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Entre Islam et Chrétienté

 | 
Stéphane Boissellier
, 
Isabel Cristina Ferreira Fernandes

Première partie. L'organisation des frontières arabo-musulmanes face à la reconquête et aux Croisades

La Syrie côtière, frontière et interface entre Byzantins, croisés et musulmans du Xe au XVe siècle

Benjamin Michaudel

Texte intégral

Introduction

1La Syrie côtière a joué un rôle clef dans l’évolution politique, militaire mais également architecturale du Proche-Orient médiéval, occupant à la fois les fonctions de frontière fortifiée entre les territoires musulmans et les possessions latines et byzantines, mais également d’interface ayant contribué au développement des échanges commerciaux, économiques, et techniques entre Orient et Occident, et plus particulièrement à la diffusion des techniques de construction militaire à travers la fondation d’une soixantaine de positions fortifiées entre les Xe et XVe siècles.

2Cette vaste région correspond au prolongement côtier de la Syrie dans ses frontières actuelles (figure 1), bornée naturellement au nord par la vallée du Nahr al-Kabīr al-Šamālī, principale voie de circulation entre Alep et la côte, au sud par la vallée du Nahr al-Kabīr al-Ğunūbī, principale voie de circulation entre Homs et les villes côtières de Tripoli et de Tartous, à l’est par la plaine du Ġāb et la vallée de l’Oronte, et à l’ouest par la Méditerranée. La majeure partie de sa surface est occupée par une longue chaîne montagneuse orientée nord-sud, désignée à l’époque médiévale sous le terme de Ğabal Bahrā’ et longée par une étroite bande littorale où furent concentrées les principales agglomérations (figure 2).

  • 1 R. Dussaud, Topographie historique de la Syrie antique et médiévale, Paris, Librairie orientaliste (...)

3Irriguée par de nombreux cours d’eau et deux fleuves et située dans une zone climatique méditerranéenne favorable, la Syrie côtière était réputée à l’époque médiévale pour sa culture en fruits, en sucre de canne, en olives. De même, sa situation géographique privilégiée face à la rive orientale de la Méditerranée en fit un relais majeur des principales routes commerciales terrestres et maritimes, notamment grâce à un grand nombre de ports et de mouillages connus depuis l’époque antique, à savoir du sud au nord Arwād, Tartous, Carné, Maraclée, Bānyās, Balda, Tall Sūkās, Ğabala, Qal‘at al-Rūs, Lattaquié1. Enfin, sa topographie générale en fait un espace naturellement protégé à l’est par la barre montagneuse et dont les deux principaux accès depuis l’arrière-pays, les dépressions septentrionales et méridionales, pouvaient être facilement surveillées grâce à des positions fortifiées. Ces éléments soulignent l’importance des enjeux militaires et économiques liés à la possession de cette région et expliquent les rivalités entre les civilisations antiques et médiévales pour son occupation pérenne ainsi que sa mise en défense systématique destinée à en contrôler les accès terrestres et maritimes.

Figure 1. – La Syrie côtière dans l’espace proche-oriental médiéval (Xe-XVe siècles).

Figure 2. – Les principaux ports et sites fortifiés de la Syrie côtière (Xe-XVe siècles).

Le duché byzantin d’Antioche (Xe-XIe siècles)

Un rempart contre les dynasties chiites et les Seldjouqides

  • 2 G. Dédéyan, « Le rôle des Arméniens en Syrie du Nord pendant la reconquête byzantine », Byzantinis (...)

4À partir de la seconde moitié du Xe siècle, une vague de reconquête byzantine en Syrie côtière conduisit à la création du duché d’Antioche2, borné au sud par la trouée de Homs et à l’est par l’Oronte et véritable zone tampon face aux territoires fatimides de Damas et hamdanides d’Alep, ces derniers ayant été d’abord vassaux des Byzantins avant d’être absorbés par les dynasties chiites des Fatimides, des Mirdassides, puis des Uqaylides. La région fut alors divisée en circonscriptions administratives, les thèmes, placés sous l’autorité d’un officier, le stratège, défendus par une garnison et organisés autour des principales villes côtières et de forteresses édifiées au cœur de la montagne afin d’en contrôler les principales routes.

  • 3 J. Ebersolt, Monuments d’architecture byzantine, Paris, les Éditions d’Art et d’Histoire, 1934, p. (...)

5Parmi les forteresses édifiées à cette époque pour contrôler les accès méridionaux du duché d’Antioche, les principales furent celles de Saône/Ṣahyūn, de Balāṭunus, de Masyaf, de Burzayh. Ces forteresses byzantines, pour la plupart bien conservées car réoccupées et restaurées durant les siècles suivants par les Latins et les musulmans, présentent des dispositifs défensifs synthétisant la longue évolution architecturale expérimentée par les Grecs dans le nord du Proche-Orient depuis le IVe siècle, avant l’avènement de l’Islam, jusqu’au moment de la reconquête au milieu du Xe siècle3.

  • 4 G. Dédéyan, « Le rôle des Arméniens », op. cit., p. 250.

6Si la majorité de la population de la Syrie côtière était initialement musulmane, elle fut enrichie par des communautés grecques, arméniennes, géorgiennes, mais également par des musulmans originaires d’autres provinces du Proche-Orient durant les Xe et XIe siècles. En effet, la démographie de la région fut profondément bouleversée par la reconquête byzantine de la Syrie du Nord à partir du milieu du Xe siècle : d’une part beaucoup de civils arméniens et géorgiens y trouvèrent refuge dans le courant du XIe siècle pour fuir la menace des Turcs Seldjouqides, d’autre part plusieurs milliers de musulmans capturés dans les régions d’Alep et de Homs durant les campagnes byzantines successives furent transférés dans le duché d’Antioche, et enfin des populations locales fuirent la région face à la menace militaire grecque et aux risques de conversions forcées4.

  • 5 G. Dédéyan, « Le rôle des Arméniens », op. cit., p. 260-266.
  • 6 G. Dédéyan, Les Arméniens entre Grecs, Musulmans et Croisés, Lisbonne, Fondation Calouste Gulbenki (...)
  • 7 G. Dédéyan, « Le rôle des Arméniens », op. cit., p. 260.
  • 8 G. Dédéyan, Les Arméniens, op. cit., vol. 2, p. 859.

7Dans cet espace de la Syrie côtière récemment soumis par les Grecs et toujours sous la menace des dynasties musulmanes de l’arrière-pays, les Arméniens, et dans une plus faible mesure les Géorgiens, occupèrent une place majeure dans l’organisation défensive de la région, et donc indirectement dans la stabilité politique et économique du duché d’Antioche. En effet, les Arméniens avaient déjà joué un rôle primordial dans le succès des campagnes militaires byzantines de la seconde moitié du Xe siècle, fournissant d’une part des contingents de fantassins qui combattirent aux côtés des Grecs, et d’autre part des garnisons chargées du contrôle des villes et des forteresses conquises5. Ils furent donc logiquement assignés aux mêmes fonctions militaires en Syrie côtière, extension méridionale du duché d’Antioche, aux Xe-XIe siècles, mais furent également chargés d’une mission de première importance, à savoir la protection des « marches » orientales du duché6. À l’est de la Syrie côtière, le territoire couvrant les contreforts orientaux de la chaîne montagneuse et la vallée de l’Oronte joua ce rôle de « marche », les Grecs renforçant la fonction de frontière naturelle jouée par le fleuve par l’édification, entre la seconde moitié du Xe siècle et le milieu du XIe siècle, de plusieurs positions fortifiées surplombant la vallée de l’Oronte telles du nord au sud Kafar Dubbīn, Balmīs, al-Šuġr-Bakās, Sarmāniyya, Burzayh, Abū Qubays. Les positions fortifiées principales devinrent les capitales de thèmes placés sous l’autorité de stratèges arméniens, un moyen pour les autorités grecques de s’assurer la fidélité de cette communauté grâce aux gratifications militaires, mais également d’offrir une garantie contre les velléités de sédition de ces « néo-byzantins7 ». Les contingents de troupes arméniennes affectés à la défense de ces thèmes frontaliers étaient accompagnés de leurs familles, ce qui contribua au peuplement croissant de la plaine de l’Oronte par la communauté arménienne à partir de la fin du Xe siècle, au point qu’un diocèse spécifique fut créé pour cette population avant la fin du XIIe siècle8.

  • 9 G. Dédéyan, « Le rôle des Arméniens », op. cit., p. 260.

8Comme souligné judicieusement par Gérard Dédéyan, cette marche orientale de la Syrie côtière et plus largement les marches orientales du duché d’Antioche visèrent, entre les Xe et XIIe siècles, « à constituer, en avant des thèmes romains (grecs), une profonde zone défensive, articulée autour des forteresses et des défilés, et en mesure d’absorber à temps les invasions ennemies9 ».

  • 10 C. Cahen, La Syrie du Nord à l’époque des Croisades et la Principauté franque d’Antioche, Paris, L (...)

9Malgré ce réseau dense de sites fortifiés le long de la vallée de l’Oronte, les Byzantins ne purent repousser les assauts des Turcs Seldjouqides dans la seconde moitié du XIe siècle et leur cédèrent la place. À l’instar des Grecs, les Seldjouqides privilégièrent la concorde militaire et politique avec les tribus locales en leur déléguant en partie la charge de protéger la région par la réoccupation et l’entretien des sites fortifiés fondés par les Byzantins, même s’ils conservaient malgré tout le contrôle des positions les plus stratégiques, comme Saône/Ṣahyūn, Lattaquié et Ḥiṣn al-Akrād (le futur Crac des Chevaliers)10.

Une zone de contacts et d’interactions entre mondes chrétien et musulman

  • 11 G. Dédéyan, Les Arméniens, op. cit., vol. 1, p. 273.
  • 12 R. Saoud, Muslim Architecture under Seljuk Patronage (1038-1327), Manchester, Foundation for Scien (...)

10La place de la province byzantine comme interface dans la diffusion des techniques de construction militaire dans la sphère proche-orientale aux Xe et XIe siècles est difficile à établir du fait de la rareté et de l’imprécision des occurrences dans les sources textuelles et des connaissances encore incomplètes sur la fortification médio-byzantine. Une observation à l’échelle du Proche-Orient et de l’Égypte nous révèle une diffusion des techniques de construction grecques et arméniennes aux Fatimides aux Xe et XIe siècles, par le biais des communautés chrétiennes qui émigrèrent à Alep et au Caire au XIe siècle et qui comptaient des artisans et des maîtres bâtisseurs, le meilleur exemple étant sans doute l’édification de trois portes monumentales du Caire sous la supervision de trois Arméniens d’Edesse à la fin du XIe siècle11. En revanche, compte tenu de leurs relations difficiles avec Byzance, les Seldjouqides ne semblent pas avoir bénéficié directement des connaissances architecturales grecques et arméniennes, tirant davantage profit des traditions architecturales perses auxquelles ils greffèrent les dispositifs défensifs observés dans les fortifications byzantines édifiées quelques siècles plus tôt en Syrie du Nord12.

  • 13 J. Mesqui, « Le château de Saône/Sahyoun », Histoire et images médiévales, 11, 2007-2008, p. 46-55 (...)
  • 14 T. B. Fratadocchi, « Notes on Armenian Military Architecture », Environmental Design: Journal of t (...)
  • 15 R. Saoud, The Arch That Never Sleeps, Manchester, Foundation for Science, Technology and Civilizat (...)

11Si la province byzantine de la Syrie côtière joua un rôle dans la diffusion de ces techniques de construction, elle représenta surtout le foyer d’une architecture militaire élaborée, sous l’égide des Byzantins, à partir des traditions architecturales grecques, arméniennes, mais également vernaculaires véhiculées par les différentes communautés qui œuvrèrent de concert pour la constitution du réseau fortifié aux Xe et XIe siècles. Les forteresses de Saône/Ṣahyūn et de Balāṭunus sont assurément les témoins les plus représentatifs, et les mieux préservés, de cette architecture militaire13 : elles combinent des dispositifs défensifs typiquement grecs, à savoir des saillants polygonaux et massifs (planche XI du cahier central), des tours de flanquement à archères doubles ou triples à niche (planche XII du cahier central), des assommoirs pour les portes et le commandement des sites par un kastron ou château haut (planche XIII du cahier central). Ces forteresses reprennent également des principes architecturaux véhiculés par les Arméniens comme le plan circulaire des tours et des connaissances relatives à la construction sur des hauteurs escarpées et en zone hautement sismique14. De plus, des techniques de construction abbassides, comme l’emploi des arcs brisés et des proto-voûtes d’arête15, et des connaissances vernaculaires, comme l’utilisation de blocs erratiques de calcaire dolomitique ou marneux pour les parements et des blocs taillés de calcaire crayeux pour les chaînages et les arêtes, furent employées par les Grecs dans ces forteresses.

Les États latins (XIIe-XIIIe siècles)

« La clef de la terre chrétienne »

  • 16 Le qualificatif fut employé par le roi de Hongrie André II lors de sa visite de la forteresse en 1 (...)

12Ce qualificatif, utilisé par les Latins pour désigner la forteresse emblématique du Crac des Chevaliers chargée du contrôle de la trouée de Homs séparant territoires chrétiens et musulmans (planche XIV du cahier central), pourrait tout à fait être appliqué à l’ensemble de la Syrie côtière aux XIIe et XIIIe siècles16. En effet, à l’arrivée des croisés en Orient à l’extrême fin du XIIe siècle, la province byzantine, soumise en quasi-totalité par les Turcs Seldjouqides depuis la fin du XIe siècle, fut progressivement récupérée par les Latins qui la partitionnèrent en deux entités, la principauté d’Antioche au nord et le comté de Tripoli au sud, débordant respectivement sur les territoires actuels de la Turquie et du Liban. Les anciens thèmes byzantins furent transformés en fiefs, concessions foncières administrées par des seigneurs féodaux qui avaient le devoir d’en assurer la défense par le recrutement d’une garnison, l’entretien, voire l’amélioration des sites fortifiés existants et la construction de positions fortifiées secondaires. De la sorte, les seigneurs féodaux purent bénéficier des infrastructures militaires mises en place par les Byzantins qu’ils améliorèrent par des campagnes de fortification plus ou moins ambitieuses selon leurs moyens financiers.

  • 17 Šams al-Dīn Al-Dimašqī, Nuḫbat al-dahr fī ‘ağā’ib al-barr wa l-baḥr, Francfort, Institute for the (...)
  • 18 C. Defrémery, « Nouvelles recherches sur les Ismaéliens ou Bathiniens de Syrie », Journal Asiatiqu (...)

13Les notions de frontières ne furent pas clairement définies avant le milieu du XIIe siècle dans ces espaces nouvellement occupés par les Latins : en effet, les campagnes militaires victorieuses des croisés sur les Seldjouqides à l’est de l’Oronte permirent l’extension orientale de la principauté d’Antioche et du comté de Tripoli et l’agrandissement des fiefs périphériques jusqu’aux années 1120. Cependant, durant les décennies suivantes, les contrecroisades seldjouqides repoussèrent les Latins sur la rive ouest de l’Oronte (figure 3), transformant ce fleuve, dans la moitié nord de la Syrie côtière, en frontière orientale de la principauté d’Antioche, et lui donnant également le statut de condominium : les textes arabes indiquent par exemple que le fief latin de Burzayh et l’iqṭā‘ (équivalent musulman du fief latin) seldjouqide d’Apamée, situés de part et d’autre du fleuve, se partageaient les zones de pêcherie localisées dans la vallée de l’Oronte17. La plaine de l’Oronte perdit ainsi le statut de « marche » orientale du duché d’Antioche qui était le sien aux Xe et XIe siècles pour devenir une simple frontière naturelle, ce qui conduisit à la fragilisation du système défensif mis en place par les Byzantins avec les thèmes périphériques arméniens : en effet, l’administration féodale instaurée par les croisés dans les États latins conduisit à un morcellement de l’espace politique, économique et surtout militaire de la Syrie côtière, chaque seigneur ayant la responsabilité de la défense de son fief, aux limites peu précises, et non pas d’une zone frontalière. Dans la moitié sud de la région, les Seldjouqides parvinrent à prendre position jusqu’à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de l’Oronte et de la ville de Homs, tandis que la secte chiite des Isma‘iliens prit le contrôle du cœur de la chaîne montagneuse autour des positions de Masyaf et d’al-Kahf, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Hama, et s’y maintint grâce au versement de tributs aux Hospitaliers18. Malgré sa situation d’enclave entre les territoires côtiers des Latins et l’arrière-pays aux mains des Seldjouqides, des Ayyoubides, puis des Mamelouks, ce territoire des Isma‘iliens, qui perdura jusqu’à la fin du XIIIe siècle, n’acquit pas le statut officieux de « marche » orientale de la principauté d’Antioche et du comté de Tripoli, mais eut plutôt celui de « no man’s land », une zone d’exclusion militaire placée sous la double et antagonique protection des Latins et des musulmans.

14Ces fortifications féodales édifiées par les Latins en Syrie côtière furent mises en œuvre notamment sur les positions byzantines renommées de Saône/Ṣahyūn, Balāṭunus, Burzayh, al-Šuġr-Bakās, Qal‘at Yaḥmūr, mais également sur des sites ruraux de la région de Tartous comme Burğ Um Uš, Burğ ‘Arab. Peu d’exemples de ces fortifications féodales sont conservés dans le sud de la région car les Ordres des Templiers et des Hospitaliers les modifièrent lorsqu’ils acquirent la tutelle de la région à partir de la seconde moitié du XIIe siècle.

Figure 3. – La Syrie côtière lors de la prise d’Alep par Saladin en 1183.

  • 19 P. Deschamps, Les châteaux des Croisés en Terre Sainte. T. III – La défense du comté de Tripoli et (...)
  • 20 P. Sidelko, The Acquisition of the Landed Estates of the Hospitallers in the Latin East, 1099-1291 (...)

15En effet, les raids seldjouqides menés régulièrement durant la seconde moitié du XIIe siècle au cœur du comté de Tripoli et la principauté d’Antioche, du fait de la disparition de la « marche » orientale et de l’absence de coordination défensive des troupes féodales, fragilisèrent la capacité défensive des États latins, les seigneurs isolés dans leurs fiefs étant dans l’incapacité de soutenir un effort financier constant qui passait par le recrutement de garnisons importantes pour la défense des sites fortifiés et des agglomérations et d’artisans pour les travaux de fortification et de restauration. La chute du nord de la Syrie côtière, alors contrôlée par les puissants seigneurs féodaux de Saône/Ṣahyūn, de Burzayh et d’al-Šuġr-Bakās, aux mains du sultan ayyoubide Saladin en 1188 stigmatisa l’inadaptation du système féodal face aux contre-croisades19. Dès la seconde moitié du XIIe siècle, les Ordres militaires des Templiers et Hospitaliers, qui possédaient des moyens financiers et humains considérables, furent alors sollicités par les souverains latins pour prendre le relais des seigneurs féodaux et maintenir, voire améliorer la capacité défensive des États latins. Templiers et Hospitaliers se virent alors remettre par donation ou par vente les fiefs du sud de la Syrie côtière, correspondant au nord du comté de Tripoli (figure 3)20. Ils initièrent d’importantes campagnes de fortification sur les anciennes forteresses et villes féodales comme Tartous, Arwād, Ṣāfīṭā, al-‘Urayma pour les Templiers, et le Crac des Chevaliers, Marqab, Qal‘at Yaḥmūr, Burğ Mī‘ār pour les Hospitaliers. Les anciennes positions féodales furent transformées en puissants châteaux-garnisons, bases des Ordres militaires et points de départ d’expéditions destinées à enrayer la menace seldjouqide, puis la menace ayyoubide à partir de la fin du XIIe siècle.

16Ces fortifications des Ordres militaires, dites ecclésiastiques, édifiées pour la majeure partie entre l’extrême fin du XIIe siècle et la première moitié du XIIIe siècle, notamment du fait des violents tremblements de terre de 1157 et 1170 qui ruinèrent nombre de places fortes de la Syrie côtière, révèlent une standardisation liée à la centralisation politique et militaire instaurée par les Templiers et les Hospitaliers qui mêle influences architecturales occidentales et orientales à des emprunts aux fortifications byzantines et peut-être seldjouqides et ayyoubides.

  • 21 H. Hasan, Le Château de Masyaf aux XIIe et XIIIe siècles, mémoire de DEA, université Paris 4, 2002 (...)

17À la même époque, entre la fin du XIIe siècle et le milieu du XIIIe siècle, les Isma‘iliens qui occupaient le cœur de la Syrie côtière renforcèrent leur implantation dans la région en menant des campagnes de fortification sur la dizaine d’anciennes positions fortifiées byzantines ou franques intégrées dans leur territoire, comme Masyaf, al-Kahf, al-Qadmūs, al-Qulay‘a, Ḫarība, al-Ḫawābī, al-‘Ullayqa, al-Mayniqa. Les travaux de fortifications mis en œuvre présentent des caractères vernaculaires et peu d’améliorations des dispositifs défensifs byzantins à l’image des dispositifs défensifs conservés dans la citadelle de Masyaf (planche XV du cahier central)21.

La « manufacture » d’une fortification latine aboutie

  • 22 J. Mesqui, « La fortification des Croisés au temps de Saint Louis au Proche-Orient », Bulletin Mon (...)

18La multiplication d’acteurs de premier plan de la fortification médiévale (Grecs, Arméniens, Latins, musulmans) en Syrie côtière entre les Xe et XIIe siècles explique le rôle majeur joué par cette région comme interface entre fortifications occidentales et orientales et sa place centrale dans l’émergence d’une architecture militaire latine à la pointe des connaissances du monde médiéval à la fin du XIIIe siècle. Les travaux historiques et archéologiques engagés depuis une vingtaine d’années sur les forteresses syncrétiques – aux influences architecturales multiples – de la région ont ainsi permis de mettre en évidence deux courants de développement de la fortification latine en Syrie côtière aux XIIe et XIIIe siècles22.

  • 23 J. Mesqui, Châteaux d’Orient, Paris, Hazan, 2001, p. 75-91.
  • 24 Muḥammad ibn Sālim Ibn Wāṣil, Mufarriğ al-kurūb fī aḫbār Banī Ayyūb, éd. Al-Šayyāl, Le Caire, Dār (...)

19Le premier courant fut marqué par le rôle joué par la Syrie côtière comme interface entre les traditions architecturales gallo-romaines importées d’Europe par les croisés et les traditions locales enrichies depuis le Xe siècle par les apports grecs et arméniens23. Les vecteurs de diffusion de ces traditions locales furent les vestiges des forteresses byzantines mais surtout les artisans grecs, arméniens et géorgiens appartenant aux communautés installées dans la région depuis les Xe-XIe siècles et qui constituèrent la main-d’œuvre principale pour les chantiers de construction ordonnés par les Latins, comme le confirme la mention de l’édification d’au moins une grotte fortifiée pour les croisés par des artisans arméniens24. Les fortifications latines édifiées par les seigneurs féodaux, par les Templiers et les Hospitaliers au XIIe siècle entrent dans cette catégorie : elles combinent des éléments propres aux traditions occidentales, comme la tour maîtresse dominant une cour ceinturée par une enceinte concentrique ou quadrangulaire jalonnée de tours quadrangulaires (planche XVI du cahier central), et des dispositifs défensifs et architecturaux déjà expérimentés en Orient par les Byzantins et les musulmans, tels le principe du flanquement, le glacis, les archères à niche (planche XVII du cahier central), les assommoirs (planche XVIII du cahier central), la herse (observée uniquement sur les forteresses latines d’al-Bāra en Syrie et de Ğubayl au Liban), les saillants massifs, les bâtiments en halle longeant les courtines (sur le même modèle que les caravansérails seldjouqides), l’adaptation à la topographie montagneuse et aux zones hautement sismiques.

  • 25 J. Mesqui, Châteaux d’Orient, op. cit., p. 107-123 ; J. Mesqui, Quatre châteaux des Hospitaliers e (...)
  • 26 J. Mesqui, Châteaux et enceintes de la France médiévale. Tome 1. Les organes de la défense, Paris, (...)
  • 27 N. Prouteau, « “Beneath the Battle”? Miners and Engineers as “Mercenaries” in the Holy Land (12th- (...)

20Le second courant fut principalement l’apanage des fortifications des Hospitaliers et des Templiers édifiées durant la première moitié du XIIIe siècle, même s’il faut également y ajouter la forteresse féodale de Cursat (Turquie) si l’on dépasse les frontières de la Syrie côtière (planche XIX du cahier central)25. Dans ce courant, la tradition occidentale, enrichie depuis la fin du XIIe siècle par la fortification « philippienne » développée sous l’impulsion de Philippe Auguste autour du principe des tracés géométriques flanqués de tours à archères circulaires ou semi-circulaires et d’une tour maîtresse circulaire à plusieurs niveaux voûtés26, prit l’ascendant sur la tradition vernaculaire. Elle fut diffusée vraisemblablement par des maîtres bâtisseurs ou architectes occidentaux recrutés par les Hospitaliers. Les forteresses concernées, dont les meilleurs représentants sont les forteresses emblématiques du Crac des Chevaliers et de Marqab, héritèrent ainsi de la fortification métropolitaine de puissantes courtines défendues par des archères à étrier et flanquées à intervalles réguliers de tours de flanquement généralement semi-circulaires (sauf chez les Templiers) (planche XX du cahier central), commandées par une grande tour maîtresse (planche XXI du cahier central), souvent intégrée dans un complexe architectural appelé donjon. Ce courant fut également enrichi par l’apport de dispositifs défensifs orientaux comme les bretèches (planche XXII du cahier central), les tours-portes à accès coudé, la gaine (galerie intra-murale ou bâtie au revers d’une courtine), déjà connus des Ayyoubides qui avaient expérimenté leur « révolution architecturale » en matière de fortifications au début du XIIIe siècle, et véhiculés par des équipes d’artisans et de tailleurs, des « mercenaires de la construction » grecs, arméniens ou musulmans qui traversaient les frontières pour offrir leurs services aux plus offrants27.

Les provinces ayyoubide et mamelouke (XIIIe-XVe siècles)

« La province royale des conquêtes heureuses »

21C’est sous ce qualificatif poétique qu’est désigné à la fin du XIIIe siècle le sud de la Syrie côtière suite à la conquête définitive par les Mamelouks de ce reliquat des États latins. Ce qualificatif pourrait être appliqué à l’ensemble de la Syrie côtière qui fut progressivement conquise sur les croisés et les Isma‘iliens en deux phases principales, l’une dirigée par le sultan ayyoubide Saladin en 1188 contre le nord de la région (le sud de la principauté d’Antioche), et la seconde menée par les sultans mamelouks entre 1266 et 1302 contre les dernières possessions latines et isma‘iliennes du centre et du sud de la région.

  • 28 B. Michaudel, « La poliorcétique », op. cit.
  • 29 A.-M. Eddé, La principauté ayyoubide d’Alep (1183-1260), Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 1999, p. (...)

22Ainsi, lors de la première phase menée durant l’été 1188, le sultan ayyoubide Saladin frappa les fiefs du sud de la principauté d’Antioche tels ceux de Saône, Burzayh, Balāṭunus, Sarmāniyya, al-Šuġr-Bakās, isolés et délaissés militairement par une capitale alors focalisée sur sa propre défense et ne bénéficiant pas des mêmes effectifs et moyens financiers que les Templiers et les Hospitaliers qui avaient sécurisé le sud de la région. À la tête de sa puissante armée, Saladin s’empara d’une dizaine de villes et forteresses et prit le contrôle de la vallée du Nahr al-Kabīr al-Šamālī entre Lattaquié et Ğisr al-Šuġr, ouvrant un couloir de circulation entre la côte et la principauté ayyoubide d’Alep28. Il confia ensuite l’administration de la région à plusieurs émirs à qui il attribua les anciens fiefs sous la forme d’iqṭā‘, concessions foncières héréditaires accompagnées pour le bénéficiaire de droits comme la perception d’impôts mais également de devoirs comme le service militaire, l’entretien de ses troupes et des positions fortifiées qui protégeaient son territoire29. Auparavant considérée comme le rempart sud d’Antioche, le nord de la Syrie côtière devint désormais une tête de pont de l’Empire ayyoubide à travers les États latins, et surtout l’unique extension maritime de cet Empire au Proche-Orient, le reste de la côte étant alors sous contrôle des Latins.

  • 30 B. Michaudel, « La fortification comme sceptre des Ayyoubides et des Mamelouks dans le Bilād al-Šā (...)

23Les titulaires de ces nouveaux iqṭā‘ ayyoubides entreprirent au début du XIIIe siècle des programmes de fortification sponsorisés par la principauté d’Alep, travaux qui constituaient un devoir pour le muqṭa‘ (le titulaire de l’iqṭā‘) et qui furent également nécessaires pour renforcer le contrôle de ce couloir commercial et militaire de première importance. Ces travaux s’inscrivirent dans une phase de développement généralisée de l’architecture militaire ayyoubide au début du XIIIe siècle, caractérisée par le parrainage de nombreuses campagnes de fortification dans l’ensemble de l’empire ayyoubide et par la standardisation et la normalisation des dispositifs défensifs30.

  • 31 C. Yovitchitch, Forteresses du Proche-Orient. L’architecture militaire des Ayyoubides, Paris, Pres (...)
  • 32 P. Chevedden, « Fortifications and the Development of Defensive Planning During the Crusader Perio (...)

24Les principaux caractères de ces fortifications ayyoubides en Syrie côtière sont l’optimisation de la couverture de tir par les archères à niche employées sur les fronts et les flancs des tours et courtines et en enfilade ; la systématisation de la défense sommitale des courtines et des portes par les bretèches, même si les ouvrages ayyoubides de Syrie côtière n’en conservent plus les traces du fait de la ruine généralisée de leurs couronnements, au contraire de citadelles emblématiques comme Damas, Le Caire et Alep qui arborent des bretèches de belle facture (planche XXIII du cahier central) ; la protection des accès par les passages coudés, les assommoirs et les gaines (planche XXIV du cahier central) ; l’utilisation du plan quadrangulaire, du talus ou du glacis pour des tours aux dimensions plus importantes qu’au XIIe siècle (planche XXV du cahier central)31. Cette monumentalité accrue des ouvrages est expliquée en grande partie par une adaptation aux progrès de la poliorcétique au tournant entre XIIe et XIIIe siècles, caractérisés notamment par la généralisation de l’emploi des trébuchets à contrepoids par les armées latines et musulmanes lors des sièges (planche XXVI du cahier central)32.

  • 33 P. M. Holt, « Mamluk-Frankish Diplomatic Relations in the Reign of Qalāwūn (678-689/1279-1290) », (...)
  • 34 Aḥmad ibn ‘Alī Al-Maqrīzī, Kitāb al-sulūk li-ma‘rifat duwal al-mulūk, éd. M. Ziyāda et A.F. ‘Āšūr, (...)

25La deuxième phase de conquête de la Syrie côtière se déroula sur une quarantaine d’années, entre 1266 et 1302, par le biais de plusieurs expéditions militaires dirigées principalement par les sultans mamelouks Baybars et Qalāwūn contre les positions des Templiers et des Hospitaliers (entre 1266 et 1302), contre les Isma‘iliens (entre 1271 et 1273) et contre l’anti-sultan Sunqur al-Ašqar établi séditieusement à Ṣahyūn (1287)33. Suite à la prise de l’emblématique Crac des Chevaliers des mains des Hospitaliers en 1271, le sultan mamelouk Baybars créa la « province royale des conquêtes heureuses » intégrant l’ensemble des positions récemment conquises dans le sud de la Syrie côtière et dont le Crac des Chevaliers devint la capitale34.

26Cette nouvelle province et à plus large échelle l’ensemble de la Syrie côtière aux mains des Mamelouks devinrent la vitrine militaire de l’Empire mamelouk, symboles de leurs victoires récentes sur les Latins et sur les Ayyoubides. De plus, la région constituait l’un des greniers du Proche-Orient, l’une des principales voies commerciales entre Orient et Occident et un objectif privilégié de potentielles expéditions militaires latines lancées depuis Chypre. En conséquence, les Mamelouks décidèrent rapidement de la mise en œuvre de programmes de restauration et d’amélioration défensive sur l’ensemble des forteresses prises aux Latins, aux Isma‘iliens et à l’antisultan Sunqur al-Ašqar.

  • 35 B. Michaudel, « Le Crac des Chevaliers, quintessence de l’architecture militaire mamelouke », Anna (...)

27Des caractères communs se distinguent à travers ces travaux de fortification mamelouks35 : la monumentalité des ouvrages observée à l’époque ayyoubide est confirmée avec de puissantes et hautes tours-contreforts ou boucliers, massives à la base et aux parements très épais, percées d’un grand nombre d’archères frontales et flanquantes (planche XXVII du cahier central). Un souci particulier de protection des couronnements des tours, courtines et portes est observé avec l’adoption de doubles ou triples niveaux de défense sommitale mêlant archères, bretèches et circuits continus de mâchicoulis sur consoles (planche XXVIII du cahier central). Enfin, le souci d’une circulation optimisée à l’intérieur des places fortes conduisit à la multiplication des couloirs intramuraux ou gaines. Ces nouvelles forteresses mameloukes étant amenées à devenir les résidences de gouverneurs régionaux, leurs programmes de fortification furent teintés de considérations esthétiques, palatiales et domestiques et des éléments de décor prirent place aux côtés de dispositifs purement défensifs (planche XXIX du cahier central).

Le héraut d’une architecture militaire islamique à l’apogée du monde médiéval

  • 36 J. France, « Fortifications East and West », H. Kennedy (ed.), Muslim Military Architecture in Gre (...)

28La Syrie côtière devint la tribune de la fortification islamique pour le monde occidental à partir de la fin du XIIIe siècle. En effet, on observe au XIVe siècle l’essor en Europe occidentale de dispositifs défensifs connus de la fortification mamelouke dès la fin du XIIIe siècle, comme les circuits continus de mâchicoulis sur arcs ou les double ou triple niveaux de défense sommitale combinant archères et bretèches. Le développement de ces nouveaux dispositifs défensifs en Europe fut-il une évolution interne et logique de la fortification occidentale, ou résulta-t-il de l’importation de techniques issues de la fortification islamique par des maîtres bâtisseurs chrétiens ou musulmans ? Cette question, qui embrasse la thématique plus large des vecteurs de diffusion, d’emprunt et d’échange des techniques de construction médiévales au sein de la sphère proche-orientale et entre Orient et Occident, reste aujourd’hui débattue, et pourrait au final ne pas fournir de réponse tranchée, comme le suggèrent des études récentes qui mettent en avant des évolutions parallèles des fortifications latines et islamiques à partir de traditions architecturales propres et avec la même réponse pragmatique à l’évolution sociale et technique de l’art de la guerre au Proche-Orient au tournant entre XIIe et XIIIe siècles36.

  • 37 ‘A-R. Zaky, « Gunpowder and Arab Firearms in Middle Ages », Gladius, 6, 1957, p. 52-54.

29Au sein de l’Empire mamelouk, le statut de la Syrie côtière évolua dans le courant du XIVe siècle : « La province royale des conquêtes heureuses », devenue désormais un élément de la puissante province de Tripoli, attira rarement l’attention des chroniqueurs après la fin des Croisades et apparut de plus en plus excentrée dans un Empire mamelouk centralisé où toutes les attentions étaient portées sur les villes capitales comme Le Caire, Damas, Alep, Jérusalem et Tripoli. Les forteresses majeures de l’époque des Croisades situées en Syrie côtière comme le Crac des Chevaliers et Marqab restèrent en marge du développement de l’Empire mamelouk aux XIVe et XVe siècles, ne bénéficiant que de travaux de restauration ponctuels alors que les citadelles des villes principales firent l’objet de campagnes de fortification d’ampleur destinées notamment à adapter les dispositifs défensifs à l’introduction de l’artillerie à poudre dans le courant du XIVe siècle37. Cette mise à l’écart de la Syrie côtière dans l’Empire mamelouk se traduisit par son statut reconnu de lieu d’« exil » au XVe siècle pour les émirs déchus qui finirent leurs jours dans les prisons dorées de Marqab ou du Crac des Chevaliers.

Conclusion

30Terre d’accueil des communautés grecques, arméniennes et géorgiennes aux Xe et XIe siècles, la Syrie côtière devint le berceau d’une architecture militaire « de pointe » qui combina les acquis techniques des communautés et les adapta aux conditions topographiques de la chaîne montagneuse syrienne. Les Latins bénéficièrent doublement de ces connaissances locales, par l’intermédiaire de maîtres bâtisseurs issus des communautés grecques et arméniennes et par l’imitation des dispositifs défensifs conservés dans les anciennes forteresses byzantines. Ils les mêlèrent à des degrés divers à leurs propres traditions architecturales, gallo-romaines dans un premier temps, puis métropolitaines, pour donner naissance à des forteresses emblématiques comme le Crac des Chevaliers. Les Ayyoubides, qui expérimentaient au début du XIIIe siècle une fortification islamique en pleine maturité, trouvèrent en Syrie côtière un formidable laboratoire architectural où les dispositifs défensifs byzantins, latins et musulmans purent être mis en concurrence au sein d’un même site. Enfin, après avoir pris le contrôle de la région, les Mamelouks apportèrent la dernière pierre à l’édifice en optimisant les fortifications latines et ayyoubides du XIIIe siècle à l’aide de dispositifs défensifs issus de leur propre sphère architecturale, donnant naissance à la fin du XIIIe siècle au parangon de la fortification médiévale avant l’essor de l’artillerie à poudre au XIVe siècle.

31Des recherches historiques, architecturales et archéologiques devraient être menées de concert depuis les deux rives de la Méditerranée afin de déterminer si, par exemple, les fortifications médiévales d’al-Andalus et du Proche-Orient connurent le même développement entre les Xe et XVe siècles, notamment du fait d’évolutions politiques et militaires comparables. Ces recherches pourraient approfondir nos connaissances sur les courants et vecteurs de diffusion, d’échange, d’emprunt des techniques de construction militaire au sein d’une même région, mais également autour du bassin méditerranéen à l’époque médiévale.

Notes

1 R. Dussaud, Topographie historique de la Syrie antique et médiévale, Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1927, p. 121-138.

2 G. Dédéyan, « Le rôle des Arméniens en Syrie du Nord pendant la reconquête byzantine », Byzantinische Forschungen, 25, 1999, p. 258 ; J.-C. Cheynet, « The Duchy of Antioch during the Second Period of Byzantine Rule », East and West in the Medieval Eastern Mediterranean, Louvain, Peeters, 2006, tome I, p. 1-16.

3 J. Ebersolt, Monuments d’architecture byzantine, Paris, les Éditions d’Art et d’Histoire, 1934, p. 103-106 ; A. W. Lawrence, « A Skeletal History of Byzantine Fortification », The Annual of the British School at Athens, 78, 1983, p. 171-227 ; C. Foss et D. Winfield, Byzantine Fortifications: an Introduction, Pretoria, University of South Africa, 1986, p. 7-13, 25-31 et 145-150 ; J.-P. Fourdrin, « L’association de la niche et de l’archère dans les fortifications élevées en Syrie entre le VIe et le XIIe siècle », Syria, 75-1, 1998, p. 279-294 ; J.-L. Biscop, « The Kastron of Qal‘at Sim‘ān », H. Kennedy (ed.), Muslim Military Architecture in Greater Syria, Leyde, Brill, 2006, p. 75-83.

4 G. Dédéyan, « Le rôle des Arméniens », op. cit., p. 250.

5 G. Dédéyan, « Le rôle des Arméniens », op. cit., p. 260-266.

6 G. Dédéyan, Les Arméniens entre Grecs, Musulmans et Croisés, Lisbonne, Fondation Calouste Gulbenkian, 2003, vol. 2, p. 854-860.

7 G. Dédéyan, « Le rôle des Arméniens », op. cit., p. 260.

8 G. Dédéyan, Les Arméniens, op. cit., vol. 2, p. 859.

9 G. Dédéyan, « Le rôle des Arméniens », op. cit., p. 260.

10 C. Cahen, La Syrie du Nord à l’époque des Croisades et la Principauté franque d’Antioche, Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1940, p. 180.

11 G. Dédéyan, Les Arméniens, op. cit., vol. 1, p. 273.

12 R. Saoud, Muslim Architecture under Seljuk Patronage (1038-1327), Manchester, Foundation for Science, Technology and Civilization, 2003.

13 J. Mesqui, « Le château de Saône/Sahyoun », Histoire et images médiévales, 11, 2007-2008, p. 46-55 ; B. Michaudel, « Le château de Saône/Sahyun en Syrie, creuset de l’architecture médiévale en Orient », Chronos, 23, 2011, p. 67-104.

14 T. B. Fratadocchi, « Notes on Armenian Military Architecture », Environmental Design: Journal of the Islamic Environmental Design Research Centre, 1-2, 1997-1998-1999, p. 66-71.

15 R. Saoud, The Arch That Never Sleeps, Manchester, Foundation for Science, Technology and Civilization, 2002 ; R. Saoud, Muslim Architecture under the Abbassid Patronage (750-892 AD), Manchester, Foundation for Science, Technology and Civilization, 2002.

16 Le qualificatif fut employé par le roi de Hongrie André II lors de sa visite de la forteresse en 1218. J. Delaville Le Roulx (éd.), Cartulaire général de l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Paris, Ernest Leroux, 1897, tome 2, p. 238-239 (acte n ° 1602).

17 Šams al-Dīn Al-Dimašqī, Nuḫbat al-dahr fī ‘ağā’ib al-barr wa l-baḥr, Francfort, Institute for the History of Arabic-Islamic Science at the Johann Wolfgang Goethe University, 1994, p. 205.

18 C. Defrémery, « Nouvelles recherches sur les Ismaéliens ou Bathiniens de Syrie », Journal Asiatique, janvier 1855, p. 53.

19 P. Deschamps, Les châteaux des Croisés en Terre Sainte. T. III – La défense du comté de Tripoli et de la principauté d’Antioche, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1973, p. 127-133 ; B. Michaudel, « La poliorcétique au temps de Saladin. L’exemple de la campagne militaire de 1188 en Syrie côtière », Annales Islamologiques, 43, 2009, p. 245-272.

20 P. Sidelko, The Acquisition of the Landed Estates of the Hospitallers in the Latin East, 1099-1291, thèse de doctorat, Université de Toronto, 2000; J. Burgtorf, « The Military Orders in the Crusader Principality of Antioch », East and West in the Medieval Eastern Mediterranean, Louvain, Peeters, 2006, tome I, p. 217-246.

21 H. Hasan, Le Château de Masyaf aux XIIe et XIIIe siècles, mémoire de DEA, université Paris 4, 2002 ; V. Vachon, « Les châteaux Isma‘iliens du Djabal Bahrâ’ », N. Faucherre, J. Mesqui et N. Prouteau (dir.), La fortification au temps des Croisades, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 219-241.

22 J. Mesqui, « La fortification des Croisés au temps de Saint Louis au Proche-Orient », Bulletin Monumental, 164-1, 2006, p. 5-29.

23 J. Mesqui, Châteaux d’Orient, Paris, Hazan, 2001, p. 75-91.

24 Muḥammad ibn Sālim Ibn Wāṣil, Mufarriğ al-kurūb fī aḫbār Banī Ayyūb, éd. Al-Šayyāl, Le Caire, Dār al-Kutub, 1953, vol. 1, p. 265.

25 J. Mesqui, Châteaux d’Orient, op. cit., p. 107-123 ; J. Mesqui, Quatre châteaux des Hospitaliers en Syrie et au Liban, www.castellorient, 2003 ; J. Mesqui, « La fortification des Croisés », op. cit.

26 J. Mesqui, Châteaux et enceintes de la France médiévale. Tome 1. Les organes de la défense, Paris, Picard, 1991, p. 41-66.

27 N. Prouteau, « “Beneath the Battle”? Miners and Engineers as “Mercenaries” in the Holy Land (12th-13th centuries) », J. France (éd.), Mercenaries and Paid Men. The Mercenary Identity in the Middle Ages, Leyde, Brill, 2008, p. 105-117 ; B. Michaudel, « The Development of Islamic Military Architecture during the Ayyubid and Mamluk Reconquests of Frankish Syria », Muslim Military Architecture in Greater Syria, Leyde, Brill, 2006, p. 113-117.

28 B. Michaudel, « La poliorcétique », op. cit.

29 A.-M. Eddé, La principauté ayyoubide d’Alep (1183-1260), Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 1999, p. 279 sqq.

30 B. Michaudel, « La fortification comme sceptre des Ayyoubides et des Mamelouks dans le Bilād al-Šām et en Égypte à l’époque des Croisades », Bulletin d’Études Orientales, 57 (supplément), 2008, p. 56-60.

31 C. Yovitchitch, Forteresses du Proche-Orient. L’architecture militaire des Ayyoubides, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2011, p. 129-253.

32 P. Chevedden, « Fortifications and the Development of Defensive Planning During the Crusader Period », D. J. Kagay (ed.), The Circle of War in the Middle Ages, Woodbridge, Boydell Press, 1999, p. 33-43.

33 P. M. Holt, « Mamluk-Frankish Diplomatic Relations in the Reign of Qalāwūn (678-689/1279-1290) », Journal of the Royal Asiatic Society of Great Britain and Ireland, 2, 1989, p. 278-289 ; R. S. Humphreys, « Ayyubids, Mamluks and the Latin East », Mamluk Studies Review, 2, 1998, p. 10-13.

34 Aḥmad ibn ‘Alī Al-Maqrīzī, Kitāb al-sulūk li-ma‘rifat duwal al-mulūk, éd. M. Ziyāda et A.F. ‘Āšūr, Le Caire, Maṭba‘at Lağnat al-Ta‘līf wa l-Tarğama wa l-Našr, 1934, vol. 1, p. 624.

35 B. Michaudel, « Le Crac des Chevaliers, quintessence de l’architecture militaire mamelouke », Annales Islamologiques, 38, 2004, p. 59-66.

36 J. France, « Fortifications East and West », H. Kennedy (ed.), Muslim Military Architecture in Greater Syria, Leyde, Brill, 2006, p. 281-294; R. Ellenblum, Crusader Castles and Modern Histories, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 298-304.

37 ‘A-R. Zaky, « Gunpowder and Arab Firearms in Middle Ages », Gladius, 6, 1957, p. 52-54.

Table des illustrations

Légende Figure 1. – La Syrie côtière dans l’espace proche-oriental médiéval (Xe-XVe siècles).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/89613/img-1.jpg
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Légende Figure 2. – Les principaux ports et sites fortifiés de la Syrie côtière (Xe-XVe siècles).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/89613/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 72k
Légende Figure 3. – La Syrie côtière lors de la prise d’Alep par Saladin en 1183.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/89613/img-3.jpg
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Auteur

Massachusetts Institute of Technology

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