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Le châtiment du crime au Moyen Âge

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Nicole Gonthier

Conclusion

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Géographique :

France

Texte intégral

1Quotidiennement présent au cœur des sociétés médiévales, le crime constitue pour elles une réalité menaçante. Afin de conceptualiser cette menace, définir ce qui est crime et ce qui ne l'est pas, les mots varient selon les références choisies. Un vocabulaire féodal, ou des termes pris au domaine moral ou spirituel le désignent comme un manquement grave à un pacte convenu, une trahison à l'égard d'une paix jurée, la transgression d'un ordre établi par Dieu ou par une autorité temporelle. Qualifié d'excès, de péché, ou de rébellion il apparaît toujours, en dépit de l'imprécision normative qui caractérise sa désignation en justice, comme l'expression perverse, obstinée, irrévérencieuse d'une individualité qu'il convient de réduire aux règles communes, avant qu'elle ne cause trop de dangers.

2Pour restreindre la part du crime Église et État conjuguent leurs efforts, dans une tentative d'édification morale et civique tout à la fois. Par le biais de l'éducation et de la prédication les clercs essaient de structurer les esprits en vue d'une meilleure distinction entre le Bien et le Mal, le licite et l'interdit. La frontière entre le péché et le délit, la faute aux yeux de Dieu et la faute contre le prince devient ténue. Tandis que les hommes de Dieu commentent le Décalogue, menacent les insoumis de l'excommunication et des flammes de l'Enfer, les policiers déploient une activité à la fois préventive et répressive. Bien des obstacles cependant compromettent l'efficace traque du crime : les effectifs trop faibles, la guerre des polices concurrentes, le discrédit des sergents auprès des populations, l'absence d'autonomie d'une police mal soutenue par les responsables politiques.

3Quand les tribunaux statuent sur le crime c'est en puisant aux textes pénaux du droit coutumier et du droit romain tout à la fois ; ils prennent aux deux sources les éléments d'une qualification de l'acte commis et les subtils critères d'appréciation de la culpabilité du criminel. Loin de s'opposer, les deux appréhensions du crime se complètent. L'une l'analyse en terme de dol, de dysharmonie, de manque. Elle propose donc une sentence qui apporte compensation, pacification, satisfaction et qui s'adapte au plus juste au degré de gravité du méfait. L'autre confère au crime privé la dimension d'un acte de rébellion politique, d'un crime public et, négligeant presque la victime, entend sanctionner d'abord le tort fait à l'État, en imposant des punitions purgatoires et chargées de symboles. L'esprit et les méthodes de l'administration des peines ressortissent de ces deux approches ainsi que d'une troisième analyse du crime, moins juridique que philosophique.

4La pénalité présente un rapport analogique avec le crime commis ; inspirée de la loi du talion elle frappe le criminel par où il a péché ou le revêt de toute l'impureté de son acte, l'avilit autant que son crime l'a déjà fait.

5De plus le châtiment est public comme l'acquittement d'une dette envers la communauté tout entière, le signe d'une adhésion de celle-ci à la condamnation.

6Une évolution se fait jour entre le xiie et le xvie siècle qui exagère le caractère démonstratif des peines. La publicité devient une mesure d'infamie, l'aspect didactique des sanctions se déploie davantage, assorti d'une théâtralisation du châtiment. À la punition qu'on présente comme « méritée », s'adjoint la purgation qui s'obtient par la souffrance. Ce dernier élément du châtiment devient primordial aux xve et xvie siècles.

7Spectacle audio-visuel, l'administration des sanctions judiciaires délivre des messages forts aux spectateurs, par le biais des proclamations des sergents ou des plaintes des criminels. Dissuasive, mais jamais terrifiante, officialisant la violence dans un temps de mœurs rudes, elle devient un adjuvant utile des gouvernements, qu'ils soient urbains, seigneuriaux, princiers ou royaux.

8Au fur et à mesure que croissent les pouvoirs centralisateurs des princes et du roi se développe un paradoxe en matière de droit pénal. Châtier le crime apparaît comme un devoir de conscience et une preuve des qualités politiques de celui qui est le responsable de la paix intérieure et de la sauvegarde du peuple. Il s'agit de protéger physiquement des centaines de personnes, en éliminant les fauteurs de troubles, il s'agit de veiller au salut de tous en maintenant une bonne moralité, compromise par le scandale des criminels, il convient aussi d'apaiser la colère divine en sacrifiant les impurs, il devient impératif enfin d'obtenir l'amendement ici-bas des criminels eux-mêmes — des chrétiens dont l'âme est en péril. Ces considérations portent à délivrer une « dure et cruelle justice », selon les mentions qui reviennent souvent sous la plume des chroniqueurs, au xve siècle.

9En conséquence, la perspective de la réinsertion du criminel dans la société s'atténue. Le crime, puni dans la chair et le sang du condamné, laisse des marques aussi bien physiques que morales, l'exclusion de l'infamie ou de la flétrissure interdit toute réintégration. Peu importe aux justiciers car ce n'est pas le but recherché. Pourtant le crime trouve rémission ou grâce auprès de ce même souverain qui dispense les châtiments les plus sévères.

10À la fois combattu et pardonné par le prince, objet d'exécutions exemplaires, de dispositifs répressifs coûteux, le crime devient le prétexte de la clémence apparemment la moins fondée, scandaleuse aux yeux de quelques moralistes. Miséricorde et rigueur de justice, exercées de pair, assurent au monarque une solide domination sur des sujets entre lesquels désormais, il distingue seul les bons des mauvais. De la sorte, le châtiment prend sa vraie mesure : il est le soulagement des peuples qu'il prémunit contre les méchants, qu'il associe en toute légalité à une vengeance collective, qu'il prétend édifier par l'exemple. Il opère la catharsis des communautés, en les débarrassant de leurs éléments troubles et menaçants, il restitue un équilibre social et spirituel, mais surtout il révèle le roi dans sa fonction essentielle : celle d'un guide unique, d'un recours irremplaçable, qui fait le relais dans ce monde avec la justice implacable de Dieu.

© Presses universitaires de Rennes, 1998

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