1En tant qu’éducateur, formé au travail social et à la psychologie, Ernst Papanek est intervenu sur la place de l’enfant dans la société, sur la responsabilité des parents et celle de l’État et a défendu un certain nombre de principes à partir des expériences qu’il a vécues au cours d’une existence passée avec des enfants et des adolescents. Un certain nombre des points inscrits dans les textes internationaux concernant les droits de l’enfant et le respect de sa dignité sont proches d’idées abordées et défendues par cet homme qui a traversé les crises et les violences du XX^e siècle. Cette contribution sera axée autour de trois thèmes qui lui ont été chers : l’éducation, la liberté et la protection. Il s’est majoritairement investi dans la question des enfants victimes et par conséquent, c’est d’abord à partir de cette catégorie qu’il intervient sur l’enfance. Ce point est important pour comprendre un certain nombre de thématiques privilégiées par Papanek.

2Né à Vienne avec le XX^e siècle, il a suivi tour à tour des études de médecine, de pédagogie et de psychologie. Une formation pluridisciplinaire marquée par les idées orientées d’Alfred Adler (1870-1937), le médecin et psychanalyste qui s’est détaché de Sigmund Freud depuis plusieurs années. Il connaît les questions d’éducation et de jeunesse par les livres mais très vite il se confronte au réel en étant un membre actif des jeunesses socialistes au moment où Vienne devient un laboratoire du socialisme autrichien. Il contribue à l’organisation de camps de jeunesse et une fois élu conseiller municipal de la capitale de la nouvelle république, il organise l’insertion de l’enfance par la création de structures (crèches, écoles) ; cette période est brutalement interrompue par les changements politiques du début des années 1930 en Autriche.

3En exil, il prend la direction pédagogique des maisons d’enfants de l’OSE (l’Œuvre de secours aux enfants) fondée par des médecins juifs dont la branche française est une des plus développées. Son passage au sein de l’OSE est de courte durée car il doit quitter Paris pour éviter les bombardements allemands et quitter la France à la fin de l’été 1940. Installé aux États-Unis, il s’occupe des enfants rescapés du nazisme puis par la suite prend la direction d’institutions de délinquantes et de délinquants mineurs avant de devenir professeur d’éducation dans une université de l’État de New York, ville où il est installé depuis son départ d’Europe. Cette courte introduction biographique est nécessaire pour comprendre un certain nombre de propos que Papanek va publier une fois aux États-Unis. En effet, il n’écrit que très rarement des textes de principes éducatifs généraux préférant décrire et interpréter des expériences vécues par les individus. Tout comme il met régulièrement en scène les enfants dont il a eu la charge et fait partager ses observations et analyses.

4Tout d’abord, il est important de souligner que Papanek aborde la question des droits de l’enfant dans un contexte où généralement cette notion est lointaine. Il est confronté dans une première période à l’enfant comme objet d’une politique autoritaire et par la suite il est confronté à l’enfant comme personne à sanctionner. Il est donc en relation avec des jeunes dont soit les droits les plus basiques sont bafoués, soit avec des enfants dont les droits non écrits sont mis entre parenthèses.

5Faire de l’enfant un futur adulte éduqué, faire de l’enfant un être qui compte et faire de l’enfant un être protégé, voilà les trois grandes orientations de son action tout au long de son existence. Ces principes sont animés par la conviction que le droit à l’éducation de l’enfant est un impératif, sa liberté est un objectif et la vulnérabilité de l’enfant est une réalité. Il faut donc concilier ces différents déterminants au sein d’une société d’adultes qui demeure hésitante, parfois, sur la question de la liberté et de l’autonomie de l’enfant et qui ne renonce pas toujours à ajouter de la vulnérabilité à la situation de faiblesse et d’infériorité dans laquelle l’enfant est parfois placé. Pour Papanek, cela est ressenti comme un combat de longue haleine dans la mesure où il a été confronté à de nombreuses reprises à des situations au cours desquelles les enfants étaient sérieusement menacés dans leur intégrité physique et psychique.

Le droit à l’éducation

6S’il considère que le droit à l’éducation est un droit de base, il lui est fréquemment arrivé de constater que sa mise en application souffre de nombreuses exceptions. Pour autant, il s’efforce de le mettre en pratique dans les circonstances les plus délicates auxquelles il a fait face notamment lorsqu’il participe aux programmes de sauvetage et d’aide aux enfants réfugiés ou rescapés dans le cadre de sa participation aux actions de l’UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Administration). Dans les maisons d’enfants – où il travaille entre 1938 et 1940 –, il organise des séances d’éducation de groupe et contribue à ce que les plus valides moralement soient scolarisés dans la ville de leur communauté. Pour les enfants rescapés des camps ou déplacés par la guerre, il considère là aussi qu’il faut replacer au plus vite les enfants en condition d’apprentissage. Il y attache beaucoup d’importance afin d’interrompre le processus de désocialisation dans lequel ils se trouvent fréquemment. Dans certains cas, il était convaincu que cet impératif était plus fort que la volonté de certains de vouloir placer l’enfant dans des familles d’accueil en raison de sa dimension artificielle et jugée pour cela peu opportune.

7Pour les enfants délinquants, son combat est également pugnace. La délinquance du jeune témoigne d’une souffrance et non d’un penchant mauvais. Refuser l’éducatif ou proposer une éducation au rabais constituerait une violence faite au délinquant et ce serait renforcer la spirale dans laquelle l’adolescent risque de s’installer. À la punition que s’inflige le jeune en déroute, la société adopterait à son tour le principe de la punition alors que c’est le principe de l’éducation qui doit être mis en avant. Papanek aimait rappeler la parole d’un ancien délinquant qui lui déclara un jour : « Je ne savais pas qu’il fallait aller à l’école pour apprendre1 » tant il avait intégré les menaces des adultes et les punitions qui étaient mobilisées à son encontre du fait de son mauvais comportement. La punition avait, ici, eu comme conséquence néfaste de menacer le droit de l’enfant à apprendre.

8Le processus éducatif est aussi considéré comme un processus de reconnaissance de la personne de l’enfant d’autant plus dans les situations où l’enfant a traversé une insécurité profonde liée aux comportements violents des adultes. C’est à cette occasion notamment que la société transmet aux enfants les valeurs qui la constituent et établit ainsi un lien entre enfants et adultes au-delà des liens existant entre parents et enfants. C’est enfin le moyen, lorsque l’enfant est dans la plénitude de sa construction, de lui permettre de s’engager vers les voies de l’autonomie et de la liberté. C’est pourquoi, dans les situations de crise, Papanek insiste tant sur la question de l’apprentissage. Si on laisse l’enfant victime des schémas autoritaires, qui lui ont été inculqués, le risque qu’il les adopte est élevé ce qui confortera tous ceux qui refusent le principe d’autonomie comme valeur fondamentale de la société. La violence des situations engendre des effets très néfastes chez l’enfant puisqu’il anéantit son désir d’autonomie en ce sens qu’il ne sait plus être libre ayant progressivement intégré les valeurs autoritaires des sociétés dont il est issu. Le rôle de l’éducateur est donc de lui faire réacquérir le goût de la liberté. À de nombreuses reprises Papanek aimait citer la question d’un enfant de confession juive : « Moi aussi je suis autorisé à me rendre dans le jardin pour jouer avec les autres2 ? » Cette question reflétait les ravages provoqués par une éducation qui n’avait été que régression et dégradation de l’humain. Pour ce qui concerne le délinquant plus particulièrement, il convenait de lui faire comprendre et admettre qu’il peut et qu’il a le droit d’apprendre ; la communauté qu’il croyait hostile ne renonce pas à ces principes forts y compris pour lui.

La question de la liberté

9Une des mesures phares de son action et de son engagement est ce que l’on peut appeler la prise de parole. Une notion qui n’est pas sans rappeler le contenu du livre de Michel de Certeau3 mais qui a été mise en application par Papanek indépendamment des thématiques de la fin des années 1960 puisqu’il l’organise dès sa première expérience professionnelle significative, lorsqu’il s’occupe des maisons d’enfants de l’OSE.

10Les réunions avec les enfants (ils ont entre 5 et 16 ans) qu’il appelle à l’occasion (plus tardivement) des assemblées générales semblent avoir été plutôt fréquentes. On discute et décide de ce qui concerne la vie de la communauté. On y organise à l’occasion des votes auxquels l’ensemble des membres participe. Papanek cherche à ce que les décisions prises ne soient pas mal ressenties par celles et ceux à qui elles s’adressent. Le vote constitue un engagement : il est la preuve que chacun est pris en compte et témoigne de l’investissement et de la bonne volonté de l’adulte. L’enfant qui vote est redevable des décisions qui ont été prises. L’enfant a sa place au sein de la communauté mais il sait aussi qu’il est engagé envers cette communauté ; on est, en quelque sorte, proche de ce que le philosophe Paul Ricœur appelle « l’endettement mutuel4 » ; il lui doit quelque chose puisque celle-ci en retour lui assure protection et apprentissage dans une atmosphère de liberté. Celle-ci s’incarne par exemple à travers la liberté religieuse, le droit de se réunir, la libre expression de la parole. La circulation de la parole, la liberté de discussion est considérée à la fois comme pédagogique et source de développement de chacun. Papanek désigne cette organisation sous l’expression de co-administration qu’il tient à différencier du self-government. Ce point est pour lui essentiel et je crois qu’il y reste attaché tout au long de sa vie professionnelle. Cette distinction touche à la conception de la liberté et à quel type de droit on peut accorder à l’enfant. Faire circuler la parole ne signifie pas accorder à toute prise de parole un blanc-seing, ni à favoriser un enfant plus entreprenant qu’un autre dans un groupe ; il ne s’agit pas de stimuler l’esprit de compétition entre les enfants.

11De la même manière, lorsqu’il établit le principe du vote, c’est pour injecter à la fois participation, responsabilité et sens de la communauté non pour favoriser l’enfant roi auquel les professionnels de l’enfance pensent si souvent pour le dénoncer. Ce n’est donc pas pour favoriser le « je ne veux pas » de l’enfant auquel les parents répondraient : « OK votons ! » qui est précisément dénoncé dans les années 1950-1960 par certains de ses collègues psychiatres et psychanalystes comme Ralph Greenson5. C’est pourquoi le principe de la co-administration correspond mieux à ce qu’il s’efforce d’instaurer : l’individu doit à la fois être libre, responsable et inséré dans la vie de la communauté ; c’est un être libre et nourri par le lien social. Le self-government lui apparaît au contraire comme plus antagoniste ; il a cependant des propos parfois moins critiques à l’égard de ce type d’organisation6. Les enfants auxquels il a eu affaire, principalement aux États-Unis dans les premières années de son activité professionnelle, n’étaient pas à première vue particulièrement éligibles à celui-ci puisque c’étaient des mineurs délinquants la plupart du temps. Papanek ne renonçait cependant aussi peu que possible à organiser des assemblées, à faire circuler la parole au sein des institutions dans lesquelles il a travaillé. Par conséquent, il exprime une grande constance sur cette question de la liberté et de la prise de parole. L’enfant doit devenir un acteur social ; c’est un objectif d’autant plus envisageable lorsque l’on est en contexte démocratique et lorsque l’enfant n’a pas de perturbations particulières. Lorsqu’il le peut, Papanek recherche la parole de l’enfant. Par exemple, lors d’une participation à un débat sur l’expérience pédagogique de Summerhill, dans les années 1960, il est le seul à donner la parole aux jeunes eux-mêmes avant de dire ce qu’il en pense ou ce qu’il faut en penser. Sans se placer dans une posture d’égalité avec le jeune, il lui reconnaît une légitimité à intervenir sur les sujets qui le concernent directement.

12Quelles libertés et quels droits donner aux enfants ? Papanek élabore quelques réponses mais peut-être plus en fonction des situations qu’il rencontre qu’à partir de valeurs gravées dans le marbre. On sait que ces points ont suscité, y compris dans des décennies récentes, beaucoup de discussions critiques voire hostiles. Les professionnels de l’enfance y ont participé puisqu’ils ont été amplement sollicités dans la mesure où l’État sanitaire et social fait reposer une partie de ses décisions sur leurs expertises. Lorsque les spécialistes abordent la question de la liberté et le droit de l’enfant à certaines libertés, le débat se transforme parfois en une équation : liberté versus permissivité. L’autre aspect du débat porte sur la figure de l’enfant comme sujet de droit qui a, comme on le sait, engendrer d’amples discussions. Certains ont craint et ont promis qu’un enfant ayant des droits se transformerait en un enfant ayant tous les droits et pourrait ainsi, par exemple, s’opposer à ses parents dans une vision antagoniste viscérale.

La liberté de quoi ?

13Instaurer la liberté dans la relation à l’enfant et souligner l’importance d’un droit à la liberté pour l’enfant ont un sens précis pour Papanek. Il y est attaché à la fois pour des raisons liées à son engagement politique en faveur d’une réelle culture démocratique et pour son attachement au courant de la psychologie individuelle7. La liberté n’est pas assimilée, dans son esprit, au laisser-faire et à la permissivité. Il l’exprime aussi bien dans les années 1940 que lors de situations ultérieures, comme à la fin des années 1960, par exemple8.

14On ne doit pas donner à l’enfant le sentiment qu’il aurait une liberté totale. C’est à la fois illusoire et dangereux. On ne peut laisser imaginer aux enfants, tout particulièrement à ceux qu’il a pris en charge, qu’une telle orientation serait la voie à suivre. Lorsqu’il était face à des jeunes désocialisés, livrés à eux-mêmes, cela n’avait pas grand sens. Qu’aurait signifié de dire à des enfants abandonnés, réfugiés de guerre : « Maintenant vous êtes libres, faites ce que vous voulez ! » Par conséquent il sait ce que le terme de liberté peut avoir d’inadapté et d’illusoire. Mais il sait aussi qu’il est fermement attaché à cette notion et que lorsqu’elle est hors de l’esprit des individus, quelque chose est vicié en quelque sorte. Dès lors, ce qui était impératif était de faire comprendre que les discriminations dont ces enfants avaient été l’objet n’étaient pas le produit du monde des adultes mais d’adultes unis par des valeurs autoritaires qui n’avaient rien d’obligé, ni de systématique. Il fallait à l’éducateur recréer un lien moral entre l’enfant et l’adulte. C’est pourquoi il plaidait régulièrement en faveur d’une intervention massive de l’adulte. C’est parce qu’il y a une relation forte entre le jeune et l’adulte que le premier se construit et interagit correctement avec le monde extérieur.

15Quant aux enfants délinquants, la question de leur liberté était bien un aspect de leurs problèmes. Invoquer le droit de l’enfant délinquant revient à faire en sorte que l’éducateur parvienne à ce qu’il retrouve sa confiance, à lui faire comprendre qu’il fait partie de la communauté alors même qu’il perçoit celle-ci comme hostile. Certes, conférer de la liberté au mineur délinquant, le considérer avec certains égards apparaît aux yeux de certains comme étrangement paradoxal9. Face à une justice des mineurs qui semble encore très répressive, Papanek manifeste régulièrement d’autres options. Il se plaît à rappeler le nombre de lieux, notamment en Europe, où des programmes d’éducation et parfois d’accompagnement moral des jeunes ont été mis en place afin de souligner que les réponses exclusivement punitives ne sont pas toujours mobilisées10. La liberté peut favoriser la réinsertion et calmer les impulsions négatives du jeune délinquant.

16La liberté ne signifie pas l’absence de règles pour Papanek. Les droits de l’enfant ne sont pas séparés des devoirs de l’enfant. Et inversement, obliger l’enfant à des devoirs sans autre critère que celui d’une obligation constitue une erreur fondamentale qui n’est pas toujours évitée lorsqu’on traite d’enfants délinquants précisément. Dans les deux catégories d’enfants qu’il connaît le mieux, il constate, au-delà des évidentes différences de situations, que l’important est d’instaurer – ou de restaurer – une reconnaissance. Rien de tel pour affirmer le principe du droit d’un individu de le reconnaître comme sujet social plein et entier. C’est une base à partir de laquelle on peut discuter sérieusement des droits. Cela contribue à éviter notamment tout processus d’emprise de l’adulte sur le jeune, toute sorte de paternalisme moral dont les éducateurs ne sont pas toujours exempts.

Protéger l’enfant : jusqu’où et comment ?

17Comme d’autres professionnels de l’enfance avant lui, Papanek met un point d’honneur à souligner que la société doit protéger l’enfant. Cette protection, si souvent mobilisée qu’on peut considérer qu’elle est devenue quasiment intrinsèque à la psychologie de l’enfant, ne se décline pas cependant en tout point de façon identique selon les auteurs. Il ne s’agit pas chez Papanek de perpétuer le moralisme de la protection de l’enfance et de la jeunesse ni d’alerter le public profane contre certains penchants pervers d’une jeunesse trop tôt dépravée. C’est d’abord, dans son esprit, un appel au sens de la responsabilité morale et sociale des adultes qu’il suggère et qu’il réclame. Ce n’est donc pas la complainte de l’adulte face à l’adolescent rebelle ou inamendable mais un engagement fort de la part de la société des adultes que réclame Papanek. D’une certaine manière, il y a l’idée sous-jacente que le niveau d’accomplissement11 d’une société se mesure à la place qu’elle réserve à l’enfant. Il y a chez lui l’écriture d’une société idéale pour l’enfant. Cette société idéale est envisagée à partir de l’articulation réussie entre liberté et solidarité, autonomie et responsabilité. Papanek tourne le dos aux orientations autocratiques, pour des raisons que l’on comprend aisément, tout comme il repousse les orientations exclusivement libérales car ces dernières favorisent un individualisme forcené qui crée de l’antagonisme et de la lutte entre les individus, enfants inclus.

18Il est, selon moi, dans une philosophie du même et de l’autre. L’enfant a des droits comme tout être humain (dignité, éducation, etc.) et le fait que Papanek ait été témoin de ce que l’enfant peut devenir objet le maintient très clairement dans cette conviction. Mais l’enfant n’est pas apparenté à un adulte en miniature. Accorder des droits c’est d’abord souligner l’importance de l’égalité entre les enfants. C’est une valeur particulièrement défendue par Papanek. Il sait par expérience que les enfants ne sont pas traités de manière égale et par conséquent, cet objectif est en soi un grand combat. C’est l’égalité entre enfants qui est donc fondamentale plutôt que l’égalité entre un adulte et un enfant. Cet aspect lui inspire, en revanche, un certain scepticisme. L’enfant est une personne que le droit doit protéger, prendre en compte mais ce n’est pas exactement un sujet avec des droits au sens où on peut l’entendre pour un adulte.

19L’idée que l’enfant aurait par nature des vertus particulières et plus encore des aptitudes particulières qui ne demanderaient qu’à éclore dès lors que celui-ci serait placé dans un environnement favorable est peu prisée par Papanek. Alors même que l’autonomie de l’enfant est au centre de son combat éducatif, il n’imagine pas sérieusement que l’enfant acquiert par lui-même en toutes circonstances. L’apprentissage, aussi bien des connaissances que des choses de la vie et des règles sociales, ne s’accomplit pas mieux lorsque l’enfant est placé dans un contexte d’absence de contraintes. On doit veiller à ce que l’enfant soit placé dans un cadre adapté pour que le processus d’acquisition des connaissances s’amorce et se déroule correctement. Le droit de l’enfant ce n’est pas le laisser se débrouiller par lui-même. Dans la mesure où, dans l’esprit de Papanek, l’enfant a besoin d’être reconnu, de savoir qu’on lui prête attention et reconnaissance, la relation avec l’adulte et de manière générale avec la société est fondamentale. Sans interaction, il n’y aura pas de développement du sens social chez l’enfant et par conséquent l’adulte de demain sera peu inséré et peu adapté à la société. Dès lors, le laisser face à lui-même afin de ne pas lui imposer de normes serait contradictoire, voire pourrait avoir des effets tout à fait inverses à ceux recherchés. Il interprète cette attitude comme le signe d’une société qui se désintéresserait de ses jeunes et qui manifesterait un égoïsme forcené.

20L’antagonisme, notion qui est parfois mobilisée pour discuter des droits de l’enfant, n’est pas la manière adoptée par Papanek. Sans doute parce qu’il ne développe pas une philosophie de la lutte mais de la solidarité. Il insiste sur le développement de l’intérêt social chez l’enfant, une notion centrale dans ses écrits reflétant l’importance de celle-ci dans de nombreux textes de psychologie adlérienne américaine. C’est pourquoi l’opposition qui est parfois évoquée entre les droits de l’enfant d’un côté et les droits des parents de l’autre n’est pas abordée par Papanek car il se place dans un autre cadre, celui d’une société inclusive, et qui par conséquent contribue de façon beaucoup plus harmonieuse à la place de l’enfant. Installer l’enfant dans un cadre communautaire lorsqu’il en a particulièrement besoin lui permet de retrouver la sécurité affective et psychique dont il a besoin.

21Si j’ai formulé l’hypothèse que Papenek aurait pu écrire certains articles de la Convention internationale des droits de l’enfant, je ne suis pas sûr qu’il avait imaginé qu’elle verrait le jour. Encore à la fin de sa vie, le débat n’apparaissait pas du tout joué en faveur d’un tel texte et surtout une de ses anciennes collègues considérait que les États-Unis avaient démontré une grande méfiance à l’égard des droits de l’enfant12. Il ne faut sans doute pas y voir une quelconque hostilité générale à l’égard des enfants naturellement mais plutôt l’illustration d’une discussion plus générale : comment et de quelle manière intervenir auprès des enfants et qui doit avoir la responsabilité de la place qui leur est accordée dans la société ? Famille, État, école, autant de possibilités qui ont suscité de nombreux débats comme on le sait et auxquels Papanek avait participé sans toujours convaincre son auditoire, lui qui défendait parfois des solutions ne passant pas exclusivement par le droit des familles à intervenir sur leur descendance.