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Des savants pour protéger la nature

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Rémi Luglia

Deuxième partie. Et la crise survint, cathartique et rénovatrice (1880-1910)

Chapitre VIII. Échecs et réussites de la protection de la nature au tournant des siècles

Texte intégral

1La réorientation idéologique, pour partielle qu’elle soit, trouve aussitôt matière à application à la fin du XIXe siècle et les combats qui sont alors menés, avec plus ou moins de réussite, participent en retour à la redéfinition des objectifs. La question de l’action et de ses formes se pose alors avec de plus en plus d’insistance : la pertinence, et surtout l’efficacité, des habituelles pratiques savantes et mondaines font débat.

La Société d’acclimatation contre la plumasserie

  • 1 La plumasserie consiste en la préparation de plumes d’oiseaux et leur utilisation dans la confecti (...)
  • 2 Convard Roger, La plume dans tous ses états. Histoire de la plume de parure à travers les âges, le (...)
  • 3 Chansigaud, op. cit., 2012, p. 52.

2À partir des années 1890, la Société d’acclimatation s’inquiète des effets d’une mode qui s’avère destructrice pour certaines espèces notamment tropicales : celle des chapeaux à plume1. L’usage de « plumes » pour l’habit et la parure, dont la mode transcende les couches sociales bien que sa qualité et son prix permettent la distinction, ne date pas du XIXe siècle mais remonterait aux temps préhistoriques2. Ce n’est cependant qu’avec l’essor du commerce international et la massification de l’activité plumassière que le problème de la protection des animaux fournisseurs et en particulier des oiseaux exotiques se pose : « l’âge d’or de l’industrie plumassière » se situe entre 1870 et 1910, au moment précis où la Société s’en inquiète, rejoignant ainsi les ornithologues et protecteurs de la nature états-uniens et britanniques3.

Une question classiquement utilitariste

  • 4 « Procès-verbal de la séance du 2 mai 1898 de la 2e section (Ornithologie) », Bull. SNAF, 1899, p. (...)
  • 5 Émile Oustalet est docteur ès Sciences, assistant au Muséum national d’histoire naturelle et prési (...)
  • 6 Jules Forest aîné est négociant (société « Forest frères ») et membre de la corporation des natura (...)
  • 7 À Paris, en 1910, il y a ainsi 350 plumassiers, 34 fournisseurs et 65 négociants s’assurant un chi (...)
  • 8 Le 23 février 1894, le conseil d’administration accorde son soutien à un projet « d’autrucherie » (...)

3En 18984 l’ornithologue Émile Oustalet5 s’oppose au négociant Jules Forest aîné6 en affirmant le rôle prédominant tenu par la plumasserie dans la destruction des petits oiseaux et demande que cette industrie se tourne exclusivement vers l’élevage pour se fournir. Dans son habituel objectif utilitariste, la Société d’acclimatation ne cherche nullement à remettre en cause cette activité économique, importante7, ni la mode qui en est le support, mais propose de se satisfaire d’oiseaux d’élevage8 ou de réaliser l’acclimatation des espèces au plus beau plumage. L’inquiétude ne porte alors que sur les oiseaux insectivores ou qui consomment des rongeurs, car ils sont les seuls à être considérés « utiles » et dont la protection puisse apparaître légitime. C’est le début, utilitariste, de l’engagement de la Société dans une longue dispute entre tenants et opposants de la plume de mode.

  • 9 . Edmond Perrier, « Discours », Bull. SNAF, 12 février 1911, p. 452-453.
  • 10 Auguste Ménégaux (1857-1937) est assistant au MNHN et vice-président de la Section d’Ornithologie (...)
  • 11 Louis Ternier représente le ministère de l’Agriculture au Congrès de Berlin. Cf. infra pour une bi (...)

4L’accent est progressivement mis sur la souffrance animale, en plus de la question écologico-patrimoniale de l’extinction des espèces concernées et, dès 1909, les protecteurs en viennent à incriminer la confection de chapeaux car elle est à l’origine de la chasse commerciale : « De toutes parts la même plainte nous arrive : les trappeurs et les chasseurs dépeuplent la Terre9 ! » Cette critique est commune au niveau international comme en témoigne une résolution finale adoptée par le Ve Congrès ornithologique (Berlin, 30 mai au 4 juin 1909) où la France est représentée par Auguste Ménégaux10 et Louis Ternier11, qui parlent aussi au nom de la Société d’acclimatation :

  • 12 Louis Ternier, « Le Congrès international ornithologique de Berlin », Bull. SNAF, 1910, p. 348-349

« Le Ve Congrès ornithologique international proclame [...] la nécessité absolue de protéger tous les oiseaux et spécialement les espèces poursuivies pour leurs plumes destinées à la mode12. »

La mise en accusation de la mode féminine

  • 13 Convard, op. cit. Denis Diderot ne signale dans son Encyclopédie (tome xii, 1751, p. 798) qu’une u (...)

5C’est bien la mode féminine qui est seule mise en cause alors que l’usage des « plumes » a principalement été historiquement un attribut masculin de distinction13. En 1911, Edmond Perrier prononce un discours édifiant :

  • 14 Edmond Perrier, « Discours », Bull. SNAF, 12 février 1911, p. 452-453.

« Jetez les yeux sur les toilettes des femmes qui se hâtent dans nos rues. Si précipités que soient les petits pas dont leurs robes entravées mesurent si parcimonieusement l’envergure, elles n’avancent pas assez vite qu’il ne nous soit facile de compter les plumes de toutes sortes, de toutes formes, de toutes nuances qui se dressent en aigrettes orgueilleuses ou retombent en saules-pleureurs sur les vastes plate-formes qui leur servent de chapeau, et défient par leurs dimensions les humbles corbeilles des petits pâtissiers [...] ; [...] et songez à l’effroyable massacre que suppose la distribution de tant de plumes sur des têtes faites pour se dresser légères et souriantes, de tant de poils sur des épaules dont tout le charme réside dans la pureté des lignes et la souplesse des mouvements ! Le caprice subit qui a conduit les femmes européennes, si gracieuses quand elles consentent à demeurer elles-mêmes, à revêtir les panaches des Peaux-rouges et les casaques des Samoyèdes et des Esquimaux, coûte chaque année la vie à plus d’un milliard de charmants animaux, et c’est, en réalité, de sang que sont vêtus ces êtres exquis dont tout le cœur est fait de charité et de bonté14. »

  • 15 Les Samoyèdes forment un peuple nomade de langue et de culture finno-ougrienne qui vit en Sibérie.

6Responsable des destructions, la femme élégante détient la solution et la Société d’acclimatation se lance, avec d’autres, dans une campagne d’opinion pour infléchir la mode. Edmond Perrier n’hésite pas à comparer les élégantes parisiennes, archétype de la femme européenne et « civilisée », aux peuplades les plus « barbares » dans l’esprit de l’époque, soit les Esquimaux et les Samoyèdes15. L’objectif est de sensibiliser le public concerné afin de supprimer la demande d’animaux sauvages, donc le commerce et la destruction de ces espèces. Dans le même discours, Edmond Perrier propose, après avoir vertement critiqué l’indolence des autorités coloniales françaises, de développer l’élevage d’animaux, pour leurs plumes et peaux, ce qui aurait le triple avantage de créer une nouvelle activité économique, de préserver les spécimens sauvages, et de ménager l’industrie plumassière.

  • 16 Luglia Rémi, « Le donne... », op. cit.
  • 17 Anne Higonnet signale l’association étroite réalisée au XIXe siècle entre beauté et féminité. Anne(...)
  • 18 « La femme est une matrice » (Michelet, 1849) pour les antiféministes de la Belle Époque selon Ann (...)
  • 19 « Le cœur est au centre de l’identité féminine. Anthropologues et médecins enseignent que la sensi (...)

7C’est à ce moment précis, quant il s’agit de passer du constat scientifique à l’action militante, que le débat quitte le champ des sciences pour convoquer des stéréotypes de genre, révélant une conception traditionnelle de « la » femme chez les naturalistes de la Société d’acclimatation, en tout cas dans leur expression publique16. La responsabilité de la destruction revient ainsi à « l’essence féminine » : « la » femme veut plaire et sa coquetterie s’agrémente de futilité pour mettre en valeur son physique17. Paradoxalement, c’est également à la supposée « nature » féminine que l’on fait référence pour convaincre les femmes de la nécessité d’abandonner leurs chapeaux à plumes. Il convient, pour les savants, de jouer sur le sentiment maternel car, à leurs yeux, « la » femme est une mère qui ne saurait accepter que l’on tue des animaux en train de nicher et qu’on fasse ainsi périr les couvées18. Ils considèrent également que « la » femme est sensible à la douleur des autres et ne peut autoriser que l’on use de violence pour la parer. Cependant, même s’il se fonde sur une vision de « la » femme largement partagée par les contemporains, banale même19, l’échec en France de cet appel à l’opinion publique, particulièrement destiné aux élites socio-culturelles et aux femmes, est patent.

Lobbying plumassier et blocage gouvernemental français

8Les demandes répétées d’une loi règlementant le commerce de plumes d’oiseaux sauvages et sa prohibition pour les espèces les plus utiles ou en danger d’extinction se heurtent à l’opposition du gouvernement français et notamment du ministère du Commerce, qui répond en 1912 à une question écrite du député Faillot :

  • 20 « Procès-verbal de la séance du 22 mars 1912 de la 2e section (Ornithologie-Aviculture) de la Soci (...)

« À la suite du dépôt à la Chambre des communes d’un projet de bill édictant l’interdiction du commerce des plumes et plumages de certains oiseaux sauvages, [...] le gouvernement français [...] a eu l’occasion de faire savoir au gouvernement anglais qu’il n’avait pas de motif légitime de donner son adhésion à une proposition établissant en France une telle prohibition qui aurait pour conséquence de porter une grave atteinte à des industries faisant vivre une population ouvrière française d’au moins 50 000 personnes et provoquant plus de 100 millions d’affaires20. »

9Toute limitation au commerce de ces plumes et autres dépouilles n’est considérée que comme une entrave. Les plumassiers eux-mêmes se prévalent de ce soutien gouvernemental :

  • 21 Morin Édouard, La plume des oiseaux et l’industrie plumassière, Paris, J. B. Baillière et fils, 19 (...)

« Le gouvernement français [...] n’a jamais manqué, depuis de nombreuses années, de prendre, en toutes circonstances, la défense de l’industrie de la plume21. »

10Or une mobilisation internationale prend corps :

  • 22 « Procès-verbal de la séance du 22 mars 1912... », op. cit., p. 730.

« En Angleterre les grandes dames ont fondé une société contre le port des plumes sur les chapeaux, en vue d’entraver la destruction irraisonnée des oiseaux de parure22. »

11Le journal Le Monde ailé et tout l’élevage donne quelques chiffres sur les ventes du marché de Londres, indiqué comme étant le centre du commerce de la plume : oiseaux de paradis, 28 281 (1907) ; oiseaux-mouches, 20 820 (février 1911) ; martins-pêcheurs, 20 625 (juin 1907) ; hirondelles de mer, 69 140 (1908). En France, malgré les recommandations et les pressions internationales, la réglementation n’évolue pas et la situation des espèces menacées par la mode reste inchangée. En raison de cette fin de non-recevoir des autorités françaises, de la nécessité d’agir rapidement et d’une certaine exemplarité d’autres pays, Edmond Perrier explore l’appel à l’opinion publique comme nouveau mode d’action car rien ne semble possible par les méthodes traditionnelles de la Société d’acclimatation, sa proximité avec les pouvoirs publics s’avérant ici manifestement inefficace face au lobby plumassier.

  • 23 Edmond Haraucourt est directeur du Musée de Cluny.
  • 24 Haraucourt Edmond, « La Belle et les bêtes », Bull. SNAF, 26 mars 1914, p. 266-281.

12Le discours se durcit alors progressivement. Ainsi, lors de la séance publique du 26 mars 1914 Edmond Haraucourt23 commet une conférence intitulée « La Belle et les bêtes24 » où il commence par décrire l’évolution de la parure depuis l’Eden jusqu’à nos jours, devant une assistance où figure notamment Raymond Poincaré (président de la République) ainsi qu’Albert Lebrun (ministre des Colonies). Pour faire cesser ce qu’il qualifie de « massacre », Edmond Haraucourt fait appel à la sensibilité et à la pitié des dames, tout en reconnaissant qu’en France la mode féminine n’avait pas changé. Il signale alors que la prohibition états-unienne, alors adoptée, « porte une grave atteinte au commerce français, puisque l’industrie des « plumes fines » est presque exclusivement concentrée chez nous » et que les britanniques vont suivre le même chemin car « l’unique objection contre [ce] projet est tirée du préjudice que pourrait éventuellement subir une industrie, qui n’est pas anglaise ». Le positionnement de la Société d’acclimatation s’infléchit : puisque la conciliation ne semble pas possible avec les plumassiers, et que la mobilisation de l’opinion n’est pas suffisante, il convient de les contraindre à abandonner l’utilisation des « plumes fines », sur l’exemple des pays anglo-saxons. Le plumassier devient un ennemi. Mais, avant que le divorce soit définitivement consommé, ce dernier essaye d’utiliser les sociétés savantes pour faire perdurer ses activités.

Une tentative d’instrumentalisation des savants par les plumassiers

  • 25 En effet, dans la « liste supplémentaire des membres de la Société d’acclimatation du 1er janvier (...)
  • 26 « Procès-verbal de la séance du 26 avril 1912... », op. cit., p. 755.
  • 27 Albert Chappellier est chef de travaux à l’École pratique des Hautes Études, administrateur de la (...)
  • 28 Maurice Loyer est secrétaire général.
  • 29 Louis Magaud d’Aubusson est docteur en droit, administrateur de la Société d’acclimatation et prés (...)
  • 30 Léon Bolack est négociant en plumes et a été admis comme sociétaire en 1912.

13En 1912, le président de la LPO, Louis Magaud d’Aubusson, indique que cette toute jeune association vient de recevoir parmi ses membres « les présidents des syndicats de la plumasserie25 », car « la Ligue veut seulement la suppression dans la mode de l’emploi des dépouilles d’oiseaux sauvages ; la basse-cour, aidée de l’acclimatation, peut et doit fournir le terrain de conciliation26 ». Plusieurs sociétaires ayant été sollicités pour participer à un « Comité d’ornithologie économique », Albert Chappellier27, Maurice Loyer28 et Louis Magaud d’Aubusson29 sont délégués pour rencontrer le 4 janvier 1914 MM. Bolack30, Lefevre et Mantou, tous plumassiers. La conclusion de leur rapport est sans appel :

  • 31 « Procès-verbal de la séance du 5 janvier 1914 de la 2e section (Ornithologie-Aviculture) de la So (...)

« Ils déclarent que les explications et les documents dont il leur fut donné lecture n’apportent aucun fait nouveau de nature à modifier une opinion basée sur les discussions précédentes et la documentation dont ils s’étaient déjà entourés. Ils sont donc d’avis que ce projet de Comité d’Ornithologie économique n’apporte aucune garantie nouvelle contre la destruction des espèces d’Oiseaux sauvages31. »

  • 32 Pierre-Amédée Pichot est membre à vie et administrateur honoraire.

14La section adopte alors à l’unanimité moins deux voix et une abstention (on ne sait pas combien de membres étaient présents) un ordre du jour proposé par Pierre-Amédée Pichot32.

« La Société d’acclimatation de France ayant été informée par plusieurs de ses membres qu’il est question, pour des motifs d’ordre scientifique, esthétique et industriel, de fonder un Comité d’Ornithologie économique qui remettrait en question les nombreuses dépositions produites devant les Parlements de la Grande-Bretagne et des États-Unis, relatives à la destruction de certaines espèces d’oiseaux menacés d’extinction, déclare qu’elle tient pour valables et vérifiées les dépositions qui ont eu pour résultat l’interdiction des plumes d’Oiseaux étrangers dans tout le territoire des États-Unis. »

  • 33 Pichot Pierre-Amédée, « La lutte pour la défense de l’oiseau », Bull. SNAF, 1914, p. 481-488.

15M. Bolack assiste à la séance et s’oppose formellement, mais inutilement, à cet ordre du jour. La Société d’acclimatation n’est donc pas dupe des manœuvres des plumassiers : « Ce qu’[il] voulait, au fond, c’était de gagner du temps33. » Des tensions de plus en plus fortes se révèlent entre la Société et les plumassiers, même si les propos des uns et des autres restent encore mesurés. Cette courtoisie ne dure pas.

La confrontation entre savants et plumassiers

16Aucun compromis ne paraissant possible, le débat tourne à la confrontation. La Société d’acclimatation prend désormais clairement le parti de l’opposition à la plumasserie en soutenant ouvertement la loi de prohibition américaine et en remettant en 1914 sa grande médaille hors-classe au docteur William T. Hornaday, directeur du jardin zoologique de New York, bête noire des plumassiers français qui publient au même moment divers ouvrages (La Plume des Oiseaux et l’Industrie plumassière d’Édouard Morin et Emploi rationnel de la plume des Oiseaux sauvages de Léon Bolack), dans lesquels ils critiquent les sociétés savantes :

  • 34 Morin Édouard, op. cit.

« Des sociétés anciennes, estimées, respectées même, ont prêté leur appui à ces attaques. Des hommes, par ailleurs fort distingués, quelques-uns même éminents, ont encouragé cette campagne dans le but louable de protéger les oiseaux. [...] On comprend difficilement que la Société d’acclimatation et la Société protectrice des animaux en souhaitent l’introduction en France [de la loi étasunienne de prohibition]. [...] Les votes des sociétés savantes sont accueillis avec reconnaissance par nos ennemis, ils ne manquent pas de les opposer aux réclamation que présente le gouvernement français, beaucoup mieux renseigné que ces sociétés, dont le tort principal est justement de ne pas se soucier de l’avis du Ministère du Commerce, [...] dans une question qui n’est pas seulement scientifique, mais aussi et surtout économique. [...] C’est d’ailleurs le docteur Hornaday, l’auteur de cet article de loi inique et dont il est fier, qui a saisi de cette question les sociétés françaises et qui les entraîne à sa suite34. »

17En citant la Société d’acclimatation et la Société protectrice des animaux, Édouard Morin confirme le rôle important voire moteur qu’elles tiennent dans ce débat en France et témoigne ainsi de la crainte que leur influence lui inspire. Feu Diogène lui répond en 1915 dans l’hebdomadaire Le Chenil :

  • 35 Feu Diogène, « La riposte du plumassier », Le Chenil, 28 janvier 1915, p. 405 et 4 février 1915, p (...)

« Notre plumassier accuse de vénalité ses adversaires, les défenseurs des Oiseaux. D’après lui, la campagne contre la plume est “soutenue par des subsides provenant d’industries rivales”. [...] Notre plumassier nous reproche d’être atteints “d’une sensibilité maladive [...] de pitié exacerbée profondément ridicule et risible [...] d’une insanité de fanatiques”. Il nous insulte. Mais il le fait si maladroitement qu’il faut l’excuser. Le pauvre homme craint de voir diminuer ses bénéfices exorbitants, et il s’affole. [...] L’art qui consiste à emplumer des têtes de jeunes grues et de vieilles dindes n’est pas un art très relevé. [...] Pour en conserver l’espèce [l’Aigrette], il faut que les femmes veuillent bien renoncer à se piquer sur la tête des petits balais de W.C. et que les marchands mettent un frein à leur âpreté au gain. Cette dernière hypothèse est invraisemblable35. »

  • 36 Cette même accusation de sensiblerie « pathologique » est utilisée au même moment par les tenants (...)
  • 37 Stella Croissant, « Aigrettes et panaches », La Renaissance politique, littéraire et artistique, 2 (...)

18Au-delà des invectives, les femmes sont plus que jamais au centre des débats dans cette querelle. Les accusations des plumassiers reviennent à dire que les savants-protecteurs développent des caractères féminins comme la passion, la pitié ou la sensiblerie, qui dévaluent leurs avis36. Ils partagent une conception genrée qui assigne aux femmes des caractères bien définis : « La mode est plus changeante encore qu’une jolie femme37. » À l’inverse, les protecteurs s’attaquent à la femme emplumée, mettent en cause sa valeur intellectuelle et morale et la dépeignent comme niaise ou facile. En faisant de la plume le symbole de mœurs légères, les protecteurs espèrent encore faire réagir les élégantes et obtenir un changement de mode radical. Certaines caricatures (figure 31) témoignent de ce raccourci réalisé entre la femme enchapeautée-emplumée et la « grue », i.e. la prostituée, même si l’oiseau du couvre-chef a tout ici d’un héron cendré (Ardea cinerea) et bien peu d’une grue cendrée (Grus grus)...

Fig. 31. – Carte postale de 1910 (tirée de Anne Monjaret, « Plume et mode à la Belle Époque », Techniques & Culture, n ° 50, 2008/1, p. 233).

Un bilan mitigé

  • 38 Thébaud Françoise, La femme au temps de la guerre de 14, Paris, Stock, 1986, p. 229-232.
  • 39 Bard Christine, Ce que soulève la jupe : identités, transgressions, résistances, Paris, Autrement, (...)

19Le bilan de ce combat de savants contre la plumasserie est assez ambivalent. Ce n’est que sous l’effet des lois états-uniennes et britanniques de prohibition, de la guerre qui rend inconvenante l’ostentation des parures féminines38 et d’un changement de mode qui fait se réduire les chapeaux dès les Années folles39, que l’industrie plumassière décline et que les destructions d’oiseaux par la plumasserie cessent.

  • 40 Clermont Raoul de et al. (dir.), 1er congrès international pour la protection de la nature. Faune, (...)
  • 41 Sarasin Paul, « La protection mondiale de la faune sauvage », Clermont Raoul de (dir.), op. cit., (...)
  • 42 Monjaret Anne, « Plume et mode à la Belle Époque », Techniques & Culture, no 50, 2008/1, p. 228-25 (...)

20Le sujet est encore débattu, dans les mêmes termes, lors du 1er Congrès international de Protection de la nature organisé à Paris en 1923 par la Société d’acclimatation, la LPO et la Société pour la protection des paysages de France40. Témoin de l’importance que les protecteurs de la nature accordent à ce sujet, le premier rapporteur du Congrès, Paul Sarasin, ouvre les débats par ce sujet et constate une disparition généralisée des oiseaux dits de parure et la responsabilité du négoce dans cette dynamique41. Le Congrès émet un vœu réclamant l’interdiction du commerce de plumes d’oiseaux sauvages. Le stock de plumes rares conservé jusqu’à nos jours par les quelques plumassiers encore présents sur la place parisienne témoigne néanmoins de l’ampleur des prélèvements de la Belle Époque42. Les savants, masculins, ne sont pas parvenus à faire admettre une valeur morale fondée sur une éthique et une nécessité patrimoniale face à un intérêt marchand.

Un combat révélateur

21Le cas de la plumasserie permet de souligner plusieurs éléments. Progressivement, en s’appuyant sur un réseau international d’information, la vision des membres de la Société d’acclimatation s’est élargie, faisant d’un problème métropolitain une question coloniale puis mondiale. La lutte contre le commerce des plumes renforce l’idée que la protection de la nature n’a de sens que si elle est pensée d’un point de vue global, imitant les réseaux commerciaux de cette première mondialisation. Ensuite, les relations entre la Société et les plumassiers changent du tout au tout sur cette période. Sociétaires à part entière au début de l’affaire, les plumassiers sont progressivement et de manière de plus en plus nette mis en accusation. Leur mauvaise foi scientifique et leurs tentatives d’instrumentalisation provoquent la rupture avec une Société qui ne croit plus à leur volonté de trouver une solution. En 1924, la liste générale des membres ne comprend plus les noms des plumassiers qui avaient été identifiés en 1912. Les modes d’action de la Société se sont aussi modifiés à cette occasion. La démarche scientifique est toujours fondamentale et la Société cherche à mobiliser les savants. L’action classique en direction des pouvoirs publics existe mais est un échec, le gouvernement refusant d’adopter les mesures préconisées pour ne pas pénaliser l’industrie plumassière. Le lobby plumassier semble à cet égard bien plus efficace que celui de la Société d’acclimatation. Sous la direction d’Edmond Perrier, celle-ci cherche alors à agir sur la demande par les consommatrices, c’est-à-dire les classes aisées parmi lesquelles elle recrute. Cette posture d’appel à la conscience et à l’opinion publique est assez nouvelle. Enfin, l’association se décide à soutenir certaines initiatives internationales même si elles vont à l’encontre des souhaits et de la politique du gouvernement français car ce dernier ne réagit pas dans le sens préconisé, la mobilisation de l’opinion publique semble assez limitée et la mode se maintient, contrairement à d’autres pays. C’est un changement important pour une Société qui apparaissait depuis son origine comme très proche de l’administration et du pouvoir.

  • 43 Thébaud Françoise, op. cit., p. 29.
  • 44 Blanckaert Claude, « La science de la femme : une affaire d’hommes », Collin Françoise (dir.), Le (...)
  • 45 Le terme est utilisé par exemple par Michèle Perrot dans sa préface de Eliane Gubin et al., Le siè (...)
  • 46 Cf. Bard Christine (dir.), op. cit., 1999 et notamment l’article sur « les antiféminismes de la pr (...)
  • 47 Merchant Carolyn, Earthcare. Women and the Environment, New York, Routledge, 1995, 280 p. Consulte (...)

22De bout en bout de cette controverse plumassière, les femmes sont confinées par certains savants naturalistes dans un rôle personnel et social traditionnel. Edmond Perrier par exemple, que nous avons vu grand savant et grand protecteur, révèle en 1916 dans À travers le vivant une opinion très tranchée sur cette question, alors que le contexte de guerre nécessite une mobilisation féminine dans de nombreuses tâches, y compris masculines43 : le droit au travail de « la » femme est considéré comme un « danger social » et diminue sa « valeur en raréfiant et en rendant aléatoire sa maternité ». C’est le biologiste qui prétend alors fixer l’organisation de la société et la place des deux sexes dans celle-ci44. Au début du XXe siècle, la protection de la nature, même avant-gardiste, semble ainsi s’opposer à la « première vague45 » du féminisme, à son « âge d’or », en se fondant sur des savoirs prétendument savants46. La situation française, appréhendée par la Société d’acclimatation, se distingue alors singulièrement des autres mouvements contre la plumasserie, en particulier états-uniens et britanniques, où la place des femmes est bien plus importante et bien plus valorisée47. Néanmoins, une autre conclusion, moins discursive et plus structurelle, peut être tirée de cet épisode pour peu que l’on mette en regard la chronologie de ce combat et la présence féminine parmi les adhérents à la Société d’acclimatation (graphique 12). Sans que l’on puisse être catégorique – les femmes adhérant à la Société ne confient pas leur motivation – il semble qu’un parallèle saisissant puisse être réalisé entre le surgissement de la question de la plumasserie et des thèmes de protection de la nature, et la part croissante prise par les femmes dans le sociétariat. Il se pourrait que ce soit cette orientation plus favorable à la protection, mais aussi moins savante et plus éthique, qui attire les femmes vers une Société d’acclimatation en mutation.

Graphique 12. – La place des femmes dans la Société d’acclimatation (1855-1929).

La sauvegarde du castor du Rhône

  • 48 Luglia Rémi, « Le castor d’Europe (Castor fiber). Regards historiques anciens et nouveaux sur un a (...)
  • 49 Erôme Georges, Contribution à la connaissance éco-éthologique du Castor (Castor fiber) dans la val (...)
  • 50 Richier Sylvain et Sarat Emmanuelle (dir.), Le castor et la loutre sur le bassin de la Loire. Synt (...)

23À la fin du XIXe siècle, un autre sujet témoigne des évolutions de la Société d’acclimatation en matière de protection de la nature car il suscite un vrai débat interne48. Le castor d’Europe (Castor fiber), parfois appelé « bièvre », plus gros rongeur d’Europe, inféodé aux cours d’eau et à leurs ripisylves, est un animal sauvage parfaitement adapté aux milieux aquatiques continentaux49. Comme l’homme, il est une des rares espèces à adapter son environnement à ses besoins écologiques. Très justement qualifié « d’ingénieur des écosystèmes50 », le castor agit sur les paysages des cours d’eau. Exclusivement végétarien, il vit en famille et affectionne les formations boisées rivulaires de saules et de peupliers (salicacées) qu’il recèpe très régulièrement, contribuant de façon déterminante à entretenir une mosaïque de milieux. Sa longue histoire en lien avec les sociétés européennes est celle d’une lente disparition.

Le temps de la disparition

  • 51 Véron Géraldine, « Histoire biogéographique du Castor d’Europe (Castor fiber) », Mammalia, 56-1, 1 (...)

24Contemporains et zoologistes sont unanimes à considérer que le castor est presque éteint en Europe au tout début du XXe siècle. Alors que jusqu’au XIIe siècle le castor occupait la quasi-totalité de l’Europe, il ne reste plus que des populations fragmentées et de très petite taille51 (carte 3). Les raisons historiques de ce déclin sont multiples et tiennent tout autant à sa biologie et à son éthologie qu’aux sociétés qui l’environnent.

  • 52 Delort Robert Le commerce des fourrures en occident à la fin du Moyen Âge (vers 1300-1450), Rome, (...)
  • 53 Méniel Patrice, Les Gaulois et les animaux : élevage, repas et sacrifices, Paris, Errance, 2001, 1 (...)
  • 54 Dupérat Maurice, Le Castor, Paris, Artémis, 2009, p. 16.
  • 55 Frapna, Le castor, coll. « Les cahiers Nature-Culture », 2007, p. 29.
  • 56 Mingaud Galien, « La protection du Castor du Rhône », Comptes rendus du Congrès des Sociétés savan (...)

25Depuis longtemps les européens considèrent que le castor est un animal utile. Ils prisent en premier lieu sa fourrure pour en faire des gants, des bonnets, des chapeaux, des souliers, tous de prix et recherchés car chauds et assez imperméables52. Sa chair ensuite est consommée comme l’archéologie l’atteste déjà chez les Gaulois53. Certains clercs médiévaux ont déclaré « maigre » sa queue « écailleuse » donc consommable en temps de carême. Guillaume de Durand, évêque de Mende en 1287, aurait affirmé que « le bièvre peut être mangé en temps de jeûne en prenant la partie par où il semble poisson54 ». Le castor produit enfin du castoréum, sécrétion odorante issue d’une glande anale qui lui sert à délimiter son territoire et à imperméabiliser son pelage mais qui est utilisée en médecine et en parfumerie55. L’« utilité » du castor n’entraîne donc pas sa protection mais bien sa destruction, car il est utile à l’homme une fois mort, contrairement aux animaux considérés comme des auxiliaires de l’agriculture. Galien Mingaud, directeur du Muséum des sciences naturelles de Nîmes, et que nous découvrirons plus loin comme un des premiers défenseurs français du castor, propose ainsi la castoriculture pour sauver l’espèce de la destruction, sans succès56.

Carte 3. – Répartition des castors en Europe au début du XXe siècle (d’après Véron, op. cit., p. 104).

  • 57 Professeur à l’école d’agriculture de Montpellier.
  • 58 Conducteur des ponts et chaussées de Tarascon chargé de payer la prime.
  • 59 Mingaud Galien, « Note sur cinq espèces ou races de Mammifères en voie d’extinction dans quelques (...)
  • 60 Richard Bernard, Les Castors, Paris, Balland, 1980, p. 37-41 et 105.

26Le castor est donc utile à l’homme par « nature » mais il possède aussi trois comportements qui le condamnent sans rémission. D’abord, en guise de gîte, il creuse des terriers dans les bancs et les rives et, d’après certains contemporains, perce les digues. Ainsi, de 1885 à 1891, le « Syndicat des digues du Rhône de Beaucaire à la mer » alloue, sur ce motif, une prime de 15 francs par castor tué. 33 castors sont primés entre 1885 et le 30 juin 1889, date à laquelle Valéry Mayet57 et M. Mortz58 obtiennent l’arrêt de cette mesure59. Ensuite, le castor se nourrit de l’écorce des arbres du bord de l’eau (figure 32) et surtout ne sait pas faire la différence entre un banal saule et un peuplier de culture ou un pommier, provoquant l’ire des agriculteurs riverains. Il réalise également des barrages, inondant parfois des cultures ou des chemins. Ces deux derniers « défauts » du castor font qu’il est un des rares animaux, avec l’homme, à s’avérer capable de modifier son environnement pour l’adapter à ses besoins, initiant ainsi de longs débats savants sur la part de l’intelligence et celle de l’instinct dans ses réalisations60.

Fig. 32. – Der Biber (Die Gartenlaube, Leipzig, Ernst Keil’s Nachfolger, 1858, p. 631).

  • 61 Joubert Alain, « Une réserve protégée du castor du Rhône », Revue des eaux et forêts, 68, 1930, p. (...)
  • 62 Delort Robert, Histoire de la fourrure de l’antiquité à nos jours, Lausanne, EDITA, 1986, p. 17.
  • 63 Cabard Pierre, Le Castor, Paris, Delachaux et Niestlé, 2009, p. 76.

27La conclusion est simple : le castor est nuisible aux activités humaines, donc destructible à merci. Le sort fait au castor participe d’une vision strictement utilitariste du monde, telle qu’elle trouve à s’exprimer quotidiennement dans la Société d’acclimatation. Ainsi, par la chasse et le piégeage, auxquels il convient d’ajouter la modification des habitats par la canalisation des rivières et la création de chemins de halage, l’homme occidental n’a pas attendu l’industrialisation pour ponctionner fortement les populations de castors et les conduire au bord de l’extinction. Ce mouvement n’est pas propre à la France mais affecte l’ensemble des pays de l’Europe, notamment occidentale. La plupart des auteurs datent le début de ce mouvement du XIIe siècle, date à laquelle le castor disparaît d’Angleterre et du Pays de Galles, puis d’Écosse au XVe siècle, de Transylvanie, d’Espagne, d’Italie et de l’ouest de la France au XVIe. La Suisse perd son dernier castor en 1804, la Hollande en 1825, la Lituanie en 1841, la Belgique en 1848, la Finlande en 1868, la Suède en 1871, la Prusse en 1879. Pourchassé dans toute l’Europe, le castor semble adapter son comportement à cette situation : il habite des terriers et non plus des huttes61 (figure 33) ; il abandonne la construction de barrages62 ; il devient nocturne63. Plus discret, confiné dans des espaces délaissés par l’homme, le castor est plus discret et survit.

Fig. 33. – Un terrier et une hutte de berge. E, l’évent (d’après Richard, op. cit., p. 78).

  • 64 Morgan Lewis Henry, Le castor américain et ses ouvrages, Dijon, Les presses du réel, 2010, 275 p.  (...)

28Raréfié, le castor échappe aux savoirs des populations européennes et devient étrange. Mais les impacts de cette forte régression sont également écologiques car c’est un acteur puissant du rajeunissement des ripisylves et de la création de zones humides qui disparaît. Le manque de sources historiques, la complexité des dynamiques des écosystèmes rivulaires, la multicausalité des modifications paysagères ne permettent cependant pas, contrairement à l’Amérique du Nord64, de mesurer les conséquences exactes de l’éradication du castor.

Le temps de la protection

29Au XIXe siècle, la nuisibilité du castor est incontestée et sa rareté tout autant. Or c’est dans ce double constat que réside pour l’historien tout l’intérêt du castor. En effet, envisager et mettre en œuvre une protection pour cet animal implique de dépasser le paradigme dominant de l’utilité/nuisibilité des espèces et de se soucier du risque d’extinction. Le castor permet alors la mise en évidence de mutations dans la façon de considérer les animaux sauvages.

  • 65 Rabot Charles, « La renaissance du castor en Norvège », La Nature, 56-2787, 1928, p. 530.
  • 66 Magaud dAubusson Louis, « Le bièvre », RSNA-Bull. SNAF, 1895, p. 514 et 516.
  • 67 D’Orcet, « Le Castor du Rhône », RSNA – Bull. SNAF, 1889, p. 3.

30Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, des mesures de protection des dernières populations de castor sont prises dans de très nombreux pays d’Europe. La Norvège est semble-t-il la première à s’en préoccuper puisqu’elle interdit partiellement leur chasse en 1845 puis totalement en 186365. La Finlande le protège en 1868, année où le dernier individu est tué et la Suède en 1873, deux ans après sa disparition. Il faut attendre 1962 pour la Suisse. C’est à la toute fin du XIXe siècle qu’on observe en France une prise de conscience, essentiellement chez certains naturalistes. En 1889, Valéry Mayet est apparemment le premier à prendre sa défense et obtient en 1891, avec le soutien du congrès international de zoologie, l’arrêt de la prime à la destruction du castor en Camargue. Ce cri d’alarme est repris à partir de 1894 par Galien Mingaud, relayé au niveau national par la Société d’acclimatation et la SZF. En 1895, Louis Magaud d’Aubusson recommande ainsi de protéger les derniers castors « comme échantillons de la race et en souvenir des splendeurs évanouies [...] au moins à titre de curiosités zoologiques [...] au nom du sentiment esthétique des œuvres de la nature66 ». Mais, cette démarche est vigoureusement contestée par nombre de savants qui, en vertu de la nuisibilité de l’animal, militent pour sa destruction : l’idée de protéger un nuisible ne séduit pas grand monde et ne fait en aucun cas florès dans les années 1880-1890. La majorité des naturalistes de la Société approuvent les propos de M. d’Orcet : « La destruction des castors est bien regrettable, mais elle s’impose et l’administration se trouve dans la nécessité de l’encourager67. »

  • 68 Mingaud Galien, « La protection du Castor du Rhône », Bull. Soc. Sc. Nat. Nîmes, 1909 (paru en avr (...)
  • 69 « Prix décernés », Bull. SA, 1922, p. 135.
  • 70 Cordier H., « La protection du Castor du Rhône », Gruvel Abel et Valois Charles (dir.), 2e congrès (...)

31Près de quinze ans plus tard, les choses ont changé, mais essentiellement localement. En effet, Galien Mingaud fait adopter par la section de zoologie du congrès des sociétés savantes qui se réunit à Montpellier en 1907, un vœu demandant l’interdiction de la capture du castor. En 1909, les préfets du Gard, du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône, ainsi que les Conseils généraux correspondants, adoptent des arrêtés interdisant la capture du castor en tous lieux et en tous temps68. Ils sont suivis en 1922 par le préfet de la Drôme, Charles Vatrin, qui est aussitôt récompensé par la médaille d’argent de la Société d’acclimatation pour sa « protection efficace au castor du Rhône, une espèce en voie de disparition69 ». Protection paradoxale pourrait-on objecter car ces trois départements subissent de plein fouet les dégâts attribués aux castors par les tenants d’un utilitarisme sans concession et même, répétons-le, par ses défenseurs : « Arbres abattus, digues endommagées sont méfaits souvent réels dont on les accuse70. »

  • 71 Mingaud Galien, op. cit., 1909.
  • 72 Ici « patrimoine » prend son second sens, celui d’héritage commun que l’on cherche à transmettre i (...)
  • 73 Mingaud Galien, op. cit., 1907, p. 160.
  • 74 Loyer Maurice, « Procès-verbal de la séance du 2 novembre de la section de mammalogie », Bull. SNA (...)
  • 75 Cf. La loi de 1930 à l’épreuve du temps : les sites, atouts pour les territoires. Actes de la jour (...)

32Qu’est-ce qui a pu conduire les élites locales à accepter et à soutenir cette protection ? Galien Mingaud fournit des éléments de réponse : « Par leur vote unanime, [les Conseils généraux] ont répondu au désir de tous ceux qui voyaient avec peine disparaître de notre grand fleuve méridional et de notre faune un Mammifère aussi intéressant qu’utile71. » « Disparaître », « intéressant », « utile » sont les mots-clés de cette citation et expliquent qu’un certain nombre de grands propriétaires de Camargue ou des bords du Rhône ont été sensibilisés par les savants et leurs sociétés, dont ils appartiennent au réseau de sociabilité, mais aussi par les services de l’État (Eaux-et-Forêts et louveterie) à la cause d’un castor présenté comme une richesse nationale et régionale : de nuisible, le castor est devenu « patrimoine72 » pour nombre de naturalistes, qui parviennent à convaincre l’élite sociale et politique locale. Les naturalistes considèrent désormais que le castor contribue à « l’équilibre de la nature », notion qui s’est approfondi et diffusée dans la 2e moitié du XIXe siècle au sein de la Société d’acclimatation à propos d’autres animaux : le castor bénéficie de cette évolution des idées, ce qui explique le soutien des grandes sociétés savantes. Il profite également d’une dynamique de patrimonialisation fondée sur la prise de conscience de la responsabilité de l’homme dans les extinctions d’espèces : Galien Mingaud évoque ainsi « une richesse zoologique nationale73 ». Là encore, l’idée de « patrimoine naturel » n’est pas apparue à propos du castor mais bien dans un mouvement pour la protection des paysages qui possède de très nombreux liens avec le courant naturaliste de protection. Un exemple suffit à s’en convaincre : le 1er Congrès international de protection de la nature se tient à Paris en 1923 sous l’égide conjointe de la Société d’acclimatation (principal organisateur), de sa filiale la LPO et de la Société pour la protection des paysages de France. Dirigé par Raoul de Clermont (membre important des trois associations), il est sous-titré « Faune et flore. Sites et monuments naturels ». Durant ce congrès, Alexandrine Feuillée-Billot, membre de la Société d’acclimatation et de la SPA, secrétaire-adjointe de la LPO, présente une communication réclamant la protection du castor du Rhône. Maurice Loyer en 1909 s’inscrit d’ailleurs sciemment dans cette perspective en indiquant vouloir placer le castor « sous la sauvegarde de l’autorité publique au même titre que le sont certains sites pittoresques ou artistiques ainsi que les édifices classés comme monuments historiques74 ». Vingt ans plus tard, le même lien peut être identifié avec la loi du 2 mai 193075 relative à la protection des monuments naturels :

  • 76 Cordier H., op. cit., p. 128.

« À l’instar des sites et monuments historiques, elle sera œuvre pie, cette protection qui va sauver, faire prospérer le “vibré” de Provence, le castor rhodanien, notre “bièvre” de France76. »

  • 77 Joubert, op. cit., p. 388-389.
  • 78 Cf. infra pour la création de la réserve des Sept-Îles en 1912 par la Société d’acclimatation et l (...)
  • 79 Procès verbal du Conseil d’administration du 23 mai 1934, Archives SNPN.

33En 1930, Alain Joubert (Eaux-et-Forêts) et Henri Cordier (louveterie d’Alès), constatant la non-efficacité des arrêtés préfectoraux interdisant la chasse, obtiennent que de grands propriétaires mettent en réserve les rives des îles qu’ils possèdent aux confluents du Rhône et de la Cèze et s’engagent « à assurer le respect intégral des colonies existantes77 ». C’est le modèle fondé par la réserve ornithologique des Sept-Îles, créée en 1912, qui joue à plein : celui d’une réserve intégrale pour sauver une espèce en protégeant son habitat78. La Société d’acclimatation poursuit son action en faveur du castor en créant en 1934 une sous-section intitulée « Société pour la protection des Castors du Rhône » composée de sociétaires mais aussi de riverains s’engageant « à respecter un contrat de protection79 ».

Fig. 34. – Quelques jalons chronologiques de la protection des paysages et de celle du castor en France.

34En définitive, c’est une prise de conscience des élites scientifiques, sociales et administratives, transformant le regard utilitariste qu’elles portaient jusque là sur la nature en général et l’animal sauvage en particulier, qui permet, en France, la sauvegarde du castor dans le Bas-Rhône, avec un retard de près de 40 ans sur les pays scandinaves. Cependant, contrairement à de nombreux pays européens, et notamment à la Finlande et à la Suède, le castor n’a jamais disparu du territoire français.

Le temps de la recolonisation

  • 80 Joubert, op. cit.
  • 81 Rouland Patrick et Migot Pierre, Le Castor dans le Sud-Est de la France, Paris, ONC, 1997.
  • 82 Erôme Georges, op. cit.
  • 83 Consulter pour l’analyse la plus récente Dewas Maeva, Herr Jan Herr, Schley Laurent, Angst Cristof (...)

35Ces simples mesures d’interdiction de la chasse ont des effets rapidement mesurables : les populations relictuelles de castor se confortent et, une vingtaine d’année après, commencent à recoloniser les territoires anciennement occupés. Suite à la protection instituée en 1909 et aux actions de terrain, les castors sont de nouveau signalés à Montélimar en 193080 et au sud de Lyon en 196081. Toutefois, il faut attendre 1968 pour que la destruction du castor soit interdite au niveau national. Le castor possède plusieurs caractéristiques qui se révèlent des atouts majeurs dans le contexte européen du XXe siècle82. Il est très peu sensible à la plupart des pollutions des cours d’eau et il tolère une forte présence humaine. Du moment qu’il dispose d’une ripisylve de 20 m de large, de bancs dans lesquels creuser son terrier, d’un étiage laissant 60 cm d’eau devant son entrée sous-marine, et qu’il n’est pas pourchassé, il s’installe durablement et sait se faire très discret. Néanmoins, certains aménagements humains limitent voire empêchent l’expansion du castor : l’urbanisation/industrialisation de longues portions de cours d’eau et les barrages au fil de l’eau. Pour surmonter ces contraintes, mais aussi pour accélérer le processus de recolonisation, les protecteurs mettent en place des réintroductions. En France, il faut attendre 1957 pour que des réintroductions aient lieu83. L’expansion du castor est très nette : elle repose sur l’acceptation socialement partagée de la ré-insertion d’un élément sauvage dans un environnement anthropisé et de ses conséquences à la fois négatives (dégâts, limites aux aménagements, coûts) et positives (gage de naturalité, hausse de la biodiversité, valorisation sociale). Protégé, réintroduit, le castor ne cesse de recoloniser les cours d’eau français, redonnant ainsi vie au patrimoine toponymique : le Beuvron (Loir-et-Cher) reprend sens. Mieux, le castor est devenu un marqueur de naturalité, bénéficie d’une image très positive dans l’opinion (« Père Castor », « Castors juniors ») et est considéré comme une espèce-parapluie, clé-de-voûte et emblème. La protection du castor, permet ainsi celle de son habitat et de l’écosystème qui le contient ainsi que d’un certain paysage des cours d’eau, estimé plus « naturel ».

  • 84 Rabot Charles, op. cit.
  • 85 Dewas Maeva et al., op. cit.

36L’ensemble des pays européens suit une dynamique similaire. Premiers à protéger le castor, les pays scandinaves vont être les premiers à le réintroduire. Ainsi en Norvège la population atteint une dizaine de milliers d’individus dans les années 192084. En Suède, des couples provenant de Norvège sont réintroduits dès 1922 et en 1935 la population est estimée à 500 individus environ. Dès 1929, l’URSS procède à des réintroductions. À partir de 1935 la Finlande lâche à son tour des castors capturés en Norvège puis en 1937 des castors canadiens, qui supplantent rapidement les premiers et connaissent une très importante progression. Des lâchers ont lieu en Pologne à partir de 1947 et en Suisse après 1956. L’Allemagne se distingue par le caractère tardif de ses réintroductions : Bavière en 1977 ; Rhénanie-du-Nord-Westphalie dans les années 1980 ; Sarre dans les années 1990. La Belgique connaît des lâchers non-officiels à la fin des années 1990. En Espagne, 18 castors sont réintroduits en 2003. Toutes ses réintroductions se traduisent globalement par un succès et une expansion du castor85.

  • 86 André Micoud (postface de Frioux et Pépy, op. cit.) date de la fin du XXe siècle la conception qui (...)
  • 87 Baratay, op. cit., 2012.

37L’histoire du castor et de sa protection en Europe rend visible une transformation majeure du rapport de l’homme à la nature depuis le XIXe siècle, notamment chez les naturalistes : la vision utilitariste du monde cède la place à un regard plus éthique, plus savant, plus patrimonial, qui conduit à une conception davantage biocentrée d’une nature dont l’homme n’est plus extériorisé mais tend à y être réintégré. La protection du castor en France est symptomatique des dynamiques savantes et patrimoniales conduisant à la sauvegarde de cette espèce et illustre la perméabilité des différents courants de protection. Malgré quelques nuances nationales ou locales essentiellement temporelles, une tendance européenne globale, étonnamment régulière, apparaît : considéré comme une ressource à exploiter ou comme nuisible au XIXe siècle, le castor est devenu patrimoine au XXe siècle. Son retour est dû davantage à une transformation des sociétés, qui sont désormais prêtes à accepter cet animal avec ses éventuelles nuisances, qu’à une modification des conditions environnementales. Le castor rend ainsi visible une évolution notable de la place des espèces sauvages dans les représentations et les sociétés européennes. D’une certaine façon, malgré son apparente singularité car il n’est ni domestique, ni prédateur, le cas du castor s’avère exemplaire même s’il est largement précurseur dans l’histoire de la protection des espèces sauvages86. Il permet à l’historien de compléter son regard en ne le limitant plus au seul point de vue de l’homme mais en prenant en compte celui de l’animal87. Le castor s’adapte ainsi à un contexte très dépendant des sociétés humaines : il a un passé qui peut être saisi par l’analyse de sources historiques à réinterroger ou à inventer.

Agir pour protéger la nature au début du XXe siècle

38Les cas de la plumasserie et du castor montrent bien que la Société d’acclimatation, autour de 1900, est en recherche de modes d’action efficaces pour protéger la nature, car, depuis le milieu du XIXe siècle, la réussite est loin d’être toujours au rendez-vous.

Un constat d’échec à la fin du XIXe siècle

39L’appel aux pouvoirs publics, façon traditionnelle d’agir de l’association, est pour les savants la principale manière de réaliser leur souhait de protection, d’autant qu’ils disposent de l’attention de l’administration et d’une certaine bienveillance. Or c’est bien de l’échec de ce principe fondé sur le recours exclusif à l’État dont il est ici question.

40Comment mesurer une réussite ou une inefficacité en matière de protection de la nature ? Il n’y a guère qu’au sujet des extinctions d’espèces que la situation est claire. En revanche, quand il s’agit d’évaluer la raréfaction d’espèces communes, du gibier, des poissons, qui plus est sur de vastes espaces, la science de l’époque atteint semble-t-il ses limites et les naturalistes sont en peine de fournir des chiffres précis. Aussi, ils en restent à des impressions personnelles et à des affirmations péremptoires, fruit de constatations partielles et empiriques. Alors qu’il est difficile d’attester du problème, comment mesurer l’efficacité de la solution proposée par les protecteurs ? Pour le bison d’Amérique, la preuve est aisée : le fait qu’il existe encore montre que la protection est efficace. Même simplicité pour le pigeon migrateur : l’espèce est éteinte donc la protection a échoué. Les mêmes problèmes de méthode se posent en ce qui concerne les milieux à protéger, car jugés en danger. Le concept « d’équilibre naturel » n’exprime bien souvent qu’une vision idéalisée d’un état momentané d’un « écosystème » défini alors comme la référence à conserver ou à restaurer. Or, la définition de la « nature » est profondément culturelle, sans compter que les espaces véritablement « naturels » (i.e. sans influence de l’homme) n’existent déjà quasiment plus.

41Ainsi, ce sont les convictions des sociétaires qui importent pour mesurer l’efficacité de la protection car elles les conduisent à agir différemment ou pas. Ainsi, le cas du bison d’Amérique, largement discuté autour de 1900, n’est plus évoqué ensuite que pour louer l’efficacité du parc du Yellowstone à le protéger, ce qui atteste d’une réussite. Ensuite, la question du dépeuplement des cours d’eau, en théorie résolue au moins partiellement avec la solution technique des échelles à poisson, ne débouche pas sur le seul élément qui pourrait être retenu comme attestant d’une réussite : le repeuplement. Au contraire, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la question revient sans cesse dans les débats. Pour la plumasserie, le succès semble au rendez-vous puisque cette activité s’éteint effectivement progressivement après la Première Guerre mondiale. Mais, dans les faits, il apparaît que l’arrêt des destructions provient bien plus des interdictions prononcées à l’étranger et d’un phénomène de mode, que de décisions du gouvernement français agissant sous la pression de protecteurs. Si la fin de la plumasserie est sans nul doute une réussite pour la protection de la nature, il est plus délicat d’affirmer qu’il s’agit d’un succès de la Société d’acclimatation.

Un caractère savant qui perdure mais qui n’est pas porteur de solutions concrètes

42Si les conceptions évoluent en matière de protection de la nature, la Société d’acclimatation reste avant tout savante : la progression des connaissances en sciences naturelles permet aux naturalistes de mieux percevoir les perturbations et d’identifier leurs causes. Le positionnement de la Société entre monde scientifique professionnel et amateur facilite les échanges, d’autant plus que cette science se prétend « appliquée », ce qui est fréquemment le cas pour l’acclimatation. En revanche, pour la protection de la nature, les expériences pratiques sont rares sauf quand il s’agit d’introduire de nouvelles espèces pour remplacer celles qui disparaissent ou de contribuer au maintien de populations menacées en effectuant des lâchers, en utilisant des techniques liées à l’élevage et à l’acclimatation.

  • 88 Fernand Lataste (1847-1934) est un zoologiste français, qui a exploré l’Algérie, la Tunisie et le (...)
  • 89 Berthoule Amédée, « Rapport de la commission des récompenses 1891 », RSNA-Bull. SNAF, 1891, p. xxv (...)

43Progressivement la Société d’acclimatation propose des récompenses, soit sur des objets en rapport avec la protection de la nature, soit pour des personnages clairement identifiés comme « protecteurs ». Ces prix sont très peu nombreux sur l’ensemble de la période, et assez divers. En 1891, Fernand Lataste88 est distingué en tant que naturaliste-protecteur, à la fois scientifique (il examine les pelotes de réjection des rapaces pour conclure à l’utilité de ces derniers), prenant des positions très fermes (« Je ne connais en somme qu’un animal de proie dont la puissance soit vraiment formidable comme les appétits, c’est l’homme ! ») et capable d’une vision plus générale de la nature (« la nature vivante est dans un état d’équilibre, dont les conditions nous sont encore profondément inconnues, et auquel nous ne pouvons apporter une modification, sans nous exposer à des conséquences imprévues, qui peuvent être désastreuses »)89. La Société d’acclimatation attribue au « bouillant avocat » une prime de 200 francs.

  • 90 En 1922 par exemple, le Comité d’Honneur est composé de dix-huit membres, essentiellement français (...)
  • 91 Bressou Clément, « Rapport », Bull. SA, 1934, p. 363.

44Les récompenses sont également un moyen pour la Société de s’attirer les bonnes grâces des puissants, tout en les remerciant pour leur aide et/ou leurs actions. C’était déjà le cas au XIXe siècle avec les listes de protecteurs ; cette habitude se poursuit dans la première moitié du XXe siècle avec un « comité d’honneur90 ». En 1934, la Grande médaille est attribuée au roi Léopold III et à la Reine Astrid de Belgique en raison du discours prononcé à Londres à l’occasion d’une réunion de la Société Africaine où le roi a « montré que les générations actuelles n’avaient pas le droit d’altérer la condition naturelle des choses, dont elles ne sont du reste que les détentrices passagères et responsables, sans se préoccuper des résultats qu’il est impossible de prévoir par suite de notre connaissance imparfaite de l’Univers91 ». Les fonctionnaires « méritants » pour leurs actions en faveur de la protection de la nature ont aussi droit aux honneurs.

  • 92 « Remise à S.E. Myron Herrick de la grande médaille décernée au Dr Hornaday », Bull. SA, 1914, p.  (...)
  • 93 Chappellier Albert, « Récompenses décernées par la LPO », Bull. SA, 1934, p. 373-375.

45À partir de 1913 apparaissent les prix de la LPO, sous-section qui vient à peine d’être créée, afin de valoriser des protecteurs. Une Grande médaille à l’effigie d’Isidore Geoffroy Saint-Hilaire est offerte par la Société à un lauréat choisi par la LPO. Des médailles propres à la LPO, avec une composition de Maurice Loyer, secrétaire général de la Société d’acclimatation, sont également frappées. Elle remet des prix pour « faits de propagande » et « faits de propagande dans les écoles », et récompense des « personnes ayant contribué à faire appliquer les lois protectrices ». En 1914, la liste des récompenses couvre sept pages du Bulletin et comprend pas moins de 155 noms, pour la majorité des élèves des écoles primaires, essentiellement pour avoir protégé des nids. Cette même année, la Grande médaille est attribuée au docteur Hornaday, directeur du jardin zoologique de New York, pour sa contribution à l’adoption d’une loi interdisant le commerce de plumes aux États-Unis92. La Première Guerre mondiale vient briser cet élan et les récompenses distribuées en 1919 ne sont plus que quatre. Elles redeviennent plus nombreuses à partir de 1923 et continuent à récompenser les protecteurs des oiseaux sur les mêmes critères. À partir de 1923 s’ajoutent une médaille offerte par le Permanent Wild Life Protection Fund américain, un prix en l’honneur de feu le premier président Magaud d’Aubusson et à partir de 1934 le « prix Jean Delacour » du nom du président de la LPO d’alors, prix réservé aux sociétés affiliées93.

La permanence de l’action de sensibilisation en direction des enfants

  • 94 Pour une première approche sur la place des animaux dans les livres scolaires, consulter Dubrac Br (...)

46Dès son origine, la Société d’acclimatation s’est préoccupée d’éduquer les gens des campagnes car ils sont réputés agir en matière de destruction de la nature, ou de sa protection, et y ont intérêt. Ce sont les écoliers qui retiennent particulièrement son attention, notamment en ce qui concerne la lutte contre les nuisibles et la protection des animaux utiles. Elle compte sur les instituteurs et les livres scolaires pour faire pénétrer dans les jeunes esprits cette vision manichéenne (simpliste et donc selon eux bien adaptée à l’esprit des jeunes enfants)94. Le fait que cette séparation de la faune entre utiles et nuisibles soit un concept très largement considéré comme dépassé par la plupart des sociétaires, n’empêche pas la Société de recommander qu’il soit enseigné, perpétuant ainsi d’abord l’idée qu’il existe des « nuisibles » et ensuite qu’il faille les détruire.

47Pour cette œuvre, elle obtient d’abord le soutien de principe du ministère de l’Instruction publique et quelques subsides (100 francs par an en 1913 et de 1917 à 1923). Mais surtout elle encourage par des récompenses des instituteurs, des inspecteurs, des sociétés scolaires et des élèves. En 1914, elle distingue cinq instituteurs pour leur « société scolaire forestière », 37 autres pour leurs « sociétés scolaires de protection », trois acteurs de la « protection de l’oiseau dans les écoles » et 92 enfants. Dans le Bulletin, elle recommande par ailleurs des ouvrages à destination de la jeunesse. Une nouvelle fois, la Société d’acclimatation, qui a parfaitement compris l’enjeu de l’éducation populaire et infantile, attend des autres, et particulièrement de l’État, qu’ils agissent dans le sens qu’elle a défini.

La question de l’efficacité du recours aux pouvoirs publics

  • 95 « Procès-verbal », Bull. SNAF, 1886, p. 48.

48La Société d’acclimatation est un laboratoire d’où émergent les idées de protection de la nature tant du point de vue du constat des perturbations que de la définition de solutions. Mais pour passer à l’application concrète de ces dernières, qu’elles se manifestent par des dispositions réglementaires ou législatives ou bien par des actions sur le terrain, la Société estime que c’est à l’État d’agir. Pourtant, pour son œuvre d’acclimatation, elle a pris en charge de nombreuses expériences pratiques (yaks, pisciculture, vers à soie, gibiers divers...), d’abord en fournissant les spécimens (cheptels essentiellement) mais aussi en finançant certains travaux. Jusqu’au début du XXe siècle, elle ne conçoit et n’envisage pas d’en faire autant pour la protection. Toute la charge de la mettre en œuvre repose donc sur l’État, dont une partie collabore sans difficulté. Par exemple, en 1886, la Société adresse aux préfets une « circulaire leur demandant des renseignements sur la situation de la pisciculture dans leurs départements95 ». 42 préfets sur 86 répondent. Parfois des récompenses sont attribuées à des fonctionnaires (préfet, gendarme, agent forestier...). La proximité que la Société entretient avec différents cercles de pouvoir (scientifiques, intellectuels, politiques et mondains) lui permet d’influencer les décisions publiques et de s’assurer, au pire une écoute attentive, au mieux un soutien des pouvoirs publics notamment locaux.

49Ce que demande avec insistance la Société à l’État, ce n’est pas tant d’agir concrètement pour mettre en œuvre des solutions bien précises du type échelles à poissons ou réserves, encore qu’elle le fasse dans certains cas, mais plutôt d’adapter la réglementation aux nécessités de la protection et, ensuite, de la faire appliquer. Chasse, poissons d’eau douce et pêche, protection de la faune africaine, plumasserie, nombreux sont les thèmes où la Société d’acclimatation cherche à faire modifier ou adopter des lois. Sauf pour la plumasserie, il n’y a pas d’exemple dans le Bulletin où la Société d’acclimatation ait vu ses demandes intégralement rejetées par l’administration. Au contraire, et c’est un témoin de l’influence qu’elle exerce, elle parvient à infléchir les textes dans le sens désiré et constitue à cet égard un groupe de pression bien introduit et efficace. En revanche, une fois adoptés, les textes sont peu ou mal appliqués, si l’on en croit les procès-verbaux des séances publiés dans le Bulletin : comme un leitmotiv, la Société réclame leur mise en œuvre et ses sociétaires dénoncent les abus et les infractions ainsi que les dérogations.

50La Société, parmi d’autres sociétés savantes, ne parvient ainsi à peser sur les choix politiques qu’en apparence : elle est écoutée et ses recommandations sont prises en compte. Mais, dans les faits et en ce qui concerne la protection de la nature, cette influence ne débouche pas sur une amélioration de la situation. La proximité avec le pouvoir, très réelle et importante quand il s’agit de diffuser de nouvelles idées, ne débouche pas sur des avancées concrètes significatives. Faire reposer les responsabilités sur la Société d’acclimatation ou même l’État serait faire peu de cas du contexte socio-économique et idéologique particulier des années 1850-1910 où le « progrès », matérialisé par l’industrialisation et, partant, l’artificialisation de vastes espaces « naturels », est la valeur dominante face à laquelle les interrogations et les réserves formulées par la Société ne pèsent que bien peu. D’autant que cette vague de mutations est extrêmement puissante et extraordinairement rapide.

  • 96 Pams Jules, « Discours du ministre de l’Agriculture à la séance publique annuelle de 1912 », Bull. (...)
  • 97 Lebrun Albert, « Discours du ministre des Colonies à la séance publique annuelle de 1914 », Bull. (...)

51Certes, à plusieurs reprises, l’État semble acquiescer aux démonstrations de la Société. En 1912, le ministre de l’Agriculture se dit favorable à la création de « parcs » en France96. En 1914, c’est Albert Lebrun, ministre des Colonies, qui soutient une utilisation raisonnée des ressources et la destruction des insectes nuisibles tout en condamnant les « gaspillages » de la plumasserie97. Le législateur vote des lois de « protection de la nature », même si elles n’en ont pas le nom, pour limiter les impacts du « progrès » (échelles à poisson), réglementer les mauvaises pratiques (interdiction de modes de pêche ou de chasse), préserver telle ou telle espèce. Mais au final, toutes ces victoires – parfois arrachées de haute lutte – ne semblent généralement pas parvenir ne serait-ce qu’à ralentir les destructions. D’autres solutions doivent être alors envisagées.

Le surgissement puissant de la question des espaces protégés

  • 98 Mahrane, Thomas et Bonneuil, op. cit.
  • 99 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 21 mars 1879 », Bull. SA, 1879, p. 182-1 (...)

52Dès la fin du XIXe siècle, la mise en réserve d’espaces est pensée comme une solution à la destruction de la nature, pour repeupler les eaux douces françaises ou protéger le gibier. L’idée de réserve, née à propos de situations métropolitaines, devient une bonne solution face aux massacres identifiés dans les colonies98. Là encore, la France n’est nullement en retard par rapport aux autres puissances en matière d’analyse des perturbations, de formulation et de proposition de solutions. En 1879, M. de Confevron ne propose-t-il pas de mettre en réserve le massif de la Vanoise car contigu au Grand Paradis ? Un certain modèle italien semble ici jouer à plein99.

  • 100 « Il semble que l’idée [des parcs nationaux] se cristallise et s’impose à la fin du XIXe siècle ».(...)
  • 101 « Le top départ correspond à une date et un lieu de référence : Yellowstone en 1872 ». Paul Arnoul (...)
  • 102 Piccioni Luigi, « Les Abruzzes, « région des parcs ». Coopération et consensus dans la naissance e (...)
  • 103 « Procès-verbal de la séance publique annuelle de distribution des récompenses », Bull. SNAF, 1912 (...)

53L’idée de réserve, souvent considérée par les chercheurs sous la forme du parc national, symbole s’il en est un de la protection de la nature, émerge à la fin du XIXe siècle non seulement en France mais aussi à l’étranger100. Traditionnellement, on place les États-Unis à la tête de ce mouvement avec la création du parc national de Yellowstone en 1872101. Mais l’Europe n’est pas en reste, avec par exemple la mise en réserve du Gran Paradiso en 1856 par le roi Victor-Emmanuel II et sa transformation en parc national en 1922, les parcs suédois en 1909, celui de l’Engadine en Suisse en 1914, le parc des Abruzzes en 1923102. La Société d’acclimatation rend compte des créations successives et en loue les auteurs. Ainsi, elle récompense en 1912 le président états-unien Théodore Roosevelt pour son action en faveur des grands parcs nationaux103.

  • 104 Zuanon et al., op. cit.
  • 105 Van Klaveren Patrick J., « Le Prince Albert ier et le Prince Rainier III. Un souci commun : préser (...)

54La Société ne cesse de solliciter l’État afin qu’il crée des parcs sur des espaces variés tant en nature qu’en localisation. Mais, les réalisations concrètes demeurent quasi-inexistantes, contrairement aux voisins européens et aux colonies britanniques. Le Parc de la Bérarde104, créé en 1913 à l’initiative de l’administration des Eaux et Forêts et avec le soutien enthousiaste d’associations d’alpinistes, montre qu’au début du XXe siècle, les autorités françaises ne sont absolument pas hermétiques à l’idée de parc national. Les discours prononcés par les officiels lors des séances publiques de la Société en témoignent également. La Société, et le courant savant-naturaliste qu’elle représente, est tout à fait en phase avec d’autres courants de pensée promoteurs de l’idée de parc national : les forestiers, les alpinistes et les esthètes de la nature. Ce Parc de la Bérarde s’agrandit en 1923-1924 et prend le nom de Parc national du Pelvoux. Dans les faits, hormis cette exception, la Société d’acclimatation et les autres organisations ou mouvements qui ont pu se préoccuper de cette question, échouent à faire créer par l’État un parc national en métropole. L’initiative du Prince Albert Ier de Monaco de réunir, le 25 janvier 1917, 70 personnalités pour examiner la création d’un parc national dans les Pyrénées reste par exemple sans lendemain105. Il faudra attendre 1963 et le Parc de la Vanoise pour que la France métropolitaine se dote d’un tel espace. Le décalage temporel avec le Gran Paradiso est très significatif de l’incapacité française à traduire l’idée de réserve en actes publics. Lionel Laslaz avance une série d’explications :

  • 106 Laslaz Lionel, Vanoise, 40 ans de Parc national. Bilan et perspectives, Paris, L’Harmattan, 2004, (...)

« Le poids de la propriété privée [...] ; l’émiettement communal [...] ; l’importance des représentations de « territoires du quotidien » ; une protection qui doit sauvegarder “des biens reconnus d’utilité sociale”106. »

  • 107 Dixon Charles, Lost..., op. cit., p. 38-39.

55Au début du XXe siècle la Société d’acclimatation connaît un relatif échec à protéger la nature. Échec à faire agir efficacement des pouvoirs publics pourtant apparemment pleins de bonne volonté et attentifs aux souhaits de l’association. Échec à agir par soi-même, la Société se contentant d’émettre des opinions certes respectées mais qui ne font pas évoluer la situation sur le terrain. Les deux s’ajoutent pour expliquer en partie l’apparent « retard » français en matière de protection de la nature. Cependant, ailleurs en Europe, les protecteurs ne proposent pas forcément d’autres solutions. Ainsi le britannique Charles Dixon en 1898, après avoir déploré les extinctions d’oiseaux et les menaces qui pèsent sur certaines espèces, indique seulement deux modes d’action : protéger par de meilleures lois les oiseaux et diffuser une opinion favorable à la protection dans le public107.

  • 108 Par ex. Levan-Lemesle Lucette, Industrialisation et sociétés. 1880-1970. La France, Paris, Ellipse (...)

56De toute évidence, en France, l’époque ne se prête pas à la protection de la nature même si on assiste à une première diffusion, sans doute trop élitiste, des idées qui l’animent. Le « progrès » n’apparaît pas comme devant recevoir des entraves tant il est porteur d’expansion économique et coloniale ou d’amélioration des conditions de vie des populations108. Le constat d’échec dressé au tout début du XXe siècle, accompagné souvent de la conviction que les pays voisins font bien mieux dans ce domaine, s’avère porteur de difficultés en interne pour la Société d’acclimatation entre ceux qui veulent se cantonner aux modes d’action déjà mis en œuvre et ceux qui veulent s’investir plus directement et concrètement dans la protection. Cette césure se matérialise de manière évidente en 1912 avec l’individualisation de la section ornithologique qui devient la Ligue française pour la protection des oiseaux.

Rétablissement(s) et réorientation(s)

57Mis à mal par une crise multiforme et très vive, la Société d’acclimatation n’est sauvée in extremis que par un changement d’équipe et une réorientation de ses travaux. Edmond Perrier symbolise ce double renouveau en assurant le redressement matériel et en rapprochant la Société et le Muséum à l’appui d’un programme colonial en plein essor.

58Simultanément, il choisit d’inscrire comme jamais auparavant la protection de la nature à l’agenda de la Société. Il rend ainsi visible le surgissement de plus en plus manifeste des inquiétudes concernant les espèces et les milieux naturels chez nombre de naturalistes, et les avancées conceptuelles identifiées dans la période précédente. De nombreux sujets servent alors de catalyseurs, au premier rang desquels il faut placer la question des extinctions d’espèces.

59Edmond Perrier et la Société d’acclimatation s’engagent alors dans un certain nombre de luttes, avec les méthodes héritées du XIXe siècle et du caractère savant et mondain de l’association. Les résultats apparaissent bien minces, y compris aux contemporains qui sont alors tentés par de nouvelles façons d’agir, plus directes et individuelles.

Notes

1 La plumasserie consiste en la préparation de plumes d’oiseaux et leur utilisation dans la confection d’objets ou d’ornements souvent vestimentaires.

2 Convard Roger, La plume dans tous ses états. Histoire de la plume de parure à travers les âges, le métier de plumassier des origines à nos jours, thèse de doctorat, 1995.

3 Chansigaud, op. cit., 2012, p. 52.

4 « Procès-verbal de la séance du 2 mai 1898 de la 2e section (Ornithologie) », Bull. SNAF, 1899, p. 26. Quelques mentions plus anciennes de ce problème, anecdotiques, existent dans le Bulletin.

5 Émile Oustalet est docteur ès Sciences, assistant au Muséum national d’histoire naturelle et préside alors la section « ornithologie » de la Société d’acclimatation.

6 Jules Forest aîné est négociant (société « Forest frères ») et membre de la corporation des naturalistes plumassiers.

7 À Paris, en 1910, il y a ainsi 350 plumassiers, 34 fournisseurs et 65 négociants s’assurant un chiffre d’affaire de près de 50 millions de francs, sans compter les très nombreuses ouvrières. Convard, op. cit., p. 506-523.

8 Le 23 février 1894, le conseil d’administration accorde son soutien à un projet « d’autrucherie » de Jules Forest (Archives SNPN).

9 . Edmond Perrier, « Discours », Bull. SNAF, 12 février 1911, p. 452-453.

10 Auguste Ménégaux (1857-1937) est assistant au MNHN et vice-président de la Section d’Ornithologie de la Société d’Acclimatation. Au Congrès de Berlin, il représente le Muséum, l’Institut général physiologique et la Société d’Acclimatation tout en étant délégué par les ministères de l’Instruction Publique et de l’Agriculture. Il participe à la fondation de la Revue française d’ornithologie en 1909.

11 Louis Ternier représente le ministère de l’Agriculture au Congrès de Berlin. Cf. infra pour une biographie plus complète.

12 Louis Ternier, « Le Congrès international ornithologique de Berlin », Bull. SNAF, 1910, p. 348-349.

13 Convard, op. cit. Denis Diderot ne signale dans son Encyclopédie (tome xii, 1751, p. 798) qu’une utilisation masculine et de prestige de la plume.

14 Edmond Perrier, « Discours », Bull. SNAF, 12 février 1911, p. 452-453.

15 Les Samoyèdes forment un peuple nomade de langue et de culture finno-ougrienne qui vit en Sibérie.

16 Luglia Rémi, « Le donne... », op. cit.

17 Anne Higonnet signale l’association étroite réalisée au XIXe siècle entre beauté et féminité. Anne Higonnet, « Femmes et images. Apparences, loisirs, subsistance », Fraisse Geneviève et Perrot Michèle (dir.), Histoire des femmes en Occident. T. iv. Le XIXe siècle, Paris, Perrin, 2002, p. 314.

18 « La femme est une matrice » (Michelet, 1849) pour les antiféministes de la Belle Époque selon Annelise Maugue, « Littérature antiféministe et angoisse masculine au tournant du siècle », Bard Christine (dir.), Un siècle d’antiféminisme, Paris, Fayard, 1999, p. 73.

19 « Le cœur est au centre de l’identité féminine. Anthropologues et médecins enseignent que la sensibilité, les émotions, les impulsions, très riches chez les femmes, sont la source de qualités indispensables au bon fonctionnement de la société ». Yvonne Knibiehler, « Corps et cœurs », Fraisse et Perrot (dir.), op. cit., p. 391. Le Larousse du XXe siècle (1930) soutient à l’article « femme » p. 439 qu’un « élément essentiel de la mentalité féminine est l’égoïsme, et c’est de celui-ci, ce qui peut paraître paradoxal, que dérivent les plus éminentes qualités de la femme : amour maternel, dévouement, charité, abnégation ».

20 « Procès-verbal de la séance du 22 mars 1912 de la 2e section (Ornithologie-Aviculture) de la Société d’acclimatation, sous-section Ligue pour la protection des oiseaux », Bull. SNAF, 22 mars 1912, p. 726-727.

21 Morin Édouard, La plume des oiseaux et l’industrie plumassière, Paris, J. B. Baillière et fils, 1914, 96 p.

22 « Procès-verbal de la séance du 22 mars 1912... », op. cit., p. 730.

23 Edmond Haraucourt est directeur du Musée de Cluny.

24 Haraucourt Edmond, « La Belle et les bêtes », Bull. SNAF, 26 mars 1914, p. 266-281.

25 En effet, dans la « liste supplémentaire des membres de la Société d’acclimatation du 1er janvier au 31 décembre 1912 » (Bull. SNAF, 1913, p. 5) apparaît le nom de trois plumassiers : Blumenfeld-Sciama Henry, président de la Chambre syndicale des négociants en plumes brutes ; Bolack Léon, négociant en plumes ; Bordeau Edmond, président de la Chambre syndicale des fabricants de plumes fantaisies pour modes.

26 « Procès-verbal de la séance du 26 avril 1912... », op. cit., p. 755.

27 Albert Chappellier est chef de travaux à l’École pratique des Hautes Études, administrateur de la Société d’acclimatation et secrétaire-adjoint de sa sous-section LPO. Cf. infra pour une biographie plus complète.

28 Maurice Loyer est secrétaire général.

29 Louis Magaud d’Aubusson est docteur en droit, administrateur de la Société d’acclimatation et président de sa section d’ornithologie et de sa sous-section LPO. Cf. infra pour une biographie plus complète.

30 Léon Bolack est négociant en plumes et a été admis comme sociétaire en 1912.

31 « Procès-verbal de la séance du 5 janvier 1914 de la 2e section (Ornithologie-Aviculture) de la Société d’acclimatation », Bull. SNAF, 5 janvier 1914, p. 115-116.

32 Pierre-Amédée Pichot est membre à vie et administrateur honoraire.

33 Pichot Pierre-Amédée, « La lutte pour la défense de l’oiseau », Bull. SNAF, 1914, p. 481-488.

34 Morin Édouard, op. cit.

35 Feu Diogène, « La riposte du plumassier », Le Chenil, 28 janvier 1915, p. 405 et 4 février 1915, p. 411.

36 Cette même accusation de sensiblerie « pathologique » est utilisée au même moment par les tenants de la vivisection contre les anti-vivisectionnistes, avec succès. Cf. Magnan Valentin, « De la folie des antivivisectionnistes », Comptes rendus hebdomadaires de la Société de biologie, Paris, Masson, 1884. Consulter Bory Jean-Yves, La douleur des bêtes. La polémique sur la vivisection au XIXe siècle en France, Rennes, PUR, 310 p.

37 Stella Croissant, « Aigrettes et panaches », La Renaissance politique, littéraire et artistique, 20 juin 1914, p. 1032-1033.

38 Thébaud Françoise, La femme au temps de la guerre de 14, Paris, Stock, 1986, p. 229-232.

39 Bard Christine, Ce que soulève la jupe : identités, transgressions, résistances, Paris, Autrement, 2010, p. 29-30 et Les garçonnes. Modes et fantasmes des Années folles, Paris, Flammarion, 1998, p. 18 et 25.

40 Clermont Raoul de et al. (dir.), 1er congrès international pour la protection de la nature. Faune, flore, sites, monuments naturels. Mai-juin 1923, Paris, SNAF, LPO, SPPF, 1926, 388 p.

41 Sarasin Paul, « La protection mondiale de la faune sauvage », Clermont Raoul de (dir.), op. cit., p. 34-44. Paul Sarasin est président de la Commission suisse pour la protection de la nature et délégué au Congrès de la Société helvétique des sciences naturelles.

42 Monjaret Anne, « Plume et mode à la Belle Époque », Techniques & Culture, no 50, 2008/1, p. 228-255.

43 Thébaud Françoise, op. cit., p. 29.

44 Blanckaert Claude, « La science de la femme : une affaire d’hommes », Collin Françoise (dir.), Le sexe des sciences. Les femmes en plus, Paris, Autrement, 1992, p. 54-62.

45 Le terme est utilisé par exemple par Michèle Perrot dans sa préface de Eliane Gubin et al., Le siècle des féminismes, Paris, Éditions de l’Atelier, 2004, p. 10. Consulter également sur cette période Laurence Klejman et Florence Rochefort, L’égalité en marche. Le féminisme sous la IIIe République, Paris, Presses de la FNSP, 1989 et Christine Bard, Les filles de Marianne. Histoire des féminismes, 1914-1940, Paris, Fayard, 1995, p. 19 et sv.

46 Cf. Bard Christine (dir.), op. cit., 1999 et notamment l’article sur « les antiféminismes de la première vague », p. 41-67.

47 Merchant Carolyn, Earthcare. Women and the Environment, New York, Routledge, 1995, 280 p. Consulter particulièrement le chapitre 6 « Preserving the Earth. Women and the progressive conservation crusade ». Les ouvrages consultés sur l’histoire des mouvements féministes en France ne mentionnent pas de prise de position contre la mode des chapeaux à plumes.

48 Luglia Rémi, « Le castor d’Europe (Castor fiber). Regards historiques anciens et nouveaux sur un animal sauvage », Centre interdisciplinaire d’études et de recherches sur l’Allemagne (CIERA), Trajectoires, no 7, « La condition animale. Places, statuts et représentations des animaux dans la société », décembre 2013.

49 Erôme Georges, Contribution à la connaissance éco-éthologique du Castor (Castor fiber) dans la vallée du Rhône, thèse de doctorat en biologie, Université Claude-Bernard, Lyon, 1982.

50 Richier Sylvain et Sarat Emmanuelle (dir.), Le castor et la loutre sur le bassin de la Loire. Synthèses des connaissances 2010, Réseau mammifères du bassin de la Loire, ONCFS, Plan Loire grandeur nature, 2011.

51 Véron Géraldine, « Histoire biogéographique du Castor d’Europe (Castor fiber) », Mammalia, 56-1, 1992, p. 88.

52 Delort Robert Le commerce des fourrures en occident à la fin du Moyen Âge (vers 1300-1450), Rome, École française de Rome, 2 vol., 1978, 1383 p. et Allaire Bernard, Pelleteries, manchons et chapeaux de castor. Les fourrures nord-américaines à Paris 1500-1632, Paris, PUPS, 1999, 304 p.

53 Méniel Patrice, Les Gaulois et les animaux : élevage, repas et sacrifices, Paris, Errance, 2001, 127 p.

54 Dupérat Maurice, Le Castor, Paris, Artémis, 2009, p. 16.

55 Frapna, Le castor, coll. « Les cahiers Nature-Culture », 2007, p. 29.

56 Mingaud Galien, « La protection du Castor du Rhône », Comptes rendus du Congrès des Sociétés savantes en 1907 à Montpellier. Sciences, Paris, 1907, p. 161.

57 Professeur à l’école d’agriculture de Montpellier.

58 Conducteur des ponts et chaussées de Tarascon chargé de payer la prime.

59 Mingaud Galien, « Note sur cinq espèces ou races de Mammifères en voie d’extinction dans quelques départements du Midi de la France », Bull. Soc. Sc. Nat. Nîmes, 1894, p. 44-45.

60 Richard Bernard, Les Castors, Paris, Balland, 1980, p. 37-41 et 105.

61 Joubert Alain, « Une réserve protégée du castor du Rhône », Revue des eaux et forêts, 68, 1930, p. 385 ; Delort Robert, op. cit., 1978, p. 108.

62 Delort Robert, Histoire de la fourrure de l’antiquité à nos jours, Lausanne, EDITA, 1986, p. 17.

63 Cabard Pierre, Le Castor, Paris, Delachaux et Niestlé, 2009, p. 76.

64 Morgan Lewis Henry, Le castor américain et ses ouvrages, Dijon, Les presses du réel, 2010, 275 p. ; Collier Éric, La rivière des castors, Paris, Flammarion, 1961 ; Arnebeck Bob et Kreck Shepard III, « Beaver », Krech Shepard III (dir.), Encyclopedia of World Environmental History. vol. 1, New York et London, Routledge, 2004, p. 121-124.

65 Rabot Charles, « La renaissance du castor en Norvège », La Nature, 56-2787, 1928, p. 530.

66 Magaud dAubusson Louis, « Le bièvre », RSNA-Bull. SNAF, 1895, p. 514 et 516.

67 D’Orcet, « Le Castor du Rhône », RSNA – Bull. SNAF, 1889, p. 3.

68 Mingaud Galien, « La protection du Castor du Rhône », Bull. Soc. Sc. Nat. Nîmes, 1909 (paru en avril 1910).

69 « Prix décernés », Bull. SA, 1922, p. 135.

70 Cordier H., « La protection du Castor du Rhône », Gruvel Abel et Valois Charles (dir.), 2e congrès international pour la protection de la nature (Paris : 30 juin-4 juillet 1931), Paris, Société d’éditions géographiques, maritimes et coloniales, 1932, p. 125.

71 Mingaud Galien, op. cit., 1909.

72 Ici « patrimoine » prend son second sens, celui d’héritage commun que l’on cherche à transmettre intact à ses descendants. Il n’est utilisé par les membres de la Société d’acclimatation dans cette acception qu’à partir de la fin des années 1920.

73 Mingaud Galien, op. cit., 1907, p. 160.

74 Loyer Maurice, « Procès-verbal de la séance du 2 novembre de la section de mammalogie », Bull. SNAF, 1909, p. 39. Maurice Loyer fait référence ici à la loi du 21 avril 1906, dite « loi Beauquier » organisant la protection des sites et monuments naturels à caractère artistique.

75 Cf. La loi de 1930 à l’épreuve du temps : les sites, atouts pour les territoires. Actes de la journée d’études du 29 novembre 2010, Revue Pour mémoire, hors série, 2011.

76 Cordier H., op. cit., p. 128.

77 Joubert, op. cit., p. 388-389.

78 Cf. infra pour la création de la réserve des Sept-Îles en 1912 par la Société d’acclimatation et la LPO.

79 Procès verbal du Conseil d’administration du 23 mai 1934, Archives SNPN.

80 Joubert, op. cit.

81 Rouland Patrick et Migot Pierre, Le Castor dans le Sud-Est de la France, Paris, ONC, 1997.

82 Erôme Georges, op. cit.

83 Consulter pour l’analyse la plus récente Dewas Maeva, Herr Jan Herr, Schley Laurent, Angst Cristof, Manet Benoît, Landry Philippe et Catusse Michel, « Recovery and status of native and introduced beavers Castor fiber and Castor canadensis in France and neighbouring countries », Mammal Review, no 42, 2012, p. 144-165.

84 Rabot Charles, op. cit.

85 Dewas Maeva et al., op. cit.

86 André Micoud (postface de Frioux et Pépy, op. cit.) date de la fin du XXe siècle la conception qui « consiste à laisser leur place à toutes les espèces » et à considérer le sauvage non pas comme une menace mais comme un élément “naturel” ».

87 Baratay, op. cit., 2012.

88 Fernand Lataste (1847-1934) est un zoologiste français, qui a exploré l’Algérie, la Tunisie et le Sénégal. Il a été nommé sous-directeur du Muséum de Santiago du Chili en 1890. Il est membre de nombreuses sociétés savantes françaises et étrangères.

89 Berthoule Amédée, « Rapport de la commission des récompenses 1891 », RSNA-Bull. SNAF, 1891, p. xxv-li.

90 En 1922 par exemple, le Comité d’Honneur est composé de dix-huit membres, essentiellement français, dont les présidents Loubet et Poincaré. On trouve également des anciens ministres comme Albert Lebrun, des ambassadeurs en France et des présidents de sociétés savantes.

91 Bressou Clément, « Rapport », Bull. SA, 1934, p. 363.

92 « Remise à S.E. Myron Herrick de la grande médaille décernée au Dr Hornaday », Bull. SA, 1914, p. 282-284.

93 Chappellier Albert, « Récompenses décernées par la LPO », Bull. SA, 1934, p. 373-375.

94 Pour une première approche sur la place des animaux dans les livres scolaires, consulter Dubrac Bruno et Puaud Amboise, Petite histoire des animaux dans les livres d’école, Hypolaïs, 2012, 384 p.

95 « Procès-verbal », Bull. SNAF, 1886, p. 48.

96 Pams Jules, « Discours du ministre de l’Agriculture à la séance publique annuelle de 1912 », Bull. SNAF, 1912, p. 258-261.

97 Lebrun Albert, « Discours du ministre des Colonies à la séance publique annuelle de 1914 », Bull. SNAF, 1914, p. 228-231.

98 Mahrane, Thomas et Bonneuil, op. cit.

99 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 21 mars 1879 », Bull. SA, 1879, p. 182-183. Luigi Piccioni considère que c’est la France qui inspire les mesures de protection italienne et particulièrement la loi Beauquier du 21 avril 1906 sur « la protection des sites et monuments naturels de caractère artistique » pour la loi italienne de juin 1922 sur « les beautés naturelles ». Piccioni Luigi, op. cit., 2013.

100 « Il semble que l’idée [des parcs nationaux] se cristallise et s’impose à la fin du XIXe siècle ». Arnould Paul, « Préface », Laslaz Lionel et Héritier Stéphane (dir.), Les parcs nationaux dans le monde. Protection, gestion et développement durable, Paris, Ellipses, 2008, p. 8.

101 « Le top départ correspond à une date et un lieu de référence : Yellowstone en 1872 ». Paul Arnould, op. cit., p. 8.

102 Piccioni Luigi, « Les Abruzzes, « région des parcs ». Coopération et consensus dans la naissance et le développement du plus important système italien d’espaces protégés », Laslaz Lionel et al. (dir.), Espaces protégés, acceptation sociale et conflits environnementaux. Actes du colloque international 16, 17 et 18 septembre, Chambéry, EDYTEM, vol. 10, 2010, p. 79-88.

103 « Procès-verbal de la séance publique annuelle de distribution des récompenses », Bull. SNAF, 1912, p. 273-274.

104 Zuanon et al., op. cit.

105 Van Klaveren Patrick J., « Le Prince Albert ier et le Prince Rainier III. Un souci commun : préserver l’environnement », Açoreana, supplément 1992, p. 86.

106 Laslaz Lionel, Vanoise, 40 ans de Parc national. Bilan et perspectives, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 87.

107 Dixon Charles, Lost..., op. cit., p. 38-39.

108 Par ex. Levan-Lemesle Lucette, Industrialisation et sociétés. 1880-1970. La France, Paris, Ellipses, 1998, p. 19 et 40. « Dans les années 1880, le culte du progrès, l’admiration pour la science et ses “grands hommes” font partie de ce que l’on apprend désormais, dès l’école primaire. »

Table des illustrations

Légende Fig. 31. – Carte postale de 1910 (tirée de Anne Monjaret, « Plume et mode à la Belle Époque », Techniques & Culture, n ° 50, 2008/1, p. 233).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/89187/img-1.jpg
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Légende Graphique 12. – La place des femmes dans la Société d’acclimatation (1855-1929).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/89187/img-2.jpg
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Légende Carte 3. – Répartition des castors en Europe au début du XXe siècle (d’après Véron, op. cit., p. 104).
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Légende Fig. 32. – Der Biber (Die Gartenlaube, Leipzig, Ernst Keil’s Nachfolger, 1858, p. 631).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/89187/img-4.jpg
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Légende Fig. 33. – Un terrier et une hutte de berge. E, l’évent (d’après Richard, op. cit., p. 78).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/89187/img-5.jpg
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Légende Fig. 34. – Quelques jalons chronologiques de la protection des paysages et de celle du castor en France.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/89187/img-6.jpg
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