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Des savants pour protéger la nature

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Rémi Luglia

Première partie. Âge d'or de l'acclimatation et prémices de la protection (1850-1880)

Chapitre III. Une première protection

Texte intégral

  • 1 Grove, op. cit., 1992 et « La naissance de l’écologie », Les Cahiers de Science et Vie, 50, avril (...)
  • 2 Philibert Commerson est un botaniste formé par Linné. Il accompagne en tant que botaniste royal Bo (...)
  • 3 Bernardin de Saint-Pierre est un ingénieur. Choqué par la déforestation de l’île Maurice où il ret (...)
  • 4 Gouverneur de l’île depuis 1767, Pierre Poivre est un physiocrate qui souhaite appliquer les conna (...)
  • 5 Cans, op. cit., p. 27-29.

1Malgré l’opinion couramment admise et largement diffusée par nombre de chercheurs et par les protecteurs eux-mêmes, les idées de protection de la nature ne sont pas toutes apparues subitement à la fin des années 1960 avec les événements de Mai 1968 et les affaires du Larzac et de la Vanoise. Selon Richard Grove1, pour les Européens, il faut remonter au milieu du XVIIIe siècle et se rendre sous les Tropiques où les intérêts coloniaux entrent en conflit avec l’idéalisme romantique du « paradis sur Terre » et avec les constats scientifiques d’une dégradation de l’environnement. Si l’île tropicale inviolée est sans doute pour les Européens l’image même de l’utopie, une question se pose alors que le commerce international est en plein essor : l’exploitation coloniale va-t-elle souiller ces paradis ? La réponse ne tarde pas : abattage des arbres, développement d’une agriculture d’exportation, activités minières, chasse effrénée. Ce constat est réalisé par un monde scientifique (chirurgiens, conservateurs des jardins botaniques coloniaux...) bien souvent chargé de tâches administratives. Les savants préconisent ainsi très tôt des mesures de conservation comme sur l’île Maurice où Philibert Commerson2 et Bernardin de Saint-Pierre3 parviennent à convaincre Pierre Poivre4 des dangers climatiques et économiques liés à la surexploitation coloniale. Les Français prennent de nombreuses mesures, en liant déforestation et modifications climatiques locales. En France métropolitaine, c’est sans doute François-Antoine Rauch qui est le « père méconnu de l’écologie » à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle5. Les idées et les premières actions de protection de la nature sont donc antérieures à la création de la Société d’acclimatation mais au sein de cette société savante dominée par l’idéologie utilitariste des cheminements se font jour car enrichir la France par l’acclimatation, c’est aussi conserver l’utile et les ressources naturelles. Pluriels, ces cheminements s’enrichissent les uns les autres et conduisent la Société à se poser la question de l’impact de l’homme sur la « nature ».

De l’utilitarisme à l’équilibre naturel

Une protection contenue dans l’utilitarisme : les animaux utiles

  • 6 Geoffroy Saint-Hilaire Isidore, op. cit., 1861, p. 118-125.
  • 7 L’insecte est considéré comme la 8e plaie d’Égypte (Exode 10 : 13-14,19). Cette référence est comm (...)

2Être utile à l’homme, c’est d’abord protéger ce qui lui sert. Cette réflexion est à l’origine des premières prises de position favorables à la protection au sein de la Société d’acclimatation. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire lui-même consacre huit pages de l’édition de 1861 de son Acclimatation et domestication des animaux utiles à « la conservation des animaux utiles, et particulièrement de la nécessité des mesures protectrices des animaux insectivores6 ». Les insectes, et dans une moindre mesure les rongeurs, sont considérés comme les ennemis de l’homme et l’attention des protecteurs se porte principalement sur les oiseaux insectivores. La logique utilitariste est simpliste : les insectes détruisent les cultures ; les oiseaux insectivores détruisent les insectes ; en protégeant les oiseaux insectivores, on protège les cultures. Ainsi cette protection se fonde moins sur une ornithophilie que sur une entomophobie généralisée issue d’une crainte du « ravageur7 ».

  • 8 À propos de la SPA, « Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, président de [la Société d’acclimatation] es (...)
  • 9 Jonquières-Antonelle Henri de, « Note sur la destruction par l’homme de quelques espèces animales (...)
  • 10 Jonquières-Antonelle Henri de, « De la chasse au point de vue de la destruction des oiseaux », Bul (...)
  • 11 Miot Henri, Les insectes auxiliaires et les insectes utiles, Paris, Librairie agricole, 1870, 101 (...)

3La Société d’acclimatation n’est pas seule à demander la protection des animaux « utiles » et la SPA y est par exemple sensible. Ces deux sociétés entretiennent des relations très étroites. De 1857 à 1877 inclus, les réunions de la SPA se tiennent dans les locaux de la Société. Très nombreuses sont les personnes à être membres des deux sociétés, au-delà des dirigeants, et à tenir dans l’une et l’autre des discours proches, plus scientifiques dans la Société, plus moralisateurs au sein de la SPA8. Certains publient même simultanément dans les organes des deux sociétés des articles similaires montrant qu’elles ont en partage une certaine vision de la nature ou à tout le moins de la condition animale. Ainsi le comte Henri de Jonquières-Antonelle, après avoir publié en février 1857 un article dénonçant la destruction des insectivores dans le Bulletin de la Société d’acclimatation9, écrit sur le même sujet dans le Bulletin de la SPA10. Autre exemple, Henri Miot, avocat et membre de la SPA s’exprime dans le Bulletin de la SPA en avril-mai 1865 et dans un ouvrage de 1870 au titre évocateur Les insectes auxiliaires et les insectes nuisibles11 : les cultures sont mangées par des insectes phytophages innombrables ; il faut protéger les animaux (oiseaux, reptiles, insectes) qui leur livrent « une chasse active » afin de restaurer « la source des richesses », l’agriculture.

4Des mesures sont réclamées afin de conserver ces oiseaux utiles. En 1902, une conférence internationale se réunit à Paris et aboutit à la Convention internationale sur les oiseaux utiles à l’agriculture, adoptée le 19 mars par l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, l’Espagne, la Grèce, la Suisse, le Luxembourg, le Portugal, la Suède, Monaco et la France. L’article premier précise que les « oiseaux utiles » sont « spécialement les insectivores » et demande leur protection. En annexe est proposée une liste d’oiseaux « utiles » qui comprend les rapaces nocturnes et les passereaux. Même si cette convention n’aura pas d’effets réellement concrets, elle permet de remarquer que la protection de l’utile est une idée partagée par les gouvernants européens. Jusqu’après la Seconde guerre mondiale, au moins, l’utilité reste un des principaux motifs convoqués pour légitimer les demandes de protection. Conserver l’utile est bien une première façon d’envisager une protection pour certains oiseaux et certains animaux, en se fondant sur l’idéologie partagée de l’utilitarisme.

Une destruction contenue dans l’utilitarisme : les animaux nuisibles

  • 12 Geoffroy Saint-Hilaire Isidore, Acclimatation..., op. cit., 1861, p. 124.
  • 13 Député de l’Aveyron au Corps Législatif et sociétaire.
  • 14 Girou de Buzareingues L., « Note sur la conservation des oiseaux insectivores », Bull. SIZA, 1857, (...)
  • 15 Karr Alphonse, Les animaux nuisibles et ceux qui sont faussement réputés tels, Paris, Blanchard, 1 (...)

5La difficulté inhérente à cette façon de penser les relations homme-nature est qu’en nommant les « utiles », on définit également des « nuisibles » c’est-à-dire des espèces « ennemies de l’agriculture, que nous avons le droit et le devoir de détruire12 ». Ainsi L. Girou de Buzareingues13, dans le but louable de reconstituer les effectifs d’oiseaux insectivores, donne cinq centimes à chaque enfant qui lui apporte des œufs de pie bavarde (Pica pica), celle-ci étant rendue responsable de la disparition des autres espèces. Usant d’anthropomorphisme, l’auteur décrit la pie comme un « oiseau déprédateur qui voile avec soin ses méfaits sous des apparences assez débonnaires » et qui s’attaque aux « espèces timides [...] sans défiance contre [ses] formes hypocrites14 ». Pour trois années successives de pillage par les enfants du canton, l’auteur avance les chiffres d’environ 300, 500 et 800 œufs détruits. Le résultat est sensible selon lui : « J’ai pu constater que l’on voyait se multiplier les petits oiseaux et même les perdreaux... » Pour protéger certaines espèces, l’homme doit donc détruire les autres, celles qu’il estime lui être nuisible, ou même simplement inutiles. Il constitue ainsi le facteur d’équilibre de la nature et non son perturbateur. Ce courant de pensée est très largement répandu dans la société. Alphonse Karr par exemple livre en 1856 un petit guide à destination des enfants où il liste les animaux qu’il considère comme nuisibles, c’est-à-dire pour lui dangereux pour l’homme15. Vipère, araignée, guêpe, chien enragé, scorpion, vive, homard... la liste est bien longue même si l’auteur prend soin de distinguer des espèces « non nuisibles » et généralement mal considérées.

  • 16 MNHN, Bibliothèque centrale, Ms 2278, Émile Oustalet, Congrès ornithologiques internationaux.

6Les ornithologues eux-mêmes raisonnent selon cette dichotomie : la circulaire d’invitation au 2e Congrès ornithologique international en 1891 (Budapest), précise qu’il aura à traiter de « l’exposé des oiseaux utiles, indifférents et nuisibles comme fondement pour l’exposition de lois protectrices, et particulièrement sous le point de vue pratique, pour les forestiers et économes16 ». Autre exemple, si la Convention de 1902, précédemment évoquée, liste les oiseaux utiles en annexe 1, elle prend soin d’établir en annexe 2 la liste de ceux considérés comme « nuisibles » : tous les rapaces diurnes, le hibou grand-duc (Bubo bubo), les oiseaux piscivores (hérons, cormorans) et nombre de corvidés sont vouées aux gémonies et leur destruction expressément recommandée à l’article 9.

7La notion de protection apparaît ainsi en France notamment dans les milieux savants qui s’intéressent à la question agricole mais elle est alors pleinement subordonnée à celle d’un utilitarisme assez étroit. Au sein de la Société d’acclimatation toutefois, la distinction utiles/nuisibles est rapidement contestée au cours de vifs débats scientifiques car la question déterminante est de savoir quelles sont les espèces « utiles » et quelles sont celles qui sont « nuisibles », c’est-à-dire quelles sont les espèces à protéger et celles à détruire.

Qui faut-il protéger, qui faut-il détruire ? Le cas du pic vert (Picus viridis)

8Le pic vert (Picus viridis) est un cas représentatif de ces débats. Accusé de creuser des cavités dans des arbres sains et ainsi de leur faire perdre une bonne partie de leur valeur marchande, il apparaît comme étant nuisible à l’activité sylvicole. En 1861, L. Turrel prend cependant sa défense en fondant sa démonstration sur l’étude de son comportement et de son régime alimentaire : établissant qu’il s’attaque aux insectes xylophages, il le définit comme incontestablement utile. Un paragraphe de sa lettre résume bien sa conception de la nature :

  • 17 Turrel L., « Procès-verbal des séances du conseil », Bull. SIZA, 1861, p. 518.

« Tous les actes des animaux ont une conséquence prochaine ou éloignée qu’il s’agit de bien observer. Ils obéissent à cette raison émanée de Dieu même, qui s’appelle l’instinct. Ils ne font donc pas le mal pour le mal, et s’ils commettent quelque méfait préjudiciable en apparence à l’ordre établi ou à l’homme, le futur distributeur des harmonies du globe, c’est dans un but d’intérêt personnel, et non de persécution envers l’espèce humaine17. »

9Même si L. Turrel assigne encore une place prépondérante à une volonté divine impossible à connaître pour l’homme, assortie d’une place centrale pour celui-ci, il émet l’idée que les « nuisibles » ne le sont que parce que l’homme n’a pas encore compris leur utilité.

  • 18 Esterno comte d’, « Procès-verbal de la séance générale du 20 décembre 1861 », Bull. SIZA, 1861, p (...)

10Mais les autres membres de la Société d’acclimatation sont loin d’être unanimes quant à cette opinion. Le comte d’Esterno considère le pic vert comme nuisible et demande la nomination d’une commission d’experts chargés d’établir les faits18, issus des 2e et 5e sections (oiseaux et végétaux). Le rapport valide l’étude de L. Turrel et donne lieu à « une discussion assez vive » au cours de la séance générale du 11 avril 1862 prolongée le 9 mai, le débat n’ayant pas pu être épuisé :

  • 19 Hubert-Brierre A., « Rapport au nom des 2e et 5e sections réunies en commission », Bull. SIZA, 186 (...)

« Ce n’est pas par plaisir de destruction que le pic vert a percé cet arbre [sain], c’est au contraire pour le débarrasser des insectes qu’il sent ou entend dans le corps de l’arbre19... »

  • 20 Sa nécrologie parue en 1870 dans L’année scientifique et industrielle (année 1870-1871) p. 530 le (...)

11La preuve en est l’expérience réalisée par un membre de la commission, M. Florent-Prévost20, qui a fait collection des estomacs de cet oiseau et a ainsi pu établir que son régime alimentaire est quasi exclusivement insectivore. Le pic vert est donc utile d’abord comme destructeur d’insectes nuisibles mais aussi car, par ses loges, il favorise la nidification d’espèces insectivores cavernicoles. Conçu comme un véritable procès, le vocabulaire du rapport est celui de la justice : « accusé », le pic vert est « défendu ». Une « enquête » est menée pour « juger la question ». D’où peut-être l’importance attachée à l’intention de nuire du pic vert. Le verdict est prononcé par la commission en deux temps : à la 1re séance, huit voix contre cinq décident que le pic vert ne doit pas être rangé parmi les nuisibles ; à la 2e, ce sont quinze voix contre quatre qui adoptent la motion :

  • 21 Hubert-Brierre A., op. cit., p. 361.

« Le pic vert est un insectivore éminemment utile, et les trous qu’il pratique dans certains arbres deviennent des refuges essentiels pour la multiplication et la conservation des petits oiseaux insectivores21. »

12Les conclusions de la commission, malgré l’opposition ferme de plusieurs membres, sont adoptées et l’assemblée « exprime le vœu que des recommandations soient adressées par l’autorité aux administrations locales pour empêcher la destruction des oiseaux insectivores, de leurs œufs et de leurs nids, et pour interdire le colportage et la vente de ces œufs et de ces oiseaux ».

13Ce cas met nettement en lumière l’existence, parmi les sociétaires, d’opinions clairement favorables à une certaine protection de la nature dès le milieu du XIXe siècle. Elles s’appuient explicitement sur l’utilitarisme : on protège ce qui est utile à l’homme. Mais elles vont au-delà en introduisant l’idée que le but des entités qui composent la nature n’est pas la seule satisfaction des besoins humains. Elles ouvrent ainsi clairement la voie à la généralisation et à l’élargissement de la notion d’utilité. Ensuite, la motion finale élargit le cas du pic vert à l’ensemble des oiseaux insectivores ; ce « procès » est ainsi amené à « faire jurisprudence », pour rester dans le même registre. Enfin, la défense du pic vert reprend une argumentation classique des protecteurs de la nature quand il s’agit de contester le classement parmi les nuisibles de certaines espèces sauvages. C’est celle de leur utilité réelle, que l’on démontre alors, ou potentielle, par manque de connaissances scientifiques. Considérer une espèce comme « nuisible » et favoriser sa destruction revient ainsi à obérer l’avenir des hommes contemporains, ou celui de leurs enfants en cas de disparition totale de l’espèce accusée.

  • 22 Annales de la Société linnéenne de Maine-et-Loire, 1868, p. 95 puis p. 117 sq.
  • 23 « Procès-verbal de la séance générale du 18 février 1876 », Bull. SA, 1876, p. 116-117.

14D’autres sociétés savantes se préoccupent de cette question à la même époque comme les Annales de la Société linnéenne de Maine-et-Loire qui publient en 1868 deux mémoires, l’un pour attaquer, l’autre pour défendre le pic vert22. Le débat resurgit à plusieurs reprises dans la Société d’acclimatation, ce qui témoigne bien de la prégnance de la controverse et du défaut d’unanimité. D’autres espèces sont concernées. Ainsi, en 1876, M. Rivière dénonce les méfaits du pigeon ramier (Columba palumbus), du merle noir (Turdus merula) et du moineau domestique (Passer domesticus). Édouard Drouyn de Lhuys, président de la Société, intervient alors pour signaler « qu’il ne voit pas sans une vive sollicitude se ranimer la guerre entre les partisans des oiseaux et leurs adversaires23 ».

  • 24 August Christoph Carl Vogt (1817-1895) est un naturaliste et médecin suisse d’origine allemande, p (...)
  • 25 Vogt Carl, Leçon sur les animaux utiles et nuisibles. Les bêtes calomniés et mal jugées, Paris, Re (...)

15Au fil du temps, l’ensemble des oiseaux est déclarée utile. L’accent est mis sur les insectivores mais les rapaces aussi sont réhabilités, dans une certaine mesure, par leur consommation de rongeurs. À chaque fois que la question de l’utilité d’un oiseau est posée, la Société prend officiellement le parti de la protection. Ce sujet est également très présent dans les colonnes du Bulletin de la SPA des années 1850 aux années 1870. Albert Cretté de Palluel, M. Millet, d’autres encore, tous membres de la Société d’acclimatation, interviennent dans les deux sociétés pour dénoncer la chasse de ces animaux et porter le même message protecteur fondé d’abord sur l’utilitarisme mais également sur des considérations morales et la compassion envers les animaux. La question des oiseaux insectivores apparaît aussi dans le Bulletin de la SZF mais plus tardivement, entre 1889 et 1905 précisément, sous la plume de deux ornithologues, Louis Petit et Xavier Raspail, qui contrairement à la Société d’acclimatation, accréditent la distinction entre oiseaux « utiles » et « nuisibles ». Après 1905 le sujet disparaît de la SZF. D’autres savants, comme Carl Vogt24, non membre de la Société, ne sont pas dupes du caractère scientifiquement biaisé de cette séparation : « En voulant parler ici des animaux nuisibles et utiles, des bêtes méconnues et mal jugées, je prends la question dans le sens exclusif de l’égoïsme économique et humain sans me préoccuper de la grande question du bien et du mal dans la nature. Je me borne aux rapports des animaux avec l’homme que je reconnais, de fait, le tyran absolu de la création25. » Tout au long d’un exposé plein de fines observations dignes d’un Jean-Henri Fabre, auquel il fait d’ailleurs référence, Carl Vogt manie la nuance qu’il a exprimé dans son introduction : il montre que la « réputation » de nuisible est souvent fausse et s’attache à prouver « l’innocence » de ces « mal considérés » a priori que sont les insectes.

Tous les animaux sont utiles dans la nature : une avancée conceptuelle majeure

16Les débats savants sur l’utilité et la nuisibilité des espèces produisent un certain nombre d’évolutions dont la plus importante paraît être l’idée que tous les animaux sont utiles parce qu’ils ont tous un rôle à jouer dans la « nature ». Le changement est d’importance car il signifie que cette « nature » ne s’organise plus alors exclusivement au profit de l’homme.

17Le docteur Pigeaux développe cette idée dans sa conférence du 7 août 1862 en précisant d’emblée que « l’utilité des animaux ne doit pas être exclusivement considérée au point de vue des services qu’ils rendent à l’homme mais bien dans ses rapports avec l’ensemble de la création ». Il évoque rapidement l’utilité des oiseaux « insecto-granivores » puis se penche sur le cas des insectes :

  • 26 Pigeaux, « Utilité des Animaux dits nuisibles », Bull. SIZA, 1862, p. 807-808.

« Ces merveilleux travailleurs, dont la mission providentielle est de prévenir la dégénérescence des êtres, en s’attaquant spécialement à ceux qui sont malades ou affaiblis par une cause quelconque, pour faire rentrer leurs éléments constitutifs au foyer central où viennent se nourrir les végétaux et les animaux, [et dont] on n’a pas assez reconnu et proclamé leur intervention comme producteurs de fumiers ou de matières assimilables. [...] Proclamons donc ici, en finissant, l’utilité de tous les êtres au point de vue de la création, alors même qu’ils peuvent être nuisibles à l’homme dans une certaine mesure. Ne nous attachons qu’à réprimer leur excessive multiplication, en respectant l’antagonisme des espèces26... »

  • 27 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 6 avril 1888 », Bull. SNAF, 1888, p. 469
  • 28 Micoud André, op. cit., 1993, p. 88.

18Les réflexions de M. Pigeaux paraissent très avancées par rapport aux propos tenus par d’autres membres, même favorables à la protection des oiseaux insectivores. Elles se fondent sur des connaissances scientifiques plus précises et plus complètes et une conception générale proche de la notion « d’équilibre naturel ». Le docteur Pigeaux est rejoint par certains membres dont un amateur, M. de Confevron, qui proclame définitivement l’utilité de tous les animaux : « Il n’est parmi les insectes ni parmi les animaux en général aucun être absolument nuisible27. » Ils se placent ainsi à l’avant-garde de la tendance, perceptible au sein de la Société mais non majoritaire, qui consiste en un élargissement progressif de la notion d’utilité et d’une remise en cause de celle de nuisibilité. Ces propos illustrent ce qu’André Micoud a pu identifier comme des évolutions notionnelles importantes, même s’il les date de l’après Seconde Guerre mondiale : en passant de la notion de « nuisible » à celle de « proliférant », on n’accuse plus une espèce mais une population donnée, on ne détruit pas en tout temps et en tout lieu mais on régule28. La différence n’est pas qu’une nuance car « le glissement qui est opéré ici consiste, à la lettre, à ne plus mettre l’accent sur les dégâts inhérents au qualificatif nuisible attaché à une espèce animale, mais à signaler un désordre dans un processus naturel, celui de la reproduction d’une population » et ce désordre est donc à « traiter » parce qu’il rompt « l’équilibre ». C’est bien ce que M. de Confevron et M. Pigeaux, rejoints entre autres par Amédée Berthoule (secrétaire général), soutiennent à la fin du XIXe siècle, même si le vocabulaire est différent, en énonçant que l’action de l’homme doit se cantonner à limiter les proliférations. Toutefois, cette opinion n’est pas partagée par tous au sein de la Société ni parmi les naturalistes : au sein de la SZF, on ne trouve aucune mention d’une utilité de tous les animaux.

Un équilibre « providentiel »

  • 29 Félix-Édouard Guérin-Méneville (1799-1874), entomologiste français est un des fondateurs de la Soc (...)
  • 30 MNHN, Bibliothèque centrale, Ms 2433, Papiers de Félix-Édouard Guérin-Méneville, Entomologie appli (...)

19Rapidement l’idée que toutes les espèces sont utiles débouche sur une notion qui postule que chaque espèce possède une place bien déterminée dans un système qui est « naturellement » équilibré quand l’homme n’y intervient pas. L’homme n’est donc plus le centre de gravité de la « nature » et, au contraire, son action est de plus en plus perçue comme perturbatrice. Appelé un temps « équilibre providentiel » ou « harmonie », « l’équilibre naturel » préexiste à la Société d’acclimatation. Ainsi Félix-Édouard Guérin-Méneville29, dans son discours d’ouverture d’un cours d’entomologie agricole au MNHN en mai 1846, avant d’évoquer les moyens de leur destruction, présente les insectes comme « indispensablement nécessaires à l’équilibre et à l’harmonie de notre monde [car leur rôle est de] régler la multiplication des végétaux, afin de conserver cette belle harmonie si nécessaire qui fait que tous les êtres sont répandus en justes proportions sur la terre et qu’aucune ne peut dépasser les limites qui lui sont assignées par le créateur30 ». Huit ans avant la fondation de la Société d’acclimatation, un savant du MNHN montre qu’il a une claire conscience des relations entre les êtres vivants. Une fois posé le principe d’équilibre, ici d’ordre divin, Félix-Édouard Guérin-Méneville identifie l’humanité, distinguée de la nature, comme le facteur de perturbation :

« En propageant ces végétaux [indispensables à ses besoins], en les multipliant outre mesure, [l’homme] tend à rompre les harmonies de la nature et celle-ci vient s’y opposer en multipliant dans les mêmes proportions les insectes destinés à empêcher cette perturbation. »

20L’équilibre providentiel, pensé comme le fonctionnement normal de la « nature », ne peut donc exister qu’hors de la présence de l’homme et de ses interventions. Cette conception se retrouve dans les premières décennies de la Société par exemple sous la plume de L. Turrel :

  • 31 Turrel L., « Protection aux oiseaux », Bull. SIZA, 1861, p. 194.

« Nous voyons en effet, à l’origine des choses, toute la création admirablement équilibrée dans un but de maintien des espèces et de progrès, suivant le milieu dans lequel elles vivent. Si le monde végétal est le support naturel et indispensable de l’animalité, si chaque plante a son parasite qui tend à la détruire, la plante à son tour voit son existence sauvegardée par des animaux destinés à se nourrir de proie vivante31. »

  • 32 Miot Henri, op. cit., 1870, p. 2.

21En 1870, Henri Miot32 fait également reposer sur le divin « l’équilibre admirable établi par la nature dans toutes ses créations ».

La maturation de la notion d’équilibre naturel

  • 33 À cette date, Albert Cretté de Palluel (1844-1905) est membre de la 2e section (ornithologie) ; se (...)

22Rapidement cependant, « l’équilibre providentiel » cède la place, en s’approfondissant, à la notion « d’équilibre naturel ». Un article d’Albert Cretté de Palluel33 publié en 1868 s’avère particulièrement éclairant sur cette transition :

  • 34 Cretté de Palluel Albert, « Mémoire sur les oiseaux acridiphages ou mangeurs de sauterelles », Bul (...)

« L’utilité de tous les animaux n’est pas encore reconnue partout et par tous ; cependant il faut admettre qu’ils ont été créés tous pour le bien de l’ensemble, chacun avec sa destination spéciale, déterminée, et dans des proportions assurant l’harmonie générale. La qualification de nuisibles donnée à certains animaux, n’est donc que relative, et elle n’est applicable que dans des conditions sortant de l’état normal ; conditions amenées, soit par une multiplication ou une indépendance désordonnée, soit par d’autres causes qui sont toujours les résultats de la civilisation et des vices de l’homme qui en oublie ses devoirs34. »

23L’auteur assimile ainsi l’état d’équilibre naturel aux « dispositions originaires de la nature », ce qui pourrait empêcher de percevoir les écosystèmes comme évolutifs. Néanmoins, cette notion ne décrit pas forcément une nature figée car, d’après Jean-Paul Deléage :

  • 35 Deléage Jean-Paul, Une histoire de l’écologie, Paris, Seuil, 1993, p. 36.

« Buffon se réfère à un équilibre naturel, et son modèle est proche de celui d’Adam Smith pour lequel les prix fluctuent autour d’un équilibre autorégulé, maintenu par une “main invisible” omnisciente. Même si la nature est le système des lois établies par le Créateur, elle apparaît chez Buffon comme un ouvrage perpétuellement vivant, et c’est de ce mouvement même que résulte son équilibre35. »

  • 36 Albert Cretté de Palluel tempère cependant cette vision par la réalité des faits : « N’oublions pa (...)

24La vision dominatrice de l’homme sur la nature implique des « devoirs » envers cette dernière qui, pour Albert Cretté de Palluel, sont de préserver « l’état normal36 ». Dans sa démonstration l’équilibre naturel découle des débats autour de l’utilité des espèces et de la conviction que leur nuisibilité est due plus à une méconnaissance de l’espèce et de l’équilibre auquel il participe, qu’à un caractère propre. Cependant, une fois la rupture de l’équilibre consommée, il considère qu’il « ne reste plus que deux choses à faire : diminuer (sans détruire) les espèces nuisibles, et augmenter les espèces utiles par une protection au moins locale, si ce n’est universelle (et même par l’acclimatation) ». L’homme doit suppléer aux « dispositions originaires de la nature », perturbées souvent par lui-même, et instaurer un équilibre artificiel par une distinction fondée sur l’utilité des espèces, où la protection prendrait le pas sur l’acclimatation. Ces idées rencontrent cependant certaines limites car l’homme demeure central et ses interventions sont parfois estimées nécessaires au maintien ou à la restauration de « l’équilibre naturel ». Utilitarisme et protection sont encore très fortement imbriqués.

  • 37 Dans la « liste générale des membres » de 1884 ainsi que dans celle de 1885, M. de Confevron est i (...)

25M. de Confevron37 s’avère également particulièrement précieux pour suivre l’évolution de la notion d’équilibre car il exprime en 1879 une opinion à la fois créationniste et protectionniste qui rejoint le point de vue d’Albert Cretté de Palluel :

  • 38 Confevron M. de, « Procès-verbal », Bull. SA, 1879, p. 709.

« De grands inconvénients constatés proviennent presque tous de l’équilibre détruit ou dérangé par l’homme, soit pour la satisfaction de ses besoins, soit par esprit de destruction. La science, comme la sagesse, doivent conduire nos efforts dans le sens indiqué par la création, et ce que nous pouvons faire de mieux, c’est de remédier au désordre causé, au point de vue de la nature, par l’état de civilisation et de vie en société38. »

26Neuf ans plus tard, son opinion s’est transformée de façon notable :

  • 39 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 16 mars 1888 », Bull. SNAF, 1888, p. 398 (...)

« Tout dans la nature est dans un ordre parfait. Les différents êtres s’y trouvent dans des proportions admirables, que la grande loi : la lutte pour l’existence, sert à entretenir. [...] L’homme seul [...] vient détruire l’harmonie. [...] Pour ramener l’équilibre détruit, le plus sûr moyen serait encore de s’en remettre aux forces de la nature et d’attendre patiemment leur action lente, mais sûre, à condition qu’elle ne soit entravée par aucune intervention contraire. En aidant à la destruction ou à l’accroissement d’une espèce nous ne savons jamais ce que nous faisons, ni quel retentissement l’action de l’homme peut avoir dans les harmonies de la nature. [...] Il n’est pas d’animaux nuisibles ou utiles d’une façon absolue, ils sont tous utiles par le rôle qu’ils jouent dans la nature39. »

27Ce rappel de la notion d’un équilibre naturel « idéal » se complète ici d’une référence explicite aux thèses de Darwin qui fait de la lutte pour la vie le moteur de l’évolution. De plus, si l’homme est toujours clairement identifié comme le perturbateur, M. de Confevron lui dénie toute possibilité d’agir positivement, même avec de bonnes intentions, contrairement à Albert Cretté de Palluel : seule la « nature » peut rétablir un équilibre, voire en créer un nouveau. Cette évolution est importante car elle définit de façon plus dynamique la notion d’équilibre comme un état de stabilité auquel tend un ensemble d’espèces vivantes. En confirmant son refus de la distinction utiles/nuisibles, M. de Confevron indique clairement que la finalité de la nature n’est pas le bien-être de l’homme et que tous les êtres vivants ont un rôle propre déconnecté d’une quelconque utilité pour l’homme, remettant ainsi en cause l’idée d’une domination exclusive de l’homme sur une nature instrumentalisée. Enfin, il remet en cause les principes mêmes de l’acclimatation :

« Faisons de l’acclimatation, de l’importation, mais avec discernement, d’une façon utile et en connaissance de cause, sinon, nous brouillerons, bouleverserons tout, et au lieu de remerciements auxquels nous avons droit, ce sont des anathèmes que nous récolterions. »

  • 40 Fernand Lataste devient sociétaire en 1883 puis membre à vie en 1885. Il réside alors à Paris sans (...)

28Au même moment, Fernand Lataste40, savant professionnel, s’interroge sur la difficulté de définir l’utilité ou la nuisibilité d’une espèce, voire sur la pertinence d’employer une telle dichotomie. Il publie une note en 1884 où il démontre par une analyse précise du régime alimentaire des rapaces nocturnes que la part des rongeurs est nettement plus élevée que celle des mammifères insectivores, faisant ainsi de ces oiseaux des animaux utiles. Il conclut cette étude en rejetant cette séparation manichéenne mais aussi en développant un point de vue moral sur les relations homme-animal :

  • 41 Lataste Fernand, « Sur l’alimentation des rapaces nocturnes », Bull. SNAF, 1884, p. 855-856.

« [Cette proportion inattendue] nous montre combien est souvent arbitraire et inexacte la division des animaux en utiles et nuisibles. [...] Je demande que la peine de mort ne soit prononcée contre les animaux que lorsqu’ils nous sont évidemment et sérieusement nuisibles. Quand, comme il arrive le plus fréquemment, les pièces du procès que nous avons la prétention d’intenter à tous les êtres vivants sont incomplètes ou contradictoires, je demande l’acquittement des accusés. [...] L’humanité nous commande la bienveillance envers des frères inférieurs. Nous en détruisons bien assez pour nos besoins, et, aussi, inconsciemment, par le seul fait des modifications que notre civilisation apporte à la surface de la planète41. »

  • 42 Cette commission est composée de dix membres issus pour moitié du conseil d’administration et pour (...)

29Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la notion d’équilibre naturel n’est pas acceptée par tous dans la Société d’acclimatation et n’est pas centrale dans les échanges et articles publiés dans le Bulletin. Toutefois, elle se développe à partir des débats sur la nuisibilité et obtient comme une reconnaissance officielle en 1891 quand la commission des récompenses42 décide d’offrir une « prime de 200 francs » à Fernand Lataste pour ses travaux scientifiques et ses prises de position en faveur de la protection de la nature. Pour justifier cette prime, Amédée Berthoule, secrétaire général et rapporteur, cite publiquement les propos suivants du récipiendaire :

  • 43 Berthoule Amédée, « Rapport de la Commission des récompenses pour 1891 », RSNA-Bull. SNAF, 1891, p (...)

« Considérons que la nature vivante est dans un état d’équilibre, dont les conditions nous sont encore profondément inconnues, et auquel nous ne pouvons apporter une modification, sans nous exposer à des conséquences imprévues, qui peuvent être désastreuses. Sachons donc n’intervenir qu’avec prudence et circonspection ; et c’est surtout dans le sens de la destruction qu’il importe de nous montrer réservés ; car une espèce mal à propos introduite dans un milieu, peut le plus souvent en être chassée ; mais une espèce supprimée de la surface de la planète l’est pour l’éternité43. »

  • 44 Dajoz, op. cit., p. 102.
  • 45 Cf. par exemple Matagne Patrick, Comprendre l’écologie et son histoire. Les origines, les fondateu (...)
  • 46 Dajoz, op. cit., p. 8.

30C’est bien la notion d’équilibre entre les espèces et avec leur milieu, avec ses conséquences en matière de protection de la nature, qui est ici approuvée. S’il ne faut pas exagérer l’importance d’une telle reconnaissance (c’est une prime parmi des dizaines d’autres prix, parfois contradictoires dans leurs intentions), elle marque néanmoins une réelle évolution interne : le débat sur la pertinence de la distinction utiles/nuisibles est en passe d’être tranché dans un sens favorable à la protection de toutes les espèces. Cette évolution est parfaitement contemporaine des travaux de Stephen Alfred Forbes (1844-1930) qui, outre d’établir en 1887 la notion de microcosme, annonciatrice pour Roger Dajoz de celle d’écosystème44, pense que l’équilibre de la nature réside dans le « pouvoir bénéfique de la sélection naturelle ». En effet, les développements autour de la notion d’équilibre naturel sont contemporains de la naissance de l’écologie, de son vocabulaire et de ses concepts45. Le mot « écologie », inventé par Ernst Haeckel en 1866, met plusieurs décennies à obtenir une définition plus ou moins acceptée par tous. Éduard Suess crée le terme de « biosphère » en 1875 comme étant l’ensemble des êtres vivants de notre planète. Ce concept est développé dans les années 1920 par Vladimir Vernadski. En 1877, Karl Möbius invente la « biocénose », composante vivante d’un écosystème. « Écosystème » est d’ailleurs créé en 1935 par Arthur George Tansley. Aucun de ces termes n’est jamais employé par les membres de la Société d’acclimatation, ce qui ne les empêche pas d’explorer certains concepts. Roger Dajoz identifie le même procédé en expliquant qu’on trouve chez nombre d’auteurs pourtant non considérés comme des précurseurs, « les notions de chaîne alimentaire, de régulation des populations, de succession écologique, de niche écologique46 ». Toutefois, même si les mots, définitions et concepts employés sont parfois approximatifs, une évolution importante des réflexions est clairement perceptible et l’émergence de la notion « d’équilibre naturel » est fondamentale dans l’apparition de conceptions favorables à la protection de la nature.

La persistance de la distinction utiles/nuisibles

  • 47 Girard Maurice, op. cit..
  • 48 Bouvier Aimé, Les animaux de la France. Étude générale de toutes nos espèces, considérées au point (...)
  • 49 Beauregard Henri, Nos Bêtes. T. 1 : Animaux utiles. T. 2 : Animaux nuisibles ou sans utilité, Pari (...)

31De ce point de vue, si elle s’inscrit dans un mouvement d’idées scientifiques, la Société d’acclimatation est sans nul doute à l’avant-garde de la société en général car nombreux sont les auteurs à persister à classer les animaux en « utiles » et en « nuisibles ». La fin du XIXe siècle abonde d’ouvrages éducatifs reprenant cette distinction. Maurice Girard en 187847 prétend ainsi classer l’ensemble des animaux, de l’ours aux acariens, en indiquant leur degré de nuisibilité ou d’utilité. Aimé Bouvier s’essaye à son tour à cette tentation encyclopédique en 188748. Henri Beauregard va plus loin dans le concept en séparant certes les utiles des nuisibles mais en ajoutant à ces derniers les animaux « sans utilité », qui sont de fait mélangés aux nuisibles49. Cette possible confusion peut amener le lecteur à penser que ce qui n’est pas utile peut être détruit. Néanmoins le même auteur développe une réflexion plus aboutie sur les causes de la nuisibilité de certaines espèces en pointant les perturbations humaines provoquant cet état de fait :

« Il faut bien reconnaître que l’homme lui-même est le plus souvent l’instrument inconscient qui change les conditions normales grâce auxquelles un animal donné n’était pas un animal nuisible, et par la suite en fait un fléau parfois difficile à supprimer. »

  • 50 Rué Adolphe de la, Les animaux nuisibles. Leur destruction, leurs mœurs, Paris, Firmin Didot et Ci (...)
  • 51 Delon Charles, À travers nos campagnes. Histoire des animaux et des plantes de notre pays, Paris, (...)

32Cet auteur, par ailleurs assistant de la chaire d’anatomie comparée du MNHN et figurant sur les listes de la Société d’acclimatation en 1895, a bien intégré la notion d’équilibre naturel et propose une solution originale par rapport aux autres auteurs : « Créer autour de [l’animal devenu nuisible] les conditions défavorables qui rétabliront l’équilibre rompu et lui rendront dans la nature la place qui lui convient. » En somme, constatant une perturbation, il s’agit ni plus ni moins que d’essayer de restaurer le fonctionnement de l’écosystème. L’idée témoigne d’un vrai progrès des conceptions de la nature en cette fin de XIXe siècle, même si sa mise en pratique s’avère sans doute délicate voire discutable. D’autres auteurs cependant persistent à considérer les animaux avant tout comme des ennemis et les « sauvages » comme devant « servir » (ou s’asservir) sous peine d’être éradiqués. C’est l’idée d’Adolphe de la Rué en 188750 qui s’attache à décrire les manières d’exterminer les « bêtes malfaisantes ». Face à ce nombre important de publications propageant la dichotomie utiles/nuisibles, particulièrement auprès des catégories populaires et des populations rurales, et malgré certaines exceptions, la Société pèse bien peu comme diffuseur d’idées. Dernier exemple, Charles Delon (1839-1900), auteur prolifique d’ouvrages scolaires et d’ouvrages pour la jeunesse, publie en 1880 À travers nos campagnes, réédité en 188251. Dans cet ouvrage généraliste d’histoire naturelle destiné aux enfants, il a à cœur de faire découvrir la nature quotidienne, celle qui entoure les écoliers, et présente les principaux animaux domestiques et sauvages avec un luxe de détails, de précisions, d’anecdotes : « Parmi ces diverses classes d’animaux apprenons à reconnaître nos amis et nos ennemis. » Il distingue alors les « bêtes féroces et venimeuses » (loup, tigre, vipère...), des « bêtes de proie » (renards, milan, faucons, fouine...) et du commun des « nuisibles » (rongeurs, insectes...). Néanmoins, preuve d’une certaine évolution des attitudes, en partie sous l’influence de la SPA et des défenseurs des droits des animaux, qui témoigne d’une protection morale de l’animal, Charles Delon recommande de tuer les nuisibles mais sans faire souffrir, sans tourmenter, bref d’anéantir « en même temps la vie et la douleur ». Du côté des « utiles », l’auteur distingue les « domestiques » et « serviteurs », des « défenseurs » au premier rang desquels il place les « gentils oiseaux des champs et des bois », les passereaux mais aussi les chauve-souris, les hérissons, les batraciens, les pics, les rapaces nocturnes, le faucon crécerelle (Falco tinnunculus). La citation de ces derniers animaux, à la réputation habituellement plus que négative, illustre également une évolution des représentations fruit de constats scientifiques, naturalistes, que l’on a perçu au sein de la Société d’acclimatation. En revanche, il n’hésite pas à colporter des ragots et autres inexactitudes scientifiques comme les aigles royaux (Aquila chrysaetos) dévoreurs d’enfants, les circaètes (Circaetus gallicus) ravageurs des basses-cours. Tout au long de son ouvrage et pour chaque animal étudié, Charles Delon ne manque pas de signaler s’il est utile ou nuisible et dans ce dernier cas la façon optimale de le détruire... ne se posant en aucune façon, et n’exposant jamais à ses jeunes lecteurs, la question d’un équilibre naturel.

  • 52 Déjà noté sur la « liste générale de 1869 », Albert Cretté de Palluel est encore présent sur la «  (...)
  • 53 Au sens de participant à un mouvement visant à un meilleur équilibre entre l’homme et son environn (...)
  • 54 Au sens d’appartenant à une science dont le but est l’étude des milieux où vivent les êtres vivant (...)
  • 55 Les oiseaux insectivores sont néanmoins pensés au sein de la SZF comme devant équilibrer la reprod (...)

33Si Albert Cretté de Palluel est apparemment un des premiers52 à donner un sens assez complet et précis à la notion d’équilibre naturel, malgré les limites signalées, M. de Confevron confère à cette notion une portée théorique et conceptuelle beaucoup plus globale ; écologiste53 pourrait-on dire si l’on ne craignait pas le contresens historique. Fernand Lataste aborde ce sujet par une approche plus scientifique ; presque écologiste54 aussi. La réflexion sur l’équilibre naturel s’avère ainsi un des piliers de l’éveil des idées écologistes et de protection de la nature au sein de la Société d’acclimatation car les protecteurs cherchent à le conserver et à le restaurer. Née de l’utilitarisme, elle s’en éloigne progressivement et finit par s’y opposer dans une certaine mesure en plaçant au cœur de cette notion l’intérêt non plus de l’homme mais de la « nature ». La Société se détache ainsi progressivement de la SPA, dont elle était intimement proche à son origine, mais aussi de la SZF, venue tardivement sur ce sujet et support d’expression d’une conception apparemment plus strictement utilitariste55.

Conserver les ressources naturelles

  • 56 « Les scientifiques, les premiers, vont souligner les risques d’une utilisation irréfléchie des re (...)
  • 57 Dorst Jean, La nature dé-naturée, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1965, p. 11.

34L’état des « ressources naturelles » et de leur éventuel appauvrissement préoccupe plusieurs sociétaires, toujours dans un esprit utilitariste56. Par « ressources naturelles » ils entendent tout ce qui, dans la nature, peut être utilisé par l’homme d’une façon ou d’une autre mais particulièrement pour l’alimentation et l’industrie. Ce faisant, ils dressent le constat d’une nature perturbée voire menacée par les activités humaines. Certes, comme Jean Dorst le fait remarquer en 1965, « conservation de la nature et exploitation rationnelle de ses ressources [...] remontent à l’apparition de l’homme sur terre57 ». Mais, dans la Société d’acclimatation, la question des ressources naturelles constitue une autre origine du mouvement vers la protection, différente des questionnements sur l’utilité des espèces et de la notion d’équilibre naturel.

Le dépeuplement des cours d’eau français : du constat passif à la nécessité d’une protection

  • 58 La Société d’acclimatation n’est pas seule à s’en préoccuper comme le montre le travail de Jean-Fr (...)
  • 59 Luglia Rémi, « Le dépeuplement des cours d’eau : un marqueur de l’émergence de la protection de la (...)

35Dans la seconde moitié du XIXe siècle, des savants, notamment liés à la Société d’acclimatation, s’inquiètent du déclin des populations de poissons d’eau douce en France et de la disparition de certaines espèces en ce qu’elle implique une perte de ressource alimentaire58. La fin du XIXe siècle est à cet égard particulièrement importante car, par la prise de conscience de l’impact de l’industrialisation sur les cours d’eau et les poissons qui y vivent, elle provoque chez certains savants une mutation de leur conception de la nature59. L’emprise technique de l’homme sur le monde s’appesantit et produit des conséquences jugées néfastes, dans une lente dynamique. Si le thème du dépeuplement n’est pas nouveau, il prend une acuité particulière à cette époque et les contemporains cherchent alors des remèdes.

  • 60 Thibault Max, « Éléments de problématique du saumon atlantique en France », La restauration des ri (...)
  • 61 Delbos Geneviève, « De la nature des uns et des autres : à propos du dépeuplement des eaux marines (...)
  • 62 Thibault Max, « La redécouverte de la fécondation artificielle de la truite en France au milieu du (...)

36Ce qu’expriment les contemporains est un dépeuplement ressenti, très rarement mesuré. Pour les hommes de cette époque, le sauvage aquatique est en danger car les cours d’eau se transforment de façon très importante par les diverses manifestations de l’industrialisation, qui semblent amoindrir la ressource piscicole. Un certain nombre de chercheurs se sont attachés à cette question, notamment Max Thibault60 ou bien encore Geneviève Delbos61 qui constatent dans les archives la récurrence du thème de l’épuisement des ressources piscicoles par la pêche. Max Thibault remarque que le dépeuplement est régulièrement affirmé et à partir de la fin du XIXe siècle se tient un discours catastrophiste en matière de pêche, voisin de celui des forestiers de l’époque62. Que ces croyances soient vraies ou fausses, leur prégnance culturelle est indéniable et nul ne conteste jamais le dépeuplement (figure 13).

Fig. 13. – Répartition du saumon dans les cours d’eau français (milieu XVIIIe siècle ; fin XIXe siècle) (d’après Thibault Max, op. cit., 1994, p. 176).

  • 63 Sur le développement de l’aquaculture en France au XIXe siècle, on consultera utilement Levasseur (...)
  • 64 « Procès-verbal de la séance générale du 22 juin 1855 », Bull. SIZA, 1855, p. 446.

37Dire, savoir ou croire que les eaux se dépeuplent ne signifie pas forcément connaître les causes de ce dépeuplement. Or celles-ci sont complexes et imbriquées mais les contemporains n’en ont pas tous conscience. Certains sociétaires constatent bien une relative disparition des poissons mais n’envisagent comme solution que la pisciculture63 et le ré-empoissonnement des cours d’eau64 : on traite le symptôme et non la cause. D’autres développent au même moment une réflexion plus élaborée, dans une commission spécialement créée pour traiter de cette question du dépeuplement :

  • 65 Mis en italique dans le texte d’origine.
  • 66 Millet Charles, op. cit., 1856, p. 223-224.

« On ne s’est occupé jusqu’à ce jour que des moyens de féconder des œufs et de créer de jeunes poissons ; on n’a ainsi envisagé la question qu’à un point de vue très restreint, car, en pisciculture notamment, il ne suffit pas de créer65, il faut surtout savoir conserver66. »

  • 67 Par ex. Millet Charles, « Rapport sur les mesures relatives à la conservation et à la police de la (...)

38Les causes de disparition peuvent être regroupées en trois ensembles : pêche abusive ; pollution ; barrages. Ce que tous les contemporains relèvent est la cause directe de disparition imputable à l’homme par la pêche, ses abus et le braconnage : la surexploitation de la ressource conduit à sa raréfaction et la solution réside dans l’encadrement des pratiques anthropiques. Déjà plus élaborée est la prise en compte de certaines causes indirectes. Les aménagements des cours d’eau comme les barrages, ou des pratiques comme le dragage ou le curage à franc bord sont réputés destructeurs. Ils conduisent assez facilement à une prise en compte de la notion d’habitat dès le début du XIXe siècle. La solution préconisée est notamment de restaurer l’accessibilité de l’ensemble des bassins et d’instaurer des réserves particulièrement sur les zones de frai. Autres causes indirectes, à peine plus insidieuses, les diverses pollutions, anciennes et nouvelles, sont incriminées, particulièrement en cas de mortalité massive et subite. À partir du milieu des années 1860, le rejet dans les rivières des « eaux usées » des usines est considéré par les spécialistes de l’époque comme une des causes principales de la disparition du poisson67.

39Bien attestée dès le milieu du XIXe siècle, cette analyse assez complète du problème évolue peu mais tend à se répandre. Le motif d’inquiétude est clairement utilitariste : pour la Société d’acclimatation et les services de l’État il s’agit donc de conserver voire d’augmenter mais aussi de maîtriser une ressource alimentaire. Toutefois, la notion de profit immédiat n’est pas exempte de contradictions : quelle activité humaine faut-il privilégier : la pêche ou l’industrie au fil de l’eau ? Dès 1861 Charles Millet évoque ce partage des usages défavorable au poisson :

  • 68 Millet Charles, « Conférences sur la pisciculture, au Jardin d’acclimatation du bois de Boulogne » (...)

« Il faut considérer les cours d’eau sous trois faces : 1) comme voies de circulation sur lesquelles sont engagés des intérêts de plusieurs centaines de millions ; 2) comme force motrice pour les usines, représentant aussi des sommes immenses ; et 3) enfin, comme domaine empoissonné utile à l’alimentation publique. [...] Il ne faut pas, dès lors, s’étonner s’il a été négligé ou sacrifié en face des puissants intérêts de la navigation et des usines68. »

40Or c’est bien l’État et ses ingénieurs qui doivent arbitrer ; c’est bien à l’État que les savants demandent de réguler les activités humaines.

41Le dépeuplement des cours d’eau est un thème qui permet l’expression de considérations favorables à la protection de la nature. Loin d’être balbutiantes et superficielles, ces analyses apparaissent au contraire complètes, complexes et pertinentes, même si elles sont corsetées par le paradigme utilitariste. Les perturbations sont bien identifiées et la question resurgit à de multiples reprises sur la période qui s’étend de 1856 aux années 1890. Fervente adepte du ré-empoissonnement présenté comme la solution-miracle, la Société d’acclimatation met en cause les perturbations anthropiques et cherche à restaurer un habitat favorable aux poissons mais en ménageant les activités humaines notamment industrielles. Le thème du dépeuplement se diffuse dans la société comme en atteste Jean-François Malange à propos des sociétés de pêcheurs à la ligne qui, vers 1880, se saisissent de ce problème. Les objectifs de la société de Cahors créée en 1888 sont explicites :

  • 69 Archives départementales du Lot, 4 M 60 : Sociétés de chasse et de pêche.

« Tout en favorisant la pêche à la ligne, la société a surtout pour but l’acclimatation dans le Lot de nouvelles espèces de poissons, la protection des espèces utiles déjà existantes et la destruction des espèces nuisibles69. »

Chasse, braconnage et gibier : débats autour de la réglementation

  • 70 Noirmont Baron de, « Sur quelques espèces de mammifères qui ont existé en France et qui ont dispar (...)
  • 71 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 10 janvier 1879 », Bull. SA, 1879, p. 48 (...)

42La raréfaction du gibier, et plus largement la disparition d’animaux terrestres, préoccupe également fortement la Société d’acclimatation dont les membres signalent abondamment les espèces disparues ou menacées, sans pour autant envisager leur protection. Ainsi en 1861 le baron de Noirmont évoque le cheval sauvage, l’élan, le bison et l’urus, tous éteints70. Il mentionne également des « espèces devenues très rares » parmi lesquelles le castor (Castor fiber), le bouquetin des Alpes (Capra ibex) ou des Pyrénées (Capra pyrenaica), le lynx (Lynx lynx), la genette (Genetta genetta). Il propose pour le seul bouquetin d’imiter les réserves créées par le gouvernement sarde. Les observations des membres concernent également la nature ordinaire, celle qu’ils côtoient tous les jours. Ainsi M. de Confevron indique en 1879 que « les lièvres, les perdrix deviennent rares partout71 ». Comme pour le dépeuplement des cours d’eau, aucun sociétaire ne fournit d’élément tangible de preuve d’un leitmotiv catastrophiste unanimement admis : le gibier disparaît.

  • 72 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 7 avril 1879 », Bull. SA, 1879, p. 242.
  • 73 « Procès-verbal de la séance générale du 17 avril 1856 », Bull. SIZA, 1856, p. 243.

43L’inquiétude manifestée repose avant tout sur la crainte de voir se réduire une ressource alimentaire jugée prioritaire, « une source de richesse, d’alimentation et de bien être72 ». Dans une logique utilitariste, la Société cherche à agir en repeuplant par l’élevage voire en introduisant de nouvelles espèces mais aussi et simultanément en détruisant des prédateurs qualifiés de « nuisibles » et identifiés comme des concurrents. Ainsi, quand en 1856 Paul Molinos « appelle l’attention sur les causes de la disparition presque générale des Perdrix en France73 », qui sont essentiellement humaines, la solution proposée est « d’introduire dans notre pays le Colin d’Amérique ». L’important n’est pas l’espèce mais que le produit que l’homme en tire ne diminue pas.

44Tous ne pensent pas ainsi et M. de Confevron est en décidément le meilleur exemple sur cette période. En 1879, après avoir une nouvelle fois dénoncé la destruction par la chasse de nombreuses espèces de gibier, il justifie leur protection « au point de vue de l’utilité, de l’agrément, de l’histoire naturelle ». Il manifeste clairement les priorités de l’époque : d’abord, les animaux doivent servir ; ensuite ils meublent les parcs, les campagnes et les paysages ; enfin ils représentent un intérêt pour les scientifiques. Nulle place pour une protection désintéressée. M. de Confevron complète d’ailleurs son propos en prenant la défense de l’ours :

  • 74 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 24 janvier 1879 », Bull. SA, 1879, p. 57 (...)

« Je ne vanterai ni sa grâce, ni ses manières mais il n’est pas aussi malfaisant qu’on le croit généralement. Sa peau, sa chair, sa graisse ont leur utilité [...] il n’attaque pas l’homme [...] ses déprédations sur les brebis au pâturage sont rares et peu importantes. [...] Il vaut mieux que sa réputation et, pour lui aussi, je demande grâce, ne fût-ce que pour qu’il soit possible de manger un bifteck de ce bon animal et de poser les pieds sur la peau d’un Ours bien léché [sic]74. »

  • 75 Esterno comte d’, « Rapport sur les mesures relatives à la répression du braconnage », Bull. SIZA,(...)

45Dès le départ, la question de la disparition du gibier est liée à la chasse. De nombreuses critiques portent en effet sur l’inefficacité de sa police et dénoncent les abus qui en sont issus. Pour les sociétaires, la solution, répressive, est là encore réglementaire et législative. Le braconnage est particulièrement décrié par les élites qui composent la Société : motifs juridiques (non respect des lois et de la propriété privée), moraux (dépravation des individus) et utilitaires (destruction du gibier) s’entremêlent75. Les mesures proposées sont classiques : renforcer le contrôle sur la commercialisation et la provenance du gibier consommé ; renforcer les poursuites judiciaires des actes de braconnage ; réprimer le braconnage en favorisant pécuniairement les dénonciations. Contrairement aux analyses concernant la disparition des poissons d’eau douce, la réflexion sur la raréfaction de la faune sauvage est demeurée assez superficielle : seules les causes directes et surtout illégales de destruction sont envisagées, en négligeant les transformations des « milieux » (biotopes) et des pratiques culturales. L’homme reste central, par ses intérêts bien sûr, mais aussi par ses actions « négatives » sur les populations (la chasse dont le braconnage) ou « positives » (réglementation ; répression ; interdictions). À la fin du XIXe siècle, certains sociétaires proposent une analyse plus complexe :

  • 76 Geoffroy Saint-Hilaire Albert, « Procès-verbal de la séance de la deuxième section (Oiseaux) du 19 (...)

« M. Geoffroy Saint-Hilaire ne croit pas qu’il faille attribuer cette disparition uniquement à la chasse. Il faut reconnaître que depuis un certain nombre d’années les conditions agricoles ont été singulièrement modifiées. Certains pays, qui autrefois offraient aux oiseaux de nombreux abris, en sont aujourd’hui complètement dépourvus76. »

46Mais ces opinions demeurent très isolées et ne produisent pas de formulation de solutions.

  • 77 Cordier F.-S., « Sur la cruauté de la chasse aux petits oiseaux dans les départements formés de l’ (...)
  • 78 Lescuyer François, Oiseaux de passage et tendues, Paris, Baillière, 1876, 116 p. L’auteur est memb (...)
  • 79 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 10 décembre 1880 », Bull. SA, 1880, p. 7 (...)
  • 80 « Chronique générale. Nouvelles et faits divers », Bull. SNAF, 1888, p. 199.

47Les méthodes de chasse parfaitement légales sont elles aussi dénoncées. C’est le cas de la tenderie dans la Meuse contre laquelle proteste la SPA dès 1856 pour des motifs à la fois moraux et utilitaristes77. Cette pratique est destructrice pour les oiseaux insectivores et particulièrement les espèces migratrices, et est supposée ruiner les efforts de lutte contre les insectes ravageurs des cultures78. La loi est accusée d’être laxiste et de comporter trop de dérogations locales. Ainsi en 1879, M. de Confevron s’inquiète de ce que les dates d’ouverture et de fermeture de la chasse, très variables selon les espèces, soient laissées à l’appréciation des préfets et conseils généraux. Pour lui, c’est un défaut générateur d’abus en tous genres et de disparités entre les départements. Il préconise la centralisation de cette décision par la création d’une commission spéciale au ministère de l’Agriculture, dont il suggère que la Société fasse partie. Puis, en 1880, devant l’ampleur et la persistance de la raréfaction des espèces, il préconise, provocateur, la « fermeture absolue de la chasse pendant quelques années » comme « seul moyen pratique pour permettre aux rares individus qui restent de repeupler un peu79 ». Les accusations portées contre une chasse trop intensive, convaincue de raréfier le gibier, n’empêchent pas la Société de se réjouir de certains tableaux de souverains européens : 4 660 pièces pour le duc de Cambridge en quatre jours ; 47 950 pièces en 19 jours pour l’empereur François-Joseph80. Cette contradiction souligne que la Société d’acclimatation n’est pas monolithique au niveau des opinions et qu’elle n’envisage nullement de remettre en cause la chasse légale, a fortiori sur une propriété privée et quand elle concerne l’élite sociale, même si elle est manifestement exagérée.

  • 81 Turrel L., « Des moyens les plus efficaces pour prévenir la destruction des oiseaux de passage », (...)

48Les considérations sur la disparition du gibier deviennent plus ambiguës quant il s’agit des oiseaux migrateurs. Certains dénoncent les massacres opérés à l’occasion des mouvements migratoires, particulièrement de printemps ; d’autres estiment que cette chasse ne pose pas vraiment de problème au motif que, ces oiseaux ne nichant pas en France, autant profiter de cette manne avant qu’elle n’aille se faire tuer chez d’autres. En 1865, L. Turrel publie un long mémoire intitulé « des moyens les plus efficaces pour prévenir la destruction des oiseaux de passage », commandé par la Société d’acclimatation81. Il souligne l’utilité des oiseaux migrateurs insectivores pour préserver l’équilibre entre insectes et végétaux. Il pointe comme facteur de destruction « l’étendue croissante des cultures et la destruction des bois » mais pour lui l’essentiel est dans « le braconnage et le massacre auquel se livrent les chasseurs [...] et le pillage des nids et des couvées par les enfants et par les animaux de proie ». Il dénonce alors la loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse et demande sa modification notamment sur les exceptions faites pour les oiseaux de passage comme les dates d’ouverture et de fermeture ou l’emploi d’engins autres que le fusil. De manière plus originale, il demande une éducation des gens des campagnes. Enfin, il estime que chacun, dans ses propriétés, devrait avoir à cœur de « former un asile pour les oiseaux », de planter des haies, « de préparer des réduits artificiels ». Mais surtout, et c’est le propre du thème des oiseaux migrateurs, il insiste sur la nécessité d’une protection internationale :

« Il importe que tous les gouvernements européens adoptent une législation uniforme, pour protéger sur leurs territoires respectifs les oiseaux de passage et leurs couvées. Il serait facile, si l’Europe entière adoptait l’unité de législation pour la police de la chasse, d’obtenir des États barbaresques et musulmans le respect de ces mesures d’ordre public. »

49Vingt ans plus tard, rien n’a apparemment changé et le sujet demeure d’actualité comme en témoigne M. de Confevron :

  • 82 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 12 mai 1882 », Bull. SNAF, 1882, p. 357.

« À force d’avoir dit qu’on pouvait détruire les oiseaux de passage et d’avoir mis ce précepte en pratique, il n’en existe presque plus ; de sorte qu’ils passent maintenant en bien petit nombre, en attendant qu’ils ne passent plus du tout. [...] Tout concourt à la perte de ces pauvres petites bêtes : animaux de proie, qu’on se garde bien de détruire ; pièges de toutes natures [...] ; chasses de toutes sortes. [...] En face de cette tuerie si malheureuse des oiseaux, aucune protection, aucune répression bien entendue et efficace. Il en sera ainsi tant que la législation sur la chasse et sur la protection des oiseaux ne sera pas absolument modifiée, et ce, non uniquement par des législateurs, mais en tenant compte de l’avis et des vœux des sociétés savantes82. »

  • 83 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 10 mai 1878 », Bull. SA, 1878, p. 324-32 (...)

50M. de Confevron dénonce également l’ampleur des massacres réalisés à l’occasion des migrations dans le seul but de commercialiser la masse du gibier abattu. Ainsi en 1878, il demande la prohibition du commerce de la caille (Coturnix coturnix) au printemps à destination de la France ou de l’Angleterre et en provenance du Levant et de l’Afrique83. Son argumentaire est simple mais juste : les cailles prises sont celles qui se préparaient à venir nicher en Europe.

  • 84 Confevron M. de, « Causes de destruction des Batraciens », Bull. SA, 1877, p. 527-528.

51Avec l’exemple des tendues, avec celui des cailles en Méditerranée, les critiques ne portent plus seulement sur la chasse en tant qu’activité personnelle même si parfois alimentaire mais sur la surexploitation commerciale que l’on fait de certaines espèces, qui plus est bien souvent avec des méthodes destructrices et qui ne préservent pas la ressource. Les oiseaux ne sont pas seuls concernés : en 1877, la surpêche des grenouilles au moment de la ponte est signalée84.

  • 85 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 24 janvier 1879 », Bull. SA, 1879, p. 57 (...)
  • 86 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 21 mars 1879 », Bull. SA, 1879, p. 182-1 (...)

52Progressivement, comme avec les poissons d’eau douce, l’action législative s’avérant inopérante, la question de la façon de protéger les espèces se pose. L’idée qu’il peut être nécessaire de sanctuariser certains espaces abritant des espèces remarquables et menacées mais aussi de maintenir un réseau de lieux favorables à la multiplication du gibier se développe alors. Encore une fois, c’est M. de Confevron qui est en pointe et il propose « d’interdire la chasse successivement et pendant quatre ans dans une portion de montagne sur laquelle, pendant cet espace de temps, le gibier se trouverait tranquille, et, se sentant à l’abri, viendrait et se repeuplerait85 ». Il reconnaît s’inspirer du roi Victor-Emmanuel II qui crée une réserve de chasse au Grand Paradis en 1856, futur premier parc national italien (1922). Le principe de base de la réserve est simple : soustraire à la pression cynégétique un espace suffisamment grand pour permettre à la faune de se régénérer seule... avant de la livrer de nouveau aux appétits des chasseurs. Peu de temps après, il suggère de mettre en réserve le massif de la Vanoise car il est contigu de la réserve du Grand Paradis86. Il espère ainsi un transfert de la population de bouquetins (Capra ibex) de l’Italie vers la France. Le modèle italien semble ici jouer à plein.

53En 1893, Émile Oustalet publie un ouvrage destiné au grand public, particulièrement intéressant car il présente sous une forme synthétique les idées et analyses émises jusqu’alors sur la protection des oiseaux. Émile Oustalet cite ainsi Charles Millet, Albert Cretté de Palluel, Barrau de Muratel et la Société d’acclimatation ; Xavier Raspail et Louis Petit de la SZF ; François Lescuyer de la SPA ; Carl Vogt. Émile Oustalet les connaît bien car, outre d’être docteur ès sciences et assistant-naturaliste au MNHN depuis 1873, il devient administrateur de la Société d’acclimatation en 1892 et préside la SZF en 1893. Il commence par dresser la liste des motifs de destruction des oiseaux en insistant sur la chasse : il prend soin de distinguer les « bons » des « mauvais » chasseurs, c’est-à-dire les chasseurs au fusil pour le loisir ou le « sport », du peuple qui chasse avec toutes les autres méthodes et particulièrement à l’aide de filets, de gluau ou de matoles, dont il dénonce la « cruauté », reprenant ainsi un thème cher à la SPA. Il insiste sur les déficiences de la loi de 1844, en apparence sévère mais qui ne protège que le gibier (dont sont exclus les passereaux pourtant principaux insectivores) et qui prévoit des exceptions (« abus ») laissées à la discrétion de l’échelon local. Émile Oustalet s’intéresse particulièrement au cas des oiseaux migrateurs, détruits par les phares, les fils électriques et téléphoniques et les chasseurs « méridionaux ». La mode des plumes, et la chasse commerciale qu’elle sous-entend, lui paraît également une pratique éminemment destructrice. Le dénichage est une nouvelle occasion de faire de la protection une question de morale, ici s’adressant aux enfants. Les forêts coupées, les taillis brûlés, les marais asséchés, l’extension des villes et des villages ainsi que la diffusion d’un modèle cultural fondé sur de grands champs ouverts sans haies, ni bois conduisent pour lui à la raréfaction des oiseaux. Il quitte ainsi les faits de destruction directe pour envisager les causes indirectes, ce qui nécessite une compréhension plus aboutie des liens qui relient une espèce à un habitat. Arrivé à la moitié de son ouvrage et ayant épuisé les causes de destruction, Émile Oustalet s’intéresse aux conséquences, utilitaristes, de la diminution des oiseaux : destruction des cultures par la multiplication d’abord des insectes, ensuite des rongeurs. Émile Oustalet consacre alors le dernier tiers de son livre à démontrer l’utilité de tous les oiseaux, à l’exception toutefois « d’une vingtaine, franchement nuisibles ». Il valorise les rapaces nocturnes (sauf le hibou grand-duc (Bubo bubo)), de nombreux rapaces diurnes dont la buse (Buteo buteo) et d’autres « nuisibles » comme le freux (Corvus frugilegus), les pics. À l’appui de sa réhabilitation quasi générale, un constat simple : « Les mésanges font de meilleure besogne que les insecticides. » Il aborde enfin les solutions : nécessité d’une nouvelle loi prenant en compte la protection de toutes les espèces « utiles » et supprimant les exceptions ; appel au bon vouloir des chasseurs pour limiter leurs prises, à la population pour installer des nichoirs et nourrir les petits oiseaux l’hiver, aux dames pour porter d’autres ornements que de la plume, aux enfants pour respecter les nids. Ces solutions sont identiques à celles préconisées par la Société d’acclimatation.

54La question du gibier et de la faune sauvage, en lien avec la chasse et l’agriculture, est un des leitmotivs de la Société d’acclimatation, avec des réflexions le plus souvent superficielles. Même si les conceptions évoluent, elles apparaissent sur de nombreux points en retard par rapport aux réflexions générées par la problématique de la disparition des poissons d’eau douce. Seule réelle avancée spécifique, l’idée d’une protection internationale des oiseaux migrateurs fait son chemin.

La surexploitation des ressources maritimes

55Après les poissons d’eaux douces et le gibier, la troisième dynamique qui préoccupe les sociétaires et qui touche à la protection de la nature est la raréfaction des ressources maritimes.

  • 87 Rufz de Lavison, « Des tortues considérées du point de vue de l’alimentation et de l’acclimatation (...)
  • 88 Salles C., « De la multiplication des tortues de mer dans la Méditerranée », Bull. SIZA, 1861, p.  (...)
  • 89 Da Silva Continho Joao Martins, « Sur les Tortues de l’Amazone », Bull. SIZA, 1868, p. 147-166.

56L’état des populations de tortues marines inquiète la Société d’acclimatation. En 1859, le docteur Rufz de Lavison, après avoir longuement détaillé leur utilité alimentaire et la façon de les cuisiner, dénonce la raréfaction des tortues à cause de leur chasse et conclut : « Quelle que soit la prodigalité de la nature, elle est épuisée par l’avidité et l’incurie de l’homme87. » Dans cette idée de développer une ressource utile à l’homme, l’article de C. Salles, capitaine au long cours, est édifiant88. Il commence par s’élever contre l’idée généralement répandue que les productions de la mer sont inépuisables et la conséquence de cette idée : « Les pêcheurs vulgaires pêchent à tort et à travers, sans souci aucun de la reproduction et de la conservation des espèces... » Mais, malgré ce constat, il ne demande qu’une seule mesure : l’intensification de la chasse aux « espèces destructives » (phoques, squales, marsouins, cétacés). Face à la raréfaction des tortues en mer Méditerranée, il recommande la multiplication artificielle par recueil et protection des couvées. L’idéologie utilitariste empêche ici d’envisager toute mesure de limitation des prélèvements. Un membre brésilien, Joao Martins da Silva Coutinho, livre toutefois en 1868 une réflexion bien plus raisonnée et protectionniste sur les tortues de l’Amazone, illustrant une fois de plus la diversité d’opinions et de convictions qui peut se manifester au sein de la Société, bien qu’ici il s’agisse de tortues d’eau douce89. En tant que scientifique, il commence par présenter longuement les différentes espèces de tortues présentes le long de ce fleuve. Il décrit chaque espèce et ses habitudes mais aussi la façon dont elle est cuisinée par les habitants locaux et leurs méthodes de pêche, en insistant sur les massacres réalisés sur les lieux de ponte, obérant ainsi le renouvellement des populations. Il recommande alors l’interdiction de la destruction des pontes et parallèlement de la commercialisation des produits qui en sont issus, l’interdiction de la pêche des adultes avant le frai, la surveillance et la protection des lieux de ponte, la récupération d’œufs ou de jeunes à peine éclos et leur élevage pour être ensuite relâchés. Ce faisant, il s’avère capable de se dégager d’un utilitarisme souvent court-termiste pour envisager la protection d’une ressource animale par la limitation des activités humaines.

  • 90 Cf. Levasseur, op. cit.
  • 91 Cloquet Jules, « Notice sur la pisciculture en France pendant l’année 1857 », Bull. SIZA, 1858, p. (...)
  • 92 Jacques Marie Cyprien Victor Coste est un naturaliste français, né le 11 mai 1807 à Castries et mo (...)

57Le cas des huîtres est à rapprocher de la question du dépeuplement des cours d’eau90. Dès 1858, la Société d’acclimatation se préoccupe de la « surexploitation » des bancs naturels91. Victor Coste92 préconise alors de favoriser la reproduction en créant des bancs artificiels mais aussi de mettre en réserve les bancs par rotation de trois ans et de reculer la date de pêche. Sa démarche, inspirée du modèle italien, porte ses fruits dans la seconde moitié du XIXe siècle. Mais d’autres sociétaires sont plus réservés sur cette artificialisation :

  • 93 Turrel L., « La pisciculture et les parcs à coquillage de la rade de Toulon », Bull. SA, 1878, p.  (...)

« Le meilleur moyen de donner à la mer sa plus grande faculté de production, c’est de ne pas contrarier sa prodigieuse, son inépuisable fécondité, en ménageant les innombrables germes qu’elle répand avec une providentielle prodigalité93. »

58Plutôt que de chercher à imposer une production à la nature, il conviendrait de préserver et de conserver son potentiel, le caractère renouvelable de ses ressources.

  • 94 Berthelot Sabin, « Des pêches à la traîne en mer et du dépeuplement de notre fond de pêche », Bull (...)
  • 95 Une madrague est un grand filet fixe mis en place en permanence sur certains points du littoral po (...)
  • 96 Turrel L., « La question des madragues », Bull. SA, 1872, p. 564-577.
  • 97 « Procès-verbal de la séance générale du 13 décembre 1872 », Bull. SA, 1872, p. 874-876.
  • 98 Du 19 février 1871 au 25 mai 1873, le ministre de la Marine et des Colonies est l’amiral Louis Pie (...)
  • 99 Turrel L., « La trêve des filets traînants », Bull. SA, 1875, p. 456-457.

59Les sociétaires s’avèrent également capables de mettre en cause certains modes de pêche et d’en préconiser d’autres, moins destructeurs. Le chalut est particulièrement dénoncé pour ses effets néfastes sur le renouvellement de la ressource halieutique : raclage des fonds et ravage des zones de frai ; capture en masse du poisson quelle que soit sa taille ; mauvais état du poisson à demi broyé dans le filet94. La solution proposée est de revenir aux pratiques traditionnelles et notamment de mettre en place des filets flottants ou dormants. Dans les années 1870, plusieurs membres se mobilisent en faveur du rétablissement des « madragues » et sont soutenus par la Société95. En 1872, L. Turrel, délégué de la Société à Toulon, le réclame pour le littoral provençal96. Edouard Drouyn de Lhuys écrit alors au ministre de la Marine pour appuyer cette demande, mais ce dernier la rejette en arguant que ces filets sont dangereux pour la navigation et préjudiciables aux marins pêcheurs97. Après diverses péripéties, et un changement de ministre98, des madragues sont installées aux abords de Toulon en 1875. L. Turrel souhaite que l’interdiction de pêcher au chalut dans la concession de la madrague soit maintenue durant toute l’année et non seulement pendant la saison de migration des thons afin de préserver les fonds et les espèces qui s’y reproduisent. Il propose également que les zones particulièrement favorables au frai soient érigées en réserve avec une interdiction permanente de pêche99. Par cette question des madragues, la surexploitation des ressources halieutiques est dénoncée par la Société, qui propose des méthodes de pêche moins destructrices pour les capacités de régénération des populations, mais moins productives à court terme. Comme pour le dépeuplement des cours d’eau, l’idée de réserve émerge des réflexions.

Les déboisements en France et à l’étranger

  • 100 Saint-Aignan comte de, « Nécessité de la conservation des forêts », Bull. SIZA, 1867, p. 267-281.

60Si les réflexions en matière de protection de la nature au sein de la Société d’acclimatation ont comme support principal le règne animal, les forêts inquiètent également les sociétaires. En 1867, le comte de Saint-Aignan amorce une réflexion sur la « nécessité de la conservation des forêts100 ». Il signale l’intérêt des forêts comme « richesse et ornement de notre territoire » et comme ressource pour le chauffage et la construction. Il explique également qu’elle joue un rôle important dans les cycles du sol et de l’eau :

« Enrichi de détritus végétaux, le sol lui rend cent pour un. Les nuages s’amassent autour de leur cime [celle des montagnes couvertes de forêts] et s’élancent de là pour répandre sur les plaines leurs ondées bienfaisantes, tandis que dans les profondeurs des bois, des milliers de sources et de ruisseaux tiennent en réserve les eaux qui rafraîchiront la campagne pendant la sécheresse de l’été. »

61Les forêts sont également louées pour leur capacité à retenir la terre végétale sur les pentes ainsi qu’à éviter les inondations. D’autres sociétaires s’inquiètent de la disparition des bois et forêts voire des haies, en liant cette question à la disparition de l’abri et de la nourriture pour les oiseaux et le gibier. Ce faisant, ils témoignent de la transformation en cours de certaines campagnes qui deviennent de plus en plus des « champagnes ».

  • 101 Turrel L., « Les reboisements du Faron », Bull. SIZA, 1869, p. 216-224 et 317-329.
  • 102 Grove, op. cit., 1992.
  • 103 Vavin Eugène, « Rapport au nom de la commission du reboisement des montagnes par l’Ailante », Bull (...)

62La question de la conservation des forêts débouche rapidement au sein de la Société sur celle du reboisement, plus conforme à l’activisme utilitariste qui la caractérise. En 1869, L. Turrel, signale les tentatives sur le Mont Faron qui domine la ville et la rade de Toulon101. Provoqué par les usages domestiques et la dent des troupeaux, le déboisement provoque le ravinement par les eaux de pluie et l’érosion des sols n’a plus de frein jusqu’à laisser la roche nue. Le phénomène est bien connu, il alarmait déjà des administrateurs d’îles tropicales au XVIIIe siècle102. Dès 1850, la municipalité de Toulon soutient un programme de reboisement par des espèces adaptées (pin d’Alep (Pinus halepensis) essentiellement) avant que l’État, par l’administration des Eaux et Forêts, ne s’en préoccupe. Parmi les craintes concernant le déboisement des montagnes, ce sont les ruissellements accompagnés de l’érosion des sols et d’inondations brutales qui inquiètent le plus. La nécessité de reboiser les montagnes n’est pas discutée au sein de la Société, preuve d’une unanimité à ce propos, fruit sans doute d’une réflexion déjà ancienne. Conformément à son objectif originel, la Société cherche à introduire de nouvelles espèces. À la fin des années 1870, c’est l’ailante du Japon (Ailanthus altissima) qui recueille tous les suffrages. Peu exigeant concernant les sols, résistant à la dent du bétail, de croissance vigoureuse, drageonnant, cet arbre semble posséder toutes les caractéristiques nécessaires à la réussite du reboisement. C’est à cette conclusion que parvient la commission chargée d’étudier cette question. Le conseil décide alors de créer un prix de 1 000 francs pour « la personne ou la commune qui justifierait de la plantation de 5 hectares de cette essence depuis cinq années103 ». Seul M. de Confevron nuance l’approbation générale :

  • 104 « Procès-verbal de la séance du conseil du 28 novembre 1879 », Bull. SA, 1879, p. 658-659. Au débu (...)

« Certaines de nos espèces indigènes doivent lui être préférées là où elles peuvent croître. [...] Je pense qu’il y a avantage à varier et même à mêler les essences, en ayant soin de les répartir d’une façon judicieuse, d’après la nature du terrain104. »

  • 105 Netto, « La destruction des plantes indigènes au Brésil et les moyens de les en préserver », Bull. (...)

63Sur le sujet de la protection des forêts et plus largement des plantes, la Société n’apparaît pas en avance, notamment si on la compare à la SBF où est évoquée par exemple en 1865 « la destruction des plantes indigènes et les moyens de les en préserver105 ». Outre la disparition de la forêt et les changements « climatériques » qu’elle induit selon lui, l’auteur craint la perte d’espèces de plantes « utiles ». Il propose de « créer un lieu de refuge pour les végétaux menacés de disparaître », soit sous forme de « forêts réservées », soit par de grands jardins où ces plantes seraient cultivées. Certains botanistes développent ainsi une approche comparable aux zoologistes. Or, au sein de la Société d’acclimatation, la question de la protection des plantes n’est pas envisagée, contrairement au monde animal, créant de ce fait une différence apparente mais fausse entre zoologistes et botanistes.

Un cheminement important vers la protection de la nature

64Si les idées de protection de la nature tirent leur origine en premier lieu du débat autour de l’utilité des espèces, le constat des destructions opérées par l’exploitation humaine est bien leur second fondement. La première approche conduit à la notion d’équilibre naturel ; la seconde amène plus directement à l’idée de réserve. Alors que les sociétaires débattent vivement sur les animaux utiles et nuisibles, tous s’accordent à noter une disparition de plusieurs espèces voire un amoindrissement général des « ressources » animales et des forêts et personne ne contredit les discours alarmistes. Ils s’inquiètent d’abord de la situation en France métropolitaine et ensuite seulement de celle dans le reste du monde. Ce qui les interpelle, c’est la nature « ordinaire », celle qui les entoure. M. de Confevron est peut-être l’archétype de ces premiers protecteurs qui déplorent aussi bien la disparition des écrevisses et du gibier que celle des hirondelles.

  • 106 Mailles Charles, « Procès-verbal de la séance du 24 avril 1888 de la première section (Mammifères) (...)

65Si dans les années 1850 les sociétaires dénoncent des raréfactions sans en comprendre clairement les principales causes, rapidement leurs analyses se complexifient. L’homme est désormais unanimement perçu comme le grand perturbateur et nul ne vient plus contester cette affirmation. Avec ce progrès de l’analyse des phénomènes à l’œuvre dans les disparitions d’espèces, on observe une évolution notable des solutions proposées. Loin d’être une théorie ou une doctrine pensée dans un laboratoire parisien, la protection de la nature se fonde sur des constats réels, des cas concrets et documentés. L’évolution des conceptions se fait lentement et de façon non linéaire, au gré des réflexions et des constats réalisés par différents membres. La Société d’acclimatation n’est d’ailleurs pas l’unique avant-garde de ce mouvement : Charles Mailles signale en 1888 que la SZF a traité des « moyens propres à empêcher la destruction complète des espèces devenues très rares » et qu’au congrès de 1887 de l’Association française pour l’avancement des sciences un vœu a été émis en ce sens106.

Un éveil à nuancer

66L’émergence des idées de protection de la nature au sein de la Société sur la période 1850-1890 ne représente néanmoins qu’une faible part du travail, des réflexions et des actions de cette association concentrée sur l’idée d’acclimatation. De fait cette thématique n’est portée que par quelques sociétaires qui s’engagent clairement en sa faveur, et rarement par l’ensemble des membres ou par la Société, même s’ils ne s’opposent pas à ces idées. Les noms de L. Turrel, de M. de Confevron, de M. Millet reviennent fréquemment dès qu’il est question de dénoncer une destruction ou de proposer une protection. Or, ces personnages étonnent par leur diversité : en dehors de l’adhésion à la Société et d’un certain attrait pour les sciences naturelles, rien de commun ne paraît les lier. M. de Confevron, que l’on pourrait désigner comme un amateur éclairé, est receveur des impôts. M. Millet est inspecteur des Eaux et Forêts. L. Turrel est secrétaire général de la société d’horticulture et d’acclimatation du Var. M. Raveret-Wattel est attaché au cabinet du ministre de la Guerre. M. Rufz de Lavison est médecin, ancien conseiller général de la Martinique, professeur agrégé à la faculté de médecine de Paris. La protection de la nature ne serait donc pas le reflet d’un lieu, d’un milieu social ou d’un groupe socioprofessionnel bien identifié mais le fruit d’une démarche personnelle.

67Ces questions ne font pas l’unanimité. Tous les sociétaires s’accordent à déplorer les disparitions ou raréfactions d’espèces mais la question des causes des destructions s’avère plus sensible même si la responsabilité de l’homme et du progrès industriel est rarement niée. La part que d’autres espèces peuvent prendre dans ces disparitions est un sujet récurrent de débat. Les divergences s’approfondissent encore quand on évoque les conceptions du monde : ordre divin (« providentiel ») ; équilibre « naturel » ; équilibre créé pour l’Homme et qui ne peut se maintenir que par lui ; usage anthropique exclusif (utilitarisme « ultra » pourrait-on dire) ; priorité à l’industrialisation ou à la conservation ; etc. Les points de vue exprimés dans le Bulletin sont très variés, souvent contraires : la Société d’acclimatation ne garde son unité que parce que la protection de la nature n’est pas un sujet central. Une certaine unanimité semble exister sur les solutions : l’État et la loi doivent agir. En revanche, les divergences demeurent quant aux mesures proposées : laisser-faire la « nature » ou action de l’homme ?

68Cette remise en perspective de la place des idées favorables à la protection au sein de la Société permet de prendre conscience des difficultés qu’elles rencontrent pour émerger et ainsi de mesurer la force des évolutions qui demeurent avant tout qualitatives en cette fin de XIXe siècle. À force de constats, de débats, l’ensemble des sociétaires est progressivement sensibilisé aux questions de protection. La Société d’acclimatation n’est pas seule à les connaître, la SPA est également un lieu important d’expression d’opinions favorable à la protection des animaux, sur les mêmes thèmes que ceux développés par sa consœur savante dans les années 1850-1860. Ensuite, la SPA se concentre sur les cas d’animaux domestiques, laissant la défense des sauvages à d’autres, plus naturalistes peut-être. Ainsi dans les années 1890, le Bulletin de la SPA ne fait plus que rarement mention des oiseaux, de la chasse, du problème du dépeuplement des cours d’eau et encore moins des extinctions ou de la notion d’équilibre naturel.

Agir pour protéger la nature au XIXe siècle

  • 107 Rufz de Lavison, op. cit., 1859 ; Salles C., op. cit., 1861.
  • 108 Duméril Auguste, « Questionnaire sur les Vipères de France rédigé au nom d’une commission », Bull. (...)

69Penser la protection de la nature est une chose mais mettre en application des solutions pour la rendre effective en est une autre et la question des actions s’avère bien délicate. Comme pour l’acclimatation, la Société agit d’abord en tant que société de savants. Elle rend compte et accompagne donc des recherches qui touchent à la protection, souvent de façon indirecte : à l’occasion de l’étude de la tortue du point de vue de l’alimentation, on explique son écologie et ses comportements de reproduction et on dénonce les destructions causées par l’homme tout en proposant des mesures de protection107. D’autres travaux sont plus explicitement liés à la protection. Ainsi, la Société diligente des enquêtes afin de recueillir des informations quantitatives sur certaines espèces, comme les vipères108. Le 24 juin 1859, elle publie le questionnaire qu’elle a décidé d’adresser à tous les membres, sociétés affiliées ou savantes, aux conseils généraux et conservateurs des forêts. Les premières questions s’intéressent à des renseignements proprement scientifiques : espèces, répartition, habitats, comportement, alimentation. Dès la septième question et jusqu’à la fin du questionnaire, les rédacteurs entrent dans le débat utile/nuisible. Si la plupart des items sont plutôt neutres et cherchent à définir précisément l’utilité et la nuisibilité des vipères, d’autres semblent avoir déjà tranché le débat dans le sens de leur dangerosité et donc de leur destruction.

Vulgarisation et éducation

70Comme pour l’acclimatation, la Société souhaite diffuser ses travaux et ses positions, notamment auprès des populations agricoles et rurales. Les oiseaux insectivores en sont un très bon exemple. À plusieurs reprises, on trouve dans le Bulletin des appels similaires à celui lancé par L. Turrel en 1861 :

  • 109 Turrel L., « Protection... », op. cit., 1861, p. 269.

« Que tous les propriétaires, les pères, les mères, les instituteurs et les institutrices usent donc de leur influence pour protéger les nids des petits oiseaux [contre les enfants dénicheurs]109. »

71Le même auteur propose aux lecteurs d’agir eux-mêmes en installant des nichoirs sur leurs propriétés pour favoriser la reproduction des espèces insectivores.

  • 110 Turrel L., « Procès-verbal de la séance du conseil du 23 novembre 1860 », Bull. SIZA, 1860, p. 620
  • 111 Pruns Marquis de, « Procès-verbal de la séance du conseil du 21 août 1874 », Bull. SA, 1874, p. 52 (...)

72La Société se préoccupe également de recommander des ouvrages destinés aux instituteurs et à la jeunesse. En 1860, le docteur Turrel conseille par exemple l’ouvrage de Frédéric de Tschudi Les Insectes nuisibles et les Oiseaux, discours sur l’utilité des oiseaux, dédié à la jeunesse. Le titre est clair ; l’objectif tout autant110. À travers l’éducation des enfants, la Société cherche à prévenir la destruction des nids, des œufs et des jeunes. Dans le même souci d’éducation des enfants modestes, M. le marquis de Pruns recommande « qu’il soit donné aux prix les plus modestes, soit aux bibliothèques communales et scolaires, soit encore aux instituteurs dans les mêmes conditions, des ouvrages sur la protection des animaux, oiseaux et autres animaux utiles, et sur ceux qui sont à détruire111 ».

  • 112 Magasin Pittoresque, 1877, p. 28.
  • 113 Cans, op. cit., p. 45.

73L’exemple de la Société d’acclimatation n’est pas isolé à cette époque. En 1877 par exemple, le Magasin Pittoresque, magazine à grand succès d’Edouard Charton, sorte d’encyclopédie populaire, souhaite que « les jardiniers et les agriculteurs se décident à épargner et à protéger leurs véritables auxiliaires [les insectes dévoreurs de chenilles], au lieu de les sacrifier sans pitié en obéissant à ces instincts de destruction qu’a si fort à cœur l’ignorance112 ». Autre exemple, un instituteur de Pont-de-Mauvert (ou Pont-de-Montvert) en Lozère crée dès 1888 une « Société pour la protection des oiseaux et la destruction des insectes nuisibles113 ». La Société protectrice des animaux elle aussi se préoccupe fortement de cette question ainsi que les pouvoirs publics. Monseigneur Donnet, archevêque de Bordeaux, s’illustre particulièrement dans la défense de cette cause :

  • 114 Monseigneur Donnet cité par Turrel L., « Protection... », op. cit., 1861, p. 269.

« C’est aux premiers jours de printemps que les petits maraudeurs de chacun de vos villages ou des faubourgs de vos cités prennent leur essor vers les bois, pénètrent dans les saussaies, courent le long des haies à la découverte des nids. Ils fouillent dans les buissons, dans le creux des arbres, dans les fentes des rochers ; une couvée rencontrée par ces jeunes Attilas est fatalement destinée à périr114... »

74Le ministère de l’Instruction publique se montre sensible à la question de la protection des oiseaux et autres animaux utiles.

Informer les pouvoirs publics

75La Société d’acclimatation entend jouer le rôle d’informateur privilégié des pouvoirs publics qu’ils soient locaux ou nationaux. Dès qu’un problème est identifié, la Société s’empresse d’en appeler aux autorités, souvent de manière incantatoire. À peu près tous les articles ou procès-verbaux traitant de la protection de la nature comportent un appel du type de celui de L. Turrel dans son étude relative à la « protection aux Oiseaux » :

  • 115 Turrel L., op. cit., 1861, p. 273.

« Les Sociétés impériales d’acclimatation, d’agriculture et protectrice des animaux n’auront rempli leurs devoirs complètement que lorsqu’elles auront obtenu du gouvernement : 1) la prohibition des chasses aux gluaux et aux filets [...] ; 2) la protection aux insectivores par des amendes infligées aux destructeurs de nids ; 3) la destruction [des nuisibles]115. »

  • 116 « Procès-verbal de la séance générale du 30 mai 1873 », Bull. SA, 1873, p. 435.

76Parfois, l’appel à l’autorité va au-delà de la simple incantation de pure forme. En effet, la Société d’acclimatation dénonce régulièrement auprès des administrations les abus qu’elle peut constater et en demande réparation. Lors de la séance générale du 30 mai 1873, le docteur Blain des Cormiers « signale la destruction d’oiseaux insectivores faite sur une large échelle dans les départements de la Meurthe ». Il demande que la Société intervienne auprès des administrations compétentes et propose en l’occurrence de rédiger une note à l’attention des ministres de l’Intérieur et de l’Agriculture116. Deux mois plus tard, la réponse du ministre de l’Intérieur, M. Beulé, est publiée in extenso. En dehors des habituelles formules de politesse, un passage de sa lettre est particulièrement intéressant :

  • 117 Charles Ernest Beulé (1826-1874) cité dans « Procès-verbal de la séance du conseil du 25 juillet 1 (...)

« Un de mes prédécesseurs a cru devoir accorder une plus grande latitude pour les chasses. [...] Des abus ont pu se produire, mais ils sont la conséquence de la situation anormale produite par la présence des troupes étrangères [allemandes] ; or, comme l’évacuation du territoire sera bientôt complète, il n’existera plus de motif pour prolonger un état de choses qui était essentiellement exceptionnel. J’aviserai donc, en temps opportun, à ce qu’il soit fait une révision des arrêtés préfectoraux, de manière à atteindre et à réprimer les abus de l’espèce. Vous constaterez, d’ailleurs, monsieur le président, que la conservation des oiseaux insectivores a été l’objet d’une recommandation spéciale dans ma circulaire du 20 juin dernier, que j’ai l’honneur de vous communiquer comme pouvant intéresser la Société d’acclimatation117. »

  • 118 « Procès-verbal de la séance générale du 26 avril 1878 », Bull. SA, 1878, p. 268.
  • 119 « Procès-verbal de la séance générale du 1er avril 1887 », Bull. SNAF, 1887, p. 316-317.

77Une autre façon d’interpeller la puissance publique est de lui adresser des rapports associés à des vœux. Ces études, à fort contenu scientifique, se veulent des éléments de preuve pour appuyer les recommandations et infléchir les arbitrages ministériels. Ainsi, le 26 avril 1878, un travail de M. Millet sur les oiseaux insectivores est adressé aux ministres de l’Intérieur, de l’Agriculture et du Commerce118. Il est accompagné d’un vœu voté en séance et soulignant la nécessité de protéger ces espèces, au vu de leur utilité. De même, le 1er avril 1887, le ministre de la Marine et des Colonies écrit à la Société pour « accuser réception [d’une] lettre datée du 9 mars courant, faisant envoi de vingt exemplaires d’un travail de M. Berthoule, sur la disparition progressive des bancs de Sardines qui fréquentaient autrefois nos côtes119 » et indique qu’il la transmet à la commission ministérielle en charge de ce problème.

78L’étude et la diffusion des informations, qui tiennent pour une large part au caractère scientifique de l’association, sont largement utilisées par la Société, mais ne débouchent pas sur des réalisations ou des conséquences concrètes en matière de protection. Le schéma est trop souvent le suivant : on constate une perturbation ; on l’analyse ; on en informe qui de droit, en lui proposant une solution... et on en reste là. Au contraire de l’acclimatation qui fait l’objet d’attentions suivies et de réalisations concrètes.

Des relations avec l’État révélées par le cas du dépeuplement des cours d’eau

  • 120 « Procès-verbal de la séance générale du 30 avril 1869 », Bull. SIZA, 1869, p. 333-334.
  • 121 Millet, « Études sur les oiseaux voyageurs et migrateurs et sur les moyens de les protéger », Bull (...)
  • 122 Duméril Auguste, op. cit., 1859.

79La Société d’acclimatation ne se cantonne pas à un rôle d’informateur, de diffuseur d’opinions, voire d’expert. Par des interventions fréquentes en direction de l’État, elle cherche à adapter la réglementation à ses propres objectifs et ainsi corriger les abus constatés. Elle s’appuie pour cela sur les relations privilégiées qu’elle entretient avec les pouvoirs publics. Napoléon III, dès 1854, est particulièrement attentif au devenir de la Société qu’il a accepté de patronner et à ses projets d’acclimatation mais aussi à une certaine protection de la nature : il fait ainsi installer, avec le concours de la Société, des nichoirs dans ses jardins120. Il n’est pas le seul à soutenir le travail de la Société comme l’attestent les captures d’oiseaux effectuées à des fins scientifiques, autorisées spécialement par divers préfets sur ordre du ministre de l’Intérieur, suite à une demande de la Société121. La présence de M. Drouyn de Lhuys, à la fois ministre des Affaires étrangères et président de la Société, facilite grandement les relations avec les administrations. Autre exemple, de nombreux préfets, sous-préfets et conservateurs des forêts répondent à l’enquête sur les vipères de France lancée par la Société en 1859122.

  • 123 La responsabilité de la pêche fluviale est retirée aux Eaux et Forêts et confiée aux Ponts et Chau (...)

80Le cas le plus révélateur et le mieux documenté reste celui du dépeuplement des cours d’eau. Pour apporter une solution à ce problème, les naturalistes de la Société sensibilisent et collaborent de diverses manières avec les pouvoirs publics, principalement ici le ministère des Travaux publics et des ingénieurs123. En 1856, une commission rédige un rapport sur cette question et, afin que ses propositions ne restent pas lettre morte, décide de l’envoyer aux ministres des Finances, de la Marine et de l’Agriculture ainsi qu’à tous les préfets et aux autres fonctionnaires concernés. Car :

  • 124 Millet Charles et al. (1856), « Rapport sur les mesures à prendre pour assurer le repeuplement des (...)

« Il ne suffit pas [...] d’élaborer dans le silence du cabinet et de venir produire en assemblée générale les mesures les plus propres à améliorer l’état bien déplorable de la plupart de nos cours d’eau au point de vue de la production du poisson. Il faut, par tous les moyens qui sont en notre pouvoir, appeler la sollicitude du gouvernement et l’attention des propriétaires et des consommateurs sur l’opportunité et même l’urgence de l’application de ces mesures124. »

81La Société entend jouer un rôle d’expert et d’informateur, facilité par la présence en son sein d’ingénieurs, notamment des Ponts et Chaussées (six par exemple en 1895). Par l’étude de ce cas se révèle ainsi la nature des relations entre État et savants sur un sujet précoce de protection de la nature car il s’agit de conserver le « sauvage », certes dans une perspective utilitariste.

82La 1e solution consiste à réglementer les activités humaines afin de limiter la surexploitation, ce qui permet de faire entrer les cours d’eau et les poissons dans un corpus législatif et réglementaire, donc de les soumettre à l’humain. Pourtant les lois sont nombreuses et existent depuis longtemps. Dès le XIIIe siècle, les rois ont interdit l’emploi d’engins de pêche trop destructeurs. L’ordonnance d’août 1669 sur les eaux et forêts a codifié les très nombreux textes locaux en établissant des périodes d’interdiction, en dressant une nomenclature d’engins prohibés, en fixant les modalités du droit de pêche, en interdisant d’empoisonner les cours d’eau. Le 25 avril 1829, un code de la pêche fluviale est voté afin d’assurer la protection des cours d’eau et du poisson à des fins strictement économiques et sociales, en remplacement de l’ordonnance de 1669.

  • 125 Millet Charles (1865), « Rapport sur les mesures relatives à la conservation et à la police de la (...)
  • 126 Amédée Berthoule est également membre du Comité consultatif des Pêches maritimes. Il est accompagn (...)
  • 127 « Procès-verbal de la séance de la troisième section du 3 février 1880 », Bull. SA, 1880, p. 162-1 (...)
  • 128 « Procès-verbal de la séance générale du 24 janvier 1879 », Bull. SA, 1879, p. 60-62 et AN, F/14/1 (...)
  • 129 Selon une note en date du 10 juin 1882 présente dans les archives du ministère des Travaux publics (...)

83Or les savants, mais aussi les pêcheurs, pèsent sur l’élaboration de la réglementation. On peut citer par exemple la loi du 31 mai 1865 dont Charles Millet dit que « les dispositions essentielles [...] ont été puisées dans le rapport [de 1856 de la Société d’acclimatation]125 ». La comparaison des propositions de ce rapport et du texte de loi fait apparaître une forte proximité dans les constats, les analyses et les dispositions. Autre exemple, le 15 novembre 1886, une commission est constituée pour examiner la révision de la réglementation de la pêche au saumon (Salmo salar). Parmi les neuf personnes qui la composent, on trouve trois membres de la Société dont son secrétaire général Amédée Berthoule126. L’avis de la commission est validé par le Conseil d’État et le décret est signé par le Président de la République le 17 décembre 1889. L’État s’avère attentif aux avis de la Société, qui peut se féliciter publiquement de toutes les nouvelles mesures, ce qui ne l’empêche pas de critiquer certaines décisions administratives : le 3 février 1880, sa section de pisciculture demande ainsi la modification de trois arrêtés pris par le préfet de Savoie127. Cette autorité reconnue de la Société d’acclimatation incite même certains à solliciter son soutien. Ainsi, en 1879, l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées d’Épinal, M. Gauckler, reconnu comme un spécialiste des questions relatives à la pêche, demande à la Société d’intervenir au plus haut niveau de son ministère afin d’obtenir une nouvelle loi sur la pêche du saumon beaucoup plus ferme sur les interdictions, la surveillance et les sanctions. En effet, ses propositions de durcissement du décret du 10 août 1875 relatif à la pêche fluviale se heurtent alors à un blocage de la commission en charge de les examiner et notamment de son président, l’ingénieur en chef de Fourcy, qui ne voit pas l’intérêt de modifier cette législation128. Il écrit même au directeur de la Navigation que lui-même et les autres inspecteurs généraux de la commission ont d’autres préoccupations, plus « urgentes ». La conclusion de ces tensions est qu’à la fin de 1881 M. de Fourcy est remplacé par l’ingénieur en chef Rozat de Mandres129 mais le décret ne sera modifié qu’en 1889 et abrogé en 1897. La longue liste des lois produites tout au long du XIXe siècle, est un bon indice des difficultés de gestion de la pêche et de la protection du milieu aquatique, de la faible efficacité des actions législatives et réglementaires ainsi que du décalage qui semble exister entre les textes et la réalité du terrain. On s’interroge alors : faut-il durcir la loi ? L’adoucir au contraire pour la faire réellement appliquer ? Les plaintes persistent sur toute la période ; le dépeuplement se poursuit ; la question de l’application de la loi revient sans cesse. Ainsi émerge un besoin de réalisation pratique et non plus seulement de règles théoriques.

84La réserve de pêche est une autre façon ancienne d’agir. Pensée sur le modèle de la réserve de chasse, il s’agit d’une portion de cours d’eau où la pêche est interdite ce qui permet de mettre hors de convoitise la ressource et essentiellement ses capacités reproductives (zones de frai). L’idée est simple : on compte sur la résilience de la nature car on considère que, livrée à elle-même, elle est auto-réparatrice et abondante. Ces réserves aboutissent à un partage de l’usage des cours d’eau en prenant en compte les besoins des poissons, mais toujours dans une finalité utilitariste. Préconisées par les savants, elles sont encadrées par la loi du 31 mai 1865 et créées par décret pour cinq années consécutives. Mais la réserve s’avère poser autant de problèmes qu’elle n’en résout : elle ne permet pas de garder le poisson, ni d’empêcher la pollution. Les surfaces interdites de pêche sont très réduites car en butte à d’importants enjeux d’usage et de propriété.

  • 130 AN, F/10/1762 : Note remise à M. Magne, ministre du Commerce, de l’Agriculture et des Travaux publ (...)

85Ces premières actions, nombreuses au cours du XIXe siècle, consistent de fait en un laisser-faire à peine encadré à la marge et en l’espoir d’une résilience naturelle. Leur efficacité réduite ne satisfait pas les savants et les pouvoirs publics, qui se tournent alors vers d’autres solutions, techniques, fondées sur de vraies nouveautés scientifiques et bien insérées dans l’idéologie du « progrès » : il y a moins de poissons donc il en faut plus (idée du repeuplement) ; les cours d’eau sont barrés pour les poissons de valeur (migrateurs) donc il faut recréer de la continuité. En 1842, un certain Rémy, pêcheur de La Bresse (Vosges), et son compagnon Géhin, « croyant les ruisseaux où ils pêchaient entièrement dépeuplés, eurent la pensée qu’ils pourraient faire éclore artificiellement le poisson, et recouvrer de sorte leurs moyens d’existence130 ». Les autorités tant scientifiques qu’administratives y voient un moyen efficace pour lutter contre le dépeuplement des eaux. La collaboration des ingénieurs des Ponts et Chaussées et des Eaux et Forêts ainsi que de la Société d’acclimatation (entre autres naturalistes) est acquise à ces tentatives qui se développent sous le Second Empire puis la IIIe République. Victor Coste, sociétaire et proche de Napoléon III, est incontournable dans cette histoire des aquacultures françaises car il bénéfice d’un grand soutien financier et institutionnel qui lui permet de mettre en œuvre la maîtrise de la reproduction des espèces. Ainsi, la pisciculture d’État d’Huningue est créée par décision ministérielle le 5 août 1852 : sa mission est de coopérer au repeuplement des eaux douces françaises, aussi bien publiques que privées, par la distribution d’œufs fécondés et d’alevins de truite, saumon et omble. La pisciculture connaît un deuxième souffle dans les années 1880-1910 avec Jousset de Bellesme, directeur de l’Aquarium du Trocadéro à Paris et membre de la Société d’acclimatation, l’établissement d’Huningue tombant sous contrôle allemand après la défaite de 1870.

86La particularité de cette technique du repeuplement est qu’elle repose sur une conception qui ne fait pas agir contre un dépeuplement que beaucoup considère comme inéluctable voire comme une conséquence inévitable d’un progrès bénéfique à l’humanité mais pour corriger les conséquences défavorables à l’homme. Les savants et l’administration travaillent en étroite association sur cette question et le « repeuplement » est une belle réussite technique. La prise de conscience de ses limites ne tarde pas et les critiques sont variées : faiblesse des possibilités techniques face à l’ampleur des destructions ; nécessité de conserver les populations existantes ou issues d’alevinage ; critiques des repeuplements en espèces « nobles » (saumons, truites) alors que l’on ne s’est pas assuré qu’ils trouveront suffisamment d’aliments (chaîne alimentaire) ; critique de l’introduction d’espèces allochtones (figure 14). Malgré l’ampleur des moyens investis par l’État, la pisciculture ne parvient pas à être une solution suffisante au problème du dépeuplement.

Fig. 14. – Essai d’acclimatation de requins dans la Seine (Dessin d’Honoré Daumier publié dans Le Charivari le 31 mars 1856. (Photo Robert D. Farber University Archives & Special Collections Department, Brandeis University.)

  • 131 Raveret-Wattel C., « Les poissons migrateurs et les échelles à saumons », Bull. SNAF, 1884, p. 14- (...)
  • 132 « Procès verbal de la séance générale du 24 avril 1885, Bull. SIZA, 1885, p. 251.
  • 133 AN, F/14/13614, législation de la pêche.
  • 134 AN, F/14/13615, législation de la pêche.
  • 135 « Procès-verbal de la séance générale du 2 avril 1886 », Bull. SIZA, 1886, p. 279.
  • 136 « Procès-verbal de la séance générale du 24 décembre 1886 », Bull. SIZA, 1887, p. 54-55.

87La seconde solution technique proposée par la Société provient d’une meilleure connaissance de la biologie des poissons migrateurs. Comme pour la pisciculture, l’intérêt concerne essentiellement le saumon mais aussi l’alose et l’anguille. Le constat est fait que les barrages « stérilisent » des portions entières de cours d’eau en empêchant les migrateurs de se reproduire sur les biefs amont. Pour rétablir les populations de ces poissons, il convient donc de restaurer les parcours. Or, en ce siècle de progrès, personne ne songe à s’opposer à la construction d’un barrage : il s’agit donc d’aménager les seuils existants ou à venir afin de concilier la pêche d’un côté et l’industrie et la navigation de l’autre côté. Ce sujet est abondamment discuté dans les milieux savants d’abord pour imposer l’idée qu’il existe des poissons migrateurs, ensuite pour définir le modèle d’échelle le plus efficace, enfin pour imposer ces passes à tous les barrages. Cette disposition est intégrée dans la loi du 31 mai 1865. Là encore la Société d’acclimatation apparaît comme un expert. Des tirages de l’article publié en 1884 par C. Raveret-Wattel sur les échelles à poissons131 sont commandés par différentes administrations : le ministre de la Marine et des Colonies en commande vingt-cinq exemplaires, le ministre de l’Agriculture cent, etc. Ce rapport a également du succès au niveau local. Ainsi l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées du département de la Manche en commande cinq pour les « ingénieurs chargés de l’étude des projets d’échelle à Saumons, dont l’installation est réclamée par le Conseil général de la Manche132 », qui attribue une subvention de 1 000 francs à tout nouvel aménagement. Le 16 janvier 1890 l’inspecteur général des Ponts et Chaussées de ce département signale que les ingénieurs en charge du dossier de la Vire utilisent une échelle type Mac Donald (celle-là même qui est recommandée par M. Raveret-Wattel dans son rapport) « qui semble devoir donner des résultats satisfaisants133 ». Devant l’apparente réussite de ce dispositif (21 saumons en trois jours l’ont franchie et les saumons repeuplent la Vire jusqu’à Saint-Lô d’après l’inspecteur), il préconise d’employer le même modèle sur les douze barrages en amont de Saint-Lô. Les études et les avis techniques de la Société d’acclimatation sont suivis comme en témoignent d’autres mentions et documents. Les notes de la Société sont les seuls documents autres que produits en interne dont on trouve trace dans les archives du ministère des Travaux publics134. Ainsi, l’État, récepteur des vœux et travaux de la Société et de ses membres, et qui n’hésite pas à solliciter ses compétences, lui confère un rôle d’expertise sur ces questions de protection de la nature. Un dernier exemple concerne le barrage de Châtellerault sur la Vienne. M. Bertrand, ingénieur des Ponts et Chaussées chargé de dresser ce projet, écrit à la Société pour lui demander des informations sur les différents types d’échelles135. Par l’entremise de M. Raveret-Wattel, le projet est soumis à Marshall Mac Donald de Washington, qui y apporte quelques innovations136. La Société d’acclimatation sert ainsi d’intermédiaire entre l’administration et les savants. Mais cette solution des échelles, pour pertinente qu’elle soit, butte sur l’ampleur des transformations à l’œuvre.

Fig. 15. – Échelle à poisson modèle Mac Donald, recommandée par C. Raveret-Wattel et la Société d’acclimatation aux Ponts et Chaussées (Bull. SNAF, 1884, p. 543).

  • 137 AN, F/14/13599-13617, législation de la pêche.

88Plusieurs conclusions émergent du cas du dépeuplement des cours d’eau à la fin du XIXe siècle. Pour nombre de savants et d’ingénieurs, protéger la nature revient à réparer les actions de l’homme mais surtout à maîtriser le sauvage et à pérenniser la ressource piscicole. Les pouvoirs publics font alors appel aux savants puis aux pêcheurs à la ligne comme « experts » nationaux ou locaux, et suivent très fréquemment leurs avis. Ainsi la Société d’acclimatation est présente dans toutes les commissions mises en place par le ministre des Travaux publics sur la question de la pêche, à la fin du XIXe siècle137. L’État est sensible à cette question et cherche à la résoudre positivement. Le dépeuplement des cours d’eau est un bon exemple d’une collaboration étroite entre les sphères savantes et administratives, par ailleurs perméables, sur un thème touchant à la protection de la nature. Mais cette collaboration n’est pas systématique.

Chasse et oiseaux insectivores

89Sur la chasse et la protection du gibier et des animaux utiles, en particulier les oiseaux insectivores, les mêmes démarches, les mêmes principes d’action se retrouvent : la Société d’acclimatation examine les lois, en vigueur ou nouvelles, les critique et propose de les amender ou même fournit une nouvelle rédaction ; elle fait connaître ses démarches à tous les niveaux décisionnels et cherche à peser dans le débat.

  • 138 Turrel, « Des moyens... », op. cit., 1865, p. 519.

90En 1865, L. Turrel examine les « moyens les plus efficaces pour prévenir la destruction des oiseaux de passage » qui, pour lui, sont « la police de la chasse, la protection des nids, la destruction des animaux nuisibles, assurés et garantis par des mesures d’ordre public européen, et des conventions internationales138 ». En 1870, juste avant la guerre franco-prussienne, M. Millet présente, en tant que rapporteur de la section des oiseaux, une série de propositions concernant la chasse des oiseaux de passage :

  • 139 Millet C., « Chasse des oiseaux de passage », Bull. SIZA, 1870, p. 556.

« [La section demande que] la loi du 3 mai 1844 soit, le plus promptement possible, révisée dans le sens de la conservation de ces précieuses espèces [i. e. les oiseaux insectivores], et qu’à l’avenir, les préfets ne soient plus investis du droit de prendre des arrêtés pour en autoriser la destruction139. »

91Ce rapport, validé par la Société, est largement diffusé :

« [La Société décide d’adresser ce rapport] aux présidents du Sénat, du Corps législatif et du conseil d’État, aux ministres de l’Intérieur, de l’Agriculture et du Commerce, aux préfets des départements, aux présidents des conseils généraux et des Chambres consultatives d’agriculture, ainsi qu’aux Sociétés d’agriculture les plus importantes. »

  • 140 « Procès-verbal de la séance des sections du 7 mai 1878 », Bull. SA, 1878, p. 438.

92Plusieurs conseils généraux expriment leur soutien. D’autre part, comme pour la pêche, la Société critique les décisions administratives locales ou nationales qui lui semblent néfastes. En 1878 par exemple, la section « oiseaux » formule un vœu pour demander la suppression de tous les arrêtés préfectoraux qui classent l’alouette nuisible140.

93Cependant, si la Société avait apparemment orienté la rédaction de la loi sur la pêche de 1865 et peut-être favorisé son aboutissement, il n’en est pas de même pour la révision de la loi de 1844 sur la chasse. Bien que cette question la préoccupe tout aussi fortement, elle ne parvient pas à faire adopter une nouvelle loi ni même à transformer l’existante dans un sens conforme à ses souhaits. Les dispositions les plus décriées par la Société d’acclimatation perdurent.

94Ainsi, dans son action en faveur de la protection de la nature, la Société d’acclimatation met surtout l’accent sur les enjeux législatifs, réglementaires et administratifs. L’efficacité en paraît bien incertaine car l’association ne cesse de dénoncer des destructions qu’elle estime de plus en plus importantes, y compris quand elle a obtenu des modifications significatives de la réglementation.

95Pendant longtemps, la Société d’acclimatation ne conçoit son action que dans les deux cadres stricts que sont l’étude scientifique et l’intervention au niveau de l’État, tout en cherchant une diffusion plus large de ses idées. Sur le terrain, ses actions prennent la forme de différentes recherches menées par les membres qui permettent de faire progresser la compréhension des espèces et d’éclairer le débat sur l’utilité. Mais pour modifier la situation, pour faire cesser les destructions et assurer la protection souhaitée, l’association n’envisage jamais d’autre action que celle d’en appeler à l’État. Reconnue par les pouvoirs publics, bien considérée par son statut savant et sa renommée tout autant que par les appuis dont elle dispose, elle peut raisonnablement espérer obtenir satisfaction, au moins partiellement, par ce mode d’action. Le cas du dépeuplement des cours d’eau montre qu’effectivement elle parvient à faire modifier les lois dans le sens qu’elle souhaite tout en étant associée aux réflexions de l’administration.

  • 141 Lejeune Dominique, op. cit.

96Ces formes d’action sont parfaitement dans la norme des sociétés savantes telle qu’en rend compte Dominique Lejeune141. Elles agissent d’abord « par l’élection d’un président prestigieux, qui a un passé et de l’entregent ». Avec Edouard Drouyn de Lhuys, la Société réalise même le rêve de toutes les sociétés savantes : « Avoir quelque ministre comme président. » Ensuite les subventions et les échanges symboliques sont la « base des relations entre société savante et pouvoirs publics ». L’influence sur le gouvernement et l’administration se réalise en utilisant ses membres, par l’expertise et en fréquentant les décideurs (sociabilité des élites, réseaux).

97Toutefois, au fur et à mesure que le temps s’écoule, des voix se font entendre de plus en plus fortement pour dénoncer l’inefficacité de telles actions sur la situation réelle de la nature en France et dans le monde. Un débat prend corps au sein de la Société d’acclimatation à la fin du XIXe siècle et au tout début du XXe pour savoir comment agir efficacement, et donc autrement.

Notes

1 Grove, op. cit., 1992 et « La naissance de l’écologie », Les Cahiers de Science et Vie, 50, avril 1999, p. 90-96.

2 Philibert Commerson est un botaniste formé par Linné. Il accompagne en tant que botaniste royal Bougainville. Il accepte en 1768 le poste de botaniste d’État à l’île Maurice.

3 Bernardin de Saint-Pierre est un ingénieur. Choqué par la déforestation de l’île Maurice où il retrouve Philibert Commerson, il recherche une harmonie parfaite entre les hommes et la nature. Il prône notamment la conservation des ressources naturelles pour réaliser cette symbiose.

4 Gouverneur de l’île depuis 1767, Pierre Poivre est un physiocrate qui souhaite appliquer les connaissances scientifiques à la gestion du territoire. D’abord missionnaire jésuite, il a étudié la sylviculture et l’horticulture aux Indes et en Chine puis s’est intéressé à la protection des jardins botaniques et des forêts dans la colonie hollandaise du Cap.

5 Cans, op. cit., p. 27-29.

6 Geoffroy Saint-Hilaire Isidore, op. cit., 1861, p. 118-125.

7 L’insecte est considéré comme la 8e plaie d’Égypte (Exode 10 : 13-14,19). Cette référence est communément employée par les défenseurs des oiseaux insectivores à la fin du XIXe siècle.

8 À propos de la SPA, « Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, président de [la Société d’acclimatation] est membre de son conseil d’administration. Auguste Duméril [...], secrétaire de la Société d’acclimatation, devient son secrétaire général en 1856. Son siège est transféré l’année suivante dans le local de [la Société d’acclimatation], tandis que des commissions communes sont créées, notamment pour la défense des oiseaux insectivores. En 1861, cinq membres (sur douze) du bureau de la société d’acclimatation sont adhérents à la SPA, dont Guérin-Méneville, qui est son vice-président. Les idées de Geoffroy Saint-Hilaire sont diffusées dans le Bulletin de la SPA et rencontrent un bon écho, parce qu’il leur donne une dimension morale qui s’accorde avec la pensée protectrice : tous les animaux se doivent à l’homme, en se soumettant, en lui donnant le travail et la vie, et celui-ci leur doit en retour le respect, la justice et la compassion » (Baratay et Hardouin-Fugier, op. cit., p. 208-209). Claude Blanckaert évoque également la très grande proximité entre SPA et Société d’acclimatation (« Les animaux « utiles » chez Isidore Geoffroy Saint-Hilaire : la mission sociale de la zootechnie », Revue de synthèse, 113, juillet-décembre 1992, p. 347-382).

9 Jonquières-Antonelle Henri de, « Note sur la destruction par l’homme de quelques espèces animales qui lui sont utiles », Bull. SIZA, 1857, p. 79-90.

10 Jonquières-Antonelle Henri de, « De la chasse au point de vue de la destruction des oiseaux », Bull. SPA, p. 27-32 et 134-140.

11 Miot Henri, Les insectes auxiliaires et les insectes utiles, Paris, Librairie agricole, 1870, 101 p.

12 Geoffroy Saint-Hilaire Isidore, Acclimatation..., op. cit., 1861, p. 124.

13 Député de l’Aveyron au Corps Législatif et sociétaire.

14 Girou de Buzareingues L., « Note sur la conservation des oiseaux insectivores », Bull. SIZA, 1857, p. 263-265.

15 Karr Alphonse, Les animaux nuisibles et ceux qui sont faussement réputés tels, Paris, Blanchard, 1856, 26 p.

16 MNHN, Bibliothèque centrale, Ms 2278, Émile Oustalet, Congrès ornithologiques internationaux.

17 Turrel L., « Procès-verbal des séances du conseil », Bull. SIZA, 1861, p. 518.

18 Esterno comte d’, « Procès-verbal de la séance générale du 20 décembre 1861 », Bull. SIZA, 1861, p. 621.

19 Hubert-Brierre A., « Rapport au nom des 2e et 5e sections réunies en commission », Bull. SIZA, 1862, p. 357.

20 Sa nécrologie parue en 1870 dans L’année scientifique et industrielle (année 1870-1871) p. 530 le définit comme « collaborateur et élève d’Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, aide-naturaliste au Muséum, auteur d’ouvrages estimés sur l’histoire naturelle des oiseaux... » Florent-Prévost aurait fait paraître en 1864 une Histoire naturelle des Oiseaux d’Europe.

21 Hubert-Brierre A., op. cit., p. 361.

22 Annales de la Société linnéenne de Maine-et-Loire, 1868, p. 95 puis p. 117 sq.

23 « Procès-verbal de la séance générale du 18 février 1876 », Bull. SA, 1876, p. 116-117.

24 August Christoph Carl Vogt (1817-1895) est un naturaliste et médecin suisse d’origine allemande, professeur de zoologie à Genève. Il mène des travaux notamment sur les batraciens et soutient les théories évolutionnistes de Darwin.

25 Vogt Carl, Leçon sur les animaux utiles et nuisibles. Les bêtes calomniés et mal jugées, Paris, Reinwald, 1867.

26 Pigeaux, « Utilité des Animaux dits nuisibles », Bull. SIZA, 1862, p. 807-808.

27 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 6 avril 1888 », Bull. SNAF, 1888, p. 469.

28 Micoud André, op. cit., 1993, p. 88.

29 Félix-Édouard Guérin-Méneville (1799-1874), entomologiste français est un des fondateurs de la Société d’acclimatation. Il est l’auteur de près de 400 publications sur les insectes et préside en 1846 la Société entomologique de France. Il fonde plusieurs revues dont le Magasin de zoologie, d’anatomie comparée et de paléontologie (1830), la Revue zoologique par la Société cuviérienne (1838), la Revue et Magasin de zoologie pure et appliquée (1849) et la Revue de sériciculture (1863).

30 MNHN, Bibliothèque centrale, Ms 2433, Papiers de Félix-Édouard Guérin-Méneville, Entomologie appliquée, Insectes nuisibles.

31 Turrel L., « Protection aux oiseaux », Bull. SIZA, 1861, p. 194.

32 Miot Henri, op. cit., 1870, p. 2.

33 À cette date, Albert Cretté de Palluel (1844-1905) est membre de la 2e section (ornithologie) ; secrétaire-adjoint et conservateur des collections d’histoire naturelle de la SPA ; membre titulaire de la Société des amis des sciences naturelles de Rouen.

34 Cretté de Palluel Albert, « Mémoire sur les oiseaux acridiphages ou mangeurs de sauterelles », Bull. SIZA, 1868, p. 257-267. Le même article est publié dans le Bull. SPA en 1868, p. 366 sq.

35 Deléage Jean-Paul, Une histoire de l’écologie, Paris, Seuil, 1993, p. 36.

36 Albert Cretté de Palluel tempère cependant cette vision par la réalité des faits : « N’oublions pas aussi que si nous ne pouvons pas nous passer des animaux, eux peuvent parfaitement se passer de nous », op. cit., p. 258.

37 Dans la « liste générale des membres » de 1884 ainsi que dans celle de 1885, M. de Confevron est indiqué comme « ancien receveur particulier des finances » et sa résidence est à Langres (Haute-Marne) en 1884 puis à Flagey par Longeau (Haute-Marne) en 1885. Il n’a donc a priori aucun lien, d’un point de vue professionnel, avec le milieu de la recherche scientifique.

38 Confevron M. de, « Procès-verbal », Bull. SA, 1879, p. 709.

39 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 16 mars 1888 », Bull. SNAF, 1888, p. 398-399.

40 Fernand Lataste devient sociétaire en 1883 puis membre à vie en 1885. Il réside alors à Paris sans indication de profession. La « liste générale des membres » datée de 1895 fournit quelques indications supplémentaires même si elle est chronologiquement plus tardive. À cette date, il est « président de la Société scientifique de Chili » et « sous-directeur du musée de Santiago du Chili ».

41 Lataste Fernand, « Sur l’alimentation des rapaces nocturnes », Bull. SNAF, 1884, p. 855-856.

42 Cette commission est composée de dix membres issus pour moitié du conseil d’administration et pour l’autre moitié des sections.

43 Berthoule Amédée, « Rapport de la Commission des récompenses pour 1891 », RSNA-Bull. SNAF, 1891, p. xlviii-xlix.

44 Dajoz, op. cit., p. 102.

45 Cf. par exemple Matagne Patrick, Comprendre l’écologie et son histoire. Les origines, les fondateurs et l’évolution d’une science, Paris, Delachaux et Niestlé, 2002, p. 71-74.

46 Dajoz, op. cit., p. 8.

47 Girard Maurice, op. cit..

48 Bouvier Aimé, Les animaux de la France. Étude générale de toutes nos espèces, considérées au point de vue utilitaire, Paris, Au musée des faunes françaises, 1887, 99 p.

49 Beauregard Henri, Nos Bêtes. T. 1 : Animaux utiles. T. 2 : Animaux nuisibles ou sans utilité, Paris, Colin, 1896-1897.

50 Rué Adolphe de la, Les animaux nuisibles. Leur destruction, leurs mœurs, Paris, Firmin Didot et Cie, 1887, 311 p.

51 Delon Charles, À travers nos campagnes. Histoire des animaux et des plantes de notre pays, Paris, Hachette, 1880, 204 p.

52 Déjà noté sur la « liste générale de 1869 », Albert Cretté de Palluel est encore présent sur la « liste générale des membres de 1905 ». Ainsi, Albert Cretté de Palluel, Fernand Lataste et M. de Confevron, pour ne citer que les principaux énonciateurs de la notion d’équilibre naturel au sein de la Société, sont tous trois des contemporains. Étant dans l’impossibilité de prouver un quelconque lien entre ces hommes, on ne peut que se perdre en conjectures concernant d’éventuels réflexions communes, échanges d’idées ou filiations.

53 Au sens de participant à un mouvement visant à un meilleur équilibre entre l’homme et son environnement naturel ainsi qu’à la protection de celui-ci.

54 Au sens d’appartenant à une science dont le but est l’étude des milieux où vivent les êtres vivants ainsi que des rapports de ces êtres entre eux et avec le milieu.

55 Les oiseaux insectivores sont néanmoins pensés au sein de la SZF comme devant équilibrer la reproduction massive des insectes : en 1912, Xavier Raspail évoque ainsi « les oiseaux qui pondèrent les insectes ». Raspail Xavier, « Les nichoirs pour oiseaux et la protection des nids à l’aide d’un entourage en grillage », Bull. SZF, 1912, p. 170-179. Mais, à partir de ce point de départ, la réflexion stagne.

56 « Les scientifiques, les premiers, vont souligner les risques d’une utilisation irréfléchie des ressources naturelles » Fromageau Jérôme, « De la protection implicite à la protection intégrée », Durousseau Michel et Camproux-Dufrene Marie-Pierre, La protection de la nature. 30 ans après la loi du 10 juillet 1976, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2007, p. 19-26.

57 Dorst Jean, La nature dé-naturée, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1965, p. 11.

58 La Société d’acclimatation n’est pas seule à s’en préoccuper comme le montre le travail de Jean-François Malange, Histoire sociale des pratiques de pêche à la ligne en France de 1829 à 1941 : aux origines d’une conscience environnementale, thèse en histoire soutenue à l’université de Toulouse 2, 2011, 753 p.

59 Luglia Rémi, « Le dépeuplement des cours d’eau : un marqueur de l’émergence de la protection de la nature dans la Société d’acclimatation et en France (milieu XIXe-milieu XXe siècle) », Mathis et Mouhot (dir.), op. cit., p. 199-209.

60 Thibault Max, « Éléments de problématique du saumon atlantique en France », La restauration des rivières à saumon, Paris, INRA, 1987, p. 413-425 ; « La gestion des populations naturelles de truite commune en France analysée dans une perspective historique (1669-1986) », Baglinière J.-L. et Maisse G. (dir.), La truite : biologie et écologie, Paris, Quae-INRA, 1991, p. 239-293 ; « Aperçu historique sur l’évolution des captures et des stocks », Guéguen Jacques et Prouzet Patrick (dir.), Le saumon atlantique : biologie et gestion de la ressource, Plouzané, IFREMER, 1994, p. 175-183.

61 Delbos Geneviève, « De la nature des uns et des autres : à propos du dépeuplement des eaux marines », Mathieu Nicole et Jollivet Marcel, Du rural à l’environnement, Paris, ARF L’Harmattan, 1989, p. 50-63.

62 Thibault Max, « La redécouverte de la fécondation artificielle de la truite en France au milieu du XIXe siècle ; les raisons de l’engouement et ses conséquences », Couret A. et Ogé F. (dir.), Histoire et Animal (tome III), Toulouse, Presses de l’IEP de Toulouse, 1989, p. 205-231.

63 Sur le développement de l’aquaculture en France au XIXe siècle, on consultera utilement Levasseur Olivier, « Les cultures de l’eau : la naissance des aquacultures en France au XIXe siècle », Annales des Mines, « L’environnement... », op. cit., p. 82-90 ; « Discours et réalités autour de la naissance des activités ostréicoles en France », Frioux et Pépy (dir.), op. cit.

64 « Procès-verbal de la séance générale du 22 juin 1855 », Bull. SIZA, 1855, p. 446.

65 Mis en italique dans le texte d’origine.

66 Millet Charles, op. cit., 1856, p. 223-224.

67 Par ex. Millet Charles, « Rapport sur les mesures relatives à la conservation et à la police de la pêche », Bull. SIZA, 1865.

68 Millet Charles, « Conférences sur la pisciculture, au Jardin d’acclimatation du bois de Boulogne », Bull. SIZA, 1861, p. 569.

69 Archives départementales du Lot, 4 M 60 : Sociétés de chasse et de pêche.

70 Noirmont Baron de, « Sur quelques espèces de mammifères qui ont existé en France et qui ont disparu ou sont devenues très rares », Bull. SIZA, 1861, p. 438-447 et 484-493.

71 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 10 janvier 1879 », Bull. SA, 1879, p. 48-49.

72 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 7 avril 1879 », Bull. SA, 1879, p. 242.

73 « Procès-verbal de la séance générale du 17 avril 1856 », Bull. SIZA, 1856, p. 243.

74 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 24 janvier 1879 », Bull. SA, 1879, p. 57-59.

75 Esterno comte d’, « Rapport sur les mesures relatives à la répression du braconnage », Bull. SIZA, 1865, p. 257-262 ; Gautier J., « Rapport présenté à la Société Nationale d’Acclimatation au nom de la Commission de la chasse, le 12 mai 1882 », Bull. SNAF, 1882, p. 321.

76 Geoffroy Saint-Hilaire Albert, « Procès-verbal de la séance de la deuxième section (Oiseaux) du 19 avril 1887 », Bull. SNAF, 1887, p. 391-392.

77 Cordier F.-S., « Sur la cruauté de la chasse aux petits oiseaux dans les départements formés de l’ancienne province de Lorraine », Bull. SPA, janvier-février 1856, p. 30-38.

78 Lescuyer François, Oiseaux de passage et tendues, Paris, Baillière, 1876, 116 p. L’auteur est membre à la fois de la SPA et de la Société d’acclimatation.

79 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 10 décembre 1880 », Bull. SA, 1880, p. 727-728.

80 « Chronique générale. Nouvelles et faits divers », Bull. SNAF, 1888, p. 199.

81 Turrel L., « Des moyens les plus efficaces pour prévenir la destruction des oiseaux de passage », Bull. SIZA, 1865, p. 497-532.

82 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 12 mai 1882 », Bull. SNAF, 1882, p. 357.

83 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 10 mai 1878 », Bull. SA, 1878, p. 324-325.

84 Confevron M. de, « Causes de destruction des Batraciens », Bull. SA, 1877, p. 527-528.

85 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 24 janvier 1879 », Bull. SA, 1879, p. 57-59.

86 Confevron M. de, « Procès-verbal de la séance générale du 21 mars 1879 », Bull. SA, 1879, p. 182-183.

87 Rufz de Lavison, « Des tortues considérées du point de vue de l’alimentation et de l’acclimatation », Bull. SIZA, 1859, p. 364-377.

88 Salles C., « De la multiplication des tortues de mer dans la Méditerranée », Bull. SIZA, 1861, p. 463-468.

89 Da Silva Continho Joao Martins, « Sur les Tortues de l’Amazone », Bull. SIZA, 1868, p. 147-166.

90 Cf. Levasseur, op. cit.

91 Cloquet Jules, « Notice sur la pisciculture en France pendant l’année 1857 », Bull. SIZA, 1858, p. 47-52.

92 Jacques Marie Cyprien Victor Coste est un naturaliste français, né le 11 mai 1807 à Castries et mort le 19 septembre 1873 à Résenlieu près de Gacé (Orne). Il étudie la médecine à la Faculté de médecine de Montpellier. Il enseigne l’anatomie à l’École pratique de Paris à partir de 1836 et enseigne l’embryologie au Collège de France à partir de 1844. Il devient membre de l’Académie des sciences en 1851. En 1852, il est nommé par Napoléon III à la tête d’une mission d’études sur la production des gisements naturels d’huîtres. Sa synthèse, établie à partir d’une enquête menée notamment à Fusaro et à Marennes, paraît en 1855 sous le titre Voyage d’exploration sur le littoral de la France et de l’Italie. Proche de l’Empereur et de l’impératrice Eugénie, dont il est le médecin personnel, il est nommé Inspecteur général des pêches maritimes, poste qui sera supprimé à sa mort. Il développe des expériences d’huîtrières artificielles, notamment à Arcachon en 1859. Victor Coste crée en 1859 la station marine de Concarneau. Il est nommé président de l’Académie des sciences en 1871. Il meurt en 1873 au château de Rézenlieu dans l’Orne, aveugle, un peu oublié, et critiqué par la communauté scientifique. Son rôle de pionnier est reconnu plus tard et il est considéré comme le père de l’ostréiculture moderne.

93 Turrel L., « La pisciculture et les parcs à coquillage de la rade de Toulon », Bull. SA, 1878, p. 281.

94 Berthelot Sabin, « Des pêches à la traîne en mer et du dépeuplement de notre fond de pêche », Bull. SIZA, 1867, p. 480-500.

95 Une madrague est un grand filet fixe mis en place en permanence sur certains points du littoral pour capturer essentiellement les poissons migrateurs (thons, principalement en Méditerranée).

96 Turrel L., « La question des madragues », Bull. SA, 1872, p. 564-577.

97 « Procès-verbal de la séance générale du 13 décembre 1872 », Bull. SA, 1872, p. 874-876.

98 Du 19 février 1871 au 25 mai 1873, le ministre de la Marine et des Colonies est l’amiral Louis Pierre Alexis Pothuau alors que du 22 mai 1874 au 9 mars 1876 il s’agit de l’amiral Louis-Raymond de Montaignac de Chauvance (1811-1891). Sur la liste générale des sociétaires de 1869, 1875, 1884 et 1885 figure un « R. comte de Montaignac de Chauvance ». Il pourrait s’agir de l’amiral lui-même ou de son fils Renaud (1851-1898 ; source [http://a.decarne.free.fr/gencar/dat62.htm#39]).

99 Turrel L., « La trêve des filets traînants », Bull. SA, 1875, p. 456-457.

100 Saint-Aignan comte de, « Nécessité de la conservation des forêts », Bull. SIZA, 1867, p. 267-281.

101 Turrel L., « Les reboisements du Faron », Bull. SIZA, 1869, p. 216-224 et 317-329.

102 Grove, op. cit., 1992.

103 Vavin Eugène, « Rapport au nom de la commission du reboisement des montagnes par l’Ailante », Bull. SA, 1879, p. 343-345.

104 « Procès-verbal de la séance du conseil du 28 novembre 1879 », Bull. SA, 1879, p. 658-659. Au début du XXIe siècle, l’ailante est considérée par le MNHN comme une des principales espèces végétales introduites envahissantes.

105 Netto, « La destruction des plantes indigènes au Brésil et les moyens de les en préserver », Bull. SBF, 1865, p. 73 sq.

106 Mailles Charles, « Procès-verbal de la séance du 24 avril 1888 de la première section (Mammifères) », Bull. SNAF, 1888, p. 701.

107 Rufz de Lavison, op. cit., 1859 ; Salles C., op. cit., 1861.

108 Duméril Auguste, « Questionnaire sur les Vipères de France rédigé au nom d’une commission », Bull. SIZA, 1859, p. 319-321.

109 Turrel L., « Protection... », op. cit., 1861, p. 269.

110 Turrel L., « Procès-verbal de la séance du conseil du 23 novembre 1860 », Bull. SIZA, 1860, p. 620.

111 Pruns Marquis de, « Procès-verbal de la séance du conseil du 21 août 1874 », Bull. SA, 1874, p. 522.

112 Magasin Pittoresque, 1877, p. 28.

113 Cans, op. cit., p. 45.

114 Monseigneur Donnet cité par Turrel L., « Protection... », op. cit., 1861, p. 269.

115 Turrel L., op. cit., 1861, p. 273.

116 « Procès-verbal de la séance générale du 30 mai 1873 », Bull. SA, 1873, p. 435.

117 Charles Ernest Beulé (1826-1874) cité dans « Procès-verbal de la séance du conseil du 25 juillet 1873 », Bull. SA, 1873, p. 575. Il est ministre de l’Intérieur du 25 mai au 26 novembre 1873.

118 « Procès-verbal de la séance générale du 26 avril 1878 », Bull. SA, 1878, p. 268.

119 « Procès-verbal de la séance générale du 1er avril 1887 », Bull. SNAF, 1887, p. 316-317.

120 « Procès-verbal de la séance générale du 30 avril 1869 », Bull. SIZA, 1869, p. 333-334.

121 Millet, « Études sur les oiseaux voyageurs et migrateurs et sur les moyens de les protéger », Bull. SIZA, 1866, p. 272-282.

122 Duméril Auguste, op. cit., 1859.

123 La responsabilité de la pêche fluviale est retirée aux Eaux et Forêts et confiée aux Ponts et Chaussées de 1862 à 1896.

124 Millet Charles et al. (1856), « Rapport sur les mesures à prendre pour assurer le repeuplement des cours d’eau de la France », Bull. SIZA, p. 234.

125 Millet Charles (1865), « Rapport sur les mesures relatives à la conservation et à la police de la pêche », Bull. SIZA, p. 263.

126 Amédée Berthoule est également membre du Comité consultatif des Pêches maritimes. Il est accompagné par Léon Vaillant, professeur d’Ichtyologie au MNHN, administrateur de la Société et président de sa 3e section (poissons), ainsi que par le Dr Louis Bureau (Professeur à la faculté de médecine de Nantes). En 1890, cette commission est élargie et M. Raveret-Wattel y entre à son tour en tant que secrétaire du conseil de la Société (il reste au bureau 44 ans) et vice-président de la Société centrale d’aquiculture. AN, F/14/13603-13606.

127 « Procès-verbal de la séance de la troisième section du 3 février 1880 », Bull. SA, 1880, p. 162-163.

128 « Procès-verbal de la séance générale du 24 janvier 1879 », Bull. SA, 1879, p. 60-62 et AN, F/14/13599, législation de la pêche.

129 Selon une note en date du 10 juin 1882 présente dans les archives du ministère des Travaux publics. AN, F/14/13601, législation de la pêche.

130 AN, F/10/1762 : Note remise à M. Magne, ministre du Commerce, de l’Agriculture et des Travaux publics, le 6 août 1853 par A. Doulay de la Meurthe. Cité par Jean-François Malange, op. cit.

131 Raveret-Wattel C., « Les poissons migrateurs et les échelles à saumons », Bull. SNAF, 1884, p. 14-43, 321-362, 526-556, 636-652.

132 « Procès verbal de la séance générale du 24 avril 1885, Bull. SIZA, 1885, p. 251.

133 AN, F/14/13614, législation de la pêche.

134 AN, F/14/13615, législation de la pêche.

135 « Procès-verbal de la séance générale du 2 avril 1886 », Bull. SIZA, 1886, p. 279.

136 « Procès-verbal de la séance générale du 24 décembre 1886 », Bull. SIZA, 1887, p. 54-55.

137 AN, F/14/13599-13617, législation de la pêche.

138 Turrel, « Des moyens... », op. cit., 1865, p. 519.

139 Millet C., « Chasse des oiseaux de passage », Bull. SIZA, 1870, p. 556.

140 « Procès-verbal de la séance des sections du 7 mai 1878 », Bull. SA, 1878, p. 438.

141 Lejeune Dominique, op. cit.

Table des illustrations

Légende Fig. 13. – Répartition du saumon dans les cours d’eau français (milieu XVIIIe siècle ; fin XIXe siècle) (d’après Thibault Max, op. cit., 1994, p. 176).
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Légende Fig. 14. – Essai d’acclimatation de requins dans la Seine (Dessin d’Honoré Daumier publié dans Le Charivari le 31 mars 1856. (Photo Robert D. Farber University Archives & Special Collections Department, Brandeis University.)
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Légende Fig. 15. – Échelle à poisson modèle Mac Donald, recommandée par C. Raveret-Wattel et la Société d’acclimatation aux Ponts et Chaussées (Bull. SNAF, 1884, p. 543).
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