice, ralliée du bout des lèvres à la République112 et ils restent de fait monarchistes. Par rapport aux députés que le département vient d’élire, le Conseil général a finalement le même équilibre des forces politiques.

93La géographie électorale des cantonales (carte n°7) est tout aussi significative par rapport aux élections législatives. La carte montre des bordures toujours aussi favorables à la droite en particulier le môle immuable de Louvigné-du-Désert à Argentré-du-Plessis se prolongeant ici jusqu’à La Guerche-de-Bretagne, de même pour la pointe sud du département et l’ouest. Quant aux cantons républicains, ils occupent largement tout le nord du département, une grande partie du centre et même trois cantons au sud-est. Sans doute est-ce là encore une configuration très proche de celle de l’avant-guerre.

  • 113 La première série concerne 21 cantons et la deuxième 22 cantons répartis dans tous les arrondissem (...)
  • 114 Les cantons de Guichen, Janzé, Redon, Le Sel-de-Bretagne et Saint-Brice-en-Coglès.
  • 115 Où la population est composée d’agriculteurs mais aussi d’une population ouvrière de carriers.
  • 116 Cf. ci-dessus p. 47 et 50.

94C’est à partir de 1922 que les cantonales reprennent leur rythme triennal avec renouvellement partiel113. À chaque élection, un nombre de cantons non négligeable change d’orientation politique, cinq à six le plus souvent soit le cinquième des cantons. Au total, de 1922 à 1937, 23 cantons passent de la droite à la gauche ou vice versa et pour les 4/5 d’entre eux après une dure bataille électorale sans qu’il y ait retrait ou décès du conseiller général sortant. Cinq cantons changent d’orientation politique à deux reprises114 appartenant tous à la «dorsale républicaine» et déjà instables lors des élections législatives. Cette instabilité est due à la composition socioprofessionnelle du canton comme à Saint-Brice-en-Coglès115, à sa mémoire collective comme à Guichen116 mais aussi à des facteurs plus exceptionnels où événement local et conjoncture nationale peuvent se conjuguer. Sans analyser les changements d’attitude de chacun des cinq cantons précédemment cités, l’attitude de certains d’entre eux peut servir d’illustration.

  • 117 Arrêté du Conseil d’État du 13 avril 1927.

95Dans le canton de Guichen, on retrouve les hésitations dues à la double mémoire de ce canton (bleue et blanche). En 1925 comme en 1931, les mêmes adversaires s’affrontent : Huchet de Quénétain, maire de Saint-Senoux, et, Jaigu, candidat républicain. En 1925, la lutte est serrée entre Huchet de Quénétain et Jaigu, le nouvel élu, puisqu’une vingtaine de voix seulement les sépare ! Le faible écart entre les deux candidats en 1925 entraîne l’annulation de l’élection117 après plainte de Huchet de Quénétain ; de nouvelles élections se déroulent en juillet 1927 et Huchet de Quénétain est élu après le second tour. Ce dernier se représente en 1931 de même que Jaigu ; Huchet de Quénétain est réélu au second tour, mais comme en 1925 seulement une vingtaine de voix les sépare! La commune de Laillé restant de loin la plus hostile à la droite (252 voix au candidat républicain contre 99) et Guignen est la commune la plus divisée du canton avec 300 voix pour les républicains et 301 pour la droite ! Le canton de Guichen se comporte aux cantonales comme aux législatives, avec la même passion et les mêmes hésitations, héritage de son passé.

  • 118 Cressard (Antoine), L’Ouest-Éclair et la guerre civile espagnole, mémoire de maîtrise, université (...)
  • 119 Le Nouvelliste de Bretagne, 11 février 1934.
  • 120 ADIV-3 M 389 : rapport du sous-préfet de Redon, 14 juin 1937.

96Après le retrait de son conseiller général de Villoutreys, conservateur, le canton de Janzé élit Léon Thébault, aveugle de guerre, avocat, maire de Janzé, radical-indépendant qui devient ainsi conseiller général avant d’être élu député suivant les étapes classiques d’une carrière politique, non sans des batailles électorales assez serrées, le canton de Janzé n’étant pas spontanément acquis aux républicains comme le montrent les élections législatives de 1936 et les cantonales de 1937. Ces dernières se font directement sous l’influence des événements nationaux avec l’arrivée du Front populaire au pouvoir et internationaux avec le déroulement de la guerre civile espagnole dont rendent abondamment compte les deux quotidiens du département, Le Nouvelliste de Bretagne et L’Ouest-Éclair118. Dans le contexte de 1937, plus d’un an après la victoire du Front populaire, l’élection de Janzé a un caractère exemplaire à plus d’un titre. Trois candidats sont en présence : le communiste, le conservateur Lacire et Thébault, radical-indépendant. Ce dernier, conseiller général sortant, est député de la seconde circonscription de Rennes de 1932 à 1936. Ses prises de position lors du 6 février 1934 lui coûtent cher. En effet, le soir du 6 février, comme Guy La Chambre, il a voté pour le gouvernement Daladier. Aveugle de guerre, il est depuis 1919 le président de l’UNC d’Ille-et-Vilaine. Dès lors, il est en opposition avec les prises de position du bureau national de l’UNC et de la majorité de l’UNC en Ille-et-Vilaine. À l’assemblée générale de l’UNC d’Ille et-Vilaine, il donne sa démission de président départemental dans une lettre qui ne donne aucune explication officielle119 mais on peut penser qu’elle est directement liée à cette prise de position qui le situe expressément du côté des défenseurs de la IIIe République. La première sanction, il la connaît lors des élections législatives de 1936 où il perd son siège de député au profit de son adversaire Joly. Enfin, aux cantonales de 1937, son adversaire Lacire est élu assez largement avec plus de 56 % des voix contre environ 40 % à Thébault et 4 % au communiste. Thébault est victime de ses opinions bien qu’il ne soit nullement favorable au Front populaire, mais républicain modéré, il reste fidèle aux institutions de la IIIe République et refuse « tout excès » ; en cela il est très représentatif du républicanisme départemental modéré. En 1937 (carte n°8), la situation de Redon dépasse le cadre local et rejoint les préoccupations nationales avec l’apparition de candidats du PSF (Parti social français) tandis que l’Ille-et-Vilaine change de majorité. La campagne électorale est plus politisée que d’habitude. Trois candidats se présentent sous l’étiquette PSF : deux sont élus. Cette politisation des élections cantonales à laquelle on a déjà assisté pour le canton de Janzé, se retrouve pour les cantons de Redon et de Maure-de-Bretagne qui d’une certaine façon sont tout aussi exemplaires. Dans ces deux cantons, deux candidats PSF se présentent et sont élus : les frères Lagrée, nouveaux venus dans le monde politique, âgés d’une trentaine d’années, tous deux exerçant une profession libérale. Surtout, François Lagrée, médecin, est candidat à Redon contre le conseiller général sortant Leparoux, radical-socialiste et le socialiste Vibert. Or, il arrive en tête dans toutes les communes et obtient 65 % des suffrages avec un programme PSF. Cette propagande du PSF dont il est à Redon le président de section, est d’ailleurs soulignée par le sous-préfet qui s’en inquiète pour l’ensemble de l’arrondissement et tout particulièrement pour le canton de Redon. À cette inquiétude s’ajoute dès juin 1937 la campagne des comités de Défense paysanne « qui tend à faire naître chez les agriculteurs un certain mécontentement contre la politique sociale suivie par le gouvernement que, tendancieusement, on montre dirigé contre la classe paysanne » 120.

  • 121 comme à Antrain ou Dinard.

97D’une façon générale, ces élections de 1937 qui se déroulent plus d’un an après la victoire du Front populaire et près de quatre mois après la démission de Léon Blum, témoignent d’un changement de nature de ce type d’élections. Avec l’effritement de la position personnelle de certains conseillers généraux pourtant solidement installés, on constate un début de politisation de ces élections avec l’interférence -pour la première fois depuis 1919-des problèmes locaux et des problèmes nationaux dans un contexte international où la croissance du danger extérieur commence à être perçue par l’opinion. En effet, les conseillers généraux républicains réélus voient leur position électorale s’affaiblir121. En revanche, et c’est révélateur de l’évolution en cours dans le département, les candidats de droite maintiennent tous leur position, voire améliorent leurs résultats.

Carte n°7. Les conseillers généraux en 1919

Carte n°7. Les conseillers généraux en 1919

Carte n°8. Les conseillers généraux en 1937

Carte n°8. Les conseillers généraux en 1937
  • 122 ADIV-3 M 389 : Le Redonnais, 10 décembre 1938.
  • 123 Sans que l’on puisse dire d’ailleurs qu’il ait appartenu au PSF. Rappelons toutefois qu’à cette da (...)

98À Redon, la mort de F. Lagrée dans un accident de voiture en 1938 entraîne de nouvelles élections en décembre 1938. Elles donnent la victoire à Paul Richer, entrepreneur et maire de Redon depuis 1936 et à la tête d’une municipalité coupée en deux fractions presque égales (12 contre 11). Paul Richer prend l’étiquette « républicain national » et s’inscrit de fait dans la lignée de Lagrée. Son programme affirme son attachement à l’Église, au drapeau tricolore par opposition au drapeau rouge, enfin il souhaite tout favoriser « pour que la Mère reste à son foyer, afin d’y créer cette atmosphère indispensable au repos du père lorsqu’il rentre après sa journée de travail, mais surtout pour s’occuper de ses enfants »122. Programme caractéristique du PSF certes, mais aussi de l’ensemble de la droite classique et qui est bien dans l’air du temps à un moment où le déclin démographique de la France avec une mortalité supérieure à la natalité suscite une inquiétude d’autant plus vive que l’Allemagne a une croissance démographique constante et une population plus jeune. Ainsi, après la mort de F. Lagrée, lui succède sans difficulté un homme dont les convictions sont similaires123.

991937 signifie certes un changement de majorité sur le plan départemental, mais est-ce un frémissement de l’opinion ou un bouleversement en profondeur ? Sur les six cantons où un changement de majorité a lieu, la droite gagne environ 4 000 voix sur 17 666: le quart de l’électorat est gagné par la droite, une droite qui n’est plus blanche mais accepte la République. Cette nouvelle majorité est le signe moins d’un frémissement que d’un bouleversement plus profond de l’opinion publique dans ces cantons : « coup de tête » ? Mécontentement réel ? Amorce d’une évolution sur le plus long terme conduisant à une majorité départementale de droite plus permanente ? Le nombre de cantons touchés laisse plutôt penser à un réel mécontentement après un an de gouvernement de Front populaire.

100Si, sur l’ensemble de la période, les républicains dominent, les élections de 1937 marquent un double tournant : d’une part un accroissement des votes en faveur de la droite, d’autre part un début de « politisation » des cantonales. Les électeurs en 1937, dans les cantons concernés, choisissent des prises de position fermes ; l’acceptation de la République par l’ensemble de la droite fait que ce département catholique et républicain la rejoint d’autant plus volontiers que l’Église accompagne ce mouvement. Peut-être est-ce le signe d’une transformation en profondeur de la mentalité du département, mais n’est-ce pas aussi le signe, d’une transformation de la nature des élections cantonales. En effet, lors des élections législatives, la droite l’emporte assez largement ou à la rigueur le centre et les résultats dominants sont ceux d’un département modéré dans ses choix, y compris en 1936. Or, les cantonales de 1937, tout en donnant une courte victoire à la droite, n’indiquent pas un brusque virage vers des positions extrémistes ; à ce stade, l’élection de deux candidats PSF peut être interprétée soit comme un signe de durcissement des électeurs, soit comme un vote de protestation. La déclaration de guerre ne permet pas de tirer de conclusion définitive. Ces élections cantonales montrent une certaine sensibilité politique à la politique nationale dans les années trente où imperceptiblement ces préoccupations prennent le pas sur les problèmes locaux comme le confirment les programmes.

101— Les programmes

102Les programmes sont le reflet des préoccupations de l’électeur. Ils ne peuvent guère être appréhendés qu’à travers ceux qui ont été conservés (81 sur 97 pour les candidats élus).

  • 124 D’après Dumoulin (Sylvie), Les conseillers généraux en Ille-et-Vilaine pendant l’entre-deux-guerre (...)

Tableau n°9 : Thèmes des professions de foi lors des élections cantonales124.

Tableau n°9 : Thèmes des professions de foi lors des élections cantonales124.

103Sur l’ensemble de la période, deux thèmes dominent dans les 81 professions de foi étudiées : d’une part la défense des intérêts du canton et d’autre part, la politique intérieure et extérieure. Plus des 4/5 des professions de foi font allusion directement aux problèmes locaux, considérés comme déterminants par les candidats. Plus caractéristique de notre région est la présence en seconde position (près de la moitié des professions de foi) de la liberté d’enseignement, thème qui détermine le clivage politique à l’intérieur même de l’assemblée départementale. Ces deux thèmes (défense des intérêts du canton et liberté de l’enseignement) sont constamment évoqués, mais le premier tend à occuper plus de place dans les professions de foi des années vingt que dans celles des années trente.

104Le thème-roi, « attrape-tout » est celui de la défense des intérêts du canton qui recouvre surtout la création ou l’entretien des routes et l’électrification des campagnes. La plupart des routes sont seulement empierrées, parfois de simples chemins de terre, seules les routes nationales sont peu à peu goudronnées, d’où la volonté d’améliorer le réseau des chemins vicinaux dans une région où chaque agriculteur a ses parcelles éloignées les unes des autres et doit faire de nombreux trajets sur ces mêmes chemins à l’état déplorable en raison de l’humidité. Quant à l’électrification, elle est le cheval de bataille des communes et des cantons pendant toute cette période, mais en 1939 seuls les bourgs et quelques écarts sont électrifiés. Ces préoccupations se retrouvent au Conseil général, puisqu’à chaque séance ces deux problèmes reviennent régulièrement à l’ordre du jour et occupent une place importante dans les travaux de cette assemblée. La défense des intérêts du canton est naturelle et correspond au rôle du Conseil général, proche des préoccupations quotidiennes des habitants.

  • 125 ADIV-3 M 384 : rapport du sous-préfet de Fougères le 10 septembre 1928.
  • 126 Cf. chap. 3, p. 125-128 et la carte n°13 p. 127.
  • 127 ADIV-3 M 380 : profession de foi de Rupied en 1919.

105Le second thème essentiel, thème de politique intérieure et qui n’est pas particulier aux élections cantonales du moins pour l’Ille-et-Vilaine, est celui de l’école, de la défense de la liberté d’enseignement, le refus de l’école unique et laïque. Ce thème, déjà très présent lors des élections législatives, est repris avec encore plus de vigueur lors des élections cantonales. Sur ce point, deux aspects sont soulignés : l’aide apportée aux enfants indigents et la répartition proportionnelle scolaire. Pour permettre aux enfants des familles pauvres d’aller à l’école, des aides sont accordées au niveau de la commune, mais aussi au niveau du canton ; d’un côté comme de l’autre, ces secours sont souvent refusés à ceux qui ne sont pas inscrits dans la « bonne école ». La domination de cette défense de l’école confessionnelle et la quasi absence de prises de position en faveur de l’école laïque chez les candidats élus témoignent du poids de l’Église ce qui conduit le sous-préfet de Fougères à dénoncer en 1928 cette situation en des termes virulents, estimant que « les électeurs poussés, pressurés par les curés, tout-puissants dans les campagnes bretonnes et par les gros propriétaires fonciers voteront pour les candidats anti-républicains »125. Cette vigueur de l’attaque sert peut-être à couvrir les échecs répétés des républicains dans cet arrondissement mais il est vrai que la domination de l’Église, la pratique religieuse y sont très fortes126. Des candidats de droite n’hésitent pas à lancer un appel à voter pour « la patrie, la famille, la religion »127. L’appel à défendre la liberté de l’enseignement est constant tout au long de la période avec une fréquence accrue lors du Cartel des gauches.

  • 128 Buton (Philippe) et Gervereau (Laurent), Le couteau entre les dents, éd. du Chêne, 1989.
  • 129 ADIV-3 M 380 : profession de foi de Dayot, candidat à Combourg en 1922.
  • 130 ADIV-3 M 382 : affiche de Jaigu en 1925.
  • 131 ADIV-3 M 382 : affiche du vicomte du Bouëxic en 1925.
  • 132 ADIV-3 M 382 : profession de foi du docteur de Sallier-Dupin à Argentré-du-Plessis en 1925.
  • 133 ADIV-3 M 382 : profession de foi d’Eugène Quessot en 1925.
  • 134 Berstein (Serge),» L’historien et la culture politique », Vingtième Siècle, juillet 1992, p. 67-77

106Près de la moitié des professions de foi abordent également la situation politique générale de la France, mais la place accordée, les thèmes abordés varient à la fois selon les périodes et selon la tendance politique des candidats. Les thèmes sont similaires à ceux des législatives et concernent le régime politique comme les choix de société. En 1919 et 1922, au moment de la scission chez les socialistes français et de la guerre civile russe, se répand dans l’opinion l’image du « bolchevik au couteau entre les dents »128. Cela se traduit en 1922 par la volonté chez les républicains de se démarquer des socialistes. L’un de ces candidats républicains accuse les socialistes de vouloir « s’emparer de tout ce que vous possédez » et il conclut en s’adressant aux cultivateurs, de voter pour lui « si vous tenez à l’héritage de vos parents et au fruit de votre travail »129. S’affirmer républicain, c’est aussi prendre position contre la droite conservatrice, contre les grands propriétaires fonciers, surtout s’ils appartiennent à la noblesse. Dans le canton de Guichen, Jaigu, candidat républicain, déclare dans une affiche que son adversaire (Huchet de Quénétain) est « royaliste : il veut la suppression du suffrage universel » et surtout il est le châtelain « comte, oisif et bien renté, attaché par ses traditions et ses intérêts à toutes les forces de réaction du passé » par opposition au « travailleur, enfant du peuple, Ancien Combattant » qu’il est130. Certains font aussi appel implicitement à des réflexes bien ancrés dans la mentalité collective, en particulier liés au souvenir de disettes sous l’Ancien Régime. Le candidat conservateur à Pipriac, le vicomte du Bouëxic, déclare en 1925 que son adversaire est contre l’Ordre et l’Économie : « Il trouve évidemment que le désordre n’est pas suffisant ; le franc pas assez bas. Il veut donc la vie encore plus chère (...). N’oubliez pas, électeurs, qu’il est minotier »131. Ce texte caractérise des élections faisant appel au fondement de la représentation collective s’appuyant sur le vieil antagonisme entre le paysan et le minotier ; ce dernier est constamment présenté dans l’imaginaire populaire comme le profiteur, le nouveau riche qui s’est forcément enrichi aux dépens des plus pauvres et malhonnêtement en exploitant la misère du monde. Ce type d’argument reflète quelle image les candidats au Conseil général se font de la société et de leurs électeurs ; leur propre imaginaire politique et social reste très traditionnel, lié à des réflexes antérieurs à la Révolution ou datant de celle-ci, comme si à une situation donnée on pouvait répondre par des notions, des discours déjà utilisés, stéréotypés. Si telle est leur vision, c’est aussi sans doute que ceux auxquels s’adressent ces discours, se sentent vivre et travailler dans une société immobile, semblable à celle de leurs pères. Or, ce discours typé est tenu dans les cantons ruraux jusqu’à la fin des années vingt ; on ne trouve pratiquement plus de telles allusions après 1930 qui, une fois de plus, est une date -tournant dans cette société, le moment où peu à peu de nouvelles références se font jour, où ce discours passéiste n’est plus vraiment accepté même dans le monde rural, il ne reste plus qu’à l’état de survivance, de « discours-témoin ». Il est une autre référence permanente : la Révolution française. Quel que soit le type d’élections, on y revient toujours, ne serait-ce que par le vocabulaire utilisé sans compter les allusions directes. Dans les années vingt, l’amalgame entre les révolutionnaires de 1793 et la révolution socialiste est particulièrement fréquent dénonçant du même coup : « la guillotine, les assassinats et l’invasion des campagnes par les bandes ivres de sang et de pillage »132 et opposant curieusement à ces révolutionnaires de 1793 ou socialistes « le drapeau de la France ; c’est-à-dire le drapeau qui fièrement conduisit en 1918 ces braves Poilus à la victoire et [ayant] pour devise : Dieu et Patrie » ce genre de déclaration ne devait pas être du goût des Poilus républicains et laïques ! Face à cette virulence, il est remarquable que le seul conseiller général socialiste élu et réélu pendant toute cette période, Eugène Quessot, a des professions de foi singulièrement neutres en comparaison ; certes, il entend agir pour le « bien des travailleurs », pour « la construction de maisons ouvrières à la campagne comme à la ville »133, il dénonce la « réaction » mais en des termes qui restent modérés, sans accent révolutionnaire : volonté de rassurer ? Au-delà, ces références avec leurs mutations révèlent la coexistence de deux cultures politiques majeures dans le département et le caractère éminemment évolutif de ce phénomène134.

  • 135 Cinq départements soit un peu plus de 110 000 tués et non 250 000 comme le proclame le monument d’ (...)
  • 136 ADIV-3 M 382 : profession de foi de Beauchef, candidat dans le canton de Montfort en 1925.

107Le thème des Anciens Combattants est fréquemment abordé dans les professions de foi des candidats élus. Dans ce département rural, les mobilisés de la guerre 14-18 ont fourni l’infanterie ; les pertes parmi les mobilisés d’Ille-et-Vilaine ont été élevées : 24 % pour une moyenne de 22 % dans toute la Bretagne135. L’importance du traumatisme subi par la population se retrouve lors de toutes les élections où le sort des Anciens Combattants, leur sacrifice sont constamment rappelés. Aux élections cantonales, la référence aux Anciens Combattants se fait sur deux registres suivant la date de l’élection. Pendant les années vingt, les notions évoquées sont : le « sacrifice », « l’héroïsme », les « souffrances » des Anciens Combattants qui ne doivent pas avoir été vains ; en même temps, est évoquée la « dette sacrée que nous avons contractée à l’égard de nos mutilés et de nos blessés de guerre »136 et la nécessité de veiller au pouvoir d’achat des diverses pensions versées aux veuves de guerre, aux orphelins et invalides de guerre. À partir des années trente, la référence aux Anciens Combattants se fait sur le mode du souvenir, sur le souhait de maintenir la paix et d’éviter à tout prix la guerre. Le thème des Anciens Combattants relève en fait des deux aspects de ces élections cantonales ; il est local dans la mesure où l’érection du monument aux morts a souvent été un moment d’affirmation de la communauté puisque chaque famille est touchée, mais il est aussi national puisqu’au nom des morts de la guerre 14-18, il s’agit au lendemain de la victoire de profiter de la situation victorieuse de la France pour que l’Allemagne ne « recommence » pas et, dans les années trente, c’est le thème de la paix, de sa défense.

  • 137 Pendant les années vingt.
  • 138 Girard (L.), Prost (A.) et Gossez (R.), Les conseillers généraux en 1870, PUF, (col. « Publication (...)

108Ces programmes et professions de foi ne diffèrent des élections législatives que pour les problèmes locaux137. Mais à partir de 1931, la crise économique et sociale, les problèmes de politique intérieure et extérieure accaparent de plus en plus les esprits et manifestent la fin d’une conception « a-politique» des cantonales. La conjoncture est partiellement responsable de cette « entrée » de la politique dans les élections cantonales mais elle met en cause la notion d’apolitisme des cantonales (cf. la querelle scolaire, la paix). Cet « apolitisme », terme ambigu, recouvre en fait la capacité de nombre de conseillers généraux à se comporter en administrateurs, en gestionnaires plus qu’en hommes politiques138. Cet apolitisme théorique n’a cessé de diminuer pendant ces vingt années.

109— Des notables

110Les conseillers généraux sont des notables, ceux qui ont une influence, que l’on consulte ; notables, ils sont, en raison de leur fonction, de leur âge, de leur appartenance sociale.

  • 139 ADIV-3 M 379, 389 et 390 : notices des préfets sur les candidats élus.

Tableau n°10 : Âge des conseillers généraux en 1919 et en 1937139.

Tableau n°10 : Âge des conseillers généraux en 1919 et en 1937139.

111De 1919 à 1937, l’âge moyen s’élève. Après le fort renouvellement de 1919, beaucoup de conseillers généraux sont quasi inamovibles depuis cette date, entraînant le vieillissement de cette assemblée. En effet, douze élus de 1919 sont toujours présents en 1937 (plus du quart d’entre eux). Cette impression générale de vieillissement des conseillers généraux est à nuancer selon que l’on observe l’âge moyen ou l’âge médian en 1919 et en 1937 de l’ensemble du Conseil général.

Tableau n° 11 : Âge moyen et âge médian des conseillers généraux en 1919 et en 1937.

Tableau n° 11 : Âge moyen et âge médian des conseillers généraux en 1919 et en 1937.

112Le calcul de l’âge moyen des conseillers généraux s’avère peu pertinent en raison de l’importance des extrêmes qui entraîne une forte distorsion des résultats faisant même apparaître un rajeunissement entre 1919 et 1937 ; le calcul de l’âge médian en laminant le poids des extrêmes confirme le vieillissement du Conseil général : l’écart de l’âge médian entre 1919 et 1937 est de 7 ans et 6 mois. Bien que le Conseil général de 1919 soit celui du renouvellement, en 1919 comme en 1937, l’âge médian du Conseil général est dans la tranche d’âge des 50-60 ans, signe d’une assemblée d’hommes mûrs, arrivés, pour lesquels ce mandat est plus un couronnement qu’un marchepied vers une carrière à venir. L’âge d’entrée au Conseil général est également éclairant.

Tableau n°12 : Âge d’entrée au Conseil général sur l’ensemble de la période.

Tableau n°12 : Âge d’entrée au Conseil général sur l’ensemble de la période.

113D’après ce tableau, même l’âge d’entrée au Conseil général est relativement tardif, puisque l’âge médian est de 49 ans ce qui est quasiment celui du Conseil général de 1919, justement celui où le renouvellement est le plus complet. Les hommes qui briguent un mandat au Conseil général pour la première fois et qui sont élus, sont souvent des hommes qui ne s’y engagent qu’après avoir assuré leur situation professionnelle et familiale. L’assurance acquise sur le plan professionnel, parfois aussi l’exercice d’un mandat municipal jouent un rôle en faveur de la capacité, de l’envie de briguer un mandat de conseiller général. Le titre de conseiller général est un élément de reconnaissance, de respectabilité de « l’homme arrivé ».

114La situation familiale est un autre indice. Pour ceux dont la situation familiale est connue (62 sur 97), la situation d’hommes mariés est quasi générale ; on peut penser qu’il en est de même pour les « inconnus » car si le nouveau conseiller général est célibataire ou divorcé, le préfet l’aurait certainement souligné étant donné la rareté du cas ou son caractère anormal, voire scandaleux (pour les divorcés) dans le contexte d’un département de forte pratique religieuse catholique.

115Pour des études locales, l’origine géographique est souvent révélatrice de l’implantation des élus. Cette origine géographique ici n’a guère pu être déterminée que par le lieu de naissance, encore faut-il espérer qu’il ne soit pas accidentel.

Tableau n°13 : Lieu de naissance des conseillers généraux entre 1919 et 1937.

Tableau n°13 : Lieu de naissance des conseillers généraux entre 1919 et 1937.

116Les conseillers généraux, pour lesquels on dispose de renseignement, sont majoritairement originaires du département et à défaut sont nés en Bretagne. Ceux nés en région parisienne sont généralement de parents bretons venus pour des raisons professionnelles ; quand le fils veut faire une carrière politique, il retourne aux sources là où le réseau de parentèle peut l’aider à se constituer une base électorale. L’origine géographique confirme la nécessité de l’enracinement local pour être élu.

  • 140 Nobles effectivement détenteurs de titres et reconnus comme tels.

117Le poids des traditions et l’éventuel renouvellement des élites sont sensibles à travers l’origine sociale. L’un des premiers indicateurs concerne l’appartenance ou non à la noblesse. Quatorze sur les 97 conseillers généraux de la période, appartiennent à la noblesse140 ce qui est peu mais la chronologie corrige cette impression.

Tableau n° 14 : Nombre de nobles au Conseil général à chaque renouvellement.

Tableau n° 14 : Nombre de nobles au Conseil général à chaque renouvellement.

118Au début de la période, les nobles représentent un peu plus du quart du Conseil général (comme avant la guerre) ; ils en forment encore le cinquième à la fin des années vingt, mais moins de 12 % en 1937. De nouveau les années trente marquent une rupture avec la sensible perte d’influence de la noblesse. Jusqu’à cette charnière, la représentation de la noblesse au Conseil général conserve son statut antérieur marquant la continuité par rapport à l’avant-guerre ; 1931 annonce le début d’une nouvelle ère, avec l’amenuisement de la représentation de la noblesse au Conseil général. La guerre de 14-18 a ébranlé les bases traditionnelles de la société mais cela ne se répercute qu’une dizaine d’années plus tard, comme s’il fallait le temps nécessaire à la propagation de l’onde de choc provoquée par le traumatisme de la guerre, pour qu’elle ébranle dans ses profondeurs les représentations collectives et remette en cause la hiérarchie traditionnelle de la société. La guerre n’est pas forcément une rupture immédiate pour la société, mais joue sur le long terme, le même phénomène se reproduit après la Seconde Guerre mondiale.

119Plus encore, la profession des conseillers généraux mesure les rapports de force à l’intérieur de la société.

Tableau n°15 : Appartenance professionnelle des conseillers généraux.

Tableau n°15 : Appartenance professionnelle des conseillers généraux.

120La catégorie sociale dominante, et de loin, est celle des professions libérales ; notables dans leur commune, ils sont en contact avec les habitants non seulement de leur commune mais aussi de leur canton. Parmi eux, les juristes se taillent la part du lion ; la relative faiblesse du monde médical au sens large correspond aux habitudes de l’époque où les habitants ne recourent au médecin que rarement faute d’un véritable système d’assurances sociales. Tout aussi logiquement, les agriculteurs forment le second groupe professionnel parmi les conseillers généraux. En revanche, les salariés sont peu nombreux. Cette répartition socio-professionnelle respecte à la fois le caractère rural et la hiérarchie sociale du département.

121Les élections cantonales révèlent un département où domine le républicanisme modéré respectant grosso modo l’implantation géographique mise en évidence lors des élections législatives. Si les conseillers généraux sont bien des notables, bien insérés dans leur canton, ils le doivent plus à une position personnelle antérieure à leur élection qu’à leur élection proprement dite. Mais, la première étape de toute vie politique, c’est l’élection municipale.

Les élections municipales141

  • 141 ADIV-3 M 433 à 436.
  • 142 Agulhon, Maurice, « La mairie : Liberté, Égalité, Fraternité », dans Les lieux de Mémoire, (s.d. d (...)

122Elles sont le premier échelon de la vie démocratique, par elles les Français ont appris le suffrage universel et la démocratie républicaine142. Il s’agit ici de dégager quelques traits généraux concernant la couleur politique des municipalités, les maires et surtout les particularités des villes.

  • 143 Plus l’élection est locale, plus l’étiquette politique est incertaine.

123En effet, excepté dans les grandes villes où l’appartenance politique est clairement affirmée, dans la quasi totalité des communes rurales et même des petites villes, elle reste floue143 ; plus encore que pour les élections cantonales, l’élément déterminant est le rapport à l’Église, à la laïcité. C’est ce concept qui classe à droite ou à gauche les municipalités. Rares sont les étiquettes claires : « conservateur », radical-socialiste,... Les communes peuvent être classées à droite ou à gauche en fonction de leur attitude par rapport à la laïcité en 1919 et en 1935 (cartes n°9 et 10), mais la « gauche » est plutôt ici un centre-gauche modéré. La comparaison entre les deux dates ne marque guère d’évolution politique ; l’implantation de la droite et des républicains laïques est à peu près identique. Les seules différences portent sur quelques cantons dans le sens d’une réduction des îlots dans chaque grande zone. Aucun bloc ne gagne véritablement sur l’autre ; dans leur vote, les électeurs ont un réflexe très « légitimiste » : les mêmes hommes sont élus et réélus, et quand les hommes changent, les mêmes tendances persistent. Par rapport aux législatives ou aux cantonales, on assiste à une « fossilisation » des attitudes politiques beaucoup plus nette à cet échelon puisque le tournant des années trente n’y est pas perceptible.

  • 144 C’est-à-dire Dinard, Fougères, Paramé, Redon, Rennes, Saint-Malo, Saint-Servan et Vitré.

124Les élections dans les principales villes144 sont plus politisées. En 1919, sur les huit villes, deux seulement ont une municipalité de droite (Paramé et Saint-Servan) ; en 1935, il en est de même mais il s’agit cette fois de Redon et de Vitré. Dans ces quatre cas, la couleur politique des municipalités s’est mise en harmonie avec celle de l’arrière-pays.

  • 145 22 % à Saint-Malo, 26 % à Redon, un tiers à Fougères, 38 % à Rennes.
  • 146 Cf. ci-dessus p. 48-49.

125En 1919, les municipalités républicaines laïques sont radicales-socialistes associées avec des socialistes sauf à Vitré. Les socialistes représentent de 22 à 38 % des conseils municipaux145. Dans les trois municipalités de Di nard, Fougères et Vitré, la droite est aussi représentée. Le vote des électeurs de ces villes tranche avec leur arrière-pays sauf pour les villes côtières. De toutes ces villes, la plus à gauche est la préfecture avec 22 radicaux-socialistes et 14 SFIO ce qui décidément remet en cause l’image classique d’une ville bourgeoise dominée par la magistrature, l’Église et l’armée146, oubliant le peuple des ouvriers entassés dans des logements insalubres, rue de Brest ou de Saint-Malo. En 1935, plusieurs changements interviennent : Paramé et Saint-Servan ont une majorité radicale-socialiste depuis 1929, mais sans socialistes dans le cas de Paramé. Quant à Vitré et Redon, le passage à droite s’est fait respectivement en 1929 et en 1935 ; mais à Redon, le conseil municipal est très divisé avec douze voix pour le nouveau maire et onze voix pour l’opposition républicaine. Dans ces quatre cas, le changement de couleur politique de la municipalité s’est effectué là encore au tournant des années trente.

Cartes n°9 et 10. Les élections municipales

Cartes n°9 et 10. Les élections municipales

Tableau n° 16 : Composition des quatre municipalités républicaines en 1919 et en 1935.

Tableau n° 16 : Composition des quatre municipalités républicaines en 1919 et en 1935.

126Dans les quatre villes qui conservent la même couleur politique, il s’est produit un glissement vers la droite ou le centre. À Fougères comme à Rennes ou Saint-Malo, la droite gagne des sièges aux dépens de la SFIO à Rennes, et à Fougères aux dépens de la SFIO et des radicaux-socialistes. À Fougères, on assiste plutôt à un glissement vers le centre-droit. Sans être spectaculaire, cette évolution des villes vers le centre-droit montre qu’elles participent au mouvement général de l’évolution de l’opinion, bien qu’il ne s’agisse que d’élections locales. Mais les citadins de ce département ne sont guère tentés par les extrémismes. Après les grandes batailles électorales liées à l’installation de la République, on assiste à un certain «assagissement » de l’électorat.

127De toutes les villes du département, une seule garde le même maire : Saint-Malo avec Alphonse Gasnier-Duparc (1879-1945). Celui-ci en est le maire de 1912 à 1941, date à laquelle il est révoqué par le régime de Vichy. La longueur de son mandat et sa personnalité tranchent. Né à Dol-de-Bretagne, il fait toute sa carrière politique dans l’arrondissement de Saint-Malo comme maire et conseiller général de cette même ville. Sa famille appartient à cette bourgeoisie de notables du commerce et des finances; son père était directeur de banque et sa mère fille de négociants. Fait rare dans le département, il est divorcé, remarié (en 1942). Lui-même est docteur en droit et avocat au barreau de Saint-Malo depuis 1904. Membre du Parti radical-socialiste, il est vice-président de la Ligue française pour la défense des Droits de l’homme et du citoyen depuis 1928. Son premier mandat politique est celui de conseiller municipal en 1908, mais ce n’est qu’une fois sénateur qu’il devient ministre dans le premier gouvernement de Front populaire ; il y est chargé du ministère de la Marine du 4 juin 1936 au 21 juin 1937 dans le gouvernement de Léon Blum ! Elu au suffrage universel indirect, il n’a pas eu à tenir compte de l’état de l’opinion de son département par rapport au Front populaire, si bien qu’il est le seul parlementaire du département à soutenir ouvertement celui-ci. Son radicalisme le situe au centre gauche ce qui convient à une ville où se côtoient une bourgeoisie marchande et un monde de dockers, de marins, volontiers individualistes. Sa réélection constante est aussi le signe de ce « légitimisme » des électeurs vis-à-vis d’une personnalité qui n’a pas démérité à leurs yeux.

128Que les villes changent ou ne changent pas de couleur politique, les années trente marquent une évolution significative vers un républicanisme modéré laïque ou non. Les années vingt ici comme ailleurs sont le prolongement de l’avant-guerre que ce soit ou non avec les mêmes hommes. En revanche les années trente apparaissent comme des années de turbulence, de remise en question, du moins dans les villes, et, pour toutes les élections, signe d’une modification profonde.

129Les élections nationales ou locales donnent un tableau nuancé de l’Ille-et-Vilaine. Certes, les députés et les sénateurs élus sont majoritairement de droite, mais les dernières élections envoient aussi au Parlement des centristes républicains et modérés. Les élections locales, en particulier cantonales, révèlent un département républicain modéré, plutôt de centre-gauche, évoluant vers la droite, y compris dans les villes.

130En même temps, la géographie politique de l’Ille-et-Vilaine n’est pas aussi immuable qu’on pourrait le penser depuis Siegfried. Certes, les bastions de la droite restent inentamés de 1919 à 1939 ; en revanche, la « dorsale républicaine » est contestée dans son fief, principalement par des forces centristes venant de deux courants politiques d’une part le radicalisme, mais ici un radicalisme « affadi », d’autre part le courant démocrate-chrétien représenté par le PDP. Le premier de ces courants est le fait d’hommes, d’individus, de personnalités ; que celles-ci viennent à disparaître, la place est libre pour toute force politique organisée apparaissant neuve. Cette dernière pourrait être alors ce courant démocrate-chrétien, force politique encore timide à la veille de la Seconde Guerre mondiale, mais qui pourrait profiter de la place laissée libre pour peu que les circonstances extérieures s’y prêtent et à supposer que l’électoral du courant précédent accepte de se reporter vers lui. L’évolution provient du maillon « faible » du monde politique de l’Ille-et-Vilaine ; par faiblesse, entendons par là que le « républicanisme » de cette dorsale, n’est plus un concept adapté pour cette période. Certes, il est encore utilisé pour les municipales ou les cantonales et appartient à la culture politique de la population mais il ne correspond plus à la réalité politique des années trente. Le changement de vocabulaire s’effectue en 1928-1932 ; en 1919 et en 1924, la désignation des listes utilise encore le terme de « républicain ». En revanche, les divers candidats qui se retrouvent dans cette mouvance à partir de 1928, ne se disent plus républicains, ou plutôt ce terme ne leur est plus spécifique, c’est pourquoi leur étiquette introduit d’autres vocables comme radical ou précise la nature de leur républicanisme (socialiste, indépendant,...); tous les candidats, y compris de droite, se réfèrent à la République et se disent républicains mais par là même le mot change de sens. Est-ce à dire que l’on assiste à un simple glissement sémantique, à une évolution de la culture politique ? On peut le penser, ce que les années postérieures à la Seconde Guerre mondiale permettent de vérifier, mais encore faut-il dater ce glissement.

  • 147 Cf. également les comités de Défense paysanne, chapitre 2. p. 92-93.

131Or ce qui caractérise les divers changements (géographique, politique, sémantique), est qu’ils se produisent pendant les années trente. En effet, la décennie qui précède la Seconde Guerre mondiale voit s’opérer un reclassement de l’ensemble des forces politiques. Il n’est pas spectaculaire (comment pourrait-il l’être dans ce département qui globalement reste modéré et peu enclin aux extrémismes), mais par petites touches, le tableau politique de l’Ille-et-Vilaine s’est sensiblement modifié. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, ce département est catholique, républicain modéré et si la majorité de ses parlementaires est à droite, il ne s’agit pas d’une domination absolue sauf s’il a le sentiment d’être provoqué comme en 1924 ; à la veille de la Seconde Guerre mondiale, ce même département est à la fois plus au centre d’après les élections législatives et plus à droite si l’on en juge par les résultats des cantonales et des municipales147. On perçoit même en ces dernières années une sorte d’instabilité, de valse-hésitation ; les catholiques se partagent entre un centre démocrate-chrétien et une droite « dure » qui s’éloigne du « modèle » conservateur traditionnel tandis que parmi les républicains, les laïques modérés, socialement conservateurs, en viennent à voter au centre, ceux qui sont socialement progressistes votant avec la SFIO, autant de signes d’une mutation profonde.

  • 148 Les élections de 1928 amorcent les premiers changements. Sur le plan national, ces élections marqu (...)
  • 149 Dans les Côtes-du-Nord par exemple, après une poussée du radicalisme, ce sont les extrêmes qui gag (...)

132L’Ille-et-Vilaine ne connaît guère que la permanence géographique d’une droite frontalière apparentée à la Mayenne et au Morbihan. Sur tous les autres aspects politiques, s’opère un tournant dans les années trente ; « tournant » plus que « rupture » car le changement ne se fait pas en une ou deux élections comme si l’électorat départemental voulait rester fidèle à sa réputation de modération. Cependant, il est suffisamment accentué pour que le paysage politique d’ensemble du département soit totalement différent en 1939 par rapport à 1927148. Si la transformation du paysage politique n’est pas particulière au département, elle n’y a pas forcément pris la même orientation que dans l’ensemble de la France ou des départements voisins et surtout l’évolution chronologique n’y est pas tout à fait similaire149. Sous cet angle politique et pour ce département, la notion d’une rupture née de la guerre 1914-1918 n’existe pas du moins en terme d’immédiateté ; tout se passe en effet comme s’il fallait le temps que le traumatisme subi fasse son chemin dans les mentalités et telle une onde de choc ne surgisse au grand jour que près de dix ans plus tard.

Notes

1 Et non de « l’entre-deux-guerres », expression forgée a posteriori comme le rappelle René Remond dans Histoire de France, tome 6 : Notre siècle : 1918-1988, Fayard, 1988, p. 37-39.

2 Mais il existe « en histoire, des générations longues et des générations courtes », Bloch (Marc), Apologie pour l’histoire, éd. A. Colin, col. « U prisme », 1974, p. 151 et le numéro spécial de Vingtième Siècle. Revue d’histoire, avril 1989.

3 En 1922 le passage dans l’opposition des radicaux se fait sur la pression de la base qui contraint les parlementaires à une attitude plus ferme et plus claire vis-à-vis du Bloc national; Berstein (Serge), Histoire du parti radical, PFNSP, 1980, tome 1, p. 352 et suivantes.

4 Goguel (François), Géographie des élections françaises sous la IIIe et la IVe République, A. Colin (col. « Cahiers de la FNSP»), 1970, p. 48-57 et p. 114-115 sur l’ancienneté de l’orientation à droite.

5 Loi du 12 juillet 1919.

6 D’après les professions de foi des candidats pour l’ensemble des élections. Lecorpus n’est malheureusement pas exhaustif, mais pour chaque élection, il existe au moins une profession de foi par tendance.

7 Charles Guernier ou Alexandre Lefas en 1932 (ADIV-3M 348).

8 ADIV-3 M 341.

9 ADIV-3 M 345 : élections législatives de 1928, profession de foi de Georges Bret.

10 ADIV-3 M 354 : élections législatives de 1936, profession de foi d’Albert Aubry.

11 du moins parmi celles qui ont été conservées.

12 Sauvy (Alfred), Histoire économique de la France entre les deux guerres, Economica, 1984, tome 2 : p. 387.

13 ADIV-3 M 348 : élections législatives de 1932, profession de foi de Lefas.

14 Schor (Ralph), L’opinion française et les étrangers, 1919-1939, Publications de la Sorbonne, 1985, p. 449-450 et p. 565-568.

15 ADIV-3 M 341 : élections législatives de 1919, profession de foi de la liste de droite.

16 En Ille-et-Vilaine plus de la moitié des élèves de l’école primaire est à l’école privée.

17 ADIV-3 M 348 : élections législatives de 1932, profession de foi de Guy La Chambre.

18 ADIV-3 M 342 : élections législatives de 1919, profession de foi de la SFIO.

19 La liste du « comité d’Union nationale » représente en 1919 les tenants du conservatisme social et politique.

20 ADIV-3 M 342 : profession de foi du comité d’Union nationale.

21 Elle comprend deux anciens ministres et le président du Conseil général.

22 ADIV-3 M 342 : profession de foi de la liste de Concorde et d’Union nationale.

23 Tartakowsky (Danielle), Les premiers communistes français, PFNSP, 1980, p. 65.

24 C’est-à-dire des candidats qui sans appartenir au PCF ou à la SFIO peuvent être classés à gauche en raison de leur refus de l’école privée. Leurs étiquettes sont très variées: parti républicain socialiste, républicain de l’union des gauches, républicain, radical-socialiste, républicain radical,...

25 Union républicaine de Louis Marin, républicain libéral, républicain progressiste, républicain-indépendant, républicain unioniste, républicain de gauche indépendant, républicain de gauche, URD (Union républicaine démocratique),...

26 ADIV-3 M 355 : profession de foi du PCF.

27 ADIV-3 M 355 : profession de foi de Guy La Chambre.

28 ADIV-3 M 354 : profession de foi de Joly.

29 Le candidat utilise les souvenirs encore très présents de ses électeurs concernant l’affaire Stavisky.

30 Une grande partie des aspects statistiques de l’analyse qui suit s’appuie sur le mémoire de maîtrise de Louis (Yannick), Le personnel parlementaire d’Ille-et-Vilaine pendant l’entre-deux-guerres (1919-1939), Rennes 2, 1986, 75p. + les fiches individuelles.

31 Son grand-père fut député de 1876 à 1878 et de 1889 à 1893 et son père de 1902 à 1906.

32 Son père fut député de 1876 à 1889, puis sénateur de 1901 à 1913.

33 Il faut la représentation proportionnelle pour qu’un socialiste comme Aubry soit élu et encore était- il Ancien Combattant.

34 Ancien Combattant, six de ses frères furent tués sur le front.

35 85 % des députés après la Seconde Guerre mondiale sont de nouveaux élus, mais dans des conditions politiques différentes en raison de l’inéligibilité de certains des anciens députés.

36 L’âge de l’éligibilité était fixé à 25 ans. La moyenne d’âge des députés du département était de 45 ans lors de leur première élection.

37 Son père était notaire, sa mère naturellement sans profession avait des propriétés personnelles.

38 Elle y possédait depuis le xixe siècle une malouinière à La Briantais en Saint-Servan.

39 ADIV-3 M 344 : rapport du sous-préfet de Saint-Malo, le 22 octobre 1927 ; on peut cependant douter que des voix socialistes aient pu se diriger vers lui autrement que parce qu’il était connu dans la circonscription de Saint-Malo.

40 ADIV-3 M 355 ; il fait allusion à sa participation au gouvernement Daladier lors du 6 février 1934 et peut-être à son duel avec Jacques Renouvin.

41 ADIV-3 M 344.

42 Il est démis de ses fonctions en tant qu’inculpé au procès de Riom. Cf. chapitre 5.

43 Il appartient ultérieurement à la Résistance et meurt en déportation.

44 cf. mon article, « Les forces politiques en Ille-et-Vilaine (1934-1939) », Bull, de la société archéologique d’Ille-et-Vilaine, 1986, p. 22.

45 Or, contrairement à Daladier, La Chambre n’est pas favorable à une alliance de type Front populaire dont il se démarque pendant toute sa campagne électorale.

46 Ministre de l’Air en pleine période de restructuration, il est considéré, à tort, par le régime de Vichy comme l’un des responsables de la défaite. Cf. chapitre 5.

47 Petrie (A.J.), « The French Deputy as a member of the elite », dans Elites in France: origins, reproduction and power, ed. by J. Howorih et P.G. Cerny, Londres, éd. Frances Pinter, 1981, p. 186.

48 Cf. les procès-verbaux des élections législatives conservés soit aux Archives départementales sous les cotes 3 M 341 à 355 inclus, soit aux Archives nationales sous les cotes C 10 218 à 10 220 pour les élections de 1919. Seules les élections législatives générales ont été retenues pour l’élaboration des statistiques. Pour le scrutin d’arrondissement, ce sont les chiffres du premier tour qui sont utilisés afin que toutes les tendances et toutes les circonscriptions soient prises en compte.

49 La liste du « comité d’Union nationale » en 1919, celle d’« Union républicaine et de concorde nationale » en 1924, les candidats URD (Union républicaine démocratique), Alliance démocratique, républicains de gauche quand ils se définissent comme « partisans de l’école libre », sinon ils sont classés avec la gauche républicaine.

50 Pour ce calcul, j’ai suivi le procédé officiel c’est-à-dire la différence entre le nombre d’inscrits et le nombre de votants tel qu’il ressort des listes d’émargement. Bien que nous ayons affaire à ce que A. Lancelot appelle dans sa thèse une « collectivité restreinte », le calcul n’a pas été fait en fonction du nombre de bulletins trouvés dans l’urne (la différence entre les deux chiffres aurait été minime). Cf. Lancelot (Alain), L’abstentionnisme électoral en France, A. Colin, FNSP, 1968, p. 20-21.

51 Lancelot (Alain), op. cit., p. 60.

52 Cité par Delbreil, (J.-P.). Le PDP: des origines au MRP (1919-1944), thèse d’État, microfiches, 1984, p. 104.

53 Delbreil, (J.-P.). op.cit., p. 498-499.

54 Delbreil, (J.-P.), op. cit., p. 249.

55 L’Ouest-Éclair, 25 avril 1936. Ce dernier fut fondé en 1899 par l’abbé Trochu et Emmanuel Desgrées du Lou.

56 Ce que fait Guy La Chambre, tandis que Guernier reste au groupe de la gauche radicale.

57 Même si le corps électoral bouge peu, le nombre d’électeurs qui votent, lui, varie beaucoup d’une élection à l’autre.

58 AN-F7 13 110 : rapport du préfet du 14 novembre 1927 et ci-dessous chapitre 2 p. 103, « l’affaire Carré » due à sa démission spectaculaire à la fin de l’année 1928.

59 Sans doute à cause de l’extrême faiblesse du PCF en Ille-et-Vilaine.

60 C’est le VIIIe Plenum du Komintern qui a défini cette tactique ; Tartakowski (Danielle), op. cit., p. 109 et Robrieux (Philippe), Histoire intérieure du parti communiste, tome 1 : 1920-1945, Fayard, 1980, p. 294.

61 Pourcentage des électeurs inscrits dans la ville par rapport aux électeurs inscrits dans son (ou ses) canton(s).

62 avec les deux tiers des voix.

63 C’est le cas de Laignelet, au nord-ouest de Fougères, mais elle a une population ouvrière travaillant dans l’industrie du verre.

64 Dans le canton d’Argentré-du-Plessis, environ 600 habitants; la droite fait même l’unanimité des votants en 1924, aucune voix ne se portant vers les autres listes.

65 Monnier (Jean-Jacques), Géographie de l’opinion politique en Ille-et-Vilaine, Rennes, thèse de 3e cycle, 1971, p. 90-105 et 272-274 et ci-dessous chapitre 3.

66 Ci-dessus tableau n°5 p. 40 : « Nombre de voix recueillies par la SFIO et le PCF ».

67 Soit plus de 13 000 voix.

68 Un ancien ministre Louis Deschamps, le président du Conseil général Charles Guernier qui conduit la liste et Alphonse Gasnier-Duparc, maire de Saint-Malo et grande figure du radicalisme malouin.

69 ADIV-3 M 342 ; rapport du préfet du 12 avril 1924.

70 Il rejette le Cartel des gauches et la liste menée par Guernier estimant que « voter pour le Cartel des gauches, c’est faire le lit du bolchevisme », V Ouest-Éclair, 6 mai 1924 et appelle le 11 mai à voter pour la liste de droite menée par F. de La Riboisière.

71 ADIV-3 M 342 : rapport du préfet du 1er février 1924.

72 Contrairement à la gauche où les radicaux et la SFIO n’ont pas réussi à s’entendre pour faire une liste commune dans le cadre du Cartel des gauches.

73 Rémond (René), Notre siècle, op. cit., p. 85.

74 L’Ouest-Éclair, 19 avril 1928.

75 Le Nouvelliste de Bretagne, 18 avril 1928. Journal de l’archevêché, il exprime les positions de la droite la plus conservatrice.

76 Ce qui dans ce cas relativise l’impact de la presse écrite dans les zones rurales au profit du contact direct avec les hommes.

77 L’Ouest-Éclair, 19 avril 1928.

78 Rupied, notaire, apparaît comme l’homme des grands propriétaires nobles et des notables de cette région, éloignant les moins conservateurs des électeurs de droite et amenuisant son emprise.

79 Engagement de trois de ses ancêtres dans les Zouaves Pontificaux, son oncle était député royaliste,...

80 En Autriche au moment de la déclaration de guerre, il y est resté toute la guerre; il est de ce fait accusé par les Anciens Combattants de s’être « planqué », voire d’être un traître ; quant à lui, il déclare qu’il a été empêché de faire son devoir par les autorités autrichiennes qui l’ont retenu dans leur pays. ADIV-3 M 347.

81 ADIV-3 M 347 : rapport de police du 4 mars 1932.

82 Le Nouvelliste de Bretagne, 30 avril 1932 et L’Ouest-Éclair, 28 et 29 avril 1932.

83 Les bulletins de vote de ce dernier n’ont pas été retirés.

84 Le Gonidec de Traissan s’est à nouveau clairement désisté en faveur de de Lyrot (ADIV-3 M 347: tract). Des bulletins nuls et la candidature d’un Ancien Combattant indépendant dirigée contre de Lyrot assurent paradoxalement son élection, car ces voix ne vont pas vers Bellanger au second tour.

85 Cf. ci-dessous ch. 2 p. 92-93.

86 Le Nouvelliste de Bretagne, 25 avril 1936. Cette position d’observateur est nouvelle, on peut y voir l’infléchissement de la ligne de l’archevêché dont le titulaire, Mgr Mignen, n’est plus aussi engagé que l’était son prédécesseur, le cardinal Charost, décédé en 1930.

87 Défense paysanne a dépassé les 10 000 adhérents en Ille-et-Vilaine peu après ces élections. Cf. ORY (Pascal), « Le dorgérisme : institutions et discours d’une colère paysanne (1929-1939) », RHMC, avril 1975, p. 170.

88 Lagrée (Michel), « La structure pérenne, événement et histoire en Bretagne orientale, xvie-xxe siècles », RHMC, juillet 1976, p. 394.

89 Cf. ci-dessus p. 38 et suivantes.

90 Dupuy (Roger), De la révolution à la chouannerie : paysans en Bretagne, 1788-1794, Flammarion, 1988, p. 196.

91 Cf. les cartes sur « le serment du clergé-1791 », sur « les clubs et les gardes nationales-1792 », sur « l’hostilité à la Nation (février 1791-juin 1792) » et sur « l’insurrection de mars 1793 » dans Dupuy (Roger), op. cit., p. 176-177, 186-187, 220-221 et 286-287.

92 Ceux de Saint-Servan, Saint-Malo, Cancale et Dol.

93 Le poids de la famille La Chambre et la localisation du port expliquent la différence de vote entre les deux villes. Voir aussi chap. 2.

94 ADIV-10 M (60Mal3) : état des effectifs de l’imprimerie Oberthür -29 mars 1920 et AN F7 12901 : rapport du préfet du 9 avril 1920.

95 Cf. ci-dessous les élections municipales, p. 70 et suivantes.

96 Il importe de savoir ce qui a fondé cette image et, en particulier, si dans la mémoire collective ne se superpose pas à la réalité, le souvenir beaucoup plus proche de la période du second après-guerre?

97 Mais à l’époque du Front populaire et sans candidat socialiste ni de la gauche républicaine !

98 Châteauneuf au nord, Antrain, Saint-Aubin-d’Aubigné et Saint-Aubin-du-Cormier au nord-est et Janzé et La Guerche-de-Bretagne au sud-est.

99 La Guerche-de-Bretagne, Le Theil, Sainte-Colombe, Coësmes et Thourie.

100 Dupuy (Roger), La Garde Nationale et les débuts de la révolution en Ille-et-Vilaine (1789-mars 1793), Klincksieck, 1972, p. 224.

101 Lagrée (Michel), « op. cit. ».

102 Respectivement, les cantons de Rennes Sud-Est et Rennes Sud-Ouest, de Guichen, de Retiers et de La Guerche.

103 La seule où un canton, celui de Rennes Sud-Est, élit régulièrement un conseiller général SFIO, Eugène Quessot.

104 Berstein (Serge), op. cit.. tome 2 : Crise du radicalisme, PFNSP, 1982, p. 160-171.

105 ADIV-3 M 354.

106 cf. chapitres 3 et 4.

107 Ci-dessous chapitre 7.

108 ADIV-3 M 379 à 390, 2 Z 28 et 5 Z 27 pour toute cette partie sauf indication contraire.

109 Cf. ci-dessus p. 29-33.

110 Signalons que parmi ceux classés comme républicains se trouve un conseiller général SFIO, Eugène Quessot (Rennes Sud-Est), inamovible pendant toute cette période et seul conseiller général socialiste.

111 Goallou (Henri), « Pratique religieuse et opinions politiques en Ille-et-Vilaine à la fin du xixe siècle », Annales de Bretagne, 1965, p. 299-309.

112 Onze d’entre eux appartiennent à la noblesse.

113 La première série concerne 21 cantons et la deuxième 22 cantons répartis dans tous les arrondissements.

114 Les cantons de Guichen, Janzé, Redon, Le Sel-de-Bretagne et Saint-Brice-en-Coglès.

115 Où la population est composée d’agriculteurs mais aussi d’une population ouvrière de carriers.

116 Cf. ci-dessus p. 47 et 50.

117 Arrêté du Conseil d’État du 13 avril 1927.

118 Cressard (Antoine), L’Ouest-Éclair et la guerre civile espagnole, mémoire de maîtrise, université Rennes2-Haute-Bretagne, 1988, 163 p. et Guerrin (Yann), Le Nouvelliste de Bretagne de 1933 à 1939 : un journal catholique dans un monde de plus en plus éloigné des valeurs religieuses fondamentales, mémoire de maîtrise, université Rennes2-Haute-Bretagne, 1988, 139p.

119 Le Nouvelliste de Bretagne, 11 février 1934.

120 ADIV-3 M 389 : rapport du sous-préfet de Redon, 14 juin 1937.

121 comme à Antrain ou Dinard.

122 ADIV-3 M 389 : Le Redonnais, 10 décembre 1938.

123 Sans que l’on puisse dire d’ailleurs qu’il ait appartenu au PSF. Rappelons toutefois qu’à cette date, le PSF est devenu un parti de droite qui approuve de plus en plus la politique menée par le gouvernement de Daladier depuis avril 1938. Machefer (Philippe), « Le Parti Social Français », dans La France et les Français, 1938-1939, FNSP, 1978, p.312-315 et Pinol (Jean-Luc), «1919-1958 : le temps des droites ? » dans Sirinelli (J.-F.), Histoire des droites en France, tome 1 : Politique, Gallimard, 1992, p.321.

124 D’après Dumoulin (Sylvie), Les conseillers généraux en Ille-et-Vilaine pendant l’entre-deux-guerres (1919-1939), mémoire de maîtrise, université Rennes2-Haute-Bretagne, 1988, 127p.

125 ADIV-3 M 384 : rapport du sous-préfet de Fougères le 10 septembre 1928.

126 Cf. chap. 3, p. 125-128 et la carte n°13 p. 127.

127 ADIV-3 M 380 : profession de foi de Rupied en 1919.

128 Buton (Philippe) et Gervereau (Laurent), Le couteau entre les dents, éd. du Chêne, 1989.

129 ADIV-3 M 380 : profession de foi de Dayot, candidat à Combourg en 1922.

130 ADIV-3 M 382 : affiche de Jaigu en 1925.

131 ADIV-3 M 382 : affiche du vicomte du Bouëxic en 1925.

132 ADIV-3 M 382 : profession de foi du docteur de Sallier-Dupin à Argentré-du-Plessis en 1925.

133 ADIV-3 M 382 : profession de foi d’Eugène Quessot en 1925.

134 Berstein (Serge),» L’historien et la culture politique », Vingtième Siècle, juillet 1992, p. 67-77.

135 Cinq départements soit un peu plus de 110 000 tués et non 250 000 comme le proclame le monument d’Auray. Perchet (Maurice) (colonel), L’armée de terre dans l’Ouest, 1873-1978, 1978, 83 p.

136 ADIV-3 M 382 : profession de foi de Beauchef, candidat dans le canton de Montfort en 1925.

137 Pendant les années vingt.

138 Girard (L.), Prost (A.) et Gossez (R.), Les conseillers généraux en 1870, PUF, (col. « Publications de la Sorbonne »), 1967, p. 133.

139 ADIV-3 M 379, 389 et 390 : notices des préfets sur les candidats élus.

140 Nobles effectivement détenteurs de titres et reconnus comme tels.

141 ADIV-3 M 433 à 436.

142 Agulhon, Maurice, « La mairie : Liberté, Égalité, Fraternité », dans Les lieux de Mémoire, (s.d. de Nora Pierre), tome 1 : La République, Gallimard, 1984, p. 168.

143 Plus l’élection est locale, plus l’étiquette politique est incertaine.

144 C’est-à-dire Dinard, Fougères, Paramé, Redon, Rennes, Saint-Malo, Saint-Servan et Vitré.

145 22 % à Saint-Malo, 26 % à Redon, un tiers à Fougères, 38 % à Rennes.

146 Cf. ci-dessus p. 48-49.

147 Cf. également les comités de Défense paysanne, chapitre 2. p. 92-93.

148 Les élections de 1928 amorcent les premiers changements. Sur le plan national, ces élections marquent aussi les débuts d’un nouveau rapport de forces, la SFIO devançant en suffrages exprimés le Parti radical-socialiste.

149 Dans les Côtes-du-Nord par exemple, après une poussée du radicalisme, ce sont les extrêmes qui gagnent du terrain à partir de 1936 ; cf. Bougeard (Christian), Le choc de la guerre dans un département breton : les Côtes-du-Nord des années 1920 aux années 1950, thèse d’État, Rennes 2, 1986, vol. 2: p. 580-581.

Table des illustrations

Titre Tableau n° l : Principaux thèmes des professions de foi lors des élections législatives de 1919 à 1936.
Légende (1) C = communistes ; S = socialistes ; R = républicains ; D = droite ; Ce = centre.
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Titre Tableau n°2 : Mandats électoraux et portefeuilles ministériels des députés « professionnels ».
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Titre Carte n° 1. Les abstentions aux élections législatives 1924-1936
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Titre Tableau n°3 : Suffrages exprimés obtenus par les différentes familles politiques de 1919 à 1936 (en %).
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Titre Graphique n° l. Suffrages exprimés par chiffres Cinq familles politiques de 1919 à 1936
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Titre Tableau n°4 : Nombre de voix recueillies par la SFIO et le PCF.
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Titre Tableau n°5 : Poids électoral des villes dans leurs cantonsen 1924 et en 193661.
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Titre Carte n° 2. Candidat arrivé en tête au premier tour des élections législatives de 1919 à 1936
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Titre Tableau n°6 : Pourcentage moyen obtenu par les candidats dans les principales villes de la région conservatrice entre 1919 et 1936.
Légende (1) calcul sur trois élections
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Titre Tableau n°7 : Pourcentage moyen obtenu par les candidats dans les villes de la zone républicaine entre 1919 et 1936.
Légende (1) calcul sur trois élections
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Titre Carte n°3. Moyenne des suffrages exprimés aux élections législatives de 1919 à 1936 pour la gauche républicaine et la SFIO
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Titre Carte n°4. La gauche républicaine et la SFIO dans la « Dorsale républicaine » de 1919 à 1936
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Titre Carte n°5. La gauche républicaine en 1919
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Titre Carte n°6. La gauche républicaine en 1932
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Titre Tableau n°8 : Répartition des sièges lors des élections au Conseil général d’Ille-et-Vilaine de 1919 à 1937.
Légende (1) il meurt en 1921 et est remplacé par Guernier, radical-indépendant.(2) il meurt en 1935 et est remplacé par Gasnier-Duparc, radical-socialiste.
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Titre Carte n°7. Les conseillers généraux en 1919
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Titre Carte n°8. Les conseillers généraux en 1937
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Titre Tableau n°9 : Thèmes des professions de foi lors des élections cantonales124.
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Titre Tableau n°10 : Âge des conseillers généraux en 1919 et en 1937139.
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Titre Tableau n° 11 : Âge moyen et âge médian des conseillers généraux en 1919 et en 1937.
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Titre Tableau n°12 : Âge d’entrée au Conseil général sur l’ensemble de la période.
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Titre Tableau n°13 : Lieu de naissance des conseillers généraux entre 1919 et 1937.
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Titre Tableau n° 14 : Nombre de nobles au Conseil général à chaque renouvellement.
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Titre Tableau n°15 : Appartenance professionnelle des conseillers généraux.
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Titre Cartes n°9 et 10. Les élections municipales
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Titre Tableau n° 16 : Composition des quatre municipalités républicaines en 1919 et en 1935.
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