Enfance bafouée
|Chapitre I. Le crime, modalités et corollaire
Texte intégral
1Le Code pénal de 1810 institue un nouveau crime : les violences exercées sur une personne « avec l’intention d’offenser sa pudeur ». L’attentat à la pudeur signifie que des gestes qui, jusque-là, n’étaient pas relevés par la loi, deviennent punissables. Les enfants sont directement concernés par cette nouvelle incrimination car si la victime est un enfant, alors même que la défloration est attestée, le terme d’attentat à la pudeur l’emporte généralement sur celui de viol. Ce choix des mots s’explique par la jurisprudence de la première moitié du XIXe siècle. Médecins experts et juges estiment que la disproportion entre les organes sexuels d’un adulte et ceux d’un enfant rend impossible l’intromission du membre viril. Comme le modèle du viol reste l’accomplissement violent d’un acte sexuel complet avec son risque d’enfantement, pour les hommes de ce premier XIXe siècle, le viol sur un enfant n’existe pas. En 1832, à l’occasion de la révision du Code pénal, une meilleure distinction entre le viol et l’attentat à la pudeur est nettement soulignée. De même, est prévue une aggravation de la peine si la victime du viol ou de l’attentat à la pudeur sans violence est une personne mineure de moins de onze ans, âge porté à treize ans en 1863 et à quinze ans en 1945.
- 1 Le petit Robert donne la définition suivante du verbe abuser : tromper quelqu’un en abusant de sa (...)
2L’expression contemporaine « abus sexuels1 » a été choisie dans le cadre de cette recherche pour désigner les faits relatés. Elle n’est ni une qualification juridique ni une notion de droit pénal. Son avantage est de ne pas réduire le phénomène aux sévices qui déterminent un degré de gravité, excluant d’emblée du champ de la définition des actes, des attitudes qui sont des abus sexuels sans être des sévices. Elle ne se réduit pas non plus aux violences, car si la violence accompagne souvent l’abus, certains actes sont commis dans un climat exempt de violence apparente.
En amont de l’agression
3Les procès-verbaux dressés par les gendarmes décrivent avec moult précisions les particularités de l’abus ainsi que les modes opératoires utilisés par l’abuseur. Le jour et l’heure figurent toujours, sauf si l’agression est ancienne et que la victime ne s’en souvient plus. Description des lieux, faits et gestes, propos tenus par l’un ou l’autre des protagonistes, chaque détail est retranscrit fidèlement. Les récits des gendarmes se veulent d’une extrême rigueur et de la plus grande neutralité. En conséquence, le dépouillement systématique des 349 procès-verbaux permet de dresser un panorama complet des circonstances des abus sexuels sur les enfants, en Bretagne, au XIXe siècle.
Une agression rurale
- 2 Cornette Joël, Histoire de la Bretagne et les Bretons, t. 2, Paris, Éditions du Seuil, 2005, p. 23 (...)
4Qu’ils soient hommes politiques, légistes ou juristes, les contemporains se désolent tous de la dépravation des mœurs qu’ils imputent volontiers à la révolution industrielle et à l’accroissement rapide de la population. Or, la Bretagne est peu concernée par la révolution industrielle. À la fin du siècle, plus des deux tiers de la population vivent encore du travail de la terre. Joël Cornette indique qu’« en 1876, l’agriculture emploie 71,2 % de bras, l’industrie 16,4 % et le commerce 12,4 %2 ». En parallèle, la région est fortement peuplée et sa population croît régulièrement tout au long du siècle. Elle passe de 2 200 000 habitants en 1801 à 3 300 000 habitants en 1911 avec des densités de population toujours supérieures à celle de la France.
- 3 Voir le site Gallica, Compte général de l’administration de la justice criminelle. Timothée Papin, (...)
- 4 Ont été pris en compte les chiffres moyens concernant la seconde moitié du siècle.
- 5 Voir index.
- 6 Ce sont les agglomérations de Brest, Lorient, Morlaix, Nantes, Rennes, Saint-Brieuc, Saint-Malo, S (...)
- 7 Au XIXe siècle, les mots pédérastie et sodomie sont utilisés pour désigner les relations sexuelles (...)
5Alors que, au niveau national, dans la même période, 1876-1880, les viols et attentats à la pudeur commis sur des enfants se produisent à 56 % dans les communes rurales et à 44 % dans les villes3, la situation en Bretagne s’avère beaucoup plus contrastée. Si l’on considère la définition retenue entre 1846 et 1954 pour distinguer les communes rurales et les communes urbaines, 85 % des affaires étudiées ont lieu dans une commune de moins de 2 000 habitants4. Les communes rurales sont bel et bien le lieu de prédilection des abus sexuels sur les enfants. Le fait que les campagnes bretonnes soient très peuplées et plus densément que les autres régions françaises contribue à expliquer ce chiffre. Au total, 291 agglomérations font l’objet d’au moins une affaire pour l’ensemble des cinq départements bretons5. Parmi ces agglomérations, seules neuf d’entre elles dépassent les 10 000 habitants dans la seconde moitié du siècle6. Il est à noter que ces agglomérations urbaines concentrent le tiers des attentats sur les garçons, ce qui n’a rien d’étonnant étant donné la perception péjorative véhiculée à propos des pratiques pédérastiques7. Les abuseurs attirés par les garçons recherchent l’anonymat des grandes villes. Les deux derniers tiers de ces attentats ont lieu dans des communes rurales, de la part essentiellement d’instituteurs qui y sont en poste et pour qui la localisation géographique de l’école n’a pas d’importance.
- 8 Ce sont les communes de Baud, Brest, Guingamp, Landerneau, Mizillac, Morlaix, Paimpol, Saint-Malo, (...)
6D’autre part, seules dix communes ont été éclaboussées par deux affaires, excepté Nantes, qui a le triste privilège d’en regrouper cinq, mais il s’agit d’un simple effet de source8. Ne figurent dans cette liste que des agglomérations ou bourgs importants sauf Missillac, en Loire-Inférieure, avec néanmoins plus de 2 000 habitants dans la seconde moitié du siècle. Aucune commune rurale n’est citée deux fois. Doit-on en conclure que le scandale qui déshonore une commune au premier attentat dénoncé imprègne durablement sa mémoire collective au point d’annihiler toute récidive ?
- 9 . Masson Émile, Les Bretons et le socialisme (textes choisis), Paris, François Maspéro, 1972, p. 20 (...)
7D’une manière générale, les communes urbaines sont peu concernées par les abus sexuels sur les enfants. L’acte nécessite pour son auteur de ne pas être repéré. Or, à la ville, un homme peut difficilement s’isoler avec un enfant sans attirer l’attention. Les voisins se montrent attentifs au moindre mouvement. Comme les maisons et les jardins se touchent, ils risquent de voir et d’ébruiter la nouvelle. La campagne, en revanche, offre tout un panel de possibilités d’isolement. En Bretagne, l’habitat y est dispersé, les communes divisées en villages espacés, eux-mêmes composés de plusieurs hameaux. Émile Masson souligne, au sujet de l’éparpillement de la population bretonne : « Nul peuple ne vécut jamais moins en troupeau. Il vit… en ordre dispersé, en tirailleurs, derrière ses talus, ses dunes, en mer9 ! » Dès que les enfants ont acquis l’âge de l’autonomie, vers 7 à 8 ans, ils sont requis par leurs parents pour effectuer de menues missions, comme garder une tête ou deux de bétail, chercher le pain au four, effectuer diverses récoltes. Ils sont donc amenés à parcourir par tous les temps des chemins où les mauvaises rencontres sont possibles d’autant qu’à partir des années 1850, une part des enfants fréquentent l’école primaire du village, souvent éloignée du domicile de plusieurs kilomètres.
Dans l’environnement familier de la victime
8L’isolement est la première arme utilisée par l’abuseur. L’abus sexuel réclame de la discrétion et, à ce titre, la nature offre maintes possibilités, mais, cependant, n’évite pas toujours les flagrants délits. Au XIXe siècle, pour un adulte, le fait de s’enfermer avec un enfant attire la suspicion. Ceci explique que non seulement les abus ont lieu majoritairement dans une commune rurale mais que 74 % d’entre eux se passent à l’extérieur, dans un périmètre inférieur à 300 mètres du domicile de l’enfant.
- 10 AD 22, 2U771, aff. Dubois.
9Chemins et champs concentrent à eux seuls 62 % des lieux d’abus. Empruntés par les enfants comme voies d’accès vers les champs mais aussi vers l’école ou le lieu de catéchisme, les chemins servent également de lieux de récolte. Quantité de produits y sont glanés parmi lesquels des fruits de toutes sortes, des fougères, des ajoncs, du lierre, du bois, du genêt utilisé pour confectionner des balais et du crottin pour servir d’engrais naturel. Autre fonction du chemin, situé à proximité des maisons d’habitation, il constitue une aire de jeux privilégiée pour les enfants. De leur côté, les adultes cheminent à pied pour se rendre aux champs, qu’ils soient domestiques, journaliers ou cultivateurs. Quant aux colporteurs, chiffonniers et autres marchands ambulants, ils parcourent inlassablement la campagne afin de vendre leurs produits. Plus rarement, ils circulent en voiture à cheval. Cinq abuseurs seulement se trouvent dans cette situation quand ils rencontrent l’enfant. Jouant de la naïveté de ce dernier, ils le prient d’y prendre place sous prétexte de le ramener chez lui. Mais la situation se retourne contre eux car les voitures sont si peu nombreuses qu’elles attirent immanquablement les regards. Le piège se referme non sur la cible choisie mais sur son bourreau : « Le 29 juillet dernier, un sieur Poilbot, journalier, à Ploufragan se trouvait dans un cabaret situé sur la route de Saint-Brieuc à Chatelaudren, lorsqu’on lui dit qu’une voiture particulière emmenait sa fille Jeanne-Marie, âgée de 10 ans. Après quelques hésitations, il se mit à la poursuite de cette voiture et parvint à l’atteindre10… »
- 11 AD 29, 4U2/170, aff. Kerdellès.
10Après avoir jeté son dévolu sur sa future victime, l’abuseur n’a plus qu’une idée en tête : transporter l’enfant jusqu’au champ le plus proche. Il le soulève, brutalement, « dans une brassée » selon l’expression utilisée dans les procès-verbaux des gendarmes. Puis il repère un creux afin de ne pas être vu des passants. Si les endroits isolés sont particulièrement prisés par les abuseurs, gare à ceux qui le sont trop. Un abuseur, inconnu de sa jeune victime et de la communauté villageoise, peut être identifié car : « Le champ où l’inculpé avait amené sa victime se trouve entouré de fossés et éloigné de deux kilomètres de toute habitation11. » Il est le seul homme à s’être rendu dans cet endroit le jour de l’agression.
- 12 AD 22, 2U782, aff. Le Bourdoulous.
- 13 AD 22, 2U793, aff. Tanguy.
11Lorsqu’ils ne se déroulent pas dans un chemin ou un champ, les abus ont pour décor le domicile, celui de l’enfant, de l’agresseur ou le domicile commun quand l’abuseur est le père de famille, le domestique des parents ou le patron. Il n’existe pas, dans les campagnes bretonnes, de sentiment d’insécurité et les parents, qui travaillent à l’extérieur, laissent fréquemment leurs enfants seuls chez eux, sans surveillance directe. Les adultes estiment que le toit familial suffit à les protéger et qu’en cas de problème, les voisins peuvent accourir. Or, plusieurs attaques résultent du passage de mendiants dans la commune et l’action est généralement si rapide que l’enfant ne peut ni s’y soustraire ni alerter le voisinage. Le danger peut également surgir de voisins malintentionnés qui font irruption pour des motifs divers. L’un vient mettre un peu de paille dans le fond de ses sabots ou emprunter un outil, tandis qu’un autre a besoin d’allumer sa pipe. Le moment de la messe dominicale est une aubaine qu’ils savent saisir : « Le dimanche de la Trinité 23 mai 1869, au matin, Yves Le Bourdoulous croisa sur la route de Penvenan, les époux Garlan qui se rendaient à la messe de cette commune. Il continua son chemin et arriva bientôt jusqu’à leur habitation où il trouva leur fille Marie-Françoise, âgée de 11 ans, en compagnie de ses deux frères encore plus jeunes qu’elle12. » Enfin, le danger peut provenir du foyer même de la future victime : « Le 6 février 1900, vers deux heures de l’après-midi, le nommé Tanguy Eugène, domestique chez les époux Renard, rue des Carmes à Quintin, se trouvait seul au domicile de ses maîtres, avec leur fille Anne-Marie âgée de trois ans13. » En s’attaquant à une enfant de cet âge, l’abuseur mise sur l’improbabilité de la verbalisation et pense que le cas échéant, il pourra aisément contredire la fillette.
- 14 AD 22, 2U793, aff. Le May.
- 15 AD 22, 2U474, aff. Dabareul.
12Plus rares sont les abus pratiqués chez l’abuseur. Ces faits sont généralement l’apanage de voisins âgés connus pour rechercher la compagnie des petites filles. La communauté villageoise tolère leur attitude à condition que les enfants ne manifestent pas d’hostilité à se rendre à leur domicile : « À la fin de l’année 1899, les habitants du village de Kerlahaye, commune de Bourbriac, remarquèrent les allures suspectes du nommé Le May Yves-Marie âgé de 60 ans vis-à-vis de la jeune Marie Simon âgée de 10 ans qu’il attirait fréquemment chez lui et que les enfants appelaient “femme le May”14. » À la manière inhabituelle des abuseurs de fermer leur porte, les fillettes comprennent, trop tard, qu’elles sont piégées : « Là, cet homme en ayant fermé la porte avec une grosse pierre la saisit par le corps, lui passa la main sous les vêtements et se permit sur elle des attouchements indécents15. » Les autres lieux d’abus ne comptent que pour 5 % du total. Y figurent l’école, lieu d’action des instituteurs ainsi que des emplacements proches du domicile de la victime, comme un hangar, un four, un moulin ou une écurie.
- 16 Garraud Robert et Bernard Paul, « Des attentats à la pudeur et des viols sur les enfants (Législat (...)
13Les abus sexuels s’opérant en large majorité à l’extérieur, il n’est pas étonnant qu’ils soient commis lorsque le temps est clément. 78 % d’entre eux ont eu lieu entre le mois de mars et le mois de septembre. Les mois creux sont les mois d’hiver, de décembre à février. Ces données corroborent une analyse élaborée en 1886. D’après ses auteurs, « les mois de mai, juin, juillet, août correspondent à la plus grande fréquence des attentats à la pudeur sur enfants » tandis que les « mois les plus froids sont les mois anaphrodisiaques »16. Concrètement, deux motifs interviennent pour expliquer ce phénomène. À la période hivernale, l’activité se fait plus rare dans les champs et les prés, ce qui rend moins fréquents les contacts entre les hommes au travail et les enfants et les journées sont plus courtes. Aucun jour de la semaine n’est plus propice qu’un autre aux abus sexuels. Le dimanche, jour du Seigneur, n’est pas exempt de son lot d’exactions, comme souligné précédemment.
- 17 AD 22, 2U872, aff. Chary.
14La plupart des abus s’accomplissent en plein jour, souvent dans le courant de l’après-midi. L’observation des jours et des heures, notées dans les procès-verbaux des forces de l’ordre, montre, qu’à partir de 1881, en dépit de l’obligation scolaire entre 6 et 13 ans, l’assiduité scolaire est toute relative, notamment aux beaux jours. Toutefois, les enfants qui pratiquent l’école buissonnière, ne flânent pas pour autant. Ils sont sollicités par leurs parents pour aider aux champs. Sur l’ensemble du corpus, huit abus seulement ont lieu dans la pénombre de la nuit car le soir, les enfants sont en famille, chez eux. Ces agressions concernent une petite fille abandonnée, sans asile, qui dort sous un porche, à Guingamp17. Deux autres effectuent une course de bon matin et les dernières, parmi les plus âgées des victimes, rentrent chez elles à la nuit tombée, après avoir travaillé.
Deux techniques d’approche
15Si la majeure partie des abus sexuels sur les enfants prennent la forme d’une attaque subite et non préméditée, une part d’entre eux provient d’abuseurs qui nouent un semblant de relation affective avec leur victime.
Sans préambule
- 18 AD 22, 2U791, aff. Le Guen.
16La plupart des rencontres sont fortuites, dues au hasard. Les victimes se trouvent au mauvais endroit, au mauvais moment. Les abuseurs ne recherchent pas un enfant par attirance physique, ni même un partenaire sexuel. Ils sont en quête d’une proie qui ne pourra pas leur résister. Leur objectif est d’assouvir une pulsion déclenchée à la vue de l’enfant, uniquement perçu comme un objet sexuel. Leur geste n’est pas prémédité sauf dans une minorité de cas où l’abuseur attend patiemment sa victime, l’épiant et évaluant la prise de risque avant de passer à l’acte. Ceux-là reportent l’agression à un moment plus opportun quand elle est contrariée par une intrusion : « Un passant les croisa à ce moment : Le Guen tout en la tenant par son jupon n’insista pas alors. Mais en se trouvant bientôt seul avec l’enfant, il la fit monter sur le talus qui sépare le bois de la route et la poussa de l’autre côté sur un tas de feuilles18. »
- 19 AD 22, 2U771, aff. Le Roux.
- 20 AD 22, 2U782, aff. Le Bourdoulous.
17Néanmoins, en dépit du caractère imprévu de la rencontre, les abuseurs n’en perdent pas pour autant leur esprit. Ils savent qu’ils ne doivent pas être vus et cette préoccupation première prouve qu’ils ont conscience de commettre un acte répréhensible. Dans cette optique, ils ciblent, de préférence, un enfant seul. Dès qu’ils le repèrent, ils s’assurent de l’absence de témoin en jetant des coups d’œil furtifs à droite et à gauche. Quand ils pénètrent au domicile de la victime, ils s’inquiètent de la présence des parents : « Votre mère est-elle à la maison ? demanda Yves Le Roux à Rosalie Le Clézio. Sur sa réponse négative, il regarda sur la route s’il ne venait personne19. » Ils s’empressent ensuite de fermer la porte de la maison afin d’éviter les intrusions intempestives : « Il ferma ensuite la porte au verrou, courut au lit où Marie Garlan s’était cachée, la saisit, lui releva les vêtements et s’efforça de lui introduire son membre viril dans les parties sexuelles20. »
- 21 AD 22, 2U755, aff. Mahé.
- 22 AD 22, 2U782, aff. Tanguy.
18Ceci dit, la présence d’autres enfants ne dissuade pas toujours les abuseurs de commettre leur méfait. Ils les chassent par quelques mots cinglants : « Pousse-toi, petite salope21 » ou de manière plus subtile, à l’aide d’un stratagème : « Dans la soirée du lundi 3 avril 1871, Tanguy entra au domicile des époux Ollivier demeurant à Saint-Nicolas-du-Pélem, et n’y trouva que les deux enfants, Anne-Marie Ollivier, âgée de 10 ans et Alexandre, âgé de 9 ans. Il leur proposa de les conduire à la recherche de leur père. Les enfants acceptèrent cette proposition et le suivirent et, chemin faisant, Tanguy parvint à se débarrasser du petit Alexandre sur le champ de foire et il continua sa route avec Anne-Marie22. » D’autres ne s’embarrassent pas de principes et effectuent leur abus en présence de petits témoins pétrifiés et incapables de réagir : « Marguerite Le Coadou, enfant de 11 ans, était seule chez elle. François, son frère, survint dans le même moment et, malgré sa présence et celle de Marie Corlouer, il tenta de jeter Marguerite Le Coadou sur un tas de fougères placé près de la cheminée.
- 23 AD 22, 2U475, aff. Le Coadou.
- 24 AD 29, 4U2/120, aff. Caoudal.
19N’ayant pu y réussir, il la prit au corps une seconde fois la renversa, se déboutonna, leva ses hardes, et s’étendit sur elle23. » Les témoins plus âgés tentent de s’interposer, à leurs risques et périls. Frédéric Caoudal, déjà incarcéré pour une tentative de viol, s’attaque à deux jeunes filles de 14 et 15 ans, croisées dans un chemin. Après avoir abusé sexuellement de la première et « pour se venger de Marie Coly, qui le frappait pour le faire lâcher prise, Caoudal lui porta des coups de pied et des coups de poing, la renversa dans un fossé et la saisissant par la gorge, il lui mit un genou sur la poitrine24… » Certains abuseurs font preuve d’une effronterie stupéfiante, agressant des fillettes à l’étage de leur maison alors que leurs parents se trouvent au rez-de-chaussée. Il est question également de jeunes domestiques abusées alors qu’elles dorment dans le même lit que l’un des enfants de leur maître.
- 25 AD 22, 4M127, aff. Henry.
20Une fois réglée la question des éventuels témoins, 81,33 % des abuseurs se jettent ensuite sur leur victime sans préambule, avec une parfaite détermination, la plus grande froideur à son égard. L’assaut est brutal et ne dure que quelques minutes. L’acte d’accusation d’Henry est l’archétype des récits d’abus qui se répètent à foison dans les procès-verbaux. L’abuseur aperçoit une petite fille et la rejoint : « Il la prit par les mains, la fit descendre de sur le talus où elle était placée, la renversa sur le dos dans le chemin, mais sur le gazon, non loin d’un ruisseau, lui releva ses vêtements en lui disant de ne pas crier, qu’il n’aurait pas été longtemps. Il déboutonna son pantalon et essaya d’introduire son membre viril dans ses parties sexuelles et lui fit beaucoup de mal. Elle cria mais cet homme mit la main sur sa bouche pour l’en empêcher. Il lui mouilla sa chemise et après être resté ainsi pendant quelque temps couché sur elle, il se releva et s’en fut à son travail en lui disant “tu vois que je n’ai pas été longtemps”25. »
- 26 AD 35, 2U1037, aff. Guinard.
- 27 AD 35, 2U1038, aff. Bonnault.
- 28 AD 44, 5U314, aff. Eugueband.
- 29 AD 35, 2U1041, aff. Melay.
- 30 AD 35, 2U1201, aff. Jus.
- 31 AD 56, U5338, aff. Goudy.
- 32 AD 35, 2U1407, aff. Méheut.
- 33 AD 22, 2U793, aff. Le Gouezigou.
- 34 AD 22, 2U782, aff. Le Meur.
- 35 AD 35, 2U966, aff. Jamais.
- 36 AD 22, 2U755, aff. Hellequin.
21Quand elles existent, les approches verbales des abuseurs sont lapidaires et pour le moins inadaptées à l’enfant. On trouve pêle-mêle des remarques brutales comme « Viens, on va tirer un coup26 », « tu vas y passer27 » ou encore « couche-toi là28 ! » ou « prends ma queue29 ». Des formulations interrogatives équivalentes « Veux-tu tirer un coup ? » avec des variantes « Veux-tu que je te baise ? », « Veux-tu sauter ? » ou « Veux-tu me donner ton pucelage »30 surgissent ici et là et n’escomptent aucune réponse positive. Le seul abuseur issu de la noblesse, Henri Le Bouetoux de Bréjerac adopte un ton étonnamment poli pour la circonstance : « Faut-il vous la mettre, Marie Rollier ? » mais pas plus que les autres, il n’attend la réponse pour passer à l’acte. Après avoir violemment plaqué au sol sa jeune victime et malgré ses suppliques, un abuseur l’apostrophe ainsi : « Tu n’as pas assez mal encore pour que je te laisse31. » Quant aux commentaires comme « Tu vas voir, elle est bien grosse ! », « Regarde comme il est gros, prends-le à poignée32 » ou « Tu n’en as jamais vu des comme ça33 ! », ils sont empreints d’une autosatisfaction masculine dont le sens échappe totalement à ses destinataires. Certains abuseurs se montrent pragmatiques d’entrée de jeu et tentent d’établir un marché avec l’enfant : « Si tu veux mettre ta langue dans ma bouche, ce sera plus tôt fini34. » Quelques rares abuseurs osent évoquer le plaisir sexuel sensé être ressenti par la victime : « Il m’a dit qu’il allait me mettre entre les cuisses quelque chose qui allait me faire du bien35 » tandis que la majorité use d’emblée d’ordres impétueux afin que la victime s’exécute sans protester : « Celui-ci le fit entrer dans le champ, lui enjoignit, sous peine d’être battu, de défaire ses culottes et de relever sa chemise36. »
- 37 AD 22, 4M36, aff. Lebarbier.
- 38 AD 44, 5U74, aff. Pihan.
- 39 AD 22, 2U317, aff. Le Camus.
22Une poignée d’enfants parvient à s’enfuir tirant parti d’un moment d’inattention : « En se débattant, son pantalon tomba, elle profita de cette occasion pour se débarrasser de cet individu37. » Une autre profite que son agresseur se soit piqué avec une épingle à nourrice qui servait à tenir son caleçon38. Mais leur fuite n’est pas sans risque : « Marie Audren ayant néanmoins continué de crier, il la lâcha un moment, l’atteignit de nouveau lorsqu’elle voulut prendre la fuite, la fit marcher devant lui, l’emmena dans sa demeure où il renouvela ses outrages vis-à-vis d’elle. La petite fille ayant fait une seconde tentative pour s’évader, Le Camus la saisit par les jupons et […] recommença ses outrages39. »
- 40 AD 44, 5U225, aff. Guerrero.
- 41 AD 22, 2U755, aff. Mahé.
- 42 AD 22, 4M127, aff. Henry.
- 43 AD 35, 2U1306, aff. Vallier.
- 44 AD 35, 2U1304, aff. Janvier.
- 45 AD 35, 2U968, aff. Carré.
23Devant ces approches cavalières, crier est bien évidemment le premier réflexe de l’enfant avec l’inconvénient d’irriter l’abuseur. Redoutant d’être démasqué, il use alors de menaces verbales afin qu’il se taise. Il est question de lui « foutre des baignes40 » ou plus généralement des soufflets. Mais l’enfant, terrorisé, n’est pas en état d’écouter l’abuseur et l’emploi de la force s’impose comme moyen le plus radical et le plus expéditif pour obtenir le silence. Les méthodes les plus diversifiées apparaissent. Si certains se contentent de placer leur main devant la bouche de leur victime tout au long de l’agression, d’autres leur serrent la gorge ou encore rabattent les jupes de la fillette sur son visage mettant à nu ses parties sexuelles tout en obstruant son visage : « Pour étouffer les cris que la douleur arrachait à cette pauvre enfant, il lui comprima le nez et la bouche avec sa coiffe qu’il lui avait enlevée. Quand elle se releva, elle saignait par les parties sexuelles, par le nez et par la bouche41. » Après de tels traitements, de nombreux enfants souffrent de maux de gorge : « Elle a eu la voix couverte pendant plusieurs jours des suites sans doute des pressions exercées sur sa gorge et aussi par les efforts de ses cris42. » Autre possibilité, ils remplissent d’herbe ou de fougère la bouche de la victime. Ces gestes sont le plus souvent accompagnés de quelques mots autoritaires : « Tais-toi, cela ne va durer que cinq minutes43 », quelquefois conservés en patois dans les procès-verbaux : « Si tu huches, ma p’tite bougresse, tu vas sûr gober44. » Cas extrême, ce voisin, ivre, abuse d’une jeune fille de 16 ans et après lui avoir introduit un doigt dans l’anus, en retire des matières fécales : « Il me les a mises dans la bouche et me bouchait ensuite la bouche avec la main45. »
- 46 AD 35, 2U1308, aff. Lesage.
- 47 AD 22, 4M127, aff. Courtel, AD 22, 2U782, aff. Le Meur, AD 22, 2U771, aff. Dubois, AD 35, 2U1204, (...)
- 48 AD 22, 2U317, aff. Le Camus.
- 49 AD 35, 2U848, aff. Carré.
- 50 AD 22, 2U791, aff. Jugan.
24Non contents d’imposer leur force physique à un jeune enfant, une dizaine d’abuseurs lui assènent des coups : « Je ne sais pas ce qu’il aurait fait si ma patronne n’était pas arrivée car j’étais très fatiguée et ne pouvais appeler au secours vu qu’il me donnait des gifles46. » Une poignée d’entre eux brandit une arme blanche et menace l’enfant de s’en servir47. Il s’agit le plus souvent d’un couteau que les hommes ont habituellement dans la poche ou d’un outil qu’ils utilisaient avant de rencontrer l’enfant : « Il la menaça même, si elle ne cessait pas ses plaintes, de lui couper le cou avec une faucille qu’il avait à la main48. » Quelques-uns brandissent une arme à feu49 tandis que ceux qui ont prémédité l’acte neutralisent d’emblée leur victime : « Le 16 mai 1880, Valentine Le Cheviller, âgée de 9 ans, demeurant aussi à Plounévez-Quintin se trouvait dans un champ. L’accusé l’y rencontra, la renversa, lui lia les poignets à l’aide d’une corde et tenta de la violer50. »
- 51 AD 56, U5338, aff. Le Roux.
- 52 AD 22, 2U782, aff. Hervez.
- 53 AD 29, 4U2/120, aff. Poisson.
- 54 AD 44, 5U116/2, aff. Le Breton.
- 55 AD 35, 2U1038, aff. Bonnault.
25Une fois l’acte commis, les abuseurs cherchent à s’assurer le mutisme de leur victime. Une partie lui recommande fermement le silence, la mettant en garde contre la tentation d’une confession « parce que ce n’est pas péché51 ». Menaces, terreur, loin d’être indispensables compte tenu du déséquilibre des forces, font de nouveau partie de l’arsenal couramment employé. « Je te retrouverai ! » est la formule consacrée qui achève d’épouvanter l’enfant. Des représailles sont évoquées : « Prenez bien garde de ne pas dire cela à votre frère sans quoi je vous ferai encore pire52 » quelquefois sous forme imagée, toujours terrifiantes. L’un promet d’arracher les dents de sa victime si elle parle53 et un autre de lui « retirer les boyaux du ventre54 ». Connaissant l’importance d’une tête de bétail dans le monde agricole breton, quelques-uns menacent de s’en prendre à la bête que l’enfant garde habituellement : « Il lui avait donné deux ou trois soufflets et lui avait ouvert la porte en lui disant qu’il la tuerait si elle parlait de cela ou tout au moins qu’il tuerait sa vache55. » Mais les plus fréquentes, les plus laconiques demeurent les menaces de mort. Quelles qu’elles soient, ces intimidations ont toutes pour effet de terroriser durablement l’enfant qui sait que l’abuseur peut le retrouver facilement.
Promesses illusoires et cadeaux de pacotille
- 56 AD 22, 2U755, aff. Le Bivic.
- 57 AD 22, 2U816, aff. Le Febvre.
- 58 Sohn Anne-Marie, Du premier baiser à l’alcôve, op. cit., p. 75.
- 59 AD 22, 4M127, aff. Allandry.
- 60 AD 22, 2U771, aff. Le Roux.
26Autre technique d’approche, diamétralement opposée à la première, une part des abuseurs aborde l’enfant en douceur, par le biais d’une promesse alléchante comme un don en argent. Cette pratique est typique des abuseurs de garçons, qui souhaitent entraîner leur future victime à leur domicile sans brutalité. Au total, 48 abuseurs accostent l’enfant de cette façon, soit 13,75 %. Ils restent évasifs sur le montant du don et se contentent d’évoquer « une légère récompense56 » ou « un peu d’argent » sans autre précision57. Quand ils en indiquent le montant, celui-ci s’établit en centimes, les sommes s’échelonnant de 10 à 50 centimes avec une moyenne de 25 centimes correspondant au « prix d’achat » d’un enfant estimé par Anne-Marie Sohn58, dans son étude nationale. La somme est quelquefois exprimée en sous, la pièce d’un sou étant équivalente à cinq centimes. Même d’un montant dérisoire, cette promesse s’avère alléchante pour des enfants qui vivent pauvrement et n’en ont jamais possédé. Pour arriver à leurs fins et devant le peu d’empressement de l’enfant à accéder à leur souhait, une moitié d’entre eux n’hésite pas à faire monter les enchères : « Cet homme me dit : “Si tu veux faire voir tes mollets, je te donnerai 25 centimes” à quoi j’ai refusé. Il reprit la même demande en m’offrant 50 centimes et voyant mon nouveau refus, il m’offrit un franc59. » L’autre moitié promet la somme d’argent pour acheter le silence de l’enfant après l’abus, non sans arrière-pensée : « Elle ajouta que lorsqu’il s’était éloigné, il lui avait recommandé de garder le silence en lui annonçant qu’il reviendrait et qu’il lui donnerait de l’argent60 », manière pour l’abuseur de rappeler à sa victime qu’il sait où la retrouver.
- 61 AD 22, 2U793, aff. Le Bolch et AD 44, 5U223, aff. Sauvaget.
- 62 AD 29, 4U2/120, aff. Cozanet.
- 63 AD 35, 2U1039, aff. Grégoire.
- 64 AD 44, 5U116/2, aff. Le Breton.
- 65 AD 22, 2U971, aff. Panaget.
27Les promesses autres qu’un don en argent se comptent sur les doigts d’une main. Les abuseurs font miroiter des objets susceptibles de faire rêver les petites filles issues du monde rural pauvre, qu’il s’agisse d’une poupée61, d’une paire de boucles d’oreille62 ou d’un « petit porte-monnaie avec de l’argent » sans que la somme ne soit précisée63. Dans un univers empreint de misère dans lequel tous ne mangent pas quotidiennement à leur faim, on s’attendrait à ce que les promesses sous forme de nourriture soient pléthore. En réalité, une seule apparaît, sous la forme de « viande, pain, fruits et de l’argent » tout aussi illusoire que les précédentes64. Aucune de ces propositions n’est honorée sauf une et encore, le cadeau est moindre que la promesse : l’abuseur donne trois sous à sa victime alors qu’il en avait annoncé vingt65 !
- 66 AD 22, 2U761, aff. Macé.
- 67 AD 22, 2U791, aff. Quélen.
- 68 AD 22, 2U782, aff. Le Bourdoullous.
- 69 AD 29, 4U2/324, aff. Vaillant.
28Étonnamment, les cadeaux sont plus fréquents que les promesses, sans toutefois être nombreux. Ils concernent 66 affaires, soit 18,91 %. On peut les classer en trois catégories : l’argent, la nourriture et les objets. La Loire-Inférieure se distingue en la matière avec des cadeaux donnés dans une plus forte proportion que dans les autres départements. Ils sont mentionnés dans une affaire sur deux. 35 affaires relatent un don d’argent avec des montants misérables variant de 5 centimes à 30 centimes pour une moyenne de 7 centimes. L’argent est donné avant l’abus pour inciter l’enfant à se plier à la volonté de l’abuseur : « Macé lui avait proposé quinze centimes si elle enlevait ses vêtements sauf sa chemise mais qu’elle n’y avait pas consenti66. » À l’issue de l’agression, il sert à se dédouaner : « Puis voyant que l’enfant pleurait, il lui donna 30 centimes et se retira67. » Il s’agit également de convaincre la victime de garder le silence. Au besoin, des menaces peuvent accompagner le don : « Après avoir satisfait ses désirs obscènes, Le Bourdoulous sortit en donnant à la jeune Garlan dix centimes et en menaçant de la tuer si elle révélait ce qui venait de se passer68. » La palme de la goujaterie revient à un abuseur qui concède quatre pièces de cinq centimes à sa petite victime mais une fois l’agression accomplie, en récupère deux tombées au sol69. À l’inverse, les victimes les plus âgées du corpus rapportent aussi, exceptionnellement, le cas d’abuseurs qui, non contents de l’action commise, leur réclament de l’argent. Deux réussissent à voler leur victime.
- 70 AD 44, 5U181/2, aff. Pinon.
- 71 AD 35, 2U1307, aff. Houitté.
- 72 AD 44, 5U314, aff. Davis.
29Les 13 abuseurs qui effectuent une offrande en nourriture sont le plus souvent des voisins de l’enfant. Soucieux d’instaurer avec lui une relation de confiance avant d’en abuser, ils le reçoivent à leur domicile et utilisent cette méthode insidieuse dans une double finalité : ne pas éveiller leurs soupçons et acheter le silence de leur victime. Les dons proviennent de leur verger, sous forme de pommes habituellement, mais d’autres fruits sont cités comme les cerises, les fraises et même les raisins, uniquement dans le département de la Loire-Inférieure. Les enfants issus de familles pauvres et qui mangent tout juste à leur faim, résistent difficilement à la tentation. Un abuseur « donne, bien des fois, pour que je ne dise rien, des cerises, des groseilles, des pêches, des abricots, des poires, des pommes, des raisins et du sucre » à sa jeune victime, qui avoue avoir accepté de subir ses attouchements pour bénéficier de ses largesses70. Il est également question d’un peu de lait, de café, de fruits secs, de noix et noisettes et plus rarement de friandises sous la forme de biscuits, morceaux de sucre ou bonbons. Le chocolat n’est mentionné qu’une seule fois en Ille-et-Vilaine71. Dès que l’enfant accepte les premiers cadeaux, le piège se referme sur lui car, ensuite, il lui est très difficile d’aller se plaindre. Les abuseurs de garçons font partie de ceux qui offrent le plus de présents à leur victime car ils appartiennent à des milieux plus favorisés. L’un d’eux offre même un repas à l’auberge à deux jeunes avant d’en abuser72.
- 73 AD 35, 2U1308, aff. Thébault.
- 74 AD 22, 2U751, aff. Le Pêcheur Pierre, AD 22, 2U805, aff. Victor Louis.
- 75 AD 56, U5457, aff. Le Rebeller.
- 76 AD 44, 5U74, aff. Pihan.
- 77 AD 56, U1650, aff. Le Gal.
- 78 AD 22, 2U793, aff. Le Bolch.
- 79 AD 35, 2U1407, aff. Méheut.
30Des objets attribués en guise de cadeaux sont mentionnés dans huit affaires seulement. Il s’agit d’une médaille73, de boîtes ou d’images74, d’une boîte d’allumettes75, de perles données à une fillette par un officier de la marine76, sans valeur vénale particulière. Certains abuseurs se débarrassent de ce qu’ils trouvent au fond de leur poche. Dans le Morbihan, une fillette reçoit pêle-mêle une pièce de cinq centimes, quelques épingles et un lacet77. Les seuls objets qui sortent de l’ordinaire et possèdent une légère valeur marchande sont un petit miroir offert, contre toute attente, par un mendiant, un couteau, objet très important dans le monde rural du XIXe siècle78 ainsi qu’« un petit thermomètre et un petit porte-monnaie en cuir jaune79 » donnés par un bijoutier de Dinan à l’une de ses victimes masculines.
De l’attouchement au viol
31Dès le premier interrogatoire effectué par les gendarmes, la fillette doit obligatoirement décrire le déroulement de l’abus dans ses moindres détails. Les éléments qu’elle apporte ont une importance capitale car ils contribuent ensuite à bâtir l’acte d’accusation. Des faits dénoncés dépendent la qualification du crime et la peine qui en découlera pour l’abuseur. Autant dire que les gendarmes attachent une attention particulière à chaque mot prononcé par l’enfant comme le fera plus tard le juge d’instruction. L’analyse de ces interrogatoires et des actes d’accusation montre qu’il existe un large dégradé de faits qui se déclinent de l’attouchement au viol et la lecture des 349 dossiers, les uns à la suite des autres, n’a pas été sans provoquer de nombreux haut-le-cœur.
- 80 AD 29, 4U2/207, aff. Chevrel.
- 81 AD 56, U5341, aff. Le Roux.
32Première catégorie dans une échelle graduelle des faits, les attouchements. Si le terme « attouchement » n’est jamais employé, le verbe « chatouiller » est, lui, plébiscité dans les procès-verbaux pour indiquer les caresses génitales effectuées par l’abuseur. Minoritaire dans les dossiers de procédure, ce type d’attentat est beaucoup moins dénoncé que les autres abus sexuels car ces gestes continuent d’être pensé comme anodins dans la société du XIXe siècle. De plus, ils ne laissent aucune séquelle physique et ne sont accompagnés d’aucune violence ajoutée. Ces actes sont généralement ceux de voisins, âgés, qui se contentent dans un premier temps de placer les fillettes à califourchon sur leurs genoux pour les amadouer. Cette manière de procéder, habituelle dans les relations d’adulte à enfant, leur permet de tester leurs réactions. Si l’enfant se montre apeurée, ils n’insistent pas et jettent leur dévolu sur une autre victime. Si, au contraire, elle n’oppose aucun signe manifeste de désapprobation, ils s’enhardissent, observent ses parties sexuelles puis débutent les attouchements, le plus souvent sans violence ajoutée, au mépris du jeune âge de leurs victimes. Charles Chevrel abuse ainsi de deux petites filles de 7 et 8 ans en leur lançant : « Jamais, vous n’aurez eu autant de plaisir, je veux vous faire à toutes deux un petit80. » L’excitation qu’ils tirent du spectacle satisfait leurs sens et les mène à la jouissance physique. Mais, en plus de l’interdit social qu’ils outrepassent, ils débauchent l’enfant et lui ôtent son innocence. Forts de leur méthode douce, ces abuseurs minimisent pourtant, ensuite, leurs actes, mettant en avant l’absence de contrainte et de séquelles. Il arrive fréquemment que ce type d’hommes reçoive à son domicile plusieurs fillettes qui se connaissent entre elles. L’un d’eux fait preuve d’une organisation sans faille. Pendant dix-huit mois environ, il établit une relation avec quatre petites filles âgées de 7 à 10 ans sur lesquelles il procède à de nombreux attouchements dans sa boutique et dans son écurie. Ce petit manège aurait pu durer longtemps s’il ne s’était attaqué à une cinquième fillette récalcitrante qui se plaint immédiatement à sa mère. L’enquête permet de remonter aux premières victimes81.
- 82 AD 22, 2U816, aff. Havet.
- 83 Sohn Anne-Marie, Du premier baiser à l’alcôve, op. cit., p. 23.
33Mise à part cette catégorie minoritaire et bien spécifique d’individus vieillissants, les autres abuseurs ne se contentent pas de quelques attouchements. Une fois la petite victime neutralisée, ils passent à l’étape suivante, le même scénario se répétant inlassablement au fil des dossiers. L’abuseur la renverse sur le dos, lui relève ses vêtements et lui palpe les parties sexuelles, parfois sans ménagement : « Il atteignit la jeune Victorine Bienvenu, âgée de 9 ans, la saisit dans ses bras, la porta dans un petit chemin, l’étendit à terre, posa un genou sur sa poitrine, lui appliqua une main sur la bouche et de l’autre main, lui pratiqua des attouchements aux parties sexuelles, avec tant de brutalité que l’enfant ressentit une vive souffrance82. » Seule la suite de l’attentat connaît des variantes. Cas optimal pour la victime, l’abuseur se contente de se masturber sur elle sans prendre aucune autre initiative puis prend la fuite après satisfaction de son désir. Sous la plume des gendarmes, il est invariablement question du « membre viril » de l’abuseur et des « parties sexuelles », tout au plus de la « matrice » de sa victime. Empruntée au langage romantique, ils emploient fréquemment l’expression « a assouvi sa passion », « formule incontournable et stéréotypée pour désigner le viol »83 qu’ils utilisent également pour désigner la masturbation aboutissant à la jouissance masculine. Si la plupart des abuseurs fait en sorte de ne pas causer de séquelles physiques à l’enfant, c’est avant tout pour s’éviter des poursuites plutôt que par compassion pour elle. L’absence de preuves matérielles restreint les aléas d’une dénonciation et le cas échéant, ils ne risquent pas grand-chose. Le nombre important d’abus qui se limitent aux attouchements avec la main ou la verge s’expliquent de cette manière. Cependant, il convient d’ajouter à cette catégorie les flagrants délits qui interrompent brutalement, et contre la volonté des abuseurs, une partie des abus.
34Malheureusement pour les victimes, l’abuseur va plus loin dans 46,42 % et essaie d’introduire un doigt dans leurs parties sexuelles, leur occasionnant de vives douleurs associées généralement à une perte de sang. Toutefois, quand la pratique déclenche des cris, bon nombre d’assaillants s’interrompent et se contentent ensuite de se masturber au contact de la victime avant de s’enfuir. Seuls les plus brutaux poursuivent leur entreprise, sourds aux souffrances de la fillette, provoquant sa défloration partielle ou totale.
3586 tentatives d’introduction du sexe masculin dans le sexe de la victime sont répertoriées dont 51 parviennent au viol, soit 14,61 %. Quand le fait sexuel engagé par l’agresseur a les caractéristiques du viol sans avoir cependant été entièrement consommé, il est qualifié de tentative de viol. Ceci dit, durant tout le XIXe siècle, le viol, déjà inscrit dans le Code pénal de 1791 dans la catégorie des crimes contre les personnes, est réprimé sans faire l’objet d’une définition précise. Dans la pratique, il faut qu’il y ait eu pénétration complète du sexe masculin dans un vagin pour qu’il soit considéré comme tel. En 1808, un nouveau texte prévoit la réclusion criminelle pour tout coupable de viol ou d’attentat à la pudeur commis avec violence. De la sorte, les viols sur enfants, au sens du XIXe siècle, sont peu nombreux. Le caractère restrictif de la définition du mot viol amène une surreprésentativité des tentatives de viol mais là encore une infime partie seulement des abus sexuels est jugée comme telle car l’article 2 du code pénal définit également cet acte de façon restrictive. Un peu plus d’un tiers des victimes sont concernées par les prémices d’un viol ce qui démontre la spécificité de l’attentat sur un enfant. Le coït « classique » n’est pas tenté dans deux cas sur trois alors qu’il est l’unique objet de l’agression d’une femme adulte.
- 84 AD 22, 2U816, aff. Garnier.
36Néanmoins, un tiers des abuseurs poursuivent leur entreprise jusqu’au bout, nullement impressionnés par la douleur de leur victime : « Malgré sa résistance et ses cris, il releva ses vêtements jusqu’à la ceinture, lui écarta les jambes, se pencha sur elle, mit une main sur sa bouche pour l’empêcher de crier, essaya d’introduire son membre viril dans ses parties sexuelles. Au même moment, elle éprouva une vive douleur à cet endroit, il resta ainsi sur elle assez longtemps et pendant ce temps, sa victime dont il étouffait les cris avec l’une de ses mains cherchait à l’égratigner sans pouvoir y réussir. S’étant enfin relevé, Garnier donna deux ou trois coups de pied dans les jambes de Marie-Caroline Thomas et partit sans rien dire. L’enfant se sauva aussitôt en criant vers son domicile et lorsqu’elle arriva chez elle, elle perdit connaissance84. »
- 85 AD 35, 2U848, aff. Gaultier.
- 86 AD 29, 4U2/124, aff. Le Bescond.
- 87 AD 56, U5340, aff. Le Bihan.
- 88 AD 29, 4U2/120, aff. Poisson.
37La physiologie de l’enfant les oblige à s’y reprendre à plusieurs fois. Quelques-uns élargissent le passage avec leurs doigts85 ou avec un instrument qu’ils portent sur eux. Alain Le Bescond commence par enfoncer dans le vagin de sa victime « une clef qui lui sert à maintenir son pantalon86 ». D’autres essaient différents emplacements avant d’aboutir : « Le Bihan l’avait attirée dans sa maison, l’avait placée sur la table puis sur un banc et encore sur des chaises87. » Les plus prévoyants effacent ensuite les traces de leurs méfaits avant de s’enfuir. L’un d’eux « lui jeta ensuite du sable sur le ventre et sur les cuisses pour assécher le sperme88 ». Ces actes violents se reproduisent rarement. L’abuseur est conscient que la multiplicité des faits entraîne sa plus grande propension à la dénonciation. Sachant que la plupart d’entre eux obéissent à une pulsion, ils prennent conscience de la gravité de leurs actes après leur première agression et se contrôlent ensuite. De leur côté, quand elles ne dénoncent pas, les victimes développent des stratégies d’évitement de l’abuseur. Elles modifient leurs trajets pour éviter les risques de le rencontrer, s’enfuient à sa seule vue ou se font accompagner par un adulte.
- 89 AD 22, 2U755, aff. Mahé.
- 90 AD 22, 2U317, aff. Le Camus, AD 44, 5U223, aff. Rivallant, AD 44, 5U115, aff. Julienne.
38Néanmoins, nullement émus par les souffrances occasionnées à leur victime, une dizaine d’abuseurs renouvellent leur forfait dans la foulée, sans aucune pitié pour l’enfant : « Quand elle se releva, elle saignait par les parties sexuelles, par le nez et par la bouche. Elle se sentit aussi toute mouillée. Il la reprit bientôt, l’entraîna de l’autre côté du fossé, la renversa sur le dos et renouvela sur sa personne l’acte d’odieuse brutalité qu’il venait de commettre89. » Plusieurs d’entre eux reviennent plusieurs fois sur les lieux du crime et commettent plusieurs attentats sur la même victime au cours de la même journée, sachant que cette dernière est contrainte d’y demeurer avec ses bestiaux90.
- 91 AD 29, 4U2/124, aff. Guéguen.
- 92 AD 56, U5457, aff. Le Rebeller.
39L’enquête des gendarmes met également en lumière des situations dramatiques d’enfants qui croisent régulièrement le chemin de leur abuseur avec l’angoisse d’une nouvelle attaque. Ainsi, un tailleur d’habits dont la réputation est détestable abuse à trois reprises, à quelques jours d’intervalle, d’une fillette de 9 ans avant d’être dénoncé91. 16 % des victimes du corpus ont été attaquées deux fois par le même abuseur, 10 % trois fois et 7 % au moins 4 fois. La fréquence du crime révèle les situations les plus diverses. Alors que certaines fillettes sont attaquées par le même homme à plusieurs reprises au cours du même mois, d’autres subissent ses assauts à la moyenne d’un abus par an. Les victimes privilégiées de ces abuseurs sans scrupule sont les plus pauvres, gagées dès le plus jeune âge parce que leurs parents ne peuvent subvenir à leurs besoins. Elles risquent de perdre leur place si elles dénoncent. Obligées de retourner aux champs en dépit de leurs appréhensions, elles subissent ces violences jusqu’à ce qu’elles finissent par se plaindre, souvent au bout de plusieurs mois, à moins d’un flagrant délit. Une patronne ayant remarqué la tristesse de sa jeune bergère de 11 ans, la surveille et ne tarde pas à surprendre l’abuseur. La petite lui avoue alors qu’elle entretient des relations contraintes régulières depuis un an avec l’homme en question, un voisin92.
- 93 AD 29, 4U2/120, aff. Cornély.
- 94 AD 44, 5U8, aff. Ligé.
- 95 AD 22, 2U474, aff. Pasco et Guillot.
- 96 AD 44, 5U 160/2, aff. Raffeneau et Bertet, AD 56, U5268, aff. Le Ricoussé.
- 97 AD 29, 4U2/323, aff. Pennec.
40Sept dossiers relatent des viols en réunion. Il s’agit soit d’affaires où l’abuseur est aidé d’un ou d’une complice, soit d’affaires incriminant deux abuseurs. Les victimes sont plus âgées que la moyenne des victimes d’abus puisqu’elles ont atteint l’âge du consentement. Dans deux cas, le complice est une femme chargée d’attirer la jeune fille dans un guet-apens pour une modique somme d’argent. De la première, on ne sait rien. La seconde, prostituée occasionnelle depuis son plus jeune âge, fait commerce de jeunes vierges contre la somme de 5 francs93. Dans les autres affaires, les violeurs sont deux jeunes amis, le plus âgé ayant 22 ans, qui abusent de filles vulnérables. Deux d’entre elles sont handicapées, l’une « idiote94 », l’autre « sourde et muette95 ». Autrement dit, aucune des deux n’est supposée en mesure de dénoncer les faits. Les autres sont des domestiques issues de milieux particulièrement défavorisés, amenées à garder les bêtes chaque jour et dont les abuseurs anticipent sur leur crainte de se plaindre, par honte et pour ne pas perdre leur place96. Dans l’unique affaire qui met en scène trois coupables, les deux plus jeunes ne sont âgés que de 8 et 9 ans. Ils maintiennent la victime couchée pendant que leur acolyte, âgé de 16 ans, exécute son forfait97.
- 98 AD 22, 2U816, aff. Rouxel.
41Drame de l’indicible et cas unique du corpus, un dossier relate le meurtre d’une jeune écolière de 13 ans. La scène se passe à Morieux, dans les Côtes-du-Nord, en 1900 et n’est pas sans rappeler les circonstances de la mort de la « Petite Roque », racontée par Guy de Maupassant dans une nouvelle publiée en 1885. Les gendarmes mentionnent que « le bruit de la disparition subite de cette jeune fille se répandit dès le lendemain matin dans le pays, où il causa une émotion générale98 ». Son corps fut retrouvé non loin de son domicile. L’autopsie démontre qu’elle est morte étranglée et qu’elle était depuis longtemps déflorée. L’auteur du meurtre, un journalier, passe immédiatement aux aveux. Il n’avait pas supporté qu’elle lui résiste.
Entre gestes obscènes, perversion et tabous
- 99 AD 35, 2U1403, aff. Gautier.
- 100 AD 22, 2U793, aff. Lainé.
- 101 AD 22, 2U793, aff. Lainé et AD 22, 2U314, aff. Hidrio.
42Dernière caractéristique des abus sexuels sur les fillettes, les positions de l’amour criminel. L’écrasante majorité des abuseurs répond à une pulsion sexuelle non maîtrisée et ne recherchent aucune fantaisie dans l’abus, notamment parmi celles réprimées dans le cadre d’une sexualité conjugale. Dans les cas d’assaut rapide, l’abuseur se couche sur sa victime, position dominatrice par excellence. Cette posture offre l’avantage pour l’assaillant de maîtriser plus facilement les bras et les jambes de la victime d’autant plus qu’il pèse de tout son poids sur le corps frêle d’un enfant. En revanche, les abuseurs qui entretiennent une relation avec des fillettes sur un mode non-violent les assoient à califourchon sur leurs genoux afin de procéder à l’abus. Troisième cas de figure, les parents incestueux. Eux prennent davantage de libertés sexuelles avec l’enfant. Un père oblige sa fille à s’étendre sur lui99 alors qu’un grand-père simule une levrette avec sa petite-fille de 5 ans100 et qu’un oncle oblige son neveu « à prendre différentes positions » que le dossier ne détaille pas101.
- 102 Sohn Anne-Marie, Du premier baiser à l’alcôve, op. cit., p. 94.
- 103 AD 22, 2U771, aff. Laurent.
- 104 AD 35, 2U1114, aff. Boutier.
- 105 AD 35, 2U1309, aff. Aubin.
43D’une manière générale, pendant le XIXe siècle, toutes les pratiques buccales sont, en théorie, proscrites dans la mesure où elles n’ont pas de finalité procréative. À cette considération, s’en ajoute une autre, pratique, l’absence d’hygiène, qui provoque la répugnance à l’égard de tels actes. Cela explique qu’une poignée seulement d’abuseurs réclament un baiser à leur victime. Le baiser sur la bouche, et, a fortiori le baiser profond, est réprouvé par la majorité des Français. Anne-Marie Sohn précise qu’il est jugé plus érotique que les attouchements génitaux et suffit, à lui seul, à constituer le crime d’attentat à la pudeur102. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les mots « embrasser » ou « baiser » ne soient jamais utilisés ni par les gendarmes ni par les parties. En revanche, il est question de « mettre la langue dans la bouche ». De plus, on note la corrélation entre baiser et fellation, les deux demandes étant toujours associées. Le mot fellation n’apparaît pas davantage, remplacé par l’expression « sucer le membre viril ». Pratique réservée à la prostitution, aucun mari soucieux de la bienséance n’oserait réclamer à son épouse un tel acte susceptible de l’offusquer. Ceux qui effectuent ce type de doléances auprès de leur victime sont particulièrement dépravés, à l’image de Joseph Le Laurent, domestique dans les Côtes-du-Nord, déjà condamné pour outrages aux mœurs et qui, à peine sorti de prison, renouvelle ses sévices à proximité de chez lui. Il s’attaque à une fillette de 9 ans puis, quelques jours plus tard, à sa petite sœur âgée de 7 ans : « Une fois sur le champ, Laurent la mit complètement à nu, se déboutonna et après l’avoir renversée, voulut lui introduire son membre viril dans la bouche en disant encore : “Tu vas vois comme cela est bon.” L’enfant criait, résistait, refusait d’ouvrir la bouche, mais Laurent ouvrit la bouche avec les mains et parvint à y introduire son membre viril103. » En revanche, cette requête est très répandue chez les abuseurs de garçons qui n’insistent pas, néanmoins, en cas de refus : « Il s’assit dans une chaise, me fit mettre à cheval sur lui, déboutonna son pantalon et me fit toucher sa pissette. Il déboutonna aussi mon pantalon et toucha la mienne. Il me demanda aussi de le “sucer” [mis entre guillemets dans le texte] mais comme je ne voulais pas, il m’a dit d’embrasser sa pissette104. » À défaut d’obtenir une fellation, certains en font subir à leurs victimes. Le père de l’une d’elles déclare : « Il a rencontré sur la route un vagabond qui lui a pris une bouteille de cidre et qui l’a suivi jusqu’à la lande où arrivé cet individu l’a couché près de la barrière, la déculotté et lui a sucé la verge pendant un quart d’heure au moins105. » Le mot cunnilinctus n’est jamais cité. Toutefois, cette pratique est attestée chez les parents incestueux qui se distinguent encore une fois du lot en « léchant les parties sexuelles » de leur victime, selon l’expression utilisée dans les procès-verbaux.
- 106 AD 35, 2U314, aff. Hidrio.
- 107 AD 44, 5U225, aff. Gouvier.
44Tabou s’il en est au XIXe siècle, les pratiques homosexuelles concentrent l’opprobre. On retrouve dans les abus commis sur les garçons, les mêmes méthodes que celles utilisées avec les filles mais dans des proportions différentes. Une large moitié des abuseurs instaurent une relation de confiance avec leurs victimes afin que celles-ci ne leur opposent pas de résistance ni ne les dénoncent. Les autres attaques sont le fait d’hommes ayant autorité sur les garçons, qu’ils soient instituteurs ou patrons. Ils leur imposent des abus à répétition jusqu’au moment de la dénonciation. En revanche, les attaques brutales et sauvages, telles qu’elles se pratiquent sur les filles sont rares. Deux sont relatées dans le corpus, perpétrées par des journaliers, marginaux, connus dans leurs communes respectives pour s’attaquer aux garçons. Ils font régner la terreur dans leur village jusqu’au jour où les habitants, reconnaissant leur impuissance à les remettre dans le droit chemin, dénoncent les faits. Leur arrestation survient alors qu’ils ont commis des abus sur une douzaine de garçons au moins. Dans ces affaires aux victimes masculines, il est davantage question de masturbation réciproque que de pratiques pédérastiques. Seuls cinq abuseurs de garçons sont accusés de tels actes dont deux parents incestueux, Honoré Hidrio, à l’égard de son neveu de 12 ans106 et Jean-Marie Gouvier qui abuse de son fils âgé de 13 ans107. Ceci dit, pendant tout le siècle, l’onanisme est considéré par les médecins comme une maladie grave menant inexorablement à la folie ou à la mort. Après avoir examiné un abuseur, un médecin légiste livre un long rapport dont il n’est pas vain de citer un long extrait car il illustre la pensée du corps médical dans son ensemble :
- 108 AD 56, U5513, aff. Arnoux. Ces idées se diffusent rapidement en France notamment par l’intermédiai (...)
« Il n’apparaît pas moins précocement sénile et sur le simple aspect de sa physionomie et de son attitude, on serait tenté de lui accorder la soixantaine plutôt que les 53 ans que son état-civil annonce… Son intelligence est bornée. Arnoux a surajouté à sa tare dégénérative une autre tare dont l’effet s’additionnant à celui de la première a produit un état psychique tel que le sujet ne peut guère être considéré comme responsable de ses actes… Arnoux fut initié aux pratiques de la masturbation, comme cela est malheureusement si fréquent par des petits camarades. Nous comprenons aisément comment ce goût de l’adolescent qui n’a pas encore connu la femme, lui soit revenu à l’âge ou ses facultés baissant prématurément par suite de ses habitudes alcooliques et en raison du peu de résistance de sa cellule cérébrale. Ses habitudes le ramenaient insensiblement au degré de développement intellectuel de l’adolescent. Pour employer l’expression habituelle, Arnoux “tombant en enfance” reprenait les jeux et les plaisirs de son enfance. Au fur et à mesure que s’éteignait en lui l’appétence des plaisirs licites et que les rapprochements conjugaux devenaient plus rares (il était parfois 6 mois sans remplir le devoir conjugal) le besoin d’une excitation mécanique s’éveillait inconsciemment, il retournait aux pratiques de son enfance. Car, remarquons-le en passant, ce ne sont pas des pratiques pédérastiques qui lui sont reprochées. Autant que nous avons pu en juger par les dépositions des enfants contenues dans son dossier, il ne s’est jamais livré au véritable coït anal. Non, ce sont des habitudes d’onanisme mutuel. Et c’est bien différent. La véritable homosexualité est une perversion sexuelle qui ne se rencontre guère chez le jeune adolescent sinon quand il y joue le rôle de victime passive tandis que la masturbation solitaire ou à deux est la plaie des collèges108. »
- 109 AD 56, U5513, aff. Arnoux.
- 110 AD 35, 2U1407, aff. Le Maillot.
- 111 AD 35, 2U1406, aff. Méheut.
45Au final, le médecin estime que l’homme est « un dégénéré débile progressivement devenu un dément sénile avéré qui ne peut être tenu responsable des actes immoraux qu’il a commis109 ». L’onanisme n’est pas mieux perçu des ruraux. Sa pratique est entourée d’un mélange de honte et de dégoût qui explique en grande partie la réticence des garçons à dénoncer à leurs parents les faits dont ils sont victimes. Deux cas de figure existent. Lorsque l’abuseur est le patron et que son domestique partage sa couche par obligation, les actes sont pratiqués sous la contrainte. Les jeunes victimes finissent par se plaindre à leurs parents, refusant de retourner à leur placement à moins que les parents ne décèlent, souvent tardivement, des signes physiques de la souffrance de leur enfant. Le chagrin les mine, ils perdent l’appétit, maigrissent ou font des cauchemars. En revanche, les abuseurs, domiciliés en ville, adoptent une démarche plus douce, amadouant d’abord le jeune alpagué à l’aide d’un cadeau puis le dédommageant financièrement à chaque acte. Si certains garçons s’en offusquent, d’autres y trouvent leur intérêt. Ils ne sont pas mécontents d’allier initiation et gain financier, même minime, reviennent d’eux-mêmes et la relation peut durer plusieurs mois. L’un d’eux explique au juge d’instruction : « Ce fut pour moi une initiation car je n’avais jusque-là ni commis ni vu commettre des actes de cette nature110. » C’est un fait dérangeant qui pousse la victime à la dénonciation. Ainsi, dans le cas du bijoutier Méheut, alors que celui-ci se contentait depuis plusieurs semaines de masturbations réciproques avec son jeune domestique, il lui fait savoir qu’il souhaite passer la vitesse supérieure : « Accepte donc ! J’achèterai une boîte de vaseline et je ne te ferai pas de mal111. » Le jeune prend peur et dénonce. Les cas de masturbation acceptée et rémunérée ne doivent pas faire oublier tous les autres, majoritaires, accomplis sous la menace.
- 112 Muchembled Robert, L’orgasme et l’Occident, Une histoire du plaisir du XIXe siècle à nos jours, Par (...)
- 113 AD 22, 2U759, aff. Le Héllequin.
- 114 AD 22, 4M127, aff. Jégou.
- 115 AD 35, 2U1407, aff. Méheut.
46Au registre des perversions et des transgressions, en nette progression à la fin du XIXe siècle112, citons une tentative de castration effectuée sur un jeune garçon de 7 ans par un habitant de la même commune113. Quelques autres accusés, dont la réputation n’est pas luisante, sont jugés pour avoir montré leur sexe à une fillette. Or, la sexualité est jugée incompatible avec la nudité et la lumière et l’exhibitionniste est considéré comme un pervers114. On constate également, bien que de manière limitée, une attirance de trois abuseurs pour la pornographie. À la fin du XIXe siècle, le mot désigne une peinture obscène et les dossiers font état de dessins licencieux ou de gravures représentant des corps d’hommes et de femmes emmêlés dans des positions évocatrices : « Il m’a montré des cartes obscènes sur lesquelles étaient représentés des hommes et des femmes nus et dans différentes positions. Il me montrait aussi des anneaux de différentes grosseurs en me demandant si la mienne était de telle ou telle grosseur et que la sienne était de cette grosseur en me montrant un anneau. Un autre jour, il me montra une photographie représentant un homme et une femme nus, l’homme avait un membre énorme115. »
Les séquelles de l’attentat
- 116 AD 22, 2U782, aff. Guilgars.
47Une fois l’attentat perpétré, les victimes offrent un spectacle pathétique. Elles sanglotent, sont décoiffées, échevelées, leurs vêtements sont froissés, salis, parfois déchirés, l’une oublie ses sabots, l’autre a le visage couvert de boue, elles sont blêmes, ont les yeux rouges sans compter toutes celles qui saignent du nez. Le choc émotionnel et la souffrance physique peuvent être tels qu’elles peinent à rentrer chez elle. La marche occasionne des douleurs, elles se tiennent courbées, boitent, avancent à petits pas, certaines s’évanouissent en chemin ou à peine arrivées chez elle. Quand l’attaque a été particulièrement violente, elles sont dans l’incapacité de se mouvoir jusqu’à leur domicile et doivent attendre de l’aide : « Après le départ de Guilgars, elle se traîna dans une lande voisine où une servante de son père vint après quelque temps la chercher pour la ramener au logis116. »
- 117 AD 22, 2U474, aff. Pasco et Guillot.
- 118 En 1893, les Côtes-du-Nord comptent 16 médecins et 8 sages-femmes pour 100 000 habitants contre re (...)
- 119 AD 29, 4U2/323, aff. Pennec.
48Malgré tous ces signes de détresse apparents, les parents ne sollicitent pas systématiquement la visite d’un médecin. Le coût est le premier facteur de renoncement. La majeure partie des parents des victimes sont de petites gens qui vivent modestement et la moindre dépense non prévue s’avère catastrophique pour le budget : « En arrivant chez sa mère, celle-ci remarqua qu’elle avait le bras droit enflé et dérangé, le bras gauche également meurtri et une légère égratignure à la cuisse, malheureusement, négligea de la faire visiter par un homme de l’art pour connaître si elle portait aussi les traces de violences qui auraient indiqué si le crime avait été consommé117. » Second motif de renoncement, l’éloignement domicile-médecin. La Bretagne est sous-médicalisée tout au long du XIXe siècle118. Les gendarmes le soulignent dans quelques procès-verbaux : « Aucun médecin ne demeurant dans les environs et les parents de la victime n’ayant pas les moyens d’en faire venir un d’ailleurs, celle-ci n’a pas été visitée119. » À la campagne, on s’accommode de facto d’inévitables ecchymoses et égratignures. On n’y prête attention que lorsque les blessures s’infectent ou sont douloureuses privilégiant alors les remèdes par les plantes et le recours aux guérisseurs. Dans le cas des abus sexuels, les mères examinent d’abord elles-mêmes les parties sexuelles de leur enfant puis, les unes les lavent, les autres passent une pommade ou de la graisse sans que l’on en sache davantage sur ces remèdes de « bonne femme ». S’ensuit, éventuellement, l’observation des vêtements afin de découvrir une tâche spermatique ou de sang mais toutes les mères ne pensent pas à prospecter de la sorte et bien des vêtements sont lavés sans avoir fait l’objet d’un examen. Sur l’ensemble du corpus, 82 mères déclarent, néanmoins, avoir vu une tache suspecte sur la chemise ou la jupe de leur enfant. Quand l’attentat est connu tardivement, les habits ont été lavés et les traces ont disparu.
- 120 AD 56, U5265, aff. Année.
- 121 AD 56, U5338, aff. Cadio.
49L’appel au médecin n’a lieu que dans les cas jugés graves par les parents, essentiellement en cas d’hémorragie. Dans l’affaire Année, la victime est laissée par son agresseur « comme morte » selon l’expression utilisée par les deux premières personnes arrivées sur les lieux. Le médecin, appelé aussitôt, trouve, en effet, l’enfant « dans un état alarmant. Couchée sur son lit, elle ne répondait à aucune des questions qu’on lui adressait. Elle était pâle, en proie au délire, dominé par un sentiment de frayeur extrême120 ». Ce commentaire traduit l’émotion sous-jacente éprouvée par l’homme de l’art à l’égard de sa petite patiente. Seules les plus mal en point parviennent à arracher quelques marques de compassion au médecin qui les examine. Rares, ces remarques sont également à lire en creux. L’un d’eux, après avoir ausculté une fillette violée et laissée par son abuseur dans un état pitoyable, déclare simplement à sa mère en quittant la maison familiale : « Si celui qui lui a fait ça est retrouvé, il en prendra pour longtemps » et ce commentaire peu prolixe traduit son émoi tout autant que sa colère à l’égard de l’abuseur. Mais les médecins sont plus enclins à ne rien laisser paraître ou à exprimer de la dureté. Des parents emmènent leur fillette de 7 ans chez le médecin. Elle se plaint de douleurs récurrentes pour uriner, consécutives à un abus. Le médecin l’examine et lui dit sèchement : “Tu n’as pas dû avoir beaucoup mal” », commentaire peu consolateur dont il aurait pu s’abstenir121.
- 122 AD 56, U5339, aff. Goudy.
- 123 AD 56, U5340, aff. Le Bihan.
- 124 AD 35, 2U969, aff. Pautrel.
50Lorsque les douleurs persistent au-delà de plusieurs jours, certains parents ont recours au médecin. Dans l’affaire Goudy, il se passe une semaine avant que les parents ne fassent examiner leur enfant par un homme de l’art : « Ma fille n’est pas encore bien portante. Le mardi, le mercredi et le jeudi, elle paraissait fatiguée, elle se couchait sur les meubles, sur les bancs, sur le lit disant qu’elle ne pouvait point travailler. Outre qu’elle souffrait du bras, elle disait qu’elle avait mal au bas-ventre et qu’elle était très gênée pour gâter de l’eau [uriner]. Elle n’avait plus d’appétit et comme je lui faisais observer qu’elle ne mangeait pas, elle me répondit : “Je suis si transie que je ne puis manger”. Elle ne dormait plus comme par le passé122. » Mais la plupart des maux sont jugés supportables. Qu’elles aient des difficultés à uriner ou à marcher, les fillettes sont priées d’être fortes. Dans un monde rural où les conditions de vie sont rudes et où les villageois s’apitoient peu sur leur sort, ces symptômes n’inquiètent pas outre mesure. Ils sont appelés à s’estomper puis disparaître : « Louise fut pendant une dizaine de jours tellement souffrante de maux de reins qu’elle pouvait à peine se transporter de son lit au foyer123 » ou : « Ma petite fille est assez bien maintenant. Cependant, elle éprouve encore un peu de douleur en urinant et elle est parfois obligée, quand elle est au lit, de se placer sur le ventre parce qu’elle souffre lorsqu’elle est placée sur le côté ou sur le dos124. »
- 125 AD 35, 2U1308, aff. Thébault.
- 126 AD 35, 2U1037, aff. Tostivint.
51Si l’affaire est dénoncée, c’est que les séquelles sont jugées importantes par les parents de la victime. Avec la douleur, s’arrête leur tolérance. Dès le dépôt de plainte enregistré, le juge d’instruction peut nommer un médecin légiste mais cette disposition ne revêt aucun caractère obligatoire. Il ressort des affaires étudiées que celui-ci requiert une expertise médicale uniquement dans les cas de viol présumé. Aussitôt qu’il a reçu le mandat, le médecin nommé examine la victime puis rédige un rapport d’expertise dans lequel il fait part de toutes ses observations. Dans les cas de viol, la famille porte plainte immédiatement et le médecin peut l’examiner dès le lendemain : « La petite fille accusait des douleurs au-delà de la membrane hymen qui avait subi une forte dilatation. Je ne pus m’expliquer cet état que par un attentat. Il n’est pas ordinaire chez un enfant de 8 ans de voir les organes génitaux s’ouvrir d’eux-mêmes à cette largeur-là surtout. Il fallait qu’ils eussent éprouvé la veille une dilatation considérable d’une certaine durée125. » En revanche, quand l’attentat est dénoncé tardivement, les traces ont pu disparaître avec une incidence sur la qualification de l’attentat : « Le 28 mars dernier, la mère d’Anne-Marie nous raconte qu’un nommé Tostivin s’est livré sur son enfant à des actes violents, d’attouchements aux organes sexuels, qu’elle y avait reconnu un caillot sanguin, et qu’elle avait souffert pour uriner et pour marcher pendant 2 jours. Aujourd’hui 29 avril, on ne voit plus aucune trace de violence et les organes de la génération sont dans l’état normal. D’après ces faits, si toutefois les affirmations de la mère d’Anne-Marie Thomas sont réelles, son enfant n’a pu être que l’objet d’un attentat à la pudeur126. »
- 127 Ferron Laurent, Le témoignage des femmes victimes de viol au XIXe s., dans Bard Christine, Chauvau (...)
- 128 Bayard Henri, Manuel pratique de médecine légale, Paris, Germer Baillière, 1843, p. 166-167.
52Laurent Ferron note la froideur de ces rapports aux considérations strictement médicales127. À la décharge des médecins légistes, il convient de préciser que le juge d’instruction leur demande de rédiger un compte rendu clinique dans lequel il n’est pas attendu de commentaire à connotation personnelle sur leur ressenti de l’affaire. Aucune indication ne filtre de leur manière d’aborder leur petit patient ni sur les questions posées et il serait péremptoire de décréter leur absence de compassion au moment de leur rencontre. En 1843, le médecin légiste Bayard avertissait ses collègues et ses étudiants de l’importance de l’interrogatoire lors de l’investigation médicale d’une allégation d’abus sexuel sur un enfant : « Une discrétion et une délicatesse extrêmes sont nécessaires lorsqu’on procède à la visite des jeunes filles et des enfants : on doit mettre beaucoup de mesures dans les questions qu’on leur adresse128. » Rien ne transparaît des dossiers de procédure permettant de juger de l’impact de ces recommandations du docteur Bayard sur les médecins légistes qui ont officié en Bretagne dans le courant du XIXe siècle.
53Quoi qu’il en soit, le rapport des médecins légistes constitue la pierre angulaire pour le magistrat chargé de qualifier l’abus en fonction de la législation. Il peut être qualifié d’attentat à la pudeur sans violence, avec violence, tentative de viol ou viol. La majorité est désignée d’attentats à la pudeur sans violence, ce qui ne signifie pas que la fillette soit exempte de toute séquelle :
« Le clitoris est très rouge et considérablement tuméfié, les petites lèvres présentent également une rougeur notable. Il est impossible pour le moment, vu l’état douloureux de la région, de s’assurer de l’état de la membrane hymen. Pourtant, au toucher, il nous a paru persister. Depuis quelque temps déjà, l’enfant ne peut conserver son urine et urine très fréquemment ce qui indique un état d’inflammation du canal de l’urètre. D’après ces observations, nous concluons que : cette enfant a dû être victime d’attentat à la pudeur sans violences. Des attouchements nombreux ont dû être pratiqués sur l’enfant et cela depuis un temps assez long car il est impossible d’expliquer autrement l’état du clitoris et du canal de l’urètre. »
- 129 AD 22, 2U791, aff. Jugan.
54La qualification de tentative de viol n’est retenue que lorsque le médecin légiste certifie la tentative de pénétration du sexe masculin. Dans le cas contraire, les abus deviennent des « attentats à la pudeur » : « Cette enfant était couverte de sang, son émotion était extrême et, une fois couchée, elle resta longtemps sans connaissance. L’homme de l’art a constaté qu’elle était à demi déflorée et que ses désordres pouvaient avoir été causés par l’introduction du doigt de l’accusé129. »
- 130 AD 44, 5U160/2, aff. Malard.
- 131 AD 35, 2U1037, aff. Tostivint.
55Enfin, pour que l’attentat soit qualifié de viol, le médecin légiste doit attester de la défloration de la victime par le sexe masculin et les mots qu’il emploie doivent être précis et dépourvus de toute ambiguïté : « La défloration doit être attribuée à des essais violents d’introduction d’un corps plus volumineux que le doigt c’est-à-dire dans le cas actuel à l’introduction d’un pénis en érection130. » Quand le médecin ne peut affirmer que la défloration est consécutive à la pénétration du sexe masculin, la qualification retenue est l’attentat à la pudeur : « Je procédais ensuite à l’examen des parties sexuelles de la vulve et je ne constatai aucune lésion. L’entrée du vagin n’avait pas conservé son étroitesse normale, d’où je conclus qu’on avait essayé d’introduire quelque chose dans les parties sexuelles de cet enfant. Les lèvres avaient été fortement écartées mais l’introduction n’avait pu avoir lieu. Il n’y a pas eu de coït. Il est probable que les lésions que j’ai remarquées ont été faites avec les doigts plutôt qu’avec le membre viril131. » Il peut être qualifié de « sans violence » ou au contraire « avec violence » en fonction des faits qui entourent l’abus. Là encore, comme dans les rapports émanant des médecins de campagne, les marques de compassion sont réservées aux cas les plus graves. Lorsque le médecin légiste est appelé à examiner Hélène Le Neun, 14 ans, celle-ci a été violée trois semaines auparavant. La minutie apportée par le praticien pour décrire la faiblesse de la fillette trahit sa compassion sans qu’aucun sentiment ne soit verbalisé de manière explicite :
- 132 AD 35, 2U848, aff. Fontaine.
« Lésions très graves, deux déchirures profondes partant de la commissure postérieure de la vulve et longues de deux centimètres s’étendent à droite et à gauche dans l’épaisseur du périnée et se dirigent vers l’anus. La défloration a été complète. La marche de la guérison a été lente. Plusieurs fois devant le cours de la maladie et le 18 janvier encore, la jeune Hélène a éprouvé des syncopes. Le 21 du même mois, elle avait commencé depuis quelques jours à se lever mais elle ne pouvait marcher qu’à tout petits pas. L’officier de santé qui l’a constamment soignée constatait qu’à cette date que la cicatrisation des plaies n’était pas complète que la grande faiblesse de la jeune malade résultait de la quantité considérable de sang qu’elle avait perdu ne lui permettait pas encore de reprendre ses travaux et que cette incapacité se prolongerait encore pendant quelques jours132. »
- 133 AD 29, 4U2/319, aff. Person.
- 134 AD 22, 2U314, aff. Hidrio.
56Les garçons n’échappent pas à la sécheresse des rapports cliniques : « des traces de violence au voisinage de l’anus et dans la rainure inter-fessière. Cette région est le siège d’un érythème très étendu et d’une plaie profonde située à un centimètre et demi ou deux centimètres au-dessus de l’anus. Ces lésions paraissent avoir été produites par des manœuvres pédérastiques133. » Un seul commentaire autre que strictement médical s’échappe du corpus. Il concerne une victime ayant contracté une maladie vénérienne consécutive aux abus : « Attendu qu’il est impossible que Duchesne âgé de dix ans seulement au moment de l’attentat commis sur sa personne, ait librement consenti à un acte qui ne devait lui procurer que de la douleur et dont il ne se faisait même pas une idée… La victime est dans l’impossibilité de se déplacer pour comparaître devant le juge étant donné sa fatigue134. » Heureuse exception qui confirme la règle. Aucune autre marque d’empathie ne se cache dans un corpus qui compte pourtant 349 dossiers.
- 135 AD 29, 4U2/119, aff. Feillard.
- 136 AD 29, 4U2/320, aff. Le Pape.
- 137 AD 35, 2U1304, aff. Blanchamain.
57Conséquence ultime, la plus tragique aussi de l’abus chez les filles pubères, la grossesse. Trois jeunes filles, entre 13 et 18 ans, ont connu ce drame sur les 12 victimes de viol appartenant à cette tranche d’âge. Chaque histoire est singulière. La première, régulièrement violée par son père, tombe enceinte, à l’âge de 16 ans. L’enfant est déposé au titre des enfants abandonnés à l’hospice de Brest sous le prénom du père incestueux, Charles135. La deuxième est violée au retour d’un pardon, à Penmarch. Le crime parvient aux oreilles des gendarmes par la rumeur publique alors qu’elle est enceinte de 7 mois. Son enfant ne survit pas136. La troisième est victime de son voisin, dans un hameau isolé, en retrait du bourg de Mordelles. La plainte est déposée cinq ans après le début des faits quand ses parents découvrent sa grossesse. L’abuseur fait preuve d’une dépravation grave, n’hésitant pas à entretenir, dans le même temps, des relations sexuelles forcées avec sa propre sœur. Son cynisme perdure devant le juge d’instruction. À la question : « Selon les constatations du médecin, vous avez défloré cette jeune fille ? », il répond : « Je ne sais pas. » L’interrogatoire se poursuit : « Sa sœur Marie est aujourd’hui enceinte de vos œuvres ? », « Elle peut l’être, elle peut ne pas l’être »137. Le dossier ne contient aucune précision sur l’existence du nouveau-né.
Conclusion
58Si la malchance fait que certains enfants se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment et sont victimes d’actes furtifs, dérobés, beaucoup d’autres côtoient leur abuseur au quotidien et les occasions ne manquent pas pour ces derniers de perpétrer leur crime. Quand une occasion échoue, l’abuseur sait qu’il retrouvera facilement sa victime. Mode opératoire le plus courant, l’attaque brutale et rapide, sans préambule. Elle laisse peu de chances à l’enfant d’y échapper. La différence d’âge, l’emploi de la force et les menaces qui accompagnent l’abus sont autant de facteurs qui achèvent de la terroriser. Une partie des abuseurs adoptent une méthode plus douce, attirant leur victime par des promesses ou menus cadeaux afin d’endormir sa vigilance.
- 138 Cité dans Ambroise-Rendu Anne-Claude, « Attentats à la pudeur sur enfants : le crime sans violence (...)
59La très célèbre Théorie du Code pénal de Chauveau et Hélie, constamment rééditée depuis 1834, influence les débats des cours d’assises tout au long du XIXe siècle. On y lit, en outre, que : « La défloration d’un enfant au-dessous de 11 ans, sans violence, n’est qu’un attentat à la pudeur138. » Cette assertion, si elle témoigne de l’extrême confusion qui règne dans la définition des abus, en dit long sur la manière dont ils occupent le champ des représentations. C’est la violence qui, beaucoup plus que le coït, et alors même que, à cette date, les positions des médecins sur le point de savoir si la pénétration d’une enfant était possible ont sensiblement évolué, permet de définir le viol. Il n’est pas étonnant que les jurés aient acquitté bon nombre d’abuseurs et que bien des victimes se soient murées dans le silence plutôt que de dénoncer des actes dont la gravité était largement sous-estimée.
- 139 Le roman d’Octave Mirbeau (1848-1917), Sébastien Roch, publié en 1890 et plusieurs fois réédité, t (...)
60D’autre part, les constatations médicales se bornent à un état des lieux physique. On ignore que les abus sexuels ont des répercussions sur le devenir des enfants139. C’est comme si on laissait sans soin un blessé par arme blanche. Or, lors d’une blessure de ce type, non seulement les victimes saignent et ressentent des douleurs mais, en fonction de l’arme, du point d’impact de la lame et de la rapidité des soins, les conséquences sont plus ou moins graves et durables. Il en est de même pour les victimes d’abus sexuels avec des facteurs aggravants comme leur jeune âge, la nature des actes, les menaces, violences physiques et psychiques qui les accompagnent, leur répétition éventuelle ou encore leur caractère incestueux.
Notes
1 Le petit Robert donne la définition suivante du verbe abuser : tromper quelqu’un en abusant de sa crédulité. Nous avons pris le parti d’utiliser les termes « abus sexuel » et « abuseurs » qui font leur apparition, en France, dans les années 1980. Pour la naissance de ce concept, voir Ambroise-Rendu Anne-Claude, Histoire de la pédophilie, op. cit., p. 268.
2 Cornette Joël, Histoire de la Bretagne et les Bretons, t. 2, Paris, Éditions du Seuil, 2005, p. 239.
3 Voir le site Gallica, Compte général de l’administration de la justice criminelle. Timothée Papin, dans son étude du département de l’Indre-et-Loire, note que les attentats à la pudeur sur les enfants ont lieu à 62 % dans une commune rurale.
4 Ont été pris en compte les chiffres moyens concernant la seconde moitié du siècle.
5 Voir index.
6 Ce sont les agglomérations de Brest, Lorient, Morlaix, Nantes, Rennes, Saint-Brieuc, Saint-Malo, Saint-Nazaire et Vannes.
7 Au XIXe siècle, les mots pédérastie et sodomie sont utilisés pour désigner les relations sexuelles entre personnes du même sexe. Le médecin hongrois Benkert est le premier à employer le mot homosexuel en 1869. En France, le dictionnaire d’Émile Littré intègre le mot « homosexualité » en 1872 le définissant comme un « vice contre-nature ». Cependant, ce mot n’entre dans le langage courant en France que progressivement, dans les premières décennies du XIXe siècle. Pour en savoir plus sur la perception de l’homosexualité au XIXe siècle et au début du XXe siècle, voir les ouvrages suivants : Revenin Régis, Homosexualité et prostitution masculine à Paris, 1870-1918, Paris, L’Harmattan, 2005, 225 p. et Tamagne Florence, Histoire de l’homosexualité en Europe, Berlin, Londres, Paris, 1919-1939, Paris, Éditions du Seuil, 2000, 691 p. Précisons qu’au niveau juridique, si le crime de sodomie disparaît en 1790-1791, le délit d’homosexualité ne disparaît qu’en 1981.
8 Ce sont les communes de Baud, Brest, Guingamp, Landerneau, Mizillac, Morlaix, Paimpol, Saint-Malo, Saint-Nazaire, Vannes.
9 . Masson Émile, Les Bretons et le socialisme (textes choisis), Paris, François Maspéro, 1972, p. 206. Cité par Jean-Michel Le Boulanger, Être breton ?, Quimper, Palantines, 2013, p. 24.
10 AD 22, 2U771, aff. Dubois.
11 AD 29, 4U2/170, aff. Kerdellès.
12 AD 22, 2U782, aff. Le Bourdoulous.
13 AD 22, 2U793, aff. Tanguy.
14 AD 22, 2U793, aff. Le May.
15 AD 22, 2U474, aff. Dabareul.
16 Garraud Robert et Bernard Paul, « Des attentats à la pudeur et des viols sur les enfants (Législation-Statistique) », Archives de l’Anthropologie criminelle, t. 1, 1886, p. 406.
17 AD 22, 2U872, aff. Chary.
18 AD 22, 2U791, aff. Le Guen.
19 AD 22, 2U771, aff. Le Roux.
20 AD 22, 2U782, aff. Le Bourdoulous.
21 AD 22, 2U755, aff. Mahé.
22 AD 22, 2U782, aff. Tanguy.
23 AD 22, 2U475, aff. Le Coadou.
24 AD 29, 4U2/120, aff. Caoudal.
25 AD 22, 4M127, aff. Henry.
26 AD 35, 2U1037, aff. Guinard.
27 AD 35, 2U1038, aff. Bonnault.
28 AD 44, 5U314, aff. Eugueband.
29 AD 35, 2U1041, aff. Melay.
30 AD 35, 2U1201, aff. Jus.
31 AD 56, U5338, aff. Goudy.
32 AD 35, 2U1407, aff. Méheut.
33 AD 22, 2U793, aff. Le Gouezigou.
34 AD 22, 2U782, aff. Le Meur.
35 AD 35, 2U966, aff. Jamais.
36 AD 22, 2U755, aff. Hellequin.
37 AD 22, 4M36, aff. Lebarbier.
38 AD 44, 5U74, aff. Pihan.
39 AD 22, 2U317, aff. Le Camus.
40 AD 44, 5U225, aff. Guerrero.
41 AD 22, 2U755, aff. Mahé.
42 AD 22, 4M127, aff. Henry.
43 AD 35, 2U1306, aff. Vallier.
44 AD 35, 2U1304, aff. Janvier.
45 AD 35, 2U968, aff. Carré.
46 AD 35, 2U1308, aff. Lesage.
47 AD 22, 4M127, aff. Courtel, AD 22, 2U782, aff. Le Meur, AD 22, 2U771, aff. Dubois, AD 35, 2U1204, aff. Soret.
48 AD 22, 2U317, aff. Le Camus.
49 AD 35, 2U848, aff. Carré.
50 AD 22, 2U791, aff. Jugan.
51 AD 56, U5338, aff. Le Roux.
52 AD 22, 2U782, aff. Hervez.
53 AD 29, 4U2/120, aff. Poisson.
54 AD 44, 5U116/2, aff. Le Breton.
55 AD 35, 2U1038, aff. Bonnault.
56 AD 22, 2U755, aff. Le Bivic.
57 AD 22, 2U816, aff. Le Febvre.
58 Sohn Anne-Marie, Du premier baiser à l’alcôve, op. cit., p. 75.
59 AD 22, 4M127, aff. Allandry.
60 AD 22, 2U771, aff. Le Roux.
61 AD 22, 2U793, aff. Le Bolch et AD 44, 5U223, aff. Sauvaget.
62 AD 29, 4U2/120, aff. Cozanet.
63 AD 35, 2U1039, aff. Grégoire.
64 AD 44, 5U116/2, aff. Le Breton.
65 AD 22, 2U971, aff. Panaget.
66 AD 22, 2U761, aff. Macé.
67 AD 22, 2U791, aff. Quélen.
68 AD 22, 2U782, aff. Le Bourdoullous.
69 AD 29, 4U2/324, aff. Vaillant.
70 AD 44, 5U181/2, aff. Pinon.
71 AD 35, 2U1307, aff. Houitté.
72 AD 44, 5U314, aff. Davis.
73 AD 35, 2U1308, aff. Thébault.
74 AD 22, 2U751, aff. Le Pêcheur Pierre, AD 22, 2U805, aff. Victor Louis.
75 AD 56, U5457, aff. Le Rebeller.
76 AD 44, 5U74, aff. Pihan.
77 AD 56, U1650, aff. Le Gal.
78 AD 22, 2U793, aff. Le Bolch.
79 AD 35, 2U1407, aff. Méheut.
80 AD 29, 4U2/207, aff. Chevrel.
81 AD 56, U5341, aff. Le Roux.
82 AD 22, 2U816, aff. Havet.
83 Sohn Anne-Marie, Du premier baiser à l’alcôve, op. cit., p. 23.
84 AD 22, 2U816, aff. Garnier.
85 AD 35, 2U848, aff. Gaultier.
86 AD 29, 4U2/124, aff. Le Bescond.
87 AD 56, U5340, aff. Le Bihan.
88 AD 29, 4U2/120, aff. Poisson.
89 AD 22, 2U755, aff. Mahé.
90 AD 22, 2U317, aff. Le Camus, AD 44, 5U223, aff. Rivallant, AD 44, 5U115, aff. Julienne.
91 AD 29, 4U2/124, aff. Guéguen.
92 AD 56, U5457, aff. Le Rebeller.
93 AD 29, 4U2/120, aff. Cornély.
94 AD 44, 5U8, aff. Ligé.
95 AD 22, 2U474, aff. Pasco et Guillot.
96 AD 44, 5U 160/2, aff. Raffeneau et Bertet, AD 56, U5268, aff. Le Ricoussé.
97 AD 29, 4U2/323, aff. Pennec.
98 AD 22, 2U816, aff. Rouxel.
99 AD 35, 2U1403, aff. Gautier.
100 AD 22, 2U793, aff. Lainé.
101 AD 22, 2U793, aff. Lainé et AD 22, 2U314, aff. Hidrio.
102 Sohn Anne-Marie, Du premier baiser à l’alcôve, op. cit., p. 94.
103 AD 22, 2U771, aff. Laurent.
104 AD 35, 2U1114, aff. Boutier.
105 AD 35, 2U1309, aff. Aubin.
106 AD 35, 2U314, aff. Hidrio.
107 AD 44, 5U225, aff. Gouvier.
108 AD 56, U5513, aff. Arnoux. Ces idées se diffusent rapidement en France notamment par l’intermédiaire d’un médecin suisse, le docteur Tissot, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et pendant tout le XIXe siècle. Cela n’empêche pas que la masturbation soit pratiquée notamment par les plus jeunes et comme pratique de compensation pendant les cycles d’empêchement de la femme ou de courtes périodes de veuvage.
109 AD 56, U5513, aff. Arnoux.
110 AD 35, 2U1407, aff. Le Maillot.
111 AD 35, 2U1406, aff. Méheut.
112 Muchembled Robert, L’orgasme et l’Occident, Une histoire du plaisir du XIXe siècle à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 2005, p. 237.
113 AD 22, 2U759, aff. Le Héllequin.
114 AD 22, 4M127, aff. Jégou.
115 AD 35, 2U1407, aff. Méheut.
116 AD 22, 2U782, aff. Guilgars.
117 AD 22, 2U474, aff. Pasco et Guillot.
118 En 1893, les Côtes-du-Nord comptent 16 médecins et 8 sages-femmes pour 100 000 habitants contre respectivement 39 et 37 pour la France entière.
119 AD 29, 4U2/323, aff. Pennec.
120 AD 56, U5265, aff. Année.
121 AD 56, U5338, aff. Cadio.
122 AD 56, U5339, aff. Goudy.
123 AD 56, U5340, aff. Le Bihan.
124 AD 35, 2U969, aff. Pautrel.
125 AD 35, 2U1308, aff. Thébault.
126 AD 35, 2U1037, aff. Tostivint.
127 Ferron Laurent, Le témoignage des femmes victimes de viol au XIXe s., dans Bard Christine, Chauvaud Frédéric et Perrot Michelle (dir.), Femmes et justice pénale, XIXe-XXe siècles, Rennes, PUR, 2002, p. 132.
128 Bayard Henri, Manuel pratique de médecine légale, Paris, Germer Baillière, 1843, p. 166-167.
129 AD 22, 2U791, aff. Jugan.
130 AD 44, 5U160/2, aff. Malard.
131 AD 35, 2U1037, aff. Tostivint.
132 AD 35, 2U848, aff. Fontaine.
133 AD 29, 4U2/319, aff. Person.
134 AD 22, 2U314, aff. Hidrio.
135 AD 29, 4U2/119, aff. Feillard.
136 AD 29, 4U2/320, aff. Le Pape.
137 AD 35, 2U1304, aff. Blanchamain.
138 Cité dans Ambroise-Rendu Anne-Claude, « Attentats à la pudeur sur enfants : le crime sans violence est-il un crime ? 1810-années 1930 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2009/4, no 56-4, p. 181.
139 Le roman d’Octave Mirbeau (1848-1917), Sébastien Roch, publié en 1890 et plusieurs fois réédité, transgresse un tabou majeur en abordant la question du viol de jeunes garçons par des prêtres, sujet laissé de côté pendant un siècle après la publication du roman. Alors que la psychanalyse n’en est qu’à ses balbutiements, l’écrivain montre que les séquelles du viol perdurent longtemps après que le crime a été commis. S’il fait mourir son héros à 20 ans d’une balle prussienne, c’est qu’il n’envisage pas de résolutions aux malheurs de Sébastien.
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