Guingamp sous l'Ancien Régime
|2e partie. Étude de la société guingampaise
Chapitre V. Les composantes de la société guingampaise
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FranceTexte intégral
1Qui sont les Guingampais d’Ancien Régime ? La société comprend des membres du clergé, de la noblesse et du Tiers État.
Le clergé
2Premier ordre du royaume, il se partage entre le clergé régulier et le clergé séculier.
Le clergé régulier
3Le nombre d’établissements religieux implantés sur le territoire de la cité et l’ordre dont ils relèvent constituent un bon indicateur de la santé économique d’une ville. L’existence de plusieurs monastères traduit sa capacité d’accueil et de soutien. Les réguliers étaient nombreux à Guingamp (Carte 4, ci-contre).
- 1 La paroisse Saint-Martin fut unie à celle de la Trinité après avoir été, à une certaine époque, dé (...)
4Les Cordeliers (ou Franciscains) et les Dominicains (ou Jacobins) sont présents depuis le Moyen Âge. Initialement établis en dehors de la ville close, le long des murs à la sortie de la porte de la Pompe et à l’entrée du faubourg de Montbareil, ils furent détruits pendant les guerres de la Ligue à la fin du xvie siècle, lors du siège de 1591. Les Cordeliers se réfugièrent quelque temps à l’abbaye de Sainte-Croix (sur laquelle nous reviendrons) avant de s’installer à Notre-Dame de Grâces, à un quart de lieue de Guingamp, où la première pierre de leur couvent est posée le 11 avril 1633. Les Dominicains restèrent à Guingamp : jusque vers 1614, ils logèrent dans le manoir du Penquer (propriété du marquis de Coatrieux) à La Trinité puis prirent possession de la « petite eglise paroissiale nommée Saint-Martin » située « en la rüe et faubourg de St Martin lez cette dite ville de Guingamp1 », à proximité de laquelle ils firent bâtir leur monastère dit « de Sainte-Anne ».
5La population appréciait les Cordeliers. En août 1643, elle voyait en eux un exemple de vertu pour toutes les communautés religieuses, en raison notamment de l’assistance qu’ils portaient aux malades. En 1660-1661, la communauté de ville les sollicita pour faire « le service […] en la parroesse de Bourbriac en la memoire de feu seigneur du Loiou Gazpern ». À cette occasion, ils reçurent 20 livres tournois et un dîner leur fut gracieusement offert ! Leur règle les autorisait à avoir des provisions de blés, de vins et de tout ce qui était nécessaire tant à leur subsistance qu’au fonctionnement de leur établissement.
6Pour autant, tous les habitants n’étaient pas bienveillants à leur égard. En 1698, le père Rossain, gardien du couvent, affirme que des particuliers du voisinage vouent à sa personne et aux autres membres du couvent « une haine mortelle », à tel point que les Cordeliers, craignant pour leur vie, n’osent plus sortir. Leurs domestiques ont été plusieurs fois agressés. Un de leurs serviteurs, qui avait fait remarquer à ces individus qu’ils n’avaient pas le droit (en application de diverses ordonnances) de faire passer leurs charrettes sur le « pavois dudit couvent », reçut de nombreux soufflets et coups de poing avant d’être à moitié étouffé et étranglé.
- 2 Chiffre moyen des religieux de cet ordre par maison trégorroise au xvie siècle (G. Minois, Les rel (...)
7Le couvent des Frères mineurs n’abritait pas une importante communauté. Avant 1591, il devait compter une vingtaine de personnes2. De 1614 à 1665, les Cordeliers oscillaient entre 15 et 20 mais, en 1690, ils n’étaient plus que 7 et leur effectif ira s’amenuisant jusqu’à la Révolution.
8L’image des Dominicains auprès des fidèles guingampais était tout aussi positive. Leur petit nombre et la modestie de leurs bâtiments ne portaient pas ombrage aux citadins. Leur couvent était un cadre de sépulture apprécié : Marie Landois dame du Pré en 1676, Marie Le Jacobin en 1684, Elizabeth Aufret dame du Cosquer en 1696 et la boulangère Marguerite Le Tyrant en 1699, y furent notamment enterrées. Des mères abandonnaient leur nouveau-né soit à l’intérieur soit à l’entrée du monastère, signe d’une certaine estime à l’égard des religieux. Le 20 juin 1770, le jardinier du couvent, Pierre Banavas, trouva une petite fille « exposée a la porte principale de l’eglise des reverends peres Dominicains du couvant de Sainte Anne […] vers les cinq heures et demy du matin ». Le nouveau-né avait été « déposé » pendant que le jardinier se trouvait dans la ville close où il s’était rendu pour affaires. Les Guingampais firent plusieurs fois appel aux Jacobins pour loger des personnalités ecclésiastiques comme l’évêque de Tréguier ou un père prédicateur de passage dans la cité : en 1641, la communauté de ville leur alloua la somme de 150 livres « pour la pantion qu’ilz avoint fournie en leur couvent au reverand pere Athanase reliieux jacobin ayant preché le caresme precedant en ceste ville ». Les marques de bonne entente entre messieurs les nobles bourgeois et les Dominicains sont nombreuses. Par exemple en 1650, le maire Laurent Moisan sieur de la Vieuxville accepte de leur livrer quatre livres de poisson ; de juillet 1648 à juin 1651, les Jacobins recoivent chaque année de la communauté de ville la somme de 400 livres tournois destinée à les « ayder à la construction et bastiment dudict couvent » de Sainte-Anne ; en juin 1726, priée par les Dominicains « d’asister à la feste et ceremonie qui se doit faire chez eux pour l’exaltation de notre Saint Pere le Pape Benoist 13 de l’ordre de St Dominique », la communauté leur verse 30 livres « pour ayder aux depense necessaire pour la celebration de ladite feste ». La popularité des Jacobins s’explique en partie par leur faible effectif : 30 en 1413, ils sont 8 en 1610. Leur nombre remonte à 16 vers 1660, avant de baisser irrémédiablement (11 en 1690, 9 en 1768 et 2 en 1790). La fin du xviie siècle témoigne d’une réelle crise des vocations au sein du clergé régulier, confirmée et accentuée au xviiie.
9La première moitié du xviie siècle voit à Guingamp une multiplication des maisons conventuelles grâce à l’appui de la hiérarchie ecclésiastique et de la noblesse. En 1615, l’implantation des Capucins est surtout le fait du gouverneur de Guingamp, le marquis de la Rivière Guillaume de Coatrieux, et de cinq nobles dames dont le crédit et les libéralités ont été déterminants : mesdames de Locmaria, Pechin, Moissonnière, du Rocher Huet et du Roscoat. Le projet de la venue des Capucins ne suscitait pas l’enthousiasme des Guingampais. Leur arrivée signifiait, pour l’administration municipale, de nouvelles dépenses (par exemple aider à la construction et à l’entretien de leur monastère). Pourtant, les Capucins connurent un franc succès auprès des habitants. Au départ réticents à l’idée de les compter parmi eux, ils leur témoignèrent très vite de la sympathie. En 1640, messieurs les nobles bourgeois envoyaient un messager « expres trouver Monseigneur le reverendissime evesque et conte de Treguier à son manoir episcopal à Lantreguer pour luy portter une missive » le suppliant de leur « donner pour predicatteur les advents et caresme prochains le pere Barnabé cappuchin de Guingamp ». Les Guingampais appréciaient les prédicateurs de cet ordre. Déjà en 1619, la ville avait accueilli pour l’Avent le « pere Claude Capucin et son compagnon ». Leurs rapports furent toujours excellents : en mai 1748, la communauté de ville remerciait les Capucins d’avoir « donné une mission au mois d’aoust [1747] tant en l’eglise de Notre Dame […] qu’en celle de La Trinité » en leur offrant « une barique de vin pour subvenir à leur subsistance ». Environ deux ans plus tard, elle les gratifiait d’une barrique de vin rouge, cette fois « pour les soins et instructions qu’ils [avaient] fait pendant le jubilé ». La chute des vocations observée dans la plupart des maisons conventuelles bretonnes, et notamment trégorroises à la fin du xviie siècle, n’épargna pas les Capucins : 25 vers 1650-1660, Georges Minois indique qu’ils n’étaient plus que 7 en 1768 et 8 en 1790.
- 3 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 3 E 1 Fonds départemental n° 51 (notaire Pierre Hamon). Les 100 messes r (...)
- 4 Arch. dép. Côtes-d’Armor, B 495.
10Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, les Cordeliers, Jacobins et Capucins occuperont une place à part dans le cœur des Guingampais. Les nombreux actes de fondation ou de donation en leur faveur en témoignent. Par exemple en 1675, sur les 400 messes que le marchand de draps de soie Jan Lizot souhaite faire dire pour lui après son décès, 100 seront célébrées dans l’église des Capucins, 100 dans celle des Dominicains et 100 autres dans celle des Cordeliers de Grâces3. En 1677, le notaire Pierre Hamon fait célébrer 400 messes chez les Cordeliers pour le repos de l’âme de sa défunte épouse Marie Landois. En 1681, l’alloué Laurent Moisan sieur de Kerbino lègue 300 livres aux Capucins en échange de 200 messes à basse voix, et verse 60 livres aux Dominicains et aux Cordeliers pour avoir part dans leurs prières après sa mort. On peut également citer Béatrice Couppé dame de Kerprat en 1688, Marguerite Le Tyrant en 1699, Pierre de la Grève sieur du Chatel en 1712, Pétronille Courson dame du Pré en 1718, le sieur de Kerpuns Pierre Landois en 1721, Catherine Le Merer dame douairière du Plessix Kermel en 1724, le praticien maître Rolland Guegan en 1726, le maître de musique Jean Gury sieur de Martel en 17274, Robert Taaff ancien capitaine de cavalerie et chevalier de l’ordre militaire de Saint-Louis en 1747, Renée Raison dame de la Villebasse la même année, le sieur Hamon de Kernizan conseiller du roi en 1751 et Anne Rigourdel veuve du marchand de draps Jacques Le Cocq en 1768.
- 5 François Dobet précise que « c’est le 22 juin 1625 que sur lettres du Duc de Vendôme, la communaut (...)
- 6 Les Carmélites étaient peut-être soumises aux mêmes exigences épiscopales que les Ursulines en 165 (...)
- 7 Au nombre de 45 religieuses aux alentours de 1650, elles sont 22 en 1729, puis 17 en 1790.
11La première communauté religieuse de femmes établie à Guingamp est celle des Carmélites en 16255. Venues de Morlaix, elles arrivent à sept le 26 mai 1628 et se rendent aussitôt chez madame de Lesme6. Peu après, elles occupent la chapelle Saint-Yves dans la ville close. Ce n’est qu’en avril 1630 que les deux premières pierres de leur couvent sont enfin posées par le sénéchal de Guingamp et trois éminents bourgeois de la communauté de ville. Selon Georges Minois, les religieuses de cet ordre contemplatif ne furent pas accueillies les bras ouverts par les habitants. Néanmoins, à l’instant de faire rédiger leur testament, des notables se montrèrent généreux à l’égard des Carmélites : en 1681, l’alloué Laurent Moisan leur attribue 100 livres, en 1699 Gabrielle de la Rivière dame de Saint-Germain leur lègue une rente (dix boisseaux froment et six poulets) due sur le convenant « goasprat » à Plouagat-Châtelaudren, et en 1768 la marchande de draps Anne Rigourdel compte leur verser une certaine somme (nous ignorons le montant) en échange d’une messe le vendredi ou le lundi de chaque semaine, « si faire se peut pendant un an » après sa mort. Les Carmélites surent s’attirer durablement les bonnes grâces de la noblesse qui demeura toujours le principal milieu social de recrutement des religieuses. L’aristocratie leur assurait des ressources à la fois humaines en lui fournissant des jeunes filles vouées à porter le voile, et financières par le biais des legs et de la pension viagère (attachée à chaque jeune fille entrant dans les ordres) qui pouvait atteindre 400 livres par an ! Les jeunes filles d’origine sociale plus modeste apportaient une dot qui l’était tout autant : en 1773, la mère de Françoise Bazil lui constitua une pension viagère de 45 livres par an. La baisse de leur effectif tout au long du xviiie siècle7 entraînant une perte de revenus en proportion, les Carmélites se montreront intraitables envers les tenanciers mauvais payeurs. En 1778, un ménager de Goudelin, Guy Morice, fit les frais de leur intransigeance : leur devant trois levées successives d’une rente censive, il fut expulsé « et ses meubles jettés sur le carreau aux termes de l’usement du pais et comte de Gouello ».
- 8 Le 8 mai 1711, ayant fait rendre 3 084 livres de froment au meunier, les Ursulines auraient dû réc (...)
- 9 Fille de défunt maître Michel Buat de la Croix (avocat à la cour, alloué et juge prévôt de Guingam (...)
12En 1654, les Ursulines s’établirent à leur tour à Guingamp, après que la communauté de ville eut donné son accord le 23 juillet 1653, en précisant toutefois « que ledit establissement ne poura estre que dans l’un des faubourg de cette ville et en lieu ou le public et le particulier souffriront [le] moigns d’inconveniantz ». Les religieuses du monastère de Sainte-Ursule de Lantreguier venaient « pour y instruire les filles de la dicte ville, fauxbourgs et lieux circonvoisins, et y faire les autres exercices de leur reigle conformement à leur institut ». Leur désir était de « beaucoup contribuer à l’advancement de la gloire de Dieu et bonne education des jeunes filles dudict Guingamp ». Arrivées dans la cité en août 1654, les religieuses s’installent à la Trinité, dans une maison que Nicolas de Kerret et son épouse Janne Loguello sieur et dame de Buortz leur vendent en décembre. En avril 1668, leur couvent contient « environ trois arpents de terre » et les bâtiments consistent en deux grands corps de logis : le premier renferme la chapelle, la sacristie, le chœur des religieuses, une partie de l’appartement des petites filles pensionnaires, quelques parloirs, un dortoir pour les novices et l’infirmerie ; le second comprend la cuisine, le réfectoire, la salle d’exercice et des dortoirs. Les religieuses n’ont pu compter que sur leurs dots et la générosité de quelques personnes pieuses de la cité. Les Ursulines étaient en butte à l’hostilité quasi générale de la population, au point qu’en 1705, seulement la moitié de leur maison conventuelle est achevée. Le manque de dons et de fondations est la cause de l’« estat pitoyable de [leur] comunauté », les pensions viagères des religieuses ayant fait profession leur suffisant à peine pour vivre. En juillet 1736, sur les 66 personnes que compte la communauté (49 vocales, 3 jeunes professes, 11 sœurs converses professes, 2 postulantes converses et une pensionnaire perpétuelle), seules 29 payent une pension dont le montant total annuel s’élève à 4268 L 12 s. Elles veillent donc à ne pas se laisser « posséder » par des meuniers indélicats sans réagir : en 1711, elles attaquent devant les tribunaux Jan Le Guennec, meunier du moulin des Salles qui leur prend régulièrement au-delà « d’un seizième qui lui est dû suivant la coutume par chaque boisseau de grain qu’il moult en sondit mouli8 ». Les Ursulines bénéficièrent quand même parfois des bienfaits de généreux donateurs. Certains, comme le sieur et la dame de Kerprat Jacques Le Brun et Béatrice Couppé en 1656 et 1684, et Laurent Moisan sieur de Kerbino en 1681, leur firent des legs et fondations. D’autres personnes manifestèrent leur sympathie, leur attachement ou leur intérêt pour elles soit en leur confiant un être cher, soit en entrant comme religieuses ou simples pensionnaires dans leur communauté : en décembre 1677, Louise Landois dame de Kernisan fait profession de foi, en 1685 Anne Folvais dame douairière de la Garenne Boisgelin demeure au couvent, et en 1761 Reine Buat de la Croix dame des Isles9 y est pensionnaire quand elle décède le 15 novembre à l’âge de 22 ans. Les Ursulines avaient surtout du succès auprès de la bourgeoisie et de la noblesse, mais la majorité des religieuses et pensionnaires n’étaient pas originaires de Guingamp. Les Ursulines demeurèrent sans doute la plus importante communauté régulière établie à Guingamp sous l’Ancien Régime : 30 autour de 1650, 35 en 1668, 78 en 1729, 66 en 1736, elles étaient encore 35 en 1790 !
13En 1676, six religieuses Hospitalières de la Miséricorde de Jésus font leur entrée à Guingamp. La communauté de ville a donné son aval (sous conditions) le 24 juillet. À peine arrivées (en août), les hospitalières travaillent à édifier leur maison conventuelle. Elles achètent plusieurs terrains dans le faubourg de Porsanquen : en septembre 1676 à Arthur de la Grève et son épouse Françoise Michel sieur et dame de Kergrist, en juillet 1678 aux marchands François Lantin et Marie Guyton. Leur action charitable envers les pauvres malades leur « rapporta » de nombreuses fondations et donations, notamment de la part de Janne Guillou en 1728, de Marie Fougeré en 1729, de la Lannionnaise Marie Ades veuve Le Badouoir en 1737, et de Jullite de Carné dame veuve de Kerjégu en 1771. Le fait que les Filles de la Miséricorde de Jésus étaient en majorité issues d’un milieu social aisé assura le développement et le maintien de cette communauté qui comptait 34 religieuses en 1729, avant de n’en plus dénombrer que 19 en 1790.
- 10 Fille du sieur de Kervégan Arthur Moisan, elle avait épousé le vicomte des Arcis peu après la sign (...)
- 11 En 1729, elles seront 31 puis 19 en 1790.
- 12 Le 7 juillet 1758, le subdélégué guingampais sieur de Rabault précise que la communauté de Montbar (...)
- 13 On remarque que les paroissiens ne s’attaquent pas à l’Hôpital Général de Guingamp alors que celui (...)
14Peu après les Hospitalières, la cité guingampaise accueillit les religieuses de Notre-Dame de la Charité du Refuge qui s’installèrent à Montbareil. Celle qui « travailla jour et nuit infatiguablement pour conduire a chef cette sainte entreprise », et « mesnager l’agrement de messieurs de ville et autre permissions necessaire », est la Guingampaise Hélène Moisan vicomtesse des Arcis10. Les religieuses arrivèrent à Guingamp « le jour de la presantation de l’auguste Marie l’année 1677 lequel se passa avec toute la solemnité de la grandeur de cette feste ». En moins d’un an, elles constituent « une jolie communauté », plusieurs filles ayant pris l’habit11. Devenue veuve en 1683, Hélène Moisan les rejoint le jour de la Saint-Vincent Ferrier. Elle décède au sein de la communauté à l’âge de 58 ans le 27 décembre 1694, des suites d’une longue maladie (une hydropisie). Deux filles du notaire Pierre Hamon entrèrent à Montbareil : Jeanne comme religieuse en 1691, et Marie comme pensionnaire en 1696. Les religieuses s’étaient assignées pour tâche « de ramener à Jesus Christ les filles qui s’etoient mal versées, d’en prendre soin, les instruire, les occuper et les nourir et loger ou pour toujour ou pour tout le temps qu’on veult ». Cela revenait à exercer « la charité a l’egard des personnes qui ont besoin d’un azile qui les mette hors de l’occasion d’offenser Dieu12 ». Une tâche aussi honorable ne pouvait que trouver un écho favorable auprès de la population qui fut souvent généreuse à l’égard des religieuses. Citons, en 1681, le sieur de Kerbino Laurent Moisan qui leur lègue 300 livres, et en 1714 Louise du Bourblanc (veuve de Jean Cozou sieur de Launay) qui leur cède 200 livres de rente foncière. Cependant, les Filles de Notre-Dame de la Charité du Refuge n’avaient pas que des amis. Des gens de métier les accusaient de concurrence déloyale. En 1789, les habitants de Sainte-Croix et de Saint-Sauveur le rappellent dans leurs cahiers de doléances : les premiers leur reprochent de faire « toutes sortes d’ouvrages et de commerces au dedans et audehors de leurs cloitres, s’ecartant en cela de leur institution ce qui cause un grand préjudice aux ouvriers et aux marchands qui sont à leur proximité » ; les seconds les accusent de profaner « leur institution et leur etablissement par le commerce en tout genre et les fabriques de toutes especes de marchandises […] ce qui cause un prejudice notable au commerce et corps de metiers13 ». Les paroissiens ne citent aucun nom, mais on devine que les religieuses de Montbareil sont visées lorsqu’ils évoquent ces communautés de femmes qui « fabriquent toilles, etoffes […] sont lingeres, tailleuses, cordonnieres, jardinieres, tinturieres, confiseuses liqueuristes etc. » Les filles pénitentes ou repenties enfermées à Montbareil réalisaient toutes sortes de travaux (manuels le plus souvent) : la femme d’Yves Le Née, boucher de Carhaix, était « bonne blanchisseuse », une paroissienne de Châtelaudren savait « un peu travailler a la lingerie », Marie Le Plat originaire de Dol brodait et faisait « quantitez d’autre petis ouvrages », Julienne Robin de Rennes brodait « en perfection sur la mouseline » et pouvait donc faire « gagner de l’arjant » aux religieuses, Marie Olivier prostituée de Châtelaudren travaillait « très bien soit a filer, a coudre ou a becher la terre même », les « talents » d’Angélique Lhostis, fille d’un bourgeois de Quintin, consistaient « dans la couture, de la lingerie, dans les broderies, et l’estame », Marie Jacq, de Morlaix, filait « le coton [et] la laine », Gabrielle Guellozé, femme d’un procureur notaire de Penhoat (près de Morlaix), était bonne cuisinière et filandière, Angélique Rouxel de Saint-Brieuc était « très en etat de travailler soit à filer, soit à la cuisine ou autre ouvrage convenable à une personne de son sexe », et Jeanne Nedellec de Morlaix était « excellente couturiere ». Le travail manuel devait les détourner de leurs vices (réels ou supposés). Notons toutefois qu’au début des années 1720, les Ursulines avaient confectionné, pour « l’enfent Jesus estant à l’autel de la Charité », une couronne « composée de perles, pierres brillantes de differentes couleurs d’une frange d’or et de rubans aussi de differentes couleurs » à la demande de Béatrice Habert (épouse de Jan du Breil de Rays domiciliée au manoir de la Belle Fontaine au Merzer) qui avait « le soin par devotion de l’autel de la Vierge » de l’église Notre-Dame de Guingamp. De même en 1741, les Hospitalières avaient été priées par la communauté de ville « de voulloir bien travaillé incessament aux cazaques et aux bandoullieres des herault ». La tension entre certains gens de métier et les communautés religieuses de femmes était suffisamment forte pour qu’en 1775 messieurs les nobles bourgeois soumissent l’établissement de trois sœurs grises à la condition que celles-ci « ne pourront etablir aucunes manufactures ni exercer aucuns metiers qui pourroient entrer en concurrence avec ceux exercés à Guingamp », ni non plus « vendre aucunes drogues ni faire aucuns commerces ». Les sœurs grises « s’occuperont seulement selon leur institut au service des pauvres malades de la ville et des fauxbourgs ». Les communautés religieuses faisaient quand même travailler la main d’œuvre locale, notamment les couvreurs d’ardoises et les menuisiers.
15On a souvent eu à évoquer le nom de l’abbaye de Sainte-Croix. Installés depuis le xiie siècle, les chanoines réguliers de l’ordre de Saint-Augustin ont quitté le monastère au début du xviie siècle, probablement vers 1635-1636, et ont été remplacés par six prêtres séculiers chargés d’assurer le service religieux. Les Augustins partis, c’en était fini de l’« heureux tems » où « le bourg noble de St Croix etoit […] honnoré et consideré par son Prince », bénéficiant « des immunités et des privilèges ». Parmi ceux-ci figurait la décharge « de toutes subsides et impositions » en échange de la fourniture « au Roy, de seize ans en seize ans, ou au premier requisitoire de Sa Majesté, d’un cavalier monté et armé de toutes pieces ».
16Sous l’Ancien Régime, Guingamp a donc compté jusqu’à neuf communautés religieuses, certaines établies depuis le Moyen Âge mais la majorité apparue entre 1615 et 1676. Les couvents furent d’abord masculins, les ordres féminins ne s’implantant qu’à partir de 1628. Les premiers consacraient leur action à la prédication et les seconds davantage au soin des malades, aux retraites, à l’enseignement et à la rééducation des pécheresses. Souvent dirigés par des membres de la noblesse, ces établissements recrutaient essentiellement dans le milieu aisé (aristocrate et bourgeois), mais aucun n’échappa à la crise des vocations amorcée à la fin du xviie siècle. Tant que le nombre des couvents resta limité et qu’ils concernaient des religieux mendiants voués à la prière et à la vie ascétique (donc utiles aux fidèles car jouant les intercesseurs auprès de Dieu), les rapports entre les réguliers et les Guingampais furent assez bons. En revanche, la multiplication rapide des maisons conventuelles les rendit impopulaires (étant assimilées à des dévoreuses d’offrandes), d’autant plus facilement qu’elles commirent souvent le sacrilège, aux yeux des fidèles, de s’adonner au commerce et/ou à l’artisanat.
Le clergé séculier
- 14 La paroisse Saint-Sauveur exclue, car elle figure dans les rôles de capitation de la campagne.
- 15 Saint-Sauveur compte pour sa part un recteur et un curé (Arch. dép. Côtes-d’Armor, C 80).
17La cité comptant quatre paroisses (Notre-Dame, Sainte-Croix, La Trinité et Saint-Sauveur), le clergé séculier était très présent. En 1737, il comptait 21 représentants14. En 1741, les six « eclesiastiques de l’abbaie de Sainte-Croix » se nommaient Le Men (prieur), Derrien (doyen), Merrien, Le Graët, Riollay et Guillou ; ceux de l’église Notre-Dame étaient neuf : il y avait un recteur, un curé, un sacriste, un sous-sacriste, le principal du collège, le chapelain de l’Hôtel-Dieu et trois prêtres. En 1753, le « rolle de messieurs les eclésiastiques » comprenait 18 noms, 17 en 1755, 18 en 1756 et 1757, 20 en 1766 et 177015.
- 16 En février 1702, Le Cozler affirme que certains paroissiens jouent même à la boule pendant les ins (...)
- 17 Celle-ci fait défense « à tout prêtre de boire au cabaret et dans l’étendue de la banlieue de son (...)
- 18 Valentin était âgé de 36 ans et Hélène Le Breton en avait au moins 70 (Arch. Dép. Côtes-d’Armor, B (...)
18Les séculiers avaient quelques problèmes avec leurs ouailles. En 1700, Jan Le Cozler, prêtre et vicaire de Sainte-Croix, ne supporte plus de voir ses paroissiens jouer à la boule sur le chemin d’accès à « la maison abbatiale » : non seulement ils bloquent le passage, mais encore ils perturbent l’office divin par leurs cris16. Il fait donc en sorte que le chemin soit « réputé béni et dépendant de l’église ». De plus, le jeu est dangereux : en 1702, Alexandre Lerchay, tailleur d’habits dont la « passion demesurée de jouer a la boule » déplaisait au prêtre, manqua « tuer la fille du sieur Guillaume Fallegan d’un coup de boule duquel elle fut blessée grievement dans la tête ». En décembre 1701, Le Cozler eut également maille à partir avec Pierre Conan, marchand et artisan de laine de Sainte-Croix. Le paroissien exhibant sa vie dissolue (un libertinage continuel avec Marguerite Milon, sa « putain ») et restant sourd à toutes ses remontrances, le prêtre dénonca publiquement la conduite inqualifiable de Conan à l’heure de la grand’messe (donc au moment où il y avait foule à l’église). Il serait même allé jusqu’à commander aux femmes et aux filles présentes de crier « haro et vengeance sur le malheureux Pierre Conan ». Furieux, celui-ci se vengea en exposant les vices de Le Cozler : exactions commises dans la perception des droits attribués à sa charge de vicaire de Sainte-Croix, et présence dans les cabarets pour y boire et manger malgré l’interdiction épiscopale d’octobre 170117. Que les accusations portées à l’encontre de Jan Le Cozler soient vraies ou fausses, il n’en demeure pas moins que le clergé séculier guingampais n’eut pas toujours une attitude irréprochable. En novembre 1676, « missires Louis et Mathieu Le Bricquer freres et vicaires dudict Guingamp » s’emportèrent « de passion et de collere » contre Charles Jacquet sieur de la Touche, venu les interroger au sujet de la levée d’une « pierre tomballe en la chapelle du Roudourou sittué en l’esglize de Nostre Dame ». Les deux vicaires l’auraient « faict sortir hors la sacristie avecque des injures très atroces, et en presance de tout le peuple quy s’estoict congrégés pour entendre la grande messe ». En 1691, le sieur de Crechfantan Bobony prêtre de Notre-Dame, son frère le sieur de Kerguillouart Bobony et le sieur de Kermaou, tous « trois emportés et viollantz [avaient] enlevé la fille du sieur de Kergle » et conduite celle-ci à Saint-Brieuc « pour l’empescher d’espouzer Charles Borrou ». La même année, la fille âgée de 19 ans du sieur de Tressant Cillart (issue de son second mariage avec Marie Le Baillif) accouchait d’une petite fille et reconnaissait aussitôt « avoir esté déflorée et forcée par le sieur Le Clerc, prebtre, curé de la parroesse de La Trinité quy [fut] en conséquence décreté de prise au corps », mais parvint à s’évader. Néanmoins, beaucoup étaient suffisamment appréciés des habitants pour, notamment, leur tenir lieu d’exécuteurs testamentaires, preuve qu’ils leur inspiraient confiance. En 1714, Guillaume Guégan tenait ce rôle auprès de Louise du Bourblanc dame de Launay, en 1718 Le Guen auprès de Pétronille Courson dame du Pré, en 1724 Perret auprès de Catherine Le Merer dame du Plessix Kermel, en 1750 Charles Meuric auprès de la marchande Catherine Le Quémener, et en 1768 les sieurs Onfray de Surville et Got choisis par la marchande de draps Anne Rigourdel pour veiller au respect de ses dernières volontés. Cette confiance voire estime n’était pas injustifiée quand on sait le dévouement dont les prêtres surent faire preuve en des circonstances particulièrement pénibles : lors de la peste en octobre 1640, Guillaume Janou n’hésita pas à se livrer « au danger [d’] assister les malades » et, en 1741, l’abbé de Rays du Breil ne ménagea pas sa peine pour obtenir de la communauté de ville l’argent nécessaire à la subsistance d’une partie de la population touchée par la disette. Ces comportements désintéressés suscitaient chez les paroissiens une réelle sympathie. Gardiens de l’ordre moral et attentifs au respect des sacrements de l’Église, les prêtres condamnaient les manifestations du style des charivaris. En septembre 1721, Pierre Bobony et Laurent Mahé, recteurs de Notre-Dame, déplorent « qu’à l’occasion des mariages qui se contractent en leur église par des personnes avancées en âge, il se [commette] à la connaissance de toute la ville et de ses faubourgs de très grands désordres par un très grand nombre de libertins qui courrent toutes les rues en foule pendant plusieurs heures de la nuit au bruit d’un tambour et autres instruments avec des cris et des hurlements effroyables ». Cela est interdit par la loi et ridiculise le sacrement religieux du mariage. En 1728, le paveur Blanchard est inquiété par la justice : la nuit du 8 mai, il s’est fait « suivre dans toutes les rües de cette ville par differents particuliers qui faisoient un grand bruit avec cloches, poeles, chaudrons, tambours et autres instruments » pour faire « dans differents endroits desdites rües même a la porte des nommés Charles Valentin et Helene Le Breton scittuée en la rüe St Yves qui avoient epousé ledit iour […] des bannies scandaleuses au suiet de leurs noces18 ».
19Soucieux de l’éducation (religieuse) de leurs ouailles, on n’est pas surpris de trouver des prêtres séculiers remplir à l’occasion les fonctions de maître d’école. En mars 1632, Pierre Le Bricquer, l’un des vicaires de Notre-Dame, endosse cette responsabilité. En 1647, il exerce toujours cette charge et reçoit pour « sallaire a instruire et enseigner les enffans de ceste ville » la somme de 120 livres tournois.
20S’agissant des relations entre le clergé paroissial et les communautés religieuses, une assez bonne entente paraît avoir régné entre eux. Ils étaient amenés à collaborer : en 1737, messires Calvez et Gueguin sont directeurs de conscience respectivement des Ursulines et des Carmélites, en 1756 messire Charlotin fait fonction de chapelain des Hospitalières, et en 1770 messire Pastol est le confesseur des dames de Montbareil. Des recteurs de la cité ont contacté les dames de la Charité du Refuge pour solliciter l’entrée dans leur couvent, au nombre des pénitentes, d’une paroissienne jugée mauvaise chrétienne. En 1717, Louis Le Bricquer, prêtre ancien recteur de Guingamp, appréciait assez les Ursulines de La Trinité pour leur faire donation « de toute sa chapelle » (ornement, aube et lingerie servant à l’église, calice, burettes, bassin d’argent et tous les livres nécessaires à leur communauté, le tout estimé 650 livres). Séculiers et réguliers se rendaient service. C’est ainsi que le dimanche 14 août 1689, les « saintes reliques de St Pie, St Reparat et Ste Severe », que le Capucin Jan de Rocquancourt avait rapporté de Rome, furent transférées du couvent des Capucins à l’église Notre-Dame. À cette occasion, le recteur Guiomar Bobony remercia les Capucins « qui par amitié et bienveillance [lui] ont donnez lesdites Reliques ». Les deux clergés assistaient ensemble à des cérémonies publiques, comme le service funèbre du gouverneur de la cité et celui rendu à un membre de la famille royale.
21Néanmoins, il leur arriva de se quereller, comme en témoigne l’incident survenu le 22 janvier 1675 lors de l’enterrement de Toussaint Loz, chevalier seigneur de Guirvaleguen. Alors que la cérémonie se déroulait « suivant les formes ordinaires par messieurs les vicaires de Guingamp et leur clergé » et que ceux-ci, avec les Dominicains, avaient procédé à la levée du corps et faisaient marche vers l’église Notre-Dame, les Dominicains (placés en tête du cortège) surprirent l’assistance : ils détournèrent le corps et interdirent de le porter à l’église Notre-Dame, requérant « de le rendre chez eux disant que c’estoit l’intansion dudit deffunct sieur de Guirvaleguen ce que le sieur de Langar Loz » (son frère) confirma aussitôt. Obligés de céder, les vicaires se retirèrent non sans promettre aux réguliers qu’ils auraient à répondre de l’interruption causée à leur office. En octobre 1691, le sieur de Crechfantan Bobony tenta de jeter le discrédit sur les Capucins en les faisant passer pour des voleurs. Peut-être était-il jaloux d’une communauté de religieux dont la population guingampaise appréciait la prédication…
- 19 En 1757, il était recteur de Saint-Sauveur et demeurait à Notre-Dame.
- 20 Le frère de Jean Baptiste Guyomar était le révérend père dom Yves Guyomar, religieux dominicain.
- 21 Il semble avoir succédé à l’abbé de Rays du Breil, peut-être noble comme lui.
22À Guingamp, les membres du clergé séculier ne sont pas tous natifs de la cité et ont pu déjà « exercer » ailleurs. Citons Yves Le Diouron, prêtre prieur et recteur de Sainte-Croix, mort le 9 mai 1686 : « en son vivant son scavoir et son merite luy ont fait remplir les chaires les plus considerables des paroisses de l’évesché de Treguier, Dol, Quemper Corentin » ; il fut d’ailleurs inhumé à Saint-Adrien (trêve de Bourbriac) « parcequ’il alla mourir en sa maison paternelle ». Jan Le Cozler, prieur de Sainte-Croix et « predicateur missionnaire » déjà mentionné, était sans doute originaire de Senven-Lehart (entre Bourbriac et Quintin). À l’inverse, des prêtres Guingampais de naissance ont exercé leurs talents en dehors de la cité, à l’image de Yves Jourin recteur de la parroisse de Plouisy décédé à l’âge de 48 ans en janvier 1641, de Robert Bobony qui en 1679 obtient la cure de Plouisy et de la trêve Saint-Michel, ou de Guillaume de la Grève recteur de Louargat en 176919. Certaines familles guingampaises ont fourni plusieurs hommes d’église. Vincent et Pierre Mahé « exerçaient » à Sainte-Croix en 1660-1670. Les Le Bricquer occupèrent le vicariat de Notre Dame : Pierre dans les années 1630-1640, Louis et Mathieu en 1660-1680. Chez les Boessy, Yves était sacriste de l’église Notre-Dame et principal du collège de Guingamp en 1676, Jacques prieur de Sainte-Croix en 1719, et François prêtre en 1765. Deux représentants de la famille Got entrèrent dans la prêtrise : Lorent sieur du Favril, prêtre de Saint-Sauveur en 1769, et Guillaume recteur de Notre-Dame en 1774. La plupart des desservants de Notre-Dame, Sainte-Croix, La Trinité et Saint-Sauveur étaient issus du milieu bourgeois (marchand et judiciaire bien souvent). Par exemple, Hiérosme Couppé, sacriste de Notre-Dame en 1652, était fils du sieur de la Vallée Julien Couppé (maire en 1626-1627) et de Marguerite Bruière. Jacques Poences, vicaire de Notre-Dame en 1675, était apparenté à Yves Poences maître apothicaire en 1670 et à maître Claude Poences l’un des « procureurs postulantz en ladite jurisdiction de Guingamp » en novembre 1674. Jan Le Febvre, vicaire de l’église de Saint-Sauveur en 1668, était le beau-frère de Melaine Joinet marchand : en novembre 1675, parmi les membres « de la confrairye des marchandz de ceste ville establye en l’eglise parrochialle de Nostre Dame de Guingamp soubz les ouspices de Sainct Jullien » figurent Louis Le Febvre sieur de Toullelan ainsi que Michel et François Joinet. Noël Macé, vicaire de Notre-Dame en 1675, était parent de Françoise Macé qui avait épousé en premières noces maître Charles Moysan avocat à la cour puis, devenue veuve, le sieur François Pitot. Guiomar Bobony sieur de Crechfantan, recteur de Notre-Dame en 1688, était le fils de Louis Bobony sieur de Kerguillouart (maire en 1651-1652) et de Marie Le Normant ; il appartenait à l’« une des plus considerables familles bourgeoises de la ville ». Laurent Mahé sieur de Kerbiriou, recteur de Notre-Dame décédé en 1722, avait pour père le marchand Guillaume Mahé. François Guyomar, prêtre curé de La Trinité mort en 1753, était né en 1722 de parents « marchands de cette ville et parroisse » de Notre-Dame : Jean-Baptiste Guyomar et Renée Guery20. Guillaume de la Grève, recteur de Saint-Sauveur en 1757, était lui aussi issu d’une famille bourgeoise éminente de Notre-Dame dont plusieurs membres, aux xviie et xviiie siècles, exercèrent une activité marchande et remplirent des charges importantes au sein de la communauté de ville. François Monrocq, prêtre sacristain de Notre-Dame dans les années 1760, était le frère d’Elisabeth Monrocq, épouse de Yves Le Graët marchand de draps de soie ; en 1735, était décédé maître Abel Monrocq, secrétaire du sénéchal Le Gac de Lansalut. Lorent et Guillaume Got appartenaient à la famille du sieur de Pommainville Jan Got qui, au début du xviiie siècle, pratiquait la médecine à Guingamp et épousa Anne du Lez dame de Closneuf en 1710. Paul Onfray de Surville, dont le rôle des ecclésiastiques exemptés de la capitation mentionne le nom à partir de 1758, était apparenté à Charles et Jacques Onfray de la Painnière, négociants de Sainte-Croix dans les années 1740-1770. En 1747, cette famille marchande s’allie aux Guyomar, également marchands et « fournisseurs » du clergé. La noblesse et le Tiers État besogneux n’étaient pas des milieux privilégiés de recrutement du clergé paroissial. On recense un seul clerc aristocrate : Alain Lesquen de Kerohan, recteur de Notre-Dame en 175321. Quelques hommes d’église étaient quand même issus de l’humble Tiers État : Guillaume Le Ponthou, curé de Saint-Sauveur en 1770, était le fils d’un journalier domicilié rue du Pot d’argent à Notre-Dame, et le père de Jacques Foucaut, prêtre associé de l’église Notre-Dame en 1772, était maître sellier. Pour « parvenir a la nouriture et entretenement » de l’aspirant religieux « jusques a estre pourveu de benefice sufisant pour se nourir et entretenir dans le devoir et dessence deub audit ordre », il fallait de l’argent. Des familles n’eurent d’autre moyen que de s’adresser à une personne aussi charitable que fortunée. C’est ce que fit en 1656 le maître tailleur Henry Le Clerc. Son fils Jacques, « estudiant […] a Rennes soubs les Reverends peres Jesuistes » et souhaitant entrer dans la prêtrise, mais « ne pouvant survenir de sa part a faire fondz vallable » pour lui assurer la nourriture et l’entretien nécessaires jusqu’à l’obtention d’un bénéfice ecclésiastique, Henry Le Clerc fait appel à François Gigeou seigneur de Kermen : qu’il « aict la bonté de designer pour le moins la valleur de soixante livres tz de rente annuelle et certaine sur partie de ses herittages pour en cas de necessité et jusques a ce que icelluy maistre Jacques Le Clerc ne soict pourveu de benefice competant ». Le seigneur de Kermen accepta « par ce que ledit maistre Jacques Le Clerc deservira ou fera deservir en son absance une messe festes et dimanches en l’eglise de Pabu a basse voix comme chapelain ». Rien n’était jamais gratuit, c’était toujours du « donnant-donnant » !
- 22 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 20 G 103.
23Souvent issus de familles aisées, les clercs séculiers vivent bien. En 1708, les biens de Jan Le Cozler sont évalués à 960 livres. En 1769, Lorent Got du Favril achète trois pièces de terre pour la somme de 1 320 livres qu’il paie comptant. En 1770, Guillaume Le Ponthou, principal du collège de Guingamp et curé de Saint-Sauveur, possède lui aussi quelques biens : entre autres un couvert d’argent, des boucles et boutons de manches d’argent, six pots de bois à fleurs d’argent et une somme de 600 livres. Au début des années 1780, Yves Querou, prêtre chapelain de l’abbaye de Sainte-Croix, prête 1 200 livres à des personnes et accepte que celles-ci, « se trouvants dans l’impossibilité de pouvoir » le rembourser comme convenu le 27 septembre 1783, lui versent une rente constituée annuelle de 60 livres jusqu’au remboursement des 1 200 livres. Certains prêtres connaissent malgré tout des difficultés d’argent. En 1692, Noël Macé n’ayant pu les rembourser de son vivant, les Carmélites font procéder à l’adjudication des héritages dépendant de sa succession et récupèrent ainsi environ 2 000 livres. En 1763, François Monrocq emprunte au marchand tanneur Guillaume Riollay la somme de 360 livres pour subvenir à ses affaires ; son besoin d’argent ne s’atténue pas car, en 1766, il vend plusieurs de ses biens à son beau-frère Yves Le Graët. Pourtant, s’il savait se montrer bon gestionnaire, un séculier même d’origine modeste pouvait augmenter ses revenus et améliorer le quotidien. En 1742, Jan Hamon reconnaissait n’avoir reçu de ses parents qu’une maison de faible valeur, située près la porte de la Pompe, et une portion de douves sur lesquelles son titre clérical fut établi : cela représentait à peine 60 livres de rente annuelle. Néanmoins, en quelques années, à force de travail et d’épargnes, le prêtre a augmenté la valeur de cet héritage (il a pu notamment faire construire d’autres bâtiments avec jardin, verger, pré et plantation). Les clercs séculiers étaient assez bien rétribués. En 1705, Jan Le Leizour, recteur de la Trinité, s’attache les services de Guillaume Duédal « pour aider à faire les fonctions curiales » au prix de 90 livres par an. En 1707, Charles Le Breton, prêtre de Notre-Dame, est à son tour fait curé de La Trinité par Jan Le Leizour qui à ce titre lui donnera « par chacun an la somme de 40 escus et la jouissance de la maison presbitérale de La Trinité, haut et bas, avec le jardin et ses dépendances », Le Leizour se réservant seulement le cabinet du côté de la chambre22. Tout bénéfice et cure produisait un minimum de « revenus esmolluments honneurs et prerogatives ». Notons que jusqu’en 1625, les recteurs de Notre-Dame percevaient régulièrement « le droict de neufne ou mortuaige sur les meubles » de leurs paroissiens décédés. Il semble qu’ensuite, les héritiers refusent « de payer ledit debvoir » qui existait pourtant « de tout temps immemorial ». Les enterrements (de bourgeois notamment) offraient des avantages : en 1652, Hiérosme Couppé perçoit 20 livres tournois pour avoir assuré la levée du corps d’Ollivier Allain sieur des Poiriers, son enterrement et la messe d’octave ; en 1681, Laurent Moisan lègue par testament 90 livres aux prêtres de l’église Notre-Dame (à raison de 30 livres chacun) qui se chargeront de son enterrement et, en 1724, Catherine Le Merer dame douairière du Plessix Kermel envisage de « payer gracement son recteur et prestres qui assisteront à son enterrement ». Si l’homme d’église entretenait des rapports privilégiés avec le testateur, celui-ci pouvait même se montrer généreux : en 1750, la marchande Catherine Le Quémener entend léguer 36 livres à Charles Meuric, son exécuteur testamentaire. Les fondations et dons au profit d’une paroisse, notamment par des testateurs soucieux de leur devenir dans l’Au-delà, pouvaient aussi représenter de jolies sommes, ce qui explique qu’en 1705-1710, Jan Le Leizour recteur de La Trinité se réserve de toucher toutes celles faites en faveur de sa paroisse. Par exemple en 1681, le sieur de Kerbino Laurent Moisan lègue aux recteurs et prêtres de l’église Notre-Dame 300 livres de rente annuelle pour l’entretien du service et des prières rendus chaque année pendant l’octave du sacre. En 1684, Jacques Le Brun et Béatrice Couppé, sieur et dame de Kerprat, cèdent à la fabrique de l’église Notre-Dame une rente de 27 livres, dont 23 livres seront versées aux recteurs, prêtres, assistants et organistes de Notre-Dame en rémunération de leurs services. En 1747, Renée Raison dame de la Villebasse donne à l’église Notre-Dame une « robe de moire brochée » (estimée 80 livres), et à l’église paroissiale de La Trinité la somme de 300 livres qui sera remise au recteur qui l’emploiera comme il jugera bon.
- 23 Pour les curés des villes, il avait été fixé à 500 livres par un arrêt du Grand conseil, le 12 fév (...)
24Les paroissiens aisés se montraient aussi généreux envers les églises paroissiales et leurs desservants qu’à l’encontre des communautés régulières de la ville, certains allant même jusqu’à contribuer financièrement aux réparations des églises : parmi eux, le praticien de Notre-Dame Rolland Guegan qui, en 1726, donne 30 livres au recteur de Saint-Sauveur et 12 livres à celui de La Trinité pour la réfection de leur église respective ; on ignore en revanche si l’église de Sainte-Croix suscita des dons privés de ce genre à l’occasion de sa remise « en meilleur etat [qui] commença le premier mars mil sept cens quarante huit » et s’acheva en août 1750… Il est vrai que les prêtres ne ménageaient pas leur peine. Les baptêmes, les mariages, les sépultures et les messes occupaient leurs journées. En période d’épidémie, comme lors de la peste qui sévit à la fin de l’année 1630, ils étaient vite débordés. Le surménage gagnait certains. C’est peut-être lui qui, le 1er janvier 1696, a causé le décès de Jean Le Bouhelec, vicaire de la Trinité, tombé « en applopelsie en celebrant la ste messe aprez la conservation le jeudy vingt et neufieme du mois de decembre » 1695… Le péril pouvait aussi venir de l’édifice religieux : en août 1720, le pavé de l’église Notre-Dame est en si mauvais état qu’on ne peut marcher en procession ni porter le dais sans « se maittre en hazard de faire tomber celluy qui porte le Saint Sacrement ». Le 28 juin 1748, l’évêque de Tréguier visitait l’église de Sainte-Croix « et voijant par luy même qu’on ne pouvoit décemment y continuer l’office divin, ny y faire les fonctions curiales, donna ordre et permission […] de transferer le St Sacrement en la chapelle de Notre Dame de Rochefort et d’y celebrer l’office divin et faire les fonctions curiales » ; dès le 30 juin, le « déménagement » était effectué. La plupart des membres du clergé séculier faisaient figure de nantis, du moins aux yeux des paroissiens de Sainte-Croix qui, en 1789, trouvaient honteux « que les recteurs et les curés [pussent] avoir une moitié d’augmentation sur leurs portions congrues » : ils la jugeaient « malplacée » car, avec « toutes leurs autres retributions », ils vivaient « tous à l’aise ». Ils les considéraient comme « les heureux du siecles », ayant « de grosses paroisses [valant] pour ainsy dire de petits evéchés » ! Les paroissiens de Notre-Dame pensaient autrement, réclamant au contraire l’extension de la portion congrue afin que « [leur] pasteur et son curé jouissent à leurs tour de cet avantage dont ils ont estés frustré jusqu’a present n’ayant pour touts emoluments qu’un casuel précaire ». Cette différence d’appréciation s’explique sans doute par la composition socio-professionnelle des deux paroisses : la première est peuplée en majorité de pauvres artisans, et la seconde de bourgeois aisés. Néanmoins, la revendication des habitants de Notre-Dame laisse perplexe : en 1760-1770, « la cure de Notre Dame de Guingamp [valait] 1 800 livres », et le recteur de l’époque Alain Lesquen de Kerohan jouissait en plus de deux petits bénéfices. Il était donc à ranger parmi ces « curés des villes [ayant] un revenu suffisant23 » l’empêchant de « demander la portion congrue ».
25Malgré de réelles disparités au sein du clergé séculier guingampais, ses membres jouissaient dans leur ensemble de conditions de vie satisfaisantes. Leur sort n’était assurément pas le plus misérable.
- 24 Cette crise n’aurait pas touché que le clergé régulier : dans leurs cahiers de doléances rédigés e (...)
26Entre les communautés religieuses et le clergé paroissial, l’élément ecclésiastique était très présent à Guingamp. Il aurait pu l’être davantage encore si la communauté de ville n’avait pas refusé la venue, en 1638, des Bénédictines de Saint-Malo et, en 1643, des Récollets. En revanche en 1625, l’évêque de Tréguier l’avait obligée à accorder « l’eglise et cimetiere de Saint Yves avec ses dépendances aux Religieuses Carmelites pour s’y loger et etablir un couvent ». Pourtant, en 1764, messieurs les nobles bourgeois seront tout heureux de trouver les Carmélites pour qu’elles leur prêtent (à titre de constitution) la somme de 2 400 livres pour « subvenir à leurs affaires publiques ». Le refus des Guingampais à l’adresse des Bénédictines et des Récollets n’était pas gratuit : Guingamp était une petite cité (sa ville close renfermait environ 150 maisons) et ne pouvait donc raisonnablement pas accueillir plus de communautés religieuses que sa population ne pouvait en supporter, car de nombreux réguliers subvenaient à leurs besoins grâce aux fondations, legs et donations. À l’inverse du clergé séculier, le clergé régulier apparaissait comme un poids à la charge de la société. Ceci étant, que huit communautés religieuses sur neuf soient parvenues à s’établir et à maintenir leur présence dans l’espace guingampais – les moines augustins de l’abbaye de Sainte-Croix sont les seuls à avoir disparu – parle indéniablement en faveur d’une bonne tenue économique de la ville ou, à défaut, de ses élites. D’une certaine manière, les réguliers apportaient un plus à la cité : certains pères prédicateurs attiraient les foules au moment du carême, les communautés religieuses employaient plusieurs domestiques (dont étaient également pourvus beaucoup de prêtres séculiers) et faisaient régulièrement appel aux artisans (couvreurs, menuisiers, jardiniers) pour l’entretien de leurs bâtiments et espaces verts. Cela contribuait au moins à maintenir l’activité économique de la cité. Toutefois, la population ecclésiastique était nombreuse – même si elle baissa fortement au cours du xviiie siècle à la faveur d’une crise des vocations24 – et attirait à elle de l’argent qui aurait pu être soit distribué à des catégories sociales plus nécessiteuses, soit réinvesti dans le secteur économique.
La noblesse
27Cet ordre n’est pas plus homogène que le précédent. En se basant sur le critère de la fortune, on distingue une grande, une moyenne et une petite noblesses.
Un groupe numériquement restreint
28Les nobles demeurant à Guingamp sont peu nombreux. En février 1481, Jehan Floriot habite la paroisse Notre-Dame et Rolland Rozhaut la Trinité, tandis que Plouisy et sa trève Saint-Michel abritent Henry Begaignon, Rolland de Quellen, Morice Giquel, Yvon Prigent et Benoît Le Bourges. Au xvie siècle, les nobles se font toujours aussi discrets. En 1660-1680, on recense une vingtaine de familles : les Le Lay, du Boisgelin, Pinart, de Plusquellec, Berthelot, de la Boessière, du Cleuz, d’Acigné, du Garzpern, Gigeou, Le Gac, du Clevedèz, de Kerret, Le Merdy, Poences, Le Pennec, de Begaignon, du Liscoët, de Lanloup et Loz. Au xviiie siècle, 30 à 40 nobles paient leur capitation à Guingamp.
- 25 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bn 2423. À la campagne, les châteaux non occupés en permanence n’éta (...)
29Pour autant, tous ne demeuraient pas dans la cité. En 1627, Jan Begaignon sieur de la Villeneuve était trouvé mort « dans le ruisseaux qui entre dans la prée de Cadoualan aiant le jour precedant esté tard party de ceste ville [de Guingamp] pour s’en aller cheix luy ». En 1633, François Gigeou sieur du Rest demeurait au manoir de Kermen à Ploumagoar, en 1675 Julien du Cleuz chevalier seigneur du Gage était domicilié au manoir des Salles dans la trève Saint-Michel, en 1678 François Pinart chevalier seigneur de Cadolan habitait son manoir de Cadolan à Ploumagoar, et en 1691 Gilles du Boisgelin seigneur de Kersach demeurait dans sa maison de Kersach à Ploubazlanec, dans l’évêché de Saint-Brieuc. Toutefois, ils restaient très attachés à la cité guingampaise où la plupart possédaient au moins une maison ou un hôtel particulier : en 1656, François Gigeou seigneur de Kermen demeurait dans sa maison située près le Vally. Plusieurs, comme Hiérosme Le Brun sieur de Trohadiou devenu maître des comptes en 1680, partageaient leur temps entre Guingamp et la ville où ils exerçaient un office et habitaient une partie de l’année. Citons par exemple, en 1630-1644, Jan du Cleuz « seigneur du Modestz du Rest, des Isles, des Salles, de Keralouan etc. » qui faisait régulièrement le trajet Guingamp-Metz et Metz-Guingamp parce qu’il était « conseillier du Roy en son parlement de Metz ». En 1687, Pierre de Keroignant sieur de Trézel déclarait être « propriettaire d’une maison en ville garnye et meublee », mais avouait qu’il ne faisait qu’aller et venir à Guingamp pour ses affaires. Comme Jan Bernard sieur de Kerhorre, il était « pentionnaire tantost en ville tantost a la campagne ». Cette double résidence pouvait entraîner des désagréments. Pour preuve, dans la nuit du 29 au 30 décembre 1770, « un attentat des plus violens » fut commis « sur l’hotel de Boisgelin sittué dans l’enceinte de cette ville [de Guingamp] derriere le mur des religieuses Carmélites » : des malfaiteurs profitèrent de l’absence de la maîtresse des lieux, et de ce que l’hôtel n’était gardé que par un seul homme, pour y faire « plusieurs desordres et enlevemens », notamment « des draps et serviettes, un fusil et deux pistolets25 ». Dans la seconde moitié du xviiie siècle, Ollivier de Kermel seigneur de Kermezen demeurait ordinairement au château de Kernabat à Plouisy, mais depuis 1762 était aussi locataire d’une maison située rue Saint-Yves dans la paroisse Notre-Dame de Guingamp. Toutefois, quitte à demeurer en ville, mieux valait encore être propriétaire de son logement. Occupant en 1763 une maison appartenant à Yves de Trogoff du Boisguezennec, le seigneur de Kermezen accepta d’héberger provisoirement (pour une durée de deux à trois mois) mesdames Callais et du Boisguezennec, contraintes d’abandonner leur demeure située rue de la Pompe « à cause de l’ecroulement prochain dont la dite maison etoit menacé ». Il leur offrait ainsi un asile, le temps pour elles de faire procéder aux réparations indispensables qu’exigeait leur habitation ou de trouver un autre logement ailleurs. Cependant, trois mois plus tard, la dame du Boisguezennec demanda à rester encore une année et à jouir d’un plus grand nombre de pièces, ce qu’Ollivier de Kermel ne put refuser. En juin 1764, il était donc réduit à la jouissance d’un seul appartement, se trouvant par là « hors d’etat d’user de sa ferme », « et la facon dont les sieur et dame du Boisguezennec se [comportaient] ne luy [donnait] pas l’espoir d’en user encorre de longtemps » : le mari et la femme n’étaient « pas encorre a même de se decider […] s’ils abandonneroient la maison ou si en qualité de propriettaire ils en retiendroient tout à fait la disposition suivant le droit que leur proprietté leur [donnait] » ! On imagine l’embarras du seigneur de Kermezen. Les nobles n’étaient pas seulement présents à NotreDame : en janvier 1777, Noël de Ploesquellec, chevalier seigneur du même nom, avait élu domicile à Saint-Sauveur. Ce style de vie, partagé entre ville et campagne, caractérise la noblesse guingampaise des xviie et xviiie siècles, mais ne s’applique pas à celle des deux siècles antérieurs : les aristocrates des xve et xvie siècles sont surtout des ruraux. Les familles nobles affichant plus d’une dizaine d’enfants baptisés n’étaient pas exceptionnelles. À titre d’exemples, Ollivier du Bourblanc et Marguerite Thomas sieur et dame de Poulfanc baptisèrent quatorze nourrissons de 1632 à 1654, Bertrand de la Boëssière et Marie Gouyon de la Palue eurent au moins onze enfants baptisés de 1697 à 1713. Mais la forte mortalité infantile (et dans une moindre mesure juvénile), caractéristique de l’Ancien Régime, ne les épargna pas. Yves, Guy et Marie du Bourblanc, respectivement baptisés les 12 février 1632, 22 mai 1634 et 13 août 1636, décédèrent le premier à l’âge de cinq jours, le second à onze ans et la troisième à sept ans et demi. En 1642, Jan, fils de Guy du Cleuz seigneur du Gage, mourut au manoir des Salles à l’âge de dix ans, et en 1662 Yves, fils des seigneur et dame de Kernabat Charles d’Acigné et Anne Boterel, disparaissait à l’âge de deux mois.
30En revanche, les couples de quatre à six enfants étaient fréquents. Citons Berthelemy Pinart et Isabelle Budes (cinq nouveau-nés baptisés de 1577 à 1582), Marc Antoine de la Boëssière et Anne du Boisboissel seigneur et dame de Lopriac (quatre enfants baptisés entre 1645 et 1648), René Gigeou et Philipette de Boisbily sieur et dame de Kermen (cinq nourrissons baptisés de 1675 à 1683) ou Bertrand de la Boëssière et Marie de Tavignon (six enfants baptisés entre 1763 et 1771). La disparition prématurée de l’un des époux, principalement de la femme, l’explique parfois. Le 1er juin 1673, Anne Le Brun, épouse de Marc Antoine de la Boëssière seigneur de Lannuic, décède à 23 ans après avoir mis au monde son cinquième enfant le 26 mai, baptisé Marc Antoine le 2 juin suivant. Le 9 février 1683, Anne de la Bourdonnaye, compagne du seigneur de la Garenne Gilles du Boisgelin, disparait à l’âge de 27 ans « appres avoir acouchée heureusement ». En février 1771, il arriva le même malheur à Marie de Tavignon : ayant accouché le 6 d’une petite fille baptisée deux jours plus tard Hyacinthe Françoise Marie, l’épouse de Bertrand de la Boëssière s’éteint le 16 du même mois. Des couples ont pu volontairement limiter leur descendance en vue du partage des biens, la succession venue. En Bretagne, depuis 1580, la Coutume attribue les deux tiers des biens nobles à l’aîné, les cadets se partageant le tiers restant, tandis que les biens roturiers sont répartis équitablement entre les enfants. Selon l’importance du patrimoine, certaines familles de la noblesse avaient donc intérêt à ce que le nombre des cadets fût restreint. Si plusieurs enfants devaient se partager le tiers et/ou le total de pas grand chose, cela pouvait à plus ou moins longue échéance conduire à l’extinction du lignage ou à celle de la branche cadette…
31Il est difficile d’évaluer l’importance numérique des nobles à Guingamp sous l’Ancien Régime, mais ils n’ont sans doute jamais représenté plus d’une trentaine de familles. Ils possédaient tous un manoir ou château à proximité de la cité – par exemple à Plouisy ou à Ploumagoar – et, de cette façon, partageaient leur vie entre ville et campagne.
Un groupe à l’aisance financière inégale
- 26 M. Nassiet, Noblesse et pauvreté…, p. 51.
- 27 Il s’agit d’Henry Begaignon en tant que lieutenant du capitaine de Guingamp, et d’Yves Million occ (...)
32À la fin du xve siècle, les nobles « de la ville de Guingamp o ses forsbourgs » paraissent plus riches qu’au début du xvie. À la montre qui se tint à Lannion le 4 février 1481, sept se présentent dont six en tenue d’archer en brigandine : trois possesseurs de fief attestent un revenu noble de 30 livres, un autre de 40 livres et trois autres de 60 livres. Or d’après Michel Nassiet, les feudataires disposant d’une trentaine de livres de revenu noble « jouissaient encore d’une petite aisance, à condition de se contenter d’une vie rurale26 ». Par contre, à la montre de septembre 1503, deux des neuf feudataires que compte Guingamp sont « excusés27 » et un seul se présente à cheval, en cuirasse avec épée javeline et sallade ; les six autres comparaissent à pied, en robe sans « harnois » : parmi eux, Jean de Kerderien et Yvon Jegou qui, en 1481, étaient tout équipés. Le conflit entre la France et le duché de Bretagne à la fin du xve siècle n’est pas étranger à cette baisse du revenu noble. La guerre, qui prit fin en 1491, ravagea littéralement le duché breton ; les terres laissées à l’abandon et les pillages de la soldatesque ruinèrent de nombreux feudataires.
33En mai 1666, les nobles Guingampais qui firent « leurs declarations et [donnèrent] des marques de leur zele au service de Sa Majesté » connaissaient des fortunes diverses. Anthoinette Le Lay (veuve douairière de François du Dresvaz seigneur de Kerrouez) déclarait 4 à 500 livres de rente (charges rabattues), Gabrielle du Boisgelin (veuve de René Pinart seigneur de Cadolan) avouait un revenu noble de 120 livres, mais Pierre de Plusquellec et Julien Berthelot faisaient chacun offre de servir de leur personne, « étant aidé [et] n’ayant aucuns maisons terres ni fiefs nobles ». Par comparaison, citons des feudataires membres du Tiers État : François Allain sieur de Keribo (en qualité de curateur de ses nièces Catherine et Louise Allain) déclarait un revenu noble composé de 44 boisseaux froment et 64 L 8 s de rente annuelle, tandis que celui de Jacquette et Marie Landois correspondait à 64 boisseaux froment et 94 livres de rente. Moyenne et petite noblesses étaient donc présentes à Guingamp. La riche noblesse avait aussi ses représentants, à l’image de Jan d’Acigné chevalier seigneur marquis de Carnavallet, baron de la Touche et d’autres lieux : en 1674, son frère n’était autre que « mr le gouverneur de Brouage » qu’il désigna pour s’occuper de placer son neveu et filleul Jan d’Acigné « page chez le Roy en sa grande escurye ».
34Au xviiie siècle, l’essentiel des membres du second ordre capités à Guingamp relève de la petite noblesse. Certains connaissent même une dégradation de leur condition. En 1741, madame de Crecholen Noüel ne paie plus de capitation car elle est déclarée « pauvre » ; il est vrai que de 1735 à 1739, elle était capitée moins de trois livres. En 1746, madame de Kermen Gigeou est qualifiée « sans biens » et donc exemptée de capitation, alors qu’en 1735 elle payait encore 4 L 10 s (puis deux livres en 1743-1745). Cela prouve que les nobles – et à plus forte raison les moins aisés d’entre eux – n’échappèrent pas aux difficultés économiques grandissantes au cours du xviiie siècle.
35Les nobles versant au moins 21 livres de capitation passaient sans doute pour des gens aisés, mais beaucoup tardaient à payer leur dû. L’« estat de ce qui est deub de reste par messieurs les gentilshommes de l’evesché de Treguier pour leur capitations depuis l’année 1718 jusques et y compris 1724 » précise que le seigneur de Lannuic de la Boëssière doit 792 livres, madame la douairière de Sullé 156 livres, et monsieur de Sullé (son fils) 160 livres. Quelques années plus tard monsieur de la Boëssière de Lannuic, devant faire face au remboursement d’un montant toujours plus élevé, présenta requête « tendante à moderation de la capitation pour toutes les années depuis 1718 jusques et compris la presente année » 1728, ce qui lui fut accordé. Certains nobles éprouvaient de sérieuses difficultés d’argent. En 1764, Paul Alexandre chevalier seigneur du Boisberthelot (enseigne des vaisseaux du roi) et son épouse Roze Taaff empruntent 4 000 livres à la marchande Renée Guery (veuve de Jan-Baptiste Guyomar sieur de Kerninon) « pour subvenir à leurs affaires ». En 1768, Bertrand de la Boëssière obtient 3 000 livres des mains de la marchande Mathurine Onfray, veuve de Rolland Guyomar de Kerninon. En 1773, François Le Cardinal chevalier seigneur comte de Kernier et sa femme Renée du Bahuno empruntent 9 000 livres à la comtesse de Lorgeril Louise de Saint-Germain. Ayant du mal à « joindre les deux bouts », des nobles iront jusqu’à exposer par courrier leur triste état à quelque membre influent de l’entourage du roi, dans l’espoir de bénéficier d’une aide rapide. Dans une lettre datée de septembre 1759, Gigeou de Kermen, « pauvre gentilhomme », « exposoit sa situation à Madame la Marquise de Pompadour, et […] la prioit de lui accorder quelques secours ». En vain. Toutefois, le sieur de Kermen ne s’en tint pas là. Furieux de l’indifférence manifestée par la marquise et « dans le desespoir de n’avoir rien obtenu », il prit « le parti de l’ecrire » et continua donc de lui adresser des lettres, mais qui comportaient des termes injurieux comme « les mots de garce, [et d’] ivrogne ». Mal lui en prit. Démasqué, le roi ordonna son emprisonnement au Mont-Saint-Michel où il fut conduit le 17 août 1760. Il ne retrouvera la liberté qu’en janvier 1762, après avoir donné des preuves de son repentir. D’autres, en revanche, ne connaissaient pas de soucis financiers majeurs. Parmi eux, citons Marie de Boiséon comtesse du Bourblanc, Ollivier de Kermel chevalier seigneur comte de Kermezen (en 1767, il achète « la maison nommée l’hotel de Munehorre sittue au haut de la rue Notre Dame de Guingamp donnant en face et de son perron sur ladite rüe Notre Dame » pour la somme de 12 000 livres payables « dans l’année du jour du presant contract »), Charles Gogibus de Menimande chevalier de l’ordre militaire de Christ, Louis du Groesquer, le seigneur de Lannuic Marc Antoine François de la Boëssière, Charles du Garspern seigneur du même nom, Marie Plancher veuve de François de Bizien chevalier seigneur vicomte du Lezard, et Marie du Garspern dame de Bossaut.
- 28 Le seigneur du Lojou reçut 20 boisseaux de froment (estimés 80 livres), 20 boisseaux d’avoine (éva (...)
36Ils accédaient assez volontiers aux demandes de prêt (plusieurs centaines de livres) formulées par leurs fermiers en difficulté. D’une manière générale, les nobles n’étaient pas insensibles à leur mauvaise situation et agissaient en conséquence. Par exemple en 1761. Jean Castel et sa femme Marie Le Carvennec, ménagers de Bourbriac jouissant de la métairie du Colombier, qui appartient à Charles Le Brun du Lojou, lui doivent 980 livres « pour tout reste des levées echues et arrerages du prix de leur dite ferme » : le couple « n’estant pas en estat quant a presant de payer ladite somme », le seigneur du Lojou « par commiseration » accepte d’être en partie payé en nature (jusqu’à 239 livres28) « et de leur accorder quelques delais pour payer » les 741 livres restant. Cependant, en 1762, Castel et sa femme ne peuvent payer cette somme. Le seigneur du Lojou fait alors un nouveau geste, « par comiseration pour eux et connoissant leur triste situation » : il réduit sa créance à 700 livres, payables à raison de 30 livres par an. Confronté à des mauvais payeurs, Charles Le Brun du Lojou usa finalement peu de son droit de faire saisir partie ou totalité de leurs biens meubles. En 1769, Pierre Taaff adopta cette attitude mêlant compréhension et compassion. Après l’incendie, le 4 avril, d’une partie des bâtiments du lieu noble de Kervilio (à Saint-Gilles-Pligeaux), il aurait été « en droit de faire supporter toute la perte et les evenements » aux fermiers à cause « de leurs imprudences ou negligences ou celles de leurs domestiques ». Mais, éprouvant au contraire envers eux une « consideration particuliere […] pour la perte qu’ils y firent eux mesme d’une partie de leurs meubles effects et bestiaux », il leur imposa seulement certaines réparations et consentit à « leur faire remise et diminution sur les termes courants du prix de leur ferme » de 150 livres. La « générosité » de certains nobles les conduira à traiter favorablement des braconniers pris en flagrant délit. Surpris, en janvier 1768, « à couper et emonder les branches de la grande avenue du chateau de Coetmen sittué a la proximitté dudit bourg de Bourbriac » et appartenant à Charles Le Brun du Lojou, les paroissiens Yves Berthelot, Joseph et Guillaume Riou, Guillaume Le Goff, Jean Thomas et Briac Le Men furent aussitôt arrêtés. Cependant, ayant promis de ne pas récidiver, le seigneur du Lojou « par bien veillance » n’engagea pas de poursuites, réclamant simplement la somme de 15 livres « pour tous despans fraits dommages et interrets ».
- 29 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 2 E 406. Ignorant les suites de l’affaire, on ne sait pas si Bertrand Ga (...)
37Plutôt que de susciter des rapports conflictuels, les nobles optaient généralement pour la manière douce. D’ailleurs, l’emploi de la force ne donnait pas forcément de meilleurs résultats. En octobre 1703, le sergent de la cour ducale de Guingamp se rend avec ses assistants « jusques et au devant de la porte et demeure de Gilles Le Hennaf mesnager demeurant […] au village de Querampallier en la paroisse de Gommenech », pour le sommer de lui payer sans délais la somme de 69 livres due au seigneur comte Bertrand de la Boëssière « pour reste des deux levées dernieres du terme de St Michel dernier de la rente due de sur des maisons et terres situées audit Gommenech ». Trouvant le ménager « à bâtre du bled sur l’aire de Morice Ollivier son beau père demeurant audit village de Kerampallier », le sergent lui réclame l’argent, mais Gilles Le Hennaf déclarant n’avoir « quant à presant or ny argent pour y satisfaire », il le prend « au corps afin de l’emener et constituer prisonnier aux geolles de Guingamp conformément à [son] pouvoir ». Aussitôt, les beaux-parents et la femme du ménager lâchent « un grand chien blanc lequel était à l’attache dans une logette au coté dudit aire », et tous s’élancent sur le sergent et ses assistants « avec des fourches et battons et par force et violence » leur retirent des mains Gilles Le Hennaf, en proférant « plusieurs injures atroces jurant et blasphemant le St Nom de Dieu » et en les menacant de leur ôter la vie ! Le sergent et ses acolytes s’enfuient mais sont poursuivis « la longeur de 3 ou 4 clos » par les ménagers avec leur chien, « criants le haro sur [eux] et mesme proférants plusieurs paroles calomnieuses contre ledit seigneur comte de la Boessière29 ». Comme quoi, mieux valait encore discuter et trouver une solution à l’amiable…
38À Guingamp aux xvie, xviie et xviiie siècles, les nobles appartenaient pour la plupart à la moyenne et à la petite noblesses, mais nul n’était à l’abri d’un revers de fortune.
Une participation timide aux activités économiques de la cité
- 30 Expression empruntée à M. Nassiet, Noblesse et pauvreté… », p. 164.
39Les nobles guingampais avaient une vie sociale bien remplie mais participaient peu aux activités économiques de la cité. Ils acceptaient avec plaisir de patronner une nouvelle cloche dans l’église paroissiale. Citons, en avril 1656, Jeanne du Perrier dame douairiere de Kersà à Notre-Dame, en mars 1699 « messire François Bizien chevalier seigneur de Menehor et dame Renée Therese Du Gaspern dame du Roudourou » à Saint-Sauveur, ou encore en mars 1735 Julien Botrel de Quintin chevalier seigneur du même nom et Catherine Fleuriot comtesse de Cadolan à Notre-Dame. Etre sollicité pour nommer une cloche paroissiale ne rendait pas peu fier, un tel patronage étant assimilé à un véritable « signe extérieur de prestige30 ».
- 31 Des membres du second ordre s’impliquent aussi dans le baptême d’enfants exposés (pas obligatoirem (...)
40Les nobles acceptaient très facilement de porter et nommer sur les fonts baptismaux des nouveau-nés issus de couples du Tiers État, bourgeois ou simples manants. En septembre 1672, Marie, fille d’Yves Guillemot palefrenier du seigneur de Carnavallet, a pour marraine Marie d’Acigné dame de Kernabat ; en juillet 1675, Charles d’Acigné chevalier seigneur de Carnavallet est parrain d’un garçon du notaire Pierre Hamon. Des nobles cautionnent même des baptêmes d’enfants illégitimes comme Sébastien de Begaignon, parrain du fils naturel d’Heleine Burlot baptisé Yves Joseph à Notre-Dame de Guingamp en mai 1689, ou Charles Le Brun seigneur du Lojou et Marie du Boisgelin dame de Kerberso, compère et commère de « Marie Fidele Menguy fille illegitime de Guillemette Menguy et d’un pere inconnu » baptisée à La Trinité en octobre 174331. Cette attitude surprend moins quand on sait que les nobles concevaient aussi hors mariage : en 1627 à Notre-Dame, « Janne bastarde de hault et puissant messire Louis du Parc vivant seigneur de Locmaria » (ancien gouverneur de Guingamp) meurt en avril à l’âge d’un an, et en novembre « Francoise dite du Liscouet fille illegitime d’escuier Guillaume du Liscouet vicomte de Planche et de Margueryte Le Jolif sa concubine » décède âgée de cinq ans et dix mois.
41Les nobles s’intéressaient aussi aux défavorisés de la cité, se préoccupant de leur sort ou de leur salut. Par exemple, en février 1673, Rolland Le Gualles seigneur de Mezebran, François Pinart seigneur de Cadolan et Gabrielle du Boisgelin dame douairiere de Cadolan s’associent à huit riches bourgeois de la ville pour fonder une messe « pour le salu des prisonniers ». « Ayant cogneu la necessité d’instruction et de consollation qu’ont les prisonniers de ceste ville [de Guingamp] n’ayant point de messe asseurée en leur geolle, le zelle et la piete desdictes particulliers n’ont peu plus longtemps supporter ce deffaut en sorte que pour y remedier ils ont resollu de fonder de ce jour a perpetuité une messe en ladite geolle, a estre dicte toutz les dimanches et festes de l’année en ladite geolle a sept heures precises du matin hyver et esté par le prestre et chappellain quy sera tenu de la desservir […] ». En 1784, monsieur de Trolong garda auprès de lui pendant le mois d’octobre « la nommé Marie Guillouie ( ?) fille Vincent agée denviron 15 ans native de la parroisse de Notre Dame dont ses pere et mere [étaient] mort et qui [était] dans un etat d’imbecillité » tel qu’elle était « absollument hors d’etat de travailer » ; finalement, il dut se défaire de la jeune fille, jugeant plus « convenable de lui accorder une place dans quelquns des hopitaux » de la cité (en l’occurrence l’Hôtel-Dieu).
42Certains nobles choisissaient « par un esprit de piete un pauvre », voire deux, pour parrain et/ou marraine de leurs enfants. À Notre-Dame en novembre 1679, Gilles du Boisgelin seigneur de Kersa et son épouse Anne de la Bourdonnaye baptisent leur fille Marie Rose et lui désignent « un pauvre pour compere nomme Bertrand Martin et Renée Le Juif pour commere » ; en septembre 1692, les parrain et marraine de Marie Joseph Béatrice, fille de Hierosme Le Brun de Trohadiou, sont Yves Guernarpin et Janne Rivoalan, tous deux pauvres de l’Hôpital Général ; et en juin 1703, Pierre Alexandre, fils d’Almaury Uzile et de Françoise Bodin, a pour compère et commère Mathurin Jouannin et Anne Le Goaziou, « deux pauvres pris pour cet effet de l’Hospital General » de Guingamp. En septembre 1690, à La Trinité, Béatrice Couppé dame de Kerprat (veuve d’écuyer Jacques Le Brun) s’était distinguée autrement : elle avait « payé et misé les frais de l’enterrement » de « François Le Fort du lieu de Pattenille ( ?) evesché du Ponant ». Des nobles ont parfois autorisé des gens du peuple à se faire ensevelir dans un endroit de l’église – une chapelle « prohibitive » – leur appartenant. C’est pourquoi lorsque Bertrand Le Quemener, « dit le bureder », mourut le 26 décembre 1705 à l’âge de 60 ans, son corps fut aussitôt inhumé à Notre-Dame « le soir dans la chappelle de Ste Anne prohibitrée à la seigneurie du Roudourou » : il en avait obtenu la « permission du seigneur et dame du Loiuou seigneur propriettaire de la ditte terre du Roudourou a la quelle la ditte chappelle [était] annexé ». Par contre, si les propriétaires n’avaient pas préalablement été consultés et donné leur accord, cela pouvait valoir aux proches du défunt de sérieux désagréments. Citons un exemple en 1638. François du Garspern sieur du Lojou possède grâce à sa « maison du Lojou […] une chapelle nommé la chapelle Sainct Briacque sittuée en l’eglise parouchialle de Bourbriac du costé de l’espitre ou il a son enfeu escabeau armoiries tant en bosse qu’en vitre dont il est en pocession luy et ses predecesseurs de tout temps imemorial ». Or, le 24 mars, profitant de son absence (il est « occuppé au pais de Leon »), François, Louise, Jeanne et Matheline Le Vacon, « gentz de peu et de neant », font « ouverture de l’une des tombes du supliant et y [font] enterrer et inhumer le corps mort de Michel Le Vacon leur pere en laquelle tombe y avoit puis peu de temps auparavant un corps ensevely par la permission du supliant non encore consumé ». De retour chez lui, François du Garspern porte aussitôt plainte devant le siège présidial de Rennes… Il n’est pas sûr que le marchand guingampais Pierre Henault ait rencontré les mêmes ennuis en novembre 1676, bien que sa mère Catherine Becherel ait été inhumée dans la chapelle du Roudourou sans la permission du propriétaire, « haut et puissant seigneur messire Claude Cornulier chevalier seigneur de la Touche conseiller du roi en tous ses Conseils d’Etat et Privé et son Président au mortier au parlement de cette province de Bretagne ». Les vicaires de Notre-Dame en avaient pris seuls l’initiative. Néanmoins, Henault s’en alla « detterer sadicte mere du mesme lieu de ladicte chapelle ou elle [avait] esté entheré et [la fit] mettre dans une aultre tombe en ladite esglize sittué hors la neff de ladicte chapelle ». Souhaitons qu’après de telles péripéties, Catherine Becherel aura pu trouver le repos éternel…
- 32 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 2 E 337. Le seigneur de Carnavallet mourut le 21 février suivant, des su (...)
43À Guingamp, le jour de mardi gras voyait les nobles et les bourgeois parader ensemble. Le 6 février 1674, ils « se sont masqués et ont monté a cheval pour aller a Kermorvan chez mr Mezobran ». Malheureusement, un incident sur le chemin gâcha la fête : le seigneur de Carnavallet Jan d’Acigné, le « presantateur des masqués », reçut « un coup de pied du cheval de M. de Kertanguy proche les Capucins dont il [eut] la jambe cassée et ensuite [fut] apporté a la maison », tandis que toute la compagnie s’en retourna démasquée32.
44Les gens de la noblesse avaient donc des contacts avec les autres habitants (du Tiers État comme du clergé), notamment lors des réunions solennelles et des festivités publiques.
- 33 Article de Joël Cornette, « À bas l’État absolu » paru dans l’Histoire, n° 194, décembre 1995, p. (...)
- 34 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 2258. Son frère aîné, Jacques de la Boëssière, a été tué le 29 juill (...)
45Leur engagement dans les activités tertiaires de la cité, en particulier au sein de l’administration ducale et royale, est réel. Aux xvie et xviie siècles, ils sont quelques-uns à pratiquer la vénalité des offices. Rappelons l’office de sénéchal de Guingamp resté aux mains des de la Boëssière pendant presque toute la première moitié du xviie siècle. En 1670-1690, les de Plusquellec (Pierre puis son fils Etienne) détiennent une charge de procureur-notaire au siège ducal de Guingamp. Toutefois, à cette époque, et sans doute depuis le début du xviie siècle, l’office est principalement exercé par des roturiers aisés car de nombreux (petits) nobles s’en sont détournés, en raison de sa perte de prestige et de son assimilation à une activité dérogeante. À partir de 1650, les nobles aisés délaissent quant à eux les offices de justice attachés à la sénéchaussée ou à la cour ducale de Guingamp, pour jeter leur dévolu sur des charges plus considérées et rémunératrices. Par exemple, celles de conseiller du roi au parlement de Bretagne (le seigneur de Lannuic Marc Antoine de la Boëssière en achète une en octobre 1674) et de maître des comptes à la Chambre des comptes de Nantes (Hierosme Le Brun achète la sienne le 2 mai 1680, mais René Pinart seigneur de Cadolan est déjà « conseiller du Roy et maistre de ses comptes en Bretaigne » en août 1654). Les charges militaires attirent également certains aristocrates. La politique belliqueuse de la monarchie française à l’encontre de certains de ses voisins européens, et les inévitables conflits armés qui en découlent, suscitent des vocations au sein d’un ordre dont la mission originelle était « de verser son sang afin d’accroître ou de protéger le territoire de la monarchie33 ». En décembre 1703, Bertrand de la Boëssière devient « Lieutenant de messieurs les Maréchaux de France dans la senechaussée de Guingamp ressortissante au parlement de Rennes » ; il avait déjà servi le roi en qualité de capitaine au régiment de dragons de Sillar dans les années 1680-169034. Mais seul l’intérêt a peut-être motivé le seigneur de la Boëssière : en mars 1709, un noble nommé du Groesquer lui reproche de ne « pas [faire] grande attention aux fonctions de [sa] charge » et de n’en estimer « que les privileges et immunités » (comme l’exemption du service du ban et de l’arrière-ban). À sa mort en mars 1743, l’office reste vacant jusqu’à ce que son petit-fils Bertrand Pierre Marie en soit pourvu le 1er octobre 1766 (après avoir payé la somme de six mille livres « pour la suiance [survivance] dudit office » et « pour parvenir à toutes les dignités militaires même pour etre reçu dans l’ordre de St Louis »). En août 1732, Bertrand de la Boëssière avait souhaité voir son fils Jan Maurice embrasser la carrière militaire : il s’était engagé à lui « faire et payer une pension annuelle de 500 livres » « le temps que [Jan] aura l’honneur de servir le Roy dans sa marine en qualité de garde de la marine ».
46D’autres nobles guingampais servirent le roi en qualité d’officiers. En juillet 1666, Jan d’Acigné était à la tête de la neuvième compagnie de cavalerie « garde du poste de Trelevern », en 1680-1695 le marquis du Cleuz du Gage était capitaine de régiment, en août 1747 Robert Taaff (Irlandais d’origine) était un ancien capitaine de cavalerie et chevalier de l’ordre militaire de Saint-Louis, et en décembre 1766 Fidelle Cormier des Longrais seigneur du Meidic était présenté comme un ancien capitaine au régiment de Champagne infanterie.
- 35 Cité par M. Nassiet, Noblesse et pauvreté…, p. 183.
- 36 M. Nassiet, Noblesse et pauvreté…, p. 186.
47En revanche, la participation des membres du second ordre à la vie commerciale de la cité semble discrète. Un seul document atteste l’exercice par un noble d’une activité dérogeante (en l’occurrence commerciale) : il s’agit d’une enquête « de bourse commune » menée en septembre-octobre 1657 à l’encontre du seigneur du Bois de la Roche (René du Liscoët, alors décédé). Mais cela ne prouve pas que peu de nobles pratiquaient le commerce. Dubuisson-Aubenay, voyageant à travers la Bretagne en 1636, ne rencontre-t-il pas de nombreux gentilshommes marchands, cabaretiers ou taverniers35 ? Cette observation s’appliquait peut-être aussi à Guingamp, ville à la croisée de chemins et centre de fabrication de Berlinges, mais également de toiles marchandes souvent destinées à l’exportation via les ports de Morlaix et de Saint-Malo. Des nobles possédaient des terres labourables et des étendues boisées qui les autorisaient à vendre des surplus de céréales et du bois. Les gentilshommes de Guingamp et de ses environs devaient se comporter à l’image de ceux du « pays » de Lézardrieux qui, en 1631, aussitôt après avoir perçu leurs rentes en grains, en vendaient une partie aux marchands des ports et havres alentour. En octobre 1676, Julien Lamoureux, paroissien de Bourbriac, doit à Yves du Liscoët seigneur de Coatmen la somme de 75 livres pour la vente et la livraison de blés. En 1763, le seigneur de Kerlaino Louis Jan Le Brun exige des fermiers de la métairie noble de Kerleino Crech Saint (située à Saint-Agathon) de faire rendre et vendre chaque année, aux foires et marchés de la région, une partie des blés. Quand ils ne vendaient pas leurs stocks, il les conservaient dans des greniers ; dans les années de déficit et de cherté des grains, ils pouvaient ainsi les vendre plus cher et faire d’importants bénéfices. Ils fournissaient en bois de nombreux artisans, tels que les sabotiers et les potiers. En 1770-1780, les potiers de Pabu, regroupés dans le village de la Poterie près de Guingamp, sont approvisionnés par « mr le vicomte de Choiseulle ». Le bois servant également au chauffage et à la construction, chacun en avait besoin. Il représentait donc une source de revenu intéressante que certains nobles, importants propriétaires de forêts ou de bois, désiraient accaparer. Citons, en juillet 1636, René du Liscoët : il voulait obliger la communauté de ville de Guingamp « d’achetter de son bois sans qu’il y [eut] un prix raisonnable arrêté, ce qui [était] contre le droit des gens-même », et alla pour cela jusqu’à faire excéder « de coups de battons ceux qui [venaient] vendre du bois en ville ». La dérogeance de plusieurs nobles était une réalité, au point qu’en mars 1789, les paroissiens de Saint-Sauveur dénoncent dans leurs cahiers de doléances ces « nobles [qui] n’ont pas honte de profaner les privileges par le commerce et l’industrie » : ils les accusent de tenir « par mains les meilleures terres de la petite paroisse de Saint-Sauveur qu’ils font valloir par leurs domestiques », et de faire « etaler dans les marchés les légumes et autres denrées, comme les derniers des mercenaires, sans contribuer avec les habitants à aucune impositions royalles ». Ces nobles (petits ou plus aisés) restent presque tous inconnus car ils se sont arrangés (avec la complicité de scribes compréhensifs) pour que les documents les concernant ne mentionnent pas leur(s) activité(s) « ignoble(s) », méprisée(s) par les gens de leur ordre. Il faut alors s’appuyer sur la titulature, même si elle n’est pas « un critère fiable pour apprécier la qualité d’un personnage36 ». On sait qu’à partir de la seconde moitié du xviie siècle, le titre de « noble homme » désigne aussi bien un roturier aisé qu’un noble dit « en noblesse dormante ». De cette façon, on peut penser que Claude Poences sieur de Kerleau, époux de Janne Farigo (ou Favigo) maintenu noble à la Réformation de 1668-1671, a exercé une activité dérogeante : au baptême de ses enfants Françoise et Charles, respectivement célébré à Notre-Dame les 13 septembre 1655 et 4 mars 1657, il est qualifié de « noble homme ». En revanche, dans les actes de baptêmes datés de juin 1658 et février 1665, Claude Poences porte le titre « d’escuier ». Pourtant, son éventuelle participation au commerce demeure justifiée car en 1675 un certain Yves Poences est membre de la confrérie des marchands de la ville de Guingamp.
48Ajoutons que les petits nobles sont dans leur ordre les mieux à même de déroger par la pratique d’une activité commerciale : leur peu d’aisance financière les y oblige presque, mais surtout plusieurs sont alliés à des familles de la riche bourgeoisie d’office et marchande de la cité ou d’ailleurs. Citons, dans les années 1640, Pierre Gigeou sieur de Rubelven marié à Catherine Le Goff, la sœur du sieur de Murado Pierre Le Goff ; et en 1675-1680, Jan-Baptiste Le Chaponnier sieur de Kerohan, époux d’Elizabeth Le Page fille du sieur de Kervasdoué Arthur Le Page alloué de Moncontour.
- 37 Elle consistait en un grand plat bassin, deux soucoupes, quatre petites salières, deux douzaines d (...)
49L’impact de la clientèle noble sur le commerce local prête moins à discussion. Comme beaucoup de familles de la noblesse vivent sur et/ou de leurs terres, leur autosubsistance en produits alimentaires de base est réelle. En 1763, la ferme de la métairie noble de Kerleino Crech Saint, à Saint-Agathon, rapporte chaque année à Louis Jan Le Brun différentes espèces de blé, du beurre, du lait, des légumes et du cidre. En revanche, pour les vins et la viande, les gentilshommes se fournissent auprès des marchands de vin (rappelons l’exemple de Janne du Perrier dame de Kersach s’approvisionnant chez Catherine Le Goff dame de Kervegan en 1669-1672) et des bouchers de la ville. En février 1775, Charles Le Brun du Lojou, en sa qualité d’héritier principal de défunt Louis Jan Le Brun seigneur de Kerleino (son cousin germain), rembourse au Guingampais Marc Le Cocq la somme de 151 L 9 s « pour le prix des viandes qu’il avoit fournis pour le service et l’entretien de la maison et chateau de Kerleino » ; le 19 mars suivant, il remet 123 livres à Ollivier Moron, marchand boucher de génisse demeurant à Montbareil (paroisse Notre-Dame), « pour vente et livraison de viandes […] pour l’entretien de la maison » de Kerleino du vivant de Louis Jan Le Brun. Ces nobles vivant dans leur manoir ou château sont de grands consommateurs de chandelles : entre le 1er décembre 1770 et le 25 février 1774, le seigneur de Kerleino en acheta pour 277 L 4 s. En revanche, pour ce qui regarde l’habillement et les produits dits de luxe, la noblesse s’adresse ailleurs, principalement dans les grandes villes de la province comme Rennes, « tant a cause du peu d’assortiment qu’on [trouve] chez les marchands où du peu d’habileté des tailleurs » Guingampais. Par exemple, les chapeliers ne vendent « que des chappeaux communs qui se fabriquent dans le pais ». Les membres du second ordre, très soucieux de leur apparence vestimentaire qui devait témoigner de leur position sociale, sacrifiaient volontiers à la mode. Or, seules les grandes villes, parce que la concentration nobiliaire y était très forte, proposaient en matière d’habillement diversité et raffinement. Guingamp ne pouvait pas non plus rivaliser dans un secteur comme la vaisselle de luxe par exemple ; cela explique qu’au début des années 1670, le marquis de Carnavallet Jan d’Acigné ait fait venir de Paris de la vaisselle d’argent37. Ces achats extérieurs à la cité étaient d’autant plus faciles à opérer que plusieurs nobles exerçaient un office au parlement de Rennes ou à la Chambre des comptes de Nantes, ou se rendaient dans ces grandes villes pour leurs affaires. Ils profitaient alors de leur séjour pour faire des emplettes peu habituelles ou acheter des articles introuvables à Guingamp. Des gentilshommes allaient même à Paris où les tentations et les occasions de dépenser leur argent étaient encore plus nombreuses : en mai 1625, le seigneur de Cadolan Philippe Pinart y séjourne, tandis qu’en octobre 1691 le sénéchal de Guingamp Bertrand Le Brun seigneur de Kerleino trépasse à Nantes « ou il tomba malade a son retour de Paris » où il s’était rendu en compagnie de son épouse.
50À Guingamp, les nobles ne constituaient donc pas à proprement parler une clientèle spécifique.
51Peu nombreux et très mobiles, aussi bien aisés voire riches que peu fortunés et même pauvres, exerçant volontiers des offices mais participant moins aux activités commerciales, les nobles ne pouvaient pas peser bien lourd sur le développement économique de la cité. Néanmoins, ils ont contribué – au même titre que le clergé et la bourgeoisie – à l’afflux à Guingamp de nombreuux domestiques (ils sont 389 en 1778) qui, eux, faisaient marcher le commerce et plus généralement l’économie locale.
Le Tiers État
52Aux xvie, xviie et xviiie siècles, le Tiers État guingampais se caractérise par une bourgeoisie disparate, une foule de gens de (petits) métiers et des déshérités ou laissés pour compte en nombre croissant.
Une bourgeoisie fortement présente mais très disparate
53Les bourgeois occupent dans la cité une place de choix. Ils demeurent essentiellement dans la paroisse Notre-Dame, à l’intérieur des murs d’enceinte. En 1775, la communauté de ville le rappelle encore : « la paroisse de Notre Dame de Guingamp [qui] forme presqu’entierement le centre de la ville » est celle où « resident les personnes riches et les plus aisées », au contraire des faubourgs de Saint-Sauveur, La Trinité et Sainte-Croix dans lesquels « la misere se refugie ». Que la ville close soit l’espace privilégié de domicile des bourgeois n’est pas surprenant. Le mur d’enceinte inspire un sentiment de sécurité, il protège d’une éventuelle (et toujours possible) menace extérieure ; par exemple, en période d’épidémie, les murailles jouent le rôle de cordon sanitaire. De plus, la ville close renferme la halle située sur le martrait, le marché aux blés qui se tient entre le château et l’église Notre-Dame, et le « marché journallier et quotidien pour tout le lait et le beure » situé sur la place du Champ au Roy. Ces lieux d’échanges correspondent à des temps forts de la vie quotidienne et font de la ville close l’endroit le plus animé de Guingamp. Outre le pouvoir économique, elle concentre aussi les pouvoirs politique (présence du château, du sénéchal, des assemblées de la communauté de ville) et religieux (église Notre-Dame). Les bourgeois ne pouvaient donc pas en être absents.
54La disparité des revenus au sein de la bourgeoisie est réelle. Il existe une grande, une moyenne et une petite bourgeoisies.
- 38 En avril 1760, le sieur du Boisclairan Pierre Guery afferme pour neuf ans une boutique située près (...)
55Nous situant dans un cadre exclusivement urbain – même si la cité offre à bien des égards l’image d’un gros bourg38 – on considèrera comme faisant partie du haut de la pyramide bourgeoise, les « banquiers » (aussi marchands), des marchands négociants (ce dernier terme s’imposant au xviiie siècle), des hommes de loi ainsi que des médecins et chirurgiens.
- 39 L’office pouvait rapporter, non compris les avances, la somme de 2000 livres tournois par an (Arch (...)
- 40 Pierre Allain n’eût pas d’enfant de son mariage avec Theffene Jaffrezic (il décèdera sans descenda (...)
56Au xviie siècle (les sources du xvie font malheureusement défaut), François Bodin de Lermo et Philippe Even de Launay sont des bourgeois très aisés. En 1673, le sieur de Lermo et son épouse Françoise Moisan dotent leur fille Marie, dame du Boisriou, de 28 000 livres. De toute évidence, la fortune de François Bodin n’a pas été entamée par l’achat d’offices destinés à ses fils François sieur de la Villeneuve et Arthur sieur de Kermenguy : en décembre 1656, à la faveur de 8 000 livres, il avait fait du premier le « juge provost dudit Guingamp », tandis que le second devenait « conseiller du Roy et recepveur trianal de ses denniers en l’evesché de Saint Brieuc », charge cédée en août 1673 à Laurent Bodin sieur du Boisriou, « au prix et pour la somme de six mille livres ». La famille Allain est tout aussi fortunée : en janvier 1664, François sieur de Keribo prête 19 853 L 13 s 11 d à différentes personnes. Parmi ses débiteurs figurent Marguerite Fleuriot dame de la Touche (pour 8 732 livres), le seigneur de Perrien (pour 2 400 livres) ou encore Anne de la Roche Jagu dame de Coatlez et son fils le sieur de Kergollot (pour 1 800 livres). Ses frères Ollivier sieur des Poiriers – qui fut conseiller du roi et receveur général du taillon en Bretagne39 – et Pierre sieur de Kercado, respectivement décédés en 1652 et 1662, avaient été marchands-banquiers. Citons, au nombre de leurs débiteurs, messire du Perrier sieur du Mené (16 000 livres en 1644), Ollivier de Begaignon et François Le Goff (8 000 livres en 1645), puis dans les années 1650 Françoise de Gouengat dame de Kercabin (4 800 livres), François Gigeou et Claude de Rosmar (3 200 livres), Pierre de Trolong (3 200 livres), messire du Rumen Begaignon (2 400 livres) ainsi que maîtres François Ansquer (600 livres) et Marc L’Hélicoq (96 livres). En octobre 1656, Pierre Allain, curateur de sa nièce Etiennette (fille du défunt sieur des Poiriers Ollivier Allain) qu’il s’apprête à marier, lui donne 500 livres de rente en argent et en nature (du froment) et la dote de 8 000 livres tournois – dont 6 000 livres en sa qualité de curateur. En mars 1662, François Allain et Marie de la Grève sieur et dame de Keribo promettent à leur fille Marie et à leur futur gendre la somme de 14 000 livres, mais la dot sera finalement plus importante : le sieur de Kercado Pierre Allain donna 16 000 livres à sa nièce40. Ces riches bourgeois ne plaisantaient pas avec l’argent, ni avec les débiteurs qui ne respectaient pas les délais de remboursement. En 1661, le paroissien de Goudelin, Pierre Evenou, l’apprit à ses dépens : il fut emprisonné aux geôles de Guingamp pour ne pas avoir payé en heure et temps les 328 livres qu’il devait à François Bodin de Lermo.
57Jacques Le Brun sieur de Kerprat fit fortune dans le commerce du vin et, en 1676, intégra la noblesse. Quelques décennies auparavant, Godefroy Bobony sieur de Kerguillouart s’était enrichi en partie grâce au trafic des toiles : à la mort de son épouse Janne Botbarec en 1618, il possédait plus de 20 000 livres. Au xviie siècle, ces bourgeois occupaient le haut du pavé à Guingamp.
58Au siècle suivant, Jacques Onfray sieur de la Painnière, Renée Guery et sa belle-fille Mathurine Onfray, respectivement veuves de Jan-Baptiste et Rolland Guyomar sieurs de Kerninon, Pierre Guyomar et Guillaume Le Douaren pratiquaient le commerce des draps avec réussite. En octobre 1765, le sieur Le Douaren et son épouse Elisabeth Guernarpin purent ainsi s’offrire, pour 8 000 livres, « une maison située près le martrait de la ville de Guingamp, […] de plus une tourelle etante sur la muraille de la ville […] au dessus de la porte Tourquellenic », une portion d’héritage à Bourbriac, « une maison […] en la rue de Treguier paroisse de St Sauveur » lès Guingamp, un verger à Saint-Michel, quatre pièces de terre à Moustéru et une rente constituée de 40 livres par an. En janvier 1782, le couple dota sa fille Marie de 30 000 livres. La « matrice du rôle de l’emprunt forcé ordonné par la loi du 3 septembre 1793, l’an deuxième de la République une et indivisible », établie à Guingamp le 29 pluviôse 1794, indique le nom des 24 (plus riches) citoyens Guingampais soumis à l’emprunt, ainsi que le montant des revenus perçus en 1793 par chacun dans la seule ville de Guingamp. Parmi eux figurent Guillaume Le Douaren (2731 L 13 s), Jacques Onfray (4393 L 5 s) et Mathurine Onfray veuve Guyomar (2750 L 19 s). Le document prouve que ces grands bourgeois l’étaient toujours en pleine période révolutionnaire. Les événements de 1789, et ceux qui s’ensuivirent, n’ont pas beaucoup affecté leurs affaires que le montant de leur capitation entre 1750 et 1789 révélait déjà prospères. Leur aisance financière est encore bien réelle. À l’abri du besoin, ces marchand(e)s négociant(e)s ont pu aussi à l’occasion jouer le rôle de prêteurs, autant auprès des nobles que des bourgeois. Par exemple, la veuve de Rolland Guyomar avançait 3 000 livres en mai 1768 à Bertrand de la Boëssière et 2 000 livres en novembre 1777 à Louis Margeot sieur de Vauguery.
- 41 Probablement François Georges de MacNemara dont la fille, Marie Françoise Julie, épousa le 18 août (...)
59Des hommes se consacrant à la santé de leurs concitoyens se distinguèrent également par un train de vie que les rôles de capitation nous laissent deviner aisé. Si le sieur de Pommainville François Got, médecin de profession, n’était imposé « que » 30 livres en 1717, il payait 75 livres en 1760. Son métier lui apporta quelques satisfactions sur le plan financier : en septembre 1710, il déclarait avoir la somme de 24 000 livres, tant en crédits, billets et argent. Il est vrai que le xviiie siècle fut riche en maladies et épidémies de toutes sortes qui n’épargnèrent aucunement la population guingampaise, ni celle alentour : en avril 1742, le miseur de la cité avait dû payer 200 livres au sieur de Pommainville pour ses (nombreuses) visites aux malades de la ville et les soins qu’il leur avait prodigué. Un autre médecin semble avoir particulièrement réussi, quand bien même ses origines sociales ne sont pas bourgeoises : il s’agit du sieur de MacNemara41, Irlandais d’origine et gentilhomme de son état. En 1737, il demeure à Guingamp depuis neuf ans environ et est parent de « messieurs MacNemara de Nantes et de Rochefort » en faveur desquels « des lettres de noblesse en bonnes formes » furent « reconues au Conseil [du roi] ». « Des attestations d’etudes en la faculté de medecine de Paris pendant quatre ans consecutifs signées de tous les professeurs et docteurs regens de la dite faculté, visées du doyen et scellées du sceau de la Faculté », ainsi que « des lettres de Bachelier, de Licencié, et de Docteur en medecine en bone et deue forme » et « des Provisions pour la charge de Conseiller medecin ordinaire du Roy expediées à la Chancellerie » prouvent que le sieur de MacNemara ne s’érigea pas « luy même en medecin sans etudes et sans qualitez », contrairement à ce que certains mauvais esprits prétendaient. Cet homme était même très apprécié de « tous les Gentilshommes, eclesiastiques, juges et notables bourgeois de la dite ville de Guingamp et des environs », au point d’exercer « sa profession avec un succez et un aplaudissement universel non seulement a Guingamp, mais a 20 lieues à la Ronde ou il est continuellement apellé ». Il pouvait donc bien vivre « noblement et avec distinction », jouir « deja de beaucoup de Bien » et se trouver « en etat de faire une fortune considerable », ce qu’il réussit : en 1760, il devait payer 75 livres de capitation…
- 42 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 3 E 31/36 (notaire Brunot). Le rôle de capitation pour l’année 1760 à Gu (...)
60À la vérité, sous l’Ancien Régime, les grands bourgeois établis à Guingamp se comptaient sur les doigts. Incontestablement au-dessus du lot, ils surent alors tirer profit de leur position sociale et financière avantageuse pour se hisser encore un peu plus dans la société, jusqu’à faire entrer certains des leurs dans la noblesse. Des familles s’allièrent à des aristocrates. Citons l’union, en avril 1662, de Marie Allain, fille des sieur et dame de Keribo, avec le seigneur de Coatmen Yves du Liscoët fils du défunt seigneur du Bois de la Roche déjà évoqué. Le sieur de Kerprat Jacques Le Brun mariera chacune de ses filles Marie et Anne à un gentilhomme de la vieille noblesse bretonne, la première épousant en 1666 Louis Antoine de Bréhant seigneur de Lisle, et la seconde s’unissant en 1667 au seigneur de Lannuic Marc Antoine de la Boëssière ; son fils aîné Bertrand épousera, au début des années 1670, Renée du Garspern, fille aînée de Guillaume seigneur du Lojou. En 1673, le sieur de Lermo Bodin « donna » sa fille Marie à « messire Jan de Kersalliou seigneur de Kerouar fils aisné heritier principal et noble de deffunct autre messire Guillaume de Kersalliou en son vivant seigneur dudict lieu et dame Françoise Kerrivoal sa veuffve et douairiere ». Le parti était peut-être plus prestigieux qu’avantageux (sur le plan strictement financier) pour François Bodin dans la mesure où, en faveur du mariage de Jan de Kersalliou – « conseiller du Roy et son lieutenant au siege de Lannion » –, son oncle maternel Pierre Kerrivoal sieur du Cozquer lui avait promis « la somme de douze centz livres de rante […] et de le faire quitte de touttes debtes tant de la survivance dudict deffunct sieur de Kerouar son pere que de celles qu’il [pouvait] avoir contractées jusques a » ce jour ; de son côté, sa mère avait déclaré « quitter et cedder vollontairement a son dit fils son droit de douaire luy aquis par le decedz de sondit feu mary sans jamais y rien prettandre, consantant qu’il en jouisse des a presant a l’advenir comme de ses autres biens propres ». Nous ignorons cependant le montant du douaire en question. Au xviiie siècle, mentionnons le mariage célébré en février 1740 à Sainte-Croix entre « messire George Antoine de Banville escuyer seigneur du Rosch », originaire de Normandie, et demoiselle Jacquette Onfray fille du sieur de la Painnière Charles Onfray, marchand magasinier fortuné. Mais les alliances matrimoniales entre grande bourgeoisie guingampaise et noblesse ne furent pas systématiques. En novembre 1747, la demoiselle du Ranger Mathurine Onfray (autre fille de Charles) épousa le sieur de Kerninon Rolland Guyomar appartenant au même (riche) milieu socioprofessionnel ; en mai 1791, leur fils Pierre, négociant, s’unira à la Briochine Mathurine Leuduger Fortmorel, « fille du sieur Claude negociant et armateur », alors qu’en septembre 1787 sa sœur Marie Guyomar avait épousé le marchand négociant Charles Chauvel sieur des Portes. En 1782, Guillaume Le Douaren et son épouse Marie Guernarpin du Lingant marièrent leur fille Marie au médecin maître Alexandre Buhot sieur du Launay, fils du sieur de Kersers et de dame Catherine Limon du Timeur domiciliés au manoir du Menez à Plougras. Par cette union, en faveur de laquelle les sieur et dame de Kersers dotèrent leur fils d’une somme de 1 200 livres et d’une rente annuelle de 500 livres, les Le Douaren s’alliaient ainsi à la famille guingampaise des Limon du Timeur, dont certains représentants jouissaient d’une réelle aisance financière : par exemple, maître Toussaint Limon, avocat à la cour ducale qui, en mars 1765 et février 1766, avançait les sommes de 1 200 et 400 livres à un couple de bourgeois de Notre-Dame42, et Yvon Limon dont le total des revenus perçus en 1793 dans la seule ville de Guingamp montait à 2505 L 12 s 3 d.
- 43 Ainsi de la famille Bavan de la Lande. Pierre était valet et maître barbier ordinaire du roi en 16 (...)
61Les membres de la moyenne bourgeoisie étaient plus nombreux. Parmi eux, des familles déjà maintes fois citées, des familles qui d’une génération à l’autre évoluent dans le milieu marchand, judiciaire ou médical43, quand ce n’est pas dans deux ou les trois milieux à la fois. Par exemple, les de la Grève : Mathieu sieur de Kerlan était maître apothicaire en 1633, Jan marchand de draps de soie en 1640, François sieur de Penquer marchand de soie en 1662, tandis qu’Arthur, Guillaume et Gilles étaient tous trois avocats à la cour ducale en novembre 1674. Dans la famille Ansquer, le sieur de Kerouartz exerçait l’office d’avocat en février 1676, alors que René était docteur en médecine dans la seconde moitié du xviiie siècle. Chez les Brulé, si pendant longtemps certains se mêlèrent de santé publique – Pierre maître apothicaire en 1656, François maître apothicaire en 1674-1681, Julien maître chirurgien et apothicaire en 1731-1736 – d’autres se lancèrent dans les affaires, à l’image de Jan négociant en 1772. Mentionnons également les Le Goff (François sieur de Kereven fut marchand jusqu’à son décès en 1654, et Arthur avocat dans la seconde moitié du siècle), les Desjaulnay (Gilles médecin en 1639 et Jan avocat en 1674) et les Landois (Etienne sieur de Kerpuns était marchand de draps de soie en 1640 et le restera jusqu’à sa mort en juin 1665, tandis que son fils Pierre fut avocat à la cour ducale, charge qu’il occupait encore en juin 1721)… Cette liste de noms n’est en rien exhaustive car elle devrait au moins englober une bonne partie des familles guingampaises présentes au sein de la communauté de ville, et qui y remplirent des charges importantes comme celle, prestigieuse, de maire ou celles de gouverneurs de l’église Notre-Dame, de l’Hôtel-Dieu et de l’Hôpital Général.
62Nous l’avons signalé, les membres de la moyenne bourgeoisie furent surtout présents dans trois domaines principaux d’activité : le secteur judiciaire, le secteur médical (ou plus généralement celui des soins apportés au corps) et le secteur marchand.
63Les officiers de justice étaient particulièrement nombreux à Guingamp. En 1748, le subdélégué Hamon de Porville écrivait que la communauté de ville n’était « composée pour la plus grande partie que de gents de justice ». En février 1790, « l’importance de la justice […] de Guingamp » était telle qu’elle y avait « fixé environ 80 familles de gens de loi » qui représentaient alors « au moins 400 personnes qui [étaient] le 1/10 des habitants de la ville ». Les rôles de capitation ne démentent pas cette forte proportion d’officiers de justice, déjà effective au xviie siècle : en 1670-1690, Guingamp recensait environ 12 procureurs, 27 notaires, 18 sergents et 17 avocats. La plupart de ces officiers vivaient plutôt bien. Au xviie siècle, le journal du notaire Pierre Hamon en témoigne qui, de 1671 à 1688, fait scrupuleusement état du montant annuel des gains et dépenses du sieur du Pré (Graphique 3, p. 170-171).
- 44 Ce renversement de situation tend à confirmer le changement de conjoncture économique repéré lors (...)
- 45 Arch. dép. Côtes -d’Armor, B 2476.
- 46 « Une juppe de Trocard rouge et une juppe de laine ».
- 47 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 2 E 337. Le 11 juin 1691, l’étude de Pierre Hamon sera à nouveau visitée (...)
- 48 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 4111. En 1760, on pouvait compter, parmi les soixante capités payant (...)
64Quand bien même, à partir de 1682-1683, l’aisance financière du notaire paraît moindre, les dépenses prenant le pas sur les gains44, ceux-ci restent encore élevés avec une moyenne de 1420 livres par an. Les vacations d’un procureur-notaire ne sont pas négligeables. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en août 1674 Pierre Hamon porta plainte devant les juges de la cour ducale de Guingamp contre sa cliente Catherine Jegou (veuve d’Alain Laschepter) qui ne lui avait toujours pas payé les 120 livres dues pour ses services. Néanmoins, en juin 1681, peut-être parce que ses gains tendaient à s’amenuiser, le sieur du Pré n’engagea qu’un simple apprenti clerc, François Le Marellec de Lantreguier (ville natale de Pierre Hamon), pour quatre ans et la somme de 40 livres. Il avait été convenu que pendant sa période d’apprentissage, François Le Marellec travaillerait et servirait Hamon sans pouvoir « rien pretandre pour ses escritures », étant logé et nourri45. C’était toujours cela de gagné pour le notaire, car louer les services d’un clerc pouvait revenir à assez cher : en janvier 1672, le Guingampais « noble homme Phelippe Even sieur de Launay fermier et recepveur du duché de Penthevre » avait pris à son service, pour un an en qualité de clerc, Ollivier Le Jolic (de Pommerit-Le Vicomte), auquel il versa « pour ses gages et services la somme de cent livres ». Ceci dit, malgré des revenus en baisse, Pierre Hamon possédait une clientèle encore assez nombreuse pour maintenir son train de vie. Que sa maison, et plus particulièrement son étude, ait été visitée à plusieurs reprises par des cambrioleurs suffit à le prouver. Si une nuit d’août 1684 on lui vola seulement « deux juppes à [sa] fenestre dessur la fenestre de la chambre de derriere46 », le soir du 13 février 1685 on lui subtilisa près de 850 livres. Pierre Hamon ne se rendit compte du larcin que le lendemain et dut rembourser très vite les 130 livres qu’une cliente lui avait confié, « pour éviter à procès47 ». En fait, beaucoup d’officiers de justice n’étaient pas à plaindre. Ils pouvaient donc de temps à autres se montrer généreux comme l’avocat Yves Amproux sieur de Kervaudry qui, en juin 1680, apporta sa contribution à l’établissement de l’Hôpital Général de Guingamp afin d’« estre participant aux prieres des pauvres dudit hospital et aux sacrifices qui s’i feront desormais » : il fit don de deux pièces de terre, d’un convenant à étage et d’une maison avec jardin. En 1757, au moins cinq avocats, sept procureurs, un notaire royal et un huissier audiancier étaient capités 24 livres ou plus48. Parmi eux, maître Jan Homo sénéchal de plusieurs juridictions et procureur à Guingamp, époux de Catherine Seigneur : en avril 1755, le couple acheta pour 4 100 livres une « maison et appartements […] sittués en la rue etroite […] ». Le sieur Homo pouvait par conséquent payer 54 livres de capitation en 1757.
- 49 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 3 E 31/31-36 (notaire Brunot).
- 50 Ibid., 3 E 31/39 (notaire Brunot).
65Vingt ans plus tard, François Homo, avocat à la cour, sénéchal de plusieurs juridictions et procureur de Guingamp, était capité 30 livres en 1772 et prêtait 300 livres en décembre 1775 à un ménager de Maël Pestivien. Jacques Toudic, notaire de la juridiction du Palacret et secrétaire du subdélégué Hamon de Porville, était lui aussi un homme de loi aisé : capité 34 livres en 1772, il joua plusieurs fois le rôle de prêteur d’argent49. Même constat s’agissant d’Yves Pastol sieur de Kermelin, alloué de Guingamp qui, en décembre 1771, acheta avec son épouse Marie Le Dereat une maison située sur le martrait pour la somme de 6 000 livres50 ; de Nicolas Guery sieur de Kereven, procureur de Guingamp et procureur fiscal de la juridiction abbatiale de Sainte-Croix dans les années 1730-1750 ; de Christophe de Rocquancourt sieur de Keravel, avocat au Parlement et vérificateur des domaines du roi en juillet 1772 ; ou de Jacques Gelard sieur de Kerdoualan, notaire royal capité 43 L 5 s en 1757, puis 48 livres en 1772.

Graphique 3 – Gains et dépenses de Pierre Hamon de 1671 à 1688.
Compléments d’explication du graphique 3
(source : Arch. dép. Côtes-d’Armor, 2 E 337.)
- Forte hausse des dépenses qui s'explique essentiellement par le décès, le 13 décembre 1676, de Marie Landois (première épouse du sieur du Pré), tombée malade peu de temps après son accouchement et le baptême du nouveau-né. Malgré les soins des docteurs et d'un "apothicaire", la jeune femme s'éteignit "comme une chandelle". Avant d'être inhumée, elle fit l'objet d'une autopsie : celle-ci révéla qu'elle était morte des "vapeurs de ses purgations remontées dans sa poitrine au coste gauche ou l'on a trouvé environ deux potz de serosittes", cause de "quantité de ventz dans ses boyaulx (...) qui l'avait beaucoup enflé".
- Hausse des dépenses et baisse des gains conjuguéées liées à un procès (perdu) à Vannes qui, outre qu'il obligea Pierre Hamon à séjourner un mois dans cette ville (où il dut débourser pour son hébergement et sa nourriture), le détournant ainsi de ses autres affaires, lui fit perdre "la cliantelle du sieur de Kerbol curateur de M. de Cadouallan", et rater l'occasion de faire 600 livres de profits pour n'avoir pu acheter les blés mis en vente à Cadolan. De toute évidence, le procès coûta au sieur du Pré autant d'argent que de temps...
- Fortes dépenses en partie occasionnées par le mariage, célébré le 15 juillet 1686, de Pierre Hamon avec Pétronille Courson (sa troisième femme). Rien que la "bienvenue" de celle-ci à Guingamp, "avecq ses habitz de nopces", coûta plus de 1100 livres au sieur du Pré, lequel dépensera encore 400 livres avant le 31 décembre, toujours pour les besoins de son épouse... Pierre Hamon reste malgré tout philosophe, considérant "touttes les adversités" que Dieu lui a données au cours de cette année comme "autant d'advertissementz pour (lui) de vivre en honneste homme et de prendre tout en patience". Il s'engage aussi à invoquer "le St Esprit et (son) bon ange toutz les matins pendant (sa) vye" — en espérant fermement que cela lui sera d'une quelconque utilité...
- Augmentation des dépenses à mettre sur le compte de Pétronille Courson, cette dernière accroissant "son luxe, sa vanité et la profanation du bien de Dieu dans un temps où il y a guerre avecq toute l'Europe", et "quoyque les gaings (du couple) aillent en diminuant" — notamment en raison d'un procès à Vannes qui, en écartant Pierre Hamon de ses nombreuses affaires, lui causera "perte de plus de 1500 livres en diverses mannières". Seul espoir du sieur du Pré : que Dieu fasse la grâce à son épouse "de penser à mieux faire et à s'amander, et à (lui) de prandre en patiance touttes les peines et chagrins qu 'elle (lui) cause".
- 51 On lira avec intérêt le livre de François Lebrun, Se soigner autrefois. Médecins, saints et sorcie (...)
- 52 Le fait que ces métiers étaient organisés en maîtrises et jurandes empêchait, par exemple, les apo (...)
66La moyenne bourgeoisie guingampaise comptait également beaucoup de médecins, chirurgiens et apothicaires très sollicités en période d’épidémie et de contagion. Rappelons-nous, en 1773, du médecin René Ansquer se rendant à Plésidy, Pont-Melvez et Plougonver visiter des malades, ou en 1786-1787 du chirurgien Louis Hebert passant en revue des paroisses comme Goudelin, Le Merzer, Pommerit-Le Vicomte, Trezelan et Pedernec pour tenter de soulager la population. Notons toutefois qu’en temps normal, les soins à prodiguer aux habitants de Guingamp et à ceux des troupes armées de passage, malades ou blessés admis à l’Hôtel-Dieu, demeuraient fréquents. Pourtant, « l’Hôtel Dieu autrement [dit] l’hopital de Charité de cette ville […] deservy par des Religieuses Hospitalieres » n’avait « ny medecins, ny chirurgiens, ny apotiquaire » « parceque les fonds de cet hopital n’[étaient] pas assez forts pour l’entretien d’un seul ». Cela explique qu’en 1731 (et depuis 1705 déjà), le maître chirurgien et apothicaire Julien Brulé avait « l’honneur de servir en qualitté de pharmatien et de chirurgien les pauvres malades de [l’] Hotel Dieu sans aucuns droit de sallaire et par un pur œuvre de charité ». En 1756, c’était le « sieur Guillon lieutenant de monsieur le premier chirurgien du Roy à la residence de la ville de Guingamp » qui visitait les malades de l’Hôtel-Dieu sans être « gratifié […] d’aucun apointements, salaires, ny retributions de quelque nature » ; il se partageait ainsi « entre les personnes du dehors et du dedans [de la ville] » qui lui accordaient leur confiance, et les malades de l’Hôtel-Dieu. Dans les années 1770, « M. Ansquer fils jeune medecin » fit preuve d’un semblable dévouement, effectuant « journellement des visites […] gratuitement et sans honoraires » à l’Hôtel-Dieu ; en 1779, les deux chirurgiens de la cité lui prêteront main forte. Ces hommes, professionnels de la santé, étaient généralement appréciés. Jacques Chaillou, « apothicaire » mort en mars 1626, fut de son vivant « aimé et chery de tous », comme René Amproux « maistre chirurgien tres docte et tres expert en son art », décédé à l’âge d’environ 38 ans en avril 1629 : il avait été « en l’estime de tout le monde » et, de fait, « laissa mourant un regret a tous d’estre prives de luy ». En 1710, les apothicaires passaient aux yeux de la communauté de ville pour des « personnes experimentees dans [leur] art », mais également dans celui de la chirurgie. De nombreux maîtres chirurgiens étaient d’ailleurs aussi apothicaires : soit de manière très officielle comme Charles Gaillard en 1698-1742, François Fiquenelle en 1701-1717, Jan de Viansan vers 1710-1716 et Julien Brulé en 1731-1736 ; soit de façon officieuse comme Jan Bavan sieur de la Lande dans la première moitié du xviiie siècle : des documents lui attribuent le seul titre de maître chirurgien, alors qu’en novembre 1723, il était « a sa boutique a vendre des drogues a un cavalier du regiment de Nouan » quand il fut agressé par l’avocat maître Pierre Le Leizour sieur de Rohello ; de la Lande Bavan était bien « chirurgien et apoticquaire ». En 1748, le subdélégué Hamon de Porville confirmera que « les chirurgiens de la ville sont tous apoticaires ». Dans les années 1770-1780, le médecin Julien Audouin, « breveté du roi », semblait « le plus en vogue des medecins de Guingamp », tandis que le chirurgien Louis Hebert (« le plus ancien de ses confrères à Guingamp ») voyait « ses talens et son experience » reconnus par tous. Néanmoins, cette bienveillance à l’égard du personnel de santé ne fut pas toujours d’actualité. En 1710, la communauté de ville constate que « le public est exposé à de très perilleux événements par le peu d’experience de ceux qui exerçent la chirurgie et entreprennent d’accommoder les fractures et autres opérations de chirurgie tant en cette ville que dans les campagnes voisinnes ». Ces chirurgiens ont « si peu de connaissance et d’adresse qu’il en est arrivé de très fâcheuses suites, particulièrement à de pauvres gens ouvriers de profession dont plusieurs ont sorti depuis un an de l’Hôtel Dieu de cette ville estropiés et tellement maltraités qu’ils sont hors d’état de gagner leur vie, ce qui ne serait pas arrivé s’ils avaient été pansés et soignés par des personnes expérimentées dans l’art [de la chirurgie] ». Est-ce à dire que Clet Morinière, Pierre et Laurent Bavan, tous trois maîtres chirurgiens en 1707-1708, devaient être considérés comme de mauvais chirurgiens, sinon des incompétents ? Sans doute ne réussirent-ils pas toujours à guérir parfaitement telle blessure, le patient en conservant quelque séquelle ou traumatisme, mais cela était courant à une époque où la technique médicale restait encore rudimentaire51. L’attitude peu amène de la communauté envers les chirurgiens s’explique plutôt par son désir d’imposer un maître apothicaire (Jan de Viansan, ancien chirurgien major du temps où il exerçait dans les armées du roi, tant sur terre que sur mer) comme chirurgien52. Le personnel de santé jouissait dans son ensemble d’une relative aisance. En 1680, le médecin François Boscher sieur de Vauverd était propriétaire de la terre et seigneurie de Troaz, et en 1717 payait 36 livres de capitation. En 1756, le chirurgien Joseph Guillon déclarait ne pas disposer d’une bien grande fortune, mais était tout de même capité entre 30 et 40 livres ; le subdélégué Hamon de Porville le trouvait même « assez à son aize » au regard de ses deux collègues Bavan (taxé 23 livres) et Chabault (capité 14 livres) subsistant « plustôt de l’apotiquairerie que de leur profession ».
- 53 On remarque toutefois qu’en 1676-1677, une demoiselle de Kervegan Le Goff était signalée marchande (...)
- 54 Arch. dép. Côtes-d’Armor, B 453. En fait François Le Goff sera fermier pendant dix-huit ans.
67À Guingamp, le secteur marchand était un autre domaine de prédilection de la moyenne bourgeoisie. Cela n’est pas surprenant dans une cité où l’activité commerciale est essentielle : au xviiie siècle, les rôles de capitation recensent une cinquantaine de chefs de famille qualifiés de « marchands ». Mais les sources ne précisent pas toujours la nature des marchandises trafiquées. En 1628, François Le Goff sieur de Kereven est signalé simple « marchand ». Les deux inventaires de ses biens en communauté, d’abord avec Isabeau Le Cazre (sa première femme) puis avec Jacquette Euzenou (sa seconde épouse), respectivement établis en janvier 1640 et juin 1654, ne renseignent guère davantage : si, à la mort de sa première femme, le sieur de Kereven devait plusieurs sommes d’argent à des marchands d’Audierne pour l’achat et la livraison de vin, rien ne certifie qu’il était lui-même marchand de vin53. Son commerce lui donna en tout cas beaucoup de satisfaction : en 1628, Le Goff acheta à Pierre de Rosmar, seigneur de Kerdaniel, la maison et métairie noble du Murado située à Plouagat (proche le manoir de Kerdaniel) en faveur de 1176 livres tournois ; pendant neuf ans, jusqu’à la Saint-Jean 1638, il fut fermier de la terre et seigneurie de Guingamp-Minibriac en société (ou association) pour moitié avec son frère aîné sieur de Treumiquel54 ; et à sa mort, en 1654, le total de ses seuls biens meubles montait à 2 427 L 5 s, tandis que l’argenterie s’élevait à 335 L 3 s et que le prisé de récolte atteignait la somme de 424 L 5 s. Même inconnue s’agissant de la nature de l’activité marchande exercée par la famille Mauvois dans les années 1630, ou par le sieur de Valety Jean Dot dans la première moitié du xviiie siècle. Le terme générique de « marchand » qui leur est attribué signifie peut-être qu’ils pratiquaient plusieurs commerces à la fois : en 1748, sont appelés marchands des bourgeois faisant « differents commerces », à l’image de la veuve du sieur Plancher qui commerçait « draperie et vin », de Georges Rigourdel impliqué dans la « fabrique d’etamine, draperie et mercerie », et de Le Gaudu sieur de Cheffdubois vendant « epicerie, vin et fer ».
- 55 Cela bien que, au grand étonnement de leurs créanciers, ils annoncèrent le 22 août 1772 « par leur (...)
68Les marchands bourgeois se livraient particulièrement au commerce des textiles (toiles, draps et soies). Citons, parmi les membres de la moyenne bourgeoisie au xviie siècle (outre les noms déjà mentionnés), les Mahé (dont Guillaume sieur de Kerberiou), Michel (avec Yves sieur de Kerderien et Charles sieur de Kermouster), Joinet, le sieur du Chesne Denis Chesnel, le sieur du Chesnay Jan Pattenôtre, Jan Robert, le sieur du Pont Jan Adam et la dame du Pré Marguerite Le Prestre. Au xviiie siècle, la demoiselle Le Fèvre de Kerambroise en 1737, Yves Le Graët et son épouse Elisabeth Monrocq et le couple formé par Claude Utinel et Marie Souvestre dans les années 1760 et 1770, s’adonnèrent également à cette activité, avec plus ou moins de bonheur. Marie Riollay, veuve du procureur de la cour ducale maître Louis Touboulic, l’exerça peut-être aussi : en septembre 1769, elle loua l’embas de sa maison à Notre-Dame pour 60 livres par an à des marchands merciers de la cité, avec interdiction de faire « le commerce de toille, sous quelque pretexte que ce soit ». Marie Riollay craignait-elle la concurrence ? La famille Riollay avait un réel attrait pour l’activité textile : au milieu du xviiie siècle, Toussaint Riollay compte parmi les grands marchands de Berlinge de Sainte-Croix, la veuve de Charles Riollay (capitée 54 livres en 1748) commerce « chapaux et bonneterie », son fils Jan est marchand chapelier. Mais les bourgeois qui se lancèrent dans le textile connurent des fortunes très diverses : si quelques-uns s’enrichirent, à l’image des Guyomar, et purent ainsi évoluer dans la grande bourgeoisie, la plupart durent se contenter de maigres profits. Certains furent même acculés à « la faillite et déconfiture » à l’instar, au début des années 1770, de Claude Utinel et de son épouse Marie Souvestre55, ou de François Flajeul qui pourtant, en 1760, payait 37 livres de capitation, signe que ses affaires marchaient bien : lui et sa femme Barbe Charlotin furent contraints de déposer leur bilan au greffe de Morlaix en octobre 1774, devant près de 24400 livres à des fournisseurs de Tours et Falaise. La moyenne bourgeoisie se tourna aussi vers le trafic du vin, à l’image du sieur de Kermaou Claude Fougeré dans la seconde moitié du xviie siècle, et de François Migeot dans les années 1770, tous deux qualifiés de marchands de vin en gros. D’autres réussirent dans la mercerie, comme le sieur du Miny Robert Boulon Laisné, capité 30 livres en 1748, ou encore dans la chapellerie : capité 44 L 15 s au milieu du xviiie siècle, Charles Bedeuc de Letang est heureux en affaires.
- 56 Les rôles de capitation en témoignent. En 1717, ils révèlent la présence des sieurs Genu de la Coc (...)
69Evoluant toutes dans les milieux marchand et/ou judiciaire et/ou médical, les familles de la moyenne bourgeoisie guingampaise pratiquaient l’endogamie, respectant ainsi le principe – essentiel sous l’Ancien Régime, et pas seulement au sein de la bourgeoisie – du mariage assorti. C’est d’ailleurs au nom de ce principe qu’en janvier 1774, le notaire-procureur de Notre-Dame maître François Morand s’oppose à sa mère Elisabeth Beaunoir : celle-ci refuse « de donner son consentement » au mariage de son fils avec la guingampaise Janne Le Rétiff (fille du marchand orfèvre Robert Le Rétiff) au prétexte qu’il n’a « pas atteint l’age necessaire pour avoir qualité de faire une parreille » demande. Or, François insiste sur le caractère « avantageux et sortable pour lui » de cette union. Cette endogamie sociale et géographique n’ignorait pas le côté purement professionnel. Par exemple, dans la seconde moitié du xviie siècle, François Joinet marchand de draps de soie épousa Elisabeth Lizot dont un parent (son père ?), nommé Jan, était marchand de draps de soie. Au xviiie siècle, Louise Bavan de la Lande, parente de trois maîtres chirurgiens (Pierre, Laurent et Jan-Baptiste Bavan), se maria avec Louis Hébert chirurgien juré du roi, et le marchand Paul Lormier avec Marguerite Genu issue d’une famille de tradition marchande56. On n’est donc pas surpris qu’au xviie siècle, des Pattenôtre aient contracté mariage avec des Mahé et du Lez, que des de La Grève se soient unis avec des Le Goff, Fallegan et Moisan ; ni qu’au xviiie siècle des Riollay aient épousé des de La Grève, Boulon, Bedeuc, Pastol et Loisel ou que des Le Graët se soient mariés à des Monrocq et Le Pivain.
- 57 Frère de « maistre Robert Chenviere sr de Lamprat », ce dernier greffier en chef de la cour ducale (...)
- 58 Le rôle des marchands et artisans, dressé en 1748, la situe parmi les épiciers-apothicaires et lui (...)
70La petite bourgeoisie comprend elle aussi pour l’essentiel des officiers de justice et des commerçants, mais qui jouissent de revenus plus modestes. Parmi eux, on trouve des procureurs de basse cour à l’image des sieurs Berthelot, La Houssaye, Guillou et Maisonneuve en 1757, respectivement capités 4 L 5 s, 4 L, 6 L et 14 L 10 s. Evoluant dans le milieu marchand et artisanal, citons au xviie siècle le tailleur Patrice Gicquel. Peu après sa mort en mars 1637, sa veuve Béatrice Seigneur se remariera avec un homme de loi, maître Jan Illiou. Cette union lui permettra d’accroître sa petite « fortune » et d’établir ses enfants – notamment ceux issus de son premier lit – le plus avantageusement possible : Jacquette et Janne Gicquel prendront ainsi pour époux Pierre Chauviere57 et le « potier d’estain » Pierre Guiton, chacune dotée de « plusieurs sommaires de deniers » (au moins 500 écus en argent) ; en 1664, Catherine Illiou épousera le sieur du Pont Jan Adam marchand de draps de soie, et apportera en guise de dot 800 écus en argent et une chambre garnie de meubles. Au xviiie siècle, le marchand épicier Yves Renaudin et son épouse Louise Léon comptaient aussi parmi les petits bourgeois : en 1764, leurs biens montent à 1749 L 14 s et ils peuvent occuper un appartement loué 165 livres par an. Devenu veuf, Renaudin convolera en secondes noces avec Mathurine Nedellec du Verger, fille du défunt sieur du Verger Nedellec, vitrier guingampais capité 10 L 5 s en 1748. Citons d’autres représentants de cette frange du Tiers État à Guingamp au siècle des Lumières : le marchand mercier Jan Julien dit « grand Jan », capité 17 livres en 1748, et sa femme Thomase Robert, ainsi que la sœur de cette dernière, Marie Robert marchande de quincaillerie en 176658. La famille Robert était bien connue du milieu marchand guingampais : en 1656, Jan Robert exerçait l’activité de marchand de draps.
- 59 Arch. mun. Guingamp, BB 11 (délibération du 27 février 1751). Ces personnes finiront néanmoins par (...)
- 60 Sans compter les exemptions fiscales dont elles font l’objet.
- 61 M. Nassiet, Noblesse et pauvreté…, p. 186.
71Les bourgeois – particulièrement des secteurs marchand et judiciaire – étaient donc très présents dans la société guingampaise d’Ancien Régime, mais ne constituaient pas un ensemble homogène. Quelques rares familles apparaissent grandes usurières et avides de biens (fonciers et terriens), soucieuses d’accroître leur patrimoine et, par extension, leurs revenus – l’optique de plusieurs enfants à marier et donc à doter l’explique parfois –, comme si elles n’en avaient jamais assez. D’autres, plus nombreuses, sont de nature plus « talentueuse » qu’affairiste. Mais la majorité des bourgeois exerce des petits métiers de faible prestige, rapportant juste de quoi vivre. Néanmoins, par delà les différences de revenus, la plupart se rejoignent dans le même désir d’imiter le genre de vie noble. Attirés par la noblesse et ce qu’elle représente, des roturiers aisés acceptent de tenir sur les fonts baptismaux des enfants illégitimes, exposés ou abandonnés : en août 1749, Joseph Desjaulnay sieur de Kermeur et Mathurine Onfray dame de Kerninon sont les compère et commère de Julienne Jeanne, fille illégitime de Françoise Courqueux ; en août 1769, « un enfant mâle né de pere et de mere inconnu auquel ont donné le nom de Hyacinthe Francois Noble jeune homme Francois Marie Guillaume Ansquer […] et demoiselle Hyacinthe Renée Yvonne Ansquer » est baptisé à La Trinité. Il leur arrive également de choisir des pauvres en guise de parrain et de marraine pour leur nouveau-né : le 18 mai 1685 à Notre-Dame, la fille du sieur du Pré Pierre Hamon est baptisée Janne par Henry Thoraval et Jeanne Le Chevoir, « pauvres de l’Hospital General de cette ville » de Guingamp. Comme les nobles, les bourgeois n’hésitent pas à venir en aide aux malheureux de leur cité. En février 1673, ils sont huit à s’associer avec trois membres de la noblesse pour fonder une messe destinée au salut des prisonniers : François Bodin sieur de Lermo, François de la Grève sieur du Penquer, Jacquette Euzenou dame de Kereven, Catherine Le Goff dame de Kervegan, Marie Guyomar dame de Fotherbye, Madeleine de Kerret dame du Bougoai, Catherine Fallegan dame de Kerverder et Madeleine Callais dame de Kergroas. Citons, au milieu du xviiie siècle, la prise en charge par des « personnes charitables » du « pauvre le plus nécessiteux de cette ville » appelé « Fontange Brunot detenu en basse fosse par raport à sa follie et la facon indescente avec laquelle il se promenne quand il est en liberté » : comme la libre circulation de cet individu « seroit dangereuse à toutte la ville », et voulant éviter qu’il ne fît « quelque malheur », des habitants fortunés se mettent d’accord pour lui payer sa pension en prison59. Les bourgeois aiment en outre devenir propriétaires de terres, lieux, manoirs et métairies nobles dont l’achat, à défaut de leur conférer ipso facto le statut noble, leur procure un cadre de vie comparable à celui de nombreux gentilshommes60. Les exemples sont nombreux de bourgeois pourvus de biens nobles : en 1535-1536, le sieur de Kergoloff Pierre Le Dantec (présenté comme hôte en 1537-1538) déclarait « avoir la maison [noble] de Kerhuon en la parroisse de Plouec qui autrefoys fut a Hervé Kervechrio et Gilles Raison nobles », Henry Le Casme possédait les Isles à Plouisy et deux métairies nobles à Prat, alors que Jehan Le Meur (ou Le Merer) tenait le lieu noble de Kergalet à Saint-Clet. En 1666, Catherine et Louise Allain, filles mineures du défunt sieur des Poiriers Ollivier Allain, possédaient trois lieux nobles : l’un nommé Rugurzec Kerglas situé à Prat, un autre nommé Kercadou situé à Trégonneau et le troisième appelé Kermouster au Merzer. La même année, Jacquette et Marie Landois déclaraient tenir le lieu nommé Guernardon situé à Lanrodec, ainsi que d’autres lieux et terres nobles dans l’évêché de Tréguier. On pourrait encore citer, dans la seconde moitié du xviie siècle, le sieur Lermo Bodin, le sieur de Kerprat Le Brun, les sieurs de Murado et de Kermelin Le Goff, les sieurs de la Fontaine Blanche et de Kergrist de la Grève, le sieur de Keribo Allain, le sieur du Roudour Moisan, le sieur de Kerleau Binet, le sieur du Rocher Juhel, les sieurs de Moullinet et de Kermo Fougeré, les sieurs de Kerhorre Romoulin et de Kerriou Le Pocquet, le sieur de Kerberiou Mahé, le sieur de Launay Philippe Even, le sieur Cherdel, le sieur Hacquart et le sieur de Kerestolles Bobony. Le manoir ou la maison noble permettait au bourgeois de délaisser la ville et ses inconvénients (bruit, odeurs, promiscuité) au profit de la campagne ; il lui offrait la possibilité de venir se retirer et se reposer sur ses terres. C’est d’ailleurs précisément au cours d’un de ces séjours « au vert » que la fille de Nicolas Moisan et de Janne Mahé, sieur et dame de Kerouriou, décéda à l’âge de 14 ans, le 5 octobre 1694, dans leur « maison de campagne au vilage de Ste Marguerite dans la paroisse Plouisy ». L’attrait de la bourgeoisie pour la noblesse se repère à d’autres détails aussi révélateurs que les précédents. Par exemple, l’ajout du nom de la ou des terres et sieuries au nom de famille. On l’a remarqué, le bourgeois aime à se présenter (au moins depuis le xviie siècle) comme « sieur de… » et semble veiller particulièrement à ce que les actes officiels n’omettent pas d’accoler ce nom à sa personne. Probablement que l’appellation « sieur de… » gonflait d’orgueil le bourgeois, en même temps que ce titre à particule – qui ne signifie aucunement que l’individu est de condition noble, mais signale seulement que celui-ci dispose d’un pied-à-terre – lui conférait une certaine respectabilité. À partir du second quart du xviie siècle, des roturiers aisés vont même jusqu’à porter l’avant-nom de « noble homme » qui, tout au long du xvie siècle, servait à désigner un gentilhomme61. La conclusion d’alliances matrimoniales avec des membres du second ordre, fortunés ou non, était un autre moyen pour les bourgeois d’approcher la noblesse. Outre les unions déjà mentionnées (supra, p. 166-167), soulignons les mariages, au xviie siècle, d’Etienne de Ploesquellec avec Claude Le Boure (dont deux parents, Jacques sieur de Kermouster et Julien, étaient respectivement procureur et avocat de la cour ducale en novembre 1674), de Jan Raison sieur de Kerriou avec Claude Chaillou, de Louis de Kermel seigneur de Kermezen avec Catherine Fallegan, et de Nicolas du Goazmoal sieur du Boden avec Ollive Bobony, (sœur de François sieur de Kerguillouart et de Guiomar sieur de Crechfantan). Célébrés au xviiie siècle, citons le mariage de Charles Gogibus de Menimande avec Marthe Desjaulnay et rappelons l’union de François MacNemara avec Elisabeth de Rocquancourt. Les bourgeois guingampais avaient en commun la fascination de la noblesse qu’ils conserveront au moins jusqu’au milieu du xviiie siècle.
Des métiers urbains nombreux mais généralement peu rémunérateurs
72À côté de la bourgeoisie, une foule de petites gens exerce des métiers souvent peu valorisants, pénibles et peu rémunérateurs mais nécessaires au bon fonctionnement de la cité et à la vie des habitants. Parmi eux, les boutiquiers-commerçants, maîtres-artisans, compagnons et domestiques occupent une place de choix.
73Le site guingampais étant propice à l’élevage et à la culture des plantes textiles, la boucherie, le secteur du cuir et l’activité textile emploient beaucoup de monde dans la cité.
- 62 J. P. Leguay, « Guingamp au xve siècle », MSHAB, tome LVI, p. 124.
- 63 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 1451-1452. Les bouchers nantais partant du principe que, « lorsque l (...)
74En 1748, on comptabilise au moins quarante bouchers. Déjà, en 1432-1440, la halle abritait 34 étaux de bouchers62. On ignore si cette importance numérique eut des incidences sur le prix de la viande, comme cela fut le cas à Nantes au cours du xviiie siècle63. Mais ce nombre de quasiment un boucher pour cent habitants à Guingamp était sans doute trop élevé car les écarts de fortune entre gens de la profession apparaissent criants. En août 1755, l’inventaire des meubles et effets de Gilles Le Taconner et Marguerite Le Cornec monte à 203 L 10 s ; en mars 1765, François Le Cocq possède 30 L 13 s de biens ; en février 1756, Henry Le Turquis et Etiennette Le Cornec empruntent la somme de 90 livres au sieur de Cheffdubois Joseph Le Gaudu qu’ils ne peuvent toujours pas rembourser en décembre 1761, mais en août 1777 Ollivier Moron achète à Paulinne Vallet (veuve du procureur maître Jean-Claude Le Gaudu de Cheffdubois) trois petites maisons couvertes de genêts (avec jardins) situées au haut de la rue de Montbareil, pour la somme de neuf cents livres. Charles Le Cocq semblait aussi parfaitement à son aise : en 1760, il payait 28 livres de capitation et, avec son épouse Anne Liguistin, avait acquis en mai 1754 le lieu et métairie de Castelpic situé à Notre-Dame, ainsi que trois pièces de terre. Le tout valait 5 000 livres et leur fut cédé par le boucher Berthélémy Le Cocq et son épouse Marie Joinet qui leur devaient 8 074 livres. Les bouchers étaient concentrés essentiellement à Montbareil et à Porsanquen, c’est-à-dire dans des lieux excentrés mais bien alimentés en eau courante. Rappelons que la porte qui permet de communiquer avec le faubourg de Montbareil se nomme aussi porte de la Fontaine, la rue de la Pompe commandant cette porte côté ville close. Elle fut nommée ainsi en souvenir de l’eau de source captée en haut de Montbareil et amenée par des conduites souterraines – des tuyaux de terre cuite dont la fragilité nécessitait une surveillance de tous les instants – pour approvisionner la pompe ou fontaine publique située dans la ville close, sur le martrait. Cette profession se pratiquait de père en fils, engendrant de véritables dynasties comme celles des Le Cornec, Le Cocq, Guernarpin, Le Moal, Le Taconner, Trivis, Le Turquis, Rigolet et Liguistin. La lecture des tables de mariages et de baptêmes de la paroisse Notre-Dame témoigne que ces familles se mariaient de préférence entre elles. Les bouchers s’approvisionnaient en bêtes auprès des fermiers ou cultivateurs de la région – par exemple, en 1725-1726, Marc et François Le Cocq (père et fils) achetèrent des bœufs au paroissien de Bourbriac Yves Coatantiec – voire auprès de nobles se mêlant de commerce : en 1630-1640, Jan Le Turquis acheta au seigneur du Bois de la Roche René du Liscoët quinze vaches grasses pour la somme de 820 écus et 14 sols. La plupart des bouchers guingampais gagnaient peu d’argent (en raison de leur trop grand nombre ?), au point qu’en 1748 le subdélégué Hamon de Porville affirmait que « plus de la moittiée d’eux [était] reduite à la derniere misere » : hormis « six qui [tuaient] des boeufs et des vaches grasses, les autres ne [subsistaient] qu’a l’abry de quelques petits torillons ou genisses qu’ils [achetaient] des gents de campagne à crédit ou à faire le mettier de courtiers pour les marchands dans les foires » ; comme le fit Jacques Le Floch dans la première moitié du xviie siècle : il aida à plusieurs reprises le seigneur du Bois de la Roche à acheter des pourceaux gras à la foire de Sainte-Catherine à Guingamp.
- 64 Les Cahiers du Trégor n° 19, p. 28.
- 65 Cette infériorité numérique s’explique sans doute par le fait qu’hormis les jours maigres ordonnés (...)
75Pour les mêmes raisons de salubrité publique, les poissonniers étaient établis à Montbareil. La ville close n’était pas propre à les accueillir. En août 1782, les nobles bourgeois de la communauté avaient pensé un instant destiner à la poissonnerie « un emplacement dans l’un des recoins de l’eglise donnant sur la ruelle qui conduit de la rüe Notre Dame au château », mais ils durent vite abandonner cette idée : l’emplacement était « trop etroit pour cet employ et placé dans un lieu ou l’on ne [pouvait] se procurer aucun ecoulement d’eau pour entrainer les vidanges qui restent ordinairement sur la place après les marchés ». Au contraire, le quartier de Montbareil présentait l’avantage d’être en hauteur par rapport à la ville close, de telle façon que les eaux sales et autres « crasses » produites par l’exercice de la boucherie et de la poissonnerie ne stagnaient pas, mais s’écoulaient jusqu’à la porte de la ville où elles s’engouffraient dans un conduit. Celui-ci était donc surveillé de près (comme tous les autres à proximité), rien ne devant l’obstruer. Sans quoi, la population alentour aurait de mauvaises surprises, du style de celle qui se manifesta en juin 1788 : à la suite d’une grosse averse, « les eaux venant des rues de la Pompe et du Luduec se sont accumulées en tres grande quantité à la jonction des dites rues ou se trouve l’embouchure du conduit destiné à les recevoir », auxquelles sont venues se joindre « en passant par la porte de la ville » « celles descendant en même temps du faubourg de la montagne de Monbareil […] parceque l’orifice d’un autre conduit par ou elles auroient du passer venoit de se boucher par les diferentes matieres entrainées de la montagne ». Résultat, ces eaux formèrent « nécessairement par le defaut d’ecoulement un volume immanse aubas des dites rues de la Pompe et du Luduec, et […] ayant bientôt pénétré dans les sales et magazins des maisons riveraines, et s’y étant élevé de la hauteur de deux à trois pieds, elles [causèrent] beaucoup de dégats tant aux propriétaires qu’aux locataires ». Les bouchers et les poissonniers – ces derniers également dominés par quelques familles, au nombre desquelles les Mariette et Le Bizec – ne se limitèrent pas au partage d’un même quartier. La cohabitation alla jusqu’au mariage des uns avec les autres, ce qui explique que des Le Moal et des Le Cocq par exemple vendaient aussi bien de la viande que du poisson. Mais, à l’inverse des bouchers, les poissonniers devaient subir une coutume seigneuriale particulièrement humiliante. Le 14 avril 1721, le fermier et receveur de la seigneurie de Guingamp, Yves Cormier sieur des Longrais, rappelle « qu’il est de coutume à pareil jour le lundi de Pâques, pour la conservation des droits de ladite seigneurie, de descendre sur les lieux d’une prée située au bas du faubourg de Portzanquen où est un étang appelé le Poul Biniguet, et là sur les deux heures de relevé, appeler tous les poissonniers et marchands de cette ville qui ont débités pendant le Carême dernier du poisson tant en gros que par détail, afin que chacun d’eux saute trois fois dans ledit Poul Biniguet pour marquer du devoir qu’ils doivent à cette seigneurie, sous peine contre les défaillants de chacun 64 s d’amende ». Le public s’amusait sans doute à la vue d’un pareil spectacle – F. Dobet écrit que le saut des poissonniers « était comme une petite revanche contre les peu scrupuleux marchands qui auraient débité de la marchandise douteuse en temps de Carême64 ». Pourtant moins nombreux65, et donc moins confrontés à la concurrence que les bouchers, les poissonniers gagnaient difficilement leur vie. Certains exerçaient d’ailleurs une autre activité pour compenser le manque à gagner : en 1741, un capité est présenté comme « courier et poissonnier ». En octobre 1770, Louis Mariette, postillon et courrier pour les postes des villes de Pontrieux, La Roche Derrien, Tréguier et Lannion, était probablement dans cette situation : à cette date, sa mère Marguerite Le Jan (veuve de René Mariette) s’installe chez lui « pour y vivre […] autant qu’elle luy plaira, et que les egards de son fils pour elle, et la bonne union regneront entreux », et ne possède que 69 L 1 s de biens. En revanche, le couple formé par le poissonnier François Le Guilloux et Marie Mariette paraît plus aisé : le 11 mai 1772, il achète une maison située « avis de la grande porte de l’entrée du monastere des dames religieuses de Montbareil » (avec écurie et jardin) pour le prix de 360 livres dont le couple paie comptant la moitié ; les autres 180 livres seront versées « dans le delay d’un an à compter de ce jour ».
76Abordant les métiers de l’alimentation, il faut aussi évoquer les habitants qui contribuaient à l’animation d’un quartier, à savoir « les boulangers meulniers et fourniers domiciliers […] de la ville faubourg de Guingamp », ne serait-ce parce que « aux moulins et maisons a fours lieux publicqs il se [commettait] souvan scandale ou Dieu et le prochain [étaient] offensé par serments odieux et injures ». En effet, les conflits entre paroissiens d’un côté et gens du métier de l’autre étaient fréquents. Par exemple, en mars 1706, plusieurs habitants du faubourg de Trotrieux Lambert « détraignables du four de [la] communauté » de ville portent plainte contre le fournier Henry Labbat dont le comportement ne leur plaît pas, et menacent de ne plus venir chez lui, « ce qui causerait à l’avenir une perte considerable aux droits de cette communauté ». Le 23 février 1739, une délibération fait état des « plaintes pûbliques » adressées journellement par les Guingampais au maire concernant les « vexsations et vollenies qu’on leurs fait tous les jours, tant au moulin qu’au fours à bans de cette ditte ville mesme de la chereté des pains sans pois ny mesure des boulanger ». Les habitants réclament la mise en place d’un règlement obligeant notamment les boulangers à vendre « leur pains a la livres suivant le prix des bleds au marché ». De toute évidence, l’un des statuts de la confrérie des maîtres boulangers, meuniers et fourniers de Guingamp, stipulant qu’ils devaient tâcher « à leur possible à mettre la paix chez eux et empescher que [des] scandales ne se [commissent] par personnes », ne fut pas toujours respecté. Les gens de la confrérie se querellaient même entre eux : en juin 1667, Jan Monfort, sous-fermier des moulins de Tourquellenic et Tanaff, accuse Marguerite Le Ribotte sous-fermière du moulin des Salles d’attirer à elle, « au nottable preiudice dudit Monfort », les habitants de la rue de la Trinité, normalement obligés de suivre les moulins de celui-ci pour la « moulte » de leurs blés. En août 1760, c’est Yves Cavalan, fermier du four banal de la Trinité, qui exige « reparation des injures et exces proferés » à l’égard de son épouse Catherine Ollivier par Peronnelle Le Calvez (fille des maîtres boulangers de La Trinité Jan Le Calvez et Catherine Le Guellaet) et veut obliger les époux Le Calvez « a se retirer de la suitte dudit four de la Trinitte pour aller cuire leurs pates ailleurs » : il s’agit d’« éviter les disputes continuelles qui (s’élèvent) de la part desdits Calvez et femme sous differents pretextes ».
77Si les boulangers étaient généralement peu appréciés de la population, les meuniers et les fourniers l’étaient moins encore. En 1789, les paroissiens de Sainte-Croix les rangent avec « les armateurs, les négociants, courtiers et autres approvisionneurs » car ils étaient dotés d’une « bourse […] bien garnie », s’enrichissant tous et ruinant « le menu peuple en amagasinant les grains ». Les paroissiens accusent le meunier de réduire « les siens [grains] en farine qu’il aporte ensuite aux marchés à fur et mesure que la chertée augmente », puis de la vendre « par mesure aux pauvres gens », et reprochent aux boulangers de faire de leurs grains « du pain qu’ils vendent au public à leur volonté ». Comme beaucoup de Guingampais, les gens de Sainte-Croix jugent les meuniers et les fourniers malhonnêtes – la mésaventure arrivée aux Ursulines en 1711 prouve que cette réputation n’était pas usurpée (supra, p. 138). Les paroissiens réclament la possibilité de suivre les moulins et fours banaux de leur choix. Ils demandent « qu’on [les] laisse donc libres, qu’on [leur] permette d’aller, chacun ou il sera le mieux servi », pensant qu’ainsi les meuniers et les fourniers seront contraints de changer d’attitude et de se montrer enfin honnêtes envers le public. Les fourniers étaient aussi montrés du doigt parce qu’ils représentaient une menace : ils pouvaient provoquer à chaque instant un incendie qui, dans une cité où les constructions en bois couvertes de genêts étaient nombreuses, ne manquerait pas de se propager rapidement et de causer des dégâts. Faire chauffer un four nécessitait des réserves importantes de bois (sous forme de fagots notamment) que les fourniers avaient l’habitude d’entasser à proximité immédiate de leur outil et lieu de travail. Or, malgré les arrêts de la cour ducale de Guingamp faisant défense à tout fournier de loger dans les maisons à four une provision de bois supérieure à celle nécessaire pour trois jours de chauffage, un accident était toujours possible. Il s’en produisit un dans la nuit du 7 au 8 février 1643 : le four gestin (situé dans la venelle menant du haut martrait à la place du Champ au Roy) prit feu parce que son fermier Noël Jaffrezic avait fait placer au-dessus du four dix à douze mulons de bois. Il y eut plus de peur que de mal, même si un enfant manqua périr asphyxié. Ceux qui demeuraient à proximité d’un four couraient donc quelque risque et en étaient pleinement conscients, à l’image des Ursulines : en juillet 1754, voyant la quantité prodigieuse de bois de chauffage entassée par le fermier du four banal de La Trinité, Yves Cavalan, près le four situé vis-à-vis de leur couvent, elles s’empressent de saisir les autorités compétentes. Les deux mulons de bois que Cavalan avait élevés près du four représentaient plus de cinquante charretées de bois, occupaient environ quinze pieds de long du côté droit de la rue de La Trinité (en allant vers l’église paroissiale) et embarrassaient tout le terrain du niveau de la maison à four jusqu’au ruisseau. Or, alentour se trouvaient des maisons couvertes de genêts et notamment, du côté du four, une enfilade de maisons contiguës aboutissant à l’Hôpital Général. Si le feu venait alors à se déclarer, « on verroit tout le faubourg de La Trinité et toute la communauté des dames Ursulines généralement incendiés ». On donna donc à Yves Cavalan trois jours pour transporter et déposer son bois de chauffage ailleurs, à l’écart de toute habitation ; passé ce délai, il serait taxé d’une amende de trente livres (au profit des pauvres de l’Hôpital Général).
- 66 Louis Jean Marie de Bourbon, « Duc de Penthièvre, de Chateau Villain et de Rambouillet, chevalier (...)
- 67 Suite à l’agression commise par son valet sur la personne de François Ceneca (dit Saint-François), (...)
- 68 Se doutant que la prison l’attendait, Catherine Le Quellec n’était pas partie de chez elle les mai (...)
78Outre l’hostilité clairement affichée de la population à leur égard, les meuniers et les fourniers devaient faire face à des problèmes matériels tout aussi gênants pour la bonne marche de leurs affaires. En août 1726, Jullien Perrot, meunier des moulins de Guingamp, fait « connoistre que la venelle quy va audit moulin est en indigente reparation de pavés et principallement entre la porte et la riviere », coupant ainsi « tout le chemain de communiquation du faubourg du grand Trautrieux, comme aussy le pavé de l’autre de la porte de Treguier tant en dedans de la ville qu’an dehors ». Si le chemin conduisant à son moulin devient impraticable, Jullien Perrot accusera un manque à gagner. En décembre 1736, le fournier du four des Bourgeois se plaint auprès des hommes de la communauté de ville car « l’eau penetre au travers dudit four [ce] quy luy porte un prejudice notable » ; on effectuera alors pour 36 L 9 s de réparations. En novembre 1738, François Le Laudu, sous-fermier du « petit moulin des bourgeois », avertit la communauté de ville que, par la faute de « plusieurs habitants du bas du Valy et de Rustangs [qui font] tous les jours des novations ( ?) dans ledit l’esangs ce quy cause qu’elle est toutes encombrée », il ne peut presque plus y moudre ni par conséquent travailler normalement. Malgré ces incidents, les meuniers du moins jouissaient d’une certaine aisance. En juin 1768, François Urvoy, meunier de la trève de Saint-Gildas paroisse du Vieux Bourg de Quintin, prend à titre de convenant et domaine congéable « les moulins de la ville de Guingamp et celui du Tanaff sittués en la ditte ville de Guingamp et faux Bourg Saint Sauveur, maisons, logements, biez, chaussée, issues appartenances et dependances avec leurs moutaux, sujets et detraignables » : pour en jouir à partir du 1er janvier 1775, avec « assurance de neuf ans a compter dudit jour de n’etre congedies », il s’engage à verser chaque année à SAS monseigneur le duc de Penthièvre66, à sa recette de Guingamp, la somme de trois mille livres de rente foncière et convenancière payable en une seule fois à la Toussaint, sous peine de saisie (et vente) de ses biens meubles et immeubles et des droits convenanciers des deux moulins. Risquant de tout perdre en cas de non règlement du montant de la rente en heure et temps, mieux valait donc pour le meunier être certain de son affaire et disposer déjà d’un petit pécule. En 1776, François Rupérou, meunier de Châtelaudren, et son épouse Françoise Dubourg vivaient à l’abri du besoin : le total de leur « invantaire pour les meubles effets et argent se trouve monter sauf erreur […] à la somme [de] dix mille quatre cens quarente six livres onze sols six deniers ». À Guingamp au xviiie siècle, Catherine Le Quellec, meunière de Saint-Sauveur et veuve de Guillaume Rolland, ne comptait pas parmi les nécessiteux de la ville : en avril 1716, elle se plaint auprès du lieutenant de la cité que, le jour même de son arrestation et emprisonnement un mois plus tôt67, le maréchal des logis et plusieurs dragons de la compagnie colonelle de Belabre la « fouillerent […] et voulurent emporter par force et violence des sommes considerables qu’elle avoit sur elle, nonobstant les cris de force qu’elle fit à la geolle » ; la veuve de Guillaume Rolland était assez à l’aise pour posséder un appartement dans la rue de Tréguier, précisémént à Kersalic dans le faubourg de Saint-Sauveur68. En revanche, pour ce qui est de la soi-disant bourse bien garnie des boulangers, il faut rester très mesurés car, sous l’Ancien Régime, « dans les petites villes presque touts les habitants sont boulanger chez eux par leurs domestiques » notamment, du moins quand ils en ont. Ces derniers étant nombreux à Guingamp (on y reviendra), on conçoit que la profession de boulanger n’y était pas « d’un grand lucre ». S’il faut en croire le subdélégué Hamon de Porville, le commerce des boulangers – en tout cas au milieu du xviiie siècle – se réduisait à vendre du pain dans les foires et marchés ; et encore la plupart ne subsistaient « qu’a l’abry des grains qu’ils [allaient] prendre dans les greniers des seigneurs à crédit et qu’on leur [livrait] en payant l’un sous l’autre ». Ils sont quand même une quinzaine à l’époque à faire office de boulangers (ils seront une vingtaine dans le dernier quart du siècle), les fourniers – qui vendaient aussi du pain – composant un petit groupe d’une dizaine d’individus. C’était moins qu’en août 1640, lorsque Guingamp recensait 36 « boulangers meulniers et fourniers domiciliers habitants de la ville [et] faubourg ».
- 69 Arch. dép. Côtes-d’Armor, B 2477. La dot comprend 600 livres tournois de marchandises de cuir et 5 (...)
79Intimement liée à l’activité de boucherie et en découlant directement, l’industrie du cuir justifie la forte présence à Guingamp de plusieurs corroyeurs-tanneurs et cordonniers (ils sont respectivement 22 et 19 capités en 1748), mais aussi que certaines familles évoluent dans les deux « milieux », se mêlant de boucherie et de tannerie ou cordonnerie. Citons les Le Gars et Le Turquis dont plusieurs membres furent marchands tanneurs, ainsi que les Le Cocq, Le Taconner et Trivis qui pratiquèrent la cordonnerie. On a déjà mentionné des noms comme ceux, au xviiie siècle, des marchands tanneurs aisés Henry Le Gars, Guillaume Riollay, Jacques Labbat et Yves Jourdan, des maîtres cordonniers Guillaume Le Pivain et Vincent Paranthoine, et du marchand corroyeur Guillaume Jegou. Au xviie siècle, René Souvestre et François Claudau étaient marchands tanneurs, alors que les nommés Pierre Beucan (dit la Forest), Henry Le Roy et Jan Le Cocq avaient le statut de maître cordonnier. Comme les bouchers et les poissonniers, les corroyeurs-tanneurs et les cordonniers avaient leur quartier : au xviiie siècle, une majorité de tanneurs est domiciliéé dans le faubourg de Trotrieux Tourquellenic (le grand Trotrieux), donc hors les murs de la cité, à proximité immédiate de la rivière, indispensable à l’exercice de leur activité ; à l’inverse, les cordonniers sont plutôt installés dans l’enceinte de la ville, particulièrement dans la rue Saint-Yves et autour de la place du martrait. Le trafic des peaux fut très profitable à quelques-uns (tableau 4, p. 186), parmi lesquels les Souvestre : en novembre 1698, René Souvestre sieur de la Roche dote convenablement son fils Almaury qui doit épouser Françoise Jouhan, paroissienne de Kergrist-Moëllou69 ; un demi-siècle plus tard, le marchand Pierre Souvestre sieur de la Roche est propriétaire du lieu du Rohellou situé à Ploumagoar : en septembre 1762, il lui rapporte deux cent dix livres de rente, cinquante livres de beurre frais, « un demy mulon de fagot » et « deux charetté de gros bois ».

Tableau 4 – Montant de la capitation de quelques marchands tanneurs guigampais au xviiie siècle.
(Sources : Arch. dép. des Côtes-d’Armor, C 79 (a) ; Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 4210, C 4111, C 4113, C 4114 et C 4213.)
- * Guillaume Riollay et enfants.
80Note*
81Certains cordonniers tiraient également leur épingle du jeu, tel que Guillaume Le Pivain : en novembre 1754, lui et sa femme Marguerite Labbat achètent pour la somme de quatre mille livres « une maison couverte d’ardoise sittué pres le martray […] consistante en deux embas en forme de boutique, la salle de deriere et cave et autres celliers de plein pieds en la premiere cour autre cour puits et ecurie au deriere chambre de devant, cabinet et autre chambre derriere de plein pied au premier etage, et au second chambre de devant cabinet et chambre derrière et greniers au dessus et enfin avec toutes leurs appartenances et dependances […] ladite maison et dependances ayant face sur le devant de la rue et sortie au derriere sur la venelle qui conduit du four de la ville au champ au roy ». Le Pivain pouvait donc bien payer 28 livres de capitation en 1757 (puis 29 livres en 1760) et acheter pour son fils Jan un office de procureur d’une valeur de huit mille livres en août 1771. Le jeune « maistre » put ensuite trouver un bon parti : il épousa Elisabeth Le Graët, fille des marchands de draps de soie Yves Le Graët et Elisabeth Monrocq, qui apportait en dot la somme de 1 500 livres, tandis que Guillaume Le Pivain donna à son fils 3 000 livres « en avancement de droits sucessiffs ».
82Le travail du cuir à Guingamp se perpétua très souvent de père en fils, favorisant l’émergence de dynasties (les Jourdan et les Souvestre dans la tannerie, les Le Pivain dans la cordonnerie). Les mariages entre gens issus de cette branche d’activité étaient fréquents. Par exemple, le marchand tanneur Guillaume Riollay épousa Marie Le Gars (fille d’Henry), le maître cordonnier Guillaume Le Pivain s’unit à Marguerite Labbat, le maître sellier Guillaume Foucault prit pour femme Janne Labbat, et en 1767 le tanneur Yves Goden se maria avec Marie Le Gars (veuve de Jacques Cocheû depuis novembre 1764).
83Néanmoins, les quelques réussites évoquées dans le secteur du cuir ne doivent pas masquer que la plupart des tanneurs et cordonniers se préoccupaient avant tout de survivre. En 1748, Hamon de Porville précise que sur les 19 cordonniers capités cette année-là, seuls dix en ont véritablement le statut : « les autres ne [peuvent] etres reputés ny regardés que comme compagnons des premiers », et hormis « 3 ou 4 tout au plus qui subsistent à l’abry de leur profession », « presque touts […] sont reduits à l’aumône et ne vivent les trois quarts du tems qu’a l’abry de la charité faute de travail ». Le constat est aussi triste chez les corroyeurs-tanneurs : la plupart « ne peuvent etres reputtés que compagnons de six ou sept d’entreux qui leurs fournissent de l’ouvrage pour subsister », obligeant ainsi le subdélégué à conclure que si « cette profession passe pour être lucrative ailleurs, elle n’est que mediocre pour ceux qui l’exercent à Guingamp ».
- 70 Car le métier était pénible, au point que certains succomberont à la tâche : Guillaume Rohan est d (...)
84Les métiers du textile et, par extension, ceux de l’habillement, occupaient également beaucoup de main d’œuvre. Rappelons que l’on filait la laine dans quasiment chaque foyer, y compris bourgeois : en mars 1659, Françoise Bocher, mère du sieur du Pré Pierre Hamon, accueille chez elle Marguerite Le Ru venue « filler pour un mois » au prix de trente cinq sols. L’élément textile est présent jusque dans la chambre de Marie Maeznoz qui, en décembre 1672, déclare « n’y avoir que de la graine de chanvre » ; elle a aussi sa propre fileuse nommée Marie Le Coz. Toutefois, le bourg noble de Sainte-Croix reste le lieu principal de fabrication des toiles et draps, sa population se composant majoritairement de tisserands, fileurs, cardeurs et filandiers. Mais, même à l’apogée de l’activité textile dans le premier tiers du xviie siècle, cette population d’ouvriers demeura toujours au seuil de la pauvreté. Ceux qui s’enrichissaient étaient ceux qui faisaient le trafic des toiles et draps, non pas ceux qui travaillaient durement à leur fabrication70. Au xviiie siècle, beaucoup de tisserands, fileurs, cardeurs et filandiers n’étaient « point emploiés dans les rolles de la capitation », quand « un bien plus grand nombre n’y [étaient] emploiés que pour vingt sols, et au dessous ». À Guingamp en 1748, sur les 42 cardeurs recensés par le subdélégué Hamon de Porville (dont 35 domiciliés à Sainte-Croix), 34 paient 1 L 8 s de capitation, les 8 autres versant entre 1 L 12 s et 3 L 10 s. La situation des tisserands n’était guère plus brillante : sur les 41 dénombrés (dont 24 établis à Sainte-Croix), 26 sont capités 1 L 8 s, les autres payant de 1 L 12 s à 4 livres. Même faiblement imposés, le montant de la taxe s’avérait souvent encore trop élevé pour une majorité d’entre eux, à l’image de Jean Le Judec, tisserand de la rue de Montbareil qui ne pouvait verser les 1 L 8 s de capitation exigées car il était « tres pauvre ». Le cardeur de Sainte-Croix Yves Le Mignot, « tres pauvre », n’était pas en mesure de payer vingt huit sols d’impôt. Beaucoup allaient ainsi figurer dans l’état peu glorieux des particuliers « imposés au rolle de la capitation de la ville et communauté de Guingamp […] qui n’[avaient] point payés leurs impositions, quelques perquisitions et poursuitte que le receveur [avait] fait vers eux ».
- 71 En avril 1680, le fils du tailleur guingampais Michel se consacrait à l’instruction des enfants de (...)
- 72 Dans son testament qu’elle confirme le 14 janvier 1696, la dame veuve de Kerprat Béatrice Couppé c (...)
85En aval de l’industrie textile, on trouve le secteur de l’habillement représenté par les perruquiers, les chapeliers, les couturiers et surtout les tailleurs. Ces métiers sont peu rémunérateurs, ceux qui les exercent étant souvent contraints de pratiquer vis-à-vis une seconde activité. Les perruquiers, du moins au xviiie siècle, sont généralement également barbiers. En 1748, on en recense dix mais « plus de la moittiée sont si pauvres qu’ils n’ont pas même la faculté de loüer une boutique » ; quant aux autres, « le plus aizé d’entr’eux [vend] pendant l’année quatre perrucques » tout au plus. « Ainsy ils ne [subsistaient] qu’a l’abry de quelque barbes et accommodages ». Ces deux activités (barbier et perruquier) allaient à ce point de pair qu’en août 1697, Pierre Coureau s’attire des ennuis avec Gilles Tizeon et Guillaume Cozic : ces derniers depuis peu adjudicataires des six places de barbiers, baigneurs et perruquiers de la ville, et Coureau ne faisant que profession de barbier, ils veulent l’empêcher de poursuivre son activité, en dépit de son offre de leur payer plusieurs dizaines de livres pour obtenir la permission de faire la barbe. En 1752-1771, la ville compte au moins un perruquier-aubergiste en la personne de Claude Perronnet. Les tailleurs non plus ne roulaient pas sur l’or : en mars 1656, Henry Le Clerc fait appel à la générosité de François Gigeou seigneur de Kermen pour assurer l’entretien de son fils aspirant religieux71. Pour compléter leurs modestes revenus, certains se proposent donc d’accueillir sous leur toit un enfant abandonné. En décembre 1725, la femme du tailleur Yves Le Cair, de la rue de La Trinité, est chargée depuis déjà deux mois « du soin de l’anfant de la nomme Carne Irroise abandonné par elle [à la] porte de Rennes » et réclame auprès des hommes de la communauté de ville son « deuz pour la panssion et entretien de cet enfent à rayson de 6 L par mois ». En juillet 1726, elle obtient cette fois « jusques à la concurance de dix livres » de hardes, « veue la necissité que ledit enfent a de quelques petite harde autour de luy estant tout nû ». Deux ans et demi plus tard, le 3 février 1729, Yves Le Cair faisait savoir à la communauté de ville « qu’il estoit quand apresant hors d’estât de pouvoir nourir et entretenir le mesme enfents », « attandeû la misere du tamps et que son dessain [était] de le remettre audit hopital » de Guingamp. Considérant cependant que « ce seroit une surcharge » pour cet établissement déjà bien rempli, messieurs les nobles bourgeois préférèrent convenir que, « moyennant quelque petite liberalité [Yves Le Cair] le garderoit vollontier chez luy ». La communauté de ville accorda donc au tailleur une gratification de douze livres mais « pour cette fois seullement sans tirer a consequance ». Il paraît bien difficile de croire que le couple de La Trinité n’avait accepté de recueillir l’enfant abandonné que par charité. S’il est peut-être vrai que la vue de ce nourrisson livré à lui-même avait pu les attendrir et les émouvoir, la décision prise par Le Cair et sa femme de s’occuper de lui avait surtout été motivée par l’aspect financier de cette nouvelle responsabilité (ils devenaient des parents nourriciers) : l’enfant ne leur coûterait rien, la communauté de ville prenant tous les frais à sa charge. Il pourrait même leur rapporter un peu d’argent car rien ne prouve qu’en juillet 1726, le couple acheta effectivement pour dix livres de hardes. L’argent donné par messieurs les nobles bourgeois et destiné à l’enfant ne fut pas forcément toujours dépensé pour ses seuls besoins. Le couple Le Cair a pu et a dû en profiter aussi… D’autres se firent tailleur et marchand de toile, à l’image d’Yves Le Caillard domicilié rue Saint-Yves à Notre-Dame en 1757 (il est capité trois livres), ou tailleur et mercier comme un paroissien de Trotrieux Tourquellenic capité 2 L 10 s en 1778. S’agissant des chapeliers, les perspectives sinon d’enrichissement du moins de revenus suffisants étaient réelles : sur les 11 capités en 1748, six paient plus de dix livres alors que tous les perruquiers et tailleurs versent en deçà de cette somme. Même s’ils ne vendaient « que des chappeaux communs », la demande n’était pas négligeable. Le notaire Pierre Hamon acheta au moins deux chapeaux en deux ans : « un chappeau noir à petit cu à la mode d’à présent en ceste ville de Guingamp » pour le prix de 4 L 15 s en janvier 1661, et un autre coûtant 3 L 5 s en juillet 1663. En juillet 1678, le sieur du Pré possédait cinq chapeaux : un chapeau noir tout neuf d’une valeur de quinze livres, un chapeau gris estimé cinq livres, puis un autre chapeau gris et deux vieux chapeaux noirs valant ensemble deux livres. À la vérité, qui, du fortuné au démuni (qui pouvait aussi porter le bonnet72) n’avait pas son chapeau ? Lorsque le 29 décembre 1697, le courrier de la poste de Guingamp, Jan Soüestre (Souvestre ?) « dit tainturier », fut trouvé mort assassiné de « trois balles dans le corps qu’on luy avoit tirré par derriere » dans la lande de Saint-Agathon, à une demie lieue de la ville, il était « couché par terre sur le costé droit […] ayant un chapeau noir sur la teste ». Le 28 septembre 1718, le marchand de fil de laine de Sainte-Croix Gabriel Le Caer portait sur lui « un mauvais chapeau de laine ». Le chapeau faisait partie de l’habit, il en était indissociable, l’un n’allait pas sans l’autre. Le jardinier de Notre-Dame, Samson Hamon, déplora certainement le vol dont il fut victime la nuit du 7 août 1770 : le « petit Bizec » entra chez lui et « vola dans la maison du pain, deux nappes, deux coëffes, un justin blanc, un chapeau [et] un mouchoir bleuff ». Mais sa peine se trouva peut-être atténuée par le fait que le voleur, surpris, s’enfuit en laissant sur place son propre chapeau ; un de perdu, au moins un de retrouvé… La noblesse et la grande bourgeoisie n’étaient guère clientes des chapeliers guingampais, jugeant leur marchandise trop populaire (de médiocre qualité et peu à leur convenance), mais ces derniers n’en souffraient pas vraiment : les habitants très aisés ne représentaient qu’une infime partie de la population citadine et environnante. Les chapeliers pouvaient toujours vendre leurs articles sur les lieux de foires et les marchés : en septembre 1718, le paroissien de Saint-Sauveur Martin Riollay se trouvait « à vendre des chapeaux à la foire de Brée » ; quelque temps plus tôt, dans les années 1690, les marchands de la rue Saint-Yves Jan Riollay et son épouse Catherine Dufain « faisoient vendre » « des chapeaux » « en la ville de Callac ». Les couturiers étaient peu nombreux et leur niveau de vie ne dépassait pas celui des perruquiers, tailleurs et chapeliers. Les rôles de capitation en recensent trois en 1717, tous taxés 1 L 10 s, et seulement un (une femme couturière) en 1757 taxé trois livres. Pourtant, ce métier demeurait nécessaire et pouvait assurer à celui ou celle qui l’exerçait le minimum vital. Au même titre qu’ils louaient les services de fileuses, buandières, lingères et blanchisseuses, les nobles et les bourgeois faisaient appel aux couturier(e) s qu’ils rétribuaient à la journée. En 1665, le sieur du Pré Pierre Hamon verse seize écus à Guillaume Kerlévézou et à sa femme Jacquette Charlet pour « deux journées de cousture et un aulne de toile blanche ». La communauté de ville pouvait aussi, à l’occasion, leur proposer de l’ouvrage : par exemple, en mars 1704, faire des justaucorps pour les deux tambours de la milice bourgeoise de la cité, ou en décembre 1769 raccommoder les « robbes ou soutannes rouges » des enfants de chœur de l’église Notre-Dame. Les couturiers étaient donc amenés à faire montre de leur habileté à la tâche. La clientèle existait, mais encore restait-il à leur confier des travaux suffisants pour leur permettre de vivre, même petitement.
86Un autre secteur d’activité occupait un grand nombre de personnes : celui du bâtiment et de l’équipement, à travers notamment les charpentiers, menuisiers, couvreurs, maçons, cloutiers, vitriers, paveurs et « chausseyeurs ».
- 73 J.-P. Leguay, « Guingamp au xve siècle », MSHAB, tome LVI, p. 122 et 123.
- 74 Rien que dans la ville close par exemple, le nombre des maisons passa d’environ 150 en 1643 à 180 (...)
87Pour la seconde moitié du xve siècle, J.-P. Leguay recensait une trentaine de charpentiers-menuisiers, vingt et un maçons et paveurs, trois couvreurs d’ardoises, huit forgerons, un vitrier, un armurier, six potiers et faiseurs de tuiles ainsi que deux « claveuriers » et ferronniers73. Les maîtres étaient payés 3 s 4 d, les ouvriers deux à trois sols, tandis que les manœuvres percevaient 1 s 8 d à la journée. Après le conflit franco-breton réglé en 1491, il fallut reconstruire à Guingamp car la cité avait beaucoup souffert du siège puis de l’occupation ennemie : le faubourg de Sainte-Croix, par exemple, avait été entièrement saccagé. Les « professionnels » du bâtiment furent donc sollicités. Ils le sont à nouveau un siècle plus tard, les guerres de la Ligue en 1588-1598 ayant causé d’importants dégâts dans le Trégor : à Guingamp, le couvent des Cordeliers a été détruit et le monastère des Jacobins sérieusement endommagé. Les gens du bâtiment durent s’employer à remettre en état de nombreuses constructions, parmi lesquelles les moulins de la seigneurie de Guingamp : en septembre 1595, le moulin Tanaff est en grande « indigence de reparations en [sa] muraille […] de six journees de massonnaige », le « moulin a avoine » n’a plus ni « tournans ny moulans » et son écluse exige une réfection. Le moulin de Tourquellenic est en « indigence de reparations de deux toises et demie de muraille », tandis que le « moulin de Goazouriou » (l’un des « moulins fouleretz syis en la dicte riviere de Trieu en la parroesse de Ploumagoer ») est « tout ruiné et n’y a apparance de moulin ». L’ampleur des travaux de réparations justifie la venue et l’implantation de cloutiers normands. À partir du xviie siècle, les guerres se jouent à l’extérieur de la Bretagne mais à Guingamp, les ouvriers du bâtiment et de l’équipement sont toujours à l’œuvre. Le clergé régulier notamment leur fournit quelques gros chantiers. Outre les Cordeliers et les Jacobins pour lesquels il faut bâtir deux nouveaux monastères au cours de la première moitié du xviie siècle, la multiplication dans le même temps des communautés religieuses sur le territoire de la cité guingampaise est une véritable aubaine : les Carmélites et les Ursulines ont besoin de faire construire leur maison conventuelle. Les charpentiers, couvreurs, cloutiers, maçons, menuisiers, serruriers et vitriers construisent aussi des maisons particulières74 et en aménagent certaines que les propriétaires désirent plus agréables, plus confortables, plus attrayantes ou simplement plus dignes de leur rang social. Par exemple, le maître chirurgien juré Jan Margeot et son épouse Françoise De Mary en mars 1765 : logeant intra-muros dans une maison « donnant sur la rüe qui conduit de la rüe Notre Dame a la place Penthievre » (autrement dit le martrait), et qui consiste notamment « en une boutique […] une arriere boutique avec cheminée, une allée, un cellier au bout, ayant vue sur la cour, un escalier tournant en bois, deux chambres avec cheminées, sur le devant grenier au dessus, autre chambre avec cheminée au dessus du cellier et grenier », le couple achète la demeure ainsi que « toutes les pierres disposées a etre taillées et a faire les facades de ladite maison » à l’avocat maître Toussaint Limon sieur du Timeur. Le chirurgien et sa femme veulent faire procéder « à la construction des facades de ladite maison et de l’adjaceante par eux acquise de la communauté » de ville peu avant. Ces travaux mobilisaient et nécessitaient beaucoup d’hommes et de temps.
- 75 La menace de l’incendie était à ce point réelle et omniprésente que le 7 juin 1746, la communauté (...)
- 76 Arch. mun. Guingamp, BB 12 (délibération du 21 septembre 1776). Les charpentiers et les couvreurs, (...)
- 77 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 2 E 337 (journal de Jan Hamon). Dès « le lendemain en l’audiance de la P (...)
88Mais les gens du bâtiment étaient plus souvent occupés à de menus travaux. Les ponts, les portes, les geôles (particulièrement du temps où elles renfermèrent un grand nombre de prisonniers de guerre étrangers, en l’occurrence espagnols et allemands vers le milieu du xviie siècle), la pompe de la ville et l’église Notre-Dame exigeaient un entretien régulier. Le 29 avril 1695, Guillaume Le Bars (charpentier), Jan Ligot (serrurier) et Jacques Renaut (« picotteur » et maçon) doivent évaluer les réparations les plus urgentes à effectuer à la porte de Tréguier à laquelle il manque « un battant de porte tout enthier avec sa petite porte comme aussi deux couplets, une serrure pour le guichet, une barre de fer de sept pieds de long au pont de la dite porte avec les clous necessaires […] une serrure plate, ses lassets, deux crochets et une barre de bois pour fermer les deux battants de la porte ». La porte de Tourquellenic nécessite « un tourouil, une serrure et ses lassets, une barre de bois pour fermer les deux battants de porte et une planche pour accommoder ladite porte ». « À la premiere porte de St Michel de vers la ville, il faut une serrure au petit guichet, un crochet, un bourdon [et] un cadena pour la barre qui ferme les deux battants de la porte » ; pour sa part, le pont a besoin de sept poutres de quinze pieds de long chacune « et en son milieu de gros morceaux de bois tout du long avec des clous rivés par dessous pour les tenir ». Quant à la porte de Rennes, il lui faut au moins un battant de porte et une serrure. Les dégradations ne sont pas toujours à mettre sur le compte de l’usure du temps. Des individus prenaient un malin plaisir à détériorer les édifices publics. Les délibérations de la communauté de ville s’en font largement l’écho : par exemple en mars 1615, des malveillants ont rompu les serrures de la porte de Tréguier, et en janvier 1624 a eu lieu « l’ouverture faite de nuit de l’une des portes de cette ville appellée porte Turquelenic, et […] l’enlevement par violence de la serrure de laditte porte ». En 1677, le miseur de la ville Gilles de la Grève sieur de Portzansal déplorait que « certains particulliers volloint et emportoint tant de nuict que de jour touttes les chesnes et autres fermentes des portes et ponts levys de ladicte ville et entre autre du pont levy de la porte de Treguier lequel par l’enlevement de ses fermentz estoict enthierement tombé par tere et absolument ruinée ». Une nuit d’août 1727, des malfaiteurs « volerent une porte neufe garnie de ses ferrures, clef et serrure qui donnoit sur un des reservoirs de la pompe » située à proximité du quartier de Montbareil ; aussitôt remplaçée « elle fut pareillement volée et transportée la nuit du 10e fevrier 1728 » ! Ces méfaits faisaient sans doute l’affaire des artisans : le temps passé à réparer, c’était toujours un peu d’ouvrage et de l’argent à gagner. Les intempéries ou catastrophes naturelles n’épargnèrent pas non plus les édifices de toutes sortes. En 1749, l’horloge de l’église Notre-Dame souffrit beaucoup des vents violents : « malgré les soins continuels » du maître horloger Yves Le Chevoir, toutes les chaines de l’horloge avaient « été brizées et les ressorts forcés ». On se souvient également des dégâts occasionnés par l’orage survenu le 18 août 1773… Des incendies ravagèrent parfois des maisons d’habitation75. On a cité le four gestin, proie des flammes en 1643. Le 31 juillet 1698, un incendie détruisit « plusieurs maisons […] aupres de St Nicolas », provoquant la mort de deux jeunes femmes, Anne Keravis et Anne Le Diouron. Le 8 septembre 1776, le feu prit à nouveau en ville, obligeant les habitants à « prendre dans les magasins des potiers les potéries […] pour accellerer le service de la pompe » car l’incendie menaçait de s’étendre à toutes les maisons alentour76. L’émotion dut être vive parmi la population, un peu comme le 12 novembre 1638 à Lantreguier, lorsque vers les 5 à 6 heures du soir, à la suite de l’imprudence d’une habitante nommée Anne Le Fichou (elle mit trois « brosseuses de lin [à] brosser dans sa fagoterie » éclairée à la chandelle), « le feu s’y esbrandit et pansa incendier non seulement la maison mais […] toutes celles du voisinage ». Le pire fut évité parce qu’un voisin donna rapidement l’alerte et « que force peuple s’y trouva qui esteignist le feu77 ».
- 78 Arch. mun. Guingamp, BB 14. En 1781, monsieur Dorisy était directeur des Devoirs à Guingamp.
89Les gens du bâtiment et de l’équipement avaient donc de l’ouvrage. Toutefois, il suffisait rarement à satisfaire les besoins de tous. D’une part, beaucoup de travaux étaient réalisés en assez peu de temps, les plus importants n’exigeant guère au-delà de quelques mois de labeur. Par exemple, en 1725, la réfection du pont provisionnel de Saint-Michel fut conduite en deux mois, entre le 20 février et le 14 avril, par le maître maçon Joseph Roperts. Or, les artisans et ouvriers du bâtiment et de l’équipement étaient plus souvent payés à la journée qu’à la tâche ; plus le travail était long à effectuer, mieux c’était pour eux. D’autre part, les nombreux travaux de caractère public, comme ceux commandés par la communauté de ville, étaient soumis à adjudication et, dès lors, confiés à celui qui avait proposé de les réaliser au plus bas prix. En février 1725, l’adjudication de la remise en état du pont provisionnel de Saint-Michel vit s’affronter deux maîtres maçons : Joseph Roperts et Jacques Guillou, le premier faisant la première offre à quatre cents livres. Finalement, c’est lui qui emporta le marché à l’issue du troisième feu, malgré « une 4ème chandelle allumée comme aussy 5, 6, 7, 8 chandelle allumée et estainte sans autres offres », et même un neuvième feu à la demande du maire sans toutefois que « personne ayée surdit ladite offre ny mis moins ». Mais pour en arriver là, Joseph Roperts avait dû réduire ses prétentions de moitié, devenant adjudicataire pour deux cents livres. En octobre 1766, jour de « l’adjudication a qui moins des numeros à poser sur chaque maison de cette ville [de Guingamp] et de ses fauxbourgs », c’est le maître maçon Jan Prigent qui l’emporta en proposant la somme de deux sols par numéro : les « hostilités » avaient débuté à vingt sols. Pour ce travail, achevé en décembre, Jan Prigent touchera quand même la somme non négligeable de 70 L 18 s, « le nombre des dits numeros [montant] jusqu’au nombre de sept cents neuf ». L’adjudication faisait jouer la concurrence, au demeurant plutôt rude car les gens du bâtiment et de l’équipement étaient encore nombreux au xviiie siècle. Elle était « enlevée » par celui qui s’était montré le moins gourmand. À ce petit jeu, certains artisans ont mieux réussi que d’autres, comme Yves Le Poullen maître maçon capité 23 livres en 1748 : en avril 1727, il « décrocha » la réfection des ponts de Saint-Michel puis, dans la foulée de l’achèvement de ces travaux en octobre de la même année, la remise en état des pavés de la rue Saint-Yves qu’il termina en 1728. En 1729, il procéda à l’accommodement du « puis du faubourg Saint-Michel […] place pres d’une cazerne […] de facon qu’on fut en sureté et pour les hommes et pour les chevaux tant de jour que de nuict » ; il exécuta le travail pour la somme de 45 livres. Joseph Labbat, également maître maçon de son état, a aussi beaucoup œuvré pour la communauté de ville : en mars 1723, Pierre Le Roy et son épouse Françoise Le Guével le considèrent comme « l’homme et l’architecte à gage de la communauté de Guingamp depuis plusieurs années ». Ce « statut » offrait, pour un temps, des revenus réguliers. Certains artisans du bâtiment ne restaient jamais longtemps sans ouvrage et parvenaient ainsi tant bien que mal à gagner leur vie, quelques-uns arrivant même à sortir du lot commun. En octobre 1770, le charpentier de Notre-Dame Jacques Le Guen et sa femme Anne Le Mestric se permettent d’acheter, pour la somme de neuf cents livres, une grande maison appelée « maison de Messieurs Le Bail », située sur la porte d’entrée du faubourg Saint-Michel. En octobre 1784, le maçon Joseph Prigent reconnaissait « qu’il venoit de batir une maison neuve » : c’est donc qu’il possédait un capital de départ (il paie douze livres de capitation), même si à l’entendre il finit « totalement épuisé pour la construction de cette maison », ayant été obligé « pour l’achever […] d’emprunter de M. Dorizy une somme de six cents livres78 ». Mais dans ce cas précis, l’épouse était marchande, vendant « quelques boesseaux de chaux, des lattes, de la chandelle, des epingles et autres menus marchandises » ; ce commerce complétait avantageusement les revenus du mari.
- 79 On lira avec intérêt la thèse de Daniel Leloup, L’habitat urbain dans le Trégor aux xve et xvie si (...)
- 80 Arch. mun. Guingamp, BB 8. Le Pardon de Guingamp avait lieu début juillet et draînait une foule im (...)
- 81 L’ouvrage n’était pas dénué de danger car, le 5 octobre, le sculpteur fit une chute mortelle (Arch (...)
- 82 Arch. mun. Guingamp, BB 5. Troussel proposa d’effectuer le travail en deça des 250 livres que récl (...)
- 83 Y. De Bellaing, « Dans le passé de la Basilique Notre-Dame de Bon-Secours de Guingamp avec ceux qu (...)
90Le bois restant un matériau de construction privilégié tout au long de l’Ancien Régime, les gens du bâtiment et de l’équipement étaient encore fortement présents à Guingamp au xviiie siècle, même si les grands chantiers de construction se faisaient rares depuis 1650 environ. Beaucoup ne pouvaient donc subvenir à leurs besoins quotidiens. En 1748, les charpentiers ne devaient « être regardés que comme de simples journaliers qui encorre trouveroient à paine du travail pour l’année s’ils n’exerçoient outre cela la profession de scieurs de long ». Parmi les couvreurs, « le plus riche d’entreux n’[était] pas en état d’avancer 15 jours de son tems sans être payé », et « dans la saison d’hyver ou les travaux sont plus rarres presque touts subsistent à l’abry de la charité ». Seuls cinq maçons (sur les dix sept recensés) étaient « en etat d’entreprendre le moindre battiment […] les autres ne leurs [servant] que de compagnons », qui allaient « aussy quelque fois travailler chez les particuliers qui les [mandaient] », mais qui s’apparentaient davantage à « de simple journaliers dont la plus part [mouraient] de faim pendant l’hyver ». « Il en [était] encorre pis des menuiziers que des maçons » : quatre mis à part, « touts les autres [étaient] dans la necessité d’aller travailler dans les villes voisines en qualité de compagnons pour subsister ». Les serruriers n’étaient pas mieux lotis « puisqu’eux touts [étaient] si pauvres et si peu capables même de gaigner du biens par leur ignorance et le peu de travail qu’elle leur [occasionnait], qu’a paine [pouvaient]-ils gaigner de quoy subsister et payer le loyer de leurs boutiques avec leur capitation ». La profession de cloutier était aussi ingrate, ne se faisant « point de grands battiments dans ce païs [de Guingamp] ». Les cloutiers guingampais en étaient réduits « à fabriquer dans la semeine des clouds qu’ils [vendaient] les jours de marchés aux gents de campagne et comme aucun d’eux n’[était] oppulent les marchands de fer leurs [livraient] à crédit de quoy s’occuper à proportion de ce que la vente leurs [avait] été favorable ». C’est dire « le peu d’aizance » des cloutiers qui ne subsistaient que « par le travail de leurs femmes qui [filaient] toutte la semeine ». Pourtant, au moins deux cloutiers semblaient moins miséreux que les autres : en 1748, Louis Rivoallan payait douze livres de capitation et Alain Vibert six livres. Au milieu du xviiie siècle, Guingamp comptait deux vitriers mais ils étaient déjà « plus que suffisants pour l’entretient de la ville » : simplement parce « qu’il se [faisait] fort peu de nouveaux battiments en cette [cité] et que dans les fauxbourgs on ne [connaissait] pas l’uzage des fenêtres vittrées ». On comprend mieux pourquoi, la mauvaise conjoncture économique du xviiie siècle aidant, plusieurs de ces gens de métiers sont tombés dans la misère. La cité guingampaise n’était plus le centre artistique ou de création architecturale qu’elle avait pu être aux xve et xvie siècles79, grâce essentiellement à l’enrichissement de ses élites par le commerce des toiles, draps et vins. Aux xviie et xviiie siècles, les ouvrages commandés aux artisans et ouvriers n’ont plus grand chose à voir avec les œuvres de l’époque Renaissance. Peut-être que Jean de la Court en 1640, et Julien Roche en 1643, tous deux maîtres orfèvres à Notre-Dame, pouvaient espérer être contactés pour réaliser un projet intéressant, susceptible de mettre en valeur leur art. Mais le renversement de la conjoncture économique dans la seconde moitié du xviie siècle condamnait plus ou moins Charles Le Dantec (Irlandais d’origine) dans les années 1690, ainsi que les sieurs du Plessix Le Scanf et de la Villemarquer Le Rétiff en 1748, à garder leur talent pour eux. Au milieu du xviiie siècle, leur profession se limitait à « faire quelques bagues pour les paisants et [à] racommoder et blanchir la vesselle d’argent ». Néanmoins, en décembre 1757, le maître orfèvre Le Pean reçut des mains de Jan Guillaume, fabrique en charge de la Trinité, « une vieille croix d’argent defaite et pesant douze marcs » pour en faire une neuve « d’une façon à la mode d’aujourd’hui ». Les orfèvres guingampais du xviiie siècle n’en étaient pas pour autant réduits à la mendicité : en 1748, Le Scanf et Le Rétiff paient respectivement douze et huit livres de capitation. Quant aux peintres, sculpteurs, tapissiers et doreurs dont beaucoup étaient habitués à pratiquer leur art sur des édifices religieux, le problème qui se posait à eux était du même ordre : les moyens financiers des fabriques et généraux de paroisses de Guingamp faisant cruellement défaut au xviiie siècle, il leur fallait davantage entretenir des œuvres déjà existantes qu’en réaliser de nouvelles. Par exemple, en juin 1717, la communauté de ville décida de faire « entierement rafraichir dorer et azurer » le portail de l’église Notre-Dame « pour maintenir autant [que] possible la devotion du peuple à Notre Dame de Bon Secours80 ». Le manque de fonds « publics » a poussé des artisans à chercher du travail ailleurs, dans une autre ville plus grande et plus riche : en 1716, le tapissier Jan Kervisiou, demeurant ordinairement à Ploumagoar (chez Jan Le Marhic), part à Saint-Malo où il séjourne quelques mois « pour y travailler à son metier ». À partir de la seconde moitié du xviie siècle, l’appel de plus en plus fréquent aux services d’artisans « étrangers » par les membres de la communauté de ville de Guingamp ne favorisa pas non plus les intérêts des artisans locaux : en 1671, le sculpteur poitevin Antoine Dobero est choisi pour travailler « a l’autel de Notre Dame de Bon Secour 81 », tandis qu’en 1687 le maître fondeur morlaisien François Troussel est préféré à son concitoyen et confrère Huet pour refondre une cloche de l’église Notre-Dame afin d’en faire une autre possédant le son et le timbre requis82. Dans un cas comme dans l’autre, messieurs les nobles bourgeois attribuaient la réalisation de l’ouvrage à des non-Guingampais. Plutôt que d’y voir l’indice ou l’aveu par la communauté de ville d’un éventuel manque de savoir-faire des artisans locaux, ou des choix uniquement dictés par des impératifs financiers, on peut considérer ces décisions comme révélatrices de la rareté de certains artisans à Guingamp. Par exemple, tous les fondeurs qui, sous l’Ancien Régime, travaillèrent à l’embellissement de l’église Notre-Dame-de-Bon-Secours de Guingamp, étaient étrangers à la cité, venant de Morlaix ou même de Lorraine83.
- 84 Celle-ci devait être bien remplie car, surpris, les voleurs s’enfuirent en laissant sur place « la (...)
91Une autre profession a suscité des vocations et mérite d’être mentionnée, d’autant plus qu’elle parle en faveur d’une cité guingampaise située entre ville et campagne : il s’agit de celle de jardinier. Les communautés religieuses comme celles des dames de Montbareil, des Jacobins, des Ursulines et des Hospitalières avaient leur propre jardinier. Les nobles non plus ne pouvaient se passer des services de ces hommes à la « main verte ». Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le comte de Munehorre Jan de Bizien en compte deux sous ses ordres : Jan Sallaun et François Le Debailler, ce dernier engagé sur le pied de dix huit livres par an, tandis que le premier perçoit trente livres de gages annuels ; il fallait bien cela pour entretenir une propriété de l’importance du château de Munehorre. Le ou les pied-à-terre bourgeois aux alentours de la cité réclamaient aussi des soins particuliers. En mai 1673, « Jacques Terlay ( ?) jardinnier […] demeurant en la parroesse de Tonquedec » est engagé par François Bodin sieur de Lermo « pour les trois ans prochains commancant ce jour pendant lequel temps il servira ledit sieur de Lermo de son mestier de jardinnier au manoir du lezner ( ?) fidellement suivant les ordres que ledit sieur de Lermo luy baillera, a raison de quoy il luy fournira sa pansion et luy payera outre pour ses gages la somme de cinquante livres par an ». À Guingamp, dans la ville close, quasiment toutes les maisons – et a fortiori celles nobles et bourgeoises – étaient pourvues d’un jardin ou d’un espace vert : en août 1725, le procureur guingampais Nicolas Guéry et son épouse Anne Guyomar sieur et dame de Kereven sont « proprietaires des maysons cours et jardain et petit terrain […] joignants d’un bout la montée des prisons et de l’autre le chateau de cette ville ». Hors les murs d’enceinte, dans les faubourgs, l’aspect rural est plus prononcé encore. Le jardin est souvent la proie des voleurs qui trouvent là un moyen facile de se procurer des fruits et légumes à bon compte. Le sieur et la dame de Kereven, cités à l’instant, furent victimes de ce type de chapardage, comme aussi en octobre-novembre 1697 le sieur Bobony (son verger fut en partie dépouillé de ses fruits et légumes) et le sieur de la Chesnay. Les habitants sont d’autant plus nombreux à se plaindre de telles « vollenies » que chaque maison dispose de son carré de terre, généralement situé au-derrière du corps de logis ; chacun peut cultiver fruits et légumes, voire élever quelques animaux comme une ou deux vaches, des poules, porcs et cochons par exemple. À la fin du mois d’octobre 1697, le sieur de Launay Pierre Le Picart, hôte de la Grand Maison, découvre qu’en une seule nuit tous les choux et pommes de son jardin ont été volés. En 1769, la paroissienne de Notre-Dame Gabrielle Le Bricquer, femme du jardinier Sanson Hamon, surprend « pendant la grand-messe, Maurice Geffroy vollant les pommes de son jardin » ; pareil délit se répète en 1770, au lendemain de la Toussaint : les enfants René et Etiennette Hamon « appercurent pres le mulon de pommes deux particullier [Bertrand Le Bizec et Maurice Geffroy] qui en remplissoient une poche84 ». À la même époque, la tisserande de Trotrieux Louise Labbé entendit un soir la femme de Nicolas Brulé, demeurant à Rohello, « crier à la force environ huit heures […] que Jacques Rohan lui avoit volée une poule qui luy fut rendüe morte par Margueritte Leroux ». Un autre jour, ce fut Marie Le Guennec, femme du jardinier Guillaume Toudic domiciliée dans la rue de Trotrieux Lambert, qui déclara que « Jacques Rohan luy volla des preûnes […] accompagné de Robert Le Roux son cousin ». Ces vols étaient à ce point fréquents et dommageables que, le 18 mai 1728, le procureur fiscal de la cour ducale, maître Joseph Bobony sieur de Kergré, dut requérir des lettres monitoires à l’encontre de ceux qui, surtout la nuit dans la saison des fleurs et des fruits, « escaladent les murs des jardins qui sont aux environs de ladite ville, pillent et emportent les fleurs, fruits et autres legumes et dechirent et ruinent entierement les arbres fruitiers qui y sont ». Cela représentait un manque à gagner pour les habitants qui allaient sur les marchés et dans les foires vendre une grande partie de leur production – le reste étant gardé pour leur consommation personnelle. Occasionnellement, les petites gens s’improvisaient marchands de fruits, un moyen comme un autre pour eux d’améliorer l’ordinaire. Par exemple, en juillet 1699, Jacquette Le Bizec se rend à Pédernec « au Pardon de Notre Dame de Loc » pour y vendre « des scerises et des noüe » ; en septembre 1718, « la foire de St Mathieu sur la montaigne de Brée » attire plusieurs fruitiers guingampais au nombre desquels les paroissiens de Montbareil Ollivier Le Moal et Pierre Le Campion (issus de familles de bouchers). En novembre 1770, Hyacinthe Le Querré, domicilié rue du Pot d’argent, est « marchand de pomme ». Priver ces gens d’un supplément de ressources comme la vente des « fruits » de leur terre pouvait les placer dans une situation économique inconfortable.
92Les jardiniers, de profession ou occasionnels, trouvaient matière à s’occuper mais ils gagnaient difficilement leur vie. Le 15 mai 1760, Jan Le Bignan, jardinier de la rue Saint-Nicolas, dénonce l’acte de ferme consenti en septembre 1759 par le seigneur de Servigné Louis Le Gac de Lansalut, « n’estant pas en estat de payer » les 54 livres du bail. En août 1771, c’est le jardinier de La Trinité Yves Le Gal, veuf de Claire André, qui ne peut payer les soixante livres de loyer annuel pour la maison (avec verger et soue à cochon) qu’il occupe à Porsanquen. Déjà, en 1748, le subdélégué guingampais Hamon de Porville voyait ces jardiniers davantage comme « de simples journaliers à 10 s par jour […] appellés jardiniers que parce que leurs femmes viennent les jours de marchés vendre quelques légumes qu’ils ellevent dans quelque petit coin de terre qu’ils loüent dans les fauxbourgs ».
- 85 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 4115. En 1753, les Carmélites avaient six domestiques à leur service
- 86 En 1733, Guennollé Le Clerc, meunier des moulins de la Tourelle et de Saint-Sauveur, employait qua (...)
93Enfin, il reste à considérer l’important contingent des domestiques, servantes et valets qui représentaient un peu plus de 11 % de la population totale à Guingamp en 1778. On peut d’autant moins les passer sous silence qu’on les retrouve partout : au service du clergé, de la noblesse et du Tiers État. En 1717, les dames de Montbareil ont deux valets, les Hospitalières et les Jacobins en ont chacun un, les Carmélites comptent deux servantes comme les Ursulines qui, en plus, louent les services de deux valets. À la fin du siècle, leur domesticité apparaît même impressionnante : en 1781, les Ursulines emploient au moins neuf domestiques, les filles de la Charité de Montbareil douze, les Hospitalières huit et les Dominicains quatre85. Les séculiers aussi avaient leurs serviteurs, en général un domestique pour chaque prêtre, recteur et curé, même si l’abbé de Kerohan Lesquen, recteur de Notre-Dame en 1753, en disposait de deux, au même titre que l’abbé Desclabissac, prêtre chapelain de l’abbaye de Sainte-Croix en 1777 et 1781. Les nobles non plus n’étaient pas en reste dans ce domaine : tous avaient au moins un domestique, plus généralement deux. Certains en comptaient plus de cinq : en 1753, la demoiselle Botrel a six domestiques et le comte de Kernier sept serviteurs ; en 1755, le comte de Sullé emploie deux domestiques, deux filles à bras, une gouvernante et une cuisinière, tandis qu’en 1770 la dame du Boisgélin Kersach « nourrit » huit domestiques. Les bourgeois également – notamment ceux dont la fonction les dispense du casernement – faisaient appel à des serviteurs ; leur style de vie le leur commandait. En juillet 1678, le sieur du Pré Pierre Hamon a au moins un valet et deux servantes. Dans les grandes occasions, l’effectif du personnel est augmenté : le 29 juillet 1673, lorsque la (première) femme de Pierre Hamon, Marie Landois, vient s’installer chez lui à Guingamp, il donne à souper à trente-six personnes et seize valets, les deux cuisinières comprises. Le 8 juillet 1675, le sieur du Pré fait cette fois appel aux services de quatre cuisinières et deux journalières « les plus addroitz du païs » pour préparer le repas donné à l’occasion du mariage de Janne Moisan, cousine germaine de son épouse Marie Landois. En décembre 1672, l’alloué de Guingamp Laurent Moisan sieur de Kerbino employait au moins deux servantes. Beaucoup de bourgeois étaient aussi pourvus d’une domesticité parce que leur activité les y obligeait. On pense aux hôteliers, aubergistes, meuniers et marchands. Lorsque l’hôtesse Béatrice Seigneur décéda le 5 novembre 1669, elle laissa sans travail deux jeunes servantes domestiques (Catherine Le Breton et Marie Conan) qui se reconvertirent presqu’aussitôt en ménagères, la première à Saint-Sauveur et la seconde à Notre-Dame. En juillet 1707, le sieur Vatel, hôte du Cheval Blanc, avait à son service plusieurs domestiques qui, en certaines circonstances, s’avéraient particulièrement utiles et efficaces : le 20 juin 1707, c’est avec « l’ayde de son monde » que Vatel put empêcher l’apothicaire Gaillard, quelque peu éméché, de maltraiter plus durement qu’il ne venait de le faire (en lui mordant un doigt) l’avocat Charles Bobony sieur de la Bourdonnaye, et put le mettre hors de l’auberge sans autre forme de procès. En 1753, le sieur Utinel, qui tenait la poste royale, employait deux postillons et une servante, alors qu’en 1781 Pierre Le Deuc, en tant que directeur de la poste aux chevaux, avait sous ses ordres un valet d’écurie, deux servantes et deux postillons. En mars 1716, la meunière de Saint-Sauveur Catherine Le Quellec (veuve de Guillaume Rolland) louait les services d’un valet nommé Gilles Le Judec et d’une servante appelée Marie Piriou ; du vivant de Guillaume Rolland, les serviteurs étaient sans doute en plus grand nombre86. Des marchands jouissaient également de l’aide d’un domestique : en octobre 1774, François Flajeul et son épouse Barbe Charlotin emploient Madeleine Mahé comme servante domestique et factrice. Mais lorsque l’argent manquait ou que les circonstances l’exigeaient, ce double emploi pouvait être rempli par les enfants mêmes du marchand : à la mort de sa mère Janne Le Goff décédée le 14 mars 1657, Marie Landois est en âge de pouvoir aider son père, le marchand de draps de soie Etienne Landois sieur de Kerpuns : c’est elle qui entretient son ménage et sert de factrice à la boutique. Les serviteurs se trouvaient ainsi directement impliqués dans les affaires de leur maître. Cette marque de confiance n’était pas l’apanage des marchands bourgeois. On la retrouve chez quelques nobles, et particulièrement chez le seigneur de Lannuic Marc Antoine de la Boëssière : le premier jour de septembre 1667, il engagea à son service, comme valet de chambre, Sanson Larsonneur qui servit fidèlement son maître jusqu’à la mort de celui-ci le 22 février 1722. Toutefois, Larsonneur fut plus qu’un simple valet de chambre, ayant aussi rempli les fonctions de « maistre d’hôtel et Âgent » du seigneur de Lannuic. Il était son homme de confiance : en juin 1693, Marc Antoine l’avait chargé de conduire l’équipage (composé de quatre hommes et six chevaux) de son fils aîné Jacques de la Boëssiere – nouvellement entré au service du roi – « au camp de l’écluse » où ils arriveront après vingt-six jours de marche. Il était aussi son homme d’affaires : en septembre 1702, des ménagers de Coadout et de Saint-Michel de Plouisy vendirent une pièce de terre à Larsonneur en tant qu’« Âgeant et faisant pour messire Marc Anthoine de la Boessiere chevalier seigneur de Lennuic ». Par ce moyen, Sanson Larsonneur contribua beaucoup « aux batiments et à toutes les grandes augmentations […] en la maison et jardin de Keranno », et pouvait légitimement s’en vanter.
- 87 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 2 E 337. Le contrat de mariage, établi le 29 mai 1672 entre Jan Le Guen (...)
- 88 Car c’est cela qui reste finalement le plus important. Le valet d’écurie Jacques Le Naoüres, déten (...)
- 89 Arch. dép. Côtes-d’Armor, B 2475. En juillet 1775, le prêtre de Plouisy, Mathieu Jan, se montre pl (...)
- 90 En janvier 1788, Le Moal se présentait lui-même comme un « laboureur domestique fileur de laine » (...)
94Demeurer longtemps au service d’un même maître n’était pas fréquent. Le 24 juin 1659, Anne Le Troadec entre au service de Pierre Hamon comme servante mais s’en va au bout de huit jours. Le 3 avril 1672, le sieur du Pré a une nouvelle expérience malheureuse : il engage une servante de Bourbriac, nommée Claude Pilven (à raison de douze livres par an), qui quitte son emploi neuf semaines après, « s’estant mariée a Jan Le Guen87 ». Son père Jan Hamon, avocat à Lantreguier, avait lui aussi connu pareille situation avec sa domesticité : engagée le 12 septembre 1629, Louise Le Vally s’en était allée deux mois et cinq jours plus tard ; la fille d’un nommé Kergo, entrée chez lui au service de son épouse en juillet 1635, ne demeura que deux mois et vingt quatre jours… Le plus ou moins long séjour d’un domestique dans une maison dépendait assez de son comportement à l’égard de son employeur ou de l’attitude de ce dernier à son encontre. Il valait mieux éviter de contester les ordres et faire preuve d’un caractère docile, tous les maîtres n’acceptant pas qu’on leur tienne tête. Le sieur du Pré n’était cependant pas de ceux-là car, en mai 1687, il laissa sa servante Gillette Lespineut contester haut et fort une de ses décisions : alors que sa domestique lui demandait de pouvoir passer la nuit à Plouagat Châtelaudren chez la nourrice (Marguerite Poëzel) venue le jour même prendre le nouveau-né du sieur du Pré – Pierre, baptisé le 7 mai – pour s’en charger une année entière, Pierre Hamon refusa, déclarant « qu’il ne falloit pas laisser sa maîtresse seule avec [lui] crainte qu’elle ne [tombât] malade ». La servante mécontente s’emporta « d’une mannière dans la cuisine que [sa] femme l’ayant entendu de sa chambre [tomba] en fiebvre quy [dura] 3 jours ». Le sieur du Pré vit dans cette « servante faire la maitresse et avoir sy peu de considération pour un maitre quy ne la contredit en rien » un « grand subject de colère et de mélancholie », mais il ne la renvoya pas. L’intérêt du domestique était de se montrer adroit afin de ne rien casser qui ait quelque valeur, et de ne se rendre coupable d’aucun vol. Il devait se montrer en tout point irréprochable, sinon il risquait soit de devoir réparer le tort causé, soit d’être mis à la porte, voire pire encore. Lorsque le 19 novembre 1627, Jan Hamon (père de Pierre) engage Françoise Daniel pour être la chambrière de son épouse et qu’un mois plus tard elle casse un verre de cristal d’une valeur de trois sols, il l’oblige à lui payer un sol (seul le pied du verre a été brisé) en guise de dédommagement. Semblable mésaventure arriva en février 1630 à une nouvelle servante de l’avocat de Lantreguier : ayant cassé « une grande terrine », son maître l’avertit aussitôt qu’elle paierait le montant du préjudice. La faute commise par Marie Journée, servante du ménager Jan Sallaun dans les années 1710, fut plus lourde de conséquence car celui-ci « fut obligé de [la] chasser de chez luy pour ses friponneries ». Peu de temps auparavant, le 26 juillet 1704, le valet du sieur de Perien avait été arrêté pour avoir volé des hardes, de la vaisselle d’étain, des chandeliers de cuivre et des serviettes chez le sieur de Launay Pierre Le Picart, hôte de la Grand Maison. En 1736, le valet d’écurie des hôtes du Pelican goûta lui aussi à la prison : entré au service d’Yves Geffroy et de sa femme Marie Serrandour le 15 février, « Jacques Le Naoüres du village de Querdannet en la paroisse de Pommerit Le Vicomte » fut accusé en mars par ses maîtres d’avoir volé une poche de fil qu’un marchand filotier de l’évêché de Léon avait fait entreposer dans l’écurie de leur auberge. Des domestiques se mirent également à dos la justice à cause de la violence de leur comportement. Par exemple, Gilles Le Judec, valet de la meunière de Saint-Sauveur déjà mentionné, prit la fuite en mars 1716, après avoir agressé et blessé gravement à la tête un dragon en quartier à Guingamp. Ce sont là autant de domestiques qui, en raison de leurs démêlés soit avec leur maître soit avec l’autorité judiciaire, durent quitter leur emploi. Or, celui-ci n’était pas dépourvu d’avantages, pour peu que l’intéressé voulût bien se montrer zélé et fidèle serviteur. Le domestique percevait des gages, variables selon la nature de ses attributions. En 1772, les serviteurs du comte de Munehorre Jan de Bizien sont payés comme suit : le valet à bras Charles Le Noanes touche 36 livres par an, la cuisinière Françoise Poullain 45 livres et la servante à bras Marguerite Le Dantec 30 livres, tandis que Pierre Robert (dit Lapierre), probablement valet de chambre, perçoit 75 livres par an. À la même époque, Madeleine Mahé, servante domestique et factrice des marchands François Flajeul et Barbe Charlotin, reçoit 36 livres de gages annuels. Dans la première décennie du xviiie siècle, Perronnelle Jaffreat, servante de la veuve du sieur de Kercado Allain, est payée 21 livres par an. On dispose également de quelques salaires de domestiques en vigueur au xviie siècle. En février 1669, Suzanne Hamon (sœur du sieur du Pré Pierre Hamon) engage à son service une jeune fille de Bourbriac pour la somme annuelle de 12 L 15 s. On se souvient des 12 livres de gages par an promis en avril 1672 par le notaire guingampais Pierre Hamon à Claude Pilven venue travailler chez lui comme servante. Au début des années 1670, le valet de chambre du marquis de Carnavalet d’Acigné recevait 60 livres de gages annuels. Au début du siècle en décembre 1627, l’avocat de Lantreguier Jan Hamon avait pris à son service, comme chambrière, Françoise Daniel pour une durée d’un an et 9 L 16 s de gages. En décembre 1629, la servante Janne Lhostic vînt travailler chez lui pour vingt sols par mois ; Françoise Clech, qui ne resta servante chez l’avocat que du 12 au 20 mars 1630, fut payée quinze sols pour ses huit journées de travail. En octobre 1635, Jan Hamon engage Guillemette Ringuet comme servante pour un an et la somme de 19 L 10 s. Egalement nourri et logé, le domestique qui parvenait à garder sa place pouvait bien faire pâlir d’envie le paroissien éprouvant au contraire toutes les peines du monde à seulement manger à sa faim88. S’il avait su trouver grâce auprès de son maître, celui-ci pouvait même, le moment venu (généralement au seuil de la mort), se souvenir de ses bienfaits à son encontre, et l’en remercier par quelque libéralité. Les exemples ne manquent pas d’employeurs reconnaissants. En janvier 1668, le vicaire de l’église de Saint-Sauveur, Jan Le Febvre, récompense Bertrand Hervé, à son service depuis quatre à cinq ans, en lui léguant la somme de douze livres – qui « seront emploiez pour luy ayder à aprandre un mettier » – et des chemises, tandis que Marie Barbou reçoit trente sols « pour l’avoir soigne dans une autre malladie qu’il eust l’anne passée89 ». En février 1674, le marquis de Carnavalet Jan d’Acigné n’oublie pas, au moment de faire connaître et rédiger ses dernières volontés, de remercier à sa manière son valet de chambre Guy Le Meptaier dit la violette, qui le sert depuis longtemps « sans avoir [jamais] eu aucune recompense jusques a presant » : outre ses gages, il lui donne deux cents livres « et un couple de [ses] vieux habitz ». En septembre 1691, le seigneur de Kersach Gilles du Boisgelin donne « en pur don » à Yves Mesjan, qui l’a « servy pandent le temps de trois à quatre ans en qualité de vallet de chambre », la somme de treize livres tournois de « rente censive vive levée venante en main » à percevoir sa vie durant. En avril 1710, Françoise de Rocquancourt, veuve du sieur de Kercado Ollivier Allain, fait aussi preuve de gratitude envers sa fidèle et dévouée servante depuis trente ans, Perronnelle Jaffreat : en reconnaissance de ses services, elle lui lègue une rente constituée de 66 L 13 s 4 d, ainsi que « le bois garniture et couette de plume matelas couverture et dix gros linceuls » lui appartenant estimés ensemble vingt livres. En février 1762, la marquise d’Acigné Janne de Larlan remercia sa femme de chambre Ollive Yseul en lui octroyant une pension viagère de cent livres par an et des « hardes tant en dantelles qu’en habitz et linges ». On citera enfin la dame de la Villeneuve Petronille Bernard qui, en août 1774, fit donation « pour bons et agreables services » à sa servante Marie Le Moal d’une rente foncière et convenancière de 45 livres. On comprend mieux ainsi qu’en février 1687, Anne Riou, « gouvernante chez madame de Kerprat Le Brun et y demeurant en la ville de Guingamp », ait pu acquérir une pièce de terre vendue 51 livres. L’espoir, clairement affiché en octobre 1699 par les futurs époux Nicolas Audeleuq et Catherine du Lac, de gagner assez d’argent pour procéder à quelque acquêt au cours de leur vie commune, n’était pas sans fondement : ils étaient tous deux « au service de haut et puissant messire Charles de Cleuz chevalier seigneur marquis du Gage et de dame Charlotte Renée de Lesmo son espouse ». Néanmoins, la condition de domestique demeurait généralement difficile. En octobre 1765, la servante Elisabeth Hedou, domiciliée rue Saint-Yves à Notre-Dame, possède seulement quelques hardes, mais d’autres sont plus démunis encore : par exemple, en 1747, Catherine Ruello, « servante domestique chez madame la comtesse de Cadoallan douariere », incapable de payer vingt-huit sols de capitation ; ou en 1787 le nommé Le Moal (demeurant rue du Pot d’argent), domestique « n’ayant […] aucun metier » lorsqu’il est arrêté le 16 avril90 pour vol avec effraction au monastère de Montbareil. Le vol demeurait en effet pour certains (à la recherche d’une place ou insatisfaits de leur sort) le seul moyen de subvenir à leurs besoins.
- 91 Les rôles de capitation sont éloquents : en 1733, seuls trois paroissiens (Guennollé Le Clerc, le (...)
95On a mis en évidence les principaux métiers exercés à Guingamp sous l’Ancien Régime, mais en passant sous silence le détail de tous ceux véritablement spécialisés (lardière, tripière, crêpière, confiturier, etc.). Il en découle une ville comptant de nombreux petits commerçants, boutiquiers, maîtres-artisans, ouvriers, compagnons et domestiques aux revenus souvent très modestes. Dans la paroisse-faubourg de Saint-Sauveur par exemple, vivaient surtout des « petits fermiers, jardiniers, cordonniers, menuisiers, boulangers et autres etats mecaniques » qui subsistaient avec peine : au début du xviiie siècle, les trois ou quatre plus riches habitants ne possédaient pas plus de 150 livres de rente par an91. Essentiellement peuplée de petites gens, Guingamp ne pouvait donner lieu à un commerce considérable, mais seulement à « un commerce de consommation » pour ses habitants et alentour. La cité offre ainsi une image peu flatteuse mais qui ne trahit pas la réalité.
Des pauvres et des mendiants toujours plus nombreux
- 92 Jusqu’alors, les pauvres de la cité étaient envoyés à l’hôpital de Saint-Brieuc qui se chargeait d (...)
- 93 Elle n’aura finalement pas besoin d’en arriver à cette solution peu glorieuse. En effet, devant le (...)
96Il ne fallait pas grand chose pour qu’un individu ou une famille, vivant au seuil de la pauvreté, basculât dans la misère et le dénuement le plus total. Un coup dur (hausse des prix, maladie…) et c’était la descente aux enfers. L’exemple, en juillet 1693, d’Anne Phelippe, veuve de Louis Phelippe domiciliée rue de Trotrieux Lambert, est révélateur : « au lit malade debtenue de malladye », elle doit « pour parvenir à sa nouritture et entretien en l’advenir ayant jusques à presant espuisés tous ses effect mobilliers et mesme esté forcée d’acquerir et d’activer plusieurs debtes pour sa subsistance depuis et pandant les deux années en sa quelle est allictée », vendre tous ses droits « tant en ladite maison ou elle demeure qu’autres et courtil en despandant » ; cela lui rapporte la somme de quatre cents livres. En décembre 1752, « pour acquitter ses dettes personnelles », Renée Mingot (veuve de François Perronnet) est obligée « de vendre cedder et abandonner le peu de meubles et effects qui luy appartiennent pour eviter aux fraits que ses creanciers pourroient luy faire ». Elle vend donc, pour cent cinquante livres, à son fils maître perruquier Claude Perronnet, « la proprieté d’un lit a tombeau avec ses rideaux de serge de Caen verte paillasse coëte de balle, traversier et oreillier de plume une courte pointe rouge, un bois de lit de chesne avec sa coëte de balle et un ballin, une petite armoire a un battant bois de haitre, une chaise bourée, un cent de lin en bois, six draps de lit, un plat et deux assiete d’etain, un trepier, un petit bassin d’airin, une moyenne marmitte, et un chandelier de cuivre ». D’autres paroissiens furent poussés à des extrémités plus dramatiques encore : à la fin de l’été 1738, « Couppain facteur d’orgues » et son épouse abandonnent leur fils Jean Baptiste, âgé d’environ trois ans, que la communauté de ville décide de placer « a l’Hopital General jusques a estre autrement informée ». Depuis le dernier quart du xviie siècle, les conditions de vie se sont considérablement détériorées, favorisant l’accroissement du nombre des pauvres. Ce n’est pas un hasard si, en mars 1678, la ville se dote d’un Hôpital Général. La première quête permet de recueillir environ cinq cents livres. Soixante pauvres sont ainsi logés et entretenus92. Ces malheureux se divisent en « trois sortes » : « les honteux, les malades que l’on voit tous les jours, et puis les pauvres ». En mars 1681, l’hôpital fonctionne toujours grâce aux libéralités et aumônes des habitants, mais l’effectif des miséreux augmente sans cesse : le 20 décembre 1679 déjà, la communauté de ville sommait le gouverneur de l’hôpital d’admettre quatre pauvres supplémentaires dans l’établissement. Le 31 mars 1694, messieurs les nobles bourgeois jugent nécessaire de nommer un chasse-gueux pour empêcher les mendiants valides d’exercer leur « talent » aussi bien dans la ville close qu’aux portes des églises ou ailleurs, et d’importuner (voire harceler) ainsi les habitants. La même année, plusieurs maisons sont saisies puis vendues, d’autres se trouvent sans fermiers ni locataires. Ce sont autant de détails significatifs d’une dégradation du niveau de vie. Beaucoup de Guingampais s’étaient appauvris et n’arrivaient plus à « joindre les deux bouts » : lorsque le héraut et portier de la cité Yves Dufain décède le 12 juillet 1724, il laisse « une grosse famille san bien et hors d’estat de faire les frais de ces funeraille » ; c’est donc la communauté de ville qui prendra à sa charge « les frais funeraires dudit Dufay ». En novembre 1729, l’Hôtel-Dieu est surchargé. Est-ce en raison de cette quantité de miséreux, et parce que la générosité publique n’avait déjà été que trop sollicitée pour subvenir aux besoins des plus démunis, qu’en avril 1731, « messieurs les administrateurs de l’Hopital General » de Guingamp omettaient « depuis quelque mois de faire les questtes tant dans cette ville que ces feauxbourgs » ? Le 8 août 1732, « le decès estant arrivé au nommé Pierre Geffroy depûis environ trois mois archier chasse gens de ladite eglise [Notre-Dame de Guingamp] », la communauté de ville estimait toujours de la plus haute importance « de nommer un autre en son lieu et place pour empecher les pauvres et vagabon de mandier dans la dite eglise et mesme en ville passé les vingt quatre heures ». En octobre 1733, la paroissienne Gabrielle Le Gendre n’avait d’autre alternative que de « mettre sa sœur la veuve de Connan en la salle des pauvre ne pouvant pas la souteni93 ». Le 15 février 1741, de l’aveu même de l’abbé de Rays recteur de Notre-Dame, la misère était grande au point que « plus d’un tier de ses parroissiens [étaient] à la veille de mourir de faim ». En avril 1745, Toussaint Prigent devait cinq années de loyer (soit un montant de 52 L 10 s) à l’église Notre-Dame de Guingamp « quil ne pouvait satisfaire etant insolvable » ; il régla sa dette en cédant à l’église « une portion de terre luy apartenante dans le même champ de l’eglise ». Le 5 avril 1752, le héraut de la ville de Guingamp, Joseph Noury, se plaignait, comme beaucoup d’autres, auprès de messieurs les nobles bourgeois de la communauté, que sa famille et lui se trouvaient « dans une extreme nescessite » ; il leur réclamait de l’aide « pour le mettre en état de subsister ». Joseph Noury reçut trente livres « par forme d’aumone », mais sa situation ne s’améliora pas : en mai 1767, il est « hors d’etat de plus continuer son metier de perruquier », alors que certains de ses enfants sont « malheureusement incommodés au point de ne pouvoir s’attacher à aucun ouvrage ». L’autre héraut guingampais, Vincent Blanchard, n’était pas mieux loti : « chargé d’enfans et ne pouvant trouver […] d’ouvrages » en octobre 1766, il est lui aussi « reduit a solliciter les bontés de la communauté » et reçoit la somme de quinze livres « a titre de secours ». Le 31 janvier 1770, le prieur de l’abbaye de Bégard rappelait au subdélégué guingampais sieur de Rabault qu’« on ne [pouvait] venir a Begar sans y voir des pauvres a toute heure du jour » qui ne fréquentaient « la maison [abbatiale] que dans la confiance d’y recevoir des secours ». En novembre 1785, les Hospitalières de Guingamp étaient à ce point submergées de travail qu’elles refusaient de « fournir les ongants remedes et linges nécessaires au pancement des pauvres etrangers à l’hôpital ».
- 94 A. Soulabaille, L’évolution économique et sociale de Guingamp aux xviexviie et xviiie siècles, thè (...)
97Les registres de délibérations de la communauté de ville de Guingamp ne sont pas seuls à témoigner de ce climat de pauvreté persistant au xviiie siècle dans la cité et ses environs. Outre les registres paroissiaux renfermant des exemples de pauvres hères mendiant leur pain94, certains rôles de capitation contiennent une « collonne » ou un « chapitre » des pauvres officiellement déclarés et reconnus comme tels : ils échappent à toute imposition et figurent seulement à titre indicatif parmi les exemptés. On repère ainsi des « pics » de pauvreté : par exemple, l’année 1755 se dégage très nettement du lot (Tableau 5, ci-dessous).
98De nombreux contribuables sont réduits à « une extreme indigence » et ne peuvent payer leur imposition. Beaucoup ne possèdent « pas même un lit pour se coucher si ce n’est des paillasses posées sur des pierres dans la place sans bois de lit ». Les perquisitions effectuées par le sergent ducal et ses assistants au domicile de ces pauvres gens « pour leur trouver des effets suffisants pour satisfaire à leurs impositions » sont vaines. Comment, en 1724 par exemple, Jean Alleix, Louis Hamon, Joseph Allard, Marie Dubré et Janne Sallaun pouvaient-ils payer vingt sols de capitation alors qu’ils cherchaient précisément « l’aumonne » ? Marie Guelleot, Catherine Henry, « le nomes Toraval » et Jean Le Guen étaient aussi démunis ; on ne trouva d’ailleurs rien chez eux qui pût valoir les vingt sols de capitation dont ils avaient tous été taxés. En 1748, la perquisition faite chez le fruitier de la rue Notre-Dame, Rolland Benoist dit Cornillé, capité vingt-huit sols, ne mena à rien : l’homme était « fort agé et a la mendicité ». Le constat est identique en 1770 pour Pierre Le Moal qui ne possède aucun bien et est « réduit à l’aumône » ; pour Jacques Rénot, « un homme indigent, privé souvent du nécessaire » ; pour Guillaume Le Pladec qui « n’a rien du tout », et pour Jean Cornulier « reduit à la mercy de son fils » demeurant à Lannion chez lequel il a du se rendre, « n’ayant rien chés luy ». Ces miséreux s’ajoutaient à la cohorte des pauvres « officiels » évoqués précédemment.
- 96 À cette occasion, Béatrice Couppé permet à Anne Riou, sa gouvernante, de se servir du lit « en cas (...)
- 97 Elle serait aidée dans sa tâche par la domestique Marguerite Le Prieur « dont la conduite [était] (...)
99Les habitants aisés ne restaient pas indifférents aux souffrances des pauvres. En 1697, Marguerite Marion, une septuagénaire en très grande indigence, malade et alitée depuis plusieurs années, entre à l’Hôtel-Dieu grâce à l’intervention de quelques notables auprès du gouverneur-administrateur de l’établissement. « Quelque personnes charitables […] touché de compassion » n’hésitaient pas à donner des linges aux nourrices chargées de l’entretien d’enfants abandonnés, particulièrement en hiver : il fallait les mettre « a couvert de l’iniure des tamps qui s’augmentant par la rigueur de la saison les feroient perir de froid quelque soins que les dites nourices en pouroint avoir ». D’autres initiatives individuelles en faveur des malheureux, même si elles n’étaient pas toujours désintéressées, méritent d’être signalées. En avril 1694, la dame veuve de Kerprat, Béatrice Couppé, lègue à l’Hôpital Général de la ville deux convenants, une pièce de terre, une rente constituée de 62 L 10 s due par les Hospitalières ainsi que « l’uzage d’un lit par elle fondé a perpetuitté d’avec les dames religieuses Hospitallières de Guingamp pour un pauvre quy sera noury et entretenu » par elles « aux fraix de leur couvent conformement à l’acte de fondation dudit lit96 ». La dame de Kerprat lègue également pour vingt ans à l’Hôpital Général le montant de la ferme (240 livres par an) du lieu noble de Kervoazou situé à Senven-Lehart : l’argent doit servir à acheter diverses choses pour les pauvres, parmi lesquelles « de la paille et balle fraîches » pour leurs lits (car « cela est necessaire tous les ans »), « des ballins pour couvrir les lits […] servants de tapis » de lits, des bonnets bleus, des blés (seigles, blé noir et avoine), des viandes fraîches et chaque année un pourceau (salé ou vif) pour leur nourriture. Ces différents dons ne sont pas gratuits. Pour en jouir pleinement, l’Hôpital Général devra notamment entretenir « perpetuellement la lempe pendante en la chapelle et eglize d’iceluy d’huille de jour et de nuit alumée devant le Tres Saint Sacrement de l’autel et de fournir le pain, le vin les sierges et autres choses necessaires pour la celebration de la messe y fondee » par son défunt époux Jacques Le Brun, ainsi que « faire dire, celebrer et chanter trois grandes messes en la chapelle et eglize dudit Hospital General » aux jours de la Saint-Joachim, de la Saint-Roch et de la Sainte-Barbe. En juillet 1731, un paroissien fit « la proposition de donner une somme de quatre vingt dix livres de rente constituée sur un bon fond quy servira d’ypoteque, pour avoir la liberté de mettre a perpetuité un pauvre dans ledit Hostel Dieu a la pension ordinaire quy est la somme de 75 L par an, ce particulier s’en reservant pour luy et ces sucesseurs la nommination ». Le 18 décembre 1736, des plaintes ayant été portées contre « la mauvaise conduite de Phelipe Le Houerff et de Catherine Le Cocguiec sa famme auxquels on avoict confie le soin des pauvres et le gouvernement interrieur de l’Hopital [Général] », la demoiselle Fougeré Bobony accepta de « prendre le soin de l’interieur dudit hopital97 ». Le 5 janvier 1746, madame Des Longrais fondait une « marmite » destinée aux pauvres artisans malades de Guingamp. L’établissement de charité devait pouvoir fonctionner avec cent livres de revenus annuels, mais c’était bien trop peu au regard du nombre de gens concernés : en décembre 1774, le subdélégué guingampais reconnait qu’il faut accroître ses revenus. En août 1783, messieurs les nobles bourgeois de la communauté rappelaient « le souvenir des bienfaits que la ville [tenait] des auteurs de Madame la comtesse de Calan ainsy que d’elle par leur contribution à des fondations utiles et de charité et auxquelles Madame de Callan elle même [donnait] encore des secours journaliers ». On citera enfin le cas d’une personne qui, en avril 1788, joignant « a ses bienfaits le merite de la modestie et qui ne [voulait] pas qu’on la [nommât] au publique », proposa « de donner cent cinquante livres de rente pour le Bouillon des pauvres de Guingamp d’asseoir cette rente sur tous ses biens presents et avenir à commencer le premier payement le 25 may 1789 et ainssi continuer au 25 may de chaque année sans diminution d’aucune imposition reservant neantmoins pour elle ses heritiers ou ayants causes la faculté perpetuelle de rembourcer à sa volonté la ditte rente sur le pied de trois milles livres en trois payements de mil livres chaque ». Les hommes de la communauté de ville firent connaître leur souhait de voir « imiter un exemple de piété aussi rare et aussi recommandable » : si ce type de donations se multipliait, l’administration municipale pourrait alors réduire son aide aux pauvres, et donc consacrer davantage de fonds publics à d’autres domaines de sa responsabilité.
100Il y eut aussi des entreprises collectives de lutte contre la misère. Le 4 avril 1786, « l’etablissement d’un bureau de charitté ou seront versées toutes les aumones » destinées aux indigents est du à des habitants de Guingamp désireux « de subvenir aux pressants besoins des pauvres de cette ville et d’en banir la mendicité ». L’opération connut un succès immédiat car « des l’instant de cet etablissement tous les citoyens en etat de venir au secours de l’humanithé se sont empressés de faire une souscription volontaire pour laquelle ils s’[engageaient] à payer une somme fixe par quartier et cependant pour une année entiere ». Le corps municipal, qui souhaitait « participer à un acte de bienfaisance aussy bien placé », souscrit pour deux cents livres par an ; il s’excusa de ne pouvoir donner davantage, la communauté étant « surchargée de depences indispensables ». Toutefois, le bon fonctionnement de ce bureau de charité fût très vite compromis : dès juillet 1789, « la societé formée dans cette ville pour en bannir la mendicité » est « forcée par le refroidissement de la charité, par la misère publique, de laisser souffrir des besoins réels à quelqu’uns » des citoyens. La communauté dut voter un « secours extraordinaire de trois cens livres […] remis au Bureau de charité pour le soulagement des pauvres », et invita « tous les citoyens […] à suivre cet exemple », surtout les « personnes opulentes ». Pourtant les notables, domiciliés en majorité à Notre-Dame, qui s’impliquaient individuellement ou collectivement dans la lutte contre la pauvreté à Guingamp, n’étaient pas dépourvus d’un certain « esprit de clocher » en matière de dispense de la charité. En avril 1775, ils acceptent certes de « seconder le dessein dans lequel on est d’etablir trois Sœurs Grises » et réunissent à cet effet « une somme de 8 000 livres à placer pour aider a faire le fond et revenu necessaire à cet etablissement », mais pour eux, celui-ci doit profiter aux seuls paroissiens de Notre-Dame. La communauté ne pouvait souscrire à un pareil exclusivisme : « de tous les tems les fauxbourgs quoique situés sur differentes paroisses ont été considerés comme formant l’ensemble de la ville ». Dans la mesure où « les fauxbourgs logent les gens de guerre, payent les octrois, les impositions publiques, en un mot supportent, partagent les charges avec la paroisse principalle ; par quel contraste ne partageroient ils pas le bien » ? Il y aurait « une injustice à leur faire supporter l’un et a les priver de l’autre ». « La ville qui a toujours regardé ces fauxbourgs comme les membres d’une même famille » ne pouvait pas « acceder à ce qu’un etablissement utile [fusse] fermé et interdit pour les parties les plus malheureuses et les plus exposées au besoin » ; cela n’avait aucun sens.
101À partir des années 1680, les pauvres se multiplient à Guingamp. Ils étaient déjà quelques-uns avant à vivre difficilement, certains réduits à voler pour subsister. La petite délinquance est fort répandue dans la seigneurie de Guingamp. Pour le seul premier quart du xvie siècle, au cours duquel 180 hommes et femmes ont été arrêtés et emprisonnés dans les geôles de la cité, le larcin, le vol et/ou la fausse quête interviennent à 106 reprises dans les chefs d’accusation ; l’autre principal délit est le crime (Tableau 6, p. 211).

Tableau 6 – Délits commis par les prisonniers détenus à Guingamp dans le premier quart du xvie siècle.
(Source : Arch. dép. Côtes-d’Armor, E 908.)
- * « Meneuse », empoisonnement, vente de chair animale avariée, « abus », fausse monnaie, « démérites (...)
102Note*
- ** Homme (ou femme) acusé(e) de « copulation charnelle » avec un animal (lire l’exemple fourni par Mic (...)
103Note**
- 98 Ch. Plessix-Buisset, Le criminel devant ses juges en Bretagne aux 16e et 17e siècles, p. 156-157.
104Ces méfaits concernent des gens nécessiteux : presque tous les coupables ne possèdent aucun bien à l’image, en 1510-1519, de François Duval, fustigé par le bourreau pour larcin, et de Yvon Phelippe « trouvé porter une clieguete de ladre [se] disant et faignant estre ladre » et reconnu « faulx questeur ». Phelippe avait voulu apitoyer les bonnes âmes et susciter leur générosité afin de récolter quelques piécettes nécessaires à sa subsistance. Les briseurs de troncs d’église devaient être aussi miséreux que les faux quêteurs, mais la peine encourue pour ce genre de délit était plus sévère : si Yvon Phelippe fut condamné à être fustigé « trois tours entour la cohue de la ville » de Guingamp pour son forfait, Jan Vevin – reconnu coupable d’avoir, le 6 juillet 1677, forcé le tronc de la chapelle Notre-Dame de Rochefort et emporté plusieurs « deniers et doubles » qui s’y trouvaient – fut condamné par la juridiction abbatiale de Sainte-Croix à être pendu et étranglé à la potence « jusqu’à extermination de vie ». La gravité de la sentence s’explique par le caractère sacré du lieu où les biens ont été dérobés. Jan Vevin fit appel devant le parlement de Bretagne et fut condamné à une peine moins lourde. Généralement, un délit de cette nature (concernant des biens exclusivement profanes et non sacrés) valait plutôt à son auteur le fouet et le bannissement de la paroisse où il avait sévi. En revanche, ceux qui, dans les églises, s’en prenaient directement aux objets consacrés ou de culte, ne devaient pas espérer la clémence de la justice : elle voyait dans ce genre de vol « une infraction aggravée98 ». La peine infligée en pareil cas était la pendaison. À Guingamp, en 1520-1521, Yvon Guy et Jehan Bizien sont pendus et étranglés pour avoir « robe pluzieurs esglises ». Les cambriolages de maisons (le plus souvent nobles et bourgeoises) étaient également fréquents. Ces petits délits, les difficultés économiques aidant, se multiplièrent dès la fin du xviie siècle. L’étude du notaire Pierre Hamon fut « visitée » à plusieurs reprises en 1684, 1685 et 1691. Au siècle suivant, d’autres habitants aisés de la ville close eurent à déplorer ce même type d’infraction, en général nocturne. Par exemple, dans la nuit du 14 au 15 juillet 1787, on vola à Pierre Chambrin 1266 livres qu’il avait caché dans une armoire de sa chambre ; au début du mois de mai 1789, on déroba à Mathurin Le Sage, hôte du Soleil d’Or, environ 1 400 livres : le ou les voleurs s’étaient introduits au moyen d’une échelle par la fenêtre donnant sur les latrines derrière la maison. Ces cambriolages étaient tellement courants au xviiie siècle, que certains particuliers hésitaient à s’absenter durablement de chez eux. L’exemple de la veuve Sallaun en novembre 1778 est révélateur : « comme l’on ne sait ce qui peut arriver pendant [son] absence qui sera de quinze jours ou trois semaines au plus », elle confie les clés de sa demeure à l’alloué qui devient ainsi garant de la non violation du domicile. On peut douter de l’efficacité de ce genre de moyen pour parer à tout cambriolage : si, comme on l’a vu, même la présence du maître des lieux ne suffisait pas à empêcher le cambrioleur de passer à l’action, comment son absence pouvait-elle être davantage dissuasive ?
105Ceux envers lesquels la nature ou la vie s’était montrée particulièrement cruelle, les affligeant d’un handicap (physique ou mental, quand ce n’était pas les deux à la fois) qui les obligeait à dépendre d’autrui, éprouvaient aussi de grandes difficultés. Le quotidien des aveugles, des estropiés et des déments n’était pas enviable. Leur handicap ou déficience – qui inspirait souvent le rejet, la crainte ou la peur – les condamnait souvent à vivre aux marges de la société. En 1707, Rolland Durand n’était pas le premier ni le seul « aveugle et aussi pauvre mendiant » que la cité guingampaise comptait parmi sa population. La disparition en décembre de son père, également mendiant, fut pour lui un coup dur, un de plus : il se retrouvait seul au monde, sans personne pour prendre soin de lui. Il épousa donc dès janvier 1708 une paroissienne de Plouisy nommée Catherine Le Coutellec. Les insensés ou tenus pour fous étaient plus parias encore, n’ayant pas même le droit de recevoir les derniers sacrements ni d’être inhumés dans l’enceinte de l’église. Ce fut notamment le cas pour Anne Denix, âgée de 45 ans en juin 1672, pour la sexagénaire Perronnelle Laloié en janvier 1687, et pour ce jeune garçon de seize ans nommé François Le Page en mars 1723.
106Tous étaient de pauvres créatures que l’on raillait facilement et dont on faisait peu de cas. Ils parcouraient les rues de Guingamp ou peuplaient ses geôles, comme en février 1751 ce « Fontange Brunot detenu en basse fosse par raport à sa follie et la facon indescente avec laquelle il se promenne quand il est en liberté ». Guingamp a toujours compté son lot de miséreux, les exclus ne sont pas apparus du jour au lendemain. Mais la dégradation de le conjoncture économique à la fin du xviie siècle – et qui se poursuit au xviiie – aggrave le phénomène de paupérisation de la population. Beaucoup de ceux qui vivaient aux marges de la pauvreté sont contraints de mendier leur pain pour survivre. Au xviiie siècle à Guingamp, les malheureux représentent entre 10 et 15 % de la population totale. On les trouve surtout à Sainte-Croix, La Trinité et Saint-Sauveur, des paroisses majoritairement peuplées de petites gens qu’un rien pouvait faire basculer dans la misère. Au plus fort de la crise de 1741, la paroisse Notre-Dame dénombra quand même un bon tiers de ses habitants dans le dénuement absolu, soit autant que dans les trois autres paroisses réunies… L’augmentation du nombre des pauvres entraîna un accroissement des dépenses de la communauté de ville qui avait déjà fort à faire avec les abandons d’enfants. Leur entretien coûtait de l’argent : placés à la nourrice ou à l’Hôpital Général, ils demeuraient à la charge financière et matérielle de l’administration municipale.
107Le renversement de conjoncture apparu dans le dernier quart du xviie siècle n’épargna pas davantage les riches bourgeois que les petites gens. En 1702 par exemple, la famille Allain connaît quelques difficultés d’argent : François Allain sieur de Keribo et Pierre Allain sieur de Kercado étant décédés alors qu’ils étaient débiteurs de plusieurs milliers de livres, leurs héritiers doivent se défaire du lieu noble de Keribo (estimé 8 000 livres) situé à Saint-Michel de Plouisy, du lieu du Porchel (valant mille livres) à Plouisy, d’une rente convenancière de 90 livres sur le lieu de Kercado à Trégonneau (évaluée 1 200 livres), ainsi que du lieu et métairie de Kerhalvé (estimé 1 800 livres) situé à Quemper-Guézennec. Tout au long du xviiie siècle, on assiste à la faillite de nombreux marchands bourgeois (de draps et soie entre autres). En octobre 1783, les affaires de Thérèse Le Meur ne sont plus florissantes : « veuve depuis quelques jours du maître de Poste aux chevaux de Guingamp » et hôte de l’hôtel de l’Empereur (anciennement appelé le Cheval Blanc), Pierre Le Deuc, elle est « chargée de huit enfants tous mineurs » et éprouve toutes les peines du monde à les nourrir, même si trois de ses enfants l’aident dans ses travaux. Si des bourgeois n’étaient pas en mesure de surmonter les difficultés, comment des habitants aux revenus très modestes pouvaient-ils espérer s’en sortir et éviter de sombrer dans la détresse ?
- 99 Arch. mun. Guingamp, BB 9 (délibération du 12 août 1728).
108Sous l’Ancien Régime, le Tiers État est un « bas estage ». C’est lui « qui nourrit les trois ordres et qui fournit à tous leurs besoins » alors qu’il est exclu « des charges des employs, des pensions et autres gratifications et de tant de privilèges que l’on accorde [..] concede avec autant de facilité aux deux autres ordres, à la noblesse surtout ». Néanmoins, il ne faut pas confondre petit peuple, artisans et bourgeois. Ces derniers se situent au-dessus des deux autres et ne se privent jamais de le rappeler : en septembre 1636, les membres de la communauté de ville précisent que la grosse cloche de l’église Notre-Dame ne doit « estre sonnée que pour les fondations des seigneurs pour la noblesse, et bourgeois ». Ils avaient eux aussi leurs petits privilèges, comme la noblesse. Très hiérarchisée, la bourgeoisie aurait pu constituer un ordre à elle seule. La vision restreinte du Tiers État donnée en août 1728 par l’évêque de Tréguier ne le dément pas : il écrit que « les beureaux et les administrateurs » de l’Hôpital Général de Guingamp doivent « estre composees des trois ordres c’est à dire du clergé de la noblesses des officiers de justices ou de police et de la mayson de ville afin que toutes sorte de personnes procurent l’interret de cet hopital99 », comme si les hommes de la communauté de ville et les officiers ducaux représentaient à eux seuls le Tiers État. C’était quand même oublier un peu vite les 4/5e de la population guingampaise majoritairement composée d’artisans, d’ouvriers, de petits marchands commerçants ou boutiquiers qui exerçaient souvent une double, voire triple activité pour satisfaire les besoins du ménage : on pouvait être tout à la fois « metayer ciergier et cartier », boulanger et loueur de chevaux, filandière et boulangère, cloutier et marchand de bois, blanchisseur et peintre etc.
- 100 Ainsi le 14 mai 1708, lorsque naquit à La Trinité un enfant mâle qui se trouva aussitôt en danger (...)
109Au sein de ce Tiers État laborieux et besogneux, les femmes occupaient une place importante. Certains métiers étaient spécifiquement féminins (comme d’autres exclusivement masculins), mais ceux de l’alimentation et de l’hôtellerie par exemple se conjuguaient au masculin et au féminin. Même le secteur de la santé ne leur était pas complètement fermé : plusieurs faisaient office de « matrone » ou de sage-femme. C’est d’abord auprès d’elles que se rendaient les jeunes filles ou les femmes prêtes à accoucher, et c’est souvent la sage-femme qui, le « travail » terminé et confrontée à une naissance illégitime ou à un nourrisson présentant des signes de faiblesse, prenait le nouveau-né dans ses bras et le conduisait au plus vite à l’église pour l’y faire baptiser, quand elle ne l’avait pas ondoyé elle-même100. C’est encore à elle que l’on faisait appel, au même titre que le chirurgien, pour venir en aide à une future mère en danger : lorsque, le 17 décembre 1732, la paroissienne de Sainte-Croix Louise Le Cocguiec, enceinte, tombe dans le Trieux et n’est repêchée qu’in extremis, ses sauveteurs qui voient qu’elle est sur le point d’accoucher vont « à la hatte chercher un chirugien et une sage femme ». En 1786, les cinq sages-femmes domiciliées à Guingamp passaient pour être de « très bonnes sages femmes » qui faisaient « bien leur etat ». En milieu urbain, la profession rapportait un peu d’argent : en 1748, le mercier Charles Le Pezant, le couturier Philippe Le Bihannic et le « debitant de liqueur et confiseur » Joseph Guiomar, tous trois mariés à une « accoucheuse », paient respectivement 13, 14 et 24 livres de capitation en raison du métier exercé par leur femme, « le plus fort » des deux.
- 101 Dans le même temps, elle fait envoyer un greffier à Guingamp (où Marguerite Depenso a un apparteme (...)
110La division de la société en ordres n’empêchait pas les relations amicales entre eux. À Guingamp aux xvie, xviie et xviiie siècles, les exemples d’aide mutuelle, de services rendus entre membres du clergé, de la noblesse et du Tiers État sont très fréquents. Des nobles collaborent avec des bourgeois : le 23 septembre 1715, le maire de Guingamp remercie le seigneur de Lannuic Marc Antoine de la Boëssière, conseiller du roi au parlement de Bretagne, d’avoir défendu les intérêts de la communauté de ville dans un procès l’opposant au recteur de Notre-Dame nommé Nicolas. Des nobles font appel aux services de bourgeois pour régler certaines affaires ; ils leur confèrent ainsi le statut de gens de confiance : dans la première moitié du xviie siècle, le seigneur du Bois de la Roche René du Liscoët a pour « agent » de sa maison le sieur de la Garaine Bertrand Hamon ; en février 1674, le marquis de Carnavalet Jan d’Acigné relève que depuis de longues années le sieur de Primarec Lorens lui rend « des services notables et tres considerables », ce qui lui vaut d’être « noury a la table dudict seigneur de Carnavalet ». En mai 1682, « considerant les bons offices que […] durant leur vye pendant un longtemps […] d’annees voire de plus de quinze ans » lui ont rendu « deffuntz nobles gentz Francoys du Louet et demoiselle Janne Chaillou son espouse vivantz sieur et dame de Kermelec l’ayant depuis le temps de leur mariaige jusques au deceix du dernier mort noiye et survenu a ses affaires gratuitement », Claude de Kerist dame de Rumarec se sent « obligee a quelque recognoisance » envers leurs enfant mineurs ; elle leur donne donc « sans induction ny suasion de personne » l’« aplacement d’une galerie et vieilles mazuries ruinées et une piece de terre de jouxte » dépendant du lieu de la Villeblanche situé à Saint-Michel de Plouisy, ainsi qu’une rente constituée de 12 L 10 s à percevoir sur une maison située à Guingamp. L’implication directe d’un bourgeois dans la conduite des affaires d’un noble ne fut pas toujours du goût des proches de celui-ci. La mésaventure, arrivée au cours de l’été 1720, à Marguerite Depenso, veuve de maître Louis Ruello (procureur de la juridiction de Guingamp), en témoigne. Engagée par Philippe du Liscoët à demeurer dans son château du Bois de la Roche « pour en avoir soin, conserver ses interrests et faire payer les fermiers et vassaux de cette terre de celles du Liscoët et autres suivant les procurations qu’il luy en consentit », Marguerite Depenso se rend au château de Saint (situé à Gourin dans l’évêché de Quimper), pour rendre compte de sa régie. Satisfait, le seigneur du Liscoët lui octroie « une quittance generalle » qui devient vite un cadeau empoisonné : Philippe du Liscoët décédant cinq jours plus tard, sa sœur Perrine du Liscoët, dame douairière de Berien, fait aussitôt arrêter et emprisonner la veuve Ruello dans une des tours du château de Saint où elle séjournait encore101. La dame de Berien pousse même « l’hinnumanité plus loing » en faisant « garder pendant cinquante jours la Penso par des satilites qui tiroient continuellement des coups de fusils dans la prinson pour luy inspirer de la terreur et qui menacoient tantost de la perdre tantost de la precipiter dans les douves du chateau si elle ne reconnoissoit pas que tous les effets, et les obligations qu’elle avoit en son particulier dependoient de la succession du feu sieur du Liscoët, et qu’elle n’avoit fait que prester son nom dans les actes ». Marguerite Depenso était accusée d’avoir dépouillé le seigneur du Liscoët de certains biens, d’avoir profité de son statut de régisseur pour obtenir des compensations.
111On se souvient de l’association, en février 1673, de plusieurs nobles et bourgeois guingampais pour fonder une messe au profit des prisonniers. Enfin, on appréciera la bonne mémoire des hommes de la communauté de ville qui, en mars 1789, saisirent l’occasion de « témoigner le souvenir et la reconnoissance » qu’ils conservaient de « l’honnetteté et du desinteressement avec lesquels feu M. le Marquis de la Boëssiere » avait cédé, en septembre 1780, une partie du terrain dépendant de sa maison de la Palestine « pour concourir aux demandes de cette communauté pour les allignemens et emplacemens [du] champ de Bataille » (la place du Vally) : ils firent procéder « incessament […] aux changemens et conduites nécessaires pour reunir [dans] la douve toutes les eaux de la rüe St Nicolas » afin que Thomase du Boisberthelot (veuve du marquis) pût aménager sa maison en un véritable hôtel particulier.
112Les trois ordres cohabitaient sans heurt ; les querelles, sans gravité, opposaient plus souvent des membres d’un même ordre. Il est vrai qu’à Guingamp, les membres du clergé régulier et du clergé séculier étaient principalement issus, les premiers de la noblesse, et les seconds de la bourgeoisie, sans exclure pour autant des hommes et des femmes de condition plus modeste. Les nobles tendaient à se montrer conciliants, voire généreux, avec les braconniers, leurs fermiers et leurs débiteurs ; ils s’engageaient aussi dans la lutte contre la misère et traitaient souvent affaires avec les bourgeois, ce qui favorisait parfois des alliances matrimoniales. Les bourgeois usuriers répondaient assez facilement aux sollicitations et pensaient sans doute se donner bonne conscience ou racheter leur péché (ici le prêt d’argent à intérêt) en faisant preuve de largesse envers l’Église, clergé régulier et clergé séculier confondus. L’intérêt du menu peuple, particulièrement des plus démunis, était de s’attirer les bienfaits du plus grand nombre. Chacun avait donc avantage à ce que la concorde régnât dans la cité.
113L’analyse de l’évolution de la population et l’étude des composantes de la société guingampaise d’Ancien Régime attestent que les structures démographiques et l’assise sociale n’ont pas favorisé l’essor de la cité. Mais, ayant mis en évidence la place importante occupée par les bourgeois dans l’économie, dans l’administration et plus largement au sein de la société guingampaises, le développement de la ville passait logiquement par eux. Or, ils se sont montrés peu entreprenants. Malgré la proximité de la mer et des relations commerciales fortes avec des ports comme Morlaix, Saint-Malo, Bordeaux et Lisbonne, ils sont restés profondément attachés à la terre.
114L’exemple de Jacques Le Brun au xviie siècle est caractéristique : la pratique du commerce dissimule un fort désir d’élévation sociale et n’a jamais été conçue comme une fin en soi, mais comme un moyen de parvenir. Le sieur de Kerprat est le type même du bourgeois qui, à Guingamp, n’est pas exempt de reproche dans le manque de dynamisme de la cité à l’époque moderne. Il mérite donc qu’on s’intéresse à lui.

Le réseau routier breton au xviiie siècle,planche V (Ogée J., Atlas itinéraire de Bretagne, Rennes, 1769.)

Manoir de Kerrano (Grâces)
Constructions du xviie siècle où la famille de la Boessière vécut aux xviie et xviiie siècles.
Le roi d'Angleterre Jacques II Stuart y séjourna également à la fin du xviie siècle.
Cette gravure représentant une vue de face, atteste aujourd'hui de la disparition de l'aile.

Manoir de Kerrano (Grâces)
Etat actuel. L'ancienne élévation figurant de face sur la gravure se localise ici à droite, dans le prolongement du corps de bâtiment situé en retour d'angle.

Manoir de Lojou (Coadout)
Propriété des du Garspern aux xvie et xviie siècles, elle est passée aux Le Brun par le mariage de Renée du Gaspern avec Bertrand Le Brun en 1674-1675.

Façade arrière du manir de Lojou (Coadout)
La rénovation de ces coprps de bâtiment a été entamée en 1993.

Manoir de Roudourou (Plouisy)
Aujourd'hui abandonné, il a appartenu à la famille Fleuriot puis à celle De Cornelier avant de revenir aux Le Brun par achat en 1689.

Portail d'entrée du manoir de Roudourou (Plouisy)
Cette construction est considérée par Frotier de la Messelière comme « un beau spécimen de l'époque Henri IV. »
Notes
1 La paroisse Saint-Martin fut unie à celle de la Trinité après avoir été, à une certaine époque, dépendante de Sainte-Croix.
2 Chiffre moyen des religieux de cet ordre par maison trégorroise au xvie siècle (G. Minois, Les religieux en Bretagne sous l’Ancien Régime, p. 73).
3 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 3 E 1 Fonds départemental n° 51 (notaire Pierre Hamon). Les 100 messes restant devaient être dites dans l’église des pères Récollets de Lisle Verte.
4 Arch. dép. Côtes-d’Armor, B 495.
5 François Dobet précise que « c’est le 22 juin 1625 que sur lettres du Duc de Vendôme, la communauté [de Ville] leur concéda l’église St-Yves, le Cimetière et les dépendances pour y établir un couvent… à leurs frais » (Les Cahiers du Trégor, n° 19, p. 34).
6 Les Carmélites étaient peut-être soumises aux mêmes exigences épiscopales que les Ursulines en 1654 : il leur était interdit de loger à l’hôtellerie, ne pouvant être hébergées que « chez quelque honneste dame de [leurs] parantes ou amyes » (Arch. dép. Côtes-d’Armor, H 485).
7 Au nombre de 45 religieuses aux alentours de 1650, elles sont 22 en 1729, puis 17 en 1790.
8 Le 8 mai 1711, ayant fait rendre 3 084 livres de froment au meunier, les Ursulines auraient dû récupérer 2 774 livres de farine (le 16e étant alors de 310 livres). Or, Jan Le Guennec ne rendit que 2 657 livres de farine. Il s’était donc gardé 117 livres de farine supplémentaires.
9 Fille de défunt maître Michel Buat de la Croix (avocat à la cour, alloué et juge prévôt de Guingamp) et de Pauline Genu.
10 Fille du sieur de Kervégan Arthur Moisan, elle avait épousé le vicomte des Arcis peu après la signature, le 6 juin 1660, de leur contrat de mariage.
11 En 1729, elles seront 31 puis 19 en 1790.
12 Le 7 juillet 1758, le subdélégué guingampais sieur de Rabault précise que la communauté de Montbareil ne doit pas être « regardée comme une maison de force », les religieuses n’ayant été « instituées que pour rapeller a leur devoir les filles ou femmes tombées dans le libertinage, et non pour y recevoir des personnes reprises de justice » (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 1273).
13 On remarque que les paroissiens ne s’attaquent pas à l’Hôpital Général de Guingamp alors que celui-ci, au même titre que les communautés religieuses, est amené à effectuer certains travaux susceptibles de concurrencer les artisans et commerçants de la ville. En octobre 1695, la dame de Kerprat Béatrice Couppé avait légué à cet établissement le montant (240 livres) de la ferme annuelle du lieu noble de Kervoazou à Senven-Lehart pour, entre autres, acheter « de la laine de brebis et la faire écarder pour filer dans ledit hospital pour mettre a faire du Berlinge sur les toilles que l’on ourdira audit hospital » et que l’on fera teindre en violet – « en cette ville et non aeilleurs ou l’on teint plus trouble que violet affin quil n’en coute pas tant » – pour faire des casaques aux garçons. Ces casaques étaient destinées aux garçons de l’Hôpital Général pour assister aux processions et aux enterrements, ainsi qu’à ceux qui « serviront à l’autel les messes audit Hospital General » (Arch. mun. Guingamp, 3 Q « Ancien Hospice »).
14 La paroisse Saint-Sauveur exclue, car elle figure dans les rôles de capitation de la campagne.
15 Saint-Sauveur compte pour sa part un recteur et un curé (Arch. dép. Côtes-d’Armor, C 80).
16 En février 1702, Le Cozler affirme que certains paroissiens jouent même à la boule pendant les instructions publiques, gênant ainsi le prêtre qui catéchise dans l’église.
17 Celle-ci fait défense « à tout prêtre de boire au cabaret et dans l’étendue de la banlieue de son domicile, ni même dans certaines chambres précédemment destinées pour y faire boire et manger les prêtres dans la dépendance ou voisinage des cabarets ». Les « certaines chambres » étaient destinées aux prêtres lorsqu’ils devaient se déplacer pour célébrer un baptême, un mariage ou un enterrement. Le Cozler aurait justifié sa présence dans ces lieux publics en affirmant que l’interdit de l’évêque ne frappait que les curés de campagne.
18 Valentin était âgé de 36 ans et Hélène Le Breton en avait au moins 70 (Arch. Dép. Côtes-d’Armor, B 2479).
19 En 1757, il était recteur de Saint-Sauveur et demeurait à Notre-Dame.
20 Le frère de Jean Baptiste Guyomar était le révérend père dom Yves Guyomar, religieux dominicain.
21 Il semble avoir succédé à l’abbé de Rays du Breil, peut-être noble comme lui.
22 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 20 G 103.
23 Pour les curés des villes, il avait été fixé à 500 livres par un arrêt du Grand conseil, le 12 février 1687.
24 Cette crise n’aurait pas touché que le clergé régulier : dans leurs cahiers de doléances rédigés en 1789, les paroissiens de Sainte-Croix évoquent « les endrois ou il […] manque tant [de prêtres] pour le service de Dieu et l’utilité des peuples ».
25 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bn 2423. À la campagne, les châteaux non occupés en permanence n’étaient pas non plus à l’abri de ce type de visite nocturne : dans la nuit du 17 au 18 octobre 1694, Charles de Goesbriand, chevalier seigneur comte du même nom, se serait rendu en compagnie de plusieurs domestiques et d’autres gens sans aveu au château de Kermorvan situé à Louargat et appartenant à son frère, le chevalier seigneur marquis Vincent de Goesbriand ; trouvant les portes fermées, il les aurait enfoncées puis aurait emporté blés, vin et cidre (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bn 930).
26 M. Nassiet, Noblesse et pauvreté…, p. 51.
27 Il s’agit d’Henry Begaignon en tant que lieutenant du capitaine de Guingamp, et d’Yves Million occupé à Vannes.
28 Le seigneur du Lojou reçut 20 boisseaux de froment (estimés 80 livres), 20 boisseaux d’avoine (évalués 35 livres), 20 boisseaux de blé noir (estimés 40 livres) ainsi que trois milliers de paille de froment (évalués 12 livres), deux vaches et un veau (estimés ensemble 72 livres).
29 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 2 E 406. Ignorant les suites de l’affaire, on ne sait pas si Bertrand Gabriel de la Boëssière a finalement réussi à toucher l’argent qui lui revenait…
30 Expression empruntée à M. Nassiet, Noblesse et pauvreté… », p. 164.
31 Des membres du second ordre s’impliquent aussi dans le baptême d’enfants exposés (pas obligatoirement illégitimes), tel que Rolland Le Gac chevalier seigneur de Neuval et de Lansalut, parrain de « Rolland Louis exposé entre les portes de Rennes la nuit du septieme au huitieme janvier » 1738 et baptisé à Notre-Dame de Guingamp le matin de sa découverte (Arch. mun. Guingamp, GG 24).
32 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 2 E 337. Le seigneur de Carnavallet mourut le 21 février suivant, des suites de son accident ?
33 Article de Joël Cornette, « À bas l’État absolu » paru dans l’Histoire, n° 194, décembre 1995, p. 32.
34 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 2258. Son frère aîné, Jacques de la Boëssière, a été tué le 29 juillet 1693 lors du combat de Landen.
35 Cité par M. Nassiet, Noblesse et pauvreté…, p. 183.
36 M. Nassiet, Noblesse et pauvreté…, p. 186.
37 Elle consistait en un grand plat bassin, deux soucoupes, quatre petites salières, deux douzaines de cuillères, deux douzaines de fourchettes, deux douzaines d’assiettes, deux petites tasses d’argent « en oualle quy se mettent l’une en l’autre », une autre tasse d’argent ronde et « deux esgueniers ».
38 En avril 1760, le sieur du Boisclairan Pierre Guery afferme pour neuf ans une boutique située près de la prison « avec les trois quarts d’une petite cour joignante l’escallier de laditte prison ». Il juge cependant nécessaire de préciser au preneur qu’il « n’elevera ny ne nourira aucun porcs dans les dits logements et cour » (Arch. dép. Côtes-d’Armor, 3 E 31/33 notaire Brunot). Cette présence animale conférait un caractère indéniablement champêtre à la ville, ces animaux ayant plus volontiers leur place dans une ferme. Cela laisse supposer soit que cet interdit ne fût pas toujours correctement observé dans le passé (c’est une reconduction de bail), soit que si certains particuliers s’adonnaient à cette pratique, le bailleur ne voulait pas la voir appliquée dans une de ses propriétés…
39 L’office pouvait rapporter, non compris les avances, la somme de 2000 livres tournois par an (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 Ea 6).
40 Pierre Allain n’eût pas d’enfant de son mariage avec Theffene Jaffrezic (il décèdera sans descendance). Cela explique peut-être qu’il put (s’) investir autant dans le mariage de sa nièce.
41 Probablement François Georges de MacNemara dont la fille, Marie Françoise Julie, épousa le 18 août 1767 dans l’église Notre-Dame de Guingamp François Isaac de Boisboissel, chevalier seigneur du même nom (Arch. mun. Guingamp, GG 32).
42 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 3 E 31/36 (notaire Brunot). Le rôle de capitation pour l’année 1760 à Guingamp plaçait le sieur du Limon Timeur et ses enfants, initialement imposés 56 livres mais finalement taxés 38 livres, parmi les soixante capités payant un minimum de 24 livres (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 4213).
43 Ainsi de la famille Bavan de la Lande. Pierre était valet et maître barbier ordinaire du roi en 1656 avant de devenir maître chirurgien et barbier, double activité qu’il exerçait en 1683-1707. Laurent était maître chirurgien en 1707-1717, de même que Jan Baptiste en 1716-1732.
44 Ce renversement de situation tend à confirmer le changement de conjoncture économique repéré lors de l’étude du mouvement annuel des baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse Notre-Dame.
45 Arch. dép. Côtes -d’Armor, B 2476.
46 « Une juppe de Trocard rouge et une juppe de laine ».
47 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 2 E 337. Le 11 juin 1691, l’étude de Pierre Hamon sera à nouveau visitée, le malfaiteur profitant de l’absence du notaire, alors à Châtelaudren, et de celle du reste de la maison parti à l’église entendre la grand’messe. Mais, heureusement pour le sieur du Pré, rien ne sera emporté.
48 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 4111. En 1760, on pouvait compter, parmi les soixante capités payant un minimum de 24 livres, au moins (car la profession n’est clairement indiquée que pour 37 individus) sept procureurs, un avocat et un notaire royal.
49 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 3 E 31/31-36 (notaire Brunot).
50 Ibid., 3 E 31/39 (notaire Brunot).
51 On lira avec intérêt le livre de François Lebrun, Se soigner autrefois. Médecins, saints et sorciers aux xviie et xviiie siècles, éd. Seuil, coll. Points-Histoire, 1995, et notamment les deux chapitres consacrés à la médecine officielle, le premier traitant de la formation du personnel médical et le second se penchant sur l’art de guérir sous l’Ancien Régime.
52 Le fait que ces métiers étaient organisés en maîtrises et jurandes empêchait, par exemple, les apothicaires d’exercer la chirurgie.
53 On remarque toutefois qu’en 1676-1677, une demoiselle de Kervegan Le Goff était signalée marchande de vin (Arch. dép. Finistère, 13 J 6).
54 Arch. dép. Côtes-d’Armor, B 453. En fait François Le Goff sera fermier pendant dix-huit ans.
55 Cela bien que, au grand étonnement de leurs créanciers, ils annoncèrent le 22 août 1772 « par leur bilan qu’apres avoir fait face à leurs dettes il [devait] leur rester » la somme de 11531 L 5 s 11 d (Arch. dép. Côtes-d’Armor, 3 E 31/39 et 31/40, notaire Brunot).
56 Les rôles de capitation en témoignent. En 1717, ils révèlent la présence des sieurs Genu de la Cocherie (capité 30 livres) et de la Bordière (capité 25 livres), respectivement dits marchand magasinier et marchand. Une délibération du 6 juillet 1718 parle d’un Paul Genu sieur de la Cocherie, marchand de draps et soie à Guingamp. En 1748, Jan Genu passe pour un épicier apothicaire et paie 18 livres de capitation.
57 Frère de « maistre Robert Chenviere sr de Lamprat », ce dernier greffier en chef de la cour ducale en février 1676.
58 Le rôle des marchands et artisans, dressé en 1748, la situe parmi les épiciers-apothicaires et lui attribue une capitation de 29 livres.
59 Arch. mun. Guingamp, BB 11 (délibération du 27 février 1751). Ces personnes finiront néanmoins par se lasser de payer pour un individu dont le comportement ne laissait entrevoir le moindre changement, obligeant du coup le gouverneur de l’Hôtel-Dieu à assumer ce rôle.
60 Sans compter les exemptions fiscales dont elles font l’objet.
61 M. Nassiet, Noblesse et pauvreté…, p. 186.
62 J. P. Leguay, « Guingamp au xve siècle », MSHAB, tome LVI, p. 124.
63 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 1451-1452. Les bouchers nantais partant du principe que, « lorsque le nombre des Bouchers est peu considérable dans une ville les cultivateurs ou autres qui viennent vendredes animaux de consommation sont obligés de les céder à un prix raisonnable de peur d’être dupés de leur propre avidité », alors que « si au contraire les Bouchers sont en grand nombre, cette multiplicité est favorable aux vendeurs [qui] savent qu’aucun artisan ne veut rester dans l’inaction, et sans cette sécurité, ils vendent leurs animaux à des prix exorbitans, parcequ’ils sont assurés d’en trouver la défaite : ensorte que le Boucher acheptant nécéssairement sa marchandise à haut prix, est forcé de la vendre chere », ce qui ne plait pas au public.
64 Les Cahiers du Trégor n° 19, p. 28.
65 Cette infériorité numérique s’explique sans doute par le fait qu’hormis les jours maigres ordonnés par l’Eglise (Carême, vendredi et veille de certaines fêtes) où la consommation de la viande alterne avec celle du poisson, celui-ci reste moins prisé, n’entrant dans « l’alimentation ordinaire que comme aliment de pauvre » (A. Croix, L’âge d’or de la Bretagne…, p. 138-139). Et encore Alain Croix a-t-il raison de nuancer car, comme à Morlaix, l’Hôpital Général à Guingamp ne paraît pas acheter de poisson. C’est le sentiment que l’on a à la lecture du testament de Béatrice Couppé dame de Kerprat, qui ne fait aucune allusion à une éventuelle consommation de poisson. Si, en octobre 1695, elle veut qu’une partie de l’argent qu’elle lègue à l’Hôpital Général de sa ville soit employée à l’achat de « saigles et bled-noir et avoines affin d’avoir de bons-bleds non-gattés pour la nouritture des pauvres dudit Hospital General », de « viandes fraiches pour leur donner deux fois la semaine deux repas de pottages frais et viandes » et d’un « sallé ou [d’] un pourceau par an pour lesdits pauvres », elle ne parle nullement de poisson (Arch. mun. Guingamp, 3 Q « Ancien Hospice »). À Guingamp, la viande apparaît probablement plus souvent sur la table que le poisson. Il est d’ailleurs significatif de constater que le rôle des marchands et artisans, dressé en 1748, ne fait pas mention de l’état des poissonniers, comme si ces derniers n’existaient pas en ville (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 2143). Du coup, cela peut expliquer que plusieurs familles de bouchers et de poissonniers se soient unies par le mariage : de cette façon, aucune ne chômait jamais et toutes pouvaient ainsi continuer de subvenir à leurs besoins.
66 Louis Jean Marie de Bourbon, « Duc de Penthièvre, de Chateau Villain et de Rambouillet, chevalier des ordres du Roy, Gouverneur et lieutenant pour S.M. en sa province de Bretagne, amiral de France ».
67 Suite à l’agression commise par son valet sur la personne de François Ceneca (dit Saint-François), dragon servant dans le régiment de Belabre alors en quartier à Guingamp.
68 Se doutant que la prison l’attendait, Catherine Le Quellec n’était pas partie de chez elle les mains vides : elle avait pris soin d’emporter avec elle (et de cacher sur elle) sa petite « fortune ». Elle n’eut pas tort de prendre les devants puisqu’elle apprit en prison que les dragons étaient très vite allés piller et « divertir » les effets qu’elle possédait, tant au moulin que dans son appartement.
69 Arch. dép. Côtes-d’Armor, B 2477. La dot comprend 600 livres tournois de marchandises de cuir et 50 livres tournois de rente.
* Guillaume Riollay et enfants.
70 Car le métier était pénible, au point que certains succomberont à la tâche : Guillaume Rohan est décédé à l’âge d’environ 65 ans à Sainte-Croix le 11 décembre 1751, « aiant êté surpris par la mort en travaillant a son metier de tisserant » (Arch. mun. Guingamp, GG 72).
71 En avril 1680, le fils du tailleur guingampais Michel se consacrait à l’instruction des enfants de la ville, leur enseignant au moins l’ABC. Le notaire Pierre Hamon lui envoya à cette époque pour élève son fils Charles âgé de 4 ans et demi, à raison de cinq sols par mois (Arch. dép. Côtes-d’Armor, 2 E 337).
72 Dans son testament qu’elle confirme le 14 janvier 1696, la dame veuve de Kerprat Béatrice Couppé cède à l’Hôpital Général de Guingamp le prix de la ferme du lieu noble de Kervoazou (situé à Senven-Lehart) qui devra servir, entre autres, à « achetter des bonnets bleuff à Morlaix comme portoint les Lionois pour les pauvres dudit Hospital General » (Arch. mun. Guingamp, 3 Q carton intitulé « Ancien Hospice »).
73 J.-P. Leguay, « Guingamp au xve siècle », MSHAB, tome LVI, p. 122 et 123.
74 Rien que dans la ville close par exemple, le nombre des maisons passa d’environ 150 en 1643 à 180 en 1694, tandis qu’entre 1699 et 1707, tant de maisons auraient été bâties à Sainte-Croix que ce faubourg aurait vu sa population augmenter d’un tiers (Arch. mun. Guingamp, BB 7, délibération du 10 novembre 1707).
75 La menace de l’incendie était à ce point réelle et omniprésente que le 7 juin 1746, la communauté de ville dut « faire une deffense à tous particuliers de la ville de mettre aucune barique cuve ny aucun autre grand vaissaux sous les robinest de la pompe ny de dissiper l’eau par des evacuations extraordinaires surtout pendant l’eté », époque où « les sources commancantes à diminuer les eaux de la pompe diminuent aussy a proportion ». Car « sy par malheur il arrivoit quelque incendie le bassin ne fourniroit pas de l’eau asséz abodament pour eteindre le feu par raport à la dissipation qu’on fait des eaux » (Arch. Mun. Guingamp, BB 11).
76 Arch. mun. Guingamp, BB 12 (délibération du 21 septembre 1776). Les charpentiers et les couvreurs, entre autres, ne se contentaient pas seulement de réparer ou rebâtir ce que les flammes avaient abîmé : ce jour-là, avec d’autres ouvriers, ils « s’étoient portés avec courage a arrêter les progrès du feu ».
77 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 2 E 337 (journal de Jan Hamon). Dès « le lendemain en l’audiance de la Prevosté […] fut fait deffance » à quiconque à l’avenir « de faire chauffer lin ni chanvre pour broyer de jour ny de nuict ny vesseller broesser ny habiller aucune filasse ny lenfaix la nuict au feu ni a la chandelle en la ville sur paine de 50 L d’amande punition corporelle et desinteresser les proprietaires des maisons et biens qui pourroient estre brusles par telles faultes ». Cette décision en dit long quant à la (grosse) frayeur qu’avait suscité l’incident…
78 Arch. mun. Guingamp, BB 14. En 1781, monsieur Dorisy était directeur des Devoirs à Guingamp.
79 On lira avec intérêt la thèse de Daniel Leloup, L’habitat urbain dans le Trégor aux xve et xvie siècles. Lire également F. Dobet dans les Cahiers du Trégor, n° 12, p. 22 à 26.
80 Arch. mun. Guingamp, BB 8. Le Pardon de Guingamp avait lieu début juillet et draînait une foule immense de pélerins. Le portail de l’église, dans lequel se trouvent des « troncz » destinés à recueillir les offrandes des fidèles, devait donc avoir fière allure (pour susciter au maximum la générosité des pélerins ?).
81 L’ouvrage n’était pas dénué de danger car, le 5 octobre, le sculpteur fit une chute mortelle (Arch. mun. Guingamp, GG 10, acte de sépulture daté du 6 octobre 1671).
82 Arch. mun. Guingamp, BB 5. Troussel proposa d’effectuer le travail en deça des 250 livres que réclamait Huet.
83 Y. De Bellaing, « Dans le passé de la Basilique Notre-Dame de Bon-Secours de Guingamp avec ceux qui la construisirent », Le Journal de Guingamp, n° 383, 29 octobre 1955.
84 Celle-ci devait être bien remplie car, surpris, les voleurs s’enfuirent en laissant sur place « la poche qui pouvoit contenir une barrique de pommes » !
85 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 4115. En 1753, les Carmélites avaient six domestiques à leur service.
86 En 1733, Guennollé Le Clerc, meunier des moulins de la Tourelle et de Saint-Sauveur, employait quatre domestiques (Arch. dép. Côtes-d’Armor, C 80).
87 Arch. dép. Côtes-d’Armor, 2 E 337. Le contrat de mariage, établi le 29 mai 1672 entre Jan Le Guen et Claude Pilven, nous apprend que le futur époux n’était plus de toute première jeunesse : il consent qu’à son décès sa future femme touche la somme de trois cents livres « par forme de remuneration des soins quil pretend d’elle pendant le temps de sa vieillesse, et de laquelle somme […] il luy fait don gratuit a raison de sa jeunesse et pour autres causes et considerations particullieres » (Arch. dép. Côtes -d’Armor, 3 E 1 fonds départemental n° 51, Pierre Hamon).
88 Car c’est cela qui reste finalement le plus important. Le valet d’écurie Jacques Le Naoüres, détenu dans les geôles guingampaises pour « vol domestique » en avril 1736, en convient parfaitement, lui qui affirme se trouver « bien en prison aiant du pain plain son ventre à menger et de l’eau à boire ».
89 Arch. dép. Côtes-d’Armor, B 2475. En juillet 1775, le prêtre de Plouisy, Mathieu Jan, se montre plus généreux envers sa domestique Marguerite Moignet qui demeure avec lui depuis quatre ans : « pour reconnoitre les soins et les peines » qu’elle « s’est donné […] pour le gouvernement de sa maison, et pendant les differentes et continuelles maladies qu’[il] a essuié depuis ce temps, et pour les mesmes soin et peines qu’il espere encorre d’elle à la suitte », le prêtre crée au profit de sa dévouée servante une rente viagère de cent livres à percevoir à partir de son décès (Arch. dép. Côtes-d’Armor, 3 E 31/41 notaire Brunot).
90 En janvier 1788, Le Moal se présentait lui-même comme un « laboureur domestique fileur de laine » qui « travailloit aux jardins et fendoit du bois quant il trouvoit de l’ouvrage », avant d’être arrêté puis emprisonné.
91 Les rôles de capitation sont éloquents : en 1733, seuls trois paroissiens (Guennollé Le Clerc, le sieur de la Villeblanche Le Benic et le sieur Landois) paient plus de dix livres, respectivement 15, 15 et 13 livres. La plupart des habitants sont capités entre dix sols et cinq livres (Arch. dép. Côtes-d’Armor, C 80).
92 Jusqu’alors, les pauvres de la cité étaient envoyés à l’hôpital de Saint-Brieuc qui se chargeait de les entretenir, contre le paiement annuel de deux cents livres que lui versait la communauté de ville de Guingamp (Arch. mun. Guingamp, BB 9, délibération du 15 octobre 1728).
93 Elle n’aura finalement pas besoin d’en arriver à cette solution peu glorieuse. En effet, devant le refus des Hospitalières d’accueillir la veuve Connan « attandû qu’elle estoit tourné desprit », la communauté de ville délibéra aussitôt de payer à la dite Le Gendre quatre sols deux deniers par jour « quy est la retribution deubs a chacun pauvre de l’Hotel Dieu […] pour l’ayder a faire subsister sa soeur », tout en la gardant auprès d’elle.
94 A. Soulabaille, L’évolution économique et sociale de Guingamp aux xvie xviie et xviiie siècles, thèse dactylographiée, p. 352.
95 L’approximation d’un chiffre provient de la mention « les filles d’un tel » ou « les enfants d’un tel » ; nous savons seulement que les individus concernés dans un cas pareil sont au moins deux.
96 À cette occasion, Béatrice Couppé permet à Anne Riou, sa gouvernante, de se servir du lit « en cas d’infirmittée pendant sa vie durante seulement ».
97 Elle serait aidée dans sa tâche par la domestique Marguerite Le Prieur « dont la conduite [était] connuee » et appréciée.
* « Meneuse », empoisonnement, vente de chair animale avariée, « abus », fausse monnaie, « démérites » et bestialité** (2 cas).
** Homme (ou femme) acusé(e) de « copulation charnelle » avec un animal (lire l’exemple fourni par Michel Pastoureau dans « les extravagants procès d’animaux », L’Histoire, n° 172, 1993, p. 16-23).
98 Ch. Plessix-Buisset, Le criminel devant ses juges en Bretagne aux 16e et 17e siècles, p. 156-157.
99 Arch. mun. Guingamp, BB 9 (délibération du 12 août 1728).
100 Ainsi le 14 mai 1708, lorsque naquit à La Trinité un enfant mâle qui se trouva aussitôt en danger de mort : il fut baptisé (en fait ondoyé) à la maison par la sage-femme, puis à l’église par le curé de la paroisse. L’acte précise que les parrain et marraine « furent aux exorcismes et ceremonies » (Arch. mun. Guingamp, GG 55).
101 Dans le même temps, elle fait envoyer un greffier à Guingamp (où Marguerite Depenso a un appartement depuis une douzaine d’années) et au château du Bois de la Roche pour mettre les scellés sur tous les biens de la veuve Ruello.
Table des illustrations
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Légende | Graphique 3 – Gains et dépenses de Pierre Hamon de 1671 à 1688.Compléments d’explication du graphique 3(source : Arch. dép. Côtes-d’Armor, 2 E 337.) |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-1.png |
Fichier | image/png, 104k |
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Légende | Tableau 4 – Montant de la capitation de quelques marchands tanneurs guigampais au xviiie siècle.(Sources : Arch. dép. des Côtes-d’Armor, C 79 (a) ; Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 4210, C 4111, C 4113, C 4114 et C 4213.) |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-2.png |
Fichier | image/png, 178k |
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Légende | Tableau 5 – Nombre des pauvres recensés dans les rôles et comptes de capitation guingampais au xviiie siècle95. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-3.png |
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Légende | Tableau 6 – Délits commis par les prisonniers détenus à Guingamp dans le premier quart du xvie siècle.(Source : Arch. dép. Côtes-d’Armor, E 908.) |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-4.png |
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Légende | Le réseau routier breton au xviiie siècle (Ogée J., Atlas itinéraire de Bretagne, Rennes, 1769.) |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-5.png |
Fichier | image/png, 210k |
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Légende | Le réseau routier breton au xviiie siècle,planche V (Ogée J., Atlas itinéraire de Bretagne, Rennes, 1769.) |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-6.png |
Fichier | image/png, 3,9M |
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Légende | Guingamp et ses faubourgs en 1778. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-7.png |
Fichier | image/png, 295k |
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Légende | Manoir de Kerrano (Grâces)Constructions du xviie siècle où la famille de la Boessière vécut aux xviie et xviiie siècles.Le roi d'Angleterre Jacques II Stuart y séjourna également à la fin du xviie siècle.Cette gravure représentant une vue de face, atteste aujourd'hui de la disparition de l'aile. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-8.png |
Fichier | image/png, 158k |
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Légende | Manoir de Kerrano (Grâces)Etat actuel. L'ancienne élévation figurant de face sur la gravure se localise ici à droite, dans le prolongement du corps de bâtiment situé en retour d'angle. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-9.png |
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Légende | Manoir de Lojou (Coadout) Propriété des du Garspern aux xvie et xviie siècles, elle est passée aux Le Brun par le mariage de Renée du Gaspern avec Bertrand Le Brun en 1674-1675. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-10.png |
Fichier | image/png, 366k |
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Légende | Façade arrière du manir de Lojou (Coadout)La rénovation de ces coprps de bâtiment a été entamée en 1993. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-11.png |
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Légende | Manoir de Roudourou (Plouisy)Aujourd'hui abandonné, il a appartenu à la famille Fleuriot puis à celle De Cornelier avant de revenir aux Le Brun par achat en 1689. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-12.png |
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Légende | Portail d'entrée du manoir de Roudourou (Plouisy)Cette construction est considérée par Frotier de la Messelière comme « un beau spécimen de l'époque Henri IV. » |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-13.png |
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Légende | Manoir de Trobadiou (Trédarzec)Hiérosme Le Brun en fut le sieur au xviie siècle. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-14.png |
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Légende | Colombier de Trobadiou (Trédarzec)Le colombier ext le symbole du prestige seigneral. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8914/img-15.png |
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© Presses universitaires de Rennes, 1999